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Secteur publicitaire. Une révolution industrielle mise en évidence par l'échec de la fusion publicis-omnicom.

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par Clément MERILLET
CNAM - Analyse Stratégique Industrielle et Financière 2014
  

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B. Questionnement initial sur l'égalité

Il est important de noter tout d'abord que le terme de « fusion entre égaux » ne renvoie pas à un terme technique avec une définition précise.

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Comme nous l'avons vu, le BCA qui définit les modalités de la fusion entre égaux est signé avant l'avis des actionnaires, ce qui implique que l'appréciation de l'égalité vient initialement du point de vue des dirigeants.

Mais au moment de l'annonce, l'évaluation détaillée sur les termes de l'égalité n'est pas communiquée.

Dans une logique financière, le partage parfait du pouvoir dans les modalités que nous venons de décrire, à savoir identiquement réparti entre actionnaires et dirigeants de chacun des deux groupes, devrait supposer l'entente préalable des deux parties instigatrices du projet sur une évaluation qui indique que cette égalité réponde à une certaine réalité mathématique.

En effet, cette fusion entre égaux consiste à céder, d'un côté comme de l'autre, 50% de son identité ; or aucun des deux groupes n'est initialement à vendre, ni ne se trouve en situation financière délicate, au contraire chacun se porte très bien et menait d'ailleurs depuis de nombreuses années une politique de croissance externe rythmée par de nombreuses acquisitions.

Dans un tel contexte, il semble financièrement irrationnel de part et d'autre de céder 50% de sa souveraineté sans être parvenu à ce choix par le biais d'une justification mathématique.

Or, l'absence de détails au moment de l'annonce (qu'il s'agisse des conférences de presse, du BCA, ou du document de présentation de la transaction à destination des investisseurs) invite à s'interroger sur les bases ayant déterminé cette égalité.

Certes, les points de convergence mis en avant dans les déclarations des deux hommes témoignent effectivement d'un équilibre : au moment de l'annonce du projet, la capitalisation boursière de 13,4 milliards d'euros de Publicis n'est que légèrement supérieure à celle de 13,1 milliards d'euros d'Omnicom. Les résultats nets en 2012 sont eux aussi sensiblement proches : Publicis génère 737 millions d'euros tandis qu'Omnicom génère 777 millions d'euros de bénéfice.

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C'est d'ailleurs sur ces notions de capitalisation boursière et de résultat net que John Wren formule sa réponse lorsqu'il est questionné par un journaliste5 sur le fondement de l'expression « fusion entre égaux », en ajoutant que « cette égalité a été définie par des évaluateurs de banques d'affaires.»

Cependant, les divergences ne sont pas moindres puisque Publicis génère 6,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires alors qu'Omnicom génère 11,1 milliards d'euros, soit près du double!

De même, le français génère un EBITDA de 1,2 milliards d'euros tandis que l'américain est à 1,6 milliards, ce qui induit une meilleure marge d'EBITDA pour le français : 18% contre 14,7%.

Sur la base de ces éléments financiers, Omnicom a une part de marché nettement supérieure tandis que Publicis a une meilleure maîtrise générale de ses coûts.

D'autres divergences se trouvent naturellement dans le positionnement stratégique de chacun. Publicis est davantage tourné vers le numérique par le biais de nombreuses acquisitions d'agences spécialisées dans le digital, alors qu'Omnicom dispose d'une présence plus significative dans les pays émergents.

Si l'on considère l'ensemble de ces éléments, l'égalité entre les deux ne semble pas évidente et d'ailleurs à la lumière des divergences, les points de convergence mis en avant deviennent finalement contestables.

1) Remise en question des critères d'égalité annoncés

Tout d'abord les deux résultats nets sont certes sensiblement proches, mais lorsqu'ils sont rapportés au chiffre d'affaires il ressort que Publicis dégage une marge nette de 10,6%, soit une rentabilité plus élevée que celle d'Omnicom à 7,2%. Ce ratio n'apporte pas beaucoup plus d'information que ce que l'on avait déjà observé à travers la marge d'EBITDA : Publicis a une meilleure gestion des coûts. Mais ce ratio renforce l'idée que la simple comparaison des résultats nets n'est pas une mesure satisfaisante de l'égalité, car cela ne tient pas compte de l'avantage de Publicis dans l'efficacité à générer du profit. Cette capacité supplémentaire devrait être comptabilisée et positionner Publicis non pas égal à Omnicom, mais supérieur à Omnicom sur ce critère de bénéfice.

5 https://www.youtube.com/watch?v=e9j4q6WCUwY

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Le seul pied d'égalité serait alors la capitalisation boursière des deux groupes. La capitalisation boursière reflète la valeur de marché d'une société à un moment précis : le cours de bourse multiplié par le nombre d'actions. Or, le cours de bourse est variable et dépend de la demande du titre de la société. C'est-à-dire que la valeur de marché d'une société est globalement déterminée par l'anticipation des investisseurs quant à la capacité de cette société à créer de la valeur dans l'avenir. De même, les analystes financiers qui émettent des recommandations ont un impact important sur l'opinion des investisseurs et en conséquence sur les choix d'investissement de ces derniers.

Comparer deux valeurs de marché au sein d'un même secteur semble satisfaisant au premier abord pour estimer que les deux sociétés ont à peu près le même prix, du point de vue des anticipations générales sur leurs capacités respectives à créer de la valeur.

Toutefois, notons que ces valeurs de marché respectives ne sont ni la résultante d'une seule et même population d'analystes financiers, ni celle d'une seule et même population d'investisseurs.

Considérons tout d'abord schématiquement les deux populations d'analystes financiers qui conseillent l'achat et la vente de titres : celle qui fournit l'ensemble des recommandations pour Publicis et celle qui fournit l'ensemble des recommandations pour Omnicom. Ces deux populations sont strictement différentes. Non seulement ce ne sont pas les mêmes organismes de conseil qui sont représentés au sein de chaque population, mais en plus l'hétérogénéité (les différents types de recommandations émises au sein d'une même population) est répartie inégalement. L'ensemble de ces considérations permet de catégoriser deux combinaisons de subjectivités strictement inégales.

Quant à ce que l'on nomme la population d'investisseurs de part et d'autre, nous pouvons appliquer le même raisonnement, en y ajoutant qu'au-delà de l'inégalité de base, pour chacun des deux profils d'actionnariat, il y a une répartition spécifique des degrés de connaissance des fondamentaux économiques et financiers (niveaux d'analyse des performances, de la conjoncture macroéconomique, des facteurs psychologiques) ce qui induit une différente influençabilité par les recommandations des analystes financiers.

immatériel des entreprises.

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De plus, avant l'annonce, Publicis est concurrent direct d'Omnicom, c'est-à-dire que chacune des deux populations d'investisseurs, différente, projette une anticipation sur la base d'un profil de société différent, opérant selon la stratégie mise place dans le cadre du contexte concurrentiel.

Ainsi, la valeur de marché semble être un indicateur pertinent pour dire que les deux groupes ont à peu près la même valeur du point de vue « du marché », mais cet indicateur paraît abstrait dans la mesure où il est formé par l'agrégation d'une multitude d'individus dont les motivations individuelles sont diverses.

Par ailleurs, le rapport de la capitalisation boursière à la valeur comptable des titres d'une société (le Price to Book ou « PBR ») permet d'observer la part de la valeur de marché liée à l'anticipation des investisseurs sur la création de valeur future. À titre illustratif, un PBR de 1 signifie qu'une société n'a pas de valeur au-delà de sa valeur comptable car la valeur de marché est égale à la valeur comptable ; alors qu'un PBR de 2 signifie que la valeur de marché est supérieure à la valeur comptable, et c'est cette part de survaleur qui est liée aux anticipations positives des investisseurs. À la date de l'annonce du projet, Publicis avait un PBR de l'ordre de 2,5 tandis qu'Omnicom avait un PBR de 5,56!

Selon un rapport récent7, le PBR est un indicateur de l'existence de capital immatériel, mais ne permet pas de traduire sa valeur de façon efficiente. Une forte présomption existe pour que la part de survaleur de la capitalisation boursière soit liée à l'appréciation que les investisseurs ont de la qualité du capital immatériel d'une société (ses clients, ses collaborateurs, son organisation...) ainsi qu'à l'appréciation de la capacité de l'équipe dirigeante à employer correctement ce capital immatériel dans le but de créer de la valeur. Mais il faut toutefois considérer que cette survaleur puisse ne pas être uniquement le fruit d'une évaluation pertinente du capital immatériel, mais aussi le fruit d'une irrationalité des investisseurs qui suivent le mouvement des cours dans une logique de mimétisme ou de spéculation.

6 http://ycharts.com/companies/PGPEF/price to book value http://ycharts.com/companies/OMC/price to book value

7 Thesaurus Bercy V1 (2011) - Référentiel français de mesure de la valeur extra-financière et financière du capital

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Il en résulte que nous avons l'indication que la valeur boursière d'Omnicom est davantage fondée sur une survaleur non expliquée que celle de Publicis. Dans une optique comparative, cette survaleur floue l'est d'autant plus d'après notre développement sur les différences fondamentales entre les deux couples de populations analystes/investisseurs : comment déterminer la part de survaleur due à l'appréciation réfléchie et celle due aux comportements irrationnels des investisseurs de part et d'autre ?

De ce fait, l'indicateur de la valeur boursière ne semble pas suffisamment pertinent pour statuer, seul, de l'égalité entre Publicis et Omnicom.

Ainsi sur l'ensemble des éléments abordés, les deux groupes semblent clairement inégaux et la non-divulgation d'une évaluation détaillée de l'égalité nous invite à envisager deux scénarios.

a) Une évaluation justifiant l'égalité aurait été démontrée

Le premier scénario est que malgré sa non divulgation publique, l'évaluation justifiant mathématiquement l'égalité aurait été définie dans la mesure où les deux parties envisageaient leurs différences comme des complémentarités qui contribuaient dans des proportions strictement équivalentes à l'atteinte des objectifs de création de valeur poursuivis par le groupe consolidé.

C'est d'ailleurs ce qui est suggéré par le document de présentation officiel : Publicis a une meilleure rentabilité et est plus compétent sur le segment digital tandis qu'Omnicom est presque deux fois plus important en part de marché et particulièrement plus présent dans les pays émergents. Dans une optique simpliste, chaque partie apporte deux points forts à l'autre, et les deux semblent de ce fait contribuer de façon équitable : atteindre une taille critique pour s'imposer sur le segment du numérique tout en optimisant le profit par la technique de rentabilité de Publicis appliquée au potentiel des marchés émergents fournis par Omnicom.

Mais une telle approche n'est pas suffisamment rigoureuse dans le sens où elle ne rend pas compte des proportions exactes dans lesquelles les points forts de chacun contribuent à l'atteinte de l'objectif commun.

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Or, comme nous l'avons établi plus haut, la fusion n'était pas une contrainte de survie et le fait de tolérer 50% de la dilution de son identité représente une décision suffisamment importante pour que chaque partie souhaite exiger une valorisation exacte des savoir-faire de chacun. Sans cette valorisation exacte comment admettre sans réserve que la dilution de son identité à 50% ne soit pas une mauvaise affaire?

À défaut d'avoir accès à cette évaluation de la contribution égale des savoirs faire de chacun aux objectifs communs, il est possible d'en saisir la complexité. Une telle évaluation se traduirait par la quantification et la comparaison des contributions de chaque savoir-faire à l'atteinte de l'objectif commun.

Or, toute la question est : comment quantifier ces contributions? Pour simplifier, il ressort que Publicis apporte un modèle plus attractif et Omnicom apporte un plus grand volume d'affaires. Cela implique des positionnements fondamentalement incomparables en soi car compte tenu de l'environnement concurrentiel, ils reflètent deux orientations stratégiques pertinentes dans une logique stand alone. Si l'on voulait quantifier leur contribution à la création de valeur finale espérée par le projet par exemple, nous pourrions retenir l'ensemble des coûts d'opportunité induits par une position en stand alone : combien Publicis devrait-il investir en acquisitions pour augmenter son volume d'affaires et atteindre celui rendu possible par la fusion avec Omnicom ? Dans le même ordre d'idées, combien Omnicom devrait dépenser pour optimiser sa marge ? Ces coûts d'opportunité ne se chiffrent pas uniquement en numéraire, mais en temps : combien de temps l'un comme l'autre mettrait pour développer les compétences visées ? Par ailleurs ce temps est très difficile à estimer car, rappelons-le, ces compétences s'acquièrent par le biais d'acquisitions.

Pour aller au bout du raisonnement, la somme de ces coûts d'opportunités qui séparent une entité de la création de valeur estimée par le projet de fusion, représenterait la valeur de la contribution de l'entité opposée.

Mais la difficulté d'une telle évaluation repose sur le fait que la création de valeur finale est elle-même une

estimation.

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L'exposé de cette complexité permet de relever le caractère providentiel d'une parfaite égalité démontrée entre les contributions, et nous amène à formuler notre deuxième scénario.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault