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Groupes armés et conditions socio-économiques de la population de Shabunda au Sud-Kivu


par Jacques LUTALA KATAMBWE
Université de Lubumbashi  - Diplôme d'Etudes Approfondies en Sciences politiques et Administratives. Option : Science Administrative 2020
  

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Chapitre III. LES IMPLICATIONS DES GROUPES ARMES SUR LES CONDITIONS SOCIOECONOMIQUES DE LA POPULATION DE SHABUNDA

Pour comprendre la lecture des conditions socio-économiques de la population de Shabunda, faisons d'abord une analyse sur les guerres à l'Est de la RD Congo et la transformation de la mobilisation armée. La première guerre du Congo éclata en 1996 suite à l'insurrection, appuyée par le Rwanda, de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL). Elle déclencha une mobilisation armée dans tout l'Est du pays. Tandis que certains groupes se mobilisèrent contre l'invasion rwandaise et ougandaise, d'autres se mirent à soutenir la rébellion de l'AFDL. Bien que la milice Maï Maï aie provoqué une forte insécurité dans les zones rurales et alimenté des tensions constantes au sein des communautés, elles restèrent morcelées, de faible envergure et repliées sur elles-mêmes, incapables d'influencer la situation au-delà de leurs fiefs locaux. Ce fut lors de la deuxième guerre du Congo - qui éclata lorsque les relations se détériorèrent entre le Président Laurent-Désiré Kabila et ses partisans rwandais-que ces milices se mirent à prospérer, avec le soutien de Kinshasa et de groupes armés étrangers.

Petit à petit, les guerres du Congo modifièrent la nature des groupes armés, les milices rurales ancrées au niveau local se retrouvant mêlées à des réseaux dirigés par des élites des secteurs politiques et des affaires. Ces réseaux de milices favorisèrent et, en même temps, furent encouragés par le développement d'une économie de guerre stimulée par la taxation illégale, la contrebande et le racket. Si cette économie permit à certains de s'enrichir rapidement, des millions de civils en dépendirent pour leur survie et n'eurent souvent pas d'autre choix que de collaborer avec les groupes armés(86(*)). La montée en puissance des dirigeants militaires, qui s'impliquèrent étroitement dans l'administration locale, affaiblit encore davantage les structures de l'autorité et la cohésion sociale. Alors que, dans les années 1990, les milices s'appuyaient sur le soutien des chefs coutumiers et des communautés locales, ces liens s'affaiblirent lorsque les leaders militaires devinrent autonomes dans leur manière de dégager des revenus et furent aidés par leurs relations à Kinshasa, avec des groupes armés étrangers et des réseaux commerciaux régionaux. En même temps, le vaste recrutement de jeunes fit apparaître une génération militarisée de plus en plus détachée des chefs coutumiers, des anciens des villages et des parents. Étant désormais moins dépendants, et moins redevables, à l'égard des autorités locales, le comportement des groupes armés envers les civils se détériora, et les exactions physiques, le travail forcé et la taxation illégale devinrent légion.

Pour sa part, le groupe Maï-Maï rencontrera différents défis lors de la transition politique de pouvoir de 2003 - 2006 en RD Congo, qui inciterait beaucoup à reprendre les armes. Le gouvernement et les forces armées étaient en grande partie dirigés par le biais de réseaux clientélistes : pour obtenir une promotion ou accéder à des sources informelles de revenus, il était primordial d'avoir des connaissances parmi les leaders militaires ou politiques influents. Or, les différents commandants Maï-Maï qui se braquèrent contre l'intégration ne jouissaient souvent pas de telles relations d'élite. Un grand nombre d'entre eux n'avait reçu qu'une formation militaire rudimentaire ; certains n'avaient pas bénéficié d'une instruction de base ; ce qui réduisait leurs chances de promotion.

Par ailleurs, certains hésitaient à quitter leur secteur vu les problèmes de sécurité causés par d'anciens adversaires qui refusaient de démanteler leurs groupes armés(87(*)). Les rares commandants Maï-Maï qui obtinrent des postes importants, comme le général Padiri Bulenda, se servirent de leur nomination pour récompenser des membres de leur propre famille ou communauté ethnique, écartant ainsi un grand nombre de leurs anciens collègues commandants. Parmi les délégués Maï-Maï qui participèrent aux pourparlers de paix en Afrique du Sud, les deux qui représentèrent les groupes les plus importants, Anselme Enerunga, du mouvement de Padiri, et Kosco Swedy, du groupe de Dunia, finirent par être excommuniés par leurs commandants sur le terrain. La marginalisation des réseaux Maï-Maï coïncida avec l'accélération de leur fragmentation, qui les rendit vulnérables à toute tentative de manipulation de la part du gouvernement de Kinshasa, lequel chercha à contrôler ces groupes en cooptant certains de leurs leaders. En tout, les groupes armés de tout l'Est du Congo reçurent 13 des 620 sièges au parlement de transition, quatre des 63 postes ministériels, et un des 11 postes de gouvernements provinciaux. Mais cette manière de distribuer les postes à compte-gouttes fit de nombreux mécontents. Un officier Maï-Maï a ainsi expliqué : « Nos délégués sont arrivés à Kinshasa puis se sont mis à vendre les postes auxquels nous pouvions prétendre. Des gens qui n'avaient rien à voir avec les Maï-Maï ont ainsi pu acheter un des postes militaires ou politiques qui nous revenaient. C'est notre propre faiblesse interne qui a permis de tels agissements. »(88(*)). Du fait de ces différents développements, des dizaines de commandants Maï-Maï dissidents regagnèrent le maquis entre 2007 et 2009. L'insécurité permanente, due en partie aux groupes armés étrangers comme les FDLR, et la perpétuation des conflits locaux firent qu'ils n'eurent aucun problème à attirer des recrues et à mobiliser un soutien. En l'absence d'une armée solide et impartiale, le sentiment selon lequel l'autodéfense communale était justifiée et nécessaire fut encore renforcé.

La compréhension des conditions d'émergence des conflits, dans leurs contextes spécifiques peut devenir un précieux outil pour l'élaboration d'initiatives préventives ou des réponses ajustées lorsqu'une situation est en passe de se dégrader(89(*)).

L'analyse des implications des groupes armés sur les conditions socioéconomiques de la population de Shabunda porte sur deux aspects. Le premier aspect analyse ces implications du point de vu négatif et l'autre du point de vu positif.

Section 1. Les implications négatives des groupes armés

Le développement de toute entité administrative, grande ou petite soit-elle, repose sur la paix. Il n'y a donc pas de progrès sans la sécurité que SPINOZA(90(*)) perçoit comme un premier besoin d'un État. C'est pourquoi les pouvoirs publics doivent être capables de créer et de maintenir un environnement stable. La longue instabilité que le Territoire de Shabunda a connue et continue de connaître explique, dans une large mesure, son sous-développement. A ce point, il importe de présenter ces implications négatives dans les lignes qui suivent et cela de la manière ci - après : groupes armés et exploitation illégale et pillages des ressources, groupes et déplacement et pillage des biens de la population, groupes armés et déstabilisation des activités économiques et flambée des prix des produits alimentaires, enfin, groupes armés et recrutement forcé des enfants et jeunes dans l'armée.

1.1. Groupes armés et exploitation illégale et pillage des ressources

Shabunda, à l'instar de l'ensemble des autres territoires du Sud - Kivu, est l'illustration exemplaire de la « malédiction des matières premières » dénoncée par maintes ONG. La guerre, l'exploitation des ressources naturelles et la corruption s'auto entretiennent.

Les activités d'exploitation et de commercialisation des ressources de Shabunda sont situées principalement dans le secteur informel qui ne respecte pas le droit congolais. Le contexte de Shabunda est hautement criminalisé et les groupes armés locaux, étrangers ainsi que les entreprises et les particuliers trouvent un intérêt à la perpétuation de la guerre. En situation de déclin économique, l'exploitation et l'exportation des ressources minières sont souvent illégales. Il y a pillage plus ou moins important.

La valeur des gisements d'or que regorge le sous-sol de l'Est de la RD Congo est estimée à 28 milliards de dollars. Mais les richesses aurifères du pays, dont la majeure partie est exploitée artisanalement, sont depuis longtemps mal utilisées. Convoités par des groupes armés et des élites corrompues, les revenus générés par le secteur aurifère artisanal de l'Est du Congo ont trop souvent financé la corruption ou alimenté les exactions et les conflits violents plutôt que de contribuer à atténuer la pauvreté qui touche la région(91(*)).

L'enquête de Global Witness sur la récente ruée vers l'or le long de la rivière Ulindi, dans le Territoire de Shabunda, révèle l'ampleur des problèmes qui rongent le secteur aurifère artisanal de la région. Le boom d'Ulindi a débouché sur la production de plus d'une tonne d'or par an, d'une valeur approximative de 38 millions de dollars, dont ont notamment bénéficié des groupes armés et une société chinoise aux pratiques prédatrices, Kun Hou Mining, en lieu et place de la population locale.

Les recherches de Global Witness révèlent que Kun Hou Mining a versé 4.000$ au groupe armé Raïa Mutomboki opérant sur les rives de la Ulindi et leur a donné deux fusils d'assaut AK-47 pour s'assurer l'accès aux riches gisements aurifères présents dans le lit de la rivière. Kun Hou Mining a opéré quatre dragues semi-industrielles le long de la Ulindi durant le boom. Les membres de ce groupe armé ont aussi gagné jusqu'à 25.000$ par mois en prélevant régulièrement des taxes auprès des travailleurs des dragues de fabrication locale qui effectuaient la dangereuse tâche d'aspirer manuellement l'or du lit de la rivière.

Les dragues opérées manuellement le long de la rivière ont atteint le nombre de 150 au plus fort de la ruée vers l'or. Les autorités du Sud-Kivu chargées de superviser le secteur aurifère artisanal de la province ont semblé défendre Kun Hou Mining plutôt que de faire appliquer la loi et de réclamer des comptes à la compagnie pour ses activités illégales.

Dans certains cas, ces mêmes autorités ont oeuvré de pair avec des hommes et femmes en armes appartenant au groupe armé Raïa Mutomboki pour taxer illégalement les creuseurs artisanaux, en violation de la loi congolaise. Les autorités du ministère des mines à Bukavu, la capitale régionale, ont falsifié des déclarations d'origine pour les petites quantités d'or artisanal de Shabunda qui ont été officiellement exportées afin de masquer leur origine, laquelle est considérée « à haut risque » au regard des normes internationales(92(*)).

D'après nos investigations, au moins 12kg d'or de la Ulindi ayant bénéficié à des groupes armés ont été exportés par un comptoir d'achat d'or du Sud-Kivu avec comme destination Dubaï. Mais la majeure partie de l'or extrait lors du boom, ainsi que les taxes prélevées sur cet or, se sont volatilisées, ayant presque certainement été sorties du pays clandestinement.

Dans les comptes provinciaux du Sud-Kivu pour 2014 et 2015, aucun signe de ruée vers l'or n'apparaît. Le boom aurifère a laissé la ville de Shabunda pratiquement dans l'état où il l'avait trouvée : celui d'une enclave défavorisée, sans routes, sans eau courante ni électricité, avec une population vivant dans une extrême pauvreté.

Une lettre datant de février 2015 et émanant du groupe maï maï Raïa Mutomboki confirme que ce dernier a réçu 4000 USD et deux fusils d'assaut AK-47 de KUN HOU MINING pour « collaboration et installation de leurs machines (dragues) ». La lettre, adressée à Franck de Kun Hou, indique également que les hommes armés ont reçu 24 Motorola et quatre cartons de biscuits.

Il sied de signaler que les groupes armés ont impacté négativement sur l'économie du pays en ce sens que le respect de normes établies sur la réglementation de l'exploitation et l'exportation des ressources minières au Sud - Kivu et à Shabunda particulièrement n'a pas été observé.

A cet effet, un programme régional a été mis en place par la RD Congo et les États voisins pour lutter contre le commerce nuisible de minerais et faciliter l'accès des opérateurs responsables au marché, mais il doit encore faire la preuve de son utilité. La législation congolaise dispose que l'or ne peut être exporté du pays que s'il est accompagné d'un certificat délivré par le Centre d'Évaluation, d'Expertise et de Certification (CEEC). Le certificat du CEEC est censé confirmer que l'or provient d'une mine qui satisfait aux exigences énoncées par le Mécanisme Régional de Certification (MRC), un système de devoir de diligence établi par une organisation intergouvernementale de 11 États de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL).

Les richesses minières de Shabunda ont la capacité de générer des recettes dont la Province du Sud - Kivu et le Territoire de Shabunda ont cruellement besoin. Un secteur aurifère artisanal géré de façon responsable pourrait bénéficier aux communautés locales pendant les décennies à venir. Mais aussi longtemps que le secteur aurifère artisanal sera manipulé par des sociétés aux pratiques prédatrices, par des groupes armés, ces richesses minérales finiront dans de mauvaises mains.

* 86VLASSENROOT, K. et RAEYMAEKERS, T. cité par STEARNS, J., VERWEIJEN, J., et BAAZ, M.,E., Armée nationale et groupes armés dans l'Est du Congo. Trancher le noeud gordien de l'insécurité, Londres, Institut de la Vallée du Rift/Projet USALAMA, 2013, p. 24

* 87VLASSENROOT, K.,et RAEYMAEKERS, T., cité par STEARNS, J., VERWEIJEN, J., et BAAZ, M.E., Op. cit, p. 27

* 88VERWEIJEN, J., op.cit, p.23

* 89 LUTUMBWE Michel, Comprendre la dynamique des conflits. Une lecture synthétique des facteurs de conflits en Afrique de l'Ouest. Note d'Analyse du GRIP, 14 Janvier 2014, Bruxelles, http//www.grip.org/fr/node/1176, consulté le 27/05/2020

* 90 NDABEREYE NZITA, P., Op. cit. p. 67

* 91 Rapport de Global witnes, LA RIVIERE D'OR. Comment l'Etat s'est retrouvé perdant lors de la ruée vers l'or dans l'Est du Congo tandis que des groupes armés, un société minière étrangère et les autorités provinciales ont empoché des millions, publié en Juillet 2016, p.8

* 92 Rapport de Global witnes, op.cit, p.15

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