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Aide au développement peut-elle aider l'Afrique noire à  se lancer au développement durable?

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par Jean-Paul Jean-Paul NABONA BISIMWA
Université Libre dà¢â‚¬â„¢Uvira et des Grands Lacs, ULUGL en sigle - Master complementaire  2012
  

Disponible en mode multipage

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    République Démocratique du Congo
    ENSEIGNEMENT SUPERIEUR, UNIVERSITAIRE ET RECHERCHE SCIENTIFIQUE
    UNIVERSITE LIBRE D'UVIRA ET DES GRANDS LACS, ULUGL
    ulugluvira@gmail.com
    ULUGL est régit par l'arrêté ministériel N°133/MINESURS/CAB.MIN/BCL/CD/SNK 2013 du 23/10/2013

    EN PARTENARIAT UNIVERSITAIRE AVEC

    L'AIDE AU DEVELOPPEMENT PEUT-ELLE CONTRIBUER AU DEVELOPPEMENT DURABLE D'UN PAYS ?

    « CAS DE L'AFRIQUE NOIRE»

    Par NABONA BISIMWA Jean-Paul

    Mémoire du 3ème cycle présentée en vue de l'obtention de titre de Master en Science Sociale et Développement Communautaire,

    Spécialité : Gestion et Administration des Projets

    Directeur : RAMAZANI BISHWENDE Augustin Professeur Docteur2 à l'Université d'Ottawa (Canada)

    Spécialités :

    - Sciences sociales (S.P.A)

    - Théologie et développement

    Encadreur : Blaise MUKAMBA NGANDU

    Professeur Docteur à l'Université Francophone des Grands Lacs

    Spécialités :

    - Philosophie politique et stratégies de développement

    - Marketing et management de développement

    - théologie

    (c) ANNEE UNIVERSITAIRE 2012

    IN MEMORIAM

    A la mémoire de mon défunt père, Réverant Pasteur BISIMWA-WA-KANGERE Benson, rappelé si vite auprès de l'Eternel Notre Dieu tout puissant à l'age 57 ans; Pour son amour sans égal qu'il n'a cessé de porter à sa progéniture jusqu'au jour de son passage entre Ciel et terre des hommes. Son amour l'a bien orienté à consentir d'énormes sacrifices pour la morale et l'éducation de ses enfants.

    NABONA BISIMWA Jean-Paul

    DEDICACE

    A ma mère, MAGDELENNE , par sa grande probité morale et spirituelle son sens élevé de responsabilité ayant fait de nous les hommes utiles à nous, à notre famelle et à toute la nation congolaise;

    A mes frères et soeurs; BIKA SELEMANI, CHANCE BISIMWA, SAMMY BISIMWA, LINDA BISIMWI Beneditte, UZIA BISIMWA Rachel, la Joie ZAWADI ;

    A ma chère épouse, TAMULIZA BERTHA Bernadette,

    A mes enfants; BISIMWA Prodige et NARCISSE NABONA

    NABONA BISIMWA Jean--Paul

    REMERCIEMENTS

    Nos remerciements s'adressent d'abord à Dieu tout puissant créateur des cieux et de la terre et père de notre seigneur et sauveur Jésus christ, c'est par sa grâce que ce travail est arrivé à terme.

    Nos remerciement s'adressent en second lieu aux autorités académiques du Partenariat interuniversitaire (Université Francophone des Grands Lacs et Université Libre d'Uvira et du Grands Lacs) qui, par leur sacrifice, l'institution a eu des renommés nationales et internationales. Que Dieu vous comblent de ses bénédictions.

    Nous remercions ensuite le college des directeurs de ce travail, Prof. MUKAMBA NGANDU Blaise et Prof. RAMAZANI BISHWENDE Augustin, qui se sont donné corps et âme pour nous orienter à bien faire cette oeuvre scientifiques. Qu'ils reçoivent avec gratitude l'expression cordiale, chaleureuse et sincère de notre reconnaissance.

    A vous tous, personne de bonne olonté que nous avons associées aussi et tous nos professeurs auprès de qui nous avons demandés conseils et expertises pour ce travail.

    Nous adressons enfin nos remerciement à :

    Nos Collègues membres du conseil de gestion de l'ULUGL : MATABISHI RASHIDI, MASUMBUKO KIBILO, RUNIA ERENI, BAFUNYEMBAKA LWABOSHI Jacques...,

    A vous tous que nous avons tacitement oubliés de citer nommément dans ce travail,

    Trouvez ici nos gratitudes les plus distingué

    Merci.

    NABONA BISIMWA Jean--Paul

    RESUME DU MEMOIRE

    L'aide vise à promouvoir la croissance économique dans les pays en développement pour éradiquer la pauvreté. L'Afrique sub-saharienne en est la principale région bénéficiaire. Elle est également la région où la pauvreté augmente le plus. Pour élucider ce paradoxe, une étude empirique de l'efficacité de l'aide dans la région a été menée dans cette thèse. Elle conclut que l'aide est inefficace. Les raisons souvent évoquées pour expliquer l'inefficacité de l'aide au développement reposent sur les trappes à pauvreté et l'insuffisance de l'aide. Nous montrons ici qu'il faut aller au-delà de ces explications traditionnelles; en considérant notamment les effets incitatifs de l'aide.

    A travers un modèle analytique des effets d'incitation, nous montrons que l'aide extérieure peut inciter le receveur à augmenter sa consommation au détriment de l'investissement. Elle peut en outre désinciter le receveur à améliorer la qualité de sa gouvernance. Nos analyses empiriques des effets désincitatifs de l'aide vis-à-vis de la consommation, l'investissement et de la qualité de la gouvernance soutiennent l'existence en Afrique sub-saharienne des effets pervers suggérés.

    l'aide encouragerait les mauvais investissements, une augmentation de la consommation qui se ferait au profit d'une classe de privilégiés et plus généralement, une gouvernance de mauvaise qualité. Cette situation est liée à la politique des donateurs qui conduit à des problèmes d'anti-sélection et d'aléa de moralité, constituant une explication fondamentale de l'échec de l'aide en Afrique. Nos conclusions plaident pour une aide multilatérale soumise à des conditions, pour créer les «bonnes incitations» chez le receveur

    ABSTRACT

    Development aid is aimed at promoting economic growth in developing countries for poverty eradication. Sub-Saharan Africa is the main aid recipient in the world. It is also the region where poverty increases the fastest. To clarify this paradox, we undertook an empirical analysis of aid effectiveness in the region. The results of this study suggest that aid is ineffective in promoting economic growth in the region. How can aid failure in Africa be explained? The common explanation of aid ineffectiveness lies in poverty traps and insufficient aid.

    We have demonstrated in this thesis that we must go beyond this traditional explanation of aid failure, by considering especially the incentive effects aid can generate. We have developed an analytical framework to study aid incentive effects on the recipient's behavior. Through this framework, we have demonstrated that aid can incite the recipient to increase his consumption and to reduce the domestic investment. Moreover, foreign aid incentive effects might worsen the governance quality in the recipient's country. Our empirical analysis of aid adverse effects on consumption, investment and governance in Sub-Saharan Africa support our theoretical suggestions. Foreign aid encourages poor investments, an increase of consumption in favor of small «ruling groups» and generally, poor governance.

    This situation is tied to the donors' aid policies, which lead to adverse selection and moral hazard problems. These issues are fundamental in the explanation of aid failure in Sub-Saharan Africa. The thesis' conclusion calls for a more multilateral aid which should have conditions, to generate «good incentives» in the recipient's country.

    INTRODUCTION GENERALE

    « A moins que les philosophes ne deviennent Rois dans les Etats ou que ceux qu'on appelle à présent Rois et Rouverains ne deviennent de vrais et sérieux Philosophes, et qu'on ne voit réunies dans le même sujet la puissance publique et la philosophie, à moins que d'autre part une loi rigoureuse n'écarte des affaires la foule de ceux que leurs talents portent vers l'une ou l'autre exclusivement, il n'y aura pas de relâche aux maux qui désolent les Etats, ni Même je crois, le genre humain ».

    Platon, La République

    PROLEMATIQUE

    Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la situation politico-économique mondiale a

    connu de profondes mutations. On assistait alors à un déclin progressif des empires coloniaux, en même temps que la bipolarisation de l'atmosphère politique marquée par la puissance hégémonique des Etats-Unis. Les pays industrialisés entrèrent dans une phase de reconstruction d'après guerre avec des taux de croissance économique record. Parallèlement à cet essor, les nouveaux pays indépendants ont du mal à s'insérer dans l'économie mondiale. La plupart de ces nouvelles économies stagnaient. D'autres encore régressaient. Elles enregistraient des taux de croissance négatifs. Plusieurs auteurs ont alors essayé d'expliquer leurs difficultés de croissance. Evsey Domar (1946), à partir de l'exemple des écarts de croissance économique entre les différents Etats américains, fait remarquer dans son article intitulé « Capital Expansion, Rate of Growth, and Employment » que la capacité de production d'une économie est proportionnelle a son stock de capital. De là, on tire une conclusion importante : si certaines économies connaissent des difficultés de croissance, c'est parce qu'elles sont pauvres et qu'elles ont un stock de capital faible. En plus, les économies en difficultés ont un niveau d'investissement faible. Dans ces conditions, elles ne peuvent pas croître au même rythme que les autres. Lorsque l'investissement réalisé est trop faible, l'économie va régresser. L'article de Domar a connu un écho favorable dans les milieux économiques et politiques. Il est aujourd'hui considéré comme l'élément instigateur de la politique d'aide internationale, en faveur des pays pauvres. En effet, trois ans après cette publication, le 20 janvier 1949, Harry S. Truman, alors président des Etats Unis, annonçait au quatrième point de son discours-programme: "Nous devons embarquer dans un ardent nouveau programme pour rendre les avantages de nos avancées scientifiques et progrès industriels disponibles pour l'amélioration et la croissance des régions sous-développées. Plus de la moitié de la population du monde vit dans des conditions proches de la misère. Leur alimentation n'est pas bonne. Ils sont victimes de maladies. Leur vie économique est primitive et stagnante. Leur pauvreté est un handicap et une menace à la fois pour eux-mêmes et pour les régions prospères. Pour la première fois dans l'histoire, l'humanité possède le savoir et l'habileté de soulager la souffrance de ce peuple"1

    Ce fut là le premier appel dans l'histoire de l'humanité à l'assistance internationale en temps de paix. Cet appel historique, va donner naissance à une politique, jusque là inconnue : l'aide internationale au développement. Les Etats Unis ont alors pris le devant de la politique d'aide aux pays en difficultés. Entre 1950 et 1955, environ 2 milliards de dollars US ont été octroyés aux

    1 Traduction de l'auteur du mémoire

    pays pauvres sous la forme d'aide internationale au développement. L'objectif de l'aide publique au développement est donc clairement défini:

    La lutte contre la pauvreté dans le monde. C'est du moins ce qui est spécifié dans la déclaration du président Truman. Et cela doit passer par la croissance économique des régions sous développées (selon cette même déclaration). Si l'aide finance l'investissement dans les pays pauvres, elle accroît leur stock de capital. Puisque la capacité de production est proportionnelle au stock de capital (Evsey Domar, 1946), l'aide va promouvoir la croissance économique dans les pays en difficultés; et par là, le développement mondial2.

    La capacité de l'aide à promouvoir le développement ne semblant présenter aucun doute, une question fondamentale s'est posée. Celle de savoir le montant d'aide nécessaire pour induire une croissance régulière dans les pays pauvres afin de lutter efficacement contre la pauvreté. C'est alors qu'en 1951, le groupe des experts des Nations Unis s'est penché sur l'évaluation des besoins d'aide à l'échelle mondiale. Il montre qu'une augmentation du revenu national par tête de 2% en moyenne ne peut être obtenue dans les pays pauvres sans un apport en aide internationale de plus de trois milliards de dollars US par an. Walt Rostow (1960) à son tour, utilisa le modèle de croissance Harrod Domar pour évaluer le montant d'aide nécessaire pour le décollage des économies en difficultés. Il montre qu'une augmentation de 4 milliards de dollars US en aide extérieure serait requise pour induire en Asie, Afrique et Amérique latine une croissance régulière. Pour certains auteurs comme Rosenstein Rodan (1943, 1961) et Regnar Nurkse (1953), le problème des pays pauvres est beaucoup plus profond. Ils seraient enfermés dans un cercle vicieux caractéristique du sous développement. Une faible augmentation de l'investissement ne saurait leur éviter les difficultés de croissance économique. Il faut que l'aide soit suffisamment élevée pour leur permettre de briser le cercle vicieux de la pauvreté. C'est seulement à cette condition qu'on pourra éliminer la pauvreté dans le monde. En effet, selon Rosenstein Rodan (1943, 1961) il existe un seuil donné de capital par tête en deçà duquel un pays est condamné à rester pauvre. C'est le seuil du piège à sous développement. Pour qu'ils puissent croître et se développer, l'aide international doit leur permettre de booster leur stock de capital par tête au delà de ce seuil (seuil de trappe à pauvreté). C'est ainsi que Rosenstein Rodan (1961) propose qu'on procède à un « big push»3 pour l'ensemble des pays pauvres. C'est à dire qu'on leur apporte une aide rapide et massive qui selon l'auteur, est le seul moyen pour éliminer la pauvreté dans le monde. Ces appels en faveur de l'augmentation de l'aide ont eu un écho favorable dans le monde entier. Le succès éclatant du plan Marshall en Europe et l'essor des économies d'Europe occidentale qui a suivi ce plan ont permis de libérer des ressources supplémentaires pour le financement de la politique d'aide étrangère. Les gestes de générosité en faveur des économies en difficultés furent sans précédent. Tous les « nouveaux riches » se sont vite engagés dans la politique d'aide au développement en y consacrant une part de leur revenu. Les institutions de Brettons Woods, au début constituées pour la reconstruction du monde d'après la grande guerre de 1939-1945, vont vite se tourner elles aussi vers la promotion du développement économique et la lutte contre la pauvreté dans les pays du Tiers-monde. L'aide devient ainsi le plus vaste programme de l'humanité. Que ce soit de la Banque Mondiale (BIRD), du Fond Monétaire International (FMI), des pays industrialisés d'Europe, d'Amérique du Nord, du Japon... les pays sous développés bénéficient aujourd'hui d'apports variés et énormes en aide étrangère. Même si l'objectif noble de réduction de la pauvreté semble être la principale motivation de l'aide4, la bipolarisation du monde qui a suivi la deuxième guerre mondiale va vite lui conférer un caractère politique. L'aide internationale devient vite un élément indissociable de la politique étrangère.

    2 Dudley Seers (1969) définit le développement comme l'élimination de la pauvreté.

    3 Le terme « big push » est anglais. Il est utilisé pour illustrer un « grand saut » que fait l'économie Grâce à l'aide internationale (qui la pousse pour le saut), pour sortir de la trappe à pauvreté.

    4 www.nations-- unies.org/objectifs du millénaire pour le développement

    - L'endiguement de l'expansion du communisme n'est-il d'ailleurs pas une motivation de l'aide américaine dès le départ? Même si depuis longtemps l'atmosphère politico économique mondiale a connu de profondes mutations, l'aide en tant qu'élément de politique étrangère a très peu varié. Elle est aujourd'hui encore au carrefour de la manifestation de l'égoïsme et de la générosité des plus nantis. C'est ainsi que très tôt, des voix se sont levées contre la politique d'aide étrangère. En effet, certains auteurs comme Ivan Illich, François Partant, Serge Latouche, François-Xavier, Vershave... et aujourd'hui des associations comme ATAC et les Tiers-mondistes qualifient l'aide internationale de «désastre». Ils voient en elle, un instrument au service des grandes puissances, une nouvelle forme d'exploitation des pays les plus pauvres, au profit des pays les plus développés. D'autres encore comme Peter Bauer, Milton Friedman, Jacob Viner, Gottfried Haberler, Griffin, Berg,... la considèrent comme une politique qui crée des «inefficiences» dans l'économie mondiale. Ces opinions contradictoires amènent à s'interroger sur les bienfaits de l'aide étrangère.

    Depuis plus de 50 ans, l'aide internationale sous forme de prêts et/ou de dons a financé beaucoup de projets et programmes dans les pays du Tiers-monde. Que ce soit dans le domaine éducatif, médico-social, économique, des infrastructures, de l'équipement et même culturel, l'aide aux pays pauvres a été énorme. Les pays d'Europe de l'Est, d'Asie, d'Amérique latine, ceux issus de la dislocation de l'ex URSS, et d'Afrique en ont tous bénéficié. L'aide au développement devrait rendre dynamique l'activité économique dans les pays récipiendaires, entraîner des progrès sociaux, soulager la souffrance des populations pauvres, soutenir le développement de façon durable. Certains pays, tels Hong Kong, Corée du Sud, Taiwan, Singapour, ... souvent désignés sous le nom de « dragons d'Asie » ont su faire leur décollage économique, tant par leur industrialisation que par l'amélioration de leur revenu par tête, passant de quelques centaines de dollars dans les années 1950 à plus de vingt-mille dollars de nos jours. D'autres comme le Brésil et les pays d'Europe de l'Est amorcent de profonds changements sur plusieurs plans : économique, social... D'autres encore comme la Chine et l'Inde enregistrent aujourd'hui des taux de croissance économique record, entraînant une baisse drastique du nombre de pauvres dans ces pays.

    Même si le miracle asiatique de nos jours, notamment le développement de la Chine, l'Inde et l'Indonésie ne peut être assimilé exclusivement aux effets bénéfiques de l'aide international, le développement du Singapour, de Taiwan et de la Corée du Sud est souvent cité comme réussite de l'aide internationale. Le décollage de ces dragons d'Asie est considéré comme des cas écoles en matière de la promotion du développement à partir de l'aide étrangère.

    Considérons l'exemple de la Corée du Sud. Le pays s'est largement développé en l'espace de trente ans, grâce à des financements internationaux. Entre 1945 et 1961, la Corée du Sud n'a pas reçu d'investissements privés étrangers. Elle a bénéficié de 3,1 milliards de dollars US d'aide des Etats-Unis sous forme de dons5. Cette somme représente tout l'apport extérieur reçu. Elle est tout à fait considérable: c'est plus du double du montant d'aide que le trio formé par la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas a reçu pendant le plan Marshall; un tiers de plus que le montant octroyé à la France, 10% de plus que la Grande Bretagne. La Corée du Sud a développé avec l'aide américaine reçue, son infrastructure routière, les équipements de santé et d'éducation qui faisaient cruellement défaut. A partir de 1962, la Corée a commencé par emprunter auprès des institutions financières internationales et à recevoir d'investissements étrangers. Le pays contracte son premier prêt auprès de la Banque mondiale en 1962 et signe un premier accord avec le FMI en 1965. Sur la période 1962-1966, les dons américains ne représentent plus que 70% du total des capitaux entrés dans le pays. Les emprunts représentent 28% sur la

    5 Mahn-Je Kim, «The Republic of Korea's successful Economic Development and the World Bank» in Kapur Devesh, Lewis John P. and Webb Richard (1997), «The World Bank, Its First Half Century», Volume 2: Perspectives, Brookings Institution Press, Washington, D.C.,

    p. 25. Voir Regalement US Overseas Loans and Grants (Greenbook). On peut aussi consulter le site web suivant :
    http://qesdb.cdie.org/gbk/index.htlm

    même période et les investissements étrangers 2%. Les Etats-Unis poussent la Corée à nouer des relations économiques avec le Japon, avec qui l'Etat coréen passe un accord de coopération sur dix ans (1965-1975). Le Japon lui octroie par cet accord une aide économique de 500 millions de dollars dont 300 millions sous forme de dons.

    Entre 1960 et 1990, l'aide a permis de développer l'agriculture coréenne notamment par l'amélioration des variétés végétales, la maîtrise de l'eau qui a favorisé la pratique de l'irrigation, l'utilisation intensive de l'engrais, l'organisation de formations et l'encadrement des agriculteurs. Ces mutations se sont opérées dans le cadre de programmes publics financés grâce à l'aide étrangère, et ont permis à la production du secteur agricole de connaître une progression annuelle de l'ordre de 4%. L'augmentation de la production agricole a entraîné une augmentation des recettes de l'Etat grâce aux impôts et taxes (principalement en provenance des paysans). Deux sources principales vont alors alimenter les caisses de l'Etat coréen : les recettes d'impôt et l'aide extérieure fournie principalement par les Etats-Unis.

    Dans les années soixante et jusqu'au milieu des années soixante-dix, l'Etat coréen a encouragé les industries lourdes comme la construction navale et la pétrochimie. Plus récemment, il a stimulé l'industrie des machines-outils, l'électronique et la biotechnologie. L'Etat a largement financé les organismes de recherche. Il a aussi créé des sociétés industrielles en s'associant avec des capitaux privés locaux et des multinationaux. L'Etat coréen a favorisé le développement des sociétés d'ingénierie locales en demandant aux industriels dès 1969, de renoncer aux importations de matériel dans le cadre de contrats « clé en main », en créant une banque destinée à financer la vente de services d'ingénierie coréens à l'étranger. La Corée a ainsi développé ses exportations. Mais il faut ajouter les commandes du corps expéditionnaire états-uniens au Vietnam des débuts des années soixante-dix. Celles-ci représentaient à elles seules 20% des exportations sud-coréennes. Ce n'est qu'à partir des années 1980 que les investissements étrangers sont devenus importants en Corée, alors que le pays a déjà réussi son industrialisation et son décollage économique.

    En somme, la réalisation du progrès économique et des externalités positives sans lesquelles aucune entreprise ne peut prospérer n'a été possible en Corée du Sud que grâce à une aide extérieure massive sous forme de don essentiellement et provenant principalement des Etats-Unis. L'aide internationale a donc aidé le développement de la Corée du Sud. L'exemple de la Corée du Sud illustre la situation générale concernant la réussite de l'aide en Asie, notamment pour les « dragons » et « bébés dragons ».

    Paradoxalement, les pays d'Afrique sub-saharienne en général, qui bénéficient aussi d'aide internationale depuis leur indépendance, n'ont pratiquement pas évolué de leur situation initiale après un demi-siècle d'aide au développement. Beaucoup de pays ont même régressé. A titre d'exemple, le Nigeria, grand pays producteur de pétrole a aujourd'hui un revenu par habitant inférieur à celui de 1960.

    A l'opposé des succès éclatants de l'aide internationale en Asie, il y a des échecs cuisants et répétés dans plusieurs pays Africains en dessous du Sahara comme la Zambie, l'ex Zaïre (actuel RDC), la République Centrafricaine, le Congo, la Mauritanie, le Togo, la Guinée Bissau, ... Dans presque tous les pays africains en dessous du Sahara, le décollage économique espéré grâce au financement extérieur ne s'est pas opéré et l'aide internationale au développement n'a laissé derrière elle que des dettes colossales. En effet, la plupart des pays africains ploient aujourd'hui sous d'énormes dettes. A titre d'exemple, en 2000, la dette du Sénégal représentait environ 80% de son PIB (source: Banque Mondiale 2006).

    Dans les années 1980, une grave crise d'endettement a secoué presque tous les pays bénéficiaires d'aide au développement. Elle a conduit à la mise en place sous l'égide du FMI et de la Banque mondiale des programmes d'ajustement structurels (PAS), financés une fois encore par l'aide internationale. L'objectif visé par ses programmes est de rétablir pour tous les pays en développement, l'équilibre budgétaire ; considéré comme nécessaire pour le redressement

    économique et pour la relance de la croissance. Malheureusement, les années qui ont suivi la mise en place des PAS ont été les plus sombres ; surtout pour les économies africaines. Le décollage économique a une fois encore manqué le rendez-vous et on observe parallèlement à la mise en oeuvre des programmes d'ajustement structurels, une augmentation rapide de la pauvreté. En l'espace de 20 ans, entre 1981 et 2001, le nombre des personnes extrêmement pauvres (vivant avec moins de 1$ par jour) a presque doublé en Afrique sub-saharienne, passant de 164 à 314 millions ndividus. Les initiatives PPTE (Pays Pauvres Très Endettés) et PPTE-renforcée entreprises plus tard n'y ont rien changé. L'augmentation inquiétante de la pauvreté va entraîner à partir des années 1990, une réorientation de l'aide au développement qui doit désormais être centrée sur la fourniture de biens et services publics favorables aux pauvres. L'Afrique sub-saharienne où le problème de la pauvreté est plus épineux occupe une place importante dans tous ces programmes de développement financés par l'aide internationale. Et pourtant, les pays de la région font aujourd'hui encore, figures des plus pauvres de la planète et le nombre total de pauvres vivants en Afrique sub-saharienne ne cesse d'augmenter.

    Ainsi, malgré les nombreux efforts de développement en direction de l'Afrique sub-saharienne, la situation ne s'est guère améliorée. Au contraire, on y note une dégradation de la situation économique et sociale, amenant à l'extrême pauvreté. Plus de la moitié de la population totale de la région vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté extrême. La famine, la malnutrition, les maladies des mains salle... gagnent le terrain en Afrique sub-saharienne. Et pire encore, la plupart des pays de la région connaissent toujours des taux de croissance négatifs. Le taux de croissance moyen du revenu par tête entre 1975 et 2005 est de : -0.59% pour le Togo, - 1.1% pour la République Centrafricaine, -2.22% pour la Zambie; -1.7% pour l'Ethiopie entre 1973 et 1998 ; et -2.85% pour la République du Congo entre 1985 et 2000 pour ne citer que ceux-là. Les estimations sur l'Afrique révèlent que le nombre de pauvres augmente de plus de six millions chaque année. L'augmentation de la pauvreté parallèlement à la politique d'aide au développement ainsi que les problèmes liés à l'endettement des pays aidés vont dans les années 1990, conduire l'aide dans une crise de légitimité sans précédent. Un lourd débat sur l'aide, son efficacité, ses conditions et la dette s'est alors développé depuis ce temps. L'Afrique sub-saharienne où les estimations sont les plus pessimistes est placées au coeur de ce débat. Plusieurs études ont essayé de traiter tel ou tel aspect du problème. La question de la trappe à sous-développement dans laquelle se trouverait l'Afrique sub-saharienne est aujourd'hui bien documentée. Cependant, il y a un manque d'analyses approfondies sur l'efficacité de l'aide et les raisons de la trajectoire de développement actuelle de l'Afrique sub-saharienne malgré l'aide. La nécessité de combler un tel vide justifie la réalisation de cette Thèse de Master complémentaire.

    Plusieurs questions se posent alors, en matière d'aide au développement pour l'Afrique:

    1. L'aide au développement promeut-elle le développement en Afrique sub-saharienne?

    2. Pourquoi malgré les énormes capitaux d'aide internationale consacrés à l'Afrique sub-saharienne, la pauvreté n'y recule-t-elle pas?

    3. Le consensus d'après guerre, selon lequel les flux d'aides internationales devraient accroître l'investissement dans les pays pauvres où l'épargne est faible et favoriser la croissance économique est-il à ce point erroné?

    4. Pourquoi les pays Africains ont-ils échoué là où d'autres (comme par exemple la Corée du Sud, Taiwan, la Taillande, Indonésie, Brezile et autres...) ont réussi?

    5. En quoi réside l'inefficacité de l'aide au développement en Afrique sub-saharienne?

    HYPOTHESES

    -- L'aide au développement serait un atout pour le développement d'un pays dont son économie ne pas encore à la phase du décollage,

    -- L'afflux des capitaux sous forme d'aide au développement en Afrique sub-saharienne serait l'objet d'une certaine malversation de toute forme de la part des gouvernements en place et certaines personnalités au pouvoir,

    -- L'Afrique sub-saharienne serait encore inapte à concilier les différentes théories internationales de l'économie à la pratique quotidienne pour la survie d'un Etat.

    -- L'inefficacité résiderait dans la gestion et l'affectation de cette aide une pour juguler les vraies problèmes de développement

    OBJECTIFS DU THESE

    L'objectif poursuivi dans cette Mémoire du Master complémentaire est double:

    a. d'abord analyser les fondements de l'efficacité de l'aide au développement en centrant l'étude sur l'Afrique sub-saharienne où la situation est plus alarmiste;

    b. Identifier ensuite les raisons pour lesquelles la situation de l'Afrique se détériore malgré l'afflux de l'aide au développement, afin de formuler des recommandations de politiques économiques pour l'avenir.

    DEMARCHE METHODIQUE

    La méthodologie sera diversifié selon la partie 1 ou 2 de cette thèse, suivant le contexte des données que nous allons traités à chacune de partie, généralement, nous ferons recours à la méthodes historico--empiriques, pour remonter non seulement dans le temps et dégager les différentes théories émises par des chercheurs; méthode statistique, pour nous aidés à calculer des fréquences, et à les représenter sous des histogrammes et/ou tableaux; plusieurs autres techniques seront utilisés, comme le documentaire, pour scruter les théories en rapport avec notre sujet de la thèse, interview guider seront organisés avec les experts des différents domaines pour bien interpréter les données du terrain; le questionnaire n'a pas été oublié comme technique sur terrain.

    SUBDIVISION DU THESE

    Le travail est organisé en deux parties, comportant chacune trois chapitres:

    Dans la première partie, on présente les mécanismes de l'aide internationale au développement et on montre l'inefficacité de l'aide en Afrique sub-saharienne. Malgré le fait que l'Afrique soit une destination privilégiée de l'aide extérieure, les économies africaines ne semblent pas connaître véritablement la croissance.

    L'analyse empirique de l'effet de l'aide sur la croissance du revenu par habitant révèle que l'aide est totalement inefficace en Afrique Sub-saharienne. Comment peut-on alors expliquer cette situation?, Comment se fait-il que l'effet de l'aide soit indécelable vis-à-vis de l'objectif de croissance économique en Afrique?, En quoi réside la faiblesse de l'aide à promouvoir le développement en Afrique sub-saharienne.?

    La deuxième partie s'attèle sur L'analyse des raisons de l'inefficacité de l'aide.

    Tout d'abord, il faut bien convenir de la réalité des explications traditionnelles. L'existence de trappes à pauvreté est l'explication première affirmée par la littérature économique. Mais l'objectif de cette dissertation est de montrer qu'il faut aller bien au-delà de cette explication aujourd'hui

    traditionnelle. En examinant l'affectation de l'aide en Afrique sub-saharienne ainsi que les incitations qu'elle crée au niveau des gouvernements receveurs, on montre comment l'aide peut condamner un pays pauvre à le rester, tout en l'enfermant dans la dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Telle semble être la situation en Afrique sub-saharienne. Il en est ainsi parce que la gouvernance dans les pays de la région (Afrique sub-saharienne) n'est pas favorable aux pauvres. Aussi les pratiques et politiques des principaux donateurs en matière d'aide internationale créent-elles au niveau des pays receveurs, une mauvaise incitation à l'effort et conduisent à des inefficiences.

    AIDE ET SON INEFFICASSITE EN AFRIQUE NOIRE

    PREMIERE PARTIE

    « Le gouvernement de l'Inde peut-il agir pour que l'économie indienne puisse croître au même rythme que l'Indonésie ou l'Egypte ? Si oui, que doit-il faire au juste ? Sinon, que peut-il y avoir, dans la «nature de l'Inde» pour qu'il en soit ainsi ? Les conséquences que ce genre de questions entraînent pour le bien-être humain sont tout bonnement atterrantes: si l'on commence à y réfléchir, il devient difficile de penser à autre chose». Lucas (1988)

    S'il existe des populations en développement pour lesquelles on se doute que l'aide n'est pas efficace, c'est indubitablement celles de l'Afrique sub-saharienne. Déclarée sinistrée depuis la fin des années soixante-dix par les institutions internationales qui appelaient alors à une aide massive pour la région, l'Afrique sub-saharienne semble rester aujourd'hui encore, en marge du progrès économique et social mondial. Elle représente une part marginale dans les échanges commerciaux et financiers mondiaux, reste à l'écart du redéploiement industriel manufacturier mondial, des investissements dans la recherche et l'innovation technique, engluée dans l'endettement, enregistre les plus forts taux de mortalités, les plus faibles espérances de vie, les plus faibles niveaux de connaissance, ... L'Afrique sub-saharienne fait figure de région la plus pauvre de la planète à en croire les statistiques. Selon PNUD (2005), 32 des 35 pays à faible développement humain s'y trouvent; 34 PMA (Pays les Moins Avancés) sur 50 (Nations Unies 2005, Banque mondiale et Nations Unies 2006). et pourtant, l'Afrique sub-saharienne est sous perfusion (bénéficie d'aide internationale) depuis un demi-siècle. Malgré les énormes aides dont elle a bénéficié, la situation sur le plan économique et social ne présente aucun signe de progrès. Elle semble même se détériorer. On peut alors légitimement se demander si l'aide au développement aide vraiment les populations africaines en dessous du Sahara. L'objectif de cette première partie est de montrer à travers l'analyse de l'impact de l'aide au développement sur le bien-être des populations d'Afrique sub-saharienne, que l'aide internationale dont bénéficie la région depuis environ cinquante ans a été inefficace. Mais avant d'aborder l'analyse de l'efficacité de l'aide proprement dite, il nous faut expliciter ce que recouvre vraiment le concept de « aide au développement », comment elle se justifie et ce qu'elle est censée accomplir.

    Dans le chapitre 1, on présente le cadre institutionnel de l'aide au développement. On étudie les principales caractéristiques de l'aide, ses origines institutionnelles, les critères déterminants dans son attribution, ainsi que ses principaux récipiendaires. On montre à l'issue de ce chapitre que l'Afrique sub-saharienne est la principale région bénéficiaire de l'aide internationale. Dans le chapitre 2, on analyse les fondements théoriques et empiriques des bienfaits de l'aide internationale. L'existence de biens publics mondiaux comme l'environnement, la santé, la paix ... nécessite une action collective à l'échelle planétaire pour protéger de tels biens. En l'absence de « pouvoir public » pour protéger ces biens, l'humanité peut faire face au problème traditionnel lié aux biens publics : le problème du passager clandestin. L'aide internationale qui transite parles Nations Unies, chargées de protéger de tels biens est dans ce cas une politique souhaitée. Elle améliore le bien-être de tous (amélioration au sens de Pareto). Plusieurs auteurs considèrent en outre que, la protection des biens publics mondiaux comme la santé et la paix mondiale, ainsi que certains grands défis de nos jours comme la migration, le terrorisme, ... sont intrinsèquement liés aux inégalités et à la pauvreté. Il est donc nécessaire de corriger les inégalités dans les dotations en ressources entre les différentes économies. Ce qui exige une politique de redistribution. L'aide serait de ce point de vue, une politique de réallocation des ressources à l'échelle planétaire. Cependant les politiques rédistributives constituent une solution éphémère à l'épineux problème de pauvreté. Il est préférable d'aider les pauvres à s'auto suffire.

    Une solution durable à ce problème est de promouvoir la croissance économique dans les pays sous-développés. La théorie économique par la loi de la productivité marginale décroissante pour le capital et celle de la convergence entre les économies fait une prédiction importante : si les pays pauvres connaissent durablement la croissance économique, du fait qu'ils vont croître plus vite que les pays riches, il y aura un effet de rattrapage. A long terme, il n'y aura plus de disparité entre les économies. On montre alors qu'en finançant l'investissement dans les pays pauvres, l'aide internationale peut promouvoir la croissance économique et entraîner ainsi, la disparition de la pauvreté dans le monde. Malheureusement, la pauvreté ne semble pas reculer véritablement après plus d'un demi*siècle de politique de développement axée sur l'aide internationale. Elle aurait même augmenté en Afrique sub-saharienne qui est pourtant la principale région bénéficiaire de l'aide internationale. Ce qui nous amène à examiner empiriquement dans le chapitre 3, l'efficacité de l'aide internationale vis-à-vis de l'objectif de croissance économique en Afrique sub-saharienne. L'analyse empirique aboutit à un coefficient de l'aide non significatif. L'aide internationale au développement serait ainsi inefficace en Afrique sub-saharienne.

    Chapitre Premier

    LES INSTITITIONS DE L'AIDE AU DEVELOPPEMENT

    « Aider les autres n'est jamais aussi gratifiant que lorsque tu le fais dans ton propre intérêt ». David E. Kelley

    Depuis les années 1950, les pays pauvres bénéficient d'aides extérieures dont l'objectif principal est de promouvoir le développement. Cette aide, bien que reconnue dans l'ordre économique des accords de Bretton-Woods6, répond à de multiples considérations géostratégiques souvent dictées par l'atmosphère politico-socio-économique. En effet, les motivations qui fondent les programmes de l'aide internationale sont complexes, et vont de l'égoïsme à la générosité. Selon la période, le type de donateur et les idéologies, les aides aux pays en développement ont servi différentes ambitions, et pris des formes diverses. Il est donc nécessaire de préciser ce que recouvre le concept de « aide au développement ».

    Que qualifie-t-on réellement d'« aide au développement » ? D'où provient-elle?

    Que finance-t-elle ? Quel est son budget ? Quels sont les principaux donateurs de l'aide, en volume?, En pourcentage du revenu?, Quels sont les principaux facteurs permettant d'expliquer son attribution? Quels en sont les principaux pays bénéficiaires?

    Dans la section 1, on examine les principales caractéristiques de l'aide au développement et on présente ses principaux bénéficiaires. On montre dans cette section que l'Afrique sub-saharienne est la principale région bénéficiaire de l'aide, un financement à des conditions avantageuses dont on étudie les origines institutionnelles dans la section 2. Dans la section 3, on examine les principaux

    critères institutionnellement affichés (ou déterminants) dans l'attribution de l'aide internationale.

    Section 1 : LES PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DE L'AIDE AU DEVELOPPEMENT

    Sous l'expression plus ou moins ambiguë « aide au développement », se présentent des opérations et mécanismes financiers, allant du don pur et simple au prêt; accordé à un tarif préférentiel, négocié entre pays donateurs « développés » ou Riches et des Etats bénéficiaires « sous-développés » ou « en voie de développement». Le Comité d'Aide au Développement (CAD-7) créé au sein de l'OCDE dans le but de coordonner et de comptabiliser l'aide des pays développés au Tiers-monde, distingue « l'aide publique » des autres apports. Il réserve l'appellation « aide » à la seule « aide publique » ou « aide publique au développement » (APD). Celle*ci comprend les prêts et les dons (financements sans contrepartie) du secteur public lorsque les prêts sont assortis de conditions préférentielles par rapport au marché. Les conditions avantageuses portent habituellement sur le taux d'intérêt, la durée du remboursement et les conditions d'amortissement. L'élément de libéralité et de don contenu dans de tels prêts est ainsi déterminant. Ces transferts de capital à des conditions privilégiées sont exclusivement destinés aux pays en développement. Ils poursuivent l'objectif premier d'améliorer les conditions de vie des pays receveurs (pauvres).

    6 La conférence de Bretton Woods s'est tenue du 1erau 22 juillet 1944 dans le New Hampshire (Etats--Unis), dans

    le cadre de la résolution des différends de la deuxième guerre mondiale. Ses accords ont jeté les bases de la coopération pour le développement international.

    7 Le Comité d'Aide au Développement (CAD) regroupe depuis 1960, sur la base du volontariat, les principaux donateurs occidentaux, tous membres de l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE). Leur nombre est passé en 2004 de 22 à 23 avec l'adhésion de l'Island.

    En 1960, l'Association Internationale pour le développement (AID) a été créée. Elle a pour objectif, l'aide au développement économique des pays du Tiers-monde. Elle prête à ces pays des ressources financières, obtenues grâce à la contribution des pays développés, à des conditions plus avantageuses que celle du marché financier international : durée de prêt très longue (50 ans), taux d'intérêt très bas (jusqu'à 0,5%), commission faible. Les autres apports, souvent qualifiés « d'aide privée », sont constitués des dons des organisations non gouvernementales, mais principalement des crédits à l'exportation, des investissements de portefeuille, des souscriptions privées à des emprunts émis par les organisations internationales. Ces apports ne sont néanmoins pas comptabilisés dans l'aide publique au développement.

    L'aide prend des formes diverses. On distingue:

    > L'aide multilatérale:

    qui transite par des organisations internationales Spécialisées (BIRD, FMI, AID, ONU, PNUD, FAO, Unicef, etc.).

    > L'aide bilatérale:

    qui va directement d'un Etat a un autre. Elle est dite:

    · Liée: lorsque le pays donateur impose au pays bénéficiaire des conditions d'achat de biens ou de fourniture de service en retour. Les motivations de l'aide liée sont essentiellement de deux ordres : économique et politique. Du point de vue économique, le donateur impose au receveur de consacrer tout ou partie de l'aide reçue à l'achat de ses biens et services. L'argent reçu est dans ce cas dépensé dans le pays donateur et sert ainsi à promouvoir les exportations du donateur.

    · Du point de vue politique, l'aide liée sert à se créer ou à protéger des intérêts géopolitiques, stratégiques, historiques ou culturels8

    · Non liée : lorsque le donateur n'impose au bénéficiaire aucune condition d'achat ou de

    services en retour9. , seulement 41,7% du total de l'aide publique au développement est non lié. Au départ, l'aide était envisagée sous forme de transferts de fonds. Mais les premiers programmes d'aide ont vite reconnu que des catégories données de compétences et de connaissances techniques faisaient défaut dans les pays pauvres. Dans le souci d'augmenter les compétences nationales, une autre forme d'aide:

    « Les programmes d'assistance technique » ou « coopérations techniques »,

    détachant des experts étrangers dans des domaines allant de la planification économique à l'ingénierie et à la construction ont alors été proposés et mis en oeuvre. Avec la crise d'endettement des années 1980, naît une nouvelle forme d'aide: les allègements ou annulation pure et simple de dettes, comptabilisés dans l'aide publique au développement. L'aide peut aussi être en nature : envoi de céréales, de matériels médicaux, attribution de bourses d'études ... L'aide est dite hors projet si elle n'est pas affectée à un projet précis, mais sert à financer le déficit budgétaire ou le déficit extérieur. A l'inverse, l'aide-projet ou programme est celle affectée à une fin précise: construction d'un barrage, de routes, promotion du secteur cotonnier, etc. Enfin, l'aide est qualifié de « aide d'urgence » lorsqu'elle est destinée à secourir des populations en situation de cataclysmes (séisme, conflits armés, sécheresse, inondation, raz-de-marée, ...). Sur la période 1950-1955, les apports totaux d'aide au développement valaient 1,953 milliards de dollars. Elle a peu à peu progressé dans les années 1970 et surtout dans les années 1980. La très forte croissance des pays de l'Occident durant les Trente Glorieuses a permis de libérer des ressources supplémentaires pour l'aide. Mais il y a aussi l'influence des enjeux politiques d'alors. Dans un contexte de guerre froide, la compétition pour les amitiés géostratégiques explique largement cet accroissement de l'aide internationale. La fin de la guerre froide a

    8 (Jepma Catrinus J. 1991 ; OCDE 2006b)

    9 Normes Selon OCDE (2006b)

    entraîné un recul sensible de l'aide mondiale dans la première moitié des années 1990 (voir figure ci-dessous).

    En effet, les enjeux politiques étant l'une des principales motivations de l'aide internationale (comme on le verra plus loin), l'effondrement du bloc soviétique en 1991 a atténué la motivation politique des principaux donateurs. Depuis 2001, on assiste à une nouvelle phase d'ascension de l'aide en volume. D'environ 55 milliards de dollars en moyenne jusqu'en 2000, l'aide a atteint les 80 milliards en 2004. Ce regain d'importance est attribuable aux graves crises financières et d'endettement des pays les plus pauvres qui ont conduit à des annulations successives de dettes, consenties en 2003 et 2004 ; et surtout à la lutte contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre 2001. Cette nouvelle motivation de l'aide internationale explique largement cet accroissement. L'année 2005 a été une année spéciale pour l'aide internationale. On a assisté à une forte augmentation de l'aide extérieure, qui a dépassé les cents milliards de dollars US. Cette augmentation spectaculaire est surtout imputable au raz-de-marée(le tsunami) survenu le 26 décembre 2004; qui a entraîné un geste de générosité sans précédent dans le monde entier.

    Figure I-1 : Aide au développement nette (prix constant, milliards de $ US 2003)

    Près des trois quarts de l'aide publique au développement accordée entre 1970 et 2005 a été fourni dans le cadre de programmes bilatéraux. L'aide a été essentiellement bilatérale dans les années 1970. La bipolarisation du monde et la course aux alliances ont révélé au cours de cette décennie, l'égoïsme des plus nantis. Dans le climat politique passionné d'alors, les intérêts individuels des principaux donateurs ont été manifestes dans la coopération internationale. Depuis les années 1980, on note cependant un accroissement de la proportion d'aide acheminée par les organisations multilatérales, bien que faiblement. L'aide privée a elle aussi une tendance à la hausse depuis les années 1990, comme l'illustre la figure I-2 ci-dessous. La proportion de l'aide privée dans l'enveloppe totale de l'aide internationale au développement se chiffre à près de 11% ces dernières années.

    Figure I-2 : Aide mondiale par catégorie (en milliards de dollars US)

    L'analyse des données ventilées par région, en volume ou en pourcentage du PIB révèle que l'Afrique sub-saharienne occupe depuis 20 ans la place de premier bénéficiaire d'aide sur le plan mondial (voir les deux figures ci-dessous). L'aide reçue par l'Afrique sub-saharienne sur la période 2000-2004 valait plus du double de celle octroyée à l'Amérique Latine; même chose avec l'Asie du Sud et Centrale. Plus du tiers de l'APD (en volume) est allé à cette région entre 2000 et 2004. Nous expliquerons plus loin ses disparités régionales de l'aide au développement.

    Lorsqu'on fait l'analyse en termes de valeur par habitant (aide par habitant), l'Afrique sub-saharienne se classe également parmi les grands bénéficiaires d'aide dans le monde. L'Africain moyen a bénéficié annuellement de 26,3$ US entre 2000 et 2004.

    L'aide par tête en Afrique était ainsi supérieure à la moyenne pour l'ensemble des pays les moins avancés (24,7$); et valait plus du triple de la moyenne pour l'ensemble des pays en développement (8,8$) comme le montre la figure ci-dessous.

    Figure I-5 : Aide nette par habitant par région (en $ US)10

    Il faut signaler que l'aide au pays de l'Europe Centrale et Orientale a considérablement augmenté ces dernières années. Cette augmentation provient surtout de l'Union Européenne (UE), et s'inscrit dans la politique d'intégration de ces pays dans l'Union.

    L'analyse de la tendance en pourcentage de l'enveloppe totale d'aide dans le monde classe également l'Afrique en première place des bénéficiaires d'aide internationale. L'Afrique a généralement bénéficié de plus du tiers du budget total de l'aide. Cependant, la fin de la décennie 1990 a vu l'aide au développement se détourner progressivement du continent africain, au profit de l'Europe centrale et orientale. De nos jours, on note un retour progressif de l'aide en Afrique (voir figure ci-dessus). Ce regain d'importance de l'aide à l'Afrique est sans doute imputable aux nombreux rapports alarmistes, concernant l'augmentation de la pauvreté en Afrique sub-saharienne, et la nécessité d'un effort plus accru en faveur du continent africain.

    Figure I-6 : Evolution de l'APD par région, en pourcentage de l'aide totale

    10 Il faut signaler que l'aide au pays de l'Europe Centrale et Orientale a considérablement augmenté ces dernières années. Cette augmentation provient surtout de l'Union Européenne (UE), et s'inscrit dans la politique d'intégration de ces pays dans l'Union.

    Une analyse par pays révèle cependant que, ce sont les pays asiatiques en développement, à forte croissance comme la Chine, le Vietnam, le Pakistan, l'Indonésie, l'Inde qui reçoivent davantage d'aide. Viennent ensuite les pays qui comptent un grand nombre de pauvres comme la Tanzanie, le Mozambique, l'Ethiopie, le Bangladesh (voir la figure ci-dessous). On expliquera plus loin ces disparités internationales.

    Figure I-7 : Les dix premiers pays bénéficiaires d'aide (moyenne sur 2000-2004, en milliards de $, au prix de 2003)

    Mais lorsqu'on fait l'analyse en valeur par tête, ce sont les petites économies insulaires, qui passent en tête, avec plus de 285 $ par habitant pour le Timor-Leste contre moins de 2$ par tête pour la Chine, l'Inde et le Nigeria. Le tableau ci-dessous présente quelques exemples dans ce domaine. Tableau I-1 : Aide par habitant (moyenne sur 2000-2004)

    Cette tendance n'est toutefois pas sans exception : le Mozambique reçoit de gros apports d'aide (en moyenne 1,2 milliards de dollars par an sur la période 2000-2004), ainsi qu'une aide par habitant relativement élevée (67$); alors que le Turkménistan obtient peu d'aide sur la même période, en volume (43 millions de dollars par an en moyenne) et par habitant (9$). L'aide a financé pour la plus grande partie, les secteurs productifs. Jusqu'aux années 1990, environ 40% du total de l'aide ont été affectés au développement de l'infrastructure économique et des secteurs productifs (agriculture, industrie, énergie et commerce), comme le montre la figure ci-dessous.

    Figure I-8 : Aide par secteur dans le monde (en milliards de $, prix de 2003)

    Cependant une plus grande importance est accordée ces dernières années aux secteurs sociaux: population et santé, approvisionnement en eau, éducation, ... comme le montre la figure ci-dessus. La dominance de l'infrastructure économique et des services sociaux dans le budget total de l'aide est plus remarquable en Afrique (voir figure ci-dessous). La création des conditions favorables au décollage économique et la réduction de la pauvreté sont de nos jours, les objectifs principaux de l'aide au développement en Afrique.

    Figure I-9 : Aide par secteur en 2004 en Afrique (en % du total d'aide à l'Afrique)

    SECTION 2: LES ORIGINES INSTITUTIONNELLES DE L'AIDE AU DEVELOPPEMENT

    D'où provient l'aide publique au développement? Jusqu'à quelle hauteur contribue chaque type de donateurs ? En volume et en pourcentage du revenu, quels sont les principaux donateurs ? Comment le classement des principaux donateurs varie-t-il dans le temps? Selon le type de donateur considéré, quelles formes ou caractéristiques l'aide au développement prend-elle ? Quels en sont les principaux bénéficiaires?

    1.1. Les institutions du système des Nations Unies

    Le système des Nations Unies est composé de l'ONU, et de 15 organisations indépendantes11 appelées « institutions spécialisées », (dont le FMI et le Groupe de la Banque mondiale). Elles sont créées par des accords intergouvernementaux, et reliées à l'ONU dans le cadre d'accords de coopération12. Ensemble, elles fournissent une assistance technique et d'autres formes concrètes d'aide dans pratiquement tous les domaines économiques et sociaux. On distinguera principalement:

    1.1.1. Les Nations Unies (ONU)

    Outre sa fonction essentielle de maintien de la paix, l'Organisation des

    Nations Unies (ONU) joue un rôle crucial dans l'élaboration d'un consensus international sur l'action en faveur du développement, et oeuvre de diverses façons à la promotion d'objectifs économiques, environnementaux et sociaux. Des principaux objectifs de l'ONU, on peut citer la paix, la lutte contre la pauvreté, les maladies, le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi, et la promotion des conditions économiques et sociales du développement. Pour atteindre ces objectifs, l'ONU octroie des aides aux pays pauvres à travers des fonds et programmes spécialisés13.

    11 Outre le FMI et la Banque mondiale, les 13 autres institutions sont : OIT (Organisation Internationale de Travail), FAO (Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture), UNESCO (Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture), OMS (Organisation Mondiale de la Santé), OAIC (Organisation de l'Aviation Civile Internationale), UPU (Union Postale Universelle), UIT (Union Internationale des Télécommunications), OMM (Organisation Météorologique Mondiale), OMI (Organisation Maritime Internationale), OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle), FIDA (Fonds International de Développement Agricole), ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel), AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique).

    12 Certaines de ces institutions comme le FMI, la Banque mondiale, l'UPU, l'OIT ... existaient avant l'ONU.

    13 On peut notamment citer : le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), qui est le principal fournisseur multilatéral de fonds pour le développement humain durable. Il prend une part active à la réalisation des objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire. L'UNICEF (Fonds des Nations Unies pour l'Enfance), qui est le principal organisme des Nations Unies qui s'occupe de la survie à long terme, de la protection et du développement des enfants. Ses interventions sont axées sur la vaccination, les soins de santé primaire, la nutrition et l'éducation de base. Le PAM (Programme Alimentaire Mondial) fournit une aide alimentaire, à la fois au titre de secours d'urgence et des programmes de développement. Le FNUAP (Fonds des Nations Unies pour la Population), est le plus important fournisseur international d'aide en matière de population. La CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement) s'efforce de promouvoir le commerce international. Elle travaille en collaboration

    Les apports extérieurs d'aide, qualifiés de « aide publique au développement » régulièrement octroyés aux pays pauvres proviennent de différentes sources qu'on peut classer en deux grands sous-ensembles : les bailleurs de fonds multilatéraux, constitués d'institutions internationales et les bailleurs de fonds bilatéraux, constitués d'institutions étatiques et spécifiques à chaque pays donateur.

    1. Les bailleurs de fonds multilatéraux

    Ils regroupent plusieurs pays. L'aide des bailleurs de fonds multilatéraux est déliée de conditions d'achat et comporte souvent des concessions importantes.

    Leurs institutions sont les grands défenseurs et promoteurs du développement axé Sur la politique d'aide internationale. Les principaux sont: les institutions internationales onusiennes, la Commission Européenne (CE) et les banques régionales de développement. Les apports d'aide de l'ONU prennent beaucoup plus la forme de dons, et représente environ 20% du total des aides multilatérales. Une autre part importante des fonds multilatéraux provient des institutions de Bretton-Woods.

    1.1.2. Les institutions de Bretton--Woods

    Il s'agit des institutions jumelles issues du sommet de Bretton Woods: le FMI et la Banque mondiale. Ces institutions réunissent la même communauté de pays et partagent un même but: relever les niveaux de vie dans leurs pays membres. Leurs approches à cet égard sont complémentaires : Le FMI cherche à assurer la stabilité du système financier international; la Banque mondiale se consacre au développement économique à long terme et à la lutte contre la pauvreté.

    i. La Banque mondiale

    Créée en juillet 1944 lors de la conférence monétaire et financière de Bretton Woods, la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) communément appelée Banque mondiale, est un pilier des institutions financières internationales. Elle a été complétée depuis sa création par la Société Financière Internationale (SFI) en 1956, l'Association Internationale de Développement (AID ou IDA en anglais) en 1960, le Centre International de Règlement des Différends (CIRD) en 1960 et l'Agence Multilatérale de Garantie des Investissements (AMGI) en 1988. Ces cinq institutions forment désormais ce qu'on appelle le groupe de la Banque mondiale. La BIRD a deux instruments d'interventions : les prêts (d'une part pour financer des projets d'investissement, et d'autre part des prêts d'ajustement qui visent à soutenir les Etats dans la mise en oeuvre de réformes économiques, financières, structurelles). Ensuite les garanties (destinées à couvrir le risque de défaut de paiement du service de la dette de l'Etat, et à couvrir le risque de crédit du secteur privé). Les ressources de la BIRD sont réservées aux pays considérés comme ayant de fortes capacités de remboursement.

    avec l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) qui est une entité distincte, pour favoriser les exportations des pays en développement, avec l'aide du Centre du Commerce International. Le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) s'occupe de l'aide d'urgence aux réfugiés en cas de conflits.

    Les principaux emprunteurs de la BIRD sont de ce fait, les pays émergents ou en transition. Ses concours sont soumis à des décaissements plus rapides, mais moins avantageux (en terme de taux d'intérêt et de délai de paiement) par rapport à ceux de l'AID. L'AID est la principale source de financement des services sociaux de base des pays pauvres. Elle a pour objectif de permettre aux pays les plus pauvres, qui n'ont accès à aucun marché de capitaux, de bénéficier d'un financement sous conditions privilégiées114.

    Seuls les pays dont le revenu par habitant n'excède pas un seuil donné (965$ par habitant en 2005) sont éligibles à ces ressources. Environ 40% des ressources de l'AID bénéficient aujourd'hui à l'Afrique sub-saharienne. Il s'agit de prêts à taux quasi-nul (environ 0,5%) sur une durée de 35 à 40 ans, ce qui représente un don équivalent à environ 85% du montant prêté. La SFI est chargée de favoriser le développement de l'investissement privé dans les pays en développement et de promouvoir dans ces pays un environnement favorable à la croissance économique. Les concours de la SFI bénéficient en premier lieu au secteur financier et aux projets d'infrastructure.

    L'AMGI a pour objectifs de faciliter des investissements privés productifs en assurant la couverture des risques non commerciaux, et de fournir à ses membres, comme le font la BIRD ou la SFI, des conseils et de l'assistance technique pour améliorer l'environnement économique et financier des projets d'investissement. Le CIRD est une instance d'arbitrage indépendante dans les litiges entre gouvernements et investisseurs privés. Depuis les années 1990, la lutte contre la pauvreté est devenue le principal objectif de la Banque. Elle s'est engagée dans des missions nouvelles : projets de développement rural, d'éducation, d'eau, de santé (santé maternelle, infantile...), le commerce, le développement urbain, l'énergie, les nouvelles technologies, la lutte contre le SIDA et la pauvreté, la viabilité écologique qui sont venus compléter une palette d'interventions limitées auparavant au soutien économique aux Etats et à la mise en place d'infrastructures de base (routes, ports, aéroports, barrages, etc.).

    Même si ses interventions s'étendent à l'ensemble des pays en développement, la Banque mondiale réserve plus de la moitié de ses prêts aux pays dits émergents ; privilégiant l'Asie et l'Amérique latine sur l'Afrique comme le montrent les tableaux ci-dessous. Aucun pays africain ne figure parmi les principaux (dix premiers) pays bénéficiaires de l'aide de la Banque mondiale. Ces dix pays pour la plupart asiatiques totalisent à eux seuls plus de la moitié des fonds de la Banque (55,57% précisément). Aussi tous les pays ne représentent-ils que 7% du budget total de la banque.

    Tableau J--2 : Engagements de prêts de la Banque Mondiale (projets approuvés) par région, année fiscale 1999 (1er juillet 1999 - 30 juin 2000)

    14 Il s'agit de prêts à taux quasi--nul (environ 0,5%) sur une durée de 35 à 40 ans, ce qui représente un don équivalent à environ 85% du montant prêté.

    Tableau I--3 : Principaux pays bénéficiaires de l'aide cumulée de la Banque mondiale (de la création de la Banque à 2000)

    Ce classement s'explique en partie par le fait que, certains pays notamment ceux d'Asie (Inde, Pakistan, Chine, Indonésie, Corée, ...) respectent les conditions pour bénéficier à la fois de l'aide de la BIRD (à cause de leur forte croissance économique) et de celle de l'AID (à cause de la faiblesse de leur revenu par habitant). On les appelle les « prêteurs mixtes » (blend countries ou encore blend borrowers en anglais). La plupart des pays africains ne sont quand à eux, éligibles qu'à l'aide de l'AID.

    ii Le Fonds Monétaire International (FMI)

    Le FMI, comme la banque mondiale, est né de la conférence monétaire et financière de Bretton Woods. Son rôle15 a largement évolué au cours des trente dernières années. A partir de 1973, avec la flexibilité officielle des taux de change, il redéfinit ses missions et devient un instrument de régulation financière. Il prête de l'argent aux pays qui connaissent des difficultés temporaires de financement de leur déficit de balance des paiements; ceux--ci devant en contrepartie mettre en oeuvre des politiques rigoureuses pour parvenir à l'équilibre. Aujourd'hui, il aide aussi les pays en développement à promouvoir la croissance et alléger la pauvreté.

    Depuis la fin des années 1980, le FMI se consacre activement à la réduction de la pauvreté dans le monde entier en accordant une assistance financière par le biais de son mécanisme de prêts concessionnels FRPC (Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance), ainsi qu'au moyen d'allégements de dette dans le cadre de l'initiative PPTE (initiative en faveur des Pays Pauvres Très Endettés). Le FMI accorde également depuis 1962, des aides financières d'urgence, assorties de décaissements rapides aux pays victimes de catastrophes naturelles ou sortant d'un conflit. Presque toutes les aides de la Banque mondiale et du FMI se font par prêts, donc remboursables16.

    15 Il a été initialement créé en vue de réguler le système monétaire international de changes fixes, et de mettre fin aux fréquentes dévaluations, en mettant temporairement, moyennant des garanties adéquates, ses ressources à la disposition des Etats membres qui ont des difficultés de balance des paiements. La fin de la fixité des taux de change en 1971, a entraîné la disparition du premier rôle du Fonds.

    16 A tort ou à raison, ces deux institutions (le FMI et la Banque mondiale) essuient des critiques de la part des pays récipiendaires pour la rigueur des conditions de remboursement et la discipline fiscale imposée.

    1.2. La Commission Européenne (CE)

    L'aide de la Commission Européenne17(CE), aujourd'hui Union Européenne

    (UE) a principalement bénéficié aux pays africains (ex-colonies) depuis leur indépendance. Les financements de la commission sont surtout destinés à la promotion de l'infrastructure économique, l'énergie, les services sociaux de bases,

    la production agricole, la coopération technique, ... La Commission Européenne participe également à l'initiative PPTE, à la promotion de la démocratie et de l'Etat de droit, et fournit des aides alimentaires d'urgence. Les fonds de la Commission proviennent des Etats membres de l'Union. Essentiellement destinés aux pays ACP (Afrique Caraïbe et Pacifique) au départ, l'aide européenne s'est progressivement étendue aux autres pays en développement. Ainsi, la zone ACP ne bénéficiera plus que de 29% de l'aide européenne en 1996-1998. A plus ou moins juste titre, l'aide de la Commission a pendant longtemps essuyé des critiques parce que très sensible à l'atmosphère politique. Nous y reviendrons plus loin.

    1.3. Les Banques régionales de développement

    Les Banques régionales de développement sont des institutions régionales, construites à l'image de celles de Bretton Woods, dans le but de mieux coordonner, de superviser et de financer les activités de développement au niveau régional. On distingue principalement: la Banque Africaine de Développement, basée à Abidjan (Côte d'Ivoire)18 qui prête à toute l'Afrique (Afrique du Nord comprise); la Banque Asiatique de Développement, basée à Manille (Philippines) qui sert les pays d'Asie du Sud, Asie de l'Est et du Pacifique; la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement, basée à Londres (Angleterre) qui sert les pays d'Europe et d'Asie Centrale; le Fond Européen de Développement (FED), basé à Bruxelles (Belgique) qui sert les pays d'Afrique, du Caraïbe et du pacifique; et la Banque Interaméricaine de Développement, basée à Washington (USA) qui est la principale banque de développement du continent américain. Leurs rôles sont semblables à celles de la Banque mondiale, mais cette fois-ci à une moindre échelle (régionale). En Afrique, outre la BAD (Banque Africaine de Développement), qui est une institution régionale, il existe également des institutions sous-régionales comme la BOAD (Banque Ouest Africaine de Développement) et la BDEAC (Banque de Développement des Etats de l'Afrique Centrale). Contrairement aux institutions de Bretton Woods et aux banques régionales de développement, la Commission Européenne accorde ses aides beaucoup plus sous la forme de dons. La CE est en outre, le principal donateur multilatéral dans le monde, comme le montre le figure ci-dessous. Ses apports représentent environ 34% des aides multilatérales acheminées entre 2000 et 2004 (environ 9% du total de l'aide publique au développement).

    17La politique européenne de coopération au développement est née avec la Communauté européenne en 1957. Lors de la négociation du traité de Rome, la France et la Belgique ont obtenu que la communauté économique établisse un régime d'association avec les colonies d'alors, dites « Pays et Territoires d'Outre-mer » (PTOM) visant à promouvoir leur développement économique et social au moyen d'un Fonds Européen de Développement (FED) mis en place le 1er janvier 1958. Avec l'indépendance des colonies, la politique d'association a laissé la place à la coopération pour le développement avec des accords signés à Yaoundé (Cameroun). L'adhésion britannique à la Communauté européenne en 1973 entraîna l'élargissement au Commonwealth, à l'exception de l'Inde, pour former un ensemble de pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), dont le partenariat « ACP-CEE », (aujourd'hui « ACP-UE ») fut établi à travers des conventions successives (Lomé I en 1975, Lomé II en 1979, Lomé III en 1984, Lomé IV en 1990) signées à Lomé (Togo). En 2000, les conventions de Lomé ont été remplacées par l'accord de Cotonou. La fin de la guerre froide a provoqué des réajustements géographiques de la coopération européenne vers les pays d'Europe centrale et orientale ainsi que vers les nouveaux Etats indépendants issus de l'ex URSS. L'Amérique

    Latine et l'Asie sont aussi devenues des axes de la politique européenne de coopération au développement à partir de 1990.

    18 A cause de la crise que traverse la Côte d'Ivoire depuis 1999, le siège de la BAD a été provisoirement transféré à Tunis (Tunisie).

    Figure I--10 : Aide des institutions multilatérales (en milliards de $, prix de 2003)

    La figure montre que la Commission Européenne occupe ces dernières années, la première place des donateurs multilatéraux, lorsqu'on considère l'aide octroyée en volume. Le FMI, pourtant grand défenseur de la politique d'aide du système des Nations Unies n'apporte qu'une part congrue de l'aide aux pays pauvres; il se classe dernier des bailleurs de fonds multilatéraux. Comme nous l'avons vu plus haut, les institutions multilatérales bien qu'elles prennent le devant des politiques de développement ne fournissent en apport net, qu'environ le quart du total de l'aide publique au développement. L'essentiel de l'aide, soit environ 75% provient des bailleurs de fonds bilatéraux que nous abordons.

    2. Les bailleurs de fonds bilatéraux

    Il s'agit principalement des pays industrialisés. Ils accordent les deux types d'aides internationales : les prêts bonifiés et les dons. L'aide bilatérale prend aussi la forme d'annulation de dettes, et d'aide humanitaire d'urgence. Ces aides sont souvent hors projet, et liées. Les principaux pays donateurs sont: Allemagne, Australie, Belgique, Canada, Corée, Danemark, Espagne, Etats*Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède, Suisse. En fait, presque tous les pays développés participent aujourd'hui au financement des objectifs fixés par les Nations Unies en matière d'assistance internationale. Ils participent à la reconstitution des fonds des institutions internationales (Banque mondiale, FMI, ONU, Banques régionales de développement, le FED, ...) et accordent aussi des prêts et dons dans le cadre d'accords bilatéraux. Habituellement, les pays donateurs dans le cadre de l'aide bilatérale planifient et accordent leurs prêts et dons par l'intermédiaire d'un organisme d'aide spécialisé19. Outre les pays industrialisés, certains pays en développement, notamment les grands pays exportateurs de pétrole participent de nos jours au financement des objectifs de développement. Ils accordent leurs aides principalement dans le cadre d'accords bilatéraux avec d'autres pays en développement. On parle dans ce cas de coopération Sud-Sud. Les pays arabes du golf persique sont dans ce domaine très généreux. Le Koweït par exemple a accordé jusqu'à 8,2% de son PNB en aide étrangère en 2002 ; 4% pour l'Arabie saoudite la même année. En volume, en combinant les aides octroyées sous forme bilatérale et les participations à la reconstitution du capital des organismes multilatéraux d'aide (FMI, Banque mondiale, Banques régionales de développement, Commission Européenne, ...), les Etats-Unis occupent la position de premier

    19 On peut citer par exemples l'USAID (United States Agency for International Development) qui est l'organisme spécialisé de l'aide bilatérale pour les Etats--Unis, l'ACDI (Agence Canadienne pour le Développement International) pour le Canada, l'AFD (Agence Française de Développement) pour la France, DANIDA (Aide au Développement Internationale Danoise) pour le Danemark, AusAID (Australian Agency for International Development) pour l'Australie, AECI (Agencia Española de Cooperaciõn International) pour l'Espagne, SIDA (Swedish International Development Agency) pour la Suède, ...

    donneur d'aide au monde, lorsqu'on considère les valeurs cumulées depuis l'avènement de l'APD. Ils se démarquent largement par ses apports. Viennent ensuite le Japon, la France, l'Allemagne et le Royaume Uni comme le montre la figure ci*dessous. Elle présente pour chaque pays donateur, les aides cumulées depuis les années 1950.

    Figure I-11 : APD cumulée, de 1950 à 2005 (en milliards de $ US)

    La tendance et le rang restent pratiquement les mêmes, notamment pour les grands donateurs, lorsqu'on considère les volumes d'aide accordée ces dernières années (voir figure ci-dessous).

    Figure I-12 : APD nette par donateur en volume (moyenne annuelle 2000-2004, en milliards de $

    US)

    En moyenne sur la période 2000-2004, 24% de l'APD totale octroyée provenait en effet des Etats-Unis; suivis du Japon (13%), de la France (11%), de l'Allemagne (10%), et du Royaume-Uni (9%). Les pays membres de l'UE fournissent collectivement 54% de l'APD totale distribuée par les membres du CAD. Les apports d'aide des pays développés ne cessent de faire débat. En 1960, la résolution n° 1522 (XV) de l'Assemblée Générale de l'ONU exprimait l'espoir que «le flux de l'assistance internationale augmente substantiellement de manière à atteindre aussitôt que possible à peu près 1% des revenus nationaux cumulés des pays économiquement avancés ».

    En 1967 dans le cadre de la CNUCED, la charte d'Alger du groupe des 77proposait que l'aide publique au développement (APD) puisse se situer à 0.75% du PNB de chaque pays développé. En 1970, l'ONU mettait en place une stratégie pour financer la seconde décennie du développement, fondée sur l'idée que « chaque pays économiquement avancé augmentera progressivement son aide publique au développement, et fera tous ses efforts pour atteindre un montant net minimal de 0.7% du PNB au prix du marché vers le milieu de la décennie». En 1980, l'Assemblée de l'ONU vota la résolution fixant à 0.7% du PNB le niveau international agréé de l'aide des pays développés aux pays en développement. A la conférence internationale sur le

    financement du développement des pays pauvres, tenue à Monterrey au Mexique en 2002, la plupart des pays riches se sont engagés à consacrer 0.7% de leur revenu national brut à l'aide des pays pauvres. Cependant, comme on peut le remarquer sur la figure ci*dessous, l'objectif des 0.7% du PNB est loin d'être atteint; le niveau général se situait à 0.22% ces dernières années. Seulement cinq pays (Danemark, Norvège, Suède, Luxembourg et Pays-Bas) ont atteint l'objectif des 0.7% fixé par les Nations unies pour l'APD. Les Etats-Unis occupent maintenant la dernière place lorsqu'on considère les apports nets en pourcentage du RNB (revenu national brut).

    Figure I--13 : APD nette en pourcentage du RNB (moyenne annuelle 2001-2005)

    Le tableau ci-dessous présente pour les grands pays donateur, le volume d'aide accordé ainsi que la part (en pourcentage) des aides bilatérales et multilatérales dans l'aide totale octroyée. Une analyse de la forme d'aide (bilatérale et multilatérale) par pays classe les Etats-Unis en tête des pourvoyeurs d'aide bilatérale. 90% de l'aide américaine en 2003 était en effet, octroyé en aide bilatérale ; seulement 10% transitait donc par les organisations internationales. D'autres pays comme l'Australie (80%), la Belgique (79%) accordent aussi l'essentiel de leur aide sous forme bilatérale. Certains pays comme l'Italie et l'Autriche privilégient par contre la piste multilatérale dans leurs apports d'aide. Plus de la moitié de l'aide italienne en 2003 (56% précisément) a transité par les agences multilatérales comme le montre le tableau ci-dessous. Objectif fixé par l'ONU (0,7% du RNB)

    Tableau I--4 : Apports nets d'aide au développement des pays développés en 2003 (Les montants sont en millions de $ US)

    On remarque à travers ce tableau que, l'aide des grandes puissances politiques comme les Etats-Unis, la France, le Japon est plus bilatérale que celle des pays moins présents sur la scène politique internationale (Finlande, Autriche, Italie). De même les pays qui n'ont pas d'anciennes colonies comme le Danemark, la Grèce, l'Allemagne accordent (par rapport aux autres) une part moins importante de leur aide sous forme bilatérale. L'octroi de l'aide internationale est semble-t-il motivé par d'autres raisons que l'objectif de croissance économique et la réduction de la pauvreté. C'est ce que nous abordons dans la section suivante.

    SECTION 3 : LES DETERMINANTS INSTITUTIONNELS DE L'ALLOCATION INTERNATIONALE DE L'AIDE

    Quelles sont les différentes « raisons » institutionnellement et officiellement affichées concernant l'octroi de l'aide publique au développement ? Comment ont-elles évolué avec le temps ? Comment diffèrent-elles selon le type de donateurs ? Des études empiriques menées régulièrement depuis les années 1970 permettent de proposer quelques réponses à ces questions.

    1. Les différentes logiques d'attribution de l'aide

    L'analyse des critères d'octroi de l'aide internationale amène à distinguer essentiellement trois grandes logiques, effectives ou intentionnelles, d'allocation internationale de l'aide:

    -- Une logique de besoin : selon l'objectif même de l'aide au développement, l'étendu des
    besoins des pays ou des populations récipiendaires est un déterminant du niveau d'aide à

    accorder. La notion de besoin se réfère souvent au revenu par habitant, le niveau de pauvreté (part de la population vivant en deçà du seuil de

    pauvreté fixé à 2$ par jour, et l'extrême pauvreté à 1$ par jour), la faiblesse du

    capital humain souvent évaluée à l'aune du taux de scolarisation, les inégalités, l'accès aux services de base (eau, électricité, ...), le niveau d'endettement, le déficit du budget ou du compte courant ...

    -- Une logique d'intérêt et/ou de proximité: contrairement à la logique de besoin, on a ici une
    logique d'offre déterminée par les caractéristiques du donneur et non plus du receveur. La logique de proximité se réfère souvent à l'histoire, la colonisation, la communauté linguistique, les préférences politiques, les ambitions et intérêts économiques ... Le donneur offre l'aide au pays considéré, dans le souci de préserver son propre intérêt ou pour soutenir un allié. Il s'agit des survivances néocoloniales qui mixent des objectifs stratégiques, historiques, culturels, linguistiques, commerciaux, politiques et altruistes à travers l'aide internationale.

    -- Une logique d'efficacité ou de mérite : ici, l'aide va vers les pays où elle peut être mieux

    gérée et plus efficace en terme de résultat. La notion d'efficacité se réfère à l'environnement politico-économique et/ou institutionnel du pays considéré. En particulier l'aide va vers les meilleurs projets et vers les pays présentant le meilleur profil : stabilité politique et économique, bonne gouvernance, bonne coopération internationale. Cette logique est également une logique d'offre, mais la finalité est cette fois-ci tournée vers les effets dans le pays receveur. La logique d'efficacité s'apparente souvent, à plus ou moins juste titre, à une logique de mérite ou de vertu. L'aide va vers les pays répondant à un certain nombre de conditions nécessaires à son efficacité. Le donneur définit alors les conditions sans lesquelles l'aide ne peut être octroyée. Ou encore, l'aide va vers les pays qui ont déjà engagé un certain nombre de réformes, qu'elle est alors censée appuyer. Nous montrerons plus loin que depuis les années 1990 (fin de la guerre froide), c'est la logique d'efficacité qui semble s'affirmer dans l'affectation de l'aide (notamment l'aide multilatérale).

    Dans une certaine mesure, on pourrait associer à chacune de ces logiques un type de bailleur et une fonction de l'aide publique. A la logique des besoins correspondent les institutions multilatérales onusiennes (AID, PAM, PNUD, ...). Sont éligibles à l'aide de l'AID par exemple, les pays dont le revenu par habitant n'excède pas un seuil donné (965$ par habitant en 2005). L'aide est alors considérée comme un instrument de répartition et de justice internationale. A la logique d'intérêt pourrait être associé le bailleur bilatéral; et l'aide est utilisée comme un instrument de politique étrangère. En effet, les intérêts idéologico-politiques et stratégiques jouent un rôle prépondérant dans l'octroi de l'aide bilatérale. C'est ainsi que dans les années 1970, l'URSS soutenait les Républiques populaires, et les Etats*Unis les pays capitalistes proches du bloc occidental. De nos jours, l'aide bilatérale est souvent utilisée pour des enjeux commerciaux, énergétiques (pétrole et gaz naturel) ou des alliances politiques (vote à l'ONU). Enfin, la logique d'efficacité semble correspondre à la Banque Mondiale, et au FMI. C'est le cas par exemple des prêts d'ajustement qui visent à accompagner les Etats qui ont déjà engagé des réformes économiques, financières et structurelles mais qui enregistrent de graves déficits. L'aide est ainsi destinée à prendre en charge les opportunités que le secteur privé ne peut saisir. Le tableau I-3 (section précédente) montre que les dix premiers bénéficiaires de l'aide de la Banque Mondiale sont des pays économiquement stables, avec des taux de croissance économique relativement élevés. En effet, l'allocation annuelle moyenne de la zone éligible à l'AID est de 6,9$ par tête sur la période 2002-2005. Mais elle atteint 12,3$ pour les pays du quintile le plus élevé (pays à forte croissance), contre seulement 2,3$ par tête pour les pays du quintile le plus faible. Selon les périodes, ces trois logiques (intérêt, besoin, efficacité) ont coexisté dans les faits ou dans les intentions. Mais elles ont également évolué avec les transformations de la situation internationale (sur le plan politique et économique) et des enjeux des relations Nord-Sud. La logique du besoin a évolué face à la difficulté de définir de façon « rationnelle et objective »

    20 On peut citer : Mc Kinlay et Little (1978a), Hook S. et al. (1998), CERDI (2001) qui ont étudié l'allocation de l'aide française; Mc Kinlay et Little (1979), Gang et Lehman (1990), Meernick et al.

    les besoins de financement extérieur d'un pays donné. Les modèles de déficits (selon lesquels l'aide vient combler les déficits du compte courant ou soutenir la balance des payements), ont donné lieu à peu de résultats convaincants. Aussi l'évaluation des besoins à l'aune des indicateurs de développement ou de pauvreté essuie-t-elle de nombreuses critiques. Il a été difficile en pratique de dépasser l'analyse simpliste liant le besoin d'aide au niveau du revenu par habitant. La logique de besoin s'est affaiblie par cette difficulté à établir sans équivoque, une norme pour l'allocation internationale de l'aide. La logique d'intérêt a évolué parce que les intérêts stratégiques internationaux se sont modifiés depuis 40 ans. D'abord inspirés par les restes de la colonisation, les intérêts sont devenus essentiellement politiques et idéologiques durant la guerre froide. Avec l'effondrement du bloc socialiste en 1990, et le courant de la mondialisation de la fin du vingtième siècle, ils ont évolué vers des enjeux commerciaux, et énergétiques (pétrole) ; mais aussi vers une prise en charge au niveau international de certains grands enjeux planétaires : environnement, conséquences de la pauvreté, migrations, terrorisme, etc. La logique d'efficacité, a connu elle aussi, des modifications. On est largement passé de l'optique du risque projet à l'optique du risque pays; de l'optique de l'aide projet à l'optique de l'aide programme, fortement conditionnée aux approches sectorielles, aux annulations de dette (initiative PPTE) et aux stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP). La conditionnalité et l'ajustement structurel ont mis l'efficacité et le mérite au premier plan des déterminants de l'allocation de l'aide. Dans cette logique d'efficacité, le sens de la causalité entre le "mérite" d'un pays receveur et l'attribution de l'aide tend à s'inverser. Dans les années 1980, l'allocation d'aide était conditionnée à l'adhésion à un certain nombre de principes et de réformes, dont justement l'aide doit appuyer la mise en oeuvre. De nos jours, est préconisée une allocation de l'aide tenant compte non pas de l'adhésion à des programmes futurs, mais de l'engagement réellement manifesté au préalable vers certaines politiques, et surtout des résultats obtenus dans les domaines institutionnels, économiques et sociaux. L'aide viendrait donc récompenser un témoignage de vertu, plutôt qu'inciter à une promesse d'adhésion. Ces raisons évoquées a priori ou officiellement avancées ne correspondent pas nécessairement aux explications que permet d'inférer l'évidence empirique.

    2. L'inférence empirique des raisons de l'aide

    La question de l'allocation de l'aide internationale entre les pays bénéficiaires fait l'objet d'une littérature abondante. Depuis les années 1970, de nombreuses études pour la plupart empiriques ont cherché à inférer les raisons d'allocation de l'aide internationale. Selon que l'étude porte sur l'aide bilatérale, l'aide multilatérale ou l'ensemble de l'aide, les résultats sont naturellement très différents.

    2.1. L'aide bilatérale s'expliquerait surtout par l'intérêt du donateur

    Les « raisons » d'allocation internationale de l'aide bilatérale ne cessent de faire débat depuis les travaux pionniers de Mac Kinlay et Little à la fin des années 1970. Plusieurs auteurs20ont analysé les principaux critères d'allocation des différents pays donateurs: Etats-Unis, Japon, France, Royaume-Uni, Danemark, Suède, Australie.

    Mac Kinlay et Little (1977, 1978 et 1979) ont essayé d'expliquer la répartition internationale de l'aide des principaux donateurs bilatéraux (France, Etats-Unis, Royaume Uni) à partir de deux modèles. Un modèle « receveur » (altruiste) faisant dépendre l'aide reçue du niveau des besoins du bénéficiaire, et un modèle « donateur » (égoïste) axé sur les objectifs de politique étrangère du pays donateur. Leurs résultats plaident nettement en faveur d'une allocation de

    l'aide basée sur l'intérêt du donateur. Cette conclusion a été confortée par l'analyse économétrique de Maizels et Nissanke (1984). Dans le climat passionné des années 1970-80, ce résultat semblait illustrer le cynisme des relations internationales, jusque dans ses manifestations les plus altruistes. Les importantes aides des Etats-Unis à l'ex Zaïre (actuelle RDC) en pleine guerre froide malgré des conditions de gestion calamiteuses sous le régime Mobutu en sont une illustration. Il a été dit que ces aides poursuivaient l'objectif non déclaré de créer un pouvoir de monopsone artificiel sur les exportations d'uranium de la RDC, l'ex Zaïre, une matière première nécessaire pour la fabrication des missiles ; en empêchant en même temps, l'adversaire (l'URSS) de s'en procurer. Mais il y a aussi des enjeux idéologiques.

    En Afrique, les régimes autoproclamés marxistes dans les années 1970-1980 (Ethiopie, Mozambique, Angola, Bénin, Burkina Faso, ...) étaient sanctionnés par le gouvernement américain dans l'octroi de son aide. Ils n'ont bénéficié que de seulement 6% de l'aide américaine durant la décennie 1980, contre 88% pour les régimes capitalistes proches du bloc occidental comme le Sénégal, l'ex Zaïre, l'Egypte, ... Des études plus récentes avec des méthodologies différentes (Hook S. et al. 1998, Gounder 1999, Burnside et Dollar 1997, 2000 ; CERDI 2001, Morrissey 2004) sont venues confirmer le modèle « égoïste » notamment pour les grands donateurs (Etats-Unis, France, Grande Bretagne, Japon, Australie, Suède, Canada). Alesina et Dollar (2000) ont trouvé que les liens coloniaux étaient beaucoup plus importants : « une ancienne colonie non démocratique reçoit environ deux fois plus d'aide qu'un pays sans liens coloniaux mais démocratique ». Avec la fin de l'antagonisme Est-Ouest en 1990, les intérêts stratégiques se sont modifiés vers d'autres grands enjeux comme par exemple le commerce. A titre d'exemples, selon l'ACDI, « Le Canada bénéficie d'environ 70 centimes de chaque dollar dépensé au titre de l'aide au développement, grâce notamment à l'achat de produits et services canadiens ». Entre 2001 et 2003, les apports nets d'aide reçus par l'Afghanistan ont plus que triplé et l'aide à l'Irak a été multipliée par 23 (de 0,1 à 2,3 milliards USD). Ces augmentations provenaient surtout des Etats-Unis, dans sa politique de lutte contre le terrorisme (OCDE, 2004). D'autres pays comme la France, le Royaume Uni et le Portugal assistent plus leurs Ex-colonies, reflétant des préférences linguistiques et des alliances politiques. L'aide du Japon va beaucoup plus à ses partenaires commerciaux, et aux pays qui votent avec lui à l'ONU. Il apparaît presque banal de remarquer que l'intérêt du pays donateur concerné est au premier plan des objectifs de l'aide au développement.

    2.2. L'aide multilatérale s'expliquerait en partie par l'intérêt des donateurs

    Dans une étude sur l'allocation internationale de l'aide de la CE (Communauté Européenne), Bowles (1989) conclut à la simultanéité des logiques de besoins et d'intérêt/proximité. Le revenu par habitant et le fait d'être une ancienne colonie d'un pays de la communauté paraissent les facteurs déterminants dans l'allocation de l'aide de la CE. Les deux tableaux ci-dessous semblent confirmer ce résultat. Ceci n'est guère étonnant, dans la mesure où la CE présente des caractéristiques intermédiaires entre les institutions multilatérales et bilatérales.

    Tableau J--5 : Répartition de l'aide de la Communauté Européenne par groupe de revenu (en 2003)

    Etudiant l'allocation internationale de l'aide de la Banque Mondiale, Frey et Schneider (1986) ont testé quatre modèles : un modèle de besoin, un modèle d'efficacité ou de vertu (stabilité macro-économique et politique), un modèle «salutaire » caractérisant les pays engagés dans le processus d'insertion internationale mais possédant de grands déficits (dette, commerce extérieur, ...) et enfin un modèle politico-économique qui identifie les pays pauvres proches du camp occidental. C'est ce dernier modèle (politico-économique) qui apparaît dans leurs conclusions comme le plus vraisemblable. L'utilisation de l'aide comme instrument de politique étrangère serait alors manifeste jusque dans les organisations internationales. Cependant, des études plus récentes concernant l'aide de la Banque mondiale (Burnside et Dollar 1997, 2000) concluent à la prise en compte de facteurs d'efficacité. Sans doute, la fin de la guerre froide mais aussi de nombreuses critiques formulées à l'encontre des institutions de Bretton Woods, comme on le verra plus loin, ont entraîné une disparition progressive du caractère politique de l'aide multilatérale, la redirigeant ainsi vers plus d'efficacité.

    2.3. L'ensemble de l'aide s'expliquerait par le besoin

    Les études portant sur l'allocation de l'ensemble de l'aide (Boone 1996, Naudet 1994, Burnside et Dollar 1997, 2000, Llavador et Roemer 2001) s'accordent sur une répartition qui répond largement à des caractéristiques propres aux pays receveurs. Le niveau des besoins des pays récipiendaires souvent évalué à l'aune du PIB par habitant, et la population (dans le sens où une population élevée entraîne une aide par tête faible) ressortent comme les deux variables prépondérantes pour expliquer l'allocation internationale de l'ensemble de l'aide. Aussi

    remarque-t-on une inflexion progressive de l'aide multilatérale vers le renforcement de la logique de besoin (Naudet, 1994). En effet, l'aide s'oriente davantage vers les pays à fort taux de pauvreté au détriment des pays à revenu intermédiaire.

    Vers la fin des années 1990, l'importance conférée à la problématique de l'efficacité de l'aide a conduit les économistes à explorer beaucoup plus, l'idée d'une allocation basée sur l'efficacité. Des études ont indirectement testé la logique d'efficacité en recherchant la corrélation entre le niveau d'aide reçu et l'environnement institutionnel et politique dans lequel l'aide est délivrée. Mais les conclusions renforcent comme nous allons le voir, la logique du besoin. L'idée d'une efficacité différenciée de l'aide en fonction de la qualité des politiques économiques poursuivies par les pays receveurs (développée par Burnside et Dollar à partir de 1997 puis repris par d'autres études : Banque mondiale, 1998 ; Burnside et Dollar, 2000) a fortement influencé la littérature sur l'allocation de l'aide ces dernières années. A cet effet, Collier et Dollar (1999) ont envisagé un modèle théorique d'allocation de l'aide internationale qui privilégie les pays très pauvres ayant des politiques économiques et des institutions de qualité. Llavador et Roemer (2001) utilisent alors ce modèle pour tester une allocation de l'aide basée sur l'efficacité. Ils estiment une équation de croissance où l'efficacité marginale de l'aide sur la croissance économique d'un pays donné dépend d'une variable de « qualité des résultats macroéconomiques » qu'ils assimilent à un effort. Pour une enveloppe d'aide donnée, ils simulent une allocation internationale basée sur le niveau d'effort. Par rapport à l'aide actuellement versée, Llavador et Roemer obtiennent une allocation optimale très surprenante. Pour leur échantillon de 55 pays, et selon ce modèle, l'Asie de l'Est et du Sud*est se tailleraient la part du lion ; puisqu'elles recevraient 63% de l'aide totale disponible, contre 11% pour ce qui se fait dans la réalité (aide effectivement versée). L'Afrique sub-saharienne recevrait d'après l'estimation, seulement 3% contre 41% dans la réalité. Certains pays pourtant grands bénéficiaires d'aide comme la Zambie et les Philippines n'en recevraient aucune.

    La conclusion est donc que le critère d'efficacité ne serait pas déterminant dans l'allocation internationale de l'ensemble de l'aide au développement. Le niveau des besoins serait au premier plan. Cette conclusion a été appuyée par l'analyse d'Alesina et Weder (2002). Ils montrent que la variable « corruption » apparaît sans effet pour la majorité des donateurs, insinuant ainsi la non prise en compte du facteur "efficacité". De même, pour Burnside et Dollar (2000), la variable de qualité de la politique économique menée dans le pays récipiendaire (reflétant la logique d'efficacité) est sans effet sur le niveau d'aide reçu, alors que le niveau des besoins ainsi que l'intérêt des donateurs paraissent déterminants. En définitive, la logique du besoin serait au premier plan de l'allocation internationale de l'ensemble de l'aide.

    En définitive, on note à partir des études empiriques sur les logiques d'octroi de l'aide internationale, une domination du critère du besoin du bénéficiaire et de celui de l'intérêt ou de la proximité avec le donateur. C'est ainsi que la politique d'aide au développement fait objet

    de critiques21. La faiblesse de l'importance conférée à « l'efficacité de l'aide » a souvent
    entraîné une déresponsabilisation des gouvernements aidés et une mauvaise gestion de l'aide reçue. Pour pallier à cette défaillance de la politique d'aide au développement, la pratique de la conditionnalité ou encore la sélectivité dans l'octroi de l'aide internationale a souvent été proposée. Cependant, les pratiques de la conditionnalité essuient certaines critiques qui affaiblissent la mise en oeuvre de telles politiques.

    SECTION 4 : CONDITIONNALITE OU SELECTIVITE DE L'AIDE INTERNATIONALE

    Souvent considérée comme fondamentale pour une meilleure efficacité de l'aide internationale au développement, la conditionnalité ou encore la sélectivité fait objet d'une littérature abondante. Le débat sur sa nécessité pour rendre l'aide efficace est controversé. Même s'il semble évident que

    21 On reviendra plus loin sur les critiques de la politique d'aide au développement.

    l'aide sera moins efficace dans un pays fortement corrompu, rien ne garantit qu'en privant les pays «mal gouvernés» de l'aide internationale, on parviendra à de meilleurs résultats globaux en terme de réduction de la pauvreté mondiale. Aussi les pratiques de la conditionnalité essuient--elles de vives critiques. En vertu de quoi doit--on priver certaines populations pourtant pauvres de l'aide au développement? En effet, l'instauration d'un certain nombre de conditions liées à l'octroi de l'aide s'oppose à l'un des principaux fondements de la politique d'aide internationale : l'aide comme instrument de justice entre les Nations.

    1. Les fondements ou justifications de la conditionnalité de l'aide

    La notion de conditionnalité de l'aide renvoie traditionnellement au fait qu'un financement extérieur (l'aide principalement) octroyé à un pays donné soit soumis à un engagement de la part de ce dernier (receveur) à mener des « politiques » qui ont reçu l'approbation du donateur. Généralement, les « politiques » considérées dans l'engagement (les conditions) sont celles considérées comme nécessaires pour corriger ou réduire les déficiences structurelles, les déséquilibres macroéconomiques et l'amélioration de la gouvernance en général dans le pays receveur: bonnes politiques

    macroéconomiques, lutte contre la corruption, Etat de droit, liberté d'expression et de la presse, ... La conditionnalité accompagne le plus souvent des financements hors projets, l'aide budgétaire globale ou sectorielle, l'aide à la balance des paiements, annulations de dettes, ... L'octroi de telles aides est alors soumis à des mesures précises de politique économique. Pratique propre aux institutions de Bretton Woods au départ, la conditionnalité s'est peu à peu étendue à la plupart des institutions multilatérales de l'aide publique au développement. De nos jours, certaines institutions bilatérales tentent également de l'appliquer bien qu'à des degrés divers. L'idée de base de la conditionnalité de l'aide internationale est que les efforts de gouvernance améliorent significativement la productivité de l'aide au développement ; cette même productivité étant insignifiante ou même négative lorsque l'aide est accompagnée de politiques inappropriées, comme c'est souvent le cas dans les pays mal gouvernés.

    Cette conception sur l'efficacité de l'aide internationale s'est d'abord manifestée intuitivement dans les politiques d'ajustement structurelles (PAS) de la fin la décennie 1970 - début des années 1980. Elle a connu un regain d'importance pour ensuite s'imposer presque dans les pratiques vers la fin des années 1990. Ce regain d'importance est lié à l'évolution de la recherche empirique sur l'efficacité de l'aide au développement et principalement aux analyses de Burnside et Dollar (1997) ainsi que celles de Banque mondiale (1998).

    Burnside et Dollar (1997) et Banque mondiale (1998) soutiennent que l'aide internationale ne promeut le développement que lorsqu'elle s'inscrit dans un environnement sain, caractérisé par de « bonnes politiques économiques22». Plus

    tard, Kaufmann, Kraay et Zoido*Lobaton (1999) ont étendu la définition d'un environnement « sain » à la qualité des institutions (Etat de droit, niveau de corruption, liberté politique et de la presse, indépendance du système judiciaire, élections libres, ...). Les résultats de ces analyses sont à la base des pratiques ouvertement affirmées de la conditionnalité de l'aide internationale.

    Ainsi, à travers la conditionnalité, une forme de contrat se met en place entre donateurs et receveurs, dans la logique d'une conditionnalité ex--ante fondée sur la qualité de la gouvernance. L'acceptation d'une telle aide (l'aide conditionnelle) par un pays donné est alors synonyme d'un engagement de la part de ce dernier (receveur) à mettre en place les politiques nécessaires pour améliorer la qualité de sa gouvernance. Au cas où le pays aidé n'honorait pas ses engagements

    22 Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

    politiques en matière de réformes, le financement devrait être arrêté et le pays considéré devrait être privé des aides futures jusqu'à ce que de nouvelles conditions de coopération ne soient établies. Il s'agit alors de centrer l'octroi de l'aide sur le critère d'efficacité.

    Mohsin Khan et Sunil Sharma (2002) permettent d'appréhender la conditionnalité de l'aide sous un

    autre angle. De manière générale, une certaine forme de « conditionnalité» existe
    toujours dans les relations entre emprunteurs et prêteurs, destinée à garantir le remboursement des prêts. Contrairement aux contrats privés, les pays pauvres ne disposent généralement pas de garantie valable au niveau international. Sinon ils pourraient s'en servir pour emprunter à des créanciers privés et n'auraient pas besoin d'aide. Faute de garantie suffisante, les institutions d'aide internationale doivent prendre des dispositions destinées à protéger le prêteur et à empêcher l'emprunteur de s'engager dans les politiques qui pourraient réduire la probabilité de remboursement. La conditionnalité de l'aide internationale peut ainsi être considérée comme un ensemble de dispositions incluses dans l'accord de prêts et qui fait office de garantie pour le remboursement des prêts consentis.

    Certains auteurs (Lerrick Adam et Allan Meltzer, 2002) préconisent la « sélectivité » plutôt que la « conditionnalité ». Comme l'indique le terme en lui-même, la «sélectivité» consiste à faire une certaine sélection des pays bénéficiaires. La stratégie de présélection a été proposée pour faire face à la réalité selon laquelle les pays aidés n'honorent pas souvent les engagements consentis lors Certains auteurs (Lerrick Adam et Allan Meltzer, 2002) préconisent la « sélectivité » plutôt que la « conditionnalité ». Comme l'indique le terme en lui-même, la « sélectivité » consiste à faire une certaine sélection des pays bénéficiaires. La stratégie de présélection a été proposée pour faire face à la réalité selon laquelle les pays aidés n'honorent pas souvent les engagements consentis lors On reviendra plus loin sur ces analyses. de l'acceptation de l'aide. Le principe de sélectivité consiste principalement à accorder plus d'aide aux pays réellement engagés dans des réformes politiques pour améliorer leur « gouvernance ». Selon cette formule qui était la principale recommandation du rapport de la Commission Meltzer sur les institutions financières internationales en 2000, l'aide devrait être centrée sur les pays pauvres vulnérables, qui mènent de bonnes politiques.

    Il s'agit alors d'une conditionnalité ex-post; c'est-à-dire que l'aide vient soutenir les pays pauvres qui appliquent déjà les conditions considérées comme favorables à l'essor économique et donc, à la productivité de l'aide internationale.

    Parmi les donateurs, la Banque mondiale et le FMI appliquent déjà la sélectivité dans une certaine mesure. L'AID (Banque mondiale) par exemple détermine l'aide par tête à octroyer à un pays donné à partir d'une formule combinant un indicateur de la qualité de la gouvernance qui est le CPIA (Country Policy and Institutional Assessment) et le PIB par habitant23. Plusieurs autres institutions réfléchissent à la manière de donner plus de poids à la « bonne gouvernance » dans l'allocation internationale de l'aide.

    En somme, le principe de sélectivité établit une sorte d'éligibilité à l'aide,

    fondée non seulement sur le critère du besoin, mais aussi et surtout sur le critère d'efficacité, évalué à partir de la qualité de la gouvernance dans le pays considéré. Il pose pourtant un problème fondamental. En partant des principes de la conditionnalité ou de la sélectivité, certains pays pourtant pauvres ne doivent pas bénéficier de l'aide internationale. Ce qui va à l'encontre du principe même de l'aide internationale, considérée comme un élément de justice internationale. C'est ainsi que les points de vue divergents sur l'application de la conditionnalité ou de la sélectivité.

    23 Cette règle n'est cependant pas strictement respectée.

    2. Le débat controversé sur la pratique de la conditionnalité

    La conditionnalité/sélectivité de l'aide internationale fait objet de critiques de diverses natures qui affaiblissent sa mise en oeuvre stricte. D'abord parce qu'il est loin d'être certain que la sélectivité va entraîner une meilleure efficacité de l'aide internationale vis-à-vis de son objectif principal qui est la réduction de la pauvreté dans le monde. Ensuite parce qu'elle est contraire à un fondement essentiel de la politique d'aide; celui selon lequel l'aide est un instrument de justice entre les Nations.

    L'une des critiques fondamentales et carence principale de la conditionnalité est qu'elle n'a aucun fondement théorique. Comme nous l'avons vu plus haut, la principale justification de la conditionnalité ou de la sélectivité est l'analyse empirique de Burnside et Dollar (1997) qui établit que l'aide internationale n'est productive que lorsqu'elle est accompagnée de bonnes politiques économiques. Des analyses empiriques plus récentes (Easterly et al. 2003, Clemens et al. 2004) réfutent cette thèse. Selon les résultats de Easterly et al. (2003), l'aide est stérile même si elle est accompagnée de bonnes politiques. On ne peut donc pas être certain qu'en

    pratiquant la sélectivité dans l'octroi de l'aide au développement, on aboutira à de meilleurs
    résultats en terme de réduction de la pauvreté. La pratique de la sélectivité se trouve ainsi mise en mal par le fait qu'elle repose sur une base empirique qui n'est pas suffisamment robuste. Une seconde critique à l'encontre de la pratique de la sélectivité trouve sa source dans le fait que cette pratique semble injuste du point de vue de la redistribution24, lorsqu'on considère en particulier, l'égalité des chances. Doit-on refuser l'aide à un pays qui est très pauvre avec des handicaps énormes et qui est mal gouverné ? A l'inverse, doit-on consacrer l'essentiel de l'aide aux pays qui ont déjà amorcé leur décollage ? Les détracteurs d'une politique d'aide sélective ne soutiennent que la pratique de la sélectivité va priver un grand nombre de pays pauvres de l'aide étrangère alors que ces derniers n'ont pas accès aux marchés de capitaux internationaux. Cette pratique augmenterait alors les risques de pauvreté et créerait de fortes inégalités entre les Nations. Elle peut même renforcer les inégalités entre les habitants des pays en développement, en pénalisant les pays qui ont de grands handicaps structurels tout en fournissant dans le même temps, plus de moyens à des pays où les perspectives de réduction de la pauvreté sont plus élevées. Pourquoi faut-il refuser l'aide à un pauvre paysan malien impuissant devant les conditions désertiques de son pays pour l'octroyer à un Indonésien ou à un Indien par exemple ? En adoptant de telles pratiques (conditionnalité ou sélectivité), l'aide perd une de ses fonctions principales: celle d'être un instrument de justice entre les Nations.

    Néanmoins, une allocation internationale de l'aide qui ne tient pas compte de la qualité de la gouvernance dans les pays receveurs peut être « perverse » pour les pays pauvres qui ont à leur tête des régimes « prédateurs » ou « inefficient ». Lorsque l'octroi de l'aide ne tient pas compte du critère d'efficacité, l'aide internationale peut notamment créer une désincitation à assainir le climat des affaires dans la mesure où les gouvernements aidés savent que, si leurs résultats sont médiocres et que leur économie est en mauvais état, on ne leur imposera pas des conditions strictes de remboursement des prêts consentis. Au contraire, ils pourront bénéficier d'une aide accrue. On se trouve là, en face du dilemme du bon Samaritain (on y reviendra plus loin).

    D'autre part, lorsque l'allocation de l'aide internationale ne tient pas compte de la qualité de la gouvernance, l'aide qui est normalement destinée à l'amélioration des conditions de vie des populations pauvres peut être détournée, pour servir finalement des ambitions personnelles de quelques rares de « privilégiés ». A quoi bon aider un pays hautement corrompu si on sait d'avance que l'aide octroyée ne parviendra pas aux populations démunies ? Le détournement de l'aide par la classe dirigeante accroît les inégalités au sein d'une même Nation, accentuant ainsi les tensions de révolte qui peuvent déboucher sur une guerre civile. L'exemple du Zaïre de

    24 Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

    Mobutu Sésé Séko est très parlant dans ce domaine. Le régime hautement corrompu du président Mobutu a contre toute attente, bénéficié pendant plusieurs décennies de soutiens financiers énormes des grandes puissances. Ces fonds d'aides n'ont servi qu'à la construction de palais présidentiels et à l'achat de limousines lorsqu'elles ne se retrouvent pas sur des comptes privés en Europe et en Amérique. Le creusement des inégalités et la frustration qui s'en sont suivis sont à la base de la rébellion qui a plongé le pays dans plusieurs années de guerre civile. De ce point de vue, la pratique de la conditionnalité peut se révéler être un moyen efficace pour baisser les tensions de révolte et prévenir un conflit armé à l'intérieur d'un pays où la gouvernance est de piètre qualité. Il arrive même que la population civile autochtone se soulève pour demander à la communauté internationale de suspendre son aide au pays (cas du Togo d'Eyadema dans les années 1990, le Zimbabwe de Robert Mugabe aujourd'hui).

    En somme, même si la pratique de la conditionnalité ou de la sélectivité dans l'octroi de l'aide internationale est considérée comme nécessaire pour une meilleure efficacité de l'aide au développement, elle est très peu appliquée. Ceci est lié à deux principales causes:

    i) le fait que la conditionnalité repose sur une base peu solide;

    ii) le rôle d'instrument de justice internationale conféré à l'aide étrangère.

    Même si l'on admet que « la bonne gouvernance » accroît la productivité de l'aide internationale, les répercussions que peut avoir la pratique de la sélectivité (ou de la conditionnalité) sur l'objectif primordial de réduction de la pauvreté sur le plan mondial restent à élucider. De même, les incitations procurées par un système d'aide sélectif ou non nécessitent une analyse approfondie. En particulier, il n'y a pas de base théorique immédiate qui prouve que la pratique de la conditionnalité va améliorer l'effort en faveur des réformes dans les pays receveurs. Les résultats empiriques de Burnside et Dollar qui sous-tendent la nécessité de telles pratiques sont récemment mis en mal par de nouvelles analyses empiriques. Des études supplémentaires sur le sujet sont donc nécessaires.

    Conclusion partielle

    L'aide au développement est un moyen de financement dont les conditions tarifaires sont très avantageuses par rapport au marché. Elle est destinée et même réservée aux pays pauvres. L'aide provient des pays développés, qui l'octroient à travers des institutions spécialisées, multilatérales et bilatérales. L'Afrique sub-saharienne en est la principale région bénéficiaire. L'aide bilatérale, transitant par des agences étatiques propres à chacun des donateurs en est la forme dominante ; ce qui la rend très sensible à l'atmosphère politique. Que l'aide soit bilatérale ou multilatérale, trois grandes logiques ou considérations gouvernent son attribution: les besoins du receveur, les conditions d'efficacité de l'aide reçue et l'intérêt du donateur (ou encore la proximité entre le receveur et le donateur). On note cependant une domination de deux logiques distributives : le niveau des besoins du pays récipiendaire, et l'intérêt du pays donateur. Bien que la pratique de la conditionnalité ou la sélectivité dans l'octroi de l'aide au développement est considérée comme nécessaire pour une meilleure productivité de l'aide internationale au développement, elle ne fait pas unanimité. Ceci parce que de telles pratiques reposent sur une base peu solide et surtout à cause du rôle de redistribution à l'échelle planétaire25que l'aide est censée jouer. On remarque que la logique de besoin devient de plus en plus pertinente pour expliquer l'allocation de l'aide. Ceci témoigne du rapprochement de l'intérêt des pays donateurs des grands enjeux dans les pays les plus pauvres : environnement,

    pauvreté, migration, conflits armés, terrorisme, ... Nous remarquerons évidemment au sujet des études sur les raisons qui expliquent l'allocation internationale de l'aide au développement

    25 Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.

    qu'elles souffrent d'un biais de sélection manifeste. Un échantillon de pays africains montrera des liens avec les anciens colonisateurs. Un échantillon mondial montrera que l'aide va vers les pays les plus pauvres. Dans le premier cas, on conclura à la thèse de l'intérêt, dans le second à la thèse du besoin. La logique d'efficacité semble la moins pertinente. Ce qui est tout à fait étonnant compte tenu de l'objectif de croissance économique initialement mis en avant pour justifier l'aide internationale. Comment comprendre ce paradoxe? Pour répondre à cette question, nous examinons dans le chapitre suivant les principaux fondements ou justifications de l'aide internationale.

    Chapitre deuxième

    LES FONDEMENTS DE L'EFFICACITE DE L'AIDE

    EXTERIEURE

    « L'aide étrangère est la composante centrale du développement mondial »
    Hollis B. Chenery, New York Times (1er mars 1981).

    « Nous, les experts, n'avons que faire de la hausse du produit intérieur brut en tant que telle. Elle nous tient à coeur parce qu'elle contribue à améliorer le sort des pauvres et à en diminuer la proportion dans la population. Elle nous tient à coeur parce que les personnes moins pauvres peuvent manger davantage et acheter plus de médicaments pour leurs enfants... Le bien--être des prochaines générations des pays pauvres dépend du succès de notre quête de la croissance »

    William Easterly, The Elusive Quest For Growth (2001).

    Pourquoi aider les pays pauvres ? Comment l'aide internationale se justifie-t-elle?

    Quels sont les principaux fondements de l'efficacité de la politique d'aide au développement ? Comment l'aide internationale peut-elle favoriser le développement des pays pauvres ? Comment évolue la pauvreté dans le monde après plus d'un demi-siècle de politique de développement axée sur l'aide internationale ? La politique d'aide internationale est-elle toujours bien accueillie?

    Deux paradigmes se sont toujours opposés à propos de l'aide internationale : l'un lui assigne le rôle de financer les « investissements efficients » pour promouvoir le développement dans les pays pauvres; tandis que l'autre lui confère le rôle de « transferts redistributifs » pour corriger les injustices et inégalités entre les Nations. Il existe bien évidemment une remarquable disparité dans les dotations en richesse des Nations. De ce point de vue l'aide se justifierait par une réallocation des ressources destinée à corriger l'injustice dans les dotations initiales entre les économies, et à permettre aux pauvres de vivre mieux. A cette vue statique, s'oppose l'approche dynamique de l'aide au développement. Selon cette dernière approche, l'aide doit viser l'augmentation du revenu dans les pays pauvres et les amener à s'auto suffire.

    En effet, «Il vaut mieux apprendre à un homme à pêcher que de lui donner du poisson » (Confucius). La Banque Mondiale soutient la thèse angélique selon laquelle l'aide internationale est la politique à mener au niveau mondial pour favoriser la croissance économique dans les pays pauvres et éliminer la pauvreté. Cette vision de l'aide, aussi noble qu'elle puisse paraître, ne fait pourtant pas consensus. D'abord parce que les faits semblent réfuter cette thèse. Plus d'un demi-siècle d'aide internationale n'a pas réussi à éliminer la pauvreté dans le monde. Ensuite, certains auteurs, d'inspiration marxiste, dénoncent l'aide, en laquelle ils voient une nouvelle source d'exploitation du Tiers-monde, par l'ex colonisateur. Depuis le tournant du nouveau siècle, cette vision manichéenne de l'aide a laissé la place à l'analyse empirique de l'efficacité de l'aide extérieure. Dans la section 1, on examine les fondements théoriques statiques de la justice et de l'efficience de l'aide internationale. On montre que l'aide est une politique visant à corriger l'injustice dans les dotations en ressources entre les économies. Elle peut en outre générer des améliorations au sens de Pareto du fait notamment de l'existence de biens publics mondiaux. Dans la section 2, on analyse théoriquement l'efficacité dynamique de l'aide. On montre qu'en finançant les investissements dans les pays pauvres, l'aide peut y promouvoir la croissance économique et ainsi conduire à éliminer la pauvreté dans le monde. Après plus de cinquante ans d'aide, la pauvreté a-t-elle baissé? C'est ce qu'on étudie dans lasection 3. Les analyses sur l'évolution de la pauvreté mondiale, très controversées, ne permettent pas de dégager une réponse claire à cette question. Le résultat de cinquante ans

    d'aide au développement vis-à-vis de l'objectif de réduction de la pauvreté est ambigu. Ceci nous amène à considérer dans la section 4 les critiques à l'encontre de la politique d'aide au développement.

    Section1 : Aide internationale, justice et efficacité

    L'inégalité dans les dotations entre pays est tout à fait manifeste. Certains pays sont dotés de terres arables, de ressources naturelles, ... alors que d'autres doivent consacrer de gros efforts à leurs sols pour les rendre cultivables. Les pays pauvres, vulnérables, sont le plus souvent touchés par des catastrophes naturelles (raz de marée, sécheresse, ...). De ce fait, si l'on cherche dans la théorie économique ce qui peut justifier l'aide internationale, on est amené à considérer les théories économiques de la justice: Rawls (1971, 1996), Sen A. (1980, 1999), Fleurbaey (1996), Roemer (1996, 2000), ... Malheureusement les critères de justice sont tous problématiques et débouchent sur des politiques de redistribution contestables. Les économistes préfèrent détourner le problème en invoquant l'altruisme des plus nantis et l'amélioration du bien-être de tous : l'aide serait alors une politique pour générer des améliorations au sens de Pareto.

    1. L'altruisme, le besoin de justice et l'aide internationale

    Des principales caractéristiques des institutions de l'aide internationale, on peut citer, quoique à des degrés différents, l'altruisme et le besoin de justice. Comment l'aide se justifie-t-elle à partir de ces deux principes?

    1.1. Altruisme et aide internationale

    On peut admettre que si une préoccupation d'aider les pays pauvres existe, c'est que les pays « riches » sont altruistes. Il existe plusieurs façons de formaliser l'altruisme. Pour simplifier, nous considérons qu'à partir d'un certain niveau de bien-être, la consommation supplémentaire devient une nuisance lorsqu'elle se fait au détriment des autres. Supposons qu'il existe deux pays A et B (représentant par exemple le Sud et le Nord), et que leurs courbes d'indifférence dans la boîte d'Edgeworth ont l'allure suivante:

    Figure I--14 : Altruisme, redistribution et amélioration au sens de Pareto

    L'utilité du pays A augmente classiquement jusqu'au point C où elle atteint un maximum. Passé ce point, toute consommation supplémentaire le fait passer sur un niveau d'utilité inférieur. Il en est de même pour le pays B qui atteint un niveau de saturation lié à son altruisme au point A. Les points de tangence des courbes d'indifférence au nord*est de C et au sud-Ouest de A, respectent

    l'égalité des TMS sur la courbe des contrats, mais ne sont pas des optimums au sens de Pareto. Seuls les points entre A et C sont des optimums de Pareto. Cette situation est représentée à droite sur la courbe des possibilités d'utilité. Le pays B a un maximum d'utilité en A, il a en E le même niveau d'utilité qu'en F. En E il consomme plus de biens qu'en F mais compte tenu de son altruisme, son utilité reste inchangée. Elle est identique à celle en F.

    Ce simple cadre de réflexion nous permet de montrer que l'aide au développement peut se trouver justifiée par le principe de l'efficience parétienne. Si l'allocation internationale des ressources est en E, une réallocation qui fait passer de E à F (transfert de ressources du pays B vers A) est une amélioration au sens de Pareto. L'utilité du pays A augmente et laisse celle du pays B inchangée. Dans ces conditions, seule la partie AC de la courbe des contrats et/ou de la CPU est optimale. L'aide internationale peut viser à atteindre ces points. On a là une justification de l'aide internationale fondée sur l'altruisme et le critère de Pareto. Les situations de pauvreté extrême (nord-est de C et sud-ouest de A) peuvent sans doute expliquer un altruisme interétatique. Les engagements des pays riches à consacrer une partie de leur revenu (0,7% du PIB) à l'aide aux pays pauvres peuvent s'expliquer ainsi, par l'altruisme. Une autre justification de l'aide internationale peut se trouver dans le besoin de justice.

    1.2. Allocations injustes, aide internationale, justice

    Si l'on reconsidère la figure ci-dessous, des améliorations au sens de Pareto sont possibles au point E. Une politique d'aide internationale peut alors se justifier. Mais il se peut fort bien que l'état initial soit au point A, c'est-à-dire un optimum de Pareto. Comme le dit Sen (1970), « une économie peut être à l'optimum de Pareto et être parfaitement dégueulasse ». Dans ce cas il faut prendre en compte des critères autres que celui de Pareto, pour justifier la politique d'aide internationale. Un graphique célèbre des manuels de microéconomie26 résume les choix de répartition auxquels conduisent différents critères de justice. Si on considère la figure suivante:

    Le critère de Pareto nous conduirait à un état entre A et C. Le critère Utilitariste à l'état B27. Le critère Egalitariste en D sur la droite à 45°. Le critère de Bergson-Samuelson à un état entre A et

    C. Enfin le critère de Rawls nous conduirait en C.

    Les principales critiques de ces solutions sont bien connues. L'égalitarisme n'est pas efficient (le point D n'est pas un optimum de Pareto). Le critère de Bergson-Samuelson ne nous apporte rien par rapport au critère de Pareto. Le critère de Pareto ne nous permet pas de choisir entre les points efficients, c'est un critère d'efficience et pas de justice. Seul le critère de Rawls paraît à l'abri de critiques fortes, mais l'on sait qu'il pose le problème dit des choix dispendieux. De quel

    26 Voir par exemple Wolfelsperger (1995).

    27 En supposant une pondération donnée pour le Nord et le Sud.

    droit diminuer le bien-être du Nord (peut être de beaucoup), pour augmenter (peut-être de très peu) le bien-être du Sud? Dans le cas envisagé, si l'état initial est en E, il se peut qu'il existe un consensus politique pour passer au point F puisque c'est une amélioration au sens de Pareto. Tous les points entre A et F sont à partir de E des améliorations au sens de Pareto. Mais un état initial en E présuppose qu'il existe une inefficience dans la répartition initiale (due par exemple à l'altruisme). En fait, il se peut fort bien que l'état initial soit au point A. C'est-à-dire parfaitement injuste comme le point E, et Pareto optimal. Alors on voit mal comment dégager un consensus pour mener une politique de redistribution, c'est-à-dire une politique de transfert de richesse ou d'aide internationale. Il en est ainsi parce qu'il est très difficile de choisir un critère; chacun présentant des avantages et des inconvénients. Vaut-il mieux être en A, B ou C ? Il n'y a pas de solution ; un tel débat semble éternel. Face à cette difficulté, les économistes détournent le problème. Puisque la répartition de la richesse existante est une question insoluble, ils reviennent au critère primordial de l'efficience. L'aide internationale peut conduire à une amélioration du bien-être de tous (Pareto optimale). Elle est alors une politique efficiente et en ce sens, justifiée.

    2. L'efficience et l'aide internationale

    Du point de vue de l'efficience, si l'on cherche dans la théorie économique ce qui peut justifier l'aide internationale, on est amené à considérer l'existence de biens publics mondiaux (paix, environnement, santé),de certains défis planétaires (pauvreté, migration) et des externalités interétatiques. L'aide internationale est dans ce cas la politique à mener pour améliorer le bien-être de tous : il s'agit donc d'une politique Pareto optimale, et donc efficiente.

    2.1. Les biens publics mondiaux, l'aide internationale et l'efficience

    Un ensemble de justifications de l'aide internationale se fonde sur la nécessité de préserver les biens publics mondiaux. Le bien public le plus important est peut-être la paix. Il est évident que, les pays voisins des Etats en guerre civile supportent une partie des coûts de ces conflits. Cela justifie une action publique internationale pour les prévenir. En effet, les conflits armés sont souvent considérés comme une recherche de rente. Le gouvernement contrôle les rentes engendrées par l'Etat et un mouvement rebelle tente de s'emparer de cette capacité de contrôle. Dans cette approche, l'aide augmente les ressources de l'Etat. Le gouvernement ayant plus de moyens, peut investir dans sa capacité de défense. Il augmente les dépenses militaires : si vis pacem para bellum. Ce qui augmente le coût pour les rebelles de s'approprier l'Etat. L'aide peut ainsi prévenir une rébellion par dissuasion. En outre, avec les ressources d'aide, le gouvernement peut augmenter les dépenses sociales ; il en résulte une baisse de la tension de révolte, et donc une baisse de l'incitation à se rebeller. Collier (2004) estime que les bénéfices tirés d'une situation de sécurité représentent à eux seuls 40% du coût de l'aide.

    Le second bien public international important est l'environnement. Le défi environnemental est un grand enjeu de notre époque. L'émission de gaz à effets de serre détruit progressivement la couche d'ozone pourtant indispensable à la vie sur la terre. Le réchauffement planétaire et la fonte des glaciers polaires qui s'en suit augmentent les risques de catastrophes naturelles (inondations, sécheresse, raz de marée, ...). Les sécheresses se prolongent rendant difficiles les activités agricoles. Les problèmes environnementaux génèrent des coûts énormes auxquels aucun pays ne peut à lui seul faire face. Seule une action internationale commune peut permettre d'endiguer ses maux. Dans ce cadre, le financement des projets écologiques ou l'assainissement de l'environnement à partir de l'aide internationale est une politique efficiente.

    Un autre domaine concerné par la question des biens publics internationaux est la santé. Certaines maladies comme le VIH/SIDA, la tuberculose, la poliomyélite, le paludisme, ... bien que plus préoccupantes dans les pays du Sud, entraînent des externalités internationales dont les coûts sont très élevés. Les traitements et préventions encore loin de la portée des pays du Sud, nécessitent une action collective (recherche par exemple) et une prise en charge sur le plan mondial. Lorsque par exemple la grippe aviaire (le virus H5N1) frappe la Turquie, il est de l'intérêt des pays riches d'Europe d'aider la Turquie à combattre cette maladie, au risque d'être aussi contaminés. L'aide internationale améliore ainsi le bien-être de tous. Dans ces conditions, l'aide est une politique générant des améliorations au sens de Pareto. Une autre justification de l'aide est l'existence d'externalités interétatiques qu'il faut internaliser.

    2.2. Les externalités interétatiques, l'aide et l'efficience

    Il y a eu ces dernières années de nombreuses discussions sur les externalités interétatiques. Les pays industrialisés utilisent de manière abusive, certains biens publics mondiaux épuisables, et dégagent trop de déchets nuisibles à l'humanité (gaz à effets de serre, pollution des eaux, bruit, ...). Certains auteurs considèrent que les externalités interétatiques s'avèrent des explications importantes de la stagnation des pays en développement28 (Gunning, 2004). De ce fait, il est optimal de mettre en

    place une taxation pour compenser ces externalités négatives. Ainsi, l'aide internationale peut-elle être considérée comme un système de taxes, où les pays pauvres paient un impôt négatif (puisqu'ils ne polluent pas) ; et les pays industrialisés, auteurs des nuisances paient des taxes sur leurs revenus. De ce point de vue, l'objectif des 0,7% du PNB en aide internationale fixé par l'ONU peut être appréhendé comme une taxe proportionnelle au revenu. En somme, l'aide internationale n'est pas seulement un geste de générosité. Au-delà de l'altruisme des plus nantis, le besoin de justice, les biens publics mondiaux, et les externalités interétatiques nécessitent l'intervention d'une force publique internationale. On peut donc considérer le monde actuel comme une entité dans laquelle l'ONU joue le rôle de puissance publique, et où les Nations sont considérées comme les individus. Telle une politique de redistribution à l'intérieur d'une même Nation, la puissance publique (l'ONU) taxe le revenu des plus riches (d'où l'objectif des 0,7% du PNB des pays développés) pour subventionner la consommation des plus pauvres (médicaments contre le paludisme et le Sida, aide alimentaire, fourniture d'eau, ...) et pour financer la production de biens publics (recherche, environnement, paix). Ceci confère à l'aide internationale un fondement suffisamment solide. La politique d'aide au développement est donc une politique efficiente. Il s'agit alors d'améliorer le bien-être de tous (amélioration au sens de Pareto). Une autre façon d'atteindre cet objectif (amélioration du bien-être de tous) est de repousser la frontière des possibilités de production sur le plan mondial par la promotion de la croissance économique dans les pays pauvres. La théorie économique nous enseigne que le capital a une productivité marginale décroissante. Plus on est riche, moins le capital est productif. Sur cette base, le capital sera plus productif dans les pays en développement (on peut citer l'exemple de la Chine et de l'Inde aujourd'hui). Rediriger une partie des ressources des pays du Nord vers le sud crée donc des améliorations au sens de Pareto. L'aide internationale investie en capital dans les pays pauvres est donc une politique efficiente. Elle augmente la production globale. La frontière mondiale des possibilités de production est donc repoussée vers le haut. On élimine ainsi le problème statique de la répartition. La figure ci-dessous montre que tout le monde y gagne

    28 On peut citer à titre d'exemples, les pluies acides et les longues sécheresses répétées alors que les pays en développement vivent essentiellement de l'agriculture. D'autre part, selon l'OMS, une récente épidémie de méningite en Afrique sub--saharienne serait imputable aux changements climatiques. Des hausses de température dues au réchauffement planétaire accélèrent les cycles de

    Figure I--16 : Aide, croissance économique et amélioration au sens de Pareto

    La croissance économique dans les pays pauvres peut permettre à l'humanité de faire face à certains défis majeurs comme la pauvreté, la migration, l'insécurité et le terrorisme. L'exil économique et la criminalité sur le plan mondial sont intrinsèquement liés à la pauvreté dans les pays en développement. La lutte contre la pauvreté peut être envisagée comme un « bien public » que la communauté internationale doit financer. Cette lutte ne peut passer que par l'augmentation du revenu dans les pays pauvres. Promouvoir la croissance économique dans les pays du Tiers-monde devient alors une nécessité ; et le moyen proposé pour y arriver est le financement de l'investissement dans les pays pauvres à partir de l'aide au développement. Se pose la question de savoir comment l'aide favorise-t-elle la croissance économique et si la croissance économique réduit réellement la pauvreté?

    Section 2 : Aide, croissance économique et lutte contre la pauvreté

    Dans la section précédente, on a vu que la croissance économique dans les pays pauvres qui augmente la richesse globale, génère des améliorations au sens de Pareto. S'il y a donc une politique à mener dans ce sens, elle pourrait faire objet de consensus. Dans un premier temps, on présente l'importance pour le revenu des pauvres d'une croissance économique soutenue à long terme. On montre ensuite que l'aide peut permettre d'atteindre un tel objectif, et conduire à l'élimination de la pauvreté dans le monde.

    Figure I--17 : Aide, croissance économique et amélioration au sens de Pareto

    La croissance économique dans les pays pauvres peut permettre à l'humanité de faire face à certains défis majeurs comme la pauvreté, la migration, l'insécurité et le terrorisme. L'exil économique et la criminalité sur le plan mondial sont intrinsèquement liés à la pauvreté dans les pays en développement. La lutte contre la pauvreté peut être envisagée comme un « bien public » que la communauté internationale doit financer. Cette lutte ne peut passer que par l'augmentation du revenu dans les pays pauvres. Promouvoir la croissance économique dans les pays du Tiers-monde devient alors une nécessité ; et le moyen proposé pour y arriver est le financement de l'investissement dans les pays pauvres à partir de l'aide au développement. Se pose la question de savoir comment l'aide favorise-t-elle la croissance économique et si la croissance économique réduit réellement la pauvreté?

    1. Effets bénéfiques de la croissance économique pour le revenu par tête moyen à long terme

    Barro et Sala-i-Martin (1996) soulignent dans la célèbre introduction de leur livre, les conséquences à long terme d'une petite différence de taux de croissance économique. Pour évaluer la répercussion sur de longues périodes des différences des taux de croissance, on peut se référer à l'exemple suivant relatif à trois pays africains. En 1960, le Botswana, la Zambie et le Zimbabwe avaient des niveaux de revenu par tête similaires : 650$ pour la Zambie, 467$ pour le Zimbabwe, 313$ pour le Botswana. Remarquons toutefois que le revenu par tête zambien représentait plus du double de celui botswanais. Ces trois pays se situent dans une même zone géographique. Entre 1960 et 2005, le Botswana a connu un taux de croissance moyen de 6,44% ; celui du Zimbabwe est 0,42% et la Zambie -0,91%. La figure ci-dessous présente l'évolution de leur indice de PIB par habitant de 1965 à 2005.

    Figure I-18 : Le Botswana: début d'un miracle en Afrique?

    La croissance économique a permis au Botswana de multiplier son PIB par habitant moyen par 16,58 sur la période 1960-2005. Celui du Zimbabwe avec un taux de croissance de 0,42% n'a été multiplié que par 1,2 et celui de la Zambie a régressé. Il a été multiplié par 0,66. Le revenu par tête au Botswana vaut en 2005 plus de 12 fois celui zambien dont il valait moins de la moitié il y a moins de 50 ans. Et ceci à cause de leur différence de croissance. Supposons que les trois pays maintiennent ces taux de croissance économique pendant cent ans; c'est-à-dire jusqu'en 2060. Le tableau ci-dessous présente les estimations du revenu par tête pour les trois pays.

    Tableau I-7 : Effets de différents taux de croissance économique

    Dans 50 ans environ, le revenu par tête au Botswana sera voisin de 160000$. Il vaudra alors plus de 4 fois le revenu moyen par tête des Etats-Unis aujourd'hui (37000$). Le Botswanais moyen sera alors 4 fois plus riche que l'Américain moyen l'est aujourd'hui. Alors que le revenu par tête zimbabwéen qui croît au taux de 0,42% ne sera que 710. Mais, si au lieu de ce taux (6,44%), le revenu par tête au Botswana croissait de 5,44% ; c'est-à-dire 1% de moins que le taux de croissance actuel, en 2060 le PIB par tête au Botswana vaudrait environ 62500$ ; c'est-à-dire pratiquement le tiers du montant de la prévision précédente. Ainsi, même une petite différence de taux de croissance, lorsqu'elle est cumulée sur une période relativement longue, peut créer des écarts considérables de bien-être. C'est pourquoi la croissance économique est l'élément clé dans les pays pauvres pour leur développement.

    Malheureusement, plusieurs pays connaissent des taux de croissance économique semblables à ceux du Zimbabwe et de la Zambie. Sur la même période (1960-2005), le Timor-Leste a connu un taux de croissance moyen de 0,57% ; l'Uruguay 0,8% ; le Burundi 0,45% ; l'Argentine 0,72% ; l'Ethiopie (0,64%), ... Et il y a des situations pire : République Centrafricaine -0,69% ; République Démocratique du Congo -2,98% ; Haïti -1,14% ; Djibouti -4,34% ... Notre exemple ci-dessus montre que si rien n'est fait pour aider la Zambie ou le Zimbabwe, 50 ans plus tard, ils

    resteront toujours pauvres et l'écart de niveau de vie entre le Botswanais moyen et le Zimbabwéen moyen sera considérable. Pour citer Barro et Sala-i-Martin (1996) : « si nous voulons comprendre pourquoi les niveaux de vie diffèrent tant entre pays, nous devons déterminer les raisons d'écarts aussi prononcés entre leurs taux de croissance économique à long terme. Car même de petites différences entre ces taux de croissance, lorsqu'elles sont cumulées sur une génération ou plus, engendrent de remarquables écarts entre les niveaux de vie ». Une question fondamentale se pose alors. Pour paraphraser Lucas, « la communauté humaine peut-elle agir pour que l'économie zambienne puisse croître au même rythme que le Botswana ? Si oui, que faut-il faire au juste ? Sinon, que peut-il y avoir dans la nature de la Zambie pour qu'il en soit ainsi ? » Pour initier le processus de croissance dans les pays pauvres, la solution avancée par la Banque mondiale est que la communauté internationale finance leur investissement grâce à l'aide internationale. En augmentant leur stock de capital grâce à l'aide, les pays pauvres pourront durablement connaître la croissance économique et ainsi vaincre la pauvreté.

    2. La philosophie de la Banque mondiale: promouvoir la croissance dans les pays pauvres à partir de l'aide pour éliminer la pauvreté

    Depuis les années 1950, les institutions de Bretton Woods soutiennent la thèse selon laquelle l'aide internationale est la politique à mener pour promouvoir la croissance économique dans les pays pauvres et vaincre la pauvreté. Ces organismes tels le Fond Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale ont choisi leurs politiques sur la base d'un consensus : les pays pauvres manquent d'investissement, car ils manquent d'épargne. En augmentant leurs investissements grâce à l'aide internationale, on augmente leurs taux de croissance économique. La croissance du revenu produit à son tour, des effets bénéfiques pour la réduction de la pauvreté. L'aide au développement permettra ainsi d'éliminer la pauvreté dans le monde.

    2.1. Aide internationale et croissance économique

    Les analyses et prévisions de croissance économique que fait la Banque mondiale concernant l'efficacité de l'aide au développement sont essentiellement basées sur le cadre théorique du modèle Harrod-Domar (Easterly 1999, 2001)29que nous présentons en bref ci-dessous. La production totale d'une économie Y est liée aux stocks de capital ( K ) et de travail ( L) de l'économie considérée par la relation suivante:

    Dans les pays pauvres, il y a une pléthore de main d'oeuvre; et donc le facteur limitant est le facteur capital. De là, l'output total peut s'écrire simplement:

    Les productivités moyenne ( PMK ) et marginale ( PmK ) du capital sont donc données par:

    (2)

    Les productivités moyenne et marginale du capital sont donc égales et constantes. Il y a de ce fait, une hypothèse implicite dans ce modèle; celle selon laquelle la productivité du capital

    29 Easterly (1999 ; 2001 ; 2005) fait une vive critique à ce modèle qu'il juge inadapté à l'analyse du développement. On y reviendra plus loin.

    n'est pas décroissante. L'équation (1.b) indique que la production totale est proportionnelle au stock de capital dans l'économie.

    Le stock de capital augmente grâce à l'investissement. Si on ignore la dépréciation du capital, la variation ou l'augmentation du stock de capital est égale à l'investissement.

    Soit K0 le stock de capital initial et I1 l'investissement réalisé au cours de la période t , qui peut être d'une ou plusieurs années. La production totale de la période t est donnée par:

    (3)

    L'augmentation de la production totale que génère l'investissement réalisé (ou encore l'augmentation du stock de capital) est donnée par:

    (4)

    En divisant le montant de l'investissement réalisé au cours de la période t par l'augmentation de la production qu'il génère au cours de la même période, on obtient un coefficient indicateur de la qualité ou encore de l'efficacité de l'investissement réalisé.

    (5a)

    Le terme est appelé ratio incrémental capital-output (en anglais incremental capital-

    output ratio; en abrégé ICOR). C'est l'inverse de la productivité moyenne et marginale du capital. Il est supposé dépendre des caractéristiques de chaque économie, constant et compris entre 2 et 5 dans les analyses de la Banque mondiale (Easterly, 1999).

    L'équation (5.a) implique que:

     

    (5b)

    Ainsi, plus l'ICOR est élevé, moins l'investissement est rentable. Une valeur d'ICOR élevée signifie que l'investissement réalisé n'est pas d'une bonne qualité ou que la productivité du capital dans l'économie considérée est faible30. A partir de la valeur de l'ICOR, on peut prévoir l'augmentation du PIB si on connaît le montant de l'investissement réalisé. Supposons par exemple qu'une économie A donnée à un ICOR égal à 3. Selon ce modèle, il faut un investissement de 3$ pour augmenter le PIB de 1$. Reconsidérons l'équation (1b). En différenciant la production totale et en divisant chaque membre par Y, et en tenant compte du fait que le stock de capital de l'économie augmente grâce à l'investissement (la dépréciation du capital est ignorée), on obtient l'expression de ã le taux de croissance de la production totale (PIB) :

    (6)

    i représente le taux d'investissement de l'économie.

    Cette présentation stylisée de la croissance du produit total signifie un fait remarquable : le capital (créé par les investissements en usines, en équipements, ...) est le déterminant de la croissance du PIB et il dépend de l'épargne. Le taux de croissance de la production totale est d'autant plus élevé que l'investissement réalisé ( i ) est élevé, ou que la qualité de l'investissement est bonne (ICOR faible). Lorsqu'on multiplie le taux d'investissement d'une

    économie de á %, on multiplie son taux de c par 1 á õ · ?? pour cent.

    30 Ceci peut être lié à des handicaps structurels de l'économie. On y reviendra plus loin.

    Soit une économie B donnée. Si au cours d'une période t, elle enregistre un taux d'investissement de 25% et que le taux de croissance de son revenu total (PIB) est de 6%, alors son ICOR est de :

    Par hypothèse, l'investissem niquement par l'épargne lorsque le pays vit en
    autarcie (pas de transfert avec l'extérieur). En supposant que toute l'épargne est investie, on a l'égalité suivant: j = s . Avec s désignant le taux d'épargne de l'économie. Le taux de croissance de la production totale peut encore s'écrire alors:

    (7)

    Pour une économie dont l'épargne est faible, la croissance sera aussi faible.

    Pour augmenter le taux de croissance du revenu, il faut et il suffit d'augmenter le taux d'investissement ( j ) et donc le taux d'épargne ( s ).

    De là, le modèle semble fournir une explication claire des différences de croissance entre les économies. Les pays pauvres caractérisés par un stock de capital faible, ont un revenu faible; et donc un taux d'épargne faible. En effet, du fait que la consommation a un niveau incompressible, lorsque le revenu est faible, sa proportion consommée est élevée; le taux d'épargne est dans ce cas faible. La faiblesse de l'épargne dans les pays pauvres contraint l'investissement. Leur taux de croissance économique est donc condamné à rester faible. Ils sont ainsi fermés dans le cercle vicieux de la pauvreté : c'est la trappe31 à sous-développement.

    Figure I--19 : Trappe à pauvreté dans le modèle Harrod--Domar

    Connaissant l'expression du taux de croissance du revenu total (équation 7), on peut déterminer l'expression du taux de croissance économique (taux de croissance du revenu par habitant) si on connaît le taux de croissance démographique.

    Soit y le revenu moyen par habitant, Y le produit total et L la population totale. Il vient: y =Y/ L . On a alors : In y = InY- InL . De là, on détermine l'expression dey ã le taux de croissance du revenu par habitant en fonction de ã le taux de croissance du produit total et de n le taux de croissance démographique.

    On a :

    (8.1)

    Ou encore:

     

    (8.2)

    On déduit de l'équation (8) que, le taux de croissance démographique étant fixé (supposé connu),

    31 On reviendra plus loin sur ce concept de trappe.

    il existe une valeur minimale pour le taux d'épargne pour que l'économie croisse à taux nul.

    Le niveau minimal de taux d'épargne pour que la croissance économique ne soit pas négative est donc donné par:

    (9.1)

    Ainsi, pour une économie dont l'ICOR est égal à 4 et le taux de croissance démographique 2,5%, il faut que l'épargne soit égale a 10% pour assurer un maintient du niveau de revenu par habitant.

    La représentation graphique suivante montre le rôle de l'épargne:

    Figure I--20 : Le rôle de l'épargne

    Lorsque le taux d'épargne est inférieur au seuil économie croît à taux négatif, puisque

    le niveau de l'épargne domestique ne permet pas au taux de croissance garanti ( s/õ ) de s'ajuster

    au taux de croissance naturel ( n ). Au-delà de ce seuil le taux , de croissance devient positif.

    Lorsqu'une éie est à gauche de , si elle veut sortir de la trappe, elle

    d gmenter son épargne pour franchir ce seuil. Dans le cas des pays pauvres, cette
    augmentation est impossible du fait de la faiblesse de leurs revenus. D'où la nécessité d'une aide extérieure (apport extérieur d'épargne) pour combler le déficit d'épargne dans ces économies. En finançant massivement l'investissement dans les pays pauvres grâce à l'aide internationale au développement, les pays tombés dans la trappe à pauvreté peuvent amorcer leur processus de croissance économique et s'échapper de la trappe. La croissance économique pourra ensuite s'auto entretenir. D'où le « big push » envisagé dans les années 1960.

    Le modèle permet de déterminer l'investissement manquant à une économie pour atteindre un taux de croissance initialement fixé comme cible. On détermine ainsi le besoin d'aide extérieur de l'économie en fixant un taux de croissance objectif correspondant à la croissance naturelle de l'offre de main-d'oeuvre (taux de croissance démographique).

    On a :

    (10)

    Où désigne le taux de croissance économique souhaité (considéré comme cible);

    = l'investissement en volume nécessaire pour atteindre ce taux, S l'épargne

    domestique en volume et = l'investissement manquant pour atteindre le taux de croissance

    souhaité. Pour permettre à l'économie d'atteindre le taux de croissance ,

    il faut et il suffit de lui apporter le volume d'investissement manquant grâce à l'aide extérieure. On a alors:

    Z=Im (où Z désigne le montant à transférer en aide internationale). C'est le « financing gap » ; c'est-à-dire le manque de financement de l'économie. En lui apportant une aide de ce montant, on obtient un taux de croissance économique égal au taux souhaité:

    (11)

    Le volume d'aide nécessaire pour atteindre la croissance cible est alors donné par l'expression :

    (12)

    Par exemple pour la Zambie, le PIB en $ US était estimé en 2004 à 5,4 milliards ; et l'épargne totale à 1,01 milliards (Banque mondiale, 2006). Si on suppose que l'ICOR vaut 4.5 en Zambie, et si compte tenu de la croissance démographique du pays, on se fixe un objectif de croissance de 9% pour le PIB de ce pays pour l'année 2005, le volume d'aide au développement à lui accorder pour atteindre la croissance cible serait:

    Il faudra alors un apport de 1,177 milliards de $ à la Zambie en aide extérieure pour qu'elle puisse atteindre le taux de croissance économique souhaité.

    Une variante du modèle du « financing-gap », mais qui lui est très voisine est le modèle à « double déficits » (ou encore « two-gap model » en anglais) de Hollis Chenery et Alan Strout 1966). Cette variante du modèle détermine le manque de financement de l'économie à partir de deux déficit: le déficit d'épargne (ou déficit intérieur) et le déficit au niveau des échanges en capital avec l'extérieur (ou déficit extérieur encore appelée «contrainte des devises»). Le modèle part de l'équilibre global emplois-ressources, qui s'écrit en comptabilité nationale lorsque l'économie est ouverte avec l'égalité:

    (13)

    M désigne les importations et X les exportations. L'équation (13) signifie que le déficit intérieur d'épargne (investissement - épargne) est égal au déficit extérieur (importations - exportations). Mais cet équilibre est ex-post. Les deux déficits peuvent être inégaux ex-ante. Ce qui affecte le taux de croissance économique. Le modèle à double déficit peut se résumer ainsi:

    -- En économie fermée

    (14)

    Et le taux de croissance économique est:

     

    (15)

    Le taux de croissance cible étant fixé, le besoin de financement se détermine comme précédemment dans le cadre du modèle Harrod--Domar.

    -- En économie ouverte:

    Les importations pour les pays en développement sont scindées en deux catégories: les importations de biens et services échangeables, et les importations en capital. Si chaque unité de capital importé était échangeable avec la production intérieure, le taux de croissance serait:

    En réalité, dans les pays en développement, l'augmentation de la capacité de production de ÄY nécessite 13 unité de capital importé (les biens d'équipements notamment). Soit F l'investissement en capital importé. On a :

    (16)

    Pour financer cet investissement en capital importé, le pays recourt aux devises gagnées à l'exportation. Soit å la part de la production intérieure exportée.

    L'équilibre est assuré si :

    (17)

    Ce qui suppose que le pays doit suffisamment produire des biens d'exportations pour couvrir les importations en capital. Or les prix des matières premières et des produits exportés (café, cacao, ...) sont faibles par rapport aux biens d'équipement importés (ordinateurs, tracteurs, ...). On note en outre pour les pays pauvres, une détérioration des termes de l'échange. Les prix des biens exportés sont en baisse constante32 alors que le prix des biens d'équipement déjà élevés, sont en augmentation.

    On a donc:

    (18)

    Dans ce cas, la capacité d'importer qui dépend des devises gagnées de l'exportation contraint la croissance économique. Entre le taux de croissance garanti par les exportations ( ) å 13 et le taux de croissance garanti par l'épargne ( ) ( ) 1 s õ · , le taux de croissance effectif sera le plus petit des deux (Chenery et Strout, 1966). Une solution au problème est donc que l'aide internationale finance également le déficit extérieur pour assurer les importations en capital nécessaires à la croissance souhaitée.

    Néanmoins, depuis 1980, la Banque mondiale utilise une version remaniée du modèle à double déficit. Elle introduit la substitution entre les biens importés et les biens produits. La propension à importer n'est plus fixe, elle varie en fonction du différentiel de prix entre les deux catégories de biens. Le maniement du taux de change devient alors le moyen de lever la contrainte en devises. L'évaluation du besoin de financement des pays pauvres (et donc de l'aide à leur octroyer) se réalise alors selon le seul cadre du modèle Harrod--Domar, comme étudié précédemment.

    C'est sur cette base que se fait le calcul des aides à la Banque mondiale (Easterly 1998, 1999b, 2005). A partir d'une estimation par pays, on peut déterminer le volume total d'aide nécessaire sur le plan mondial. Le programme actuel des OMD (Objectifs du Millénaire pour le développement) est aussi entièrement fondé sur cette philosophie. La citation ci-dessous montre que c'est bien sur la base de ce modèle qu'on a estimé le volume d'aide nécessaire pour qu'à l'horizon 2015, on puisse réduire de moitié par rapport à son niveau de 1990, la pauvreté dans le monde33.

    Pour estimer l'aide additionnelle nécessaire pour réduire la pauvreté de moitié par rapport à son niveau de 1990, nous commençons par un modèle simple, le modèle de croissance à «double-déficits» selon lequel, le taux de croissance dépend du niveau d'investissement et d'un paramètre d'efficacité (ICOR)34 qui permet de déterminer la croissance économique à partir de l'investissement », (Devarajan, Miller et Swanson in World Bank Policy Research Working Paper 2819, Avril 2002).

    32 Selon les estimations de l'Organisation des Nations Unies (ONU), de 1986 à 1990 (en 5 ans), la chute des cours des produits de base a coûté 50 milliards de dollars à l'Afrique.

    33 www.un.org/objectif du millénaire pour le développement

    34 Le terme entre parenthèse a été ajouté juste pour précision.

    En conclusion, l'aide au développement peut être une solution aux problèmes de croissance économique dans les pays pauvres. Parce qu'ils ont un niveau de revenu faible, les pays du Tiers*monde n'investissent pas assez. Leur stock de capital est par conséquent faible; ce qui contraint le revenu aussi à rester faible. Ils sont ainsi enfermés dans le cercle vicieux de la pauvreté. En finançant massivement l'investissement dans ces pays grâce à l'aide internationale, on augmente significativement leur stock de capital. Par là, on peut les amener à briser le cercle vicieux du sous-développement (ou à sortir de la trappe), amorcer le processus de croissance économique qui pourra ensuite s'auto entretenir. Le second pilier (ou fondement) de la philosophie de la Banque mondiale est la thèse selon laquelle, grâce aux effets bénéfiques de la croissance économique (ou du revenu moyen), l'aide pourra éliminer la pauvreté dans le monde. C'est ce second fondement que nous examinons par la suite.

    2.2. Croissance économique et réduction de la pauvreté

    Une vaste littérature s'est développée ces dernières années sur le lien entre la croissance économique et la réduction de la pauvreté. Même si aucune étude n'a

    montré que la croissance économique s'accompagne de l'augmentation de la pauvreté absolue, certains auteurs soutiennent que le fruit de la croissance économique peut être capté par une minorité et que finalement, elle s'accompagne d'inégalités plus marquées. Dans ce cas, la croissance du revenu moyen va entraîner l'augmentation de la pauvreté relative (écart entre riches et pauvres) au sein d'un même pays.

    Néanmoins, les analyses de Chen et Ravallion (1997) sur un échantillon de 42 pays et celles de Janvry et Sadoulet (1999) ne permettent pas de mettre en évidence une influence de la croissance économique sur le niveau des inégalités, et donc la pauvreté relative. La célèbre étude de Dollar et Kraay (2000) montre par contre que la croissance économique est bénéfique pour les pauvres. Même si le lien entre la croissance économique et les inégalités dans les pays pauvres reste à élucider, plusieurs auteurs (Timmer 1997, Chen et Ravallion 1997, Ravallion Bruno et Squire 1998, Foster et Szekely 2002) soutiennent que l'augmentation du revenu par tête moyen d'un pays grâce à la croissance économique entraîne l'augmentation du revenu des plus démunis du pays. La croissance économique réduit donc la pauvreté.

    Dollar et Kraay (2000) définissent les plus démunis d'une économie comme la part de la population qui occupe le premier quintile du revenu ; c'est-à-dire 20%les plus pauvres. En estimant la corrélation entre le revenu par tête moyen au niveau 80 national et le revenu par tête des plus pauvres du pays, ils montrent que la croissance économique s'accompagne de l'augmentation du revenu des plus pauvres. La croissance est donc bénéfique pour les plus démunis. C'est ce que la figure suivante illustre.

    Figure I--21 : Corrélation entre le PIB par tête et le revenu des pauvres

    L'étude couvre quarante ans, et porte sur 125 pays. La figure fait dépendre le revenu par habitant des plus démunis (en ordonnées) du revenu par habitant moyen au niveau national (en abscisses). Chaque point correspond à un pays. L'Ethiopie par exemple avec un revenu global annuel moyen par tête de 316$ et un revenu moyen de 100$ pour les pauvres est représentée sur la figure par le point le plus à gauche. Le revenu moyen35par habitant pour l'ensemble des pays incorporés dans l'étude varie de 316$ à 18673$. Le revenu des pauvres varie lui de 42$ à 8769$. On remarque une corrélation très étroite entre les deux variables (R2 élevé). La pente de la droite de régression est statistiquement égale à 1. Cela signifie qu'une augmentation du revenu moyen par habitant se traduit par une augmentation du revenu des pauvres dans la même proportion. Néanmoins, cette forte corrélation est à prendre avec réserve dans la mesure où la manière dont le lien est présenté ci-dessus ne permet pas d'éviter le risque de surestimation du coefficient de corrélation entre les deux variables lorsqu'elles ne sont pas stationnaires. La figure ci-dessous illustre cette fois-ci, la relation entre les taux de croissance des deux variables; c'est-à-dire le taux de croissance du revenu moyen par habitant et celui du revenu par habitant des pauvres.

    35 Les revenus utilisés ici sont en termes réels; c'est-à-dire corrigés en fonction du pouvoir d'achat des devises locales.

    Figure I--22 : Corrélation entre les taux de croissance

    Chaque point de cette figure associe pour un pays donné, le taux de croissance du PIB par tête (en abscisse) au taux de croissance du revenu des plus pauvres (en ordonnée). L'idée principale est de savoir si la croissance économique est pro--pauvre. On remarque que la relation est moins étroite que celle de la figure précédente. Ce résultat est tout à fait prévisible dans la mesure où la variabilité de la variable endogène n'est pas la même dans le premier cas (niveau logarithmique) et dans le second cas (taux de croissance économique). La corrélation reste cependant élevée. La croissance du revenu des pauvres est expliquée à plus de 50% par la croissance du revenu moyen. D'autres facteurs (dont surtout la distribution du revenu) expliquent le reste. Une fois encore, la pente de la droite de régression est statistiquement égale à 1. Ce qui signifie que quand le revenu moyen croit, le revenu des pauvres croit dans la même proportion. C'est la loi du « one to one » de Dollar et Kraay (2000). D'autres études (Ravallion et Chen 1997, Ravallion et Squire 1998) aboutissent à une élasticité supérieure à 1 entre ces deux variables ; suggérant ainsi qu'une augmentation de 1% du revenu moyen par habitant entraîne une augmentation supérieure à 1% du revenu des pauvres.

    En somme, la croissance économique en augmentant le revenu moyen par habitant au niveau national, augmente aussi le revenu des plus pauvres. L'augmentation du revenu entraîne à son tour le progrès sur le plan social. C'est ce qu'illustrent les figures suivantes:

    Figure I--23 : Corrélation entre le PIB par tête et les indicateurs « objectifs » de pauvreté

    Ces figures présentent la corrélation entre le niveau du revenu par habitant et le niveau de bien-- être sur le plan social, repéré ici par un ensemble de quatre indicateurs sociaux. Il s'agit notamment de : la malnutrition au sein de la population repérée par la disponibilité énergétique alimentaire (en calories par habitant), l'espérance de vie à la naissance (en années), le taux de mortalité des moins de 5 ans (pour mille) et l'accès aux connaissances repéré par le nombre moyen d'années d'étude de la population.

    L'espérance de vie à la naissance, le niveau d'éducation et le niveau de revenu sont les trois indicateurs principaux souvent considérés comme reflétant le niveau de développement d'une population. Le PNUD par exemple agrège ces trois variables en un indice synthétique appelé Indicateur de Développement Humain (IDH). C'est de ce dernier qu'il se sert pour jauger le niveau de développement atteint à travers le temps et l'espace. La disponibilité calorifique alimentaire et le taux de mortalité infantile sont souvent considérés comme indicateurs reflétant le niveau de bien*être des plus vulnérables au sein de la population. C'est pourquoi nous retenons ces quatre indicateurs (espérance de vie, niveau d'instruction, disponibilité alimentaire et mortalité des enfants) pour apprécier le niveau de développement sur le plan social.

    On remarque que le revenu par habitant présente en général une bonne corrélation avec tous ces indicateurs. Les coefficients sur ces figures indiquent que, lorsque le revenu par habitant augmente de 1%, la disponibilité énergétique alimentaire augmente de 17%. Dans le même temps, l'espérance de vie à la naissance augmente de 0,14% ; le taux de mortalité des moins de 5 ans baisse de 0,87% et le nombre moyen d'années d'étude augmente de 0,44%. La croissance économique entraînerait bien le progrès social. C'est la raison pour laquelle certaines institutions comme la Banque mondiale et le FMI utilisent principalement le revenu par habitant comme indicateur du niveau de développement. Il en sera de même pour le reste de notre analyse.

    En conclusion la philosophie de la Banque mondiale peut se résumer ainsi : l'aide aux pays pauvres est la politique à mener pour combattre la pauvreté dans le monde. En finançant les investissements dans les pays pauvres grâce à l'aide internationale, on promeut leur croissance économique. On augmente ainsi le revenu par tête moyen au niveau national, et

    par-là, celui des pauvres. Quand le revenu augmente, à cause des effets bénéfiques de l'augmentation du revenu sur les indicateurs sociaux, on améliore le bien-être global des pays en développement. C'est ainsi qu'on pourra aider les pays du Tiers-monde à se développer. A terme, la pauvreté absolue qui est la principale caractéristique du sous-développement pourra disparaître. C'est l'objectif que poursuit la Banque mondiale dans les ODM.

    Se pose alors une question : après plus d'un demi-siècle de politique d'aide au développement, la pauvreté a-t-elle baissé dans le monde?

    Section 3 : Après 50 ans d'aide, comment évolue la pauvreté?

    On a vu dans les sections précédentes que l'inégalité dans les dotations en richesses des économies est une motivation de la politique d'aide aux pays pauvres. L'objectif de l'aide au développement est de réduire les inégalités entre pays riches et pays pauvres et de lutter contre la pauvreté grâce à la croissance économique qu'elle est censée promouvoir dans les pays du Tiers-Monde. Après plus d'un demi-siècle de politique d'aide au développement, la pauvreté a-t-elle baissé dans le monde ? Les inégalités ont-elles diminué?

    La question sur l'évolution de la pauvreté et les inégalités dans le monde, aussi simple qu'elle puisse paraître, se révèle plus difficile que l'on aurait pu le penser. Quelle unité étudier: l'individu, le ménage, la famille, le pays ? Quel concept de revenu privilégier : revenu courant, dépenses courantes ? Les résultats sont bien évidemment très différents selon l'unité ou le concept de revenu utilisé pour les estimations. Les résultats font pour cela objet de controverse entre certains chercheurs (Sala-i-Martin, Fisher, ...) et les institutions internationales (la Banque mondiale, ONU, ...).

    La tendance qui semble se dégager à partir des rapports des instances du système des Nations Unies fait état d'une augmentation de la pauvreté. La plupart des chiffres sur « l'état du monde », émanant des rapports du PNUD, de la Banque mondiale, de l'OCDE ... indique que la situation est bien plus catastrophique aujourd'hui qu'hier. Des rapports de ces institutions, on peut citer:

    -- Le nombre de personnes vivant avec moins de 1$ par jour a augmenté de 1,18 milliard en

    1987 à 1,20 en 1998 ; une augmentation de 20 millions36

    -- Sur 73 pays regroupant 80% de la population planétaire, 48 pays auraient vu les inégalités
    sociales augmenter depuis les années 1950. L'écart entre les pays en terme de développement humain est marqué par des inégalités profondes et croissantes en terme de revenu et de niveau de vie. Le fossé entre les pays riches et les pays pauvres s'aggrave37

    -- Pour 46 pays, les gens sont plus pauvres aujourd'hui que dans les années 90.

    Pour 25 pays, les gens ont plus faim aujourd'hui qu'il y a dix ans.38

    En Afrique subsaharienne, depuis 1981, le nombre de personnes vivant avec moins de 1$ par jour ne cesse d'augmenter. Il a pratiquement doublé, passant de 164 millions en 1981 à 314 millions en 2001. la moitié des habitants sont plus pauvres qu'en 1990. De même, en Europe orientale et en Asie centrale, le nombre de pauvres vivant avec moins de 2 $ par jour est passé de huit millions (2% de la population) en 1981 à plus de 90 millions (20%) en 2001. En Amérique latine, la proportion de personnes vivant avec moins de 2$ par jour est passée de 25% en 1981 à 27% en 200139.

    36 Rapport sur le développement mondial (2000*2001).

    37 PNUD, Rapport sur le Développement humain 2005.

    38 PNUD, Rapport sur le Développement humain, 2004.

    39 Banque mondiale, communiqué de presse n°2004/309/S, avril 2004.

    -- La dette des PED est passée de moins de 10 milliards de dollars en 1960 à près de 2450 milliards de dollars en 2001. La situation économique des pays en développement est globalement catastrophique.40

    La liste est longue. A partir de ces quelques citations des déclarations des institutions internationales, on ne peut douter d'une chose : la pauvreté est énorme, et elle s'accentue. La convergence prédite par la théorie économique ne se réalise point ; et pire encore, les inégalités se creusent. La dette est gigantesque. Dans l'ensemble, les perspectives d'avenir pour les pays en développement sont sombres. A l'opposé, les théoriciens néoclassiques semblent plus optimistes. Pour saisir leurs positions, il faut se placer dans le contexte marqué par l'évolution de la recherche empirique sur la convergence. Le point de départ de cette littérature économétrique est le célèbre article de Mankiw, Romer et Weil (1992). Ces trois auteurs ont montré que la convergence prédite par le modèle de Solow ne s'effectuerait que de façon conditionnelle aux paramètres qui déterminent l'état régulier ( k*)41. Une ample littérature économétrique s'est développée à ce sujet dans les années 1990.

    Sala-i-Martin (1996) résume cette vaste littérature et montre que si convergence il y a, celle-ci s'effectue lentement. Aujourd'hui, l'émergence de certains pays comme l'Inde et la Chine laisse penser que l'âge d'or de la convergence est enfin arrivé.

    En effet, Ficher (2003) en pondérant les performances nationales par la population totale conclut qu'il y a bel et bien convergence entre les revenus, indiquant ainsi une diminution de la pauvreté relative. Considérons les graphiques 1 et 2 ci-dessous, de Fischer (2003) et qui ont été repris par Dollar (2004). L'axe des abscisses représente le niveau moyen de PIB par habitant en 1980 et l'axe des ordonnées représente le taux de croissance du PIB par tête ajusté pour l'inflation entre 1980 et 2000.

    Sur la première figure, chaque pays est représenté par un seul point. Les cercles un peu plus clairs représentent les pays d'Afrique sub-saharienne. Ils enregistrent les plus faibles taux de croissance économique (souvent négatifs) ; fait remarquable sur les deux figures. D'après la théorie sur la convergence entre les économies, plus on est pauvre, plus fort est le taux de croissance économique. Si tel était le cas, la droite de tendance générale sur la figure ci-dessous devrait être décroissante. On conclurait alors que les inégalités mondiales, mesurées par les inégalités entre les pays, suivent une tendance à la baisse. Malheureusement, on s'aperçoit que la courbe de tendance tend plutôt à croître, impliquant ainsi une augmentation des inégalités entre les pays, et donc la pauvreté relative

    40 OCDE, 2003

    41 K* est le capital par tête à l'état régulier. On y reviendra plus loin.

    Si l'on considère cependant la deuxième figure ci-dessous, le résultat est tout autre. Elle montre les mêmes pays représentés cette fois-ci par des cercles proportionnels à la taille de leur population. La Chine et l'Inde se démarquent tant par leur population que par leur record de croissance dans les années récentes.

    Une droite de régression pondérée par la population devient alors décroissante sur le deuxième graphique, indiquant un rattrapage des pays riches, et donc une baisse des inégalités. On peut alors conclure que, même s'il y a augmentation des inégalités entre les pays, les populations pauvres du monde tendent à rattraper les populations riches. En ce sens, on peut conclure à une baisse de la pauvreté.

    Si la pauvreté a baissé, de quelle proportion alors ? De combien? Si l'on veut répondre à ces questions, on se heurte à un problème de choix entre diverses techniques statistiques et économétriques. Vaut*il mieux mesurer la consommation (ou les niveaux de vie) en utilisant les données issues de la comptabilité nationale ou des données issues des enquêtes auprès des ménages ? Les résultats diffèrent de façon substantielle selon la source de données choisies.

    Sala-i-Martin (2002) par exemple, utilise les dépenses de consommation des ménages à partir des comptes nationaux, contrairement à la Banque mondiale qui utilise les données des enquêtes. Les estimations de Sala-i-Martin montrent que la proportion de la population mondiale extrêmement pauvre (vivant avec moins de 1$ par jour) est tombée de 17% en 1970 à 7% en 1998 (figure de gauche ci-dessous).

    La proportion vivant avec moins de 2$ par jour est passée de 41% à 19% sur la même période. Le nombre absolu de pauvres à moins de 1$ par jour a baissé, d'après les mêmes estimations de 200 millions (figure de droite) ; et le nombre des pauvres à moins de 2$ par jour a baissé de 350 millions. Les estimations de Shaohua Chen et Martin Ravallion (2001, 2002) dans le cadre de rapports de la Banque mondiale paraissent cependant moins optimistes que celles de Sala-i-Martin (voir figures ci-dessus). Ces auteurs estiment à 28% le pourcentage de la population extrêmement pauvre en 1987, plus du triple de celui cité par Sala-i-Martin. Ce taux aurait baissé pour atteindre 24% en 1998, contre 7% pour Sala-i-Martin. Concernant le nombre d'individus extrêmement pauvres, il n'aurait pas varié entre 1987 et 1998. L'écart entre ces résultats soulève une polémique. Certains auteurs (par exemple Lut Tins, 2004) évoquent des visées politiques. Peut-être parce que financées par la Banque mondiale, les études de Shaohua Chen et Martin Ravallion doivent défendre le point de vue de l'institution selon laquelle la situation en matière de pauvreté mondiale est peu glorieuse pour attirer plus de ressources de la part des donateurs.

    Les résultats les plus optimistes sont ceux de Surjit Bhalla (2003), qui utilise aussi les dépenses de consommations des ménages issues des comptes nationaux. Bhalla conclut à une diminution du ratio du revenu des pays riches au revenu des pays pauvres de 23 à 9,5 entre 1960 et 2000 ; reflétant une augmentation du revenu des pauvres. Sur la pauvreté, les travaux de Bhalla font état d'un net recul de la pauvreté absolue de 30% à 13,1% entre 1987 et 2000. L'objectif des

    42 Jusqu'il y a peu, William Easterly était économiste principal (senior economist) de la Banque mondiale.

    Nations Unies de réduire le nombre de pauvres vivant avec moins de 1$ par jour en 2015 à la moitié du niveau de 1990 aurait donc été atteint en 2000, au moment même où il était fixé.

    Les résultats de Sala-i-Martin et Bhalla sont quand même sujets à des critiques, et donc à prendre avec réserves. En effet, ils ne tiennent pas compte du fait que certaines dépenses, comme par exemple celles du gouvernement, n'améliorent pas forcement le bien-être des pauvres. Il y aurait donc une surestimation de la consommation des pauvres, et donc une sous-estimation de la pauvreté. Ceci est un peu gênant dans la mesure où, pour certains pays comme par exemple le Nigeria, les dépenses de consommations du gouvernement avoisinent 40% du total des dépenses de consommation42. Doit-on alors considérer plutôt les statistiques de la Banque mondiale, et par conséquent leur point de vue selon laquelle la pauvreté augmente ? En somme, la question sur l'évolution de la pauvreté dans le monde reste un sujet à controverse. Le débat est confus sur des différences statistiques et méthodologiques qui au lieu de se compléter, se contredisent. Une tendance se dégage néanmoins de ce manichéisme : il y a une divergence dans l'évolution de la pauvreté selon les régions. Il est tout à fait remarquable à travers ces études que certaines régions comme par exemple l'Afrique sub-saharienne et l'Europe de l'Est régressent; alors que d'autres comme l'Asie de l'Est et le Pacifique progressent. Ceci est d'autant plus manifeste dans les déclarations des instances onusiennes que sur les deux figures de Fischer (2003) présentées ci-dessus.

    Banque mondiale (2004), établit une distinction entre les pays en développement concernant l'évolution de la pauvreté. « Si la rapidité de la croissance économique en Asie du Sud et de l'Est a permis de tirer de la pauvreté plus de 500 millions de personnes dans ces deux régions, la proportion de pauvres a augmenté, ou du moins n'a décliné que légèrement, dans de nombreux pays d'Afrique, d'Amérique latine, d'Europe orientale et d'Asie centrale ». Banque mondiale (2006) parait plus stressant sur le cas de l'Afrique sub-saharienne : « En Afrique sub-saharienne, le nombre de personnes vivant avec moins d'un dollar par jour a pratiquement doublé depuis 1981. Chaque jour, des milliers de personnes, pour la plupart des enfants, meurent de maladies qu'on peut prévenir (SIDA, paludisme, simple déshydratation, ...) ».

    En conclusion, certains pays comme la Chine, l'Inde, l'Indonésie semblent converger réellement, avec de forts taux de croissance. Les pays de l'Amérique latine et de l'Afrique du Nord stagnent. Ceux de l'Europe de l'Est et d'Afrique sub saharienne divergent. La pauvreté y progresse. La tendance générale malgré les différences méthodologiques et statistiques est peu rassurante. Le recul constaté concernant la proportion mondiale d'individus extrêmement pauvres est surtout imputable à la forte croissance des pays d'Asie de l'Est; surtout la Chine, et l'Inde, qui rassemblent environ 38% de la population mondiale, 60% des pauvres dans le monde, et dont les taux annuels de croissance économique avoisine 6% (Banque mondiale, 2004b).

    Les perspectives sont plutôt sombres dans les autres régions en développement. Elles deviennent même inquiétantes en Afrique sub-saharienne où on assiste à une effective paupérisation absolue, et non pas seulement une aggravation de l'écart avec les pays riches. Le paradoxe est encore plus criant lorsqu'on se rappelle que l'Afrique a reçu une part plus importante d'aide que les autres régions en développement depuis 1960, comme nous l'avons vu dans le premier chapitre de ce travail. Ce paradoxe jette des doutes sur la capacité de l'aide extérieure à promouvoir la croissance économique, surtout en Afrique sub-saharienne. Comment peut-on comprendre que malgré l'importance de l'aide dont bénéficie l'Afrique, la pauvreté n'y recule pas? On peut notamment penser à l'existence de tares dans la politique d'aide jusqu'ici menée, dans la mesure où l'aide internationale essuie depuis longtemps, de nombreuses critiques que nous examinons dans la section suivante.

    Section 4 : Les critiques de la politique d'aide au développement

    Les critiques de l'aide au développement sont nombreuses. On distingue principalement les critiques historiques auxquelles s'ajoutent ces dernières années les critiques conduites par William Easterly43, sur le cadre théorique de base, cadre dans lequel l'aide au développement est accordée. 1. Les critiques de Easterly sur le cadre théorique de l'aide

    William Easterly à travers plusieurs études (1997, 1999, 2001, 2005a) dénonce le paradigme Harrod-Domar et le modèle du « financing gap » qu'il juge dépassés et inadaptés à l'analyse du processus de développement. Pour cet auteur, il est inadmissible qu'on utilise un tel modèle, et qu'on continue toujours par l'appliquer jusqu'aujourd'hui à l'analyse du processus de croissance économique dans les pays pauvres, comme cela se fait à la Banque Mondiale.

    En effet, l'économie du développement a pris son essor à une époque marquée par deux événements : la crise économique des années 1930, et l'émergence des économies planifiées de l'Est. Dans ces conditions, le modèle économique de base était le modèle de croissance Harrod-Domar qui considère qu'il y a une proportionnalité entre investissement et croissance économique. Ainsi, pour croître rapidement, une seule solution : investir massivement. Et si l'épargne nationale ne suffit pas pour atteindre l'investissement nécessaire à la croissance souhaitée, elle doit être compensée par l'endettement ou l'aide internationale. C'est schématiquement l'analyse du processus de développement que fournit le modèle.

    Easterly critique vivement ce modèle qu'il juge non conforme à la réalité. Le modèle du financing-gap ne prend pas en compte les incitations dans les pays récipiendaires ainsi que d'autres facteurs comme l'atmosphère politique de l'aide; et suppose que l'aide reçue est totalement consacrée au financement de l'investissement. Selon Easterly (2005a), le modèle est simpliste, inapproprié à l'étude du développement, qui est un processus complexe, de long-terme, et qui ne se limite pas seulement à l'investissement comme le suppose le cadre théorique Harrod-Domar.

    Easterly (1999) se propose de soumettre le modèle à un test empirique. Pour cela, il régresse pour un certain nombre de pays bénéficiaires d'aide au développement, l'investissement effectivement réalisé sur l'aide internationale reçue. Si comme le suppose le modèle, l'aide obtenue était intégralement investie, pour chaque pays, le coefficient indiquant l'impact de l'aide sur l'investissement devrait être supérieur ou égal à un. L'analyse a porté sur 88 pays, qui ont tous effectivement bénéficié d'aide internationale sur la période de l'étude, qui va de 1965 à 1995. De l'ensemble des 88 pays étudiés, seulement 6 ont un lien positif et significatif entre aide et investissement avec un coefficient supérieur ou égal à 1. L'aide ne serait alors pas intégralement investie comme le suppose le modèle.

    Un autre test sur le lien entre la croissance économique et l'investissement avec un ICOR supposé compris entre 2 et 5, préalablement déterminé pour chaque pays (comme le suggère le modèle du « financing gap ») remet en cause le lien direct entre l'investissement effectivement réalisé et le taux de croissance économique dans les pays récipiendaires. Seulement 4 pays (Israël, Liberia, Réunion et Tunisie) ont un lien positif significatif entre l'investissement et la croissance économique avec un ICOR compris entre 2 et 5 comme le suppose le modèle Harrod-Domar (Easterly, 1999). Tout ceci remet en cause le cadre théorique Harrod-Domar jugé simpliste par Easterly; et donc le principe même de l'aide au développement. Ce serait la principale raison pour laquelle l'aide internationale a échoué dans sa fonction essentielle: celle de promouvoir la croissance économique.

    43 Jusqu'il y a peu, William Easterly était économiste principal (senior economist) de la Banque mondiale.

    Peter Bauer est le pionnier, et souvent considéré comme le leader des critiques d'inspiration libérale de la politique d'aide au développement. On peut en outre citer dans ce courant de

    Pour se rendre compte de cet échec, Easterly et Dollar (1999) présentent la célèbre figure relative au cas de la Zambie. La figure compare les résultats espérés-de l'aide à la situation réelle de l'économie zambienne sur la période 1960-1995. Se basant sur l'hypothèse forte selon laquelle la totalité de l'épargne et de l'aide est investie, et que l'investissement induit la croissance économique, le modèle de l'ICOR appliqué au cas de la Zambie, prévoyait une croissance spectaculaire, représentée en traits pleins sur la figure ci-dessous.

    Selon les prévisions de ce modèle, grâce à l'aide internationale au développement accordée à la Zambie, le niveau de vie des habitants de ce pays devrait être semblable aujourd'hui à celui des pays européens. Le revenu par tête zambien devrait dépasser 20000 en 1995 (valeur en dollars US de 1985). Qu'en est-il réellement? Pour répondre à cette question, référons*nous à la figure suivante, qui présente le fossé entre les prévisions de revenu a partir du modèle du financing-gap (ICOR) et la réalité (le revenu effectif).

    Figure I-24 : Réalité contre prévision du « financing-gap » : le cas de la Zambie

    Comme le montre la figure ci-dessus, le revenu zambien par tête en 1995 se chiffrait malheureusement à moins de 500 dollars. Il n'a donc pas augmenté. Au contraire, il est en baisse régulière depuis 1976 comme le montre la courbe de sa représentation en pointillés. Le cas de la Zambie illustre la situation de nombreux pays en développement.

    Ainsi pour Easterly, l'aide a échoué dans sa principale fonction, celle de promouvoir la croissance économique dans les pays pauvres. Et cet échec est en partie imputable à l'utilisation de cadres théoriques inappropriés. Cela ne va pas sans questionner les économistes et la science économique. D'autant plus que depuis l'avènement de l'aide, existent divers courants contestataires qu'il est indispensable de reconsidérer aujourd'hui.

    2. Les critiques historiques de l'aide

    Il existe certaines critiques de l'aide internationale, aussi anciennes que l'aide elle-même. De manière générale, on peut les classer en deux grandes catégories : les critiques de droite ou d'inspiration libérale, et les critiques de gauche ou d'inspiration marxiste.

    2.1. Les critiques d'inspiration libérale : l'aide source d'inefficacité

    pensée, les auteurs comme Friedman, Jacob Viner, Gottfried Haberler, Hla Myint, John Majewski, Griffin, Berg, Mosley. Pour ces auteurs, l'aide au développement ne peut promouvoir la croissance économique dans les pays du Sud. Au contraire, elle la sabote en faussant les règles du marché et du libéralisme économique. Comment l'aide internationale fausse-t-elle les règles du marché?

    Considérons par exemple l'aide alimentaire. Les auteurs d'inspiration libérale estiment que loin de résoudre une crise humanitaire, elle ne peut qu'aggraver l'insécurité alimentaire. En effet, les apports en grande quantité de ressources alimentaires en cas de crise humanitaire augmentent spontanément l'offre de ces produits. Il en résulte une baisse des prix au niveau local ceteris paribus. Ceci décourage l'investissement et la production locale de vivres, et donc une baisse de l'activité de production dans le secteur agricole qui se traduit à terme par une baisse de la croissance économique. Majewski (1987) cite le cas du Guatemala en 1976. A la suite d'un tremblement de terre, les habitants ont reçu une aide d'urgence importante, en vivres. Ce qui a entraîné la chute du prix des produits alimentaires au moment même où les agriculteurs avaient besoin d'argent pour reconstruire leurs maisons et relancer leurs activités.

    Un autre problème de l'aide alimentaire est que l'abondance alimentaire qu'elle crée encourage les pays qui en bénéficient à adopter des politiques peu favorables à la production locale. On a à titre d'exemples le contrôle des prix des produits vivriers, volontairement maintenu à un niveau bas; la collectivisation et le contrôle des fermes de production comme ce fut le cas en Tanzanie et au Zimbabwe. Ceci réduit l'activité économique dans le pays et augmente la dépendance vis-à-vis de l'extérieur des territoires aidés (Bauer, 1984).

    Les effets des autres formes d'aide sont semblables à ceux de l'aide humanitaire selon Bauer et ses pairs. L'assistance financière internationale permet aux dirigeants des pays en développement de maintenir certains secteurs d'activités non rentables et nuisibles au développement du secteur privé dans le portefeuille de l'Etat (Friedman, 1958). Contrairement aux entreprises privées, les entreprises publiques ne sont pas soumises à la règle du profit. Parce qu'elles opèrent en dehors du marché, les entreprises étatiques souvent financées grâce à l'aide internationale connaissent des rendements faibles ou même négatifs. Très souvent, l'aide est utilisée pour créer des activités que le secteur privé a délibérément refusées de financer à cause du rendement faible.

    L'aide canalise ainsi les ressources du pays receveur vers les secteurs et investissements improductifs ou inefficients. Il en résulte des distorsions aux niveaux des signaux et des incitations du marché. Les producteurs et les consommateurs reçoivent de faux signaux issus d'un marché déséquilibré et dopé par l'aide étrangère. Ils adoptent ainsi des comportements inappropriés. Les investisseurs réajustent leurs portefeuilles d'actifs selon le « faux signal » reçu du marché, et allouent ainsi à leur tour une part plus importante de leurs ressources aux secteurs inefficients. Les répercussions sur l'activité économique sur le plan national peuvent ainsi être très dommageables. Majewski (1987) donne l'exemple des usines de fabrications de produits en aluminium et les raffineries de pétrole installées dans les pays en développement et financées grâce à l'aide internationale alors que le marché de ces produits sur le plan mondial était déjà saturé.

    Dans les pays du Nord, l'effet de l'aide est semblable. Les pays donateurs utilisent l'aide internationale pour promouvoir la production et l'exportation de leurs entreprises, surtout celles qui opèrent avec le Tiers*Monde. Alors que ces entreprises sont condamnées à fermer leurs portes parce qu'inefficientes, on utilise l'aide pour les soutenir. Il en résulte une allocation non optimale des ressources dans les pays donateurs étant donné qu'on draine ainsi les ressources des secteurs efficients vers les secteurs inefficients. La croissance globale sera donc plus faible.

    Sur le plan financier et monétaire, l'aide crée des effets de distorsion des taux d'intérêts (Friedman, 1958). Les pays en développement utilisent souvent l'aide étrangère pour garder le contrôle des établissements financiers et du crédit. Dans la plupart de ces pays, les taux d'intérêt sont délibérément maintenus à un niveau bas, sous prétexte d'encourager les

    emprunts et l'investissement. Or le niveau bas des taux d'intérêts créditeurs crée une désincitation à épargner. Ceci entraîne des effets négatifs sur la croissance économique en réduisant le niveau des investissements comme le montre le graphique ci-dessous:

    Figure I--25 : La répression financière

    Sans intervention de l'Etat sur le marché financier, l'équilibre se réalise entre l'investissement et l'épargne au point A avec un taux d'intérêt r* et le niveau des investissements I*. L'Etat intervient ensuite en imposant un taux d'intérêt faible

    R faible. Ceci réduit le niveau de l'épargne à faible S faible puisque, à cause de la faiblesse du taux d'intérêt, les agents épargnent peu. Le niveau global des investissements se trouve donc contraint à rester faible ( faible I faible); du fait de la faiblesse de l'épargne domestique.

    De plus, dans ces pays, en contrôlant les établissements financiers grâce à l'aide, l'Etat alloue le crédit de manière sélective; et souvent orientée vers les alliés politiques plutôt que les secteurs productifs. Il en résulte de manière générale une atrophie du secteur financier et une croissance réelle faible. L'aide fournit en outre aux autorités des réserves monétaires, qui leur permettent de soutenir leur monnaie créant ainsi une surévaluation des taux de change, qui détériore la compétitivité-prix sur le plan international du pays aidé (Griffin, 1970).

    Un autre méfait de l'aide internationale est l'alourdissement de la corruption, et de la bureaucratie. La main d'oeuvre intérieure se dirige plus vers le secteur public qui se développe, et évince le secteur privé (Bauer, 1972). Les dépenses publiques s'alourdissent grâce l'aide, et génèrent un effet d'éviction sur l'épargne domestique (Mosley, 1996). L'aide internationale est dans les meilleurs des cas d'une efficacité nulle ou quasi*nulle pour soulager la misère du Tiers Monde, ou pour faciliter le développement dans les pays pauvres (Bauer, 1984 ; Berg, 1996).

    Tel est le point de vue des libéraux, vision partagée par les marxistes avec néanmoins des fondements différents.

    2.2. Les critiques d'inspiration marxiste : l'aide, une nouvelle source d'exploitation
    (néocolonialisme)

    Les critiques d'inspiration marxiste de l'aide internationale ont connu un regain d'importance ces dernières années avec le développement d'un courant de pensée essentiellement francophone, qui est souvent désigné sous l'intitulé de courant du « refus du développement », ou de « l'anti-développement », au nom de leurs considérations, opposées à celles du FMI et de la Banque mondiale. Citons les travaux de René Dumont, Ivan Illich, François Partant, Serge Latouche, Gilbert Rist, Eric Toussaint, Alain Caillé, Guerrien, Insel, B. S. Yamey, Sapir, Cornélius

    Castoriadis, Vandana Shiva, François-Xavier Vershave, Nicholas-Georgescu Roegen, René Passet, Vincent Cheynet ou encore François De Ravignan (pour ne citer qu'eux).

    Les auteurs d'inspiration marxiste considèrent l'aide internationale ainsi que l'ensemble des politiques de développement comme servant avant tout, la cause des pays riches. Ils considèrent l'aide comme un puissant canal par lequel les pays industrialisés continuent par exercer leur domination sur les pays en développement, malgré leur indépendance politique. Stéphanie Treillet (2003), résume leur proposition commune comme suit: "le développement, à la fois sur la plan théorique (système de pensée, objectifs) et sur le plan des stratégies mises en application (aide, mondialisation, ...) n'a constitué pour les sociétés d'Afrique, d'Asie et d'Amérique Latine, depuis leur indépendance, qu'un nouvel avatar de la domination des pays industrialisés et de l'occidentalisation du monde, sur tous les plans (économique, social, culturel...)".

    De nombreux historiens pensent que le concept de « développement » avec surtout la mise en place de l'aide internationale, en augmentant les interventions des pays occidentaux dans les pays du Sud, avait pour but initial de stopper l'avancée des communistes et de garder le contrôle des anciennes colonies. Le discours instigateur de l'aide internationale n'est*il pas le même que celui qui appelait à la création de l'OTAN (Organisation du Traite de l'Atlantique Nord) ? La création de l'OTAN, est considérée au départ comme une coalition pour contrer le bloc communiste. Le troisième point du discours du 20 janvier 1949 du président H. S. Truman appelait à la création de l'OTAN, à une fourniture d'équipement et à une assistance militaire aux pays qui acceptaient de coopérer avec eux. Et au quatrième point, il appelait à l'aide internationale au développement. Dès le départ, la politique d'aide internationale, n'est pas purement philanthropique. L'aide, surtout bilatérale était principalement utilisée pour supporter les alliés politiques au cours de la guerre froide. L'exemple de l'ex Zaïre, actuel République Démocratique du Congo est très parlant dans ce domaine. Le régime de Mobutu Sese Seko a contre toute attente, bénéficié de soutiens politico-militaire et d'appuis financiers énormes pendant plusieurs décennies, provenant essentiellement des Etats-Unis. Juste après l'effondrement du bloc soviétique qui a entraîné la fin de la guerre froide, le président Mobutu a perdu tous ses soutiens occidentaux.

    « Desarollo » (développementiste) en Amérique Latine était une insulte dans les années 1950, et désignait l'impérialisme américain (Lut Tins, 2004). Pour se légitimer, la colonisation s'est appuyée sur les valeurs de civilisation et d'éducation. Désormais les valeurs compensatoires sont celles de construction, développement, intégration, mondialisation ...

    Les « anti-développementistes » dénoncent le « développement » et ses pratiques qu'ils qualifient de « désastres ». Les Occidentaux, nostalgiques de la période coloniale et soucieux de toujours contrôler les autres parties du monde ont mis en place l'aide publique au développement. Elle est aujourd'hui la manifestation déguisée de l'égoïsme des plus nantis, et un nouveau moyen de leur ingérence dans les affaires et la vie des pays du Tiers*Monde. Selon les auteurs anti-développementistes, l'aide au développement n'existerait que dans le souci de pérenniser la domination occidentale. Elle sert d'outils de justification d'intervention dans les pays en développement, visant avant tout l'intérêt du donateur. « Le principal objectif des donateurs est bel et bien le renforcement de leur zone d'influence à travers le soutien politique aux dirigeants alliés du Sud, afin d'être en mesure de leur imposer des décisions économiques et de contrôler les positions qu'ils adoptent lors des sommets internationaux ». D. Millet et E. Toussaint (2005).

    Un mobile important de l'aide internationale est la promotion du commerce inégal, qui enrichit les pays industrialisés au détriment du Sud. Alors que les exportations des produits manufacturiers des pays riches (qui occupent 70% du commerce mondial) augmentent, les exportations mondiales de matières premières et leurs prix ont fortement diminué depuis les années 1980 ; en grande partie sous l'effet des politiques des institutions internationales (Banque mondiale, FMI, OMC, etc.). Les ventes de matières premières des pays pauvres ne compensent

    généralement pas leurs importations de marchandises. Il en résulte pour les pays du Sud un déficit de leurs balances commerciales. En conséquence, le commerce, inégal, ne profite qu'aux pays industrialisés qui s'enrichissent par l'appauvrissement des pays du Sud. Pour protéger leurs intérêts, les pays riches ont alors mis sur pied des politiques dites de « développement », qui en fait accroissent leurs interventions et garantissent leurs intérêts commerciaux. En passant par l'aide internationale et la mondialisation, les pays industrialisés « pompent » les richesses du Sud, puisqu'ils en tirent énormément de profits, comme le montre la figure ci-dessous.

    Figure I--26 : Transferts financiers 2001 pour l'ensemble des pays en développement (en
    milliards de dollars)

    NB : Le service de la dette représente les remboursements annuels augmentés des intérêts.

    Ainsi, à travers les rapports commerciaux et l'aide internationale qui est génératrice de dette, les pays occidentaux soutirent aux pays en développement plus de ressources financières qu'ils ne leur en procurent. La dette gigantesque, est un moyen sûr pour les pays riches de garder les pays pauvres dans leur sphère d'influence, et d'aliénation. L'aide étrangère ne peut contribuer de façon substantielle au développement du Tiers Monde ; au contraire, elle est à même de le retarder.

    En somme, ces deux thèses (libérale et marxiste) se rejoignent quant à l'incapacité de l'aide internationale à promouvoir le développement ou à soulager la souffrance des pays pauvres. Alors que la Banque mondiale considère l'aide comme nécessaire pour la croissance des pays en développement et l'éradication de la pauvreté dans le monde, le courant contestataire libéral et les « anti-développementistes » la considèrent comme défavorable au développement. Face à ce manichéisme, il nous faut considérer les analyses empiriques de l'efficacité de l'aide internationale pour voir ce que nous disent les faits. C'est ce qu'on abordera dans le chapitre suivant.

    Conclusion partielle

    L'aide internationale présente une double légitimité: la nécessité d'une politique redistributive à l'échelle planétaire, et la promotion de la croissance économique dans les pays pauvres. De là, on comprend mieux certains débats qui traversent la communauté internationale : attribution de l'aide selon les besoins versus selon les facteurs d'efficacité; aide projet versus aide budgétaire. Ces deux fondements se rejoignent néanmoins sur un point: l'amélioration de la situation des plus pauvres, voir l'élimination à terme de la pauvreté dans le monde. Le moyen efficace et dynamique pour atteindre un tel objectif est la promotion de la croissance économique dans les pays du Tiers-

    Monde. L'élévation du revenu par habitant dans les pays pauvres est pour cela l'objectif primordial de l'aide internationale. En augmentant le revenu des pauvres, on améliore leur bien-être global (consommation, accès au savoir et aux soins, espérance de vie, qualité de la vie, ...). La pauvreté disparaîtra donc à terme.

    Malheureusement, après plus d'un demi-siècle d'aide au développement, la pauvreté ne semble pas reculer véritablement. Malgré les divergences dans les approches statistiques, on note que la pauvreté, même si elle baisse, la diminution du nombre de pauvres est bien en deçà des attentes. La pauvreté aurait même augmenté dans certaines régions. Ce qui entraîne de vives critiques à l'encontre de la politique d'aide menée depuis plus de cinquante ans. Presque toutes les analyses s'accordent aujourd'hui sur le fait que la pauvreté progresse en Afrique sub-saharienne, qui est pourtant la principale région bénéficiaire de l'aide internationale. L'aide au développement aide-t-elle les populations de cette région ? C'est ce que nous examinons dans le chapitre suivant à travers une étude empirique.

    CHAPITRE TROIS

    ANALYSE EMPIRIQUE DE L'EFFICACITE DE L'AIDE AU DEVELOPPEMENT EN
    AFRIQUE SUB--SAHARIENNE

    « Au cours des cinquante dernières années, nous, les économistes, avons souvent pensé avoir trouvé la bonne réponse pour générer la croissance économique. La première « solution » fut la croyance en l'aide étrangère ... Aucun de ces élixirs n'a tenu ses promesses ... ».

    Citation de William Easterly, The Elusive Quest For Growth 2001).

    Depuis les années 1960, le monde vit un accroissement spectaculaire des niveaux de vie, qui est sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Le commerce international et le développement économique ont connu des hausses exponentielles. L'espérance de vie globale s'est améliorée grâce aux progrès de la médecine. Le progrès technologique a connu des avancées spectaculaires. Cependant, selon toutes les mesures statistiques, l'Afrique sub-saharienne n'a pas profité de ce développement global. En fait, dans la plupart des pays de la région, le niveau de vie a même baissé (PNUD, 2004). Et pourtant, la communauté internationale a consacré plus de 568 milliards de dollars américains d'aide étrangère au développement de l'Afrique depuis 196044.

    De sérieuses questions se posent alors sur la capacité de l'aide internationale à promouvoir le développement en Afrique sub-saharienne.

    Quel effet l'aide internationale a-t-elle sur le développement en Afrique sub-saharienne ? L'aide qui est censée promouvoir la croissance économique dans les pays pauvres en finançant leurs investissements a-t-elle favorisé l'amélioration du bien-être ou encore le revenu par habitant en Afrique sub-saharienne? Pour répondre à ces questions, l'analyse empirique de l'efficacité de l'aide au développement vis-à-vis de la croissance économique dans la région (Afrique sub-saharienne) s'avère fondamentale.

    Dans un premier temps (section 1), on va présenter une revue de la littérature empirique sur l'efficacité de l'aide internationale au développement. Dans la section

    2, on abordera une description statistique du panel de pays étudiés. On présentera ensuite la méthode économétrique (section 3). Les résultats de nos analyses empiriques sont enfin présentés puis commentés dans la section 4.

    Section 1 : Revue de la littérature empirique sur l'efficacité de l'aide au développement

    Le champ de l'analyse empirique de l'efficacité de l'aide au développement, déjà exploré dans les années 1970, a connu un regain d'importance au début des années 1990. Sans doute à cause de la fin de la guerre froide qui était une sérieuse motivation de l'aide internationale, mais aussi des rapports faisant état de l'augmentation de la pauvreté dans le monde malgré la politique d'aide. Presque toutes les études sur l'aide ont cherché à identifier son impact sur la croissance économique, sous-entendu que cette dernière s'accompagnera de progrès sociaux. Les résultats dans l'ensemble prêtent à controverse. Ainsi, la grande partie des études menées depuis les années 1980 et 1990 (Mosley 1980, Dowling et Hiemenz 1982 ; Mosley 1987, Mosley et al. 1987, 1992 ; Boone 1994, 1996) concluent-elles à une absence d'effet positif de l'aide sur la croissance économique. Le résultat de Griffen (1970) a même évoqué une corrélation négative entre ces deux variables (aide et croissance économique). Ces conclusions pessimistes sur l'efficacité de l'aide en parallèle aux graves crises d'endettement de plusieurs pays, mais aussi la fin de la guerre froide en 1990 vont,

    vers la fin de la décennie 1990, induire l'aide internationale dans une crise de légitimité sans précédent. Se posait alors le paradoxe micro-macro évoqué par Paul Mosley (1987) selon lequel la plupart des missions d'évaluation des projets financés par l'aide internationale concluaient à une

    44 Easterly William (2005c).

    réussite alors que les analyses au niveau macroéconomique concluaient à un échec. Dans ce contexte pessimiste à propos de l'aide internationale, Burnside et Dollar ont développé l'idée d'une efficacité de l'aide différenciée selon la politique économique menée dans le pays receveur. Dans un célèbre article publié en 1997 puis repris en 2000, Burnside et Dollar ont construit un indicateur de la qualité de la politique économique dans le

    pays récipiendaire qu'ils ont croisé avec l'aide internationale reçue45. Ils ont expliqué le taux e croissance du PIB par tête par un certain nombre de variables considérées comme xogènes. Il s'agit de : l'aide au développement en pourcentage du PIB (Aide), un indicateur de l'environnement de politique économique (Pol éco), un indicateur de l'interaction entre l'aide et l'environnement de politique économique (Aide*Pol éco), le logarithme du PIB par tête initial (Log PIB/tête initial), un indicateur de degré de fragmentation ethnolinguistique (frag. ethnoling), le nombre d'assassinats politiques par millions d'habitants (Assassinats pol.), des variables régionales dummy pour l'Afrique sub-saharienne (dummy Afrique sub-saharienne), et pour les dragons d'Asie de l'est (dummy Asie de l'Est), un indicateur de la qualité des institutions (institutions), et un indicateur du mode de financement du gouvernement (M2/PIB) retardé d'une période.

    Les données portent sur un échantillon de 56 pays46, et courent sur la période 1970-1993. Le résultat de leur analyse, qui est au coeur du débat sur l'efficacité de l'aide est résumé dans le tableau suivant.

    Tableau N°I-8 : Explication du taux de croissance du PIB par tête par l'aide : les
    Résultats économétriques de Burnside et Dollar (2000)

    Méthode d'estimation

    MCO

    MDC

    Aide

    -0,02

    (0,13)

    -0,24

    (-0,89)

    Aide-Pol. éco.

    0,19***

    0,25**

     

    (2,61)

    (1,99)

    Log PIB/tête initial

    -0,6

    -0,83

     

    (-1,02)

    (-1,02)

    Frag. ethnoling.

    -0,42

    -0,67

     

    (-0,57)

    (-0,76)

    Assassinats

    -0,45

    -0,76

     

    (-1,68)

    (-1,63

    Frag. ethnoling*Assassinats

    0,79

    0,63

     

    (1,74)

    (0,67)

    Dummy Afrique subsaharienne

    -1,87**

    -2,11***

     

    (-2,41)

    (-2,77)

    Dummy Asie de l'Est

    1,31**

    1,46*

     

    (2,19)

    (1,95)

    Institutions

    0,69***

    0,85***

     

    (3,90)

    (4,17)

    M2/PIB

    0,01

    0,03

     

    (0,84)

    (1,39)

    Pol éco.

    0,71***

    0,59

     

    (3,63)

    (1,49)

    45 L'indicateur de politique économique est un indice synthétique composé de trois variables : inflation, surplus budgétaire, ouverture au commerce. Ces trois variables sont réunies dans un indicateur composite en les pondérant par leurs coefficients respectifs, préalablement estimés à travers une équation de croissance. La formule de calcul de cet indicateur est la suivante : Ind pol éco = 1,28 + 6,85*surplus budgétaire - 1,4*inflation + 2,16*ouverture au commerce (Burnside et Dollar, 2000).

    46 Echantillon de pays : Afrique sub-saharienne : Botswana, Cameroun, Côte d'Ivoire, Ethiopie, Gabon, Gambie, Ghana, Kenya, Madagascar, Malawi, Mali, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Tanzanie, Togo, Zaïre (RDC), Zambie, Zimbabwe. Amérique latine : Bolivie, Rép. Dominicaine, Equateur, El Salvador, Guyane, Haïti, Honduras, Nicaragua, Paraguay, Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Jamaïque, Mexico, Pérou, Trinité & Tobago, Uruguay, Venezuela. Moyen orient et Afrique du Nord: Algérie, Egypte, Maroc, Tunisie, Syrie, Turquie. Asie de l'Est: Indonésie, Corée, Philippines, Thaïlande, Malaisie. Asie du Sud : Inde, Pakistan, Sri Lanka.

    Nombre d'observ. R--carré

    270

    0.39

    184

    0.47

    Légende:

    *** indique que le coefficient est significatif avec un seuil de 1% ; ** indique que le coefficient est significatif avec un seuil de 5% ; * indique que le coefficient est significatif à 10%.

    NB : MCO désigne « moindres carrés ordinaires » ; DMC désigne « double moindres carrés ». Les t-statistics calculés sont entre parenthèses.

    L'idée derrière le croisement de la proportion d'aide reçue (Aide) avec l'indicateur de politique économique (Pol éco) est d'étudier l'impact des politiques économiques dans les pays récipiendaires sur l'efficacité de l'aide au développement.

    Alors que l'effet de l'aide sur la croissance économique est non significatif (mais négatif), il devient positif et significatif lorsqu'on la croise avec l'indicateur de politique économique dans le pays récipiendaire. L'aide serait ainsi conditionnellement productive. Elle soutient la croissance économique dans les pays qui mènent de bonnes politiques économiques. Mais dans les pays où l'environnement de politiques macroéconomiques est « faible » ou « malsain », l'aide est sans effet sur la performance économique.

    Alors que l'aide traversait une crise de légitimité, l'étude de Burnside et Dollar a constitué une réponse aux détracteurs de l'aide au développement. Leur conclusion a été retentissante dans les institutions d'aide, et consolide le point de vue de Jonathan Isham, Daniel Kaufmann et Lant Pritchett (1995)47 selon lequel les projets de la Banque Mondiale connaissent un meilleur rendement dans les pays où les libertés civiles sont mieux respectées. Les conclusions de Burnside et Dollar (1997) seront reprises et défendues par Banque mondiale (1998), Dalgaard et Hansen (2001), Lensink et White (2001) avec des implications politiques. En effet, si l'aide est plus efficace dans un bon environnement macro-économique, elle devrait cibler les pays pauvres ayant adopté de « bonnes politiques économiques ».

    A l'inverse, dans les pays où les politiques économiques sont mauvaises, l'aide financière devrait être remplacée par un dialogue sur le choix de politique et une assistance technique. Ce que la Banque Mondiale résume dans son rapport Assessing Aid comme suit: « If commitment, money - If not, ideas » (Banque mondiale, 1998). Ces conclusions et implications politiques sont mises en oeuvres alors que de nouvelles données devenues disponibles permettent à travers une étude similaire (Easterly et al. 2003) d'infirmer l'efficacité de l'aide au développement même en présence de « bonnes politiques macro-économiques ». En effet, s'inspirant des résultats de Burnside et Dollar (1997, 2000), Easterly, Levine et Roodman (2003) à leur tour se sont intéressés à l'impact de l'aide au développement sur la croissance du revenu par habitant dans le monde en prenant en compte la qualité de la politique économique menée. Ces auteurs ont utilisé l'échantillon utilisé par Dollar, en l'élargissant à d'autres pays, et en élargissant la période; d'autres données courant sur la période 1994-1997 étant devenues disponibles. Ils ont utilisé les mêmes méthodes de spécification que celles utilisées par Burnside et Dollar; la même régression les mêmes variables explicatives.

    Ce résultat a remis en cause l'idée admise de Dollar et Burnside selon laquelle l'aide est efficace si elle est accompagnée de bonnes politiques macroéconomiques. Le débat sur l'efficacité de l'aide au développement est donc relancé. Plusieurs autres études comme Levine (2003), Hansen et Tarp (2000, 2001), Guillaumont et Chauvet (2001) ont également abouti à un coefficient proche de zéro et pas significatif surtout quand on introduit d'autres variables explicatives (comme par exemple la population).

    47 Ils sont tous chercheurs à la Banque mondiale.

    Hansen et Tarp (2000) ont obtenu un coefficient non significatif en introduisant dans l'équation à estimer, un terme quadratique48 de l'aide. L'aide internationale serait donc sans effet sur la

    croissance économique des pays récipiendaires. Une étude plus récente (Clemens et al, 2004)
    évoque non pas la qualité des politiques économiques menées comme facteur d'efficacité de l'aide, mais ce qu'elle finance. L'aide alimentaire par exemple est contre-productive alors que le financement des infrastructures économiques a un impact positif sur la croissance économique à moyen terme selon les analyses de Clemens et al, (2004).

    D'autres analyses sur les déterminants de la croissance économique, et donc pouvant influencer l'efficacité de l'aide dans les pays en développement ont évoqué l'importance d'autres variables telles que : les facteurs historiques notamment la colonisation (Acemoglu, Johnson et Robinson, 2003) ; les facteurs géographiques49 et les maladies (Gallup, Sachs et Mellinger, 1998), la situation par rapport aux tropiques (Clemens et al. 2004 ; Daalgard 2004), les chocs climatiques et ceux liés aux prix à l'exportation et aux termes de l'échange (Collier et Dehn 2001, Guillaumont et Chauvet 2001). La productivité de l'aide au développement serait aussi liée à ses nombreux facteurs.

    L'effet de l'aide sur les indicateurs sociaux a été moins étudié dans la littérature empirique sur l'efficacité de l'aide. Sans doute à cause du lien positif sous-entendu entre développement économique et développement social (comme nous l'avons présenté plus haut). Si l'aide favorise la croissance économique, puisque la croissance du revenu engendre le progrès sur le plan social, alors l'aide favorise le progrès social.

    Les rares études qui ont évalué directement l'impact de l'aide sur les indicateurs sociaux de bien-être aboutissent aussi à des résultats controversés. Elles se contredisent comme précédemment (au niveau de l'impact sur la croissance économique). Ainsi, Burnside et Dollar (1998) fidèles à leurs idées, soutiennent que l'aide ne favorise la baisse de la mortalité infantile que dans les pays qui mènent de « bonnes politiques économiques ». De même, pour Kosack (2003), l'aide n'a d'effet positif sur l'indicateur de développement humain que dans les régimes démocratiques. Alors que Gomanee et al. (2003) aboutissent à un résultat selon lequel l'aide influence positivement l'indicateur de développement humain (IDH) seulement lorsqu'elle finance les dépenses publiques favorables aux pauvres. La qualité de l'environnement de politique économique ne serait pas déterminante. Mosley et al (1987) tout comme Boone (1996) concluent à l'issue de leurs analyses économétriques que l'aide internationale est stérile. D'après les résultats de leurs études, l'aide internationale n'a aucun effet sur la mortalité infantile.

    La conclusion que l'on peut tirer de la lecture de la littérature empirique sur l'efficacité de l'aide est donc un manque de robustesse des résultats empiriques. Face à ce constat, il est nécessaire d'approfondir les analyses en variant les composantes des études ; par exemple en intégrant différents facteurs pouvant influencer l'efficacité de l'aide (facteurs géographiques, termes de l'échange, ...), et en modifiant l'échantillon de pays. En outre, dans les analyses de Burnside et Dollar (1997, 2000) tout comme celles de Easterly et al. (2003), la variable muette « Afrique sub-saharienne » est négative et significative. La région aurait certaines particularités propres, et mérite donc une étude plus approfondie.

    En outre, les pays de cette région présentent de fortes similitudes sur plusieurs plans (historique, géographique, économique, culturelle, politique, ...). Ceci permettrait de minimiser l'effet du non

    48 Le terme quadratique « aide^2 » est destinée à prendre en compte la non linéarité du lien entre aide et croissance économique, théoriquement fondée par la loi de la productivité marginale du capital décroissante.

    49 Dans la mesure où la situation géographique détermine les conditions climatiques et surtout le développement facile des moustiques dans la zone intertropicale, et par conséquent le paludisme, une maladie redoutable dont les répercussions sur l'activité économique sont immenses.

    prise en compte de certaines variables comme celles énumérées ci-dessus (facteurs historiques, géographiques, chocs liés aux termes de l'échange, ...) lorsque l'analyse porte exclusivement sur les pays de cette région. C'est ce que nous entreprendrons par la suite.

    Section 2 : Analyse descriptive du panel de pays étudiés

    L'Afrique sub-saharienne, communément appelée « Afrique Noire » s'étend sur une superficie de 24,3 millions de kilomètres carrés. Sa population était évaluée à environ 700 millions en 2004, avec un taux de croissance moyen d'environ 2,39%. Son PIB total est évalué en 2004 à environ 236,2 milliards50 de dollars US, Afrique51 Prix de 2000 108 du Sud non comprise1. Il était ainsi à peine supérieur au tiers de celui du Brésil (655,4 milliards de $ US la même année), moins que celui de la Suisse (253,8 milliards de $), et moins du septième de celui de la Chine (1715 milliards de $). Son taux de croissance (PIB total) est d'environ 3,23%. Le revenu par habitant moyen (ou PIB par habitant) de la région, l'un des plus faibles de la planète, était d'environ 350$ US en 2004 ; et son taux de croissance moyen, faible, est d'environ 0,8%. La région compte 47 pays : Afrique du Sud, Angola, Bénin, Botswana, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Cap Vert, République Centrafricaine, Iles Comores, République Démocratique du Congo (RDC ou ex Zaïre), République du Congo, Côte d'Ivoire, Erythrée, Ethiopie, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Gabon, Gambie, Ghana, Kenya, Lesotho, Liberia, Madagascar, Malawi, Mali, Mauritanie, Ile Maurice, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Sao Tome et Principe, Sénégal, Seychelles, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Tanzanie, Tchad, Togo, Zambie, Zimbabwe.

    Fugure : n° J--27 : Carte d'Afrique subsaharienne

    Tous les pays de la région bénéficient de l'aide internationale au développement. Cependant, la situation économique de l'Afrique sub-saharienne ne cesse de se détériorer depuis la fin des années soixante-dix. La figure suivante permet de faire une petite comparaison entre l'Asie du Sud-est et l'Afrique subsaharienne.

    Dans les années 60 et 70, l'Asie du Sud-est et l'Afrique sub-saharienne avaient des niveaux de revenu similaires. En témoigne la figure ci-dessous qui fait ressortir les variations du PIB par habitant entre 1970 et 1995 dans ces deux régions du monde. Les pays de l'Asie du Sud-est comme

    50 Prix de 2000

    51 L'Afrique du Sud dont la situation est un peu particulière, présente de fortes dissemblances avec les autres pays de la région. Elle ne sera pas intégrée dans notre étude.

    l'Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande sont caractérisés par une croissance économique soutenue. Si l'Afrique sub-saharienne a elle aussi présenté une première phase de croissance allant jusqu'à la fin des années 1970, les deux grands chocs pétroliers de la décennie soixante-dix vont révéler la vulnérabilité des économies africaines. Depuis le début des années 1980, un profond déclin économique s'est installé en Afrique sub-saharienne comme on peut le remarquer sur la figure suivante.

    Figure : n°I-28 : Evolution du PIB par habitant en Afrique et en Asie du Sud-est

    Dans les années 1960-1970, les deux régions avaient des conditions économiques et sociales plus ou moins similaires. Le niveau de vie en Afrique était même légèrement supérieur à celui de l'Asie du Sud-Est. Les pays des deux régions sont des bénéficiaires de l'aide internationale, destinée à promouvoir la croissance pour le développement. L'Afrique sub-saharienne en a même reçu plus que l'Asie du Sud-Est. Mais aujourd'hui (après environ 25 ans), le niveau de vie de l'Asie du Sud-est a largement dépassé celui de l'Afrique sub-saharienne.

    Depuis le début des années 1980, les économies africaines sont tombées dans une phase de décadence qui semble se prolonger. La baisse des cours des matières premières et des produits de base vers la fin des années 1970 a aggravé la situation économique des pays de la région. Les niveaux de vie ont subi une baisse considérable qui s'est traduite par une augmentation de la pauvreté.

    Si les économies de l'Asie du Sud-est ont elles aussi ressenti les effets de la crise au début de la décennie 1980, elles ont pu dissiper rapidement les effets de la récession économique et réamorcer leur processus de croissance depuis le milieu des années 1980 comme on peut le remarquer sur la figure présentée ci-dessus. De leur côté par contre, les pays de l'Afrique sub-saharienne ont été plongés dans une phase de décadence économique, de laquelle ils ne semblent pas se remettre jusqu'à nos jours. Et ceci malgré l'afflux continuel de capitaux étrangers en aide internationale. Ceci nous amène à nous interroger sur le rôle que l'aide internationale au développement a pu jouer en Afrique sub-saharienne.

    Pour avoir une idée sur cette question, on peut se référer à la figure ci-dessous. Elle présente l'évolution de l'aide accordée à l'Afrique sub-saharienne en pourcentage du revenu (axe de gauche) et celle du taux de croissance économique (axe de droite) sur environ 40 ans (1965-2004).

    Figure n° : J-29 : Aide et croissance économique en Afrique sub-saharienne

    Sur la période allant de 1965 jusqu'au début de la décennie 1990, l'Afrique sub-saharienne a bénéficié d'une aide extérieure croissante. Elle est passée d'environ 7% du revenu en 1965 à environ 24% en 1994. Et pourtant, le taux de croissance économique a présenté une tendance à la baisse sur la même période. D'environ 4,5% en 1970, ce taux a progressivement baissé. Il était même devenu négatif au début des années 1990. C'est paradoxalement au moment où l'aide à l'Afrique sub-saharienne a présenté une tendance à la baisse que le taux de croissance économique semble redécoller.

    L'analyse de la tendance de l'aide internationale par rapport à la performance économique pour chaque pays de la région débouche sur une conclusion très semblable. L'augmentation de l'aide au développement semble être associée à une tendance à la baisse de la performance économique. Elles présentent pour chaque pays de la région, l'évolution du PIB par habitant et de l'aide en pourcentage du revenu.

    L'analyse du graphique débouche sur un véritable paradoxe. On constate généralement que les pays qui ont réussi à augmenter significativement leur niveau de revenu par habitant sont ceux pour qui l'aide reçue a progressivement baissé. C'est le cas de l'Angola, du Botswana, du Cap Vert, de la Guinée, de la Guinée Equatoriale, du Lesotho, de l'Ile Maurice, du Sao Tome et Principe, des Seychelles, du Soudan, du Swaziland, et de la Tanzanie. L'Angola par exemple a bénéficié d'une aide croissante jusqu'en 1994. Son revenu par habitant a pourtant régulièrement baissé sur la même période. A partir de cette date, le pays a vu son aide baisser. Paradoxalement, le revenu par tête angolais est en augmentation régulière depuis ce moment. Il en est de même pour la Guinée Equatoriale et le Mozambique. L'aide qui leur est accordée est en baisse depuis 1992, alors que leur revenu par habitant est en augmentation. Certains pays comme la RDC, la Guinée Bissau, Madagascar, le Niger, la Sierra Leone et la Zambie bénéficient d'une aide

    croissante depuis les années 1970 ; alors que leur revenu par habitant est en baisse régulière.

    Il y a pourtant des exceptions. Quelques rares pays notamment le Burkina Faso, le Ghana (depuis 1982), l'Ethiopie (depuis 1992) et l'Ouganda ont réussi à associer un niveau de revenu par habitant croissant à une aide croissante.

    A partir de cette analyse, il y a de quoi douter de l'efficacité de l'aide internationale en Afrique sub-saharienne. Néanmoins, il est difficile de conjecturer le lien entre l'aide internationale et la croissance du revenu à partir de la simple observation de ces graphiques. Des tests économétriques s'avèrent donc nécessaires.

    Pour mener cette étude, on a considéré les 46 pays de la région. La période d'étude va de 1970 à 2005 ; soit 36 années d'observations au total, par pays. Les données ont été collectées à partir du Center for Global Development (Roodman, 2005) et Banque mondiale (2006, 2007).

    Concernant l'estimation de l'impact de l'aide sur la croissance économique, le choix de l'intervalle de temps fait débat. Lorsque l'aide finance par exemple les intrants pour la production agricole (café, cacao, coton, etc.) ou encore des médicaments (antipaludéens, les antirétroviraux, ...), son impact sur le revenu peut être espéré dans une période allant de quelques mois à quatre ou cinq ans. Il en est de même lorsqu'elle finance la construction d'un barrage ou d'une route. Lorsqu'elle finance des réformes de l'appareil judiciaire par exemple, son impact sur la croissance économique peut traîner un peu ... jusqu'à cinq et même dix ans. Et l'impact sur le revenu du financement de la scolarisation de la population (construction d'une école, formations des enseignants, etc.) peut traîner jusqu'à une génération ou plus. Compte tenu de tout cela, quelle période retenir pour l'estimation de l'efficacité de l'aide au développement?

    Pour notre part, nous estimons comme Burnside et Dollar (1997, 2000) ; Easterly et al. (2003) ; Clemens et al. (2004) qu'une période moyenne de quatre ans paraît raisonnable pour espérer les effets de l'aide sur le revenu. Les données ont donc été agrégées en des valeurs moyennes couvrant des périodes de quatre ans chacune, allant de 1970 à 200552. Ce qui fait finalement neuf observations par pays. Certains pays comme par exemple l'Angola, la Somalie, le Liberia (pour des raisons de guerre) ont quelques observations manquantes. Dans le souci de couvrir le plus grand nombre de pays, nous les conservons néanmoins dans la mesure où en les intégrant, les résultats finaux ne changent pas significativement. A cause de ces données manquantes, on s'est retrouvé avec 368 observations au lieu de 9*46=414.

    Ceci représente néanmoins un nombre d'observations suffisamment élevé pour mener l'étude empirique.

    Nous estimons en panel, une équation de croissance qui fait dépendre le taux de croissance du revenu par habitant d'un ensemble de variables explicatives dont l'aide internationale. Les variables retenues pour la régression sont:

    ?it : c'est le taux de croissance moyen du revenu par tête (PIB/habitant) du pays la

    i au cours de

    période al.
    t qui est ici de 4 ans (Burnside et Dollar 1997, 2000 ; Easterly et al. 2003 ; Clemens et 2004). Il représente la variable expliquée. Les variables explicatives retenues sont:

    Ait : l'aide au développement dont a bénéficié le pays période

    i au cours de la t.

    C'est un ratio exprimé en pourcentage du PIB du pays récipiendaire.

    [A possibilité
    it A 2] : l'aide élevée au carré. On a introduit cette variable pour prendre en compte la

    de non-linéarité du lien entre aide et croissance économique, fondée théoriquement par la loi de la productivité décroissante du capital (Hansen et Tarp 2000; Clemens et al. 2004).

    PIBtit : c'est le revenu par tête initial (en logarithme). Cette variable permet de prendre en compte les dotations initiales, dans le but de capter l'effet de convergence entre les économies. On prend son logarithme pour minimiser l'effet de grands écarts entre les revenus sur le taux de croissance (Burnside et Dollar 2000, Easterly 2003).

    [ M 2 / PIB ]it : c'est la masse monétaire M2 en pourcentage du PIB. Une variable institutionnelle permettant de prendre en compte les distorsions dans le système financier, ainsi que le mode de

    52 Les périodes sont: 1970-1973, 1974-1977, 1978-1981, 1982-1985, 1986-1989, 1990-1993, 1994-1997, 1998-2001, 2002-2005.

    financement de l'économie (notamment le financement par seigneuriage) dans l'explication du taux de croissance de l'économie (King et Levine, 1993) ; son effet est analysé avec un retard d'une période (Burnside et Dollar, 2000).

    Popit : désigne le pourcentage des moins de 15 ans dans la population totale du pays considéré; une variable qui permet de prendre en compte la pression démographique sur l'investissement requis dans l'explication du taux de croissance de l'économie.

    Scolit: c'est le taux de scolarisation de la population; une variable d'éducation couramment utilisée dans la littérature (Barro et Lee, 1993).

    Invit : le taux d'investissement de l'économie i à la date t ; exprimé en pourcentage du PIB. Son effet est analysé avec un retard d'une période.

    Ethit : c'est le degré de fragmentation ethnolinguistique, repéré par la probabilité que deux individus pris au hasard, appartiennent à des groupes ethniques différents. Cette variable est suggérée par Easterly et Levine (1996) pour capter les caractéristiques de long terme d'un pays qui peuvent affecter son économie.

    En plus de ces variables, nous incluons des variables reflétant l'environnement économique du pays récipiendaire dans l'équation à estimer; à savoir:

    Ouv Une

    it : variable muette pour l'ouverture au commerce, développée par Sachs et Warner (1995). économie est considérée comme fermée au commerce lorsque ses tarifs douaniers sur les équipements et matériaux dépassent 40%, ou que les primes sur le marché noir dépassent 20%, ou encore lorsque le gouvernement exerce un contrôle intense sur le secteur commercial du pays (Burnside et Dollar, 2000).

    Ifl 1993).
    it : le taux d'inflation, un indicateur de la politique monétaire du pays considéré (Fischer,

    [ S. budgt ] PIB.

    it : c'est le solde budgétaire, en pourcentage du

    [ G.cons ] it : désigne les dépenses de consommation du gouvernement, exprimées en pourcentage

    du PIB.

    [ S budgt ] it et [ G.cons ] it : sont des indicateurs suggérés par Easterly et Rebelo (1993), pour

    prendre en compte la politique budgétaire de l'économie considérée. Les tableaux ci-dessous
    présentent quelques éléments de statistique descriptive pour l'ensemble des pays retenus, sur la période d'étude (1970-2005).

    Tableau n°I--9: Aide et taux de croissance moyen du PIB par tête par pays Valeurs Moyennes (1970 -

    2011

    Pays

    Aide (%PIB)

    Taux de

    Croissance

    pays

    Aide (%PIB)

    Taux de

    Croissance

    Angola

    6,06

    0,01

    Liberia

    12,98

    -2,93

    Bénin

    9,66

    0,35

    Madagascar

    9,16

    -1,45

    Botswana

    7,03

    7,28

    Malawi

    19,05

    0,74

    Burkina Faso

    12,47

    1,06

    Mali

    16,18

    0,85

    Burundi

    17,36

    0,32

    Mauritanie

    22,90

    0,65

    Cameroun

    1,32

    1,32

    Ile Maurice

    2,04

    4,31

    Cape Vert

    26,30

    3,24

    Mozambique

    30,69

    2,08

    RD. Congo

    7,81

    -3,66

    Rwanda

    18,33

    1,08

    Rép. Du

    Congo

    7,30

    1,12

    Sao Tome & P.

    71,99

    0,34

    Source: calcul de l'auteur a partir de DWI, 2011

    NB : La liste de pays Africain ne pas exhaustive

    Sur notre période d'étude, l'Afrique sub-saharienne a bénéficié en moyenne d'environ 15% de son PIB (14,6% précisément) en aide internationale. Son taux de croissance économique est pourtant faible; 0,82% en moyenne.

    Les premiers pays bénéficiaires d'aide ne sont pas ceux dont les taux de croissance économiques sont les plus élevés.

    CONCLUSION PARTIELLE DE LA PREMIERE PARTIE

    L'aide internationale au développement est un moyen de financement à des conditions privilégiées par rapport au marché. Elle est exclusivement réservée aux pays pauvres qui n'ont pas accès aux marchés internationaux privés de capitaux, faute de garanties suffisantes. Elle provient des pays développés qui l'octroient dans le cadre d'accords de coopération bilatéraux, ou à travers des institutions internationales spécialisées. L'aide au développement bénéficie principalement aux pays africains.

    Les principaux fondements de la politique d'aide au développement, sont : l'altruisme des plus nantis, le besoin de justice, la nécessité d'une politique de redistribution à l'échelle planétaire, l'existence de biens publics internationaux (santé, paix, environnement, ...) et la nécessité de protéger de tels biens, la lutte contre la pauvreté. Les pays pauvres étant à court de moyens, l'aide internationale constitue une politique pouvant générer l'amélioration du bien-être de tous (Pareto optimale).

    La principale caractéristique de l'aide au développement est le fait qu'elle est intrinsèquement liée aux objectifs de politiques étrangères du donateur, notamment pour les grandes puissances politiques. Cette caractéristique qui est en quelque sorte l'une de ses principaux défauts ne permet pas souvent de concilier les objectifs d'efficacité avec ceux directement ou indirectement visés par le donateur. C'est ainsi que l'aide internationale fait l'objet de vives critiques, de gauche comme de droite. Les auteurs des critiques de droite considèrent que l'aide fausse les règles du marché et crée des inefficiences ; tandis que les auteurs des critiques de gauche considèrent l'aide comme une nouvelle source d'exploitation des pays pauvres.

    Néanmoins, la lutte contre la pauvreté est, et demeure son objectif principal du moins à en croire les déclarations officielles. L'aide internationale au développement doit viser l'amélioration du bien-être des populations pauvres dans les pays du Tiers-Monde. La réduction de la pauvreté dans le monde permettra également de faire face à d'autres grands défis mondiaux comme la migration, le terrorisme, ... Pour atteindre un tel objectif (la réduction de la pauvreté), l'aide au développement doit servir à promouvoir la croissance économique dans les pays du Tiers-monde, notamment en finançant l'investissement dans ces pays.

    En promouvant la croissance du revenu dans les pays du Sud, l'aide internationale va permettre aux populations pauvres d'avoir plus facilement, l'accès à l'alimentation, aux soins de santé, à l'éducation, ... En bref, l'aide extérieure permettra l'amélioration des conditions de vie dans les pays pauvres. Elle devrait conduire à terme, à l'élimination de la pauvreté dans le monde. Malheureusement, après plus de cinquante ans d'aide au développement, la pauvreté mondiale ne semble pas baisser véritablement. Elle a même progressé dans plusieurs régions du monde en développement.

    L'Afrique sub-saharienne qui est la principale région bénéficiaire de l'aide internationale, est aussi la région où la pauvreté a le plus progressé ces dernières années. La pauvreté en Afrique a surtout augmenté sur la période 1980-1995, au moment même où l'aide à l'Afrique augmentait. Après plus d'un demi-siècle de financement extérieur, l'Afrique sub-saharienne ne présente aucun signe de

    progrès. Au contraire, la situation se détériore. Si les conditions de vie des populations en Europe centrale et orientale se sont améliorées ces dernières années, c'est surtout à cause de leur entrée dans l'Union Européenne. En marge du miracle des « dragons » et « bébé-dragons » d'Asie, la situation dans plusieurs pays asiatiques semble aussi se détériorer (Cambodge, Myanmar, Bangladesh, ...). L'Amérique Latine ne présente non plus d'améliorations significatives. Ce qui introduit des interrogations sur la capacité de l'aide internationale à promouvoir le développement.

    En Afrique sub-saharienne où la situation est plus préoccupante, on a étudié dans cette première partie, l'efficacité de l'aide au développement. Pour apprécier l'effet de l'aide internationale sur le bien-être des populations de la région, nous avons analysé de façon empirique son effet vis-à-vis de l'objectif de croissance du revenu. Dans notre estimation de l'effet que l'aide a produit sur la croissance économique, on a abouti à un coefficient (impact de l'aide) non significatif. La conclusion est donc que l'aide est inefficace en Afrique sub-saharienne. L'aide au développement n'a pas aidé le développement des pays de la région contrairement à ce qu'on a initialement pensé.

    Une question fondamentale se pose alors. Comment comprendre la stérilité de l'aide extérieure en Afrique sub-saharienne ? Comment comprendre que l'effet de l'aide internationale, qui est censée combler le déficit en investissement des économies de la région pour promouvoir leur décollage économique soit indécelable, après plus de cinquante ans de politiques de développement axées sur cette aide ? C'est ces interrogations que nous examinons dans la deuxième partie.

    DEUXIEME PARTIE

    LES RAISONS DE L»INEFFICACITE DE L'AIDE EN AFRIQUE NOIRE

    « Grande est notre faute, si la misère de nos pauvres découle non
    pas de lois naturelles mais de nos institutions ».

    Charles Darwin, Le voyage du Beagle.

    Nous venons de voir dans la première partie de ce travail que l'aide est inefficace en Afrique sub-saharienne. Le décollage économique tant attendu, que devait amener l'aide internationale ne s'est pas produit après plus d'un demi-siècle d'aide aux économies africaines. Et pourtant, l'histoire nous enseigne que, l'aide a connu des succès éclatants ailleurs dans le monde. En effet, de par le passé, l'aide extérieure a aidé l'Europe (plan Marshall). Nous avons vu dans l'introduction de ce travail, l'exemple de la Corée du Sud. Tout comme la Corée, les autres dragons d'Asie comme Singapour, Taiwan, ... doivent aussi une grande partie de leur réussite économique à l'aide internationale. Et on cite aujourd'hui l'exemple des bébé-dragons d'Asie (Indonésie, Malaisie, ...)53 comme réussite de l'aide internationale.

    Comment peut-on comprendre qu'en Afrique sub-saharienne, l'aide soit stérile, inefficace ? Comment peut-on comprendre que malgré la place qu'occupe la région dans l'enveloppe totale

    d'aide, la pauvreté y progresse ? En quoi réside la faiblesse de l'aide internationale à

    promouvoir le développement Afrique sub-saharienne ? Pourquoi les pays d'Afrique sub-

    saharienne échouent-ils là où les pays asiatiques comme la Corée du Sud, le Taiwan et l'Indonésie ont réussi?

    En partant de la littérature économique, les raisons qu'on peut évoquer pour expliquer les difficultés de croissance et l'échec de l'aide en Afrique sont les suivantes : i) les facteurs géographiques comme les conditions climatiques ; ii) les dotations en ressources naturelles (comme par exemple l'eau, les terres arables, ...) et l'enclavement; iii) les dotations en capital physique et humain; iv) la faiblesse du revenu qui entraîne une demande globale faible ; v) les facteurs démographiques ; vi) un système financier sous-développé qui ne favorise pas le développement du secteur réel ; vii) les variables de politique économique notamment la politique budgétaire et monétaire; viii) le niveau de l'épargne et l'investissement; ix) la faiblesse du système technologique ; x) la compétitivité des taux de change et les régimes commerciaux; xi) les facteurs institutionnels comme par exemple l'engagement et la crédibilité politiques, la qualité de la fonction et des services publiques, le respect de la loi, la corruption et le maintien de l'ordre publique; xii) l'insuffisance du budget de l'aide au développement; xiii) l'affectation ou encore l'utilisation qui est faite de l'aide internationale au développement reçue; xiv) les conflits d'intérêts et la politique des donateurs en matière d'aide extérieure ; xv) l'impact de l'aide sur les comportements dans les pays receveurs.

    En toute logique, les facteurs ci-dessus énumérés peuvent se résumer en trois grands points:

    -- Les handicaps structurels qui emprisonnent les économies africaines dans un équilibre de trappe à pauvreté qui est un équilibre de bas niveau, dont l'aide internationale, parce que faible ne leur a pas permis de s'extirper.

    -- Les effets d'incitation que crée l'aide internationale notamment vis-àvis de la gouvernance dans les pays aidés.

    -- Les pratiques des donateurs qui conduisent souvent à des inefficiences en matière de politique de développement.

    53 Voir par exemple Cohen Daniel et al. (2006), page 109.

    54 Les deux termes (trappe à pauvreté (ou à sous-développement) et piège à pauvreté) désignent un même phénomène. On les utilisera indifféremment dans ce travail.

    CHAPITRE QUATRIEME

    TRAPPES A PAUVRETE ET INSUFFISANCE DE L'AIDE

    L'une des principales thèses avancées pour expliquer l'échec de l'aide au développement est l'insuffisance du budget global de l'aide. Cette explication s'appuie théoriquement sur les modèles de trappe à sous-développement. En effet, une façon d'aborder la question de l'inefficacité de l'aide au développement est de s'interroger sur l'existence d'un seuil en deçà duquel elle serait inefficace. Nous avons vu dans le chapitre II de la première partie que l'une des principales motivations à la base de l'aide internationale est l'idée selon laquelle les pays pauvres connaissent des difficultés de croissance économiques parce qu'ils ont un déficit d'investissement, dû à une épargne faible. L'objectif de l'aide est donc de combler le déficit entre l'épargne intérieure et l'investissement requis dans ces pays pour promouvoir leur développement économique, et par là résorber la pauvreté.

    La théorie économique permet de montrer que, lorsqu'une société dispose d'un stock de capital par tête initial trop faible, elle peut se faire piéger dans une trappe à pauvreté, la condamnant à un revenu de bas niveau. Elle ne peut donc connaître de croissance économique de manière durable. Sortir de cette trappe nécessite des investissements énormes et simultanés dans tous les secteurs (infrastructures, capital humain, améliorer le système financier, ...). Telle est la thèse du « big push » défendue par Rosenstein-Rodan (1943 et 1961).

    On pourrait donc imaginer que si les pays d'Afrique sub-saharienne connaissent toujours des difficultés de croissance, c'est que l'aide qui leur est jusqu'ici accordée n'est pas suffisamment forte pour leur permettre de réaliser ces investissements simultanés, et donc de combler durablement le déficit entre les investissements requis et l'épargne. L'insuffisance de l'aide serait alors la source de son inefficacité.

    C'est ce qu'on se propose d'examiner dans ce chapitre. Pour bien comprendre les faits, on étudie dans la section 1, les handicaps structurels qui peuvent retenir une économie initialement pauvre dans une trappe à sous-développement. L'aide internationale est donc nécessaire à une telle économie. Mais pour lui permettre de briser les cercles vicieux de la pauvreté, il faut que l'aide à lui octroyer soit suffisamment forte. On montre dans la section 2 qu'une aide faible (insuffisante) est sans effet sur une économie prise au piège de la pauvreté; elle sera donc inefficace. Dans la section 3 enfin, on teste l'idée selon laquelle l'inefficacité de l'aide au développement en Afrique sub-saharienne est liée à son insuffisance.

    Section 1 : Les trappes à pauvreté

    L'un des thèmes les plus usuels de la littérature économique sur le développement concerne les trappes à pauvreté (poverty trap en anglais). Une trappe (ou piège54) à pauvreté (ou à sous-développement) est définie selon Berthelemy (2005) comme l'existence de mécanismes de cercles vicieux conduisant à un déclin économique quand l'économie est initialement sous un certain seuil de développement, alors que le progrès économique est possible quand ce seuil est franchi. Une trappe à pauvreté se réfère notamment à l'existence d'un état régulier stable avec de faibles niveaux de production et de capital par tête. Il s'agit d'une trappe car si les agents essaient d'en sortir, l'économie tend alors à revenir à l'état régulier de faible niveau.

    L'origine de cette idée est lointaine. On peut citer l'ouvrage de Myrdal « théorie économique et pays sous-développés » (1959), qui développe l'idée de ce qu'il nommait « le processus des

    causalités circulaires et cumulatives ». Plus récemment, on peut citer les travaux de Jeffrey Sachs (2004, 2005). Selon ce dernier auteur, le piège à pauvreté dans lequel sont enfermés un certain nombre de pays en développement tient à trois caractéristiques principales qualifiées de handicaps structurels:

    -- La faiblesse de leur capital physique et humain qui entraîne une faible productivité. Ce qui attire peu d'investissements directs étrangers.

    -- Le faible niveau de revenu par tête qui induit une demande faible et un faible taux d'épargne. -- La croissance très rapide de la population qui exacerbe le manque d'investissement.

    Ces éléments constituent de véritables handicaps au développement économique des pays pauvres, et maintiennent ces économies dans le cercle vicieux de la pauvreté, avec un équilibre stable de bas revenu. Il est impossible pour une telle économie de décoller sans un choc exogène important, qui ne peut provenir que de l'extérieur.

    L'objectif de cette première section est d'examiner les principales origines des trappes à sous-développement. On analysera dans un premier temps, les handicaps structurels liés à une dotation initiale faible en capital physique, en retenant le cadre théorique du modèle néoclassique de Solow. On étudiera ensuite tour à tour, les trappes à pauvreté liées à un faible développement humain, un système financier sous-développé et un secteur agricole dominant. Ces handicaps structurels à l'origine des trappes peuvent rendre difficile voir impossible toute tentative d'industrialisation. L'économie ne peut alors décoller sans aide extérieure très importante.

    1. Dotation en capital physique et trappes à pauvreté

    Il est question d'étudier ici comment une économie peut se faire piéger dans une trappe à sous-développement du fait de sa pauvreté dans la dotation initiale en capital physique. En effet, à la question de savoir pourquoi certains pays sont-ils si pauvres, Ragnar Nurkse (1953) répondait « c'est parce qu'ils sont pauvres ». Cette simple citation illustre le problème. Du fait qu'ils soient initialement pauvres, certains pays peuvent être condamnés à le rester si aucun apport conséquent ne leur vient de l'extérieur. Le modèle néoclassique de Solow offre un cadre idéal pour étudier un tel phénomène.

    1.1. Le modèle de Solow : convergence et possibilité d'équilibres

    Multiples Lorsque la dotation initiale d'une économie est trop faible, elle peut entraîner un certain nombre d'obstacles structurels qui vont engluer l'économie dans une trappe à sous-développement, la condamnant à la pauvreté. Le modèle de Solow, à partir de la thèse de la convergence conditionnelle, fait apparaître trois principales sources de trappe à pauvreté : une insuffisance d'épargne, une forte croissance démographique et un progrès technique lent (faible). Avec la prise en compte du progrès technologique et la dépréciation du capital, le cadre théorique du modèle de Solow convient parfaitement pour étudier les trajectoires de croissance économique et analyser les trappes à pauvreté. Dans le modèle, le niveau de richesse de l'économie étudiée est basé sur la production et l'accumulation du capita.

    1.2. Les trappes à pauvreté dans le modèle néoclassique de Solow

    On analyse ici dans le cadre du modèle présenté ci-dessus, trois sources possibles de trappe à sous-développement liées à la pauvreté de la dotation initiale. Il s'agit de : un taux d'épargne faible, un progrès technologique lent (ou faible) et une forte croissance démographique. On montre comment ces facteurs peuvent condamner une économie à rester pauvre en endogénéisant les paramètres s, n, et A. Ils deviennent maintenant expliqués par les dotations initiales de l'économie, résumées par le capital par tête initial.

    2. Développement humain et trappe à pauvreté

    Dans le modèle de croissance de Solow, le progrès technique est le facteur clé qui permet à la croissance économique de ne pas s'essouffler notamment lorsqu'on s'approche de l'état régulier. La technologie s'avère donc une explication forte des différences de taux de croissance entre les économies. Même si le progrès technique peut être considéré comme un bien non rival, l'adoption de technologie et de solutions innovantes peut être problématique au sein d'une population lorsque le niveau d'instruction y est faible. Plus les habitants d'un pays ont un niveau d'éducation élevé, plus ils seront à même d'innover ou de s'adapter à de nouvelles techniques de production. Du niveau de développement humain, dépend donc le gain de productivité en matière d'innovation. Le capital humain qui s'accumule par l'éducation (Lucas, 1988) devient donc un élément clé du développement. Le cadre théorique de Romer permet de montrer ce lien (capital humain - développement économique).

    2.1. Le modèle de Romer

    Pour montrer comment le capital humain influence la croissance économique, on peut se référer au modèle de Romer (1990), qui offre un cadre théorique idéal pour étudier l'importance du capital humain. Dans ce modèle, le progrès technique est endogène. Il est le résultat d'investissements en recherche et développement (R&D). Il est fonction du niveau de capital humain affecté à la recherche et développement. De là, on met en évidence une trappe à pauvreté liée à un stock en capital humain faible.

    2.2. Développement financier et développement économique

    Depuis le début des années 1970, la relation entre « développement financier » et « développement économique » devient de plus en plus importante et fait objet d'une littérature abondante. La revue de cette vaste littérature permet d'admettre qu'il existe un lien positif entre la finance et le développement. En effet, depuis les travaux de Mc Kinnon (1973) et Shaw (1973), qui sont les précurseurs de ce champ d'analyse, il a été montré que le développement financier soutient le développement économique. Des études plus récentes (Greenwood et Jovanovic 1990, Saint-Paul 1992, Pagano 1993, Arestis et Demetriades 1997, Benhabib et Spiegel 2000) sont venues confirmer l'impact positif qu'exerce le développement financier sur la croissance économique. Cet impact découlerait surtout du fait que l'intermédiation financière assure une meilleure collecte et une meilleure allocation des ressources d'épargne ; ce qui améliore l'accumulation du capital en favorisant des investissements plus productifs.

    A l'inverse, la croissance économique, qui fait augmenter les ressources prêtables est nécessaire elle aussi pour le développement du système financier. La relation entre développement économique et développement financier peut donc s'avérer plus complexe qu'on aurait pu le penser et le sens de la causalité reste à déterminer (voir Trew 2006 pour un survey de la littérature économique sur le lien entre la finance et la croissance économique). Du point de vue théorique, une causalité positive à double sens entre développement financier et croissance économique peut conduire à des équilibres multiples d'état stationnaire (Saint-Paul 1992, Berthelemy et Varoudakis 1994). Ainsi peut-on assister à des clubs de convergence et trappes à sous-développement liés à un système financier peu développé. Le sous-développement financier en Afrique sub-saharienne peut donc être une cause de l'inefficacité de l'aide au développement (Mwanza Nkusu et Selin Sayek, 2004).

    Pour étudier comment un système financier peu développé peut affecter le décollage économique, on peut se référer au cadre théorique de Berthelemy et Varoudakis (1994). Le modèle analyse l'interaction entre le secteur financier et le secteur réel. Le modèle permet d'expliquer comment l'état initial du système financier peut entraîner une économie, soit vers un équilibre de haut niveau, caractérisé par le renforcement mutuel entre finance et croissance économique, soit vers un équilibre de bas niveau caractérisé par des insuffisances du secteur réel et du système financier.

    3.1. Le modèle de Berthelemy et Varoudakis (1994)

    Le modèle considère une économie à deux secteurs : le secteur réel qui rassemble les consommateurs et les entreprises, et le secteur financier qui joue le rôle d'intermédiaire entre les agents à capacité de financement et ceux à besoin de financement. Dans le modèle, il y a des externalités réciproques entre le secteur financier et le secteur réel. Il y a trois catégories d'agents dans le modèle : les consommateurs, les firmes de production et les banques.

    3.2. Equilibres multiples et trappe à pauvreté

    A partir de l'économie décrite ci-dessus, on montre la possibilité d'équilibres multiples d'état stationnaire. A l'origine de cette multiplicité d'équilibres se trouvent l'interaction entre l'effet externe positif de l'épargne du secteur réel sur la productivité des banques et le mécanisme de concurrence imparfaite dans le secteur réel sur la productivité des banques.

    Pour illustrer cette possibilité, on considère premièrement une situation dans Laquelle le secteur financier est sous développé. Ceci implique une faible concurrence entre les banques et des marges d'intermédiation élevées. Ce qui à son tour entraîne une baisse du taux d'intérêt net payé aux ménages et donc, selon la règle de Ramsey-Keynes, un équilibre d'état stationnaire de bas niveau. La faible rémunération de l'épargne va réduire l'offre d'épargne aux banques.

    En conséquence, la taille du secteur financier va entraîner une faible productivité marginale du travail dans le secteur bancaire. Puisque le taux de salaire réel doit être le même dans les 2 secteurs, la faible productivité du travail dans ce secteur justifie le faible niveau de l'emploi et donc le sous-développement du secteur bancaire.

    En conséquence, l'économie peut être prise au piège de la pauvreté dans un équilibr bas, avec un secteur financier sous-développé et une croissance faible.

    Néanmoins, un équilibre de haut niveau est aussi possible. Dans ce cas, le haut niveau de développement financier renforce la concurrence entre les banques. Ceci entraîne une marge d'intermédiation relativement faible et un haut niveau du taux d'intérêt net payé aux ménages, une croissance économique forte, une forte incitation à épargner et un marché financier large. Ceci a un effet positif sur la productivité marginal du travail dans le secteur financier et justifie un haut niveau d'emploi.

    Section 2 : L'inefficacité de l'aide en Afrique sub-saharienne est-elle due à son insuffisance?

    L'explication la plus populaire, de l'échec de l'aide porte sur son volume. Le faible niveau du budget global de l'aide au développement est largement discuté ces dernières années. Environ 55 milliards de dollars par an pour tous les pays en développement du monde, alors que les seuls agriculteurs dans les pays développés reçoivent une subvention annuelle de 325 milliards de dollars, soit 5 à 6 fois l'ensemble du budget alloué à l'aide au développement de l'ensemble des pays pauvres. Il se peut que les pays africains soient effectivement dans une trappe à sous-développement. Dans ce cas, comme nous l'avons vu ci-dessus, si l'aide qui leur est accordée ne leur permet pas de briser le cercle vicieux de la pauvreté, elle sera stérile. Ceci peut expliquer la malédiction de l'Afrique.

    Dans cette section, on entreprend différents tests empiriques sur cette question. Dans un premier temps, on s'interroge sur le niveau à partir duquel l'aide internationale octroyée à un pays pauvre peut être considérée comme forte ou suffisante. On identifie ensuite la période où l'aide à l'Afrique sub-saharienne peut être considérée comme forte. Pour savoir si l'aide, aide le développement lorsqu'elle est forte, on évalue sur cette période l'impact de l'aide reçue sur la croissance économique. On terminera cette section par des tests empiriques sur l'idée selon laquelle les économies africaines sont prises au piège de la pauvreté.

    1. Aide forte -- aide optimale pour un pays pauvre

    Avant d'aborder les tests empiriques sur l'insuffisance de l'aide internationale accordée aux pays africains en dessous du Sahara, il est nécessaire de préciser ce qu'est une aide forte, ou mieux le montant d'aide optimale pour un pays pauvre donné. Quand peut-on considérer une aide comme forte ou suffisante? Quel est le niveau optimal d'aide pour un pays receveur?

    Le débat sur le « montant optimal » de l'aide internationale à accorder à un pays pauvre donné occupe une place de plus en plus importante dans la littérature théorique et empirique sur l'efficacité de l'aide au développement. L'aide internationale représente avant tout un « coût » ou encore une « perte » pour les contribuables dans les pays riches. Nous avons néanmoins vu dans le deuxième chapitre de la première partie de ce travail que la réduction de la pauvreté dans les pays du Sud est une politique optimale au sens de Pareto. Ainsi, l'aide qui favorise la croissance économique dans les pays pauvres est une « politique optimale ». Delà, lorsqu'un montant donné d'aide permet de favoriser la croissance économique dans le pays receveur, on peut le considérer comme convenable au Sud et au Nord, donc optimale. Une aide qui est inefficace à cause de son montant est donc non optimale, une perte pour le Nord et le Sud.

    Plusieurs auteurs (Sachs 2004, Boone 1996) soutiennent l'existence d'un seuil minimal en deçà duquel l'aide accordée à un pays pauvre ne peut être efficace.

    Ce qui suppose que l'aide doit être suffisamment forte pour être optimale (promouvoir la croissance économique). Néanmoins, cette thèse aussi noble qu'elle puisse paraître ne fait pas unanimité. Elle a un courant contestataire. En effet, la thèse du « big push » qui évoque la nécessité d'accroître massivement et rapidement l'aide aux pays sous-développés se confronte à celle de « la capacité d'absorption » des pays pauvres. La thèse de « la capacité d'absorption » évoque deux raisons principales pour lesquelles une aide trop forte n'est pas souhaitable : la loi des rendements marginaux décroissants et le « Dutch Disease » (syndrome hollandais).

    Rajan et Subramanian (2005) Soutiennent qu'une aide trop forte pourrait freiner la croissance du secteur des biens échangeables, notamment les biens manufacturiers. En effet, l'aide est susceptible d'augmenter l'offre de devises sans qu'il y ait une augmentation correspondante de la demande (par exemple si elle est utilisée pour financer des biens et services non-échangeables). Cela va entraîner une appréciation du taux de change et une perte de compétitivité des producteurs de biens échangeables. L'économie va ainsi déboucher sur le syndrome hollandais.

    Néanmoins, des analyses empiriques de l'impact de l'aide reçue sur le taux de change réel de plusieurs pays notamment africains (FMI, 2005) ne révèlent pas de lien significatif entre ces deux variables (aide et taux de change réel). La thèse selon laquelle l'aide entraînerait une surévaluation du taux de change réel et donc la perte de la compétitivité de l'économie ne semble donc pas se confirmer dans les faits. Cohen et al. (2006) fournissent une explication au phénomène. Ils soutiennent que l'appréciation réelle de la monnaie ne pose pas de problème de compétitivité lorsqu'elle s'accompagne d'un accroissement de productivité.

    Pour certains auteurs (Svensson 2005, Lensink et White 2001, FMI 2005), l'origine du syndrome hollandais que pourrait entraîné une aide forte ne tient pas à une perte de compétitivité, mais aux caractéristiques propres de types structurels (institutions budgétaires, qualité des services publics, capacités humaines et d'administration, ...) de la plupart des pays en développement. Ces caractéristiques limitent leurs capacités à gérer et à utiliser efficacement des ressources énormes. Ce qui fait qu'une augmentation massive et rapide de l'aide internationale peut facilement engendrer des problèmes semblables au « Dutch Disease»

    2. Test empirique sur la question de l'insuffisance de l'aide reçue

    Avant d'aborder l'étude empirique proprement dite, il est nécessaire d'analyser la tendance de l'aide en Afrique sub-saharienne pour identifier les grandes étapes ou épisodes de l'aide dans la région.

    2.1. Analyse des grandes étapes de l'aide en Afrique sub-saharienne

    A partir des critères définis plus haut, l'analyse de l'évolution de l'aide en pourcentage du PIB (voir figure ci-dessous) permet de distinguer quatre épisodes de l'aide, qu'on peut regrouper en trois grandes catégories. Une période où l'aide à l'Afrique a été suffisamment forte, et qui va de 1986 à 1996. Deux périodes au cours desquelles l'aide est moyenne: de 1978 à 1986 et de 1996 à 2004 ; et enfin une période où l'aide à l'Afrique est faible : de 1970 à 1978. Ces grands épisodes peuvent être distingués sur la figure suivante.

    Figure n° II-1: Aide en pourcentage du revenu en Afrique sub-saharienne

    L'aide à l'Afrique sub-saharienne qui valait environ 6$ par tête en 1970 a considérablement augmenté avec le temps, pour avoisiner 90$ US en 1991. La période 1986-1996 a été pour l'aide au développement en Afrique sub-saharienne une période remarquable. Les pays de la région ont annuellement bénéficié d'une aide supérieure à 60$ par tête. Ce fut une période sans précédent (voir figure cidessous).

    Figure II-2 : Aide par tête en Afrique sub-saharienne

    On peut alors légitimement se demander si l'aide internationale au développement a favorisé la croissance économique sur la période qui va de 1986 à 1996 où elle a été forte. C'est ce qu'on aborde maintenant. On analysera de façon empirique l'impact que l'aide internationale a eu sur la croissance économique dans les pays récipiendaires suivant les grands épisodes de l'aide internationale.

    3. Capacité d'absorption et efficace de l'aide

    Nous avons vu dans les sections précédentes que, selon la loi de la productivité marginale décroissante pour le capital et la thèse de la « capacité d'absorption » pour un pays donné, l'aide pourrait devenir néfaste lorsqu'elle est trop forte. Une telle hypothèse (existence d'un seuil maximal) suppose une relation non linéaire entre le niveau d'aide reçu et la croissance économique. Il y aurait une relation parabolique, en cloche (ou en U inversé) entre aide et croissance économique.

    CHAPITRE CINQUIEME

    AIDE EXTERIEURE ET EFFETS D'INCITATION

    La croissance économique, moteur du développement, est le coeur de toute politique de développement. Asseoir la croissance économique dans les pays démunis comme ceux de l'Afrique sub-saharienne nécessite des moyens; mais aussi une incitation favorable au niveau des principaux acteurs du développement. Malheureusement, les stratégies de développement mises en oeuvre depuis longtemps ne considèrent que les moyens, léguant au second plan le rôle des incitations dans le processus de développement.

    Nous venons de voir pourtant, dans le chapitre précédent, que le problème de l'Afrique sub-saharienne ne se résume pas uniquement à une question d'investissement ou de moyens. Le fait que l'aide soit inefficace, même lorsqu'elle est forte et ceci, même pour les pays qui, vraisemblablement, ne sont pas dans une trappe à sous-développement, nous amène à envisager l'existence d'effets pervers de l'aide internationale sur les économies assistées.

    Plusieurs auteurs ont investi ce champ d'analyse à propos de l'aide internationale. Les considérations marxistes et les effets pervers de l'aide du point de vue libéral (selon lequel l'aide extérieure exerce des effets négatifs sur la production locale en créant une surévaluation des taux de changes ou encore en faussant les règles du marché) ont été présentés plus haut. Cremers et Sen (2007) présentent une autre facette du problème en analysant dans un modèle à générations imbriquées, les effets de l'aide internationale sur l'accumulation du capital et les niveaux de bien-être; à la fois dans le pays donateur et chez le récipiendaire. Ils aboutissent au paradoxe de l'aide extérieure, déjà évoqué par Galor et Polemarchakis (1987), Tan (1998) et Yanagihara (2006). Selon ce paradoxe, l'aide internationale enrichit le donateur et appauvrit le bénéficiaire. Selon Cremers et Sen (2007), en parfaite mobilité du capital, lorsque la propension à épargner est plus élevée chez le pays donateur (comme c'est souvent le cas), l'aide internationale fait augmenter le taux d'intérêt d'état stationnaire. Ce phénomène est lié au fait que, l'aide fait baisser l'offre mondiale d'épargne et donc, le niveau de capital d'état régulier. L'augmentation du taux d'intérêt mondial influence positivement le bienêtre du prêteur (donateur) et négativement celui de l'emprunteur (bénéficiaire de l'aide). L'augmentation du taux d'intérêt mondial fait que in fine, le donateur réalise un gain de bien-être et le récipiendaire, une perte. Notre analyse dans le cadre de ce mémoire du 3e cycle permet d'aborder le problème sous un autre angle, en considérant les effets d'incitation.

    Nous verrons dans ce chapitre que des politiques néfastes en Afrique subsaharienne, conséquences de mauvaises incitations, peuvent expliquer l'inefficacité de l'aide à promouvoir le développement dans les pays bénéficiaires. En effet, les gouvernements avec des politiques inappropriées peuvent mettre en échec l'économie de marché et se trouver à l'origine d'incitations qui annihilent tout effort de développement. Le problème devient plus compliqué quand l'aide internationale, qui doit répondre au problème de moyen, est elle-même à l'origine des mauvaises incitations qui altèrent l'activité économique dans le pays aidé. Quand la corruption et les politiques gouvernementales sont au coeur du problème, des réformes institutionnelles fondamentales sont nécessaires et doivent responsabiliser les gouvernements devant leurs citoyens.

    Malheureusement, les gouvernements se trouvent parfois enfermés dans un faisceau d'incitations au centre duquel se trouve la politique d'aide au développement. Ils peuvent notamment être incités à mener de mauvaises politiques, à cause de l'aide internationale (Pedersen, 2001). Sous

    55 L'incidence de la pauvreté pour une population donnée désigne l'écart entre le niveau de vie de la population et le seuil de pauvreté, évalué à 2$ par personne par jour ou 1$ par tête par jour pour la pauvreté extrême.

    l'hypothèse que le volume d'aide reçue par un pays pauvre donné dépend de l'incidence55 de la pauvreté dans la population totale, on montre que le comportement d'optimisation peut inciter le pays receveur à adopter une politique appauvrissante, dans le but de recevoir davantage d'aide, ou encore pour se qualifier à certaines formes avantageuses de l'assistance internationale. On se trouve ainsi en face du « dilemme du bon Samaritain » évoqué par Buchanan (1975), qui établit que l'aide charitable conduit à diminuer l'incitation au travail du bénéficiaire (Lindbeck et Weibull 1988, Stephen Coate 1995, Koulibaly 1998, Svensson 2000, Pedersen 2001).

    Dans la section 1, nous construisons un modèle théorique qui sera utilisé comme cadre d'analyse des effets d'incitation que l'aide peut créer au niveau du récipiendaire. On montre ensuite (section 2) que l'aide internationale peut induire chez le récipiendaire, une désincitation au travail. Elle peut notamment entraîner une baisse de l'investissement domestique au profit de la consommation présente, encourager des investissements inefficients, l'absence ou la diminution de l'effort en faveur de la réduction de la pauvreté et une détérioration de la qualité de la gouvernance. Dans la section 3 enfin, on appliquera à travers des analyses empiriques, les résultats de cette étude au cas de l'Afrique sub-saharienne.

    Section 1 : Les effets désincitatifs de l'aide

    Dans cette section, on étudie à partir du modèle théorique ci-dessus, comment l'aide internationale affecte l'attitude optimale de l'agent représentatif visà-vis de la consommation/l'investissement et l'effort. Dans la mesure où l'aide dépend de l'étendu des besoins du pays receveur, l'agent représentatif peut influencer par son action, l'aide qui lui sera octroyée. Dans le but de maximiser son utilité, il va adopter un comportement qui lui permettra de bénéficier d'une aide forte. On se trouve ainsi en face du dilemme du bon Samaritain. Dans un premier temps, on intègre l'aide extérieure au problème ci-dessus étudié. La détermination des nouvelles variables d'équilibre et de l'expression du gain net associé à l'effort en présence de l'aide extérieure permettra d'analyser les effets désincitatifs de l'aide internationale sur l'investissement domestique et le niveau d'effort du récipiendaire.

    1. Aide extérieure, épargne domestique et investissement

    L'impact de l'aide extérieure sur l'épargne domestique est un phénomène étudié dans la littérature économique sur l'aide internationale. Plusieurs analyses empiriques (Griffin 1970, Easterly et Dollar 1999) ont montré que l'aide internationale encourage la consommation plus que l'investissement. La raison le plus souvent évoquée pour expliquer un tel phénomène est le détournement de l'aide de son objectif initial. Les fonds d'aide n'iraient pas seulement à l'investissement; une partie serait détournée pour d'autres fins comme le financement des biens de consommation final, la corruption. Mais il y a une autre raison, qui n'est pas des moindres, et qui explique valablement l'augmentation de la consommation à la suite de l'octroi de l'aide extérieure: c'est le caractère « fongible » (ou encore la « fongibilité ») de l'aide internationale.

    1. La prise en compte de l'aide internationale

    On suppose que le pays A s'ouvre sur l'extérieur, en entretenant des relations économiques avec un pays B développé. Le pays B, « philanthrope », se propose d'aider le pays pauvre A. Les autres formes de relations économiques entre A et B à part l'aide internationale (relation commerciale, investissements directs étrangers, transferts des migrants, profits rapatriés, ...) sont ignorées ; leurs

    flux sont supposés nuls. Le pays riche B annonce à la période 1T qu'il va accorder dans le futur, de l'aide aux pays pauvres dont le revenu par habitant ( y ) est en deçà d'un seuil donné ( y ). L'aide ainsi annoncée n'interviendra qu'à la période 2 T. En effet, une caractéristique principale de l'aide internationale est que les donateurs (pays 207 riches et institutions internationales) prennent des engagements d'avance ; et les fonds ne sont effectivement décaissés qu'une ou plusieurs années plus tard.

    Par hypothèse, le volume d'aide que B octroie à A est endogène. Plus A est pauvre, plus il reçoit d'aide. Nous avons montré dans la première partie de ce travail que le niveau des besoins des pays récipiendaires est un facteur déterminant dans l'allocation internationale de l'aide. Cette thèse est soutenue par plusieurs études empiriques (Burnside et Dollar 2000, Alesina et Dollar 2000, Llavador et Roemer 2001, Alesina et Weder 2002). Nous montrerons plus loin que le revenu par habitant est un facteur déterminant dans l'attribution de l'aide en Afrique subsaharienne.

    Ainsi, l'aide par tête sous forme de transfert (z) à octroyer au pays A est une fonction décroissante de son revenu par habitant (y). On considère pour cela une « fonction de distribution de l'aide » de la forme:

    ,

    On supposera en outre que , Lorsque le revenu par tête du pays baisse
    (respectivement augmente) d'un montant donné, l'aide par tête augmente (respectivement baisse) d'une valeur inférieure à ce montant.

    Notons que : Y = L.y et Z = L.z : où Z désigne l'aide Total reçue.

    Et donc:

    La prise en compte de l'aide internationale future va changer l'attitude de l'agent représentatif du pays A. En reprenant le problème ci-dessus, l'agent représentatif va choisir les niveaux de consommation Ct (t = 1 ; 2) et d'effort e qui lui permettent de maximiser son utilité totale inter temporelle, en tenant compte cette fois-ci de l'aide internationale qui interviendra à la période suivante (T2). Une première conséquence de l'aide internationale est donc une modification du TMSS de l'agent représentatif et donc, l'épargne et le niveau de l'investissement du pays.

    2. Aide extérieure, épargne domestique et investissement

    L'impact de l'aide extérieure sur l'épargne domestique est un phénomène étudié dans la littérature économique sur l'aide internationale. Plusieurs analyses empiriques (Griffin 1970, Easterly et Dollar 1999) ont montré que l'aide internationale encourage la consommation plus que l'investissement. La raison le plus souvent évoquée pour expliquer un tel phénomène est le détournement de l'aide de son objectif initial. Les fonds d'aide n'iraient pas seulement à l'investissement; une partie serait détournée pour d'autres fins comme le financement des biens de consommation final, la corruption. Mais il y a une autre raison, qui n'est pas des moindres, et qui explique valablement l'augmentation de la consommation à la suite de l'octroi de l'aide extérieure: c'est le caractère « fongible » (ou encore la « fongibilité ») de l'aide internationale.

    2.1. La fongibilité de l'aide

    Selon Collier et Dollar (2002) tout comme Sandefur (2006), l'aide destinée au financement de projets (santé ou éducation par exemple) libère des ressources locales que le gouvernement peut utiliser à sa guise. Il peut notamment consacrer les ressources libérées à la consommation. Cette situation est communément désignée sous le nom de « fongibilité » de l'aide internationale. Pour comprendre un tel phénomène, on peut se référer à la figure ci-dessous.

    Notons que le degré de fongibilité de l'aide dépend du pays considéré. Pack et Pack (1990, 1993) soulignent l'importance des caractéristiques des systèmes budgétaires de chaque pays en montrant

    Fulgure II.3 : Fongibilité de l'aide

    On suppose que le gouvernement du pays receveur alloue son budget à deux types de biens : un bien de consommation final (dépenses de fonctionnement ou palais gouvernemental par exemple) et un bien d'investissement (manuels scolaires par exemple). On suppose en outre que le gouvernement a une préférence pour le bien de consommation. Cependant, il doit satisfaire un niveau minimal du bien d'investissement dans le pays pour éviter le mécontentement de la population. Dans ses conditions, à l'équilibre, le gouvernement alloue au bien d'investissement, exactement le montant nécessaire pour prévenir le mécontentement de la population; et le reste du budget sera consacré au bien de consommation final. Nous représentons cette situation sur la figure ci-dessus par le point E1. Le gouvernement alloue [OA] au bien d'investissement et [OG] au bien de consommation. Il se trouve ainsi sur la courbe d'indifférence U1.

    Une institution « bienfaitrice » se propose ensuite d'aider le pays pauvre. Elle lui accorde pour cela, une aide de montant [CD], destinée au financement du bien d'investissement (manuels scolaires). La contrainte budgétaire du gouvernement passe alors de CB1 à CB2. De combien augmentera alors le volume du bien d'investissement?

    Comme le montre la figure, le volume du bien d'investissement augmentera d'un montant inférieur à l'aide reçue. Cette situation intervient même si le donateur s'assure que toute l'aide est consacrée au bien d'investissement. On peut en effet imaginer le cas où l'aide accordée n'est pas en argent, mais en nature (envoi de manuels scolaires). Dans ce cas, le gouvernement du pays receveur ayant une préférence pour le bien de consommation final, va simplement réajuster l'allocation de ses ressources domestiques dans le but de maximiser son utilité. Un certain montant de son budget (ici [GH]) qui était initialement consacré au bien d'investissement va maintenant être alloué au bien de consommation final. Il va ainsi se retrouver au point d'équilibre E2. Bien que toute l'aide reçue soit investie, l'augmentation du volume du bien d'investissement (ici ?I = [AB]) sera inférieure à l'aide reçue (ici [CD]). L'aide n'est pas dans notre exemple ci-dessus détournée de son objectif initial (investissement), mais elle a évincé l'investissement domestique. C'est la « fongibilité » de l'aide.

    Bien évidemment, on peut envisager que l'attribution de l'aide internationale n'influence pas seulement la contrainte budgétaire du pays récipiendaire, mais aussi les prix relatifs entre biens. Dans ce cas, la contrainte budgétaire va pivoter, au lieu de se déplacer parallèlement vers la droite. L'effet final de l'aide extérieure sur l'allocation des ressources du pays bénéficiaire sera néanmoins semblable à celui montré ci-dessus.

    que l'aide est fongible dans le cas de la République dominicaine, alors qu'elle ne l'est pas dans celui de l'Indonésie.

    Dans notre exemple ci--dessus, l'augmentation de la consommation est liée à la préférence pour le gouvernement du bien de consommation final. Notre modèle présenté plus haut permet de porter un regard neuf sur le sujet, en considérant les conséquences inter temporelles de la fongibilité. L'idée défendue ici est que, compte tenu de l'aide future, le gouvernement du pays receveur va réajuster son comportement. Il va adopter une attitude qui lui permettra de bénéficier d'un montant conséquent de l'aide internationale. L'agent représentatif va pour atteindre un tel objectif, adopter une attitude appauvrissante. Il va notamment baisser son niveau d'investissement.

    3. Aide extérieure et incitation à l'effort

    Le facteur clé qui détermine le comportement de l'agent économique est le profit (ou gain net) qu'il espère tirer de son action. La détermination de l'expression de ce profit passe par la détermination des nouvelles valeurs d'équilibre. A partir de là, on déterminera comment l'aide influence le comportement de l'agent.

    3.1. Les valeurs d'équilibre avec l'aide

    Pour déterminer les valeurs d'équilibre, il nous faut spécifier une fonction pour l'allocation de l'aide. Soit la fonction de distribution internationale de l'aide par tête définie par:

    (1.a)

    Avec:

    On a :

    Est donc l'expression de l'aide en volume est donnée par:

    Avec: On suppose que est suffisamment élevée pour que soit toujour positif pour

    que .

    La représentation graphique ainsi définie est la suivante:

    Fulgure II.4: Fonction de distribution de l'aide

    L'idée que l'aide reçue soit nulle à partir d'un certain seuil de revenu (ici y ) est fondée empiriquement. Les fonds de l'AID (Banque mondiale) par exemple sont réservés aux pays dont le revenu par habitant est en deçà de 965$ US en 2005. La valeur du paramètre ? (sensibilité du volume de l'aide par rapport au revenu) dépend de l'importance que le pays donateur B accorde au niveau des besoins du pays A. En dehors de l'étendue des besoins, plusieurs autres facteurs comme la proximité politique ou linguistique avec le donateur, les enjeux commerciaux et stratégiques, l'enveloppe totale de l'aide ... influencent le volume de l'aide internationale reçue comme nous l'avons vu dans le chapitre 1. Ces facteurs supposés ici exogènes, sont captés par la constante é .

    Section 2 : Analyse empirique des effets désincitatifs de l'aide en Afrique sub-saharienne

    Une hypothèse fondamentale de travail des institutions financières internationales, pour les prévisions de croissance et le calcul du volume d'aide à octroyer à chaque pays est que la totalité de l'aide reçue s'ajoute à l'épargne domestique pour financer l'investissement (voir chapitre 2). Or, comme nous venons de le montrer, les incitations perverses de l'aide internationale vont induire chez le pays receveur une augmentation de la consommation. Le niveau de l'investissement effectif sera alors en deçà de celui prévu. Pire encore, l'aide charitable peut supprimer l'effort au niveau du receveur. Il en résultera une dégradation de la qualité de la gouvernance comme le faisait déjà remarquer Bauer (1972, 1984). Ceci est une plausible explication des difficultés de croissance des économies africaines malgré le fait qu'elles bénéficient d'aide. C'est ce que nous allons tester empiriquement.

    Cette section est scindée en deux : i) l'analyse empirique des effets désincitatifs de l'aide sur la consommation/l'investissement ; ii) l'analyse empirique de l'efficacité de l'aide extérieure, en intégrant cette fois--ci, la qualité de la gouvernance dans le pays aidé.

    1. Aide - consommation/investissement en Afrique sub-saharienne

    Pour analyser les effets désincitatifs de l'aide internationale, nous analysons empiriquement dans ce paragraphe, son impact sur l'investissement et la consommation dans le pays récipiendaire. On montre alors que l'aide finance plus la consommation présente que l'investissement.

    1.1. Analyse empirique de l'impact de l'aide sur l'investissement

    Pour tester le lien entre « aide » et « investissement » en Afrique subsaharienne, on a régressé pour le même panel de pays que précédemment, l'investissement effectivement réalisé sur l'aide reçue et l'épargne réalisée. L'investissement56 réalisé dépend ainsi de l'épargne domestique et de l'aide extérieure reçue. L'équation à estimer s'écrit donc:

    Iit =ái+ 1Eit + 2Ait + åit (1)

    Où i désigne la constante individuelle pour le pays i considéré (qui capte lesautres facteurs pouvant influencer son investissement), â1 et â2 les coefficients de l'épargne intérieure ( Eit ) et de l'aide extérieure ( Ait ). åit le résidu. Les résultats de l'estimation sont résumés dans le tableau suivant:

    Tableau II.4 : Aide et investissement en Afrique sub--saharienne

    Nbre : d'observation: 327

    R-Carré: 0,59

    R-Carré Ajusté : 0,57

    F-Statistic: 21,06***

    NB : *** signifie que le coefficient est significatif à 1%

    ** signifie que le coefficient est significatif à 5%

    * signifie que le coefficient est significatif à 10%

    Les coefficients sont dans l'ensemble significatifs. L'impact de l'aide extérieure tout comme celui de

    l'épargne sur le taux d'investissement est bien positif et significatif. Mais les coefficients obtenus

    semblent loin de ceux postulés. L'hypothèse forte selon laquelle l'aide est totalement investie

    implique un coefficient de l'aide ( â2 ) égal à 1.

    Pour vérifier cette idée, on a réalisé le test économétrique suivant:

    56 L'investissement ici (I) prend en compte les machines et équipements, constructions de routes, et de rails, constructions d'industries et d'équipements commerciaux, écoles, hôpitaux ...

    Le résultat obtenu par le test de Wald est le suivant:

    Les probabilités associées au Chi-carré et au F-caculé sont inférieures à 1%.

    Le test de Wald permet alors de rejeter l'hypothèse nulle ( f32 =1) au seuil 1%. L'aide au développement ne serait donc pas intégralement investie comme on le suppose. Le même test permet de rejeter l'hypothèse selon laquelle toute l'épargne est investie.

    Le fait que toute l'épargne ne soit pas investie peut s'expliquer par le faible développement financier dans la région qui fait qu'une bonne partie de la petite épargne est simplement thésaurisée57.

    Ce qui est plus préoccupant, c'est la proportion de l'aide qui est investie. Pour avoir une idée sur la

    proportion dans laquelle l'aide est investie, on a calibré le coefficient f32 toujours à l'aide du
    test sur les coefficients de Wald. Au seuil 5%,

    f32 = 0.20 qui n'est pas rejeté. La proportion d'aide investie serait alors très faible.

    Ce résultat semble concorder avec de nombreuses illustrations. A titre d'exemple, la Gambie en 1986 avait reçu une aide valant 55.40% de son PIB, alors que son investissement effectivement réalisé ne valait que 16.59%. Mais on peut imaginer que cet exemple soit un cas isolé. A cet effet, on a réalisé une étude par pays, en séries chronologiques, sur les valeurs annuelles. On a estimé pour chaque pays, l'équation suivante:

    It =á +â1 Et+â2At+å (2)

    Certains pays (pour trop d'observations manquantes) n'ont pas été inclus dans cette étude. L'étude a quand même couvert plusieur pays de l'Afrique sub-saharienne (35)58. Après avoir évacué le problème de stationnarité59 des séries, on a évalué l'impact de l'aide internationale sur l'investissement pour chaque pays de l'échantillon. Les résultats obtenus sont résumés en fonction de la valeur et du signe de f32 dans le tableau suivant:

    57 En effet, selon une étude récente de la BCEAO, seulement 20% environ de la population totale des pays membres ont un compte en banque. Le reste thésauriserait donc simplement son épargne.

    58 www.banquemondiale.org

    59 Le test de racine unitaire de DFA (Dickey Fuller augmenté) permet de tester la stationnarité de ces séries. A l'issue du test, l'estimation a été faite en différence première dans la mesure où les séries sont intégrées d'ordre 1.

    Tableau II-10 : Résultat de l'estimation par pays du lien aide-investissement

    L'ajustement pays par pays parait plus spectaculaire. Aucun pays n'investit la totalité de l'aide qui lui est accordée. L'aide n'exerce d'effet positif significatif sur l'investissement que dans seulement 34% environ des cas. Dans presque la moitié des cas, l'aide n'influence pas significativement l'investissement. En effet, pour 48,57% des pays étudiés, l'impact de l'aide sur l'investissement est non significatif.

    Le fait qu'il existe une relation macroéconomique comptable qui relie l'investissement, l'épargne et le solde extérieur courant qui ne fait pourtant pas parti de l'équation estimée60 peut soulever certaines critiques sur ces résultats. Cependant, la significativité des coefficients amène à admettre qu'une bonne partie de l'aide internationale est détournée de l'objectif principal : le financement de l'investissement.

    Ces résultats corroborent ceux de Dollar et Easterly (1999) qui tiraient la sonnette d'alarme sur le fait que l'aide semble se détourner de son objectif principal, l'investissement. Feyzioglu et al. (1998) dans une estimation couvrant 38 pays bénéficiaires d'aide entre 1971 et 1990, aboutissent au résultat selon lequel 1$ d'aide ne fait augmenter l'investissement que de 0.32$. Enfin, un résultat contraire à toute attente (dans la philosophie de la Banque mondiale) est que, pour 6 pays (dans environ 17% des cas étudiés), l'impact de l'aide extérieure sur l'investissement est négatif et significatif.

    Cette négativité de l'aide internationale sur l'investissement est une véritable interpellation des politiques de la Banque mondiale. On peut comprendre que l'aide qui est censée accroître l'investissement des pays pauvres, le réduise si on se réfère aux effets d'incitation étudiés plus haut. Ces effets de l'aide extérieure conduiraient à un accroissement de la consommation présente. L'aide produirait ainsi un effet d'éviction sur l'épargne domestique, effet évoqué par Griffin (1970) et qui a

    60 Le fait qu'on ne peut pas régressé une identité comptable ne permet pas d'intégrer cette variable dans l'équation à estimer. De plus, nous disposons de peu de données sur cette variable (solde extérieur courant) si bien que sa prise en compte dans nos estimations réduirait considérablement notre période d'étude et le nombre d'individus. La constante á est alors supposée capter le poids de cette variable, tout comme celui de n'importe quelle autre variable pouvant influencer l'investissement.

    été retrouvé plus récemment par Boone (1996). En effet, si l'aide n'est pas investie, l'utilisation de cette aide est la consommation. C'est ce que nous allons montrer empiriquement.

    1.2. Analyse empirique de l'impact de l'aide sur la consommation

    En réalité, il est difficile de concevoir l'aide extérieure comme un surplus d'investissement uniquement. Dans la mesure où l'aide n'est pas toujours assortie d'une obligation d'affectation et dans la mesure où se pose le problème de la fongibilité, présentée plus haut, une aide extérieure reçue peut être analysée comme un surplus de revenu. Si on suppose que la consommation dépend du revenu total disponible, une aide extérieure reçue entraîne une augmentation du revenu total; par conséquent la consommation aussi augmente. Même si l'aide a dès le départ une affectation précise, son caractère fongible et l'incitation qu'elle crée chez le bénéficiaire entraîneraient une augmentation de la consommation présente. Pour tester cette idée, on a régressé avec notre échantillon, les dépenses de consommation finale des ménages sur l'aide internationale reçue. L'équation estimée s'écrit:

    Cit = ái + â1Yit + â2Ait +åit (3)

    Cit représente les dépenses de consommation finale du pays considéré, Yit son revenu, Ait l'aide extérieure.

    Les résultats obtenus sont résumés dans le tableau suivant:

    Tableau II-5 : Estimation du lien « Aide -- Consommation »

    Nbre : d'observation: 319 R-Carré: 0,586

    R-Carré ajusté: 0,471 F-statistic :27,417***

    Le coefficient de l'aide est positif et significatif au seuil 1%. On remarque bien ici que les dépenses de consommation sont liées positivement à l'aide internationale. La thèse selon laquelle l'aide entraîne une augmentation de la consommation est donc corroborée.

    En essayant comme précédemment de calibrer le coefficient de l'aide ( â2 ), on trouve un coefficient proche de 0.50 ( â2 = 0.5 n'est pas rejeté au seuil 5%). L'aide serait donc à moitié consommée. En réalité, le fait que l'aide entraîne une augmentation de la consommation n'est pas tellement gênant, dans la mesure où l'aide vise avant tout le bien-être des pauvres. Or la consommation améliore le bien-être. Cependant, deux problèmes se posent:

    En réalité, le fait que l'aide entraîne une augmentation de la consommation n'est pas tellement gênant, dans la mesure où l'aide vise avant tout le bien-être des pauvres. Or la consommation améliore le bien-être. Cependant, deux problèmes se posent:

    > Si l'aide fait augmenter la consommation au détriment de l'épargne et l'investissement, elle accroît le bien-être présent mais pas futur. Or, « il vaut mieux apprendre à un homme à pêcher que de lui donner du poisson ».

    > L'augmentation de la consommation n'améliore le bien-être général ou mieux ne réduit la pauvreté que si elle ne se fait pas au profit des ambitions de quelques-uns.

    Or, dans la mesure où l'aide passe par les dirigeants qui sont encore les décideurs, et qui en général ne sont pas pauvres, il est probable qu'elle ne profite pas aux populations pauvres. Dans ce cas, elle ne pourra réduire la pauvreté. Il nous faut alors vérifier que l'aide est bien consommée par la population pauvre, et non par les « privilégiés ». Nous posons l'hypothèse que les « privilégiés » des pays d'Afrique sub-saharienne peuvent être approximés par le gouvernement et « les fonctionnaires ». Pour tester notre idée, nous avons régressé les dépenses de consommation finale

    du « gouvernement » (G. Cons.) sur l'aide reçue. Une grande partie de ces dépenses de
    consommation finance les salaires des fonctionnaires.

    L'équation estimée s'écrit:

    (G Cons)it = ái + f31Yit + f32Ait +åit (4)

    Le résultat conduit au tableau suivant:

    Tableau II--5 : Aide et dépenses de consommation du gouvernement

    Nbre : d'observation: 321

    R-Carré: 0,498

    R-Carré ajusté: 0,461

    F-statistic: 18,012***

    NB : *** signifie que le coefficient est significatif à 1%

    ** signifie que le coefficient est significatif à 5%

    * signifie que le coefficient est significatif à 10%

    L'aide exerce bien un effet positif robuste sur la consommation du gouvernement. En essayant de nouveau de calibrer le coefficient de l'aide ( f32 ), on trouve un coefficient proche de 0,30. Environ 30% de l'aide reçue irait donc dans les dépenses de consommation du gouvernement. Ces résultats concordent bien avec ceux de Bonne (1996). A travers une étude similaire portant sur le lien aide-consommation-investissement, il mettait en évidence une élasticité de la consommation à l'aide très significative et proche de 1; et une élasticité de l'investissement très proche de 0. Tout se passe comme si le montant de l'aide était converti pour trois quarts en consommation publique, et un quart en consommation privée et rien en investissement). Les formes de consommation dans nombreux pays sont bien connues : les projets de mosquées dans le désert comme celui de Hassan II, les palais présidentiels somptueux, la basilique de Yamoussoukro alors que les salles de classes

    étaient débordées et les hôpitaux délabrés, les capitales bâties ex nihilo, alors que le pays ploie sous des dettes pharaoniques comme Yamoussoukro en Côte d'Ivoire, Dodoma en Tanzanie, Abuja au Nigeria; les milliards investis pour l'installation de base de lancement de missiles dans l'ex Zaïre dans les années 1985 alors que la population pauvre mourait de famine, les fortunes colossales des dirigeants, les centaines de millions distribuées chaque jour, en liquide et durant des années par le président Eyadema (au Togo) pour des marches de soutien à son régime alors que les routes et autres infrastructures économiques sont dans un état

    défectueux, ...

    Ces quelques citations de Sennen Andriamirado (1987), sur le cas du Burkina Faso, appuient bien nos résultats concernant l'utilisation qui est faite de l'aide internationale en Afrique61

    « En ces années (1980-1982), un groupe financier allemand et la Banque mondiale devaient financer à concurrence de 15 milliards de F CFA un projet d'adduction d'eau depuis la Volta Noire jusqu'à Koudougou et Ouagadougou. Les dirigeants avaient confié la réalisation des travaux à une multinationale à capitaux belges, l'Euro-Building, pour 16 milliards de F CFA. Puis subitement, l'évaluation du projet grimpe jusqu'à 70 milliards. On parle de pots-de-vin. En revanche, on ne parlera plus d'adduction d'eaupuisque l'opération sera abandonnée ...

    Un autre projet connaîtra le même sort: le barrage de Korsimoro, dans la province de Sanematenga, qui devait être construit au cours de cette même période grâce à des financements néerlandais. L'argent a été versé, dépensé... et le barrage n'a jamais existé. Il y a eu aussi, toujours à l'époque, les détournements de dons internationaux: des aides alimentaires (farine et huile de soja) provenant du Canada ou de l'Arabie Saoudite avaient disparu entre le port de Lomé, au Togo, et leurs destinations prévues, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. On les a retrouvées au marché noir».

    « ... Afin de séduire les fonctionnaires, Saye Zerbo (le président) détourne les aides extérieures, destinées en principe à des projets de développement, et les utilise pour relever leurs salaires ... Un crédit de la banque à capitaux arabes Dar el Mal Islami, d'un montant de 5 milliards de francs a été détourné de sa destination initiale, un projet d'investissements, pour être affecté à une augmentation des salaires des fonctionnaires ».

    «Des études sur la Guinée, le Cameroun, l'Uganda et la Tanzanie ont révélé que de 30 à 70% des médicaments du gouvernement disparaissent dans leur acheminement aux malades ... Dans un pays à bas revenu, un journaliste a accusé le Ministère de la santé de détourner 50 millions de dollars sur les fonds d'aide octroyés. Le Ministère fait une réfutation en ces termes: le journaliste accuse de façon irresponsable d'avoir détourner 50 millions de dollars en une seule année, alors que les 50 millions détournés l'ont été sur une période de plus de trois ans».

    Earterly, (2005).

    Ces exemples évoquent un autre mal récurent à l'aide internationale : c'est la corruption. Les dirigeants par qui transite l'aide sont pour la plupart des temps corrompus ; si bien que l'argent alloué au pays en qualité d'aide se retrouve sur des comptes privés. Dans un pays hautement corrompu comme l'ex Zaïre, actuel RDC où le président Mobutu Sésé Séko aurait amassé de son vivant l'une des fortunes personnelles les plus colossales62 au monde, investie à l'étranger, les apports massifs d'aide étrangère injectés dans le pays pendant plusieurs décennies n'ont laissé aucune trace de progrès. Selon Basildon Peta (2002), les leaders politiques en Afrique se seraient appropriés illégalement plus de 140 milliards de dollars US.

    A la mi--octobre 2003, le Cameroun a bénéficié d'une aide de 200 milliards de francs CFA (304,90 millions d'euros) dans le cadre de l'initiative PPTE (Pays Pauvres Très endettés). L'objectif principal de cette aide est d'investir dans les dépenses publiques favorables aux pauvres et les

    61 Tirées de « Sankara le rebelle», SENNEN ANDRIAMIRADO, Jeune Afrique Livres, 1987 pages 39, 44 et 174.

    62 On raconte qu'à sa mort, les comptes personnels du président Mobutu en Suisse et dans d'autres pays développés suffisaient pour éponger la totalité de la dette de la RDC).

    infrastructures économiques. Pendant sa mission d'évaluation de 2004, le FMI a trouvé un «trou» de 66 milliards de francs CFA (environ 100,6 millions d'euros) auprès du Ministère des Finances. Pire encore, contrairement aux engagements pris, les dépenses du gouvernement ne reflètent pas nécessairement la priorité aux secteurs sociaux identifiés dans le CSPL63 (voir tableaux ci-dessous) Postes budgétaires en augmentation ... et en diminution nette

    NB : L'administration territoriale gère les projets PPTE (pays pauvres très endettés)

    Ces quelques exemples illustrent bien le problème. L'aide entraîne une augmentation de la consommation, et surtout la consommation d'une classe de « privilégiés » ; c'est-à-dire les dirigeants par qui transite l'aide, au détriment de la population. L'appauvrissement de la population est donc la variable clef de la « mauvaise politique » qui vise à faire augmenter l'aide internationale. A son tour, l'aide est l'impulsion à l'origine de l'appauvrissement.

    Si l'efficacité de l'aide au développement est liée à son utilisation par les dirigeants, on peut alors supposer que pour les pays où le gouvernement est beaucoup plus réformiste ou dans les pays relativement bien gouvernés, l'effet de l'aide extérieure sera différent de celui d'un gouvernement « prédateur ». De la qualité de la « gouvernance » ou encore du niveau de « l'effort » dans le pays récipiendaire dépendrait alors l'efficacité de l'aide extérieure.

    2. Gouvernance et efficacité de l'aide en Afrique sub--saharienne

    Un facteur déterminant dans l'explication de l'inefficacité de l'aide internationale en Afrique sub-saharienne est son effet pervers sur la qualité de la gouvernance dans les pays aidés, comme nous l'avons étudié plus haut. C'est ce que nous montrons ici empiriquement, en étudiant l'efficacité de l'aide internationale vis-à-vis de l'objectif de croissance économique en tenant compte de la qualité de la « gouvernance » dans les pays récipiendaires. La bonne gouvernance va être abordée en deux temps:

    -- Traditionnellement comme Burnside et Dollar (1997, 2000) et Easterly et all. (2003), on considère un indicateur de l'environnement de « politique économique ».

    -- A notre manière, en construisant un « indicateur synthétique de gouvernance ».

    2.1. Politiques économiques et efficacité de l'aide

    Depuis les travaux pionniers de Burnside et Dollar (1997) repris par Banque mondiale (1998), l'effet des politiques économiques dans les pays récipiendaires sur l'efficacité de l'aide ne cesse de faire débat. Si l'aide est productive lorsqu'elle est accompagnée de « bonnes politiques économiques », l'effet croisé de l'aide et d'un indicateur de politique économique sera positif et significatif sur la croissance économique. Nous construisons pour cela, un indicateur de politique économique que nous croisons avec l'aide pour chaque pays.

    La variable de qualité de la politique économique est un indicateur qui prend en compte trois autres variables64 : l'ouverture de l'économie au commerce, la politique budgétaire évaluée à l'aune du surplus budgétaire en pourcentage du PIB, et l'inflation. Cet indicateur, à l'instar de Burnside et

    63 Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP en français).

    64 Burnside et Dollar (1997, 2000) ; Easterly (2003).

    Dollar (1997, 2000) et Easterly (2003) est obtenu à partir des coefficients de l'estimation de l'équation de croissance65. La formule de calcul est la suivante:

    Pol.écon = 0,48+ 1,3 x Ouverture - 0,085 x Inflation + 0,12 x Solde budgétaire.

    La constante 0,48 est l'impact de toutes les autres variables (hormis l'inflation, le degré d'ouverture et le solde budgétaire) évaluées à leur valeur moyenne pour la région, sur la croissance économique. Notons qu'un taux d'inflation élevé et/ou un déficit budgétaire élevé peuvent entraîner la négativité de cet indicateur; alors l'ouverture au commerce l'influence positivement.

    A partir donc de cet indicateur de politique économique, on peut évaluer sur notre échantillon décrit plus haut, l'impact de l'effet croisé de l'aide internationale et de l'environnement de politique économique sur la croissance.

    L'équation à estimer est alors:

    Le résultat de cette régression est résumé dans le tableau suivant Tableau II-6 : Aide -- Politique économique -- Croissance

    Nbre : d'observation: 328 R--Carré: 0,39

    F--statistic : 4,2863***

    NB : idem à d'autre tabeaux

    Le coefficient de l'aide au développement sur la croissance du revenu par tête n'est pas significatif. Celui de l'indicateur de politique économique est positif et significatif à 1% (0,0351***). Curieusement, le coefficient de la variable combinant aide et politique économique est négatif et

    65 Il s'agit de la première estimation de l'équation de croissance, dans le chapitre 3 de la première partie. Dans cette estimation, 1,3 est le coefficient de l'ouverture au commerce, --0,085 celui de l'inflation et 0,12 celui du solde budgétaire.

    66 C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas introduit l'indicateur institutionnel dans nospremières estimations. Cela réduirait alors notre champs d'étude.

    significatif (-0.07***), contrairement aux résultats de Burnside et Dollar. Alors que Easterly concluait à une parfaite stérilité de l'aide internationale même en présence de « bonnes politiques économiques », on obtient ici que l'aide est perverse même en présence de bonnes politiques.

    Ce résultat est un réel paradoxe. Comment peut-on comprendre, que l'aide extérieure qu'on croyait promouvoir la croissance économique, exerce un impact négatif sur cette dernière lorsqu'on la croise avec l'indicateur de politique économique ? Une explication à ce problème est que la défaillance majeure du système dictatorial n'est pas liée aux politiques macroéconomiques, mais à la qualité des institutions (Olson, 1994). L'objectif du gouvernement « prédateur » étant d'appauvrir la population au profit des « privilégiés », il va « confisquer les profits » et donc, pas d'Etat de droit. La qualité du service publique sera faible et le niveau de corruption élevé. Il n'y aura donc pas d'incitation à investir. L'environnement institutionnel est dans ce cas, l'élément déterminant dans l'explication de la performance économique.

    2.2. Qualité des institutions et efficacité de l'aide

    Comme précédemment dans le cadre de l'indicateur de politique économique, on va évaluer l'impact de l'effet croisé d'un indicateur de « l'environnement institutionnel » et de l'aide sur la croissance économique. Nous supposons que les règles de l'état de droit sont les règles qui autorisent les agents privés à anticiper l'appropriation future des bénéfices de leur investissement. Ces règles qui garantissent la confiance dans l'avenir sont alors les déterminants ultimes de la croissance économique (North 1990, 1991).

    A l'instar de Hall et Jones (1999) et Rodrik et al. (2002), nous supposons qu'il existe un lien de causalité significatif entre le niveau institutionnel et la performance économique en Afrique sub-saharienne ; et par-là, l'efficacité de l'aide internationale. Cette étude se heurte cependant à un problème de données, qui réduit considérablement notre période d'étude66. En effet, très peu de données sur les institutions sont publiées avant les années 1990. La plupart des études supposent pour cela une valeur constante pour l'environnement institutionnel sur toute leur période d'étude; en partant de l'hypothèse selon laquelle la qualité institutionnelle change très peu à travers le temps (Burnside et Dollar, 1997, 2000 ; Easterly, 2003).

    Cependant, depuis les années 1990, la Banque mondiale publie régulièrement un ensemble d'indicateurs reflétant l'environnement institutionnel de ses pays membres. Nous utilisons ces données dans la suite de notre travail.

    Kaufmann, Kraay et Zoido-Lobaton (Banque mondiale et Université de Stanford, 1999) définissent six indicateurs, comme reflétant l'environnement institutionnel d'un pays donné:

    1. Participation des citoyens et responsabilisation : possibilité pour les citoyens de choisir leurs dirigeants, de jouir de droits politiques et civils et d'avoir une presse indépendante.

    2. Stabilité politique et absence de violence: probabilité qu'un Etat ne soit pas renversé par des moyens inconstitutionnels ou violents,

    3. Efficacité des pouvoirs publics: qualité de la prestation des services publics, compétence et indépendance politique de la fonction publique,

    4.

    Poids de la réglementation : absence relative de réglementation parl'Etat des marchés de produits, du système bancaire et du commerce extérieur,

    5. Etat de droit : protection des personnes et des biens contre la violence et le vol, indépendance et efficacité de la magistrature et respect des contrats,

    6. Absence de corruption : pas d'abus de pouvoir au profit d'intérêts privés.

    A titre d'illustration, nous présentons de façon graphique les liens entre ces différents indicateurs et la performance économique. A cet effet, on a récupéré les résidus après estimation (sans la constante) de l'équation de croissance, afin de purger le taux de croissance économique de l'impact des autres variables exogènes. Ces résidus sont ensuite croisés avec les six indicateurs de l'environnement institutionnel. Les résultats sont les suivants:

    Figure II--7 : Indicateurs institutionnels et croissance économique

    Source : calculs comparative de Freeman et Lindauer, 1999

    L'indicateur démocratique « participation des citoyens et responsabilisation » est le moins bien corrélé avec la croissance. L'histoire économique permet d'expliquer du moins partiellement ce lien. A titre d'exemple, le décollage économique de la Corée du Sud s'est effectué sous dictature militaire, de même en Turquie. Ainsi, un régime autoritaire peut présenter une sécurité élevée pour les personnes et les biens encourageant ainsi les initiatives privées, comme c'est le cas au Maroc et en Tunisie. Lorsque par contre le régime ne garantit pas l'appropriation des gains de l'initiative privée (la RDC à l'epoque du Zaïre de Mobutu par exemple), les résultats sur la croissance sont catastrophiques (Freeman et Lindauer, 1999).

    CONCLUSION PARTIELLE

    L'aide au développement ne favorise pas le développement en Afrique subsaharienne.

    Elle devient même perverse dès lors qu'on prend en compte la gouvernance dans les pays récipiendaires. Ce qui est tout à fait paradoxal dans la mesure où l'aide est considérée comme nécessaire pour le décollage économique des pays pauvres. Une explication à ce paradoxe est le régime d'incitation. L'activité économique dans la région serait entravée par l'action des gouvernements aidés, qui adoptent des politiques néfastes à la croissance économique et la réduction de la pauvreté. Malheureusement, l'aide internationale encouragerait de telles politiques. En effet, comme nous venons de le voir, sous l'hypothèse qu'il existe un seuil minimal de rentabilité du capital en deçà duquel les agents n'accepteront pas d'investir, l'aide internationale peut créer une incitation à consommer davantage au détriment de l'investissement.

    Un fait préoccupant est qu'en Afrique sub-saharienne, l'augmentation de la consommation liée à l'aide ne se ferait pas au profit des couches défavorisées de la population, mais celui d'une classe de « privilégiés ». Pire encore, nous venons devoir que l'aide peut créer une incitation au niveau des gouvernements aidés à ne pas faire d'effort. L'effort étant assimilable dans notre analyse à la bonne gouvernance (bonnes politiques économiques, corruption moindre, environnement institutionnel sain, ...), l'aide encouragerait l'adoption de politiques inappropriées, une gouvernance de mauvaise qualité. Ceci expliquerait pourquoi l'aide a un impact négatif sur l'activité économique lorsqu'on prend en compte la gouvernance dans le pays aidé.

    Doit-on alors cesser d'aider les pays en développement? Dans la mesure où le développement est une question de moyens, supprimer l'aide au développement ne va pas résoudre le problème; il n'est pas souhaitable. Une alternative est alors de conditionner l'aide internationale aux pays pauvres à l'adoption de « politiques appropriées » : l'aide conditionnelle.

    Revenons à notre analyse sur les effets d'incitation de l'aide extérieure abordés dans ce chapitre. Une hypothèse principale est que le donateur octroie l'aide selon le niveau des besoins du pays receveur. Le comportement du receveur serait tout autre si nous relâchons cette hypothèse. La politique d'aide du donateur pourrait ainsi influencer l'incitation et donc l'attitude optimale du gouvernement récipiendaire. Dès lors, la politique d'aide du donateur devient un élément clef dans l'explication de l'inefficacité de l'aide au développement. La question qu'on doit bien évidemment se poser est donc de savoir en quoi les pratiques des donateurs favorisent-t-elles ou annihilent-elles l'efficacité de l'aide au développement en Afrique sub-saharienne ? C'est ce que nous examinons dans le chapitre suivant.

    La dette des économies africaines a été surtout accumulée dans les années 1970. La bonne tenue des cours des produits de base à cette époque faisait valoir que l'Afrique regorgeait de possibilités

    CHAPITRE SIXIEME

    PRATIQUES DES DONATEURS ET EFFICACITE DE L'AIDE

    « Au cours des 40 dernières années, nous avons laissé les programmes d'aide se dérouler, souvent malgré les preuves claires de leur inefficacité. Malheureusement, la transparence, l'évaluation des progrès et les résultats tangibles ont souvent été considérés comme des préoccupations accessoires».

    Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international du Canada (2007).

    L'aide internationale représente pour les pays africains en dessous du Sahara, une source importante de ressources. Elle se monte en effet à environ 15% du PIB en moyenne pour la région. Certains pays en ont reçu plus. Par exemple le Mozambique a reçu jusqu'à 30% de son PIB en moyenne sur la période 1975-2004 ; 46% du PIB en moyenne pour la Guinée Bissau sur la même période. A cause du poids de l'aide extérieure dans les économies africaines, les pratiques et/ou les politiques de transferts internationaux des principaux donateurs ont des effets considérables sur ces économies assistées.

    En particulier, nous allons examiner en quoi les pratiques actuelles des principaux donateurs favorisent ou réduisent l'efficacité de l'aide internationale pour les petites économies africaines en dessous du Sahara. Un facteur important à l'origine des effets désincitatifs de l'aide internationale que nous avons étudiés dans le chapitre précédent est le fait que l'aide charitable soit sans coût, contrairement à l'effort. Ceci pose le problème fondamental de l'impact que le mode de financement (prêts ou dons) peut avoir sur l'efficacité de l'aide au développement. Vaut-il mieux de financer les pays pauvres par des prêts plutôt que des dons ? Si les pratiques existantes sont inefficientes, comment peut-on corriger les politiques d'aide des donateurs pour améliorer l'efficacité de l'aide au développement? C'est ce que nous étudions dans ce chapitre.

    Dans la section 1, on s'interroge sur les répercussions du mode de financement (prêts ou dons) sur l'activité économique dans le pays receveur et donc l'efficacité de l'aide au développement. A l'issue de cette section, il apparaît qu'il y a à terme, une équivalence entre les deux modes de financement (les prêts et les dons). L'inefficacité de l'aide ne dépendrait alors pas du mode de financement. Dans la section 2, on analyse les différents critères d'attribution de l'aide internationale en Afrique sub-saharienne. On montre alors que seuls deux facteurs sont déterminants dans l'octroi de l'aide internationale en Afrique sub-saharienne : le niveau des besoins du récipiendaire et la proximité avec le donateur. A travers l'analyse des conséquences d'une telle attribution de l'aide vis-à-vis du critère de l'efficience, on montre que les pratiques des donateurs en Afrique constituent une explication importante de l'inefficacité de l'aide dans la région. Dans la section 3 enfin, on examine comment les donateurs, à travers une meilleure coordination de l'aide, peuvent influencer l'efficacité de l'aide internationale au développement.

    Section 1 : L'équivalence prêts -- dons

    Le débat sur l'utilisation de prêts ou de dons, ou encore la combinaison des deux pour le financement des pays pauvres prend une place de plus en plus importante dans la littérature économique sur l'aide et le développement. Il pose le paradoxe du fardeau de l'endettement des pays pauvres alors même qu'ils ont besoin d'aide pour financer leur décollage. Le débat a été lancé à la suite de la grave crise d'endettement qui a secoué presque tous les pays en développement dans les années 1980.

    d'investissements très rentables, de sorte que les prêts pourraient être remboursés grâce à la croissance induite par les investissements. La relative aisance financière des banques des pays développés (c'était la période des trente glorieuses) a alors favorisé la mise en oeuvre de politiques sociales et de développement volontaristes, mais mal avisées. Les fonds ont été pour la plupart mal investis : ce fut la période des « éléphants blancs67 » en Afrique.

    Ces politiques ont généré des niveaux de consommations publiques sans commune mesure avec les capacités des Etats africains à soutenir leurs politiques sociales et de développement. En même temps, ils devaient faire face à des niveaux d'investissement élevés. C'est ainsi que les pays de la région recouraient et souvent de manière incontrôlée à l'endettement extérieur. Quand vers la fin des années 1970, la situation favorable à une croissance rapide s'est détériorée, ces pays déjà enfermés dans le cercle vicieux de la dette ont continué à s'endetter. C'est ainsi qu'ils se sont retrouvés face à des dettes énormes, conduisant à la grave crise financière des années 1980, qui n'était autre qu'une crise d'endettement.

    Au lendemain de cette crise, un lourd débat s'est ouvert sur la controverse « prêts-versus-dons ». Le débat a été relancé par le fameux rapport Meltzer apparu en mars 2000. Ce rapport élaboré à la demande du Congrès américain, soutient que les prêts concessionnels ne présentent aucun avantage par rapport aux dons. L'annulation de la dette des pays pauvres est considérée comme une nécessité pour leur développement, et les banques multilatérales de développement devraient abandonner les prêts au profit des seuls dons assortis d'un contrôle des performances.

    Lerrick et Meltzer (2002) tout comme Radelet (2005) notent que le financement des pays pauvres par des prêts leur fait encourir un risque de surendettement. Il arrive un moment où ils contractent de nouveaux prêts juste pour faire face aux anciennes dettes, et souvent sous la pression des banques multilatérales de développement. Les bailleurs de fonds peuvent ainsi être tentés de continuer à prêter « à titre défensif » ; c'est-à-dire octroyer de nouveaux prêts juste pour se faire rembourser (Bulow et Rogoff, 2005). Cette pratique a été courante surtout pour les pays africains dans les années 1990. Elle créerait une désincitation des pays pauvres à lutter efficacement contre la pauvreté.

    En outre, la dette extérieure est souvent évaluée en monnaie étrangère. Ceci affecte la capacité des pays aidés à honorer leurs engagements. Le secteur privé qui est le principal acteur du développement économique est très sensible à la situation économique du pays hôte. L'accumulation de dettes par un pays donné peut refléter l'imminence d'une crise financière et donc faire fuir les investisseurs privés. Le but de l'aide étant de favoriser le développement économique, le financement par des prêts serait donc néfaste pour l'efficacité de l'aide surtout dans les pays très pauvres. Le financement par des dons est dans ce cas, le meilleur mode de financement.

    Cette thèse (financer les pays pauvres exclusivement par des dons) se heurte cependant à la réalité selon laquelle la part des dons dans l'aide totale a progressivement augmenté depuis les années 1970 ; alors que la pauvreté ne cesse de progresser. En effet, la part des dons dans l'aide multilatérale est presque constante à travers le temps ; environ 35 à 40%. Mais elle a augmenté dans l'aide bilatérale, et donc dans l'ensemble de l'aide. D'environ 50% dans l'aide bilatérale dans les années 1970, la part des dons a progressivement augmenté pour avoisiner de nos jours, 80%. Le principal bénéficiaire de ces dons est l'Afrique où la pauvreté a pourtant augmenté. A l'inverse, les

    67 Le terme « éléphants blancs » est utilisé pour désigner les programmes d'industrialisation mal conçus qui ont dominé la décennie 1970 en Afrique. Plusieurs industries, principalement des industries lourdes (comme les raffineries de pétrole, construction des barrages hydroelectique à l'exemple la ligne de haute tension du monde entre Inga - Lubumbashi - Afrque du sud) pourtant bien installées n'auront jamais tourné (ou n'ont tourné que quelques mois) avant leur fermeture définitive.

    pays qui ont vu leur pauvreté baisser sont ceux de l'Asie de l'Est où l'aide s'est faite sur cette période essentiellement sous forme de prêts. Même s'il y a d'autres explications à cet état de fait, l'efficacité des prêts semble meilleure à celle des dons. Odedokun (2003) montre à travers une analyse empirique couvrant la période 1970-1999 et portant sur 72 pays aidés que, les prêts concessionnels sont mieux investis, moins alloués à la consommation publique et souvent associés à de fortes recettes d'impôts. Alors que dans les pays pauvres, le bénéfice d'un don est souvent associé à de faibles recettes fiscales. Ce résultat selon lequel les dons évincent les recettes fiscales a été retrouvé par Gupta et al. (2004).

    Cependant, les effets sur la croissance économique (et donc l'efficacité de l'aide) du rétrécissement des recettes fiscales dû au financement par purs dons sont controversés. On considère généralement que la réduction des recettes d'impôts entraîne une baisse des ressources de l'Etat et donc une diminution de l'investissement global. Cependant, l'analyse de Adam et O'Connell (1997, 1999) montre que l'aide internationale devrait justement servir à relâcher la pression fiscale sur le secteur privé pour attirer et encourager l'investissement privé, moteur de la croissance économique. En effet, les paradis fiscaux attirent plus les investisseurs. De ce point de vue, le financement par des dons présente un sérieux avantage par rapport au financement par des prêts.

    Les défenseurs du financement par des prêts soutiennent néanmoins que l'abandon des prêts au profit des dons peut entraîner un rétrécissement de l'enveloppe totale d'aide en ce sens que les remboursements en provenance des pays qui se développent avec succès vont cesser d'alimenter de nouveaux financements. En effet, par le mécanisme de prêt, la valeur d'un dollar en aide est multipliée par une valeur k>1 dans la mesure où les remboursements des anciens prêts fournissent de ressources additionnelles d'aide. L'effet multiplicateur des premières aides va donc disparaître si on passe des prêts aux dons uniquement et le développement des plus pauvres peut être retardé par un tarissement des sources de financement.

    Il est par ailleurs anormal que l'aide à certains secteurs rentables (télécommunication, énergie, ...) détenus par le privé se fasse sous forme de dons. La croissance des activités dans ces secteurs nécessite des financements additionnels immédiats que la croissance économique permettra précisément de rembourser. Seul le prêt semble indiqué dans un tel cas.

    Un autre facteur important est l'efficacité relative des prêts vis-à-vis de l'affectation de l'aide et de la discipline budgétaire. Le fait que les dons soient non remboursables est un facteur moins incitatif. Cela peut avoir des effets néfastes sur le développement, créer une déresponsabilisation des gouvernements aidés et entraîner une plus grande dépendance vis-à-vis de l'aide (Odedokun, 2003). En outre, lorsqu'un pays pauvre est financé exclusivement par des dons, cela peut constituer un mauvais signal pour le secteur privé. En effet, un pays qui reçoit systématiquement des dons peut être considéré comme un pays où la rentabilité du capital est faible, rendant le pays incapable de faire face à des prêts. Les investisseurs privés auront donc du mal à y investir.

    Ce raisonnement soulève également de réserve. Lorsqu'on finance un pays par des prêts, l'accumulation de dettes peut représenter un mauvais signal pour les investisseurs en ce sens que le gouvernement devra dans le futur, augmenter le taux d'imposition pour faire face à la dette générée par les prêts reçus. Il en résultera une « fuite » de l'investissement privé.

    De manière générale et comme on peut le constater, les spéculations sur la controverse « prêts-versus-dons » se nourrissent pour la plupart de simples analyses théoriques, déductions intuitives et convictions idéologiques. Ce qui fait qu'aucune ligne claire de conduite concernant le mode de financement ne peut être établie. L'analyse empirique de Nunnenkamp et al. (2005) qui explore l'impact des différents modes de financement (prêts, dons, ou une combinaison des deux) sur la croissance économique ne permet non plus de départager ces différents points de vue. En analysant

    la corrélation entre les différents modes de financements et la croissance économique, Nunnenkamp et al. (2005) ne trouvent pas de différence substantielle en terme d'efficacité. De même, Clemens et al. (2004) ne trouvent aucune différence entre les prêts et les dons en terme de productivité, même si selon leurs analyses, l'aide humanitaire devrait être financée par des dons tout comme les projets dont l'impact sur l'activité économique ne peut se faire sentir qu'à long terme (éducation par exemple). Que doit-on retenir en définitive ? Quel est le meilleur mode de financement pour les pays pauvres?

    Pour trancher ce débat, nous partons du « paradoxe de Lucas », qui permet d'apporter un autre regard sur la controverse « prêts-versus-dons » ou mieux, de concilier les points de vue existants. Lucas (1990) se demandait pourquoi le capital ne quitte pas les pays riches pour aller s'investir dans les pays pauvres ? Selon le modèle néoclassique, les productivités moyenne et marginale du capital sont décroissantes. Le capital serait alors plus productif dans les pays pauvres où le stock de capital est faible. Et donc les pays pauvres devraient faire face à un investissement massif, venant des pays riches. Malheureusement, tel n'est pas le cas. L'explication que fournit Lucas à ce paradoxe est basée sur les « externalités » liées au stock de capital (humain et physique) dans l'économie.

    La productivité du capital (et donc l'investissement public et privé) est liée à la présence dans l'économie d'actifs complémentaires (routes, haut niveau d'éducation de la population, télécommunications, ports, ...). La défaillance de ces actifs dans les pays pauvres rend le capital moins productif. La rentabilité de l'investissement est donc faible dans ces pays. C'est pourquoi le capital ne va pas s'investir dans les pays pauvres. Cet échec des règles du marché justifie la nécessité d'une aide extérieure pour financer l'accumulation du « capital primitif » qui devra atteindre un certain niveau au-delà duquel l'investissement devient profitable dans ces pays. L'accumulation du « capital primitif » devrait donc être financée exclusivement par des dons. Mais lorsque ce dernier atteint un certain seuil (seuil de profitabilité), le financement par des prêts est aussi possible, puisque le pays pourra dans ce cas faire face au service de la dette. L'exemple de la Corée présenté dans l'introduction de ce travail semble correspondre à ce schéma.

    En somme, l'analyse « prêts-versus-dons » est très controversée et ne permet pas d'opérer un choix clair, sans équivoque entre les deux modes de financement (les prêts et les dons). Même si les dons paraissent avoir un effet désincitatif dans le pays receveur, le financement par des prêts peut entraîner les pays les plus pauvres dans une situation de surendettement qui va nécessiter à terme, des remises de dettes. Les annulations fréquentes de dettes et l'octroi répété de prêts à titre défensif peuvent par ailleurs avoir les mêmes répercussions, si bien qu'en définitive, les pays emprunteurs en viennent à assimiler les prêts assortis de conditions favorables à des dons. Il en résulte qu'à long terme, il y a équivalence entre les deux modes de financement (prêts et dons) ; dans la mesure où le surendettement va entraîner l'annulation de la dette du pays. La conclusion serait alors simple. Les prêts, auss bien que les dons ont leur place dans le financement (ou encore l'aide) aux pays pauvres. Il appartient aux donateurs d'établir un partenariat avec le bénéficiaire dans le but de trouver la meilleure combinaison « prêts-dons » qui puisse satisfaire aux besoins de financement de l'économie. Ce qu'on peut retenir de ce débat est en référence aux études empiriques de Nunnenkamp et al. (2005). Le caractère (prêt ou don) du financement ne serait pas très décisif pour l'efficacité de l'aide au développement.

    S'il semble admis que le mode de financement (prêts ou dons) n'est pas très déterminant dans l'explication de l'efficacité de l'aide, il n'en est pas de même pour les critères d'octroi de l'aide (Svensson 1999, Azam et Laffont 2003, Dalgaards 2005). Dès lors, on peut se demander si les paradoxes « aide-politiques économiques » et « aide-gouvernance » que l'on vient de mettre en évidence pour l'Afrique sub-saharienne dans le chapitre précédant ne sont pas liés à la politique d'octroi de l'aide dans la région?

    Section 2 : Critères d'allocation et efficacité de l'aide

    Une façon d'aborder le problème de l'inefficacité de l'aide au développement en Afrique sub-saharienne est de chercher à comprendre les principaux facteurs qui expliquent son attribution. Quels sont les principaux critères permettant d'expliquer l'octroi de l'aide internationale en Afrique sub-saharienne?

    Comment les différentes logiques d'attribution de l'aide affectent-elles l'efficacité de l'aide au développement? En quoi les critères d'octroi de l'aide en Afrique favorisent-ils ou annihilent-ils la performance de la région en terme de réduction de la pauvreté?

    Dans un premier temps, on entreprend une analyse empirique sur l'allocation internationale de l'aide en Afrique sub-saharienne. On montre alors que seuls les critères de « besoin » et de « proximité » avec le donateur expliquent l'octroi de l'aide dans la région. Malheureusement, ces deux critères sont inefficients. Ils débouchent sur les problèmes d'anti-sélection et d'aléa de moralité. Le meilleur critère est le critère d'efficacité qui consiste à conditionner l'aide à l'adoption de bonnes politiques. C'est ce qu'on montre ensuite.

    1. Sur quels critères l'aide est--elle octroyée en Afrique subsaharienne ?

    Nos spécifications économétriques entreprises jusqu'ici nous amènent à admettre contre toute attente que, l'aide ne favorise pas la croissance économique en Afrique sub-saharienne. Elle serait même perverse. Ceci nous conduit à une interrogation sur les raisons de son attribution. En effet, si l'aide n'aide pas le développement, nous devons en définitive nous demander sur quels autre fondements elle est accordée aux pays pauvres? Pour répondre à cette question, un test économétrique s'avère nécessaire.

    Pour cela, on retient des variables explicatives susceptibles de mesurer les différentes logiques d'attribution de l'aide internationale. On distinguera principalement (en s'inspirant de la littérature empirique) trois raisons d'attribution de l'aide, exposées dans le chapitre 1 :

    -- La logique de besoin : le revenu par tête (PIB par habitant) est souvent utilisé pour appréhender le niveau de besoin des pays bénéficiaires de l'aide internationale. C'est ce que nous retenons ici.

    -- La logique d'intérêt--proximité: Une variable dummy, qui prend la valeur 1 lorsque le pays considéré a des liens privilégiés avec l'un des principaux pays donateurs, zéro dans le cas contraire.

    · En l'occurrence, les pays membres de la « zone Franc » bénéficient d'un traitement particulier de la part de la France, garanti par des accords internationaux (CERDI, 2001).

    · De même plusieurs pays comme Kenya, Somalie, Soudan, la RDC, le Sénégal, ... autoproclamés alliés des Etats-Unis et qui ont signé avec ce dernier des accords de défense ont pendant longtemps reçu un traitement particulier des Etats-Unis, garantis par des accords ( Schraeder, Taylor et al. 1998).

    - La logique d'efficacité: Nous retenons ici, à l'instar de Burnside et Dollar (2000), l'indicateur
    de politique économique comme un facteur d'efficacité de l'aide.

    «... Au début des années 1980, l'administration de Mitterrand a entrepris une politique consciente et plus efficace de l'intégration des anciennes colonies belges (Burundi, Rwanda, RDC) dans la sphère française d'influence. En conséquence, tout au long des années 1980, des montants croissants de l'aide française ont été octroyés à la RDC (461 millions de $), le Burundi (243 millions de $) et le Rwanda (199 millions de $). Le Zaïre est particulièrement devenu un champ de bataille diplomatique où les Etats-Unis et la France concurrençaient pour leur influence.

    Comme expliqué dans les mémoires de Jacques Foccart (l'architecte de la diplomatie française en Afrique sous Charles de Gaulle et Georges Pompidou), la France a perçu l'arrivée au pouvoir de Mobutu Sésé Seko en tant que chef inégalé du Zaïre pendant les années 1960 comme facilitant la pénétration de l'influence anglosaxonne dans le plus grand pays francophone d'Afrique; et donc comme une victoire claire des intérêts américains sur ceux de la France. Des politiques françaises d'aide ont été conçues dans les années 1980 pour renverser cet échec perçu», (Hook S. W., Schraeder P. J and Taylor B., 1998).

    «L'aide japonaise a du mal à «pénétrer» les pays francophones parce que le gouvernement français a toujours protégé sa zone d'influence», (Hook S. W., Schraeder P. J and Taylor B., 1998).

    « Durant la décennie 1980, les régimes autoproclamés marxistes d'Ethiopie, de Mozambique et d'Angola étaient privés de l'aide américaine; alors que les régimes capitalistes comme le Kenya, le Sénégal, la RDC étaient traités comme des alliés idéologiques et donc privilégiés ... Alors que les régimes capitalistes recevaient 88% de l'aide américaine, les régimes marxistes et socialistes n'en ont reçu que 6% ...

    Les Etats-Unis ont soutenu avec force leurs alliés africains, même ceux qui avaient les taux de croissance les plus mauvais. Par exemple, l'un des plus grands bénéficiaires de l'aide américaine en 1989 était le régime zaïrois de Mobutu Sésé Séko, un leader autoritaire qui en 1965 a pris le pouvoir par un coup d'état militaire, et qui utilisait l'aide extérieure pour s'armer et se maintenir au pouvoir alors que sa popularité baissait ... Des relations et politiques extérieures similaires liaient les Etats- Unis à d'autres alliés autoritaires en Afrique comme l'Egypte, le Liberia, la Somalie et le Soudan qui étaient parmi les dix premiers bénéficiaires de l'aide américaine dans les années 1980 », (Hook S. W., Schraeder P. J and Taylor B., 1998).

    En fin, on retiendra que dans l'attribution de l'aide aux pays d'Afrique subsaharienne,

    le niveau des besoins et l'intérêt du pays donateurs sont les seuls critères déterminants. En fait, la politique d'aide ne se préoccupe que très peu de l'efficacité ou de l'utilisation qui en sera faite. L'aide va ainsi beaucoup plus vers les pays dotés de mauvaises institutions mais qui ont des liens privilégiés avec les pays donateurs ou qui ont un niveau de pauvreté important. Il en a été ainsi par exemple dans l'ex Zaïre de Mobutu Sésé Séko, où bien que le pays vivait une situation économico-institutionnelle calamiteuse, l'aide n'a pas cessé d'affluer.

    Dans ces conditions, l'attribution de l'aide pose un certain nombre de problèmes dont les problèmes d'incitation dans les pays aidés à assainir le climat des affaires, comme nous l'avons étudié précédemment (chapitre 5). Plus un régime maintient sa population pauvre, plus il reçoit d'aide. Un régime qui se sent solidement lié aux principaux donateurs n'aura aucune incitation à faire de réforme; puisque dans tous les cas, il est sûr de l'afflux de l'aide. On montre par la suite que de telles allocations de l'aide conduisent à l'anti-sélection et sont donc inefficientes.

    2. Allocation de l'aide, l'anti--sélection et l'efficience

    Nous venons de voir dans la section précédente à travers une analyse empirique des raisons de l'octroi de l'aide en Afrique sub-saharienne que seules deux logiques sont déterminantes : le niveau des besoins du receveur et l'intérêt ou encore la proximité avec le donateur. L'aide pose dans ces conditions un certain nombre de problèmes bien connus dont : la désincitation au travail (déjà étudié), l'anti-sélection et l'aléa de moralité.

    La littérature qui utilise ces trois critères d'octroi de l'aide (besoin, efficacité, intérêt/proximité) ne s'est jamais demandée lequel est le plus pertinent. Il semble a priori que le critère d'efficacité soit le meilleur. Il est indispensable de comprendre pourquoi. C'est ce que nous montrons ici. Pour analyser la pertinence des principaux critères d'octroi, on fait l'hypothèse que l'aide vise avant tout,

    la réduction de la pauvreté. On suppose comme dans notre analyse du chapitre précédent que le nombre de personnes effectivement tirées de la pauvreté dépend de la qualité de la gouvernance dans le pays aidé (corruption moindre, Etat de droit, institutions saines, bonnes politiques économiques, dépenses publiques pro-pauvres, ...), qui détermine la productivité de l'investissement. Le nombre de personnes sauvées dépend également du nombre total initial de pauvres dans le pays considéré, ainsi que du niveau de l'investissement dans le pays. On montre alors que seule une allocation de l'aide basée sur l'efficacité est optimale.

    2.1. Présentation du modèle

    On suppose que pour un pays sous-développé bénéficiaire d'aide donné, le nombre d'individus tirés de la pauvreté grâce à l'aide, au cours d'une période T donnée est déterminée par:

    ?N = N.F(Z) (1)

    ?N représente le nombre de personnes sauvées de la pauvreté. N supposé suffisamment grand, désigne le nombre total de pauvres dans le pays considéré en début de période. Z est le montant de l'aide reçue au cours de la période T et F(Z) une fonction de réduction de pauvreté qui dépend du volume d'aide reçue au cours de la période considérée (T), qui peut être de 1, 2, 3, 5 ou 10 ans (ou même plus).

    On supposera ensuite que:

    (2)

    Où désigne un indicateur de la qualité de la gouvernance dans le pays considéré. Il

    prend par hypothèse (comme précédemment), deux valeurs possibles:

    orsque le pays considéré a une qualité de gouvernance faible et orsque
    la qualité de la gouvernance dans le pays considéré est bonne; avec

    On supposera en outre que:

    et que: La productivité marginale de l'aide en terme de réduction de la pauvreté est positive et décroissante. Pour Z = 0 (sans aide), le nombre de personnes tirées de la pauvreté grâce à l'aide est nul (?N = 0 ). On aura donc Q(0) = 0 .

    La figure ci-dessus représente le nombre de personnes tirées de la pauvreté (?N ) en fonction de l'aide reçue en supposant i (e) et N donnés.

    Fugure II-8 : Aide et reduction de la pauvreté

    A partir de ce modèle simple, on se propose d'étudier comment les critères d'attribution de l'aide affectent le résultat final, qui est la réduction de la pauvreté. On montre que seule une allocation qui tient compte de la qualité de la gouvernance dans le pays considéré est optimal.

    2.2. Allocation de l'aide selon le besoin et l'anti-sélection

    On considère deux pays pauvres A1 et A2 donnés, bénéficiaires d'aide internationale. Le temps est discret, et supposé infini : T =1, 2, 3, .... En début de la première période (T =1), les deux pays ont un même nombre de pauvres N1 = N2 = N supposé connu. Une institution « bienfaitrice » B (qui peut être un pays développé ou une institution internationale du type ONU, Banque mondiale, PNUD, ...) se propose d'aider les deux pays pauvres. B leur octroie de l'aide au développement. L'objectif poursuivi à travers cette aide est la réduction de la pauvreté. A l'instar de Svensson (2000) et Azam et Laffont (2003), nous supposons qu'à chaque période, B met à la disposition des deux pays pauvres ( A1 et A2 ) une enveloppe totale d'aide égal à Z , supposée fixée (exogène). Par hypothèse, le montant total d'aide Z est distribué entre les deux pays selon leur niveau de besoin, évalué à l'aune du nombre de pauvres dans le pays considéré. Ainsi Z est distribué proportionnellement à N1 et N2 .

    Pour N1 et N2 supposés connus, on a :

    Zi désigne le montant d'aide reçu par le pays Ai et NT = N1+N2 (le nombre total de pauvres dans les deux pays).

    Le souhait du donateur B est de tirer de la pauvreté au cours de chaque période, le maximum de personnes avec le montant d'aide Z . La qualité de la gouvernance est supposée connue dans les deux pays.

    Elle est de faible qualité dans le pays A1 (niveau de corruption élevé, mauvaises politiques économiques, absence d'Etat de droit, ...) si bien que ì1= 1(e)= ìL. A l'inverse, la qualité de la gouvernance dans le pays A2 est supposée bonne si bien que ì2= (e ) ìH .

    Sous ces hypothèses, la réduction de la pauvreté dans chaque pays au cours de la première période est donnée par:

    Pour le pays A1 :

    Pour le pays B2 :

    Puisqu'en début de la première période le nombre de pauvres est le même dans les deux pays, le montant d'aide que recevra chacun des deux est:

    On a alors:

    Pour le pays A1 :

    Pour le pays A2 :

    La représentation graphic donne

    FugureII--9 : Gouvernance et réduction de la pauvreté

    La qualité de la gouvernance étant faible dans le pays A1 , l'aide est moins productive dans ce pays. Avec le même montant d'aide, on tire plus de personnes de la pauvreté dans le pays A2 que dans le pays A1 .

    En début de la deuxième période, le nombre de pauvres dans chacun des deux pays est donné par: Pour le pays A1 : N'1 = N- ?N1 = N-?LNQ(z)

    Pour le pays A2 : N2 = N-?N'' = N-?NQ(z)

    Puisque par hypothèse et donc

    Pour tout

    le nombre de pauvres dans le pays 1 A est supérieur au nombre de pauvres dans le pays 2 A . L'aide étant distribuée proportionnellement au nombre de pauvres (selon la logique du besoin), elle ira plus vers le pays A1 ; c'est-à-dire vers l'opportunité où elle sera moins efficace.

    En d'autres termes, l'aide que B octroie va plus vers le mauvais partenaire de développement. On peut de manière abusive, qualifier cette situation de sélection adverse, étant donné que par hypothèse, le souci du donateur est de tirer de la pauvreté, le maximum de personnes.

    Outre la situation ci-dessus étudiée, le modèle suggère un autre problème. Comme l'aide internationale représente une part importante des ressources de la plupart des pays pauvres, une telle allocation peut inciter le pays A2 aussi à mener des politiques volontaires d'appauvrissement,

    Dans une certaine mesure, la réduction de la pauvreté dans le monde peut être considérée comme un bien public mondial (Azam et Laffont 2003 ; Bigsten 2005). De ce fait, lorsqu'il y a une multitude

    pour bénéficier de plus d'aide. On a là un problème d'aléa de moralité. Il peut notamment atténuer ses efforts en matière de réduction de la pauvreté pour éviter le tarissement de ses ressources d'aide les périodes suivantes. Et donc, la qualité de la gouvernance ì (e) va baisser dans ce pays.

    Section 3 : Coordination des donateurs et efficacité de l'aide

    Le problème fondamental ici est d'identifier l'impact que le manque de coordination peut avoir sur l'efficacité de l'aide. Ceci peut se faire à travers l'étude de l'impact de la coordination sur la conditionnalité et les politiques économiques des pays récipiendaires. En effet, nous avons montré plus haut que la qualité des institutions et des politiques inappropriées expliquent le sentier de croissance en Afrique. On peut alors se demander comment le manque de coordination influencet-il les institutions et les politiques économiques dans les pays receveurs. Comment la politique d'aide peut-elle être plus efficiente à travers la coordination des donateurs?

    1. Coordination et gouvernance dans le pays receveur

    Le terme « coordination » en matière de l'aide au développement fait référence à « l'harmonisation » des politiques d'aide, au niveau des donateurs. Selon Balogun (2005), la coordination est caractérisée par trois facteurs principaux:

    > L'uniformisation des politiques en matière de planification, de management et de déboursement de l'aide

    > La simplification progressive des procédures en vue de réduire leur fardeau excessif pour les gouvernements partenaires (receveurs)

    > Le partage des informations dans le souci de promouvoir la transparence et d'améliorer l'organisation des projets et programmes de développement.

    Le problème de coordination de l'aide internationale occupe une place de plus en plus importante dans le débat sur l'efficacité de l'aide. Ceci à la suite du constat selon lequel, la non harmonisation des pratiques au niveau des donateurs constitue une explication importante de l'échec de la conditionnalité de l'aide internationale. Nous avons montré plus haut qu'en allouant l'aide selon la logique d'efficacité, l'aide peut inciter le receveur à l'effort (améliorer la qualité de la gouvernance). Le manque de coordination est donc une source d'inefficacité de l'aide internationale.

    En effet, selon Torsvik (2005), sans la coordination au niveau des donateurs, l'aide n'exerce aucun effet sur la qualité des politiques et institutions dans le pays receveur. Dans son modèle, la fonction d'utilité du gouvernement receveur a deux composantes : la consommation des riches, et celle des pauvres. Se pose alors la question de savoir si l'aide permet dans cette situation d'augmenter l'incitation du gouvernement receveur à utiliser les ressources domestiques pour aider ses pauvres. Il montre que si le receveur n'a pas les mêmes priorités que les donateurs, et si aucun contrat effectif ne permet d'aligner leurs intérêts, on débouche sur un conflit. Il montre ensuite que si les donateurs peuvent s'unir, un contrat d'aide conditionnelle qui influence les « politiques économiques » du gouvernement receveur est toujours souhaité avec la coordination. Quand un gouvernement receveur traite à la fois avec plusieurs donateurs, avec des accords différents, il peut se trouver en face de conditionnalités conflictuelles. Aucun engagement ne sera dans ce cas honoré, et cela se solde par l'échec de la conditionnalité et une bureaucratie excessive (Knack et Rahman, 2004). L'aide extérieure sera alors utilisée pour financer la consommation des riches; son efficacité sera dans ce cas faible.

    2. Problème du passager clandestin en l'absence de coordination

    d'institutions qui opèrent à la fois dans ce domaine notamment à travers l'aide, les responsabilités en matière de succès ou d'échec sont diffuses, et aucun donateur isolé ne se sent en situation d'obligation de résultat dans le pays receveur. Aucun donateur ne se sent responsable des réussites ou de l'échec de l'aide. Se pose alors le problème du « passager clandestin ». Les donateurs s'attachent plutôt dans ce cas à leurs propres intérêts (politiques, stratégiques, commerciaux, énergétiques, sécurité, ...). Chaque donateur cherche à marquer sa présence sur le terrain, et les actions en matière de développement sont plutôt diffuses, avec des objectifs de développement différents selon les donateurs. Il en résulte un résultat moindre en matière de développement global (Knack et Rahman, 2004).

    3. Multiplicité des coûts et alourdissement de la bureaucratie

    Lorsque plusieurs donateurs financent à la fois un même projet ou programme dans un pays donné (financement conjoint), le manque ou une insuffisance de coordination engendre une augmentation des coûts de transactions ; définis selon Brown et al. (2000) comme les coûts de préparation, de négociation, du monitoring et d'applications des accords. La multiplicité des donateurs qui opèrent dans un même pays receveur est un facteur qui influence négativement la bureaucratie de l'aide (Knack et Rahman, 2004). Le receveur doit faire face à une répétition de procédures avec différents donateurs. Il en résulte une multiplicité des Plusieurs autres auteurs (comme Easterly 2003 ; Alkali 1989)68 considèrent le fonctionnement de la bureaucratie de l'aide comme trop lourd, excessif. Ce qui expliquerait une bonne partie de l'échec de plusieurs projets de développement. En effet, la complexité et la lourdeur de la bureaucratie de l'aide fait que les décideurs sont parfois coupés, ou mieux n'ont pas de contact direct, avec les populations pauvres qu'ils prétendent aider. Ce qui fait que les réalisations ne répondent pas toujours aux attentes des populations bénéficiaires. Les contradictions enregistrées au Mali en 1995, où les meneurs des projets ont estimé les résultats satisfaisants, alors qu'une enquête menée auprès des populations pauvres quelques années plus tard a révélé carrément le contraire illustre bien cette situation.

    En cas de financement conjoint, chaque donateur envoie des représentants sur place, qui sont souvent des expatriés. Leur prise en charge, incluse dans le budget représente de véritables manques à gagner. Alkali (1989) décrit comment la bureaucratie de l'aide a fonctionné au Nigeria entre 1981 et 1984. L'Etat de `'Baiuchi»a bénéficié du financement d'un projet de développement agricole, d'un montant de 132 millions de dollars US. Les principaux experts étaient tous des expatriés; et en tout, 64 personnes ont été expatriées et installées dans l'Etat de `'Baiuchi»durant quatre ans (1981-1984). Leurs traitements ont coûté 27 millions de dollars sur les 132 du budget d'aide (Easterly, 2003). Un autre cas très frappant est celui du Mozambique, où sur 405 projets de développement du Ministère de la Santé, les coûts administratifs avaient absorbé 30 à 40 pour cent des fonds alloués à ces projets (Wuyts 1996).

    4. Allocation inefficiente des ressources en l'absence de coordination

    Un problème évident qu'un manque de coordination au niveau des donateurs peut créer est le partage de l'information. Un partage non optimal des informations entre différents donateurs, résultat d'une mauvaise coordination peut conduire à une allocation inefficiente des ressources d'aide entre les receveurs, et/ou à travers les différents projets. Certains secteurs peuvent faire face à un sur-financement alors que d'autres manquent de ressources comme ce fut le cas après le Tsunami de 2004. Si on considère que les projets sont complémentaires, le manque de coordination au niveau des donateurs qui entraîne une mauvaise allocation des ressources représente un facteur d'inefficacité de l'aide.

    68 Voir par exemple `'the cartel of good intention: the problem of Bureaucracy in foreign aid», William Easterly (2003).

    En somme, le manque de (ou une faible) coordination au niveau des donateurs génère plusieurs problèmes : celui du « passager clandestin », l'alourdissement de la bureaucratie de l'aide, la multiplicité des coûts. Ces facteurs constituent une source d'inefficacité de l'aide. Se pose alors la question de savoir pourquoi y a-t-il un manque ou une insuffisance de coordination au niveau de l'aide internationale ? Une raison évidente est le fait que les différents donateurs aient souvent des intérêts dans les pays pauvres qu'ils veulent sauvegarder. Il arrive même que plusieurs donateurs soient en concurrence dans un pays donné (Bigsten, 2005). Le fait que la logique d'intérêt ou de proximité soit très pertinente dans l'explication de l'allocation internationale de l'aide au développement milite en faveur de cette thèse. L'aide internationale devient alors un élément de compétition entre les différents donateurs comme nous l'avons montré dans le chapitre précédent. Frey et Schneider (1986) aboutissent à la même conclusion.

    En conséquence, la plupart des grands donateurs (pays développés) préfèrent procéder

    par des accords bilatéraux qui constituent un moyen de protection de leurs intérêts. Si les donateurs veulent vraiment aider les pays pauvres, ils doivent revoir leurs pratiques actuelles. Il est notamment nécessaire que le système d'aide au développement soit bien coordonné. Une solution au problème de coordination est d'accorder une place plus importante aux bailleurs de fonds multilatéraux dans le système d'aide internationale. Quand le Président des Etats-Unis Harry Truman (1949) a proposé l'aide extérieure, il a exhorté les donateurs à « mettre en commun leurs ... ressources » pour une « entreprise coopérative dans laquelle toutes les Nations travaillent ensemble à travers les Nations Unies ... quand cela est réalisable ». Le rapport retentissant de la Commission Pearson (1969, 228-9) a insisté sur la nécessité de standardiser la planification, les programmes et l'évaluation des donneurs pour chaque bénéficiaire, mais aussi afin d'accroître fortement la part de l'aide passant par les multilatéraux. Plus récemment, le rapport de la Commission Blair (2005) parle du besoin d'outils de coordination tels que « des évaluations conjointes des besoins », pour améliorer l'impact de l'aide en Afrique. Il est alors temps, que des actions concrètes se réalisent pour une meilleure coordination de l'aide. L'ONU pourrait par exemple être le principal centre de décision. Cela affectera la gouvernance dans les pays receveurs et par là, l'efficacité de l'aide au développement.

    Une des caractéristiques principales de l'aide Marshall (souvent citée comme un succès) est que les pays receveurs traitaient avec un seul donateur. Un autre exemple est le cas de la Chine, qui a opéré des réformes substantielles pour entrer dans l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce). Plus récemment, les pays d'Europe de l'Est qui traitent avec un donateur principal, l'Union Européenne (UE), ont opéré des changements institutionnels importants dans le souci d'entrer dans l'Union. Ces pays ont significativement et rapidement amélioré la qualité de leurs institutions et la gouvernance en général; ce qu'ils n'ont pas pu réaliser avec la communauté internationale tout entière depuis l'après-guerre. Le Succès de l'aide en Corée du Sud, à Taiwan et au Botswana aussi est en parti dû au fait que ces économies faisaient face à un seul donateur ou un donateur dominant (Knack et Rahman, 2004). Au contraire, la plupart des pays récipiendaires aujourd'hui qui traitent avec plusieurs donateurs à la fois avec des projets et programmes disparates comme c'est le cas en Afrique sub-saharienne ont du mal à adapter leur environnement politico-institutionnel aux exigences de l'heure. L'aide se solde dans la plupart de ces cas par un échec.

    CONCLUSION PARTIELLE

    Les pratiques des principaux donateurs en matière d'aide au développement peuvent constituer un facteur déterminant de l'inefficacité de l'aide en Afrique subsaharienne. Mode de financement, planification et politique d'octroi de l'aide, ... Tous ces facteurs devraient être conçus de manière à créer des incitations favorables à l'efficacité de l'aide internationale. Ce qui n'est malheureusement pas le cas en Afrique.

    Si à long terme l'équivalence entre les prêts et les dons semble être admise, les différentes logiques d'attribution de l'aide peuvent quant à elles conduire à des résultats différents. Dans l'évaluation empirique des raisons de l'allocation internationale de l'aide en Afrique sub-saharienne, nous aboutissons à la conclusion selon laquelle le critère d'efficacité n'est pas pris en compte. Seuls les liens de proximité avec les donateurs et le niveau des besoins des pays récipiendaires paraissent déterminants dans l'explication de l'allocation internationale de l'aide. Sans tenir compte de la qualité de la gouvernance dans les pays receveurs, l'aide va plus vers les pays mal gouvernés, et qui ont des liens privilégiés avec les principaux donateurs. Une telle allocation de l'aide internationale conduit au problème de sélection adverse et d'aléa de moralité chez le récipiendaire en matière de réduction de la pauvreté. L'aide extérieure désincite notamment le receveur à faire l'effort.

    Pour une meilleure efficacité de l'aide, il serait mieux qu'on conditionne l'aide à l'adoption de politiques appropriées, comme celles favorables à la réduction de la pauvreté. Une telle pratique nécessite une harmonisation des politiques d'aide au niveau des donateurs. Malheureusement, elle bute sur une mauvaise coordination au niveau des donateurs, qui accordent bien trop souvent, plus d'importance à leurs propres intérêts. Cette mauvaise coordination crée des coûts supplémentaires liés à la gestion de l'aide, l'alourdissement de la bureaucratie et pose le problème de responsabilité en cas d'échec. Aucun donateur ne se sent finalement en obligation de résultat, ou concerné en cas d'échec. On se trouve ainsi en face du problème commun à l'ensemble des biens publics : le problème du passager clandestin. Un réajustement des politiques actuelles d'aide est alors nécessaire face à l'augmentation inquiétante de la pauvreté dans la région.

    CONCLUSION POUR LA DEUXIEME PARTIE

    L'aide au développement ne semble pas aider le développement en Afrique sub-saharienne. Dans cette deuxième partie, on a examiné les raisons susceptibles d'expliquer l'inefficacité de l'aide dans la région. Même si l'idée selon laquelle les économies africaines sont prises au piège de la pauvreté n'est pas à écarter totalement, l'inefficacité de l'aide au développement en Afrique ne semble pas liée au volume de l'aide. En effet, même sur la période où l'aide à l'Afrique subsaharienne a été suffisamment forte, elle n'a pas favorisé le développement. De plus, même pour les pays qui vraisemblablement ne sont pas pris au piège de la pauvreté, l'aide est inefficace.

    Les explications les plus plausibles de l'échec de l'aide dans la région sont la qualité de la gouvernance dans les pays receveurs et les politiques d'aide des principaux donateurs. Une gestion économique malsaine serait associée à l'aide au développement dans les pays receveurs. Nos résultats révèlent que la qualité de la gouvernance dans les pays de la région fait que, l'aide entraîne une augmentation de la consommation et donc une baisse de l'épargne domestique. L'investissement dans le pays récipiendaire que devrait financer l'aide n'augmenterait pas véritablement. Plus étonnant, l'aide qui est censée lutter contre la pauvreté n'augmente pas la consommation des populations pauvres. Mais celle d'une classe de « privilégiés ». On peut alors comprendre pourquoi malgré l'augmentation de la consommation que crée l'aide internationale, la pauvreté augmente en Afrique subsaharienne.

    Si la productivité de l'aide dépend de son utilisation dans le pays receveur, l'efficacité de l'aide serait différente selon la qualité de la gouvernance dans le pays considéré. C'est ainsi qu'on a intégré la qualité de la gouvernance dans notre analyse. Le résultat suggère alors curieusement que l'aide exerce un impact négatif sur l'activité économique dans le pays receveur. Nos analyses révèlent que cette perversité de l'aide serait due aux effets d'incitation que l'aide crée au niveau du gouvernement aidé. Non seulement l'aide exerce un effet néfaste significatif sur l'épargne et l'investissement domestiques, mais aussi elle désincite à l'effort. L'aide internationale encourage l'adoption de politiques inappropriées dans les pays receveurs. De façon générale donc, l'aide extérieure engendre une désincitation à l'effort nécessaire pour que les pays pauvres sortent du sous-développement.

    Le paradoxe de la perversité de l'aide, serait lié aux pratiques des donateurs. Leurs politiques d'aide seraient à la base des effets néfastes que l'aide crée. En effet, s'il semble admis qu'à long terme, il y a équivalence entre les différents modes de financement (prêts, dons ou même une combinaison des deux), les principaux critères d'attribution de l'aide ne seraient pas quant à eux neutres en terme d'incitation. La logique du besoin et/ou de proximité avec le donateur n'encourageraient pas le pays aidé à faire d'effort, à entreprendre les réformes politico-institutionnelles nécessaires pour une meilleure performance économique et donc, une meilleure efficacité de l'aide. L'aide pose dans ce cas un problème d'antisélection. Le meilleur critère d'attribution de l'aide serait le critère d'efficacité. Malheureusement, il est le moins pertinent dans l'explication de l'allocation internationale de l'aide au développement en Afrique sub-saharienne. Les résultats de nos analyses rejoignent ceux de Svensson (2000) et Alesina et Weder (2002) selon lesquels l'aide va plus vers les pays dont la qualité de la gouvernance est moins bonne.

    En effet, en accordant trop souvent, plus d'importance à leurs propres intérêts, les grands donateurs supporteraient plus des régimes institutionnellement défaillants. La pratique de l'aide conditionnelle serait presque inexistante (ou faible) en Afrique sub-saharienne. Aussi note-t-on une mauvaise coordination de l'aide qui est liée à l'égoïsme des pays donateurs. Cette défaillance organisationnelle au niveau des donateurs alourdit la bureaucratie de l'aide, ainsi que les coûts liés à la gestion de l'aide au développement. La mauvaise harmonisation des politiques au niveau des donateurs est un autre véritable problème. Elle profite aux régimes « prédateurs » qui peuvent surfer sur l'insuffisance de la coordination au niveau des donateurs pour faire échouer la conditionnalité de l'aide internationale. Dans ce cas, l'aide sera octroyée malgré le fait que les réformes nécessaires en matière de gouvernance au niveau du pays receveur ne soient pas entreprises. L'aide ne peut alors être efficace.

    CONCLUSION GENERALE

    Depuis que l'aide internationale au développement existe, on s'est légitimement interrogé sur ses fondements et la mesure de son impact. Telle a été notre préoccupation tout au long de ce travail, qui a porté sur l'Afrique subsaharienne. Même si l'aide peut se justifier par la nécessité d'une politique de redistribution à l'échelle planétaire, elle vise un objectif fondamental : la lutte contre la pauvreté ou encore l'amélioration des niveaux de vie dans les pays pauvres. L'aide semble a priori ne devoir se justifier véritablement que par son impact à ce niveau.

    Pour atteindre cette cible, l'aide devrait permettre aux pays pauvres où l'épargne est insuffisante, d'augmenter leur niveau d'investissement pour favoriser la croissance économique. Le décollage économique entraînera une amélioration du revenu des couches défavorisées de la population, et l'augmentation du revenu à son tour va entraîner des progrès sur le plan social.

    Malheureusement, plus de cinquante ans d'aide au développement n'ont pas permis de faire baisser la pauvreté dans le monde. Elle serait même en augmentation. La situation est même inquiétante en Afrique sub-saharienne où on assiste à une effective paupérisation de la population, avec une dégradation constante des conditions de vie. Et pourtant, l'Afrique sub-saharienne est la première région bénéficiaire d'aide dans le monde. Pour élucider ce paradoxe, nous avons analysé l'impact de l'aide internationale sur le niveau de vie des populations de la région.

    Il ressort de cette étude que les pays de l'Afrique sub-saharienne enregistrent depuis les années 1970, des difficultés de croissance économique que l'aide au développement n'a pas permis de résoudre. Les résultats de notre analyse nous amènent à conclure que l'aide en Afrique sub-saharienne n'a pas eu d'impact positif sur la croissance économique. D'autres variables comme le niveau initial des revenus, la qualité des politiques économiques suivies et la gouvernance en générale paraissent plus déterminantes dans l'explication du sentier de croissance économique de la région. L'aide reçue n'a pas généré les effets escomptés. Pour comprendre le phénomène de l'aide internationale en Afrique subsaharienne, nous avons analysé les trois principales raisons qui peuvent être à la base de son inefficacité. La raison le plus couramment évoquée est l'insuffisance de l'aide. Nos résultats dans ce travail, suggèrent que l'inefficacité de l'aide en Afrique sub-saharienne ne dépend pas du volume de l'aide. Elle serait surtout liée à deux grandes causes : d'abord la qualité de la gouvernance dans le pays receveur, qui détermine l'utilisation qui est faite de l'aide reçue. Ensuite l'incitation que l'aide crée au niveau du receveur, et qui est liée à la politique d'aide au niveau des

    donateurs. L'inefficacité de l'aide internationale au développement en Afrique subsaharienne est donc beaucoup plus un problème de politique qu'un problème de volume.

    Dans l'attribution de l'aide aux pays d'Afrique sub-saharienne, le niveau des besoins et l'intérêt du pays donateur sont les principaux critères déterminants. Le fait que le niveau d'aide reçu dépende de l'étendu des besoins semble normal. Mais lorsqu'on lui accorde trop d'importance, il est néfaste; surtout lorsque le facteur d'efficacité n'est pas pris en considération. Sans se préoccuper de la qualité de la gouvernance ou de l'utilisation qui en sera faite (et donc du critère d'efficacité), l'aide va beaucoup plus vers les pays dont la gouvernance est moins bonne, mais qui ont des liens privilégiés avec les pays donateurs ; et/ou qui ont un niveau de pauvreté élevé. Ceci crée une désincitation à l'effort dans le pays receveur et donc, n'encourage pas les gouvernements aidés à entreprendre les réformes nécessaires pour le décollage économique. L'aide internationale incite plutôt les gouvernements récipiendaires à adopter des politiques appauvrissantes : « plus ma population est pauvre, plus je reçois d'aide -- donc j'ai intérêt à la garder pauvre ». L'aide crée ainsi un problème d'aléa de moralité. Parce que l'aide soutient des régimes peu favorables à un environnement politico-économique sain, et qu'elle les encourage à adopter de « mauvaises

    politiques », elle ne peut promouvoir le développement. Ceci expliquerait l'effet négatif de l'aide internationale sur la croissance économique lorsqu'on a intégré un indicateur de gouvernance dans notre analyse.

    Une solution au « comportement » du receveur (aléa de moralité) serait de conditionner l'aide à l'adoption de politiques appropriées. Dans ce cas, le système de l'aide fonctionnerait comme un marché où les pays receveurs (considérés comme producteurs d'un bien qui est la réduction de la pauvreté) feraient constamment des efforts pour attirer les clients (les donateurs qui aimeraient avoir accès à un maximum de biens (nombre de personnes tirées de la pauvreté) pour chaque dollar de ressource (ou aide). Puisque l'aide irait alors vers le pays qui l'utilise efficacement, elle va créer cette fois-ci une incitation à l'effort. Les pays receveurs feront d'effort pour se qualifier à l'aide ; ce qui va accroître la productivité de l'aide internationale. On aurait ainsi des meilleurs résultats en terme de développement global.

    Malheureusement, de telles politiques ont souvent échoué parce que les principaux donateurs ont du mal à harmoniser leurs pratiques. Ils accordent trop souvent, plus d'importance à leurs propres intérêts, et utilisent l'aide comme un instrument de politique étrangère. L'aide sert souvent d'élément de compétition entre les différents donateurs dans les pays pauvres. Ce fut par exemple le cas de la RDC, l'ex Zaïre où Mobutu Sésé Séko était vaillamment soutenu par les grandes puissances et bénéficiait de sommes importantes d'aide malgré le fait que les donateurs fussent conscients qu'il utilisait cette aide non pas pour lutter contre la pauvreté, mais pour s'armer contre son peuple de plus en plus révolté. Lorsque la qualité de la gouvernance est faible dans un pays pauvre donné, une bonne coordination au niveau des donateurs est indispensable et permettrait non seulement aux populations pauvres de bénéficier des ressources d'aide, mais aussi aux donateurs d'amener le gouvernement aidé à entreprendre les réformes nécessaires.

    Burnside et Dollar (1997) dans une analyse sur un échantillon mondial des pays en développement trouvaient un coefficient « Aide-politique économique » positif et significatif; ils concluaient que l'aide favorise la croissance quand elle est associée à de bonnes politiques économiques.

    Easterly, Levine et Roodman (2003) dans une analyse sur un autre échantillon mondial, plus grand, avec une période plus longue trouvaient un coefficient « Aide-politique économique » négatif et non significatif. Ils remettaient en cause l'efficacité de l'aide à favoriser la croissance, même lorsqu'elle est associée à de bonnes politiques économiques.

    Dans notre régression sur l'Afrique sub-saharienne, nous trouvons un coefficient « Aide-politique économique » négatif et significatif. Cela voudrait dire que non seulement l'aide est inefficace en Afrique sub-saharienne, mais elle est contre productive.

    Alors que la politique économique a un effet positif et significatif sur la croissance, l'aide vient curieusement détruire cet effet. Ce qu'on peut suggérer ici est en référence avec les trois positions exposées dans le chapitre 2 de la première partie de ce travail ; la philosophie de la Banque Mondiale pour laquelle l'aide est efficace, la position marxiste pour laquelle l'aide est une forme d'exploitation, la position actuelle selon laquelle l'aide est inefficace. Nous venons de voir qu'il est insuffisant de prétendre que l'aide est inefficace. L'aide est perverse. Faut-il pour autant adopter la position marxiste ? Doit-on condamner l'aide internationale ? Doit-on cesser d'aider les pays pauvres?

    Une alternative serait sans doute de tenir compte de la raison que nous avons suggérée comme étant à la base de cet effet pervers de l'aide sur la croissance économique. Nos suggestions concernant le fait que l'aide favorise avant tout, la consommation présente, et la consommation présente d'une classe de « privilégiés » méritent un peu d'intérêt. L'aide crée un cercle vicieux dans lequel, les dirigeants «prédateurs» rassurés du soutien de leurs alliés occidentaux, n'ont aucune incitation à assainir le climat de la vie politique et économique de leur pays.

    Les pratiques des anciennes puissances coloniales créent une forme de clientélisme voire d'accaparement de l'aide par des coalitions d'intérêts prédatrices. C'est ainsi que l'aide devient perverse. En effet, si l'aide finance des régimes corrompus, prédateurs, qui mènent de mauvaises politiques, puisque ces derniers sont néfastes pour la croissance économique, il y a de quoi comprendre la négativité de l'impact de l'aide sur la croissance. Nos propositions pour une meilleure efficacité de l'aide au développement sont principalement des recommandations de politiques. Les donateurs doivent cesser de penser à leurs seuls intérêts et de soutenir leurs alliés. Il est nécessaire qu'on sépare l'aide au développement de la politique étrangère. Pour cela, il est préférable que l'aide transite par les organismes multilatéraux qui n'ont pas d'intérêts particuliers à défendre dans tel ou tel pays et qui, du fait du learning by doing, ont un sérieux avantage comparatif dans la réalisation de projets de développement.

    Lorsque la qualité de la gouvernance dans un pays donné est faible, des discussions préalables pour définir le cadre dans lequel l'aide devrait être délivrée sont indispensables. La pratique de la conditionnalité associée à l'aide au développement doit donc être reconsidérée en Afrique sub-saharienne. Elle doit guider l'aide aux pays pauvres dont la gouvernance est de faible qualité.

    Les gouvernements africains doivent à leur tour comprendre que le développement de l'Afrique ne se fera pas sans une réelle volonté et une participation active des Africains. Des politiques gouvernementales perverses, pour des visées politiques ont trop souvent fait perdre à l'Afrique, de formidables opportunités en matière de développement. Après tout, capital is made at home.

    Ce travail analytique, est le fruit de notre volonté d'apporter notre modeste contribution à la politique d'aide au développement en Afrique sub-saharienne. Il conclut que l'aide au développement n'aide pas les populations africaines et serait même perverse pour leur bien-être, et fait des propositions de politiques pour l'avenir, afin de ne pas retomber dans les erreurs du passé.

    Néanmoins, comme toute oeuvre humaine, il n'est pas parfait. Il présente des insuffisances. D'abord, l'aide internationale appréhendée globalement est difficile à analyser en terme d'impact. Elle englobe des flux réels (transferts liquides, experts internationaux, envoi de vivres, ...) et fictifs (les allègements et rééchelonnements de dettes). Comment peut-on analyser avec exactitude, l'effet d'un ensemble si hétéroclite de transferts sur le bien-être d'une population ? Le fait de retenir par exemple une période moyenne de 4 ans au bout de laquelle l'aide doit produire son impact sur la croissance économique est une autre limite de notre étude.

    L'analyse présentée dans cette thèse invite à considérer qu'il n'y a pas toujours une stricte concordance entre le bien-être collectif d'un pays et les préférences de ses dirigeants. Ainsi, l'analyse peut-elle être prolongée en s'orientant vers une modélisation d'une forme de jeu à double étage : à l'intérieur d'un pays, et entre pays. Une telle analyse permettrait de mieux comprendre les interactions stratégiques entre les différents acteurs de l'aide : donateurs et bénéficiaires; dans un environnement pouvant laisser la place à des asymétries d'information.

    Enfin, le fait que la pauvreté augmente en Afrique sub-saharienne malgré l'aide internationale ne veut pas dire forcement que l'aide est inefficace. Il se peut que sans l'aide au développement, les choses seraient pires et la croissance quasinulle des économies africaines serait négative. Il serait alors préférable pour apporter un jugement sur l'effet de l'aide, de passer par d'autres méthodes pouvant permettre d'évaluer ce que serait la situation en Afrique sub-saharienne si l'aide n'existait pas. Des recherches supplémentaires dans ce sens pourront enrichir le débat sur l'efficacité de l'aide au développement. Nous pouvons terminer avec une note d'espoir pour l'Afrique libérée de la

    colonisation. Si les Africains prennent les choses en main, mènent de « bonnes politiques »,
    peut être décolleront un jour, les économies africaines.

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    BIOGRAPHIE DE L'AUTEUR DU MEMOIRE

    NABONA BISIMWA Jean--Paul, Né à Uvira, le 16/01/1983,

    Usus d'une famille Chrétienne de 7 enfants dont 4 garçons et 3 filles,

    Cursus académique

    - Diplômé d'Etat en Section Technique, Option Sociale, éduction 2003-2004, Institut

    MIKENO de GOMA

    - 2004-2005 : Ecole Pratique de langue, département Anglais-Français: à l'Université
    Nationale du Rwanda, UNR

    - Gradué en Développement Communautaire, Option Gestion et Administration des Projet,
    année académique 2006-2007, Université Ouverte, Campus de GOMA,

    - Licencier en développement Communautaire, Option sciences sociale et développement

    intégré, 2008-2009, idem

    Expérience académique et scientifique

    - Retenu comme assistant à la même année, juste après la distinction en deuxième de

    Licence, et Chef de département de D .C à l'UPROGL/Extension d'Uvira

    - en 2010-2011 : secrétaire académique assistant à l'ULUGL-Uvira

    - en 2011-2012 : secrétaire général administratif et financier à la même institution

    - auteur de plusieurs articles dans le département de développement communautaire,

    travaux pratique et travaux dirigés au sein de la même université depuis 2009-2013






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery