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Comité de lutte contre la répression au Maroc. Analyse d'une association centrée en Belgique 1972-1995.

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par ZIAD EL BAROUDI
Université Libre de Bruxelles - Master en Histoire 2015
  

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b.3.6 Du colloque des CLCRM organisé à Paris, à l'affaire Albert Raes : 1985-1989

Le succès de la mission médicale Brutsaert-Moulaert a permis la tenue d'une coordination entre le 6 et le 7 octobre 1984 à Amsterdam305. Cette coordination faisait le point sur les informations relatives à la situation au Maroc et à la situation interne des comités. Ainsi, le Comité parisien a réitéré sa volonté de centraliser les informations des comités locaux en vue de les diffuser dans la presse. Cependant, les CLCRM signalaient la difficulté grandissante quant à la collecte des informations au Maroc et à leur vérification. Dans un souci d'efficacité, les CLCRM devaient envoyer une fiche supplémentaire de renseignements à Paris. Cette fiche devait indiquer si une initiative locale était prise par un CLCRM. Cette initiative relevait souvent d'un projet de réunion, de meeting ou du lancement d'une pétition. Le succès

303 Voir les annexes.

304 Voir les annexes.

305 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°405, les CLCRM - Communiqués de presse : Bilan de la coordination des CLCRM tenue à Amsterdam daté du 8 octobre 1984.

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des activités des CLCRM de la France, de Belgique et des Pays-Bas a été aussi à l'origine de la création d'un nouveau mouvement citoyen pour la défense des Droits de l'Homme. Il s'agit de l'Association de Défense des Droits de l'Homme au Maroc (ASHDOM)306. L'ASHDOM a été créée en France durant l'année 1984 par des militants marocains en exil. Comme l'APADM, elle publiait des rapports sur les atteintes aux droits de l'Homme au Maroc et donnait ponctuellement toute information qui lui parvenait sur les différentes formes de répression dont le régime marocain était responsable. De son côté, le CCRM de Bruxelles publiait dans « Maroc Répression » de janvier 1985 l'ensemble des licenciements intervenus en 1984 en énonçant les conditions déplorables subies par les ouvriers agricoles de la région de Beni Mellal307. Ces derniers percevaient 300 dirhams (à peu près 30 euros) par mois, travaillaient jusqu'à 10 heures par jour, pouvaient être expulsés s'ils revendiquaient leurs droits et étaient dirigés par un contremaître usant parfois de la violence physique. Des grèves sont entamées par les détenus de la prison civile de Tanger entre le 28 décembre 1984 et le 5 janvier 1985 pour protester contre leurs mauvaises conditions de détention. Entre le 11 et le 18 janvier, 25 prisonniers politiques de la prison de Laâlou à Rabat ont protesté contre les mesures inhumaines subies dans les hôpitaux. Ces derniers ont été menacés d'être privés de soins.

Parallèlement à ces faits, le bulletin annonçait des rafles et enlèvements à l'encontre des étudiants. Parmi ceux-ci, il y avait : Mustapha Trachli, instituteur stagiaire, Anouar Jouhari, étudiant à la Faculté des Lettres de Rabat, et Haydour Mellali qui était aussi étudiant à la même faculté universitaire. Ces trois personnes furent arrêtées le 14 janvier 1984. Le militant Sebbar est condamné, à la suite des événements de janvier 1984, à 10 mois de prison. Sa peine purgée, il a subi de nouveaux interrogatoires et a été présenté au Tribunal de Tétouan le 12 décembre 1984. Sebbar a été condamné à 30 ans d'emprisonnement par contumace alors qu'il était détenu. Par ailleurs, le CCRM dénonçait l'enlèvement de Mohamed Rafik depuis juin 1981. Ce dernier était étudiant à Montpellier et responsable de la section locale de l'UNEM. Sa soudaine libération révélait ses tortures subies. Toutes ses dents sont cassées et il souffre de troubles de mémoire dus à une blessure profonde à la tête. D'autres libérations soudaines sont signalées, ainsi Lahbib Ballouk et Fouad Abdelmoumni sont soudainement réapparus. Le premier, disparu depuis 1973 et le second en 1976. Les CLCRM de France et de Bruxelles, avec la collaboration de l'APADM, ont publié une lettre ouverte écrite par la mère d'un étudiant marocain porté disparu depuis le 2 février 1983 : « Monsieur le Ministre (marocain de la Justice) J'ai l'honneur de vous rappeler que mon fils NHILI Abderrazak, enlevé depuis le 2 février 1983, alors qu'il n'était âgé que de 17 ans, est toujours disparu. Ainsi il totalise 3 années de disparition. Je vous rappelle que nous étions en contact avec lui pendant les premiers mois de sa détention, alors qu'il était gardé à vue au commissariat de police de Maarif à Casablanca, et nous avons appris qu'il avait été conduit plus tard dans un autre centre de détention secrète. Depuis lors, on est coupé

306 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°383, ASHDOM-CLCRM - Coordination : Rapport des activités des CLCRM daté d'octobre et novembre 1984.

307 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM section Bruxelles, novembre-décembre, 1985, pp. 2-6.

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de toute nouvelle le concernant, à part les rumeurs qui laissent entendre qu'il est séquestré au centre de détention secrète de Derb Moulay Cherif dans un état inhumain308. »

Le 22 janvier 1986, la question de l'enseignement du culte islamique est de nouveau l'objet d'une interpellation parlementaire en Belgique. Jean-François Vaes (ECOLO) pose la question suivante à André Damseaux (MR) alors ministre de l'Education Nationale sous le sixième Gouvernement Martens (du 28 novembre 1985 au 19 octobre 1987) : « (...) Le journal La Cité nous apprend dans son édition du 15 novembre 1985 que « le bureau exécutif du Centre islamique et culturel de Belgique (est) composé des ambassadeurs d'Arabie Saoudite, du Niger, du Maroc et de l'Iran » et que « dans les nominations (de professeurs de religion musulmane), dans l'organisation de l'enseignement et dans les programmes, l'intégrisme transparait très largement. (...) Cette situation prête à l'inquiétude, car des cours de religion islamique ainsi conçus ne favorisent aucunement l'intégration en Belgique des jeunes étrangers qui souvent sont nés chez nous (...). De plus, ces cours mettent à mal tout le travail d'intégration et de respect mutuel proposé par des associations socioculturelles (et ceci dans le respect mutuel des cultures, celle d'accueil et celle d'origine) qui travaillent dans les milieux immigrés. (...) Enfin, l'honorable ministre peut-il me faire savoir si la mise sur pied d'une cellule visant à la sélection des professeurs de religion islamique au sein de son administration n'apporterait pas une première solution à ce problème important, et pour la nomination des professeurs et pour l'organisation et les programmes de cet enseignement ?309(...) ». André Damseaux, contrairement à son prédécesseur André Bertouille, reconnait un flou juridique en la matière et propose une gestion du culte islamique à travers une instance interlocutrice : « (...) L'arrêté royal du 3 mai 1978 « portant organisation des comités chargés de la gestion du temporel des communautés islamiques reconnues » n'a pas été suivi des mesures d'exécution prévues en son article 18. Un interlocuteur étant indispensable pour les désignations des professeurs de religion, le directeur du Centre islamique et culturel de Belgique310(...). »

A partir de 1984, les comités d'Europe ont changé de stratégie en termes d'interpellation de l'opinion publique sur la répression au Maroc. En plus d'informer par la presse, les manifestations publiques et la constitution des dossiers, les CLCRM ont convenu, lors de la coordination du 8 au 10 mars 1985 à Paris311, qu'il fallait désormais régulièrement interpeller les Institutions Européennes quant à la situation politique au Maroc. Le choix était porté sur Strasbourg. A cet effet, les CLCRM, l'APADM et l'ASDHOM ont organisé une conférence dans le Parlement Européen le 12 novembre 1986312. Cette conférence d'information intitulée « Le Maroc Etat de Non Droit » a été l'objet d'une préparation

308 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°377, APADM - Appel : Communiqué des parents des détenus du groupe « 83 » publié par l'APADM et les CLCRM daté d'août 1983.

309 Annales Parlementaires de Belgique, Sénat séance du 22 janvier 1986, Bulletin des questions et réponses n°30 du 6 mai 1986, Question posée par Jean-François Vaes à André Damseaux sur la nomination des professeurs de cours de religion islamique, pp. 977-978.

310 Idem

311 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°405, les CLCRM - Communiqués de presse : Rapport de la coordination des CLCRM du 8 au 10 mars 1985.

312 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°382, ASHDOM-APADM-CLCRM - Notes sur la répression : Note sur la présentation de conférence tenue à Strasbourg le 12 novembre 1986.

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conséquente qui a nécessité trois rencontres avec les parlementaires européens des groupes communistes et Arc-en-Ciel entre mars et juillet 1986. C'est l'Organisation néerlandaise pour la Coopération Internationale de Développement (NOVIB) qui a apporté son concours. Parmi les associations marocaines, il y avait l'ATMF, le KMAN et l'UNEM. Enfin, étaient présents les CLCRM de Paris, de Strasbourg, d e Brest, de Grenoble, de Nancy et d'Amsterdam. Le bureau bruxellois ne pouvant assister à cette rencontre, ce furent les CCRM de Charleroi et de Liège qui représentèrent la Belgique. La conférence s'est déroulée en trois temps313:

- L'audition des témoins de la répression au Maroc : qui réunissait des victimes de la répression, des proches des disparus et des observateurs judiciaires et médicaux. A cet effet, un message du professeur Minkowski* a été lu aux parlementaires. Le contenu de cette dépêche dénonçait les conditions déplorables des grévistes de la faim arrêtés depuis 1984, reprenant une grève en août 1985.

- L'exposition de diverses analyses : qui regroupaient les arguments émis par l'Amiral Antoine Sanguinetti*, membre du Comité central de la Ligue Française des Droits de l'Homme, une analyse minutieuse des textes législatifs de la Constitution marocaine par un ancien président de l'ASDHOM : Maître Driss Anwar et la présentation d'Alain Moreau, membre du CCRM de Liège, quant aux atteintes aux Droits de l'Homme au Maroc et aux pressions des Amicales exercées à l'encontre des travailleurs marocains émigrés en Europe. Le dossier constitué par le CCRM de Liège faisait état de 300 à 400 disparus au Maroc314.

- Le bilan de la conférence : où plusieurs décisions ont été prises parmi lesquelles : une diffusion des notes de synthèse à tous les parlementaires, une publication des « actes » de la conférence et la constitution d'un intergroupe sur le problème des Droits de l'Homme au Maroc.

Mises au courant de cette activité, les Amicales intentèrent plusieurs agressions physiques contre des militants marocains du KMAN. Ainsi, un communiqué de l'ASHDOM daté du 14 mars 1987 dénonçait les attaques à coups de barres de fer et de couteaux commis par les Amicales envers le président et envers un membre du KMAN sept jours plus tôt315.

La réussite de cette conférence a obligé Hassan II à annuler sa visite officielle prévue le mois suivant. Le succès de cette rencontre a permis aux CLCRM d'organiser une nouvelle réunion dans la ville même le 9 avril 1987316. Durant ce second colloque, les CLCRM ont décidé de faire connaître publiquement l'existence du bagne secret de Tazmamart. Les CLCRM avaient déjà pris connaissance de l'existence de ce bagne sept ans plus tôt comme en témoignait cette lettre d'un détenu anonyme parvenue

313 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°410, ASCLCRM - Rapport de la conférence de Strasbourg : Compte rendu de la conférence tenue à Strasbourg le 12 novembre 1986.

314 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°382, ASHDOM-APADM-CLCRM - Notes sur la répression : Rapport sur les disparus présenté par le CCRM de Liège lors de la conférence de Strasbourg daté du 12 novembre 1986.

315 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°381, ASHDOM-APADM-CLCRM - Communiqué de presse : Communiqué de l'ASHDOM relatif aux activités des Amicales daté du 14 mars 1987.

316 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°384, ASHDOM-APADM-CLCRM - A propos de la journée des disparus au Maroc. Notes et correspondance 1987 : Rapport sur la « journée des disparus au Maroc » tenue à Strasbourg le 9 avril 1987.

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au CLCRM de Paris le 12 juillet 1980 : « Je ne trouve pas de mots, ni d'expression pour décrire la situation de quelques misérables souffrant parmi les humains. Car depuis la venue d'Adam sur terre, on a vu de rares exemples. Une mort horrible que nous ingurgitons goutte à goutte. Depuis notre entrée dans un trou noir, nous ne sommes pas sortis un seul jour au soleil...La faim, l'obscurité, la saleté,...la solitude...les maladies...le manque de soins ; la routine, le manque d'air, le désespoir ? Résultat, presque le quart de nos camarades sont morts dans les pires conditions. Le prisonnier gémit en solitaire, puis s'éteint petit à petit, sans trouver quelqu'un pour lui porter un verre d'eau, dans un amas de détritus (...)317. »

Aucune forme de vie ne devait sortir de ce sinistre lieu. Les détenus du bagne étaient, comme le dira plus tard Gilles Perrault* dans « Notre Ami le Roi » : « des « Anihommes » un peu plus que des rats, un peu moins que des hommes318». Rien n'était mis à disposition pour les prisonniers. La « vie en caverne » prenait tout son sens à Tazmamart. A cet égard, un second témoignage nous donne un éclairage sur les conditions de détention du bagne à travers ces quelques lignes d'une lettre écrite le 5 août 1980 : « (...) Ce sont des cellules de 4m2 sans air et sans lumière : elles sont nauséabondes : les toilettes mal conçues et sans chasse d'eau se trouvent dans un coin. Il n'y a pas de fenêtre. Un trou dans le plafond laisse filtrer une lumière blafarde : pauvre reflet ! Il y a un double plafond en tôles ondulées, qui nous permet de distinguer dans la morne continuité la nuit et le jour. Véritables fournaises en été, elles se transforment en chambres froides l'hiver (8mois). L'ameublement se réduit à un broc, une assiette et un pot déformés en plastic. Deux couvertures rongées par les mites, étalées sur un « sommier » de pierres constituent la literie du prisonnier que partagent les punaises et les cafards, maîtres incontestés des lieux. Les scorpions prolifèrent. Les serpents viennent quelquefois chasser les rats dans le couloir au grand amusement des geôliers (...). La nourriture se compte invariablement d'un verre de café noir, fade et froid et d'un demi-pain souvent rassis, sinon pourri (ration journalière) pour le petit déjeuner. En guise de déjeuner ils distribuent au petit bonheur la chance et en vitesse (l'odeur les irrite) de l'eau de vaisselle qu'ils appellent potage dans laquelle nagent quelques légumineuses. Même cérémonie le soir, un bol de pâtes alimentaires mélangées au reste de repas de midi. (...) L'eau est insuffisante et rationnée : un broc de 5 litres par jour. (...) Toute conversation est presque impossible : la disposition des cachots l'interdit et le brouhaha des autres voix transforme le bâtiment en véritable foire. Le seul refuge qui lui reste est la prière et la prostration. Le Coran fut d'un grand soutien tout au long de notre séjour. Le prisonnier est habillé en haillons, les pieds nus ; ses cheveux et sa barbe qui n'ont pas vu le coiffeur depuis plusieurs années lui donnent l'aspect non rassurant d'un clochard authentique. Les pluies de l'automne transforment la plupart des cellules en mare, puis en marécages. (...) Un camarade qui avait une excellente santé nous informe qu'il saignait abondamment du nez ; plus tard, il nous fit savoir que ses jambes commencent à ne plus le supporter. Livré à lui-même, il ne pouvait plus venir prendre sa nourriture à la porte et faisait ses besoins

317 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°310, Les détenus de la prison de Tazmamart : Lettre d'un détenu de Tazmamart datée du 12 juillet 1980.

318 G. PERRAULT, op. cit., p. 277.

103

dans ses haillons. (...) La paralysie partielle commença et devint totale : plus tard, le délire du camarade nous fit partager avec lui des nuits cauchemardesques. (...) Un transfert inopiné de quelques camarades à l'autre bâtiment nous apprit qu'à cette date ils avaient déjà 6 morts319(...). »

En 1987, une nouvelle affaire a été étudiée par les CLCRM : la famille Oufkir. La famille du général Mohamed Oufkir* a dû payer la félonie de ce dernier lors du deuxième coup d'Etat intenté contre Hassan II*. Depuis fin décembre 1972 jusqu'en 1987, la femme et les enfants de l'ancien général ont été successivement internés dans plusieurs résidences isolées situées dans le sud-est marocain320. En avril 1987, la famille Oufkir a pu prendre contact avec les avocats Georges Kiejman* et Bernard Dartevelle. Ces deux avocats vont, à partir du 15 janvier 1988, plaider le cas de la famille Oufkir auprès de l'opinion internationale321.

Les collectes organisées par le CCRM de Bruxelles au profit des détenus politiques permettent des résultats concrets tels l'exemple de cette lettre écrite par le détenu de la prison civile de Tanger, Saïd Karaoui, au CCRM de Bruxelles, datée du 24 août 1987: « Cher ami : j'ai appris aujourd'hui que vous m'avez envoyé une somme d'argent, il y a à peu près deux mois. J'étais pendant ce moment à la prison civile de Tétouan où je passe régulièrement mes examens. Je me suis inscris à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines à Tétouan. Après mon retour, l'administration ne m'a pas informé. C'est seulement aujourd'hui, et par hasard, que j'ai fait connaissance de votre nom. Je suis allé à la cantine avec un de mes camarades qui voulait demander certaines choses...Lorsque le cantinier ouvrit le registre pour inscrire les demandes, je découvris que j'avais moi aussi un compte que j'ignorais. J'ai demandé alors le nom de l'envoyeur et ainsi j'ai obtenu votre adresse. Cher ami : j'apprécie votre geste de solidarité et de sympathie envers ma personne, je vous dois reconnaissance et respect, je vous salue de tout mon coeur322. » « Maroc Répression » d'octobre 1988 a dressé un récapitulatif des principales grèves au Maroc. Pour éviter les scénarii de 1981 et 1984, le régime marocain cherchait le plus possible à atomiser les mouvements de grèves.

319 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°310, Les détenus de la prison de Tazmamart : Lettre d'un détenu datée du 5 août 1980.

320 M. OUFKIR et M. FITOUSSI, La Prisonnière, Paris, Grasset, 1999, pp. 121-227.

321 A. KIEJMAN et B. DARTEVELLE, Le Livre blanc sur les Droits de l'Homme au Maroc, Paris, Publication de la Ligue des Droits de l'Homme, 1989.

322 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°307, Les détenus de la prison de Tanger : Lettre de Saïd Karaoui adressée au CCRM de Bruxelles datée du 24 août 1987.

104

Quelques revendications ouvrières menées entre le 1er mai 1987 et le 1er mai 1988323

Usine ou

entrepris

Ville

Nature de la lutte menée

Dates ou périodes

Causes et

revendications

e SOGIER

Casablanca

72h de grève renouvelables

12, 13 et 14 mai 1987

Réintégration des

travailleurs licenciés.

Versement des salaires.

PUITS DE TOUIT

Casablanca

Grève illimitée

A partir du 10 mai 1987

Mettre un terme aux

agissements et aux
sanctions arbitraires de la direction.

Titularisation des
ouvriers qui exercent depuis 6 ou 7 ans. Augmentation de la

prime de l'Aïd Al

Adha. Octroi de
chaussures de sécurité 4 fois par an.

ICOM

Salé

Grève illimitée

A partir de mai 1987

Réduction de l'horaire de travail.

AJOUR ATLAS (fabrique de briques)

Azrou (Atlas)

Grève illimitée

A partir du 19 juin 1987

Protestation contre les

pratiques répressives
de la Direction

MOULINS NAJAH

Rachidia

Manifestation des ouvriers

28 juin 1987

Versement des salaires des 3 derniers mois.

SOFAQUIS

-

Grève illimitée

A partir du 3 juillet 1987

Respect des libertés syndicales.

Réintégration des

salariés licenciés.

Installation d'une

infirmerie. Versement des congés payés.

TEMSA

Tétouan

Grève en guise d'avertissement

25 août 1987

renouvelable du 3 au 10 septembre 1987

Pour la sauvegarde des

acquis suivants :

ancienneté, prime de

panier, heures

supplémentaires,

protection sociale,
indemnisation des fêtes

nationales et
religieuses.

Lors des deux conférences de l'ASCLCRM organisées à Strasbourg, une réunion de coordination est décidée à Genève le 15 et 16 octobre 1988324. Les CLCRM de Paris, Grenoble, Strasbourg, Limoges,

Amsterdam et de Belgique ont saisi la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU sur la question des grévistes de la faim au Maroc. Durant cette coordination, le CLCRM de Paris proposait aux autres comités présents de réunir tous les CLCRM d'Europe en vue de les organiser en une ONG. Par conséquent, devenir une ONG permettrait aux CLCRM de faire partie de plusieurs réseaux humanitaires. Cette idée était

323 Maroc Répression, Bulletin mensuel du CLCRM de Paris, N°31, septembre-octobre 1988, pp. 3-4. Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM de Bruxelles, avril-mai, 1989, pp. 5-7.

324 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°382, ASHDOM-APADM-CLCRM - Notes sur la répression au Maroc : Rapport de la coordination de Genève daté du 15 et 16 octobre 1988

105

soutenue par SOS - Torture, qui, fort d'un soutien de plusieurs milliers d'ONG, a proposé aux CLCRM d'établir une collaboration commune pour le cas du Maroc. La proposition est restée lettre morte car transformer les CLCRM en une ONG aurait demandé du temps et de l'argent.

Parallèlement à la coordination de Genève, le Parlement Européen de Strasbourg a voté une résolution sur le non-respect des Droits de l'Homme au Maroc, laquelle exprima325 :

- Une inquiétude de la permanence du non-respect des droits des prisonniers politiques dans

les prisons marocaines et des atteintes à leur intégrité physique ;

- Une demande au gouvernement marocain et au roi Hassan II de renoncer à appliquer la
peine de mort et de prononcer l'abolition de la peine capitale ;

- L'obligation pour le gouvernement marocain d'accéder aux demandes, justifiées sur le
plan des droits de l'Homme, visant à améliorer les conditions de détention en reconnaissant aux prisonniers le droit de recevoir la visite de leur famille, le droit de se consacrer à l'étude et à la lecture des journaux ;

- La demande au Président du Parlement européen et à la Commission de faire connaître
aux autorités marocaines ses préoccupations et son souci de voir le Maroc mettre en pratique ses engagements en matière des droits de l'Homme ;

- La demande aux Ministres des Affaires étrangères réunis dans le cadre de la coopération
politique d'effectuer une démarche humanitaire d'urgence en faveur des grévistes de la faim de Marrakech ;

- La mission confiée à son Président de transmettre la résolution au Conseil, à la Commission et au
Gouvernement marocain.

Entre le 13 le 18 janvier 1989, le CCRM de Bruxelles participait à l'organisation de sa dernière mission juridique. Cette mission a été conduite par Me Monique Weyl, avocate au barreau de Paris et impliquée dans la situation des mineurs grévistes au Maroc326. Cette mission juridique s'est déroulée dans la mine charbonnière de Jerada. Jerada est une ville située au Maroc oriental et est l'une des villes minières les plus importantes du pays. Les conditions de travail n'en sont pas moins déplorables : absence de sécurité, dépoussiérage et climatisation inexistantes. En outre, les mineurs doivent payer leur équipement sans bénéficier de logements salubres : absence de douches au puits et promiscuité favorisant la tuberculose et la pneumonie. Les licenciements et arrestations abusifs dans les rangs des mineurs ont poussé ces derniers à émettre plusieurs revendications parmi lesquelles327:

- Une amélioration des salaires, du matériel et de la sécurité ;

- Une indemnisation des maladies professionnelles et des accidents de travail ;

325 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°357, Parlement Européen - Documents de séances 1987-1989 : Résolution adoptée par le Parlement Européen de Strasbourg relative aux violations des Droits de l'Homme au Maroc d'octobre 1988.

326 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°362, Mission du Centre International des Droits Syndicaux - Mission juridique Monique Weyl du 13 au 18 janvier 1989 au Maroc.

327 M. WEYL, Rapport sur la situation des mineurs gréviste de Jerrada, Oujda, 18 janvier 1989, pp. 18-24.

106

- Le respect de leur dignité et le droit aux logements décents ;

Bien que le régime se montre sourd à ces réclamations, les mineurs ont déclenché une première grève d'avertissement de trois jours. Trois délégués à la sécurité ont été frappés d'une mesure de suspension de trois mois parce qu'ils avaient participé à la grève. Cette mesure de suspension a été à l'origine d'une deuxième grève d'avertissement fixée du 7 au 12 décembre 1988. Cependant, la reprise du travail le 26 décembre a amené une escalade de violence à l'encontre des mineurs où dix d'entre eux ont été poursuivis pour agression envers la maîtrise et quatre autres mineurs poursuivis pour distributions de tracts.

En novembre 1988, le CCRM de Bruxelles publiait un communiqué sur la condamnation à mort de certains détenus islamistes arrêtés depuis le procès « des islamiques » en juillet 1984328. Ce communiqué signalait les incarcérations d'Ahmed Chaib, 24 ans, lycéen, et d'Ahmed Chahid, 37 ans, employé municipal, dans la prison de Laâlou. Les deux condamnés furent pendant plusieurs mois isolés dans des cachots, ligotés à un anneau fixé au mur, et quotidiennement battus et flagellés. Quelques mois plus tard, le régime essoufflait l'UNEM par une série d'arrestation dont celle d'Abdelhak Chbada. Abdelhak Chbada était étudiant et militant de l'UNEM329. Arrêté une première fois en 1983, il fut de nouveau recherché en 1984 et incarcéré une deuxième fois en octobre 1988 à Casablanca pour « avoir incité à troubler l'ordre public ». Durant son incarcération, il a entamé une grève de la faim. Il succomba le 19 août 1989, au bout de son soixante-quatrième jour de grève dans la prison de Laâlou à Rabat.

Le journal officiel marocain Le Matin du Sahara annonçait dans son édition du 4 mars 1989 la décoration de l'administrateur général de la Sûreté de l'Etat belge d'alors, Albert Raes, des mains d'Hassan II*330. Cette décoration faisait suite à la Fête du Trône, anniversaire de l'intronisation du monarque, et était le grand Solidarité du Ouissam Alaouite. Cette décoration représente la distinction la plus élevée dans la hiérarchie militaire marocaine et est octroyée pour service rendu au roi du Maroc. Sitôt informé, le CCRM de Bruxelles a contacté Serge Moureaux*, Willy Burgeon*, Léo Tindemans* et José Daras* pour clarifier les motifs de cette décoration331.

José Daras* (ECOLO) s'est saisi de cette affaire et a posé une question orale à Melchior (père) Wathelet (PSC), vice-Premier ministre et ministre de la Justice et des Classes moyennes, le 21 avril 1989 :« A la lecture du journal marocain Le Matin du Sahara du 4 mars 1989, je découvre que l'administrateur général de la Sûreté de l'Etat a été décoré du grand Solidarité du Ouissam Alaouite. Il s'agit d'une décoration extrêmement importante et généralement octroyée pour services rendus. Le ministre peut-il me

328 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°388, CCRM - Communiqué de presse : Communiqué du CCRM de Bruxelles faisant le bilan des détenus politiques au Maroc daté de novembre 1988.

329 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°411, ASCLCRM - Notes diverses : Compte rendu consacré au détenu Abdelhak Chbada daté de septembre 1989.

330 Le Matin du Sahara du 4 mars 1989.

331 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse n°421, Quelques dossiers particuliers - Affaire Raes-Administrateur Général de la Sûreté belge-Dossier constitué par le CCRM de Bruxelles : Lettres de Pierre Le Grève envoyées à Serge Moureaux, Willy Burgeon, Léo Tindemans et José Daras relatives à la décoration d'Albert Raes datées du 16 au 31 mars 1989.

107

dire pour quels services rendus par notre Sûreté ce haut fonctionnaire a été décoré ?332». Ce à quoi le ministre répond : « Il est exact, comme l'a découvert l'honorable membre dans le journal Le Matin du Sahara du 4 mars 1989, que l'administrateur-directeur général de la Sûreté publique a été honoré d'une distinction marocaine. Celle-ci lui a été remise, en présence notamment de Son Excellence l'Ambassadeur de Belgique, par Sa Majesté le Roi Hassan II sans que les raisons qui avaient motivé sa décision ne soient exprimées. Il n'a pas été question de services rendus333. » Dans ses mémoires, Hassan II* a avoué qu'il traitait directement avec les patrons des services de renseignements des états étrangers et qu'il les recevait chaque année lors de la Fête du Trône334.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon