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La responsabilité sociale de l'artiste contemporain et la création artistique comme outil de développement économique

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par Edouard Vaudour
EDHEC Business School - Msc Creative Business 2015
  

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PARTIE 2 : CONTEXTE, HYPOTHESES & METHODOLOGIE

I Contexte p36

II Hypothèses de recherche .p38

III Méthodologie p40
PARTIE 3 : ANALYSE, DISCUSSION & RECOMMANDATIONS

I Analyse p41

II Recommandations .p64

Bibliographie p65

Sources p66

ANNEXES

Annexe 1 p68

Annexe 2 p69

Annexe 3 p70

Interview de Jérôme Delormas p70

Interview de Michel Muckensturm .p81

Interview de Thibault Duchesne de Lamotte p87

Interview de Beth Saccia p94

Interview d'Alexandre Gain p98

Interview de Michèle Broutta p103

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A l'heure où la thématique de Responsabilité Sociale de l'Entreprise est de plus en plus présente dans les mentalités et dans la manière d'appréhender les échanges économiques, où les acteurs du marché ont de plus en plus conscience de l'impact environnemental et social de leur activité et de la nécessité d'une approche plus éthique du business, il convient de s'interroger sur la position de l'artiste face à la notion de responsabilité sociale. C'est bien dans un contexte de remise en cause du capitalisme débridé que l'art apparaît comme liant social de par sa capacité à générer du sens collectif. Faire appel à la fonction sociale de l'art, c'est redonner ses lettres de noblesse à la culture et lui reconnaître une utilité sociale et un impact parfois difficilement quantifiable en terme économique mais non moins important. La culture contribue en 2011 à près de 60 milliards d'euros du PIB français et à 2,5% de l'emploi national. (1)

L'appauvrissement du lien social remet en cause la nature fédératrice de la société dont les changements induits par la révolution numérique ne cessent de faire évoluer les comportements. La souveraineté des rapports économiques au détriment des rapports sociaux contribue également au dénaturement des rapports entre les individus. L'artiste aurait un rôle à jouer dans ce tissage de liens, ainsi qu'une responsabilité qui lui est propre afin que son travail enrichisse non seulement le patrimoine culturel mais oeuvre aussi au vivre-ensemble. L'oeuvre artistique peut se positionner comme contre-pouvoir en révélant les failles de la promesse de « Progrès » et éveille en nous une promesse d'une autre manière d'exister : la véritable manière d'être soi. Avec sa manière d'interroger le monde,

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comme celle du philosophe, l'artiste dérange et les censeurs d'opinion peuvent vouloir le bâillonner.

Dès lors, comment réhabiliter la place de l'artiste dans la société et reconnaître son oeuvre comme terreau de développement économique et social ?

Par artiste, l'imaginaire collectif tend à projeter la figure du rêveur ayant une vie à la marge de la société mais l'on entend ici l'homme de l'art, doté d'un savoir-faire et de créativité au service de domaines aussi divers que la musique, le graphisme, le design, l'architecture, la sculpture. Le climat actuel pour la création contemporaine est exigeant compte-tenu du fait que les artistes émergeants ont conscience du patrimoine artistique accumulé au fil des siècles et de la valorisation de celui-ci. Cela demande aux créateurs contemporains «un mélange, nécessairement mue d'audace et d'humilité» (2) , un juste dosage entre réappropriation et innovation. Le challenge dans cette pratique artistique est aussi d'allier liberté et responsabilité dans cette quête de vérité. Le cadre social ne devrait être une limitation de la liberté de l'artiste mais bien une intégration de celui-ci dans la communauté. Dans cette intégration, les acteurs de la médiation culturelle en France que comprennent les résidences artistiques, les incubateurs de projets et les entrepreneurs culturels ont un rôle essentiel à jouer afin de mettre en lumière d'une part les bénéfices qu'a la société d'avoir un vivier de créateurs et d'autre part l'opportunité pour les artistes de bénéficier d'un soutien privé ou public et de pouvoir partager leur vision avec un large public. Être responsable c'est avoir

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conscience de son environnement et respecter autrui. Or, la recherche de vérité et de liberté qui est propre à l'artiste ne peut se faire sans responsabilité vis-à-vis d'autrui. La responsabilité pour autrui doit précéder et investir une liberté qui, sans elle, serait sans visage. Le travail de l'artiste prend alors tout son sens générateur d'émancipation : que cela soit la sienne ou celle d'autrui. C'est bien un défi pour l'artiste contemporain qui est expérimentateur du jeu social. Dans un contexte historique, les rapports entre l'artiste et la société ont évolué selon le type de société. En effet, dans les sociétés traditionnelles, l'artiste est perçu comme un gardien de la tradition, un conteur de mythes qui transmet des valeurs qui forgent l'individu et la communauté. Si l'on prend l'exemple des griots maliens, ils sont les héritiers d'un savoir ancestral diffusé au moyen de la musique. Laurent Bizot, fondateur du label No Format! sous lequel sont signés des griots comme Ballaké Sissoko ou Kassé Mady Diabaté, témoigne de cette tradition soutenue par la caste des nobles, qui agissent comme des mécènes auprès des artistes (Annexe 1). On retrouve ce procédé dès le Moyen-Age en France avec les commandes ecclésiastiques et princières (3). En ce qui concerne l'objet d'art en lui-même, comme le souligne Daniel Bougnoux, les objets d'art étaient dotés de propriétés magiques, religieuses, rituelles voire médicinales (4). L'acte de création artistique est mystifié car l'artiste est capable d'expliquer un fonctionnement de la Nature dont les causes ne seront comprises que plus tardivement par la méthode scientifique moderne. L'artiste, comme manipulateur de symboles, donne un sens collectif à la communauté, même si celui-ci s'inscrit avant tout dans l'imaginaire. Peu à peu, à l'image de Léonard de Vinci, l'artiste devient le technicien d'une Praxis

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à la recherche esthétique mais au service d'une vérité scientifique. L'artiste dissèque le réel et interroge les rapports de l'Homme au monde physique. Dans les sociétés modernes, la place de l'artiste est démystifiée car l'art est utilisé comme outil d'instruction et de retranscription du réel. Des portraits réalistes de Velasquez aux planches de l'Encyclopédie de Drouot, il subsiste une volonté de faire de l'art un outil d'éducation. Néanmoins, depuis Marcel Duchamp, dont l'approche visionnaire révolutionna la conception de l'art, on assiste à une dématérialisation des supports des oeuvres artistiques : ce n'est pas tant l'objet qui compte mais bel et bien la réflexion, la symbolique ou encore les répercussions de l'oeuvre sur le tissu social qui préoccupent l'artiste. Comme le constate Nicolas Bourriaud, on est donc passé du rapport entre l'Homme et le divin, au rapport entre l'Homme et l'objet puis désormais on tend de plus en plus à analyser le rapport entre l'Homme et la société (5). L'artiste, plus que jamais conscient de la portée de l'art, est intéressé par l'impact qu'aura son travail sur autrui. Désormais ce ne sont plus les seuls supports comme un tableau ou une sculpture qui sont des formes artistiques mais aussi tout rapport humain. Cette rencontre entre l'artiste et le spectateur va être décisive et selon les époques et les moeurs, parfois nourricier, parfois conflictuel. Il convient d'étudier tout d'abord les rapports entre l'artiste et les pouvoirs économiques et politiques. Ces rapports tendent à être bouleversés notamment avec les nouveaux enjeux de société que sont la révolution numérique, l'éthique et l'environnement qui semble transformer la figure de l'artiste en entrepreneur social. Enfin, la responsabilité sociale de l'artiste repose aussi sur les acteurs qui entourent, interprètent et donnent accès à son oeuvre à savoir les

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médiateurs culturels (musées, fondations, résidences artistiques...) et les nombreux dialogues et collaborations artistiques qui enrichissent profondément une oeuvre. En intégrant le processus artistique à des problèmes techniques, l'art peut même devenir un vecteur de développement dans des domaines connexes d'application qui s'étendent du domaine spatial au médical, faisant de l'artiste un allié dans la recherche pour l'amélioration des conditions de vie. La création artistique a alors sa place, non seulement comme vecteur de remise en cause des paradigmes existants et comme spiritualisation du sensible mais aussi notamment grâce au design comme laboratoire d'innovation qui inspire la société dans son ensemble.

I Les rapports entre les pouvoirs politiques & économiques et l'artiste : entre transgression, acceptation et transfiguration

A. L'artiste engagé, pirate des formes sociales face au pouvoir politique

A la suite de la loi le Chapelier de 1791 qui proscrit le regroupement en corporation, l'artiste acquiert peu à peu autonomie et indépendance et face aux bouleversements induits par la révolution industrielle dès le milieu du XIXème siècle, l'artiste, qui n'est plus seulement artisan, est partagé entre une vision académique ou une vision sociale. Soit, sur le modèle du mouvement des réalistes, l'artiste opte pour un suivi des standards académiciens, soit comme avec les utopistes, l'artiste milite pour une refonte d'un système fondé sur un art bourgeois (6). Bien que la liberté de création est préservée en France par la liberté d'expression, l'artiste n'en reste pas moins un concurrent de la sphère politique dans la mesure où il agit également sur l'imaginaire collectif et sur le sens que les individus donnent à la société. En effet, l'artiste contemporain se place au coeur des rapports sociaux en tant que citoyen mais aussi en tant que créateur. Ne recherchant plus seulement l'esthétique de l'objet, l'artiste recherche une esthétique relationnelle dans ses rapports avec le public. Ce rapport peut s'établir dans une forme contestataire au pouvoir politique. L'artiste serait alors par nature engagé malgré lui face aux maux de la société. Même son silence serait une forme d'engagement. Désormais, comme Albert Camus l'avait discerné, «tout artiste aujourd'hui est embarqué dans la galère dans son temps» (7). L'artiste contemporain est plus que jamais un hacker des formes sociales qui élargit les

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possibles et la créativité réside dans le fait de jouer avec ces formes sociales souvent consolidées par le pouvoir politique. L'art conscientise les scénarios collectifs et nourrit le mythe social (8). Ainsi, de nombreux politiques craignent la remise en cause et l'émancipation que peuvent permettre les oeuvres d'art. L'artiste chinois Ai Weiwei qui a exposé au Jeu de Paume en 2012 pour son exposition Entrelacs, en est la preuve. Considéré comme dissident, il est assigné à résidence à Pékin. Les médiateurs culturels comme les musées ont alors un rôle à jouer dans le choix de leur programmation et dans la diffusion d'oeuvres qui sont censurés dans certains pays.

Néanmoins, l'art peut-il avoir une place en politique ? Selon Gilberto Gil, à la fois artiste et ancien ministre de la Culture de 2003 à 2008 au Brésil, « la politique a toujours un temps de retard » et ce principe serait en contradiction avant l'esprit d'avant-garde propre à la création contemporaine (9). Au lieu de construire des utopies ou des idéologies, l'artiste contemporain tente de mieux habiter le monde et partage l'expérience du pouvoir du moment présent. C'est cette expérience de la pratique artistique, en tant que puissance de vie (10), qui est déjà un contrepouvoir. L'acte de créer n'est-il alors déjà pas un acte de résistance ? La création, en tant que proposition de nouveau contenu, est une alternative qui remet déjà en cause la création existante. En désertant le terrain esthétique, les artistes se confrontent au réel et peuvent avoir des conduites sociales qui ont des conséquences directes et non plus symboliques. Avec le développement des performances artistiques, sous couvert de l'acte symbolique, des artistes peuvent

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croire à une immunité (11). En témoignent les célèbres actions de Pierre Pinoncelli qui en 1975 braque une banque pour 10 francs symboliques ou en 1993 frappe l'urinoir de Duchamp d'un coup de marteau (12).

Le pouvoir politique tente de préserver la cohésion d'un ordre social établi et des oeuvres jugées obscènes ou cruelles peuvent mettre à mal une vision d'un modèle politique et faire remonter à la surface des réflexions sur des sujets auxquels il est difÞcile de se confronter. Néanmoins, la responsabilité de l'artiste n'est pas liée à une forme de rationalité, ni même à une forme de réalisme auquel l'artiste devrait se soumettre. On aurait tort de que penser les dadaïstes ou les situationnistes soient irresponsables. Bien au contraire, ils prônent la libération par l'irrationnel. Les oeuvres sont aussi des moyens de proposer des modalités alternatives d'existence, qui sortent des schémas compulsifs du désir. Toute oeuvre est déjà une tentative de créer une sculpture sociale, principe cher à l'artiste Joseph Beuys, qui voyait en chaque homme un artiste qui avait la possibilité d'utiliser sa créativité pour être libre (13).

Dès lors, en tant qu'émancipation du désir souvent attisé par les outils marketing de notre société contemporaine, l'artiste entretient avec le pouvoir économique une relation complexe : tout à la fois soumis à un marché de l'art compétitif, à une nécessité de soutien économique à un besoin de liberté et d'indépendance.

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B. Le lien ambigu avec le pouvoir économique et le paradoxe de la notoriété

Face à la marchandisation de la société et en particulier de l'art, l'artiste doit se positionner. Alors que de par son statut il souhaiterait s'extraire du jeu de rôle économique, en refusant d'être considéré soit comme marchand soit comme consommateur, car considérant ce jeu possiblement aussi destructeur pour l'Esprit que pour la Nature, comme en témoigne les oeuvres d'artistes contemporains comme Jules de Balincourt ou Raqs Media Collective (14) L'artiste n'en reste pas moins soumis à un marché concurrentiel où désormais des mécènes comme Bernard Arnault ou Francois Pinault peuvent par leurs choix changer radicalement la condition de vie d'un artiste. Il n'est pas aisé de faire carrière en tant qu'artiste contemporain tant il est difficile de prévoir les aléas du marché et les chances de réussite. L'artiste contemporain se retrouve alors en porte-à-faux face à une situation où sa fonction le pousse à s'emparer des habitudes comportementales induites par le complexe techno-industriel (15) et une nécessité de bénéficier d'un appui financier qui provient de moins en moins de fonds publics mais bien de mécènes privés issues des multinationales sur le modèle américain. L'artiste doit également veiller à préserver son oeuvre afin de ne pas faire de son art de « l'entertainment ».

Une des formes de la responsabilité sociale de l'artiste serait paradoxalement d'utiliser son droit au détournement et au boycott. Ces formes de détournement et de réapropriation peuvent tout aussi bien concerner les chefs d'oeuvres passés ou

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des formes du quotidien : on retrouve ce processus dans Fontaine de Marcel Duchamp, aux collages de Joan Miró en passant par le travail plus récent de sampling du « dj ». Bien que les artistes puissent être à la limite de la légalité concernant les droits d'auteur, l'artiste est libre de créer de nouvelles manières d'utiliser et d'interpréter l'existant. C'est aussi une manière d'étendre le champ artistique. En particulier avec le monde des grandes entreprises, il y a un double-mouvement. D'un côté, certains artistes détournent les logos, les images de marque d'entreprise et ce, en particulier dans le street-art, pour faire prendre conscience au public que les acteurs du système économique sont eux aussi des manipulateurs de symboles. Ces détournements, popularisés par Andy Warhol, sont un droit absolu de l'artiste à jouer avec des formes existantes. De l'autre, les publicitaires utilisent les artistes et détournent des oeuvres d'art comme outil promotionnel.

L'artiste contemporain se retrouve également face à ses propres contradictions dans la mesure où il dénonce un danger de réification de l'individu à travers des choix mais l'individu peut s'entourer d'oeuvres artistiques. L'oeuvre d'art devient objet d'identification et de consommation. Elle est même instrumentalisé pour élaborer de la reconnaissance sociale et soumise à spéculation fiduciaire. Le philosophe John Dewey relève que le collectionneur typique et le capitaliste typique ne font qu'un. Pour prouver sa position supérieure, le capitaliste amasse des oeuvres de la même manière qu'il le fait avec les actions et les obligations (16). En outre, il existe également une forte distorsion entre une condition socio-

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économique difficile et un statut symbolique investi. Le statut de l'artiste n'échappe pas à une forte pression concurrentielle et ne peut échapper à la comparaison et à la compétition. Dans la carrière d'un artiste, l'évaluation des critiques et la communication des médias jouent un rôle essentiel. Le succès rapide induit par la médiatisation vient perturber la vision qu'a l'artiste de son oeuvre et la médiatisation de l'artiste-star peut nuire au travail de l'artiste et à son équilibre personnel. Jean-Michel Basquiat, en faisant la une du NY Times à tout juste 25 ans, est devenu malgré lieu une icône et cela peut perturber le travail de l'artiste. La célébrité peut travestir la pensée de l'artiste et diriger les projecteurs sur sa personne plutôt que sur son oeuvre (17).

L'artiste, tantôt adulé, tantôt mise à la marge de la société, doit pouvoir bénéficier de la reconnaissance de l'Etat dont le rôle de préserver le patrimoine artistique et de mettre en oeuvre les conditions d'intégration de l'artiste dans la société.

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C. Les volontés politiques de ré-intégrer l'artiste au coeur de la cité

Entre la vision platonicienne où l'artiste n'a pas sa place dans la Cité car il ne fait qu'imiter la nature et l'approche saint-simonienne où l'artiste allié à l'industriel est un bâtisseur du Progrès social (18), les considérations sur la place de l'artiste sont nombreuses. Cela provient du fait que dans une société où le travail est

intégrateur, celui de l'artiste est plus difficile à comprendre. La recherche
esthétique fait considérer l'activité de l'artiste comme un travail à visée non utilitaire, une dépense positive d'énergie dont le résultat de la production est incertain (19). Dans un cadre à logique utilitaire, le travail de l'artiste en devient subversif. Afin de préserver cette conception unique d'un travail qui n'a pas d'utilité directe, les artistes ont besoin du soutien d'institutions publiques et de statuts spécifiques garantis notamment par la Maison des Artistes ou les statuts d'intermittence. Les lieux comme les centres d'art , qui existent depuis 1970 en France (Annexe 3) opèrent aussi en amont afin d'aider à l'expérimentation artistique.

Si l'impulsion ne provient pas des instances politiques, elle peut éclore de jeunes artistes qui créent des résidences artistiques, comme le 59 Rivoli à Paris ou L'Amour à Bagnolet. Bien qu'il puisse y avoir des enjeux juridiques concernant l'appropriation des lieux, c'est la preuve du désir d'avoir pour les jeunes créateurs à disposition des laboratoires d'innovation et d'expérimentation. Cette envie va de pair avec l'émergence des « fab labs », véritables « hackerspaces » dédiés à

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l'expérimentation. Par ailleurs, le développement des lieux à financement hybride à Paris comme la Gaîté Lyrique, le 104, le Carreau du Temple sont autant de signaux d'une demande de la part du public de dynamiser et diversifier l'offre culturelle. Il s'agit aussi de mettre en valeur les territoires par l'art et l'utilisation de lieux en friche pour les réhabiliter en lieu de vie culturel. Des lieux tels la Recyclerie à Paris sont des usages et des réhabilitations d'espaces inédits. D'ailleurs, ce projet soutenu par les autorités publiques rappelle combien leur rôle est essentiel pour le soutien à la création. Il en va de l'intégration et l'acceptation de la figure de l'artiste comme protagoniste oeuvrant à la fédération de la communauté.

Néanmoins, l'artiste est confronté à de nombreux enjeux propres à la période actuelle, que cela soit l'essor du numérique, l'engagement civique ou le développement durable. L'hypothèse avancée serait alors que l'artiste est une forme d'entrepreneur social, par le biais de ses actions et sa mission dans la société.

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II L'artiste contemporain face aux nouveaux enjeux

A. Le rapport de l'artiste à la technologie à l'heure du numérique

Avec la révolution numérique, l'artiste doit faire avec son temps et la technologie est une nouvelle condition d'expérience esthétique. Tout autant que la révolution de l'imprimerie au XVème siècle ou que la découverte des frères Lumière à la fin du XIXème siècle pour la cinématographie, les changements induits par l'ère numérique soulèvent certes des critiques face aux comportements des utilisateurs mais peuvent être un formidable outil d'interactivité afin de faire des expositions de véritables expériences immersives. En effet, se dessinent de nouveaux rapports avec le public. L'outil internet devient à la fois outil de travail à travers l'art numérique mais aussi support de communication et même de vente avec les nouvelles plateformes de vente en ligne comme Etsy ou Artsper. Au-delà de l'outil internet, les possibilités technologiques comme la projection mapping, les imprimantes 3D ou la réalité augmentée sont autant d'outils pour permettre aux artistes de mieux modéliser leurs visions et ainsi les partager. L'artiste peut développer une technique via des outils technologiques ou des nouveaux langages comme le code html. La révolution numérique voit l'émergence d'un art qui lui est consacré : l'art numérique. Des artistes comme Phillipe Boisnard ou Maurice Benayou font de la réalité virtuelle des nouveaux champs de créativité et d'interactivité.

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Par ailleurs, la révolution numérique facilite directement la création grâce aux outils technologiques : des logiciels de musique électronique, à la retouche photographique en passant par les logiciels d'animation ou d'architecture. Dès lors, c'est bien la volonté de créer qui est le moteur et non plus la technique qui est grandement facilité par l'allié technologique. En tant que décloisonnement des barrières de technicité, d'accès et de savoir, la révolution numérique offre un terrain infini d'explorations pour l'artiste. Le challenge reste encore de trouver une meilleure appropriation sociale des technologies, pour pouvoir décupler la force du message ou de l'expérience qu'il a à partager.

Dans les thématiques abordées par la création contemporaine, miroir de la société, la dégradation de l'environnement ou le manque de réactivité d'une majorité de citoyens entre également dans la réflexion de l'artiste. L'artiste par son oeuvre amène aussi des réflexions sur d'autres sujets de société afin d'encourager des initiatives citoyennes.

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B. La création artistique face à l'engagement civique

De nombreux artistes sont engagés pour diverses causes sociétales : du développement durable aux droits civiques en passant par l'égalité des sexes. L'émergence d'une consommation citoyenne pousse aussi l'artiste à faire appel à des outils comme le boycott ou le piratage (20). Il peut ainsi inspirer le spectateur et lui donner envie d'agir. Les artistes sont aussi responsables vis-à-vis des matériaux qu'ils utilisent et d'éventuels partenaires ou mécènes avec lesquels ils s'associent. Des oeuvres artistiques peuvent encourager les initiatives personnelles et les responsabilités individuelles en se réapropriant l'espace public, laissé au jeu politique et aux entreprises privés. De plus, certaines initiatives peuvent provenir des citoyens eux-mêmes qui portent des projets culturels afin de ne plus être de simples « spectateurs » comme le font les Amacca ( Associations pour le Maintien des Alternatives en matière de Culture et de Création Artistique).

C'est bien l'usage qu'on en fait qui forme l'oeuvre d'art et qui en donne sa valeur. Cette usage des formes d'art tend à devenir de plus en plus organique et collaboratif et moins contemplatif. Un des défis de l'art contemporain et de la création artistique sous toutes ces formes est de briser cette inaccessibilité afin d'encourager le public à multiplier les expériences culturelles. Certains artistes, comme Thomas Hirschorn, loin de vouloir perpétuer une vision élitiste de l'art, tente à tout prix d'inclure les visiteurs dans leur oeuvre comme ce fût le cas lors de l'exposition Flamme Eternelle au Palais de Tokyo en 2014 (cf photographie

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illustrant le mémoire). Il souhaite alors faire en sorte que les visiteurs soient acteurs de l'oeuvre au sein du musée et on pourrait s'interroger si ce n'est pas également une sollicitation afin qu'on soit acteurs de nos propres vies.

Il y a là un engagement manifeste de sa part à vouloir améliorer la société. «L'artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s'arracher.» (21). Ces différents engagements de l'artiste opèrent sur le squelette social et le rapproche de la figure de l'entrepreneur social.

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C. L'artiste comme entrepreneur social

Bien souvent l'artiste a été considéré et s'est même positionné en poète maudit, exclu et incompris de la société. Pourtant l'art est loin d'être un monologue. Il parle à tous et peut avoir un rôle éducatif, au service de l'intérêt général. En ce sens, comme l'entrepreneur social, l'artiste a une mission de service social dans le sens qu'il apporte à la cohésion de la société. Par la transversalité de l'art, ce qui est tout particulièrement vrai en musique, l'oeuvre transcende le sensible et permet au spectateur de vivre une certaine catharsis oeuvrant au bien-être commun. La figure de l'artiste est aussi comparable à celle de l'entrepreneur au sens où tous deux oeuvrent dans l'incertitude et partagent cette même envie de créer, d'apporter du changement à la société. Depuis les années 90, les artistes proposent de plus en plus des moments de socialité, comme les espaces de convivialité proposés par Rirkrit Tiravanija en 1994 avec Surfaces de réparation. L'artiste entreprend dans le réel qu'il utilise comme répertoire de formes. Il puise son oeuvre dans les failles de la société. Jeff Koons et son oeuvre kitsh reflète bien le consumérisme américain qui apparaît dans une certaine démesure. En quelque sorte, l'oeuvre est le miroir de la société et l'artiste ne propose pas nécessairement de solutions directes comme l'entrepreneur mais soulève néanmoins des réflexions essentielles. L'oeuvre de l'artiste s'inscrit bien dans un ensemble significatif, et dans son aller-retour entre lui et les autres, l'artiste peut être à la fois solitaire et solidaire (22). Il s'agit de retisser du lien social, là où des espaces de contrôle ne proposent ce lien qu'autour de produits.

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Par conséquent, la responsabilité sociale de l'artiste serait également de sortir de ces rapports de consommation. Le peut-il vraiment ? La mécanisation générale des fonctions sociales réduit progressivement l'espace relationnel. En témoigne l'appauvrissement des rapports des voisinage et l'isolement des individus. Or, les signes génèrent de l'empathie et créent du lien social. C'est une des vertus de l'art que son pouvoir de connectivité. Des connexions s'opèrent et donnent un sens à l'histoire personnelle de l'observateur mais aussi à l'histoire commune de la société. Tout comme l'entrepreneur social, l'artiste redonne du sens à un monde qui en a besoin. Les deux ont ce même goût pour l'autonomie et oeuvre dans l'incertitude. Ils ont comme dénominateur commun de parier sur l'avenir.

Tous ces enjeux du début du XXIème siècle ont donc progressivement amené l'activité artistique a se décloisonner et à favoriser la pluridisciplinarité. Cette manière plus collaborative et collective d'aborder la pratique artistique, si elle est correctement accompagnée par les institutions culturelles et les entreprises, permet de toucher un public plus large et de diversifier l'offre culturelle en France.

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III. L'interdisciplinarité, la diffusion de l'offre culturelle et l'accès au public

A. Le dialogue interdisciplinaire et les domaines connexes d'application : renouvellement et enrichissement du sens

Le regroupement d'artistes en mouvements ou en associations n'est pas l'apanage de l'art contemporain. Déjà en 1391, la corporation de Saint-Luc regroupe ensemble « peintres et imagiers » (23). Les associations d'artistes sont l'opportunité de confronter des points de vue, de partager des savoirs-faire et de lancer des écoles ou des mouvements comme le dadaïsme ou le surréalisme. En revanche, la révolution numérique permet de favoriser le dialogue interdisciplinaire en melânt plus facilement par exemple l'art de la vidéo avec celui de la musique. Ces disciplines peuvent même être en dehors du dialogue « cross-art» et concerner la science.

La technologie ouvre des zones d'hybridation entre art et science. Ainsi, l'IRCAM à Paris propose des projets qui associent musique et science de pointe. C'est également le cas de l'Atelier Arts Sciences qui héberge des résidences et proposent des workshops créatifs qui favorisent les collaborations dans des domaines paramédicaux ou spatiaux. Des techniciens aux savoirs-faire multiples sont amenés à collaborer entre eux afin de proposer des oeuvres à la croisée des disciplines. Du dialogue entre art et science peut émerger de nouvelles formes de créativité et de nouvelles manières complémentaires de percevoir le monde (24).

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On peut également concevoir la pluridisciplinarité comme une approche plus large qui peut aussi s'appliquer à la cuisine, au troc de vêtements ou à des pratiques plus corporelles comme le yoga. Ces combinaisons inédites offrent une multiplicité d'expériences. Dans ce cadre, des lieux comme le 104 avec à la fois une boutique Emmaüs, une librairie et un marché bio mais aussi des cours aussi variés que la pratique du hip hop ou celle du yoga sont dans une optique de foisonnement créatif et expressif. Cela ne peut qu'être bénéfique à la vie de quartier, en l'occurence le 19ème arrondissement à Paris.

C'est alors aux lieux et aux accompagnateurs culturels d'offrir la possibilité d'assister à ces performances pluridisciplinaires et aussi à proposer une large programmation. L'innovation est autant dans les mains des artistes que dans les mains des résidences ou des lieux de diffusion culturelle comme les musées ou les galeries.

B. Les nouvelles formes d'accompagnement culturel et les lieux innovants de création en France

Désormais, la conception aristocratique de la disposition d'oeuvres d'art est mise à mal par la volonté de rencontre entre l'oeuvre et son observateur afin d'élaborer du sens commun. Il existe des espaces de cohabitation comme le Palais de Tokyo à Paris qui offrent des expositions qui rompent avec les formes académiques. Si l'on revient sur l'exposition Flamme Eternelle de Thomas Hirschhorn, elle est sans doute l'une des expositions, si on peut encore qualifier cet espace social d'« exposition », les plus révolutionnaires de ces dernières années. Parmi un amas de pneus et de polystyrène, le visiteur construit lui-même l'oeuvre en ayant la possibilité de travailler sur les matériaux, de lire au micro des ouvrages, d'imprimer depuis des ordinateurs mis à disposition afin de coller des affiches qui s'accumulent sur les murs au fil des visiteurs. Il y a aussi des canapés et un bar qui font du lieu une expérience plus proche de la résidence artistique ou du squat que d'un musée Thomas Hirschorn oeuvre à la désinstitutionalisation du statut muséal. Rompre avec les formes académiques c'est déjà innover. Il y a en effet de nombreux critiques qui dénoncent la mise en forme de la culture cantonnée dans sa forme muséale alors que l'expérience artistique ne se limite pas à ce champ (25).

C'est alors aux institutions culturelles d'offrir la possibilité aux artistes contemporains de multiplier les expériences et de faire des expositions des

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laboratoires d'interactivité sociale. C'est le cas y compris dans des institutions de premier plan comme au Centre Pompidou qui a par exemple laissé Pierre Huyghe en 2013 faire de son exposition un lieu surréaliste où l'on pouvait à la fois voir une patineuse danser sur une patinoire installée pour l'occasion ou un chien à la patte rose se promener dans l'exposition. Ce type d'interactions enrichissent la réflexion sur les formes que peuvent prendre l'art et assouplissent une certaine rigidité et fixité des lieux culturels à l'époque où l'on observe une multiplicité des flux générés par la révolution numérique.

Dans cette même logique, à l'instar de l'initiative de l'association californienne Freespace qui s'est installée à Paris pendant l'été 2014, des acteurs culturels veulent promouvoir une forme de transmission des savoirs et développer la fibre artistique de chacun. Ouvrir des lieux de création libre où chacun peut s'exprimer, créer et s'approprier le lieu, c'est une manière d'élargir le public d'élargir la notion de ce qu'est être artiste. C'est en diversifiant les formes de dialogue avec le public qu'on apporte du lien social et les répercussions positives en terme économique qui en découlent.

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C. L'élargissement et la diversification de l'accès au public

Selon le degré de participation de l'expérimentateur, le dialogue sera plus ou moins riche. La valeur de l'oeuvre d'art peut être mesurée à la capacité de susciter ce dialogue intérieur. Il y aurait donc bien une responsabilité de l'expérimentateur. A une époque où le repli sur soi, la passivité et la désolidarisation sont devenus des plaies du « vivre-ensemble », l'artiste pousse à la réaction et à la participation. L'art devient alors un moyen de briser l'apathie des acteurs de notre société et l'accès au plus grand nombre est une manière de lutter contre l'inégale répartition du capital culturel (26). Les missions d'accès au public sont d'autant plus importantes qu'elles participent à l'éducation. Garantir un accès pour tous à la culture, c'est à la fois la responsabilité sociale des médiateurs culturels mais aussi la possibilité de créer de la richesse avec le développement du secteur culturel. Le souci est de savoir quelle forme de culture diffuser ? Peut-on concevoir l'entertainment de la même façon que l'art ? L'arbitrage économique tend à valoriser le développement de cinémas multiplexes à la programmation de blockbusters mais c'est bien souvent en considérant seulement l'impact à court-terme. Afin de mettre en valeur les territoires investis, c'est à des institutions comme Le Louvre en s'installant au Lens ou au Centre Pompidou avec le Centre Pompidou Mobile, musée itinérant, qui s'est déroulé en 2012 et 2013 et a débuté à Chaumont-sur-Marne (ville de 30 000 habitants) d'élargir leur public et de véritablement être dans une mission sociale de garantie d'accès à la culture. On assiste aussi à une nouvelle forme de réappropriation d'anciens sites industriels,

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véritable pied-de-nez à l'Histoire. Comme portés par des cycles apolliniens et dionysiaques de création et destruction, émergent au coeur d'anciens lieux d'exploitation, d'aliénation et de déshumanisation des lieux de création artistique. Des entreprises comme la SNCF font aussi des appels à projets afin que des artistes utilisent d'anciens lieux en friches (27). Plus encore que l'artiste, lorsqu'une institution, une entreprise, ou un mécène, soutient une action artistique, qu'elle soit locale, nationale ou internationale, c'est à elle de lui donner une dimension de responsabilité sociale.

En permettant l'accès au public à l'art, cela a un impact positif sur l'économie en terme d'emplois, de création de richesse et de dynamisme territorial. La création artistique est une source diffuse d'innovation au sein des industries créatives et de l'innovation en général. Le design semble également être une application d'un art fonctionnel, et un compromis entre recherche esthétique et usage au profit du plus grand nombre.

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IV Le processus créatif au service de la croissance économique

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore