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Esthétique picaresque et satire sociale dans l'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René Lesage et Onitsha de JM-G Le Clézio


par Mathias Steve EKEUH
Université de Douala - Master 2 2017
  

Disponible en mode multipage

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Université de Douala

The University of Douala

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Faculté des Lettres et Sciences Humaines Faculty of Letters and Social Sciences

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Division de la Recherche et Coopération Division of Research and Cooperation

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COLE DOCTORALE « Lettres-Civilisations-Sciences Humaines »
Doctorate school of `'Letters-Civilizations-Social Sciences»
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UNITE DE FORMATION DOCTORALE « Littératures et Civilisations »
Doctorate Unit Training of `'Literatures and Civilizations»
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LABORATOIRE DE RECHERCHE « Littérature et Civilisation françaises »

Research laboratory in `'French Literature and Civilization»

*****************

ESTHÉTIQUE PICARESQUE ET SATIRE
SOCIALE DANS L'HISTOIRE DE GIL BLAS DE
SANTILLANE
D'ALAIN-RENÉ LESAGE ET
ONITSHA DE JEAN-MARIE GUSTAVE LE
CLÉZIO

Mémoire présenté et soutenu en vue de l'obtention du diplôme de Master II en Littératures et Civilisations comparées

Spécialité : Littérature et Civilisation françaises

Par :

EKEUH Mathias Steve

Licencié ès Français et Études francophones

Sous la direction de :

Dr Alain Fleury EKORONG

Chargé de Cours

ANNÉE ACADÉMIQUE 2016-2017

 

(c) Copyright by EKEUH Mathias Steve, 2017 All Rights Reserved

DÉDICACE

À la mémoire de ma mère, Justine TCHOUAKÉ EKEUH Partie très tôt

Page III

Page IV

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier mon directeur de recherche, Alain Fleury EKORONG, pour sa patience, sa disponibilité et son support chaleureux tout au long de la rédaction de ce mémoire. La passion qui l'anime, et qui s'avère contagieuse, a grandement contribué à me donner le goût d'entreprendre ce projet, puis de le mener à bon port.

J'exprime aussi ma reconnaissance à tous les enseignants du département de Français et Etudes Francophones, qui se sont dévoué corps et âmes à nous donner, à mes camarades et à moi, le meilleur d'eux-mêmes tout au long de notre passage au département. Vous avez toujours été un bel exemple pour nous tous. Je suis ravi d'avoir développé avec certains une belle relation qui dépasse les limites de la relation professionnelle.

Je remercie également ma famille pour leurs encouragements et leur bienveillance, en particulier à mesdemoiselles Suzanne Marianne TCHAYA DRAME, Yvette KADJI EKEUH. Merci de me prêter vos oreilles toujours attentives, de me soutenir dans toutes mes aspirations et de m'aider à trouver la force de les réaliser.

J'aimerais aussi saluer la générosité et l'attention consciencieuse avec laquelle mon camarade Hervé WANDJI a, plus d'une fois, relu mon travail.

Je n'oublie pas mes camarades de promotion, qui ont su m'appuyer durant tout le processus de recherches. Je pense particulièrement à mes amis de Literas Paradiso : Danielle, Eric, Paulin, Lyna, Marie-Laurentine, Alex, Melvin. Nos différentes conversations quotidiennes liées à la rédaction d'un mémoire de Master m'ont permis de voir la lumière au bout du tunnel.

Pour terminer, j'ai une pensée pour la famille KAMSI Marie-Thérèse, monsieur Pierre TCHIENGUE, monsieur Patrice TCHOUPE EKEUH, monsieur Philippe EKEUH, madame Solange FOYOU, madame Florance SATCHA, qui ont faits preuve de beaucoup de patience et de soutien pendant mes six années d'études universitaires et qui en feront autant pour les autres à venir.

Page V

RÉSUMÉ

Ce mémoire interroge la pérennité de l'esthétique picaresque dans la littérature française actuelle, ceci à travers un corpus littéraire composé de deux oeuvres romanesques à l'instar de L'histoire de Gil Blas de Santillane (1735) et Onitsha (1991) écrites respectivement par Alain René Lesage et Jean-Marie-Gustave Le Clézio. Ceci dit, sur quels ressorts se fonde l'esthétique picaresque pour représenter la marginalité ? Peut-on parler de modalités picaresques ? Sur quels principes le picaresque se repose-t-il pour réécrire les mentalités d'une civilisation donnée ? A partir de cette problématique, nous érigeons les hypothèses selon lesquelles le picaresque est une esthétique marxiste représentant une forme de marginalité. Cette esthétique est atemporelle dans la mesure où elle se sert de la satire dans l'intention de réécrire une autre histoire des mentalités. Ainsi, à l'aide de la théorie de la transgénéricité développée par Dominique Moncond'huy et Henri Scepi et de la critique sociologique de Lucien Goldman, nous montrons que le picaresque, à travers sa modalité satirique, met en relief une vision du monde. Le picaresque se transpose en idéologie, porte le costume d'atemporalité tout en se revendiquant comme moyen d'agir du bas social à travers des péripéties rocambolesques liées à la marginalité, une violence verbale comme symbole d'un regard marxiste posé sur la société.

MOTS CLÉS

Picaresque - satire sociale - marginalité - Marxisme - imaginaire

Page VI

ABSTRACT

This dissertation examines the sustainability of picaresque aesthetic in the current French literature. This is done through a corpus composed of two novels such as L'histoire de Gil Blas de Santillane and Onitsha written respectively by Alain-René Lesage and Jean-Marie Gustave Le Clézio. However, in which basis the picaresque aesthetic focuses on to represent marginality? Can we talk about picaresque modalities? On what principles, does this genre is concentrated to rewrite the mind-sets of a given civilization? From these questions, we notice the picaresque is a Marxist aesthetic which represents a form of marginality. This aesthetic is timeless as far as possible because it uses satire in the intention to rewrite another history of mentalities. Therefore, from the both transgénéricité theory developed by Dominique Moncond'huy and Henri Scepi and structuralisme génétique, a sociological theory by Lucien Goldman, we carry out that the picaresque aesthetic, through its satirical modality, highlights a vision of the world. The Picaresque becomes an ideology, wears the uniform of timelessness and claims itself as a way of acting of the bas social through weird events bound to the marginality, verbal violence as far as a symbol of a Marxist view on the society.

KEYWORDS

Picaresque - Social Satire - Marginality - Marxism - Imaginary

LISTE DES ABRÉVIATIONS

LGBS : L'histoire de Gil Blas de Santillane

Page VII

Page VIII

SOMMAIRE

Dédicace iii

Remerciement iv

Résumé .v

Abstract vi

Liste des abréviations vii

Introduction générale 9
PREMIÈRE PARTIE : DE LA MISE EN SCÈNE DE LA MARGINALITÉ A L'ÉCRITURE

DU SOCIAL 28

Chapitre 1 : Personnages et marginalité 30

Chapitre 2 : la satire sociale : une forme marxiste du picaresque 44

DEUXIÈME PARTIE : LES MODALITÉS ESTHÉTIQUES DU PICARESQUE 61

Chapitre 1 : La structure fonctionnelle du récit picaresque .63

Chapitre 2: La mise en scène du langage picaresque : les formes satiriques 75

TROISIÈME PARTIE : LE PICARESQUE : UNE AUTRE HISTOIRE DES

MENTALITÉS 94

Chapitre 1 : Modes de résistance du bas social 96

Chapitre 2 : Picaresque et Littérature : une vision du monde .109

Conclusion générale 120

Bibliographie ..123

Page 9

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Les motivations du choix du sujet et justification

Le genre romanesque m'a toujours fasciné, son élaboration, son esthétique et surtout les péripéties que l'auteur y accorde une place indéniable. Les romans lus la plupart du temps ne se ressemblent pas. Parfois à cause de leur différence au niveau du temps, parfois à cause de la vision du monde propre à chaque écrivain digne de ce nom. Cette différence observée à la lecture de chaque roman m'ont alors permis de m'interroger sur les genres ou types de romans. J'ai constaté que je tombais toujours sur un genre particulier de roman, et ce dernier me fascinait au regard du protagoniste mis en scène, les actions que ce dernier entreprend pour se sortir des difficultés. Il s'agit bien entendu du roman picaresque. La découverte du picaresque comme genre romanesque a donc finir par attiser ma curiosité. En quoi elle consiste ? Quel historique dégage-t-il, du moins d'où provient-il ? La découverte originelle du picaresque a été ce qui m'a plus motivé à m'interroger sur l'empreinte de ce genre de roman dans la littérature française.

Originalité et intérêt du sujet

Le picaresque est un genre romanesque qui s'exprime en priorité dans les récits espagnols du siècle d'Or. Sa venue dans la taxinomie littéraire apparaît en réaction aux romans pastoraux et chevaleresques1. Il est essentiellement subversif puisqu'il se démarque aussi bien par sa forme que par un univers éthique auquel il voue une priorité indéniable. Cela explique pourquoi d'aucuns pensent que « le genre picaresque s'est posé en s'opposant » (Bodo B., 2005 :21) aux genres médiévaux. Autrement dit, le picaresque est une esthétique de révolte. Son esthétique se transpose d'un point de vue diachronique en une idéologie, en défenseur des valeurs humaines et se veut engageante. Le picaresque se conçoit comme un miroir de la société de par son goût pour l'observation morale et celui de la raillerie. La satire sociale en est une modalité essentielle de son écriture. Dans le picaresque, le héros s'initie à faire face

1 Les livres pastoraux et de chevalerie sont des récits en prose qui relatent les vaillantes aventures d'un guerrier extraordinaire, le chevalier errant, paradigme des vertus héroïques et sentimentales. Ces romans, héritiers des valeurs médiévales, amour, vaillance, foi, sacrifice, loyauté, associent le service dû à la dame aimée aux aventures. La guerre (contre les païens), l'amour, l'honneur (à travers la loyauté et le sacrifice) constituent les sujets majeurs du chevaleresque. En somme, le chevaleresque et le pastoral sont l'écriture de la noblesse : noblesse du héros, de la matière, du langage. Ces genres sont conservateurs et apologétiques dans la mesure où il offre à son lecteur qu'un monde artificiellement parfait et peuplé de figures trop exemplaires qui ne visent qu'à valider et soutenir la pensée officielle.

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aux multiples difficultés de l'existence à travers des aventures typiquement périlleuses et rocambolesques.

Pour des critiques de genre comme Maurice Molho ou encore Edmond Cros, le picaresque est une esthétique littéraire ayant vécu uniquement entre le XVIe et le XVIIe siècle en Espagne. Le véritable roman picaresque serait donc aujourd'hui considéré comme disparu. Par conséquent, il ne se constitue plus comme un genre à part entière étant donné qu'il n'obéit pas au même contexte historique de sa genèse. Cependant, notre travail démontre au contraire la permanence du picaresque dans le discours littéraire français. Ainsi, l'objet de ce mémoire est de redéfinir le picaresque afin de montrer la pérennité de son esthétique dans la littérature française actuelle. Pour que cela soit réalisable, nous fondons notre réflexion sur un corpus littéraire composé de deux romans : L'histoire de Gil Blas de Santillane et Onitsha, respectivement écrits par Alain-René Lesage et Jean-Marie-Gustave Le Clézio. Le choix de ces deux oeuvres repose sur le fait qu'ils mettent en relief le caractère atemporel du picaresque. Ceci étant, L'histoire de Gil Blas de santillane s'avère donc indispensable dans l'analyse de notre sujet dans la mesure où elle se caractérise par une empreinte culturelle espagnole. Par ailleurs, elle est considérée par les critiques comme le modèle du picaresque en France. A elle seule, elle est déjà une évolution au niveau de son esthétique et se revendique être un imaginaire de pérennité du picaresque. Quant à Onitsha, elle est choisie parce qu'elle dégage les critères de la contemporanéité liée au picaresque : l'initiation du héros à la question de la classe sociale et aux difficultés de l'existence.

Problématique et hypothèses

Notre mémoire pose un problème de genre. Ceci étant, poser le fondement de la pérennité du picaresque dans la littérature française actuelle, nous permet de formuler les problématiques suivantes. Comment se manifeste le picaresque dans les textes de notre corpus? Sur quels ressorts se fonde t- il pour représenter la marginalité ? Peut-on parler de modalités picaresques ? Si oui comment se construisent-elles ? Quels rapports s'établissent entre le picaresque et l'Histoire ? Sur quels principes ce genre se repose-t-il pour réécrire les mentalités d'une civilisation donnée ?

Une telle problématique, nous permet de proposer les hypothèses suivantes : le picaresque est un genre de nature marxiste représentant une forme essentielle de la marginalité. Les outils

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satiriques font du picaresque un genre atemporel. Le picaresque réécrit l'histoire des mentalités d'une civilisation donnée.

Cadre théorique et méthodologique

Les approches théoriques et méthodologiques que nous considérons les mieux adaptées pour mettre en exergue la problématique de notre analyse sont la transgénéricité et le structuralisme génétique de Lucien Goldman.

Pour ce qui est de la critique transgénérique, notre choix s'est porté sur elle dans la mesure où elle fonde sa méthode sur le transfert des compétences d'un genre littéraire dans un autre et d'une époque à une autre. Ceci dit, la trangénéricité s'est donnée pour tâche - par le biais de la transtextualité développée par Genette Gérard - d'insister sur le phénomène de la transversalité d'un genre dans un autre ou encore la traversée d'un genre d'un siècle à un autre. Car comme le signale Josias Semujanga (2001 : 156 )

Transgénérique ne [signifie] nullement absence de cultures nationales ni de genres littéraires, mais refus de toute vision homogénéisante de l'écriture, de tout principe privilégiant des canons reconnus d'emblée comme légitimes. En effet, la prévision qu'implique un système stable est contraire à l'écriture agissant comme transformation, comme processus instable et même comme insolence vis-à-vis des canons esthétiques. [...] les oeuvres [...] transgénériques vont se multiplier, opérer des déplacements de plus en plus inattendus et renouveler les genres classiques.

On note que les esthétiques littéraires à travers leur univers générique ne se constituent pas seulement comme appartenant à une période fixe et figée mais elles sont également atemporelles et peuvent dans certaines mesures fonder d'autres esthétiques. Dans cette perspective, en partant du postulat de la différenciation entre les genres littéraires, nous arrivons à rendre compte du phénomène de l'intertextualité et de la transtextualité.

Cela dit, la transgénéricité ou encore « genre de travers2 » est une critique qui découle de plusieurs théories développées autour du genre romanesque. En ce qui concerne son histoire, nous faisons d'abord appel à Bakhtine Mïchael qui dans son ouvrage critique Esthétique et théorie du roman3 (1978) donnait les canons essentiels permettant d'observer le phénomène de la transversalité dans le discours littéraire. Ainsi le genre romanesque ne s'exprime mieux qu'à travers une « polyphonie », un « plurilinguisme » voire une « polyculturalité » dans la

2 Concept développé par Dominique Moncond'huy et Henri Scepi dans leur ouvrage collectif né à l'issu d'un colloque intitulé Les genres de travers : littérature et transgénéricité. Ces termes sont utilisés pour mieux étayer le concept de la transgénéricité qui se repose sur une expérience de la traverse et de la transversalité d'une esthétique littéraire par une autre.

3 Traduction en 1978 par les éditions Gallimard

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mesure où on peut identifier dans un échantillon de texte plusieurs esthétiques ou schèmes textuels qui s'entrecroisent et s'entremêlent. Le genre romanesque devient donc un dialogue entre deux ou plusieurs cultures. Bakhtine parle d'ailleurs de « dialogisme » permettant d'expliquer le fait que le roman soit la « manifestation historico-littéraire du métissage culturel, [...] et serait dès l'origine le point de rencontre de plusieurs dialectes, de discours multiples encore perceptibles » (Valette, 1992 :42). Bakhtine marque ainsi le premier pas quant à identifier le roman comme une traversée des genres en théorisant son concept de « dialogisme ».

En s'inscrivant dans la même vision du texte romanesque que son contemporain Bakhtine, Julia Kristeva apporte un plus dans l'analyse du texte romanesque. Ainsi, cette essayiste théorise le concept de l' « intertextualité ». Ce terme est employé pour la première fois dans son essai sur Bakhtine « le mot, le dialogue et le roman » mais c'est dans sa Révolution du langage poétique (1974) qu'elle confère au mot « intertextualité » une définition délégitimant les axes de l'écriture romanesque. Ainsi on comprendra que « le terme d'intertextualité [est] la transposition d'un (ou de plusieurs) système(s) de signes en un autre » (59). De ce fait, l'objectif de l'intertextualité de Kristeva est de montrer comment la littérature est créée et comment elle se constitue parmi des univers pluriels et hétérogènes. Ainsi, lorsqu'on dit qu'un texte individuel est intertextuel, cela ne veut pas dire uniquement que ce texte est joint à un autre à travers des traces concrètes, au contraire, cela signifie que toute oeuvre se constitue à travers les autres. Selon Kristeva, le processus de lecture a plus d'importance que le processus d'écriture de l'auteur dans la création de liens et de rapports entre une oeuvre et d'autres qui l'ont précédée ou suivie (60). Par conséquent, dans une étude intertextuelle, ce n'est pas l'intention seule de l'auteur qui compte, ce sont également les perceptions par le lecteur des traces d'autres textes. L'intérêt de toute recherche intertextuelle est d'étudier comment la cohabitation des textes produit de nouvelles significations.

Gérard Genette (1992) opère dans le même sillage que Kristeva mais oriente sa conception de l'intertextualité au même titre que meta- extra- archi- et hypertextualité comme des sous catégories de ce qu'il nomme de « transtextualité4 ». Ainsi dans son ouvrage Palimpsestes, la littérature au second degré, il définit l'intertextualité comme « d'une manière sans doute restrictive, par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire [...], par

4 Dans Palimpsestes - La Littérature au second degré, l'auteur définit la transtextualité, ou transcendance textuelle du texte, par tout ce qui met un texte en relation, manifeste ou secrète, avec d'autres textes. La transtextualité est donc selon lui un terme général qui englobe toutes sortes de relations textuelles où « l'on voit un texte se superposer à un autre qu'il ne dissimule pas mais laisse voir par transparence ».

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la présence effective d'un texte dans un autre » (7-8). Pour lui les pratiques de la citation5, du plagiat6 et de l'allusion7 sont en effet pour lui des exemples de l'intertextualité par excellence, puisqu'elles témoignent de la présence locale d'un texte dans un autre. La conception genettienne de l'intertextualité comme faisant partie intégrante du concept de la transtextualité marque ici un pas vers la critique transgénérique. Puisqu'en fin de compte et comme le signale d'ailleurs Eric Bordas (2005 : 231) :

À l'heure actuelle, dans l'analyse littéraire, la transtextualité en est venue à signifier tout phénomène de changement, d'évolution, d'un support textuel à un autre, et elle comprend, par exemple, la réécriture en prose d'un texte en vers et l'adaptation d'un récit en pièce de théâtre.

La critique de Genette sur la transtextualité marque ainsi un point fort de toute analyse de réécriture, des reprises ou encore de survivances d'une esthétique littéraire à travers le temps et l'espace. Cette critique ouvre le champ sans aucun doute à la notion de transgénéricité.

Dominique Moncond'huy et Henri Scepi (2008) apportent d'ailleurs une nette appréhension sur l'écriture transgénérique dans leur ouvrage les genres de travers : la transgénéricité. Ils trouvent que la théorie de la transgénéricité repose en effet sur le :

Passage, croisement, interférence, intersection, télescopage, les termes abondent qui pourraient efficacement décrire ces phénomènes esthétiques, formels et rhétopoétiques qui font de l'oeuvre littéraire à la fois une traversée des genres et un espace traversé par les genres. [...] Il s'agit des relations intergénériques qui favorisent le glissement d'un genre vers un autre, selon une logique de l'attraction, de l'interpolation ou de la contamination, génératrice de phénomènes d'hybridation ou de montage hétérogène. Mais ce glissement, par quoi peut toujours se révéler une « volonté d'affranchissement sans limites » du créateur, s'ordonne aussi et d'abord en un faisceau de rapports et de discours qui, de l'intérieur du texte, commandent des attitudes interprétatives et des comportements de lecture voués à configurer les modes d'intelligibilité de l'oeuvre.(8)

A partir de ces mots, qui paraissent définitoires de la chose transgénérique, on comprend qu'elle accorde une place non seulement à toute esthétique pouvant être identifiée dans un seul genre littéraire ou encore la pérennité d'un genre à travers des siècles. Ainsi, la transgénéricité pourrait se définir comme une pratique littéraire qui utilise différents genres ou esthétiques romanesques dans un même texte, d'une période à une autre. De ce fait, on note sans doute le concept d'hybridité textuelle qui est en effet, l'esthétique qui nait de la jonction ou du moins de la rencontre entre plusieurs esthétiques littéraires. Nous parlons ici en connaissance au regard du lien entre le picaresque et le satirique. L'entremêlement des genres

5 Un emprunt très explicite et littéral avec guillemets, avec ou sans référence précise.

6 Un emprunt moins explicite et moins canonique, non déclaré mais encore littéral.

7 Un énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d'un rapport entre lui et un autre auquel elle renvoie.

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peut se faire à l'aide de n'importe quel genre et peut se faire à n'importe quel moment dans le texte (Hamelin, 2010 :6).

Tout compte fait, la critique transgénérique nous permet, au regard de la problématique que pose le présent travail, d'insister, d'une part, sur l'alliance archétypale qui lie le picaresque au satirique et, d'autre part, sur les modalités majeures qui confèrent au picaresque son immortalité à travers des siècles.

Cependant, si la transgénéricité s'appuie effectivement sur les motifs picaresques pour mettre en relief la traversée du picaresque dans les oeuvres à travers des siècles, l'appel à la critique sociologique nous permet d'asseoir ce genre dans son un contexte bien défini, dans son milieu social afin de montrer, d'un point de vue diachronique, comment le picaresque travaille les marges de la société.

Ceci étant, nous faisons donc appel au structuralisme génétique de Lucien Goldman pour analyser notre corpus. Ce choix s'est orienté vers la critique sociologique car elle considère le texte littéraire comme le reflet de la société. A partir de ce postulat, la littérature semble donc être un fait social. Autrement dit elle se conçoit comme le reflet d'une conscience collective réelle et donnée dans la mesure où elle met en relief l'oeuvre littéraire comme correspondant à la structure mentale d'un groupe social bien élaboré. Vu les concepts de notre analyse, c'est-à-dire le picaresque à travers sa satire sociale, nous pensons que la sociologie de la littérature est la mieux indiquée pour permettre de comprendre le groupe social - la basse classe - où prend corps le picaro.

Lucien Goldman (1964) théorise en sociologie de la littérature une méthode qui nous semble beaucoup plus pratique pour atteindre notre but : il s'agit du structuralisme génétique. Inspiré des travaux de Georges Lukács, de Girard sur l'esthétique du roman et de la critique marxiste, l'approche sociologique de Goldmann décèle chez ces prédécesseurs des manquements sur la correspondance exclusive de contenus8 car « la vie sociale ne saurait s'exprimer sur le plan littéraire [...] qu'à travers la chaine intermédiaire de la conscience collective ».(42-43) Il considère que le structuralisme génétique parvient plus facilement à mieux dégager les liens nécessaires en les rattachant à des unités collectives dont la structuration est beaucoup plus facile à mettre en lumière. Pour lui :

8 Goldmann trouve que la sociologie littéraire orientée vers le contenu a souvent un caractère anecdotique et s'avère surtout opératoire et efficace lorsqu'on étudie des oeuvres de niveau moyen ou des courants littéraires, mais perd progressivement tout intérêt à mesure qu'elle approche les grandes créations.

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Le structuralisme génétique part de l'hypothèse que tout comportement humain est un essai de donner une réponse significative à une situation particulière et tend par cela même à créer un équilibre entre le sujet de l'action et l'objet sur lequel elle porte, le monde ambiant. (338)

On voit ici que cette méthode fait un effort de dégager des relations nécessaires entre les phénomènes. Ceci dit, les tentatives de mettre en relation les oeuvres culturelles avec les groupes sociaux en tant que sujets acteurs s'avèrent beaucoup plus opératoires que tous les essais de considérer l'individu comme le véritable sujet de la création littéraire. Vu que le picaresque semble être une esthétique toujours vivante aussi bien chez Lesage que chez Le Clézio à travers sa modalité satirique, ceci suppose que :

Le caractère collectif de la création littéraire provient du fait que les structures de l'univers de l'oeuvre sont homologues aux structures mentales de certains groupes sociaux ou en relation intelligible avec elles. (345)

On comprends ici que le groupe social constitue un processus de structuration qui élabore dans la conscience de ses membres des tendances mentales affectives, intellectuelles et pratiques, vers une réponse cohérente aux problèmes que posent leurs relations avec la nature et leurs relations interhumaines. Comme l'affirme Goldmann (1964):

Le grand écrivain est précisément l'individu exceptionnel qui réussit à créer dans un certain domaine, celui de l'oeuvre littéraire [...], un imaginaire, cohérent ou presque rigoureusement cohérent, dont la structure correspond à celle vers laquelle tend l'ensemble du groupe. (347)

Ainsi, le structuralisme génétique voit donc dans l'oeuvre littéraire un des éléments constitutifs les plus importants de celle-ci, celui qui permet aux membres d'un groupe de prendre conscience de ce qu'ils pensent, sentent et font sans en savoir objectivement la signification. De ce fait, la critique de Goldmann s'avère opératoire, quand il s'agit d'étudier les chefs d'oeuvre de la littérature mondiale.

Présentation et résumé des oeuvres du corpus

L'histoire de Gil Blas de Santillane est écrite entre 1715- 1735. C'est l'histoire de Gil Blas, le fils d'un écuyer, élevé par son oncle et quitte le domicile tutoriel pour des études supérieures à Salamanque. Beaucoup de péripéties rendent impossible cette entreprise. Par sa stupidité, il est dupé au cours de son voyage et voit la fortune de sa vie à venir s'envoler. La contrainte le pousse à devenir tour à tour volage, gueux et servent de petit maitre pour faire aux multiples pièges des villes espagnoles. Accusé injustement, emprisonné puis libéré, il rencontre Fabrice à Valladolid qui le soutient dans la majorité de ses entreprises. Ayant accumulé de petits métiers les uns après les autres dans une course folle dans toute l'Espagne, il retourne dans sa

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contrée natale auprès de son père-tuteur agonisant. Il y épouse Antonia et rejoint enfin la cour sous la tenue de protégé du roi et favori du comte d'Olivares. Suite à d'autres événements malencontreux, il devient veuf. Au crépuscule de sa vie, il épouse Dorothée et devient père de plusieurs enfants.

En ce qui concerne Onitsha, il est publié en 1991 aux éditions Gallimard. Ce texte est écrit par Jean-Marie Gustave Le Clézio. ce texte relate des aventures périlleuses de trois personnages au coeur d'Onitsha, une contrée nigériane sous les baies de Biafra. Il s'agit de l'histoire de Fintan, Maou, Geoffroy : trois rêves, trois révoltes et une même soif. A l'âge de douze ans, Fintan Allen débarque en Afrique avec sa mère. Il arrive plus précisément à Onitsha, une ville au sud-est du Nigeria pour rejoindre Geoffroy son père qu'il ne connait pas. Ce dernier est en service à l'United Africa. Durant ces années à Onitsha, Fintan découvre une l'Afrique croupissant dans la misère et ce, sous les yeux des colons despotiques. La rencontre avec une Afrique bien différente de ses imaginations dépasse cruellement ses attentes. Ici c'est un conformisme oppressant, celui du milieu colonial fait de haines, de mesquineries et d'échecs inavouables. Fintan mène de son côté une existence volage et marginal, se révolte contre son père, contre ce nouveau monde et passe ses journées dans les plantations avec de jeunes Noirs dépravés. Il refuse d'obéir aux lois interdisant tout rapport avec les Noirs. Il finit par quitter Onitsha pour une pension en Angleterre lorsque la guerre éclate sur la baie de Biafra.

Revue de la littérature

Le picaresque est une esthétique romanesque qui revendique l'idéologie des écrivains de la basse classe communément nommée Tiers-état. Ces derniers, dans leurs récits, font une satire acerbe des moeurs tout en insistant sur l'injustice causée par l'institution des classes et sa division. Le fossé existant entre la noblesse et la classe des paysans est un problème majeur pour ces écrivains. De ce fait, ils réclament une société de justice tout en tournant en dérision l'esprit noble et apologétique des hommes de la cour. Ceci s'observe lorsqu'on interroge l'étymologie du vocable « picaresque ».

Maurice Molho (1990) citant Pierre Sanchez affirme que l'adjectif picaresque vient de l'espagnol picaresco. Celui-ci découle du substantif picaro signifiant tour à tour « un personnage de basse extraction, sans métier fixe, serviteur aux nombreux maîtres, incessant voyageur, vagabond, voleur, mendiant, lâche » (306). Ces différents qualificatifs contribuent à la construction de la figure du picaro en littérature et donnent à l'esthétique picaresque des connotations aussi bien péjoratives que revendicatrices. C'est la raison pour laquelle le

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picaresque devient une esthétique de révolte, de révolution par le biais de son esprit de satire des moeurs. Ceci dit, les premiers romans picaresques naissent en Espagne au siècle d'Or. L'Espagne devient donc le lieu d'ancrage du récit picaresque dans la mesure où elle est fortement « picarisée » (Souiller, 1980 :16). Il naît ici les textes canoniques picaresques. Ainsi, c'est en 1554 que le premier récit picaresque voit le jour. Dans un univers castillan, La Vie de Lazarillo de Tormes, écrit par un anonyme, vient s'opposer aux genres pastoraux et de chevalerie déjà connus comme les esthétiques les plus prisées de l'Espagne médiévale et destinées à une classe sociale particulière : la noblesse. On note que cet auteur axe sa recherche sur l'étude philologique du terme « picaresque ». Ceci dit, il n'interroge en aucun cas la pérennité de l'esthétique picaresque dans la littérature française.

Manuel Montoya (2006), pour sa part, signale plutôt cette rupture que prétend amorcer le picaresque espagnol lorsqu'il affirme que :

Le roman dit picaresque réagit à sa façon contre d'autres genres romanesques qui ont connu un succès immense, même après la parution du Lazarillo. Il s'agit du roman pastoral et du roman de chevalerie dont les thèmes et les structures sont d'après Mateo Aleman obsolètes et dignes d'une autre époque. (112)

Pour elle, dans le roman picaresque, la préoccupation quotidienne est de survivre et cet objectif constitue déjà une aventure à part entière. En prenant directement la parole et en retraçant les origines modestes, le héros picaresque réclame le droit d'exister et d'aspirer au mieux dans une société où, en définitive, les plus démunis sont suffisamment nombreux pour qu'une telle requête soit considérée comme pleinement légitime.

Nous notons que Manuel Montoya focalise son attention dans la comparaison du roman picaresque aux autres romans en vogue dans la littérature européenne médiévale. Il montre que le picaresque a apporté une révolution au niveau du genre romanesque. Il ne parle en aucun cas de la pérennité de ce genre à travers les siècles.

Pour Sonia Marta Mora Escalante (1994), les oeuvres picaresques sont nées en Espagne. Pour elle, ces ouvrages semblent obéir à la naissance du picaresque dans la mesure où :

En [se] référant à la tradition picaresque, [on se] limite, pour l'instant, aux romans picaresques du Siècle d'Or espagnol. [...] Les critiques sont d'accord sur le fait que Lazarillo de Tormes (1554), Guzmân d'Alfarache (1599 et 1604) et le Buscôn (1626) occupent une place capitale dans cette production textuelle ; [...] ces ouvrages constituent un élément actif du système littéraire en vigueur dans la société [espagnole]. (82)

On note que le picaresque entre donc, avec des virtualités sémantiques très puissantes, dans le processus de composition que suppose son écriture en Espagne entre le XVIe et le XVIIe

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siècle. Satirique et caricaturale, cette esthétique est, pour Sonia Marta, un violent manifeste contre les romans chevaleresques et pastoraux très prisés durant la grande période médiévale. Ces romans ayant comme centre d'intérêt l'amour, l'honneur, la foi, le merveilleux, l'imaginaire guerrier des croisades, se retrouvent ainsi reléguer au second rang. Le picaresque met fin à cet élan de superficialité et transpose la société et ses maux dans ses récits. Il est mordant et se veut dénonciateur des tares dont l'Espagne du Siècle d'or fait semblant d'ignorer, ceci en privilégiant les procédés satiriques. Nous constatons également que cette auteure ne privilégie en aucun cas l'esprit atemporel qui se manifeste dans l'écriture du picaresque à travers les âges.

Pour Gilles Del Vecchio (2011) dans son analyse du roman picaresque se focalise sur le modalité essentielle de cette esthétique. Ainsi il affirme :

Après un demi-siècle de succès, le roman de chevalerie est concurrencée par de nouveaux genres [...] Le voyage et l'aventure rattachant le roman byzantin au roman de chevalerie : l'amour et la tendance à l'idéalisation rattachent les romans pastoraux au genre chevaleresque. Le Lazarillo, considérée comme le texte fondateur du roman picaresque, s'éloigne radicalement du roman de chevalerie. La noblesse du comportement ne trouve pas sa place dans l'oeuvre, les personnages de sang royal ont disparu au même titre que les combats et sentiments amoureux. [...] Lazarillo, en affichant la bassesse de ses origines, tourne le dos à une société qui, en dépit des difficultés qui se présentent à elle, conserve un penchant immodéré et déplacé pour la généalogie. (16)

A partir ce qui précède, on comprend que, pour cet auteur, le picaresque depuis ses origines est effectivement comme susmentionné une esthétique de révolution. Une révolution aussi bien sur le plan social que sur le plan de l'esthétique littéraire. Le picaresque réclame sa liberté et fonde l'esthétique romanesque de la génération suivant le Siècle d'or espagnol de par se. La pensée de cet auteur est ici limitée car il focalise son étude sur les modalités de l'esthétique picaresque ceci au vu de ses origines fictionnelles, contrairement à nous qui insistons que ce qui fait l'immortalité de l'esthétique dans la littérature française.

Bodo Cyprien (2005) dans sa thèse de doctorat L'esthétique picaresque dans le roman subsaharien d'expression française fait une étude sur l'emprunt du picaresque dans le roman africain comme le symbole d'un legs colonial. Ceci dit, avec la montée en puissance des discriminations sociales, l'esthétique picaresque est mise en avant grâce à son personnage principal qui semble revendiquer un récit romanesque centralisé sur une vie de gueuserie et de vagabond étant donné qu'enfin de compte comme l'affirme Bodo Cyprien (2005 :24):

Le chevaleresque est [...] la littérature des aristocrates [...] Le personnage chevaleresque se maintient vers le haut, le personnage picaresque est issu du bas, des

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profondeurs de la société [...] Le picaro est déclassé, un marginal, la négation de la noblesse.

Ces différentes attributions forment la figure du personnage picaresque. Il s'agit effectivement du picaro. Ce-dernier devient donc la nouvelle muse qui fascine les nouveaux romanciers par ses traits caractéristiques non chevaleresques et revanchards face à l'injustice qui sévit de façon perpétuelle dans la société. Autrement dit, on assiste pour ainsi dire à un protagoniste du roman désemparé. De ce fait, Body Cyprien (2005) citant Souiller Didier dénombre comme modalités atemporelles :

La naissance est infamante quant à l'origine du héros, une éducation négligée et de mauvais traitements dont il est victime, l'abondance des thèmes comme l'errance, l'apparence, la faim, le destin, l'amour impossible. Quant à la structure du texte, Soullier constate que le récit [obéit à des règles] : l'itinéraire géographique (matériel et spirituel), le passage par différents maitres, les récits librement insérés ou les histoires indépendantes. (27)

On note ici une révision des critères du picaresque des origines pour l'inscrit au-delà du XVIe et XVIIe siècle. Toutes les autres littératures européennes s'inscrivent dans ce sillage. Ici le picaresque devient incontournable en ce qui concerne son action, celle de faire une observation virulente des problèmes de la société. Ainsi pour Bodo Cyprien, le picaresque revêt une armure de révolte et donne pour rôle de changer le monde. Agissant sur l'inconscient et l'imagination, le picaro incite l'homme à faire ressortir l'animal, le mauvais et la perversité qui sont logés dans son for intérieur. D'un point de vue formelle, on assiste ainsi à une narration qui ne se limite plus seulement à la première personne mais continue à s'ouvrir au réalisme, à la satire sociale, à un personnage de basse classe - mendiant, des délinquants, des orphelins, servants, bâtards - et à une lutte pour la survie dans un environnement hostile et chaotique. Toutefois, nous notons que l'analyse de Bodo Cyprien se limite à l'emprunt du picaresque dans la littérature africaine noire pour expliquer la misère qui mine le quotidien des héros dans le roman du continent noir. Son analyse est aussi limitée car il ne s'interroge sur les modalités esthétique qui rendent le picaresque atemporel voire éternel.

En ce qui le concept de « satire », il convient de s'interroger sur sa définition et sur son essence qui semble primordial pour mettre en exergue le rôle qu'elle joue dans l'esthétique picaresque. Avant d'attribuer une quelconque définition à ce mot, il convient de noter que la satire prend son essor dans l'antiquité gréco-latine. A cet effet, Doumet Christian (1999 : 944) affirme:

Dans l'antiquité latine, [la satire représente un] poème de rythme narratif, mais de développement souvent dramatique, qui réalise l'union de la raillerie mordante et de la leçon de morale.

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En paraphrasant ces dires, Doumet pense que la satura - salade, macédoine - a été longtemps un vocable populaire pour désigner toutes sortes de jeux dramatiques, hétéroclites sur des sujets et de mètres variés. Toutefois, l'honneur revient à Lucilius (IIe siècle avant J.C) de faire de ce « mélange », une forme stable. Ses Satires (1978-1991), écrites en hexamètre dactylique, prennent pour sujet des travers qu'on ne cessera après lui de fustiger : le ridicule du luxe, des plaideurs, la goinfrerie, les erreurs de gouts ou parler. Horace recueillant l'héritage de ce dernier va orienter la satire vers la forme plus dramatique d'une causerie morale. Cependant, en ce qui concerne Juvénal, il met dans ses Satires (1658) plus d'indignation et plus d'amertume lorsqu'il s'en prend à la noblesse, aux débauchés, au luxe ou au fanatisme.

Après avoir présenté l'historique de la satire, on peut définir la satire comme un style d'écriture littéraire dans lequel l'auteur pose un regard critique, moralisant sur les phénomènes sociaux. La satire juge, apprécie, refuse et tente d'améliorer les structures aliénantes de l'espace dans lequel vit l'homme. Elle peut être considérée comme la voie royale des esthétiques littéraires. La satire se propose de se nourrir des humeurs de l'écrivain. En effet, quelle que soit l'action que mène un écrivain, la satire se réclame une prise de position, une forme d'engagement. La satire se présente, cependant, comme un thème très prisé dans les littératures en générale et en particulier dans la littérature française.

Comme mentionnée plus haut, la satire est à l'origine une écriture politique. Sa démarche en France va donner à la littérature une orientation virulente. Elle s'affirme à la Renaissance avec les auteurs tels que Marot, Rabelais, Montaigne, Du Bellay. C'est au XVIIe siècle que le modèle de la satire latine essaimera. Ici, elle prend un essor considérable et par là devient une idéologie qui transparait dans toute oeuvre publiée à cette époque. Cette satire place l'homme au centre de toute attention et tente de peindre les structures aliénantes de l'homme. De ce faire, la satire se veut rigueur, clarté, efficacité et morale. A ces termes, on voit les clés de voûte de sa théorisation. Ce sont tous les auteurs du classicisme qui s'abandonnent à ce style d'écriture originaire des anciens (Dans la querelle des anciens et des modernes notamment). On assiste à des textes satiriques tels que La satire de Ménippée et Les 17 satires de Mathurin Régnier (1608 - 1613). Sa corrélation à cette époque se veut venimeuse.

Pour Tournand (2005), la satire se réclame comme une valeur messianique, celle de vouloir éradiquer le mal qui avilit l'homme. On peut le remarquer à partir de l'extrait de Tournand (2005 : 87) :

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Il faut donc bien admettre que, malgré les silences nécessaires, les hommes du 17e siècle n'ont pas été par leurs siècles des juges complaisants. La sottise des individus, l'injustice de la société, les horreurs du pouvoir ont trouvé tout au long du siècle des censeurs pleins de vigilance. Constatons, toutefois, que, fidèles à l'esprit de leur temps, ces écrivains ont fait porter leur critique bien plus sur les hommes que sur les institutions. Les critiques les plus audacieuses en matière politique par exemple s'adressent aux âmes et aux caractères.

De ce qui précède, on voit que cette satire qu'on pourrait dans une certaine mesure qualifier de « classique » est fort évidente chez les auteurs tels que La Rochefoucauld, La Bruyère, Pascal et Boileau. Ce dernier publie le plus grand ouvrage sur les Satires (1666) de son temps dans lequel il répertorie douze satires résumant l'esprit de critique de la société française au XVIIe siècle. On note de ce qui précède que cet auteur se livre uniquement à répertorier les différentes modalités qui font la satire dans les oeuvres littéraires classiques. Il ne traite à aucun moment la satire en rapport avec l'esthétique picaresque.

Dans son dictionnaire des oeuvres littéraires françaises, Laurence Bourgault (2000), dit qu'avec les auteurs du XVIIIe siècle, cette aventure devient aussi représentative qu'au XVIIe bien que bercée de philosophie. Les auteurs tels que Marivaux, Voltaire, Rousseau et surtout Lesage perpétuent le satirique dans leurs ouvrages. Elle est mordante, caricaturale, moralisante, et avilissante car elle se veut la voie par excellence de l'accès à la perfection. Ici, l'utilité de la satire s'est affirmée, elle qui, dénonçant les méchants, corrigeant les abus, rendait à la société policée les mêmes services moraux que toute haute littérature. Laurence Bourgault (2000 : 195) dans son texte dit du XVIIIe siècle qu'il résume toutes les autres satires. A cet effet, elle déclare :

S'il s'agit d'instruire, il faut donc toucher. L'objectif se double d'une méthode : on cherchera l'amusement, on fera rire. Tous les procédés comiques sont déjà mis en oeuvre par Horace, Perse. [...] c'est de la fantaisie rabelaisienne et du « coq à l'âne marotique » que les hommes de la Pléiade malgré leur innovation tiennent beaucoup de leur manière de faire [...]. Mais le verbe s'est fait plus coulant, la langue pure et surtout la matière s'est renouvelé : sous Boileau et après lui, la satire, sans renoncer à l'actualité, aborde volontiers les problèmes de théorie et les lieux communs de la morale.

On remarque qu'au XVIIIe siècle la satire est de plus en plus violente. Il aime mordre et poindre. Il suffit de peu de chose pour que les voies du comique deviennent celles du naturel. Le satirique se propose d'imiter les actions humaines mais avec plus de simplicité pour les tourner en dérision. Comme le remarque encore Bourgault « Chez Aristote, chez Régnier, chez Furetière et chez Boileau, le vrai semblable se trouve ainsi au niveau de la réalité quotidienne et l'oeuvre prend un parfum d'authenticité vécue » (2000 :194). Cette auteure se

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contente également d'établir une histoire de la satire en France et ne touche en aucun moment le lien entre le picaresque et la satire.

En somme, les ouvrages théoriques susmentionnés produits sur la thématique de la satire ne confrontent en aucun moment l'esthétique picaresque en rapport avec la satire sociale qui la hiérarchise.

En ce qui concerne notre analyse du picaresque dans la littérature française actuelle, notre choix s'est porté comme déjà mentionné plus haut sur deux textes littéraires, tous écrits par des auteurs français. Il s'agit de l'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René Lesage et Onitsha de Jean-Marie-Gustave Le Clézio.

Alain-Réné Lesage a marqué l'esprit de son temps. Il se démarque au XVIIIe siècle par ses ouvrages colorés d'un univers hispanique. Nous pensons ici à ces principaux chefs d'oeuvres Le diable boiteux (1707) et L'histoire de Gil Blas de Santillane (1715). La particularité de Lesage se réside dans le fait qu'il met toujours ses personnages dans un espace défini, celui de la société espagnole comme si ses histoires trouvent plus de crédibilité dans un univers castillan. Il s'inspire d'ailleurs des romans typiquement espagnols pour reproduire d'oeuvre illustre à la française, preuve d'autant faite avec Réné Garguilo (1991 : 222) qui trouve que :

Lesage rend hommage aux « façons de parler figurées » aux « images bizarres » et aux « pensées extraordinaires » de Vêlez de Guevara, mais cela ne valait que pour l'Espagne. Les Français qui, dit-il, "ont la justesse et le naturel en partage" ne sauraient accepter les excès d'imagination et de plume des auteurs espagnols.

On note que Lesage définit ici sa méthode pour la production de ses romans. Lesage copie en "accommodant". Ainsi, dans le pire des cas, il n'y aura pas plagiat, mais adaptation et dans le meilleur des cas, il y a tout simplement « naturalisation » de l'oeuvre espagnole et création originale d'une écriture française. Une manipulation culturelle caractérise l'écriture lesagienne. Dans ses romans cadencés des traits castillans, il se permet de supprimer toutes les allusions à la vie espagnole réelle au profit à celles de la vie française mais en gardant quand même un décor typique à l'Espagne et une couleur locale comme par exemple des amants qui vont « chanter leurs peines ou leur plaisir » sous les balcons de leurs maitresses. (Garguilo, 1991 :224). Par ailleurs, Lesage se comporte, à travers des oeuvres, en moraliste qui observe, qui collectionne les anecdotes et surtout dessine des caractères. C'est la raison pour laquelle Réné Garguillo affirme que :

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Ses oeuvres les meilleures, son Diable, son Gil Blas, représentent exactement ce qu'aurait donné une collaboration littéraire entre La Bruyère et Scarron: des « caractères » insérés dans un « roman comique ». Il y avait du La Bruyère en Lesage mais sans doute guère de Scarron... C'est pour cela qu'il est allé chercher son Scarron en Espagne. [...] Dans le Diable boiteux comme plus tard dans le Gil Blas, Lesage ne perd jamais de vue que son but est de peindre la société française de son époque et d'en faire la satire. Il lui arrive aussi, comme à ses modèles espagnols de hausser le ton et de méditer sur la condition humaine. (225)

De ce qui précède, on comprend que l'oeuvre de Lesage s'implante dans son univers et prend effet à partir de son action à perpétuer l'ordre établi par les moralistes français du XVIIe siècle9 et de la littérature espagnole10.

Avec l'histoire de Gil Blas de Santillane, le moraliste et le censeur des moeurs de temps Alain-René Lesage portera le costume de picaro mais dans une France de la Régence derrière le décor particulièrement espagnol.

Le choix de ce texte du XVIIIe siècle pour notre analyse repose essentiellement sur son statut de roman français picaresque. Didier Souiller (1980 : 78) trouve d'ailleurs que « c'est le seul roman français indiscutablement picaresque ». On assiste donc à l'évolution d'un personnage, bourgeois et philosophique qui rejoint un fantasme ou une réalité de son siècle, celui de la Régence et des premières années du règne de Louis XV. Ayant les modalités requises pour conférer à l'esthétique picaresque toute sa valeur en France, L'histoire de Gil Blas de Santillane met en scène certes, un réalisme pas convaincant car il n'échappe pas aux clichés, mais semble être un roman à la croisée des chemins, une oeuvre rococo dans la mesure où elle interroge à sa façon le monde, chercher à exprimer la variété de l'univers en se servant de la légende d'un héros comme fil conducteur. Ainsi, avec René Garguillo (1991) on comprend que dans son roman :

Lesage ne se contente pas de transférer le picaresque de la culture espagnole à la culture française. Il se sert du picaresque à d'autres fins. Alors que le picaresque espagnol se donnait pour tâche de montrer les aléas de la fortune dans l'existence pittoresque d'un picaro, avec parfois une réflexion sur la destinée humaine; le picaresque de Lesage peint des caractères et, pour l'essentiel, fait la satire de la société française. (228, 229)

La matière et le langage du picaro guidant ce texte montrent qu'il est en effet d'un picaresque qui s'est actualisé.

Onitsha comme susmentionné est écrit par JMG Le Clézio en 1991, publié aux éditions Gallimard

9 En référence ici à La Rochefoucauld et La Bruyère.

10 En référence ici à Vélez de Guevara ou encore Vicente Espinel

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Pour commencer, cet auteur est considéré dans l'histoire de la littérature française contemporaine comme l'auteur le plus en vue, ceci par le biais de l'immensité de ses ouvrages. Du Procès-verbal (1963) à la ritournelle de la faim (2008), Le Clézio s'inscrit dans le sillage d'un écrivain en perpétuelle évolution. Son oeuvre échappe d'ailleurs pour la plupart aux classifications génériques et maintient son statut subversif et indépendant. C'est la raison pour laquelle d'aucuns comme Nadine Thomas (2001) ou encore Ouanghari Abdallah (2009) pensent que l'écriture le clézienne traduit les diverses influences qui l'ont marqué, les problèmes auxquels il fait face et la thématique majeure dans laquelle il inscrit son oeuvre. Ainsi, ce qui sous-entend l'ensemble de l'oeuvre de Le Clézio et en constitue la cohérence significative profonde, c'est le dynamisme d'une quête philosophique qui met le lecteur d'aujourd'hui au centre de diverses préoccupations quotidiennes. On comprend donc avec Ouanghari Abdallah (2009 : 1) que :

L'oeuvre de JMG Le Clézio se veut un témoignage de son époque, elle est représentative de la condition humaine et sociale qui caractérisait la deuxième moitié du XXe siècle. Son oeuvre, tout en interrogeant la société moderne sur ses principes et valeurs déchus, dépeint le malaise existentiel de l'individu moderne en quête d'un ailleurs où son identité recouvrera sa quiétude. Parallèlement elle s'interroge sur elle-même et remet en question paradigmes et structures légués par la tradition romanesque. Cette attitude subversive et innovatrice inscrit l'oeuvre de Le Clézio dans une perspective de quête pour un renouveau littéraire, ce qui lui a valu le qualificatif d'oeuvre inclassable.

On note ici que Le Clézio est un écrivain qui s'inscrit effectivement dans le sillage des romanciers engagés puisqu'en fin de compte son écriture est mise au service de l'humanité. Toutefois, Le Clézio refuse toute tentative de systématisation de son écriture et reste ouvert à toutes les influences. Il débride son écriture et lui tolère tous les excès. Jean Ominus (1994 :7) caractérise cette écriture d' « étrange, audacieuse, un constat à la fois terrible, cruel et drôle, un accent jamais entendu »

Le choix d'Onitsha comme second texte du corpus n'est pas anodin car elle met en scène un jeune héros, Fintan, dans une procédure d'apprentissage et de formation. Pour Madeleine Borgomano (1993 : 243) :

Nouvelle recherche du temps perdu, onitsha s'inscrit explicitement dans le sillage de modèles anciens, romans d'apprentissage, roman d'initiation. La construction classique du texte est soulignée par les titres des quatre parties : « un long voyage » ; « Onitsha » [...], « Aro chuku » [...]. Le voyage est bouclé par un retour, clôture géographique et narrative, institué par le dernier titre, « Loin d'Onitsha », comme exil irrémédiable.

En effet, on comprend que ce roman se démarque des autres textes le cléziens, parce qu'il obéit à certaines règles d'écriture du picaresque. Ainsi, Onitsha utilise des tournures

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linguistiques mordantes liées au picaresque pour peindre une société coloniale aux moeurs décadentes, une société où l'esclave ayant une origine infâme est marginalisé par le despotisme de la haute classe et donc obligé de se coller l'étiquette d'être vil, errant et vagabondant pour survivre aux inégalités sociales.

On note que cette auteure traite Onitsha comme un roman d'initiation, un roman d'apprentissage, ce qui peut laisser croire qu'elle fait exprès d'ignorer le coté picaresque de ce roman. C'est à cela que ce roman paraît primordial pour montrer le picaresque qui transparaît à la lecture de ce roman leclézien.

Nadine Thomas (2001 :506) dans son article consacré à Onitsha affirme :

Le Clézio dénonce les codes d'une société coloniale uniformisée, mais plus généralement il s'en prend aux principaux vices de notre société moderne occidentale : le matérialisme, la frivolité, la vanité, l'arrogance, l'égocentrisme, l'esprit de conquête, la soif de possession et d'exploitation sans limite, le manque de respect vis-à-vis de tous ceux qui sont autres, différents, l'ethnocentrisme aberrant. Dans cet esprit de domination, tous les individus sont séparés les uns des autres, rivaux.

On voit donc que ce texte est en effet une véritable prise de position, un cri de colère face à la souffrance d'une société victime d'une bipolarisation exacerbée et où les riches doivent automatiquement dominés ceux qui portent le statut de déshérités, de déclassés. Cet auteur toujours le coté satirique de ce roman de Le Clézio sans toutefois relevé le coté picaresque qui y fait l'unanimité. C'est face à ce manquement que notre étude retrouve sa nécessité épistémologique.

Tout compte fait, la mise en commun de ces deux textes vient du fait qu'ils développent des motifs liés au picaresque érigé dans les oeuvres espagnoles. Et les études susmentionnées ne confrontent en aucun moment les deux textes afin de montrer le coté picaresque qui s'y observe d'un point de la forme que du fond. C'est face à ces manquements que notre mémoire se veut le porteur d'étendard pour réorienter les études précédemment menées sur notre sujet et les oeuvres constituants le corpus d'analyse. C'est pourquoi, nous avons trouvé avisé de prendre une oeuvre traditionnelle11 et une oeuvre contemporaine12 pour montrer comment se pérennise le picaresque dans la littérature française.

11 Il s'agit de l'histoire de Gil Blas de Santillane.

12 Il s'agit d'Onitsha.

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Plan

Notre travail s'organise en trois parties constituées de deux chapitres chacune. Dans la première partie, nous montrons comment le picaresque organise le texte littéraire à travers une écriture du social. Dans cette partie, l'accent est mis sur les schèmes lexicaux et sur les strates sémantiques qui construisent le discours social. Ainsi dans le chapitre 1, nous insistons sur le caractère marginal du personnage picaresque et arrivons à montrer comment il devient antihéros à force de travailler les marges d'une société injuste et discriminatoire. Le personnage picaresque - anti-héros - arrive ainsi à ériger la satire comme une des modalités essentielles du genre. Quant au chapitre 2, nous revisitons la dimension marxiste du picaresque en analysant ses ressorts satiriques. Ici, notre analyse met tour à tour un accent particulier sur le dévoilement des instances sociales, sur le climat conflictuel qui articule les rapports entre les différentes classes sociales et sur une relecture du bas social. Et, ce sont justement ces modalités que découvre la deuxième partie de ce travail.

En effet, ayant ainsi mis en lumière les éléments constitutifs, fondamentaux du picaresque, notre réflexion peut alors dévoiler les modes d'agir du picaresque. Parti d'une approche structurale, nous nous intéressons à la disposition des éléments qui mettent en scène de manière particulière le discours picaresque. Ainsi au chapitre 1, nous focalisons notre attention sur l'étude d'une structure fonctionnelle de la pérennité du picaresque dans les deux textes. À partir d'un parallélisme établi au regard des romans picaresques canoniques, nous montrons que la structure interne de ces récits obéit à l'esthétique picaresque. Ici, les modalités structurelles du picaresque telles qu'un héros-narrateur, des récits épisodiques, hybrides et hétéroclites et une autobiographie fictive nous permettent de montrer la picaricature13 de notre corpus. C'est dans ce contexte qu'au chapitre 2, nous nous attelons à montrer qu'effectivement le picaresque s'appuie sur un tropisme dont les outils essentiels sont la caricature, l'ironie, l'humour et le sarcasme, eux-mêmes modes particuliers d'une expression satirique conférant aux textes choisis pour cette étude une verve subversive et polémique. Nous aboutissons à un discours sur le réel qui se veut pamphlétaire.

Après avoir ainsi montré le picaresque dans toute sa complexité, la troisième partie de notre travail est enfin en mesure d'affirmer qu'il est possible de réécrire l'histoire des mentalités à travers ce genre. En effet, nous y arguons que l'esthétique picaresque, en prenant appui sur les modes de fonctionnement de la satire, nous révèle une autre histoire de la résistance et

13 Mentalité picaresque

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constitue une forme particulière d'engagement qui revendique liberté et justice. Le chapitre 1 de cette partie montre comment le picaresque déconstruit l'idéologie dominante. Ici l'accent est mis tour à tour sur la satire comme une érection de la problématique de l'agence, la virulence des mots comme le symbole du langage picaresque et le picaresque pris comme une identité commune aux auteurs qui semblent ainsi réclamer l'ascension du bas social. A ce titre, le picaresque a une dimension marxiste indéniable. Comme le suggère le chapitre 2, le picaresque est l'expression d'une vision du monde qui repose sur le principe même de l'abolition des classes sociales et, partant, de la discrimination et de l'injustice. Le picaresque est ainsi par-dessus tout, liberté et suggère que le picarisme devient une philosophie qui transcende le temps et l'espace. En tant que « genre de travers » le picarisme vient rétablir une harmonia mundi détruite par la montée spectaculaire d'une bourgeoisie fondée sur un individualisme outrancier.

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PREMIÈRE PARTIE : DE LA MISE EN

SCÈNE DE LA MARGINALITÉ A

L'ÉCRITURE DU SOCIAL

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Le picaresque est avant tout, une écriture de la marginalité encrée dans un univers social. De ce fait, le héros picaresque ou tout simplement le picaro est alors appelé à se mouvoir et présenter le bas social toute sa profondeur, ceci par le biais ses aventures et péripéties pittoresques au coeur de la classe ouvrière. Ainsi dans cette partie, nous nous permettons de mettre en relief l'univers picaresque qui se manifeste dans les textes choisis pour notre présent travail. Ceci se manifeste bien entendu dans la mise au point des différentes modalités qui confèrent au picaresque tout son esthétique et sa vision du monde. Ainsi nous ouvrons cette partie de notre travail en insistant sur les personnages et leurs attributs marginaux. Ce qui nous permet par la suite d'en déduire une écriture du social dont les auteurs s'y attèlent de façon subversive tout en dévoilant les misères causées par la séparation des classes ; d'où une particularité marxiste que nous attribuons à la satire sociale. Ceci dit, nous voulons ainsi montrer que le picaresque n'est en réalité qu'une esthétique marxiste dans la mesure où son rôle est de dévoiler les dégâts orchestrés par la division des classes sociales.

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CHAPITRE 1 : PERSONNAGES ET MARGINALITÉ

1. Le personnage picaresque : un héros hors du commun. Molho Maurice (1996) déclare qu' :

On qualifie ordinairement de picaresques un ensemble de romans espagnols qui, sous forme autobiographique, racontent les aventures d'un personnage de basse extraction (le picaro), sans métier, serviteur aux nombreux maîtres, volontiers vagabond, voleur ou mendiant (243).

Ces différents qualificatifs traversent et font la particularité du picaresque. Le picaresque serait dont l'esthétisation de son personnage principal, du picaro. L'histoire de Gil blas de Santillane d'Alain-René Lesage s'inscrit dans ce sillage à travers son personnage Gil Blas. Ce dernier est un personnage auquel on reconnaît toutes les caractéristiques du picaro. Bourgeois de naissance et mendiant naïf, il devient dupe et vit de petits métiers. Il multiplie des sales besognes afin d'atteindre les hautes marches de la société. Mais il ne baisse pas les bras, continue son périple pour enfin atteindre une ascension sociale fulgurante. Rien de plus désireux que de rester riche tout le long de sa vie. C'est à cette quête qu'aspire le personnage picaresque.

Par ailleurs, en parlant de la trame narrative du roman picaresque, Sonia Fajkis (2009 : 38) trouve que :

La situation initiale des héros se ressemble : la famille ou son substitut manque à son rôle principal : aucun d'eux ne reçoit l'instruction nécessaire pour éviter les dangers qui pourraient guetter dans le monde. Au moment où ils restent seuls face à face avec la société qui leur est hostile, ils ne sont pas encore capables de distinguer le mal du bien, le mensonge de la vérité.

Le picaresque serait alors l'histoire d'un enfant qui devient adulte, aussi l'histoire d'un enfant naïf et innocent qui devient un fripon et qui, au bout d'un certain nombre d'aventures cesse de l'être.

Pour revenir à L'histoire de Gil Blas de Santillane, son héros souffre bien, se promène à travers les différentes couches sociales à la recherche du nécessaire pour survivre. Son voyage aussi bien initiatique que filiatif, est un long chemin de représentation qui se réclame être caricaturale. Caricature de la société et caricature du quotidien noir de l'homme. Son aventure, pourtant une aventure au bout de l'abjection n'est rien comparée à son ascension finale vers les hautes marches de la société. Il deviendra tour à tour valet, homme de chambre, fripon, voleur, dupeur, seigneur et noble.

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Tout comme Lesage, Le Clézio donne naissance à Fintan, un personnage nous dirons, néo picaresque14. Pourquoi ce terme ? Parce que dans Onitsha, l'écriture Le clézienne à travers Fintan n'obéit pas forcément à l'esthétique picaresque des origines mais on remarque une certaine permanence, une sorte d'écho picaresque. Le personnage ou du moins le héros n'est certes pas picaro dans le sens traditionnel du terme, néanmoins, on remarque une certaine « reprise » ou du moins une « renaissance du picaresque » dans ce récit pourtant écrit à l'ère contemporaine. Ceci dit, Onitsha par le biais de sa verve satirique et le goût poussé pour l'aventure, s'inscrit dans le même sillage d'un roman picaresque car il développe des thématiques liées au picaresque que l'on considère comme écho. Car comme le dit Vaillancourt (1994 : 7) dans son article « représentation » :

Le picaresque reste une forme ouverte, adaptable à de nouvelles conditions sociohistoriques, qu'il ne fournit pas qu'un arsenal de procédés, un éventail de recettes où puiser à discrétion, mais qu'il reste une structure repérable, souple et capable d'entretenir des échanges fructueux avec d'autres systèmes narratifs.

C'est dans ce contexte mentionné par Vaillancourt Pierre-louis que s'inscrit le roman de Le Clézio. Car, étant un roman postmoderne et postcolonial, ayant subi l'influence du Nouveau Roman15, il se démarque de ses contemporains et s'identifie à ce qu'Albères (1968 : 46) disait dans sa renaissance picaresque :

Dès que l'évocation romanesque touche aux réalités matérielles, sociales ou politiques du monde des années 60, elle se fait sarcastique, turbulente, pittoresque, picaresque. Il semble que, depuis la seconde guerre mondiale jusqu'à nos jours, la planète n'ait offert que des spectacles attristants. L'exotisme a disparu, chassé par le tourisme. La peinture sociale a cédé la place au désordre social ; l'observation des moeurs s'est effacée devant l'incongruité des nouvelles formes de vie. Le roman européen est devenu picaresque

14 En rapport avec la contemporanéité (écriture contemporaine)

15 Le Nouveau roman est un mouvement de la littérature romanesque du XXe siècle, regroupant quelques écrivains appartenant principalement aux Éditions de Minuit. Le terme fut employé la première fois par Bernard Dort en avril 1955, puis repris deux ans plus tard, avec un sens négatif, par l'Académicien Émile Henriot dans un article du journal Le Monde du 22 mai 1957, pour critiquer le roman la Jalousie d'Alain Robbe-Grillet. Dans Pour un Nouveau Roman, édité en 1963, Alain Robbe-Grillet réunit les essais sur la nature et le futur du roman. Il y rejette l'idée, dépassée pour lui, d'intrigue, de portrait psychologique et même de la nécessité des personnages. Repoussant les conventions du roman traditionnel, tel qu'il s'était imposé depuis le XIXe siècle et épanoui avec des auteurs comme Honoré de Balzac ou Émile Zola, le nouveau roman se veut un art conscient de lui-même. La position du narrateur y est notamment interrogée : quelle est sa place dans l'intrigue, pourquoi raconte-t-il ou écrit-il ? L'intrigue et le personnage, qui étaient vus auparavant comme la base de toute fiction, s'estompent au second plan, avec des orientations différentes pour chaque auteur, voire pour chaque livre. En revanche, en 1956, Nathalie Sarraute avait déjà interrogé le roman et récusé ses conventions dans son essai l'Ère du soupçon. Son oeuvre romanesque est la mise en pratique de sa réflexion théorique. Ainsi, le Nouveau Roman veut renouveler le genre romanesque qui date de l'Antiquité. Le sentiment premier qui guide les nouveaux romanciers est donc le renouveau. Pour cela, l'intrigue passe au second plan, les personnages deviennent subsidiaires, inutiles, s'ils sont présents ils sont nommés par des initiales.

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Ainsi, se revendiquant être une filiation picareque, Onitsha s'opère sur la fictionnalisation de la vie de l'auteur et s'ouvre un tant soit peu sur cette esthétique que nous qualifions bien entendu de picaresque.

En revanche, l'esthétique du roman a toujours accordé une très grande valeur à la question du personnage principal. Des romans courtois, chevaleresques, et pastoraux nés au moyen âge, aux romans réalistes et nouveau roman apparus successivement à l'époque contemporaine, le personnage principal occupe une place non négligeable et se réclame être l'élément primordial de toute poétique romanesque. Ainsi avec Bakhtine (1978), un roman s'est révélé une esthétique propre, un genre obéissant à un imaginaire social assez précis et parfois l'identité de son auteur. C'est pourquoi, il affirme à cet effet que : « le personnage principal se présente presque toujours comme vecteur des points de vue de l'auteur » (97). Cela signifie que le personnage romanesque peut être une somme des observations et des virtualités de son auteur. Dans ce cas, il nous aidera à déceler les rêves, les frustrations ou à suivre l'évolution de la pensée de son créateur ; le sens qu'il attribue à une réalité historique et sociale aussi fictive qu'elle soit.

1.1. La naissance ignoble des héros

La condition de subsistance du héros, les relations que ce héros entretient avec les autres personnages du récit imposent toujours réflexion dans une esthétique romanesque. La vie du jeune héros occupe néanmoins une place prépondérante dans l'esthétique picaresque. Ainsi les textes canoniques picaresques - la vie de Lazarillo de Tormes (1554), La vie de Guzman d'Alfarache (1600) Le Buscon (1626) - ont défini et mis un accent particulier sur la condition de la naissance du héros. Rejeton d'une famille pauvre, il grandit sans père et dans certains cas sans mère, le jeune picaro est appelé à affronter le monde avec toutes ses misères. Sa naissance paraît donc infâme. Ce type de naissance se réclame être ce qui permettra au picaro de lui conférer une identité antihéroïque. C'est pourquoi Cevasco (2013 :107) trouve qu' :

Il est évident que le récit de la naissance du pícaro est un élément récurrent, et qui s'avère fondamental pour positionner le héros dans la société où il vit. Sa naissance se révèle, de plus, une naissance ignoble : sa famille est toujours composée par une mère prostituée ou concubine, et par un père plus ou moins absent. En tous cas, le pícaro se retrouve seul face au monde quand il est encore très jeune.

Ceci s'observe au regard de la naissance nos différents protagonistes. Que ce soit Gil Blas ou Fintan, ils obéissent à une naissance similaire. D'abord, le Gil Blas de Santillane voit le jour dans des conditions très difficiles, son père écuyer et sa mère femme de chambre n'ont pas assez de moyens pour s'occuper de l'éducation de ce jeune prodige. Il est confié à son oncle

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maternel Gil Perez, un ecclésiastique, pour qu'il fasse de lui un jeune garçon de bonne éducation. C'est dans cette situation que Gil grandit sans connaitre réellement ses parents. Leur présence n'a pas été indispensable car Gil Blas s'adaptera à la nouvelle vie que son oncle devra lui imposer. Sa naissance est ignoble ici à cause l'absence de la chaleur parentale et surtout maternelle. Ce manque est bien entendu la cause des différentes tribulations que cet antihéros devra vivre tout au long du texte. L'extrait suivant met en relief assez bien la naissance de Gil Blas :

Blas de Santillane, mon père, après avoir longtemps porté les armes pour le service de la monarchie espagnole, se retira dans la ville où il avait pris naissance. Il y épousa une petite bourgeoise qui n'était plus de sa première jeunesse, et je vins au monde dix mois après leur mariage. Ils allèrent ensuite demeurer à Oviédo, où ma mère se mit femme de chambre, et mon père écuyer. Comme ils n'avaient pour tout bien que leurs gages, j'aurais couru risque d'être assez mal élevé, si je n'eusse pas eu dans la ville un oncle chanoine. Il se nommait Gil Perez. Il était frère aîné de ma mère et mon parrain. [...] Il me prit chez lui dès mon enfance, et se chargea de mon éducation. Je lui parus si éveillé, qu'il résolut de cultiver mon esprit. Il m'acheta un alphabet, et entreprit de m'apprendre lui-même à lire ; ce qui ne lui fut pas moins utile qu'à moi ; car, en me faisant connaître mes lettres, il se remit à la lecture, qu'il avait toujours fort négligée, et, à force de s'y appliquer, il parvint à lire couramment son bréviaire, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. (LGBS, 5)

On note à partir de cet extrait que Gil Blas est jeté dans un monde hostile très tôt. Ses parents ne peuvent pas l'offrir une enfance digne vu leur statut de déshérités de la société vaincu par la misère. L'enfant Gil Blas subit très tôt la souffrance d'être abandonné par ses propres parents. Pris de pitié pour ce petit bout d'homme, son oncle prend l'entière responsabilité de lui assurer une existence bourgeoise.

En ce qui concerne Onitsha, bien plus contemporain que le Gil Blas, il laisse aussi entendre un écho picaresque qui nous pousse à affirmer que Fintan a aussi connu une naissance ignoble ceci à travers l'extrait ci-dessous :

Fintan était né en Mars 36 dans une clinique vétuste du Vieux Nice. Alors Maou avait écrit à Geoffrey, une longue lettre dans laquelle elle racontait tout, mais elle n'avait reçu la réponse que trois mois plus tard à cause de la grève. (Onitsha, 130)

Le jeune héros nait durant un moment de tribulation : la grève. L'absence de son père, partir plutôt en Afrique, à sa naissance et pendant son enfance, montre aussi bien comment Fintan connaît une naissance ignoble. L'enfance de ce jeune héros est aussi désolante que celle de Gil Blas. L'absence de son père lors de sa naissance et de son enfance est considérée comme une condition ignoble parce qu'un enfant doit être entouré de ses deux parents biologiques. Il connaît donc une enfance monoparentale. La figure maternelle ici représentée en la personne de Maou remplace pour lui ce père qu'il n'a jamais eu. On notera bien entendu une extrême

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complicité entre la mère et son fils. Sans oublier la grand-mère Aurelia qui sera aussi une figure importante pour le développement normal de Fintan. Fintan ne connaît pas son père et la découverte de celui-ci dans le récit sera pour lui un moment non rêvé : il n'aime pas ce père. En effet, Le Clézio le montre à travers les souvenirs qu'a Fintan sur le surabaya :

Fintan avait les yeux pleins de larmes, sans trop savoir pourquoi. Il avait mal au centre de son corps, là où la mémoire se défaisait, s'effaçait. « Je ne veux pas aller

en Afrique. » [... ] L'homme qui attendait, là-bas, au bout du voyage, ne serait
jamais son père. C'était un homme inconnu. (Onitsha, 18-19)

A travers ce flash-back, on note une enfance triste chez Fintan. Il ne sait rien à propos de son père et de traverser les misères de l'Afrique pour aller à la rencontre de celui-ci qui pour lui est quelque chose d'inconcevable. Il ne veut pas connaître Geoffrey. La rencontre de celui-ci dans le récit sera pour lui un moment de tourments et de désobéissance. La naissance d'une relation conflictuelle entre un père et son fils causée par une naissance déshonorée.

1.2. Des protagonistes marginaux.

Si l'on part du principe selon lequel le fait d'être marginal correspondrait en effet à vivre en marge de la société et à désobéir promptement aux règles établies, alors ce statut de marginal est applicable aussi bien à Fintan qu'à Gil Blas. Les deux antihéros vivent en contradiction totale aux règles régies par les sociétés dans lesquelles ils prennent corps. Gil blas revêt son costume de pauvre gueux et s'opposer à toutes les lois établies dans la société. Fintan pour sa part, refuse le colonialisme, l'impérialisme oppressant et se range du côté des marginaux Noirs tout comme sa mère pour défendre la cause des Noirs.

Le Gil Blas de Santillane fait une représentation exhaustive de ce qu'on appelle la vie de la marginalité. Durant tout son parcours, ses périples et ses aventures, Gil Blas emploie la ruse, le vol et même la tricherie pour s'en sortir dans des situations oppressantes. Ayant toujours fait de sales travaux, la vie marginale est pour lui une sorte d'identité à laquelle il ne peut échapper. On pense ici bien entendu à son prétendu talent pour la médecine chez le docteur Sangrado. Nous pensons également à toutes relations que Gil Blas entretient avec les gens de mauvaises conditions sans foi ni lois, qui utilisent tous les moyens s'offrant à eux pour avoir accès aux vivres. Gil Blas adopte leurs méthodes et se convertit en être rusé et dupant pour échapper à certaines circonstances qui lui paraissent plutôt oppressantes. C'est le cas lors de son séjour avec les voleurs d'Oviedo et la première expérience qu'il acquit :

Après que le capitaine des voleurs eut fait ainsi l'apologie de sa profession, il se mit au lit ; et moi je retournai dans le salon, où je desservis et remis tout en ordre [...] Ils me parurent si contents de moi, que, profitant d'une si bonne disposition : messieurs,

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leur dis-je, permettez que je vous découvre mes sentiments. Depuis que je demeure ici, je me sens tout autre que je n'étais auparavant. Vous m'avez défait des préjugés de mon éducation. J'ai pris insensiblement votre esprit. J'ai du goût pour votre profession. Je meurs d'envie d'avoir l'honneur d'être un de vos confrères et de partager avec vous les périls de vos expéditions. Toute la compagnie applaudit à ce discours. On loua ma bonne volonté. (LGBS, 26, 29)

A partir de cet extrait on voit le processus de la marginalité qui commence peu à peu à prendre effet chez Gil Blas. De là, il apprendra à voler, à tromper et à défier les règles régies par la société pour s'en sortir. Il fait la prison :

Il fallut m'armer d'une nouvelle patience, me résoudre à jeûner encore au pain et à l'eau, et à voir le silencieux concierge. Quand je songeais que je ne pouvais me tirer des griffes de la justice, bien que je n'eusse pas commis le moindre crime, cette pensée me mettait au désespoir. Je regrettais le souterrain. Dans le fond, disais-je, j'y avais moins de désagrément que dans ce cachot. Je faisais bonne chère avec les voleurs. Je m'entretenais avec eux, et je vivais dans la douce espérance de m'échapper ; au lieu que, malgré mon innocence, je serai peut-être trop heureux de sortir d'ici pour aller aux galères. (LGBS, 49)

Plus loin, Gil Blas exerce une fausse médecine pour gagner sa vie. Au lieu de sauver des vies, ce dernier par le biais de son maître le Docteur Sangrado s'amuse à traiter les patients avec des potions non afférées dans le seul but de gagner de l'argent. Ce-dernier lui permettra d'avoir de quoi se mettre sur les dents. Ses patients et ceux du Docteur Sangrado succombent sur l'effet de leur machination médicale et ceci les importe peu du moment que personne ne soupçonne quelque chose :

Là-dessus le petit médecin se mit à observer le malade ; et, après m'avoir fait remarquer tous les symptômes qui découvraient la nature de la maladie, il me demanda de quelle manière je pensais qu'on dût le traiter. Je suis d'avis, répondis-je, qu'on le saigne tous les jours, et qu'on lui fasse boire de l'eau chaude abondamment. A ces paroles, le petit médecin me dit en souriant d'un air plein de malice : et vous croyez que ces remèdes lui sauveront la vie ? N'en doutez pas, m'écriai-je d'un ton ferme. Ils doivent produire cet effet, puisque ce sont des spécifiques contre toutes sortes de maladies. Demandez au seigneur Sangrado ! Sur ce pied-là, reprit-il, Celse a grand tort d'assurer que, pour guérir plus facilement un hydropique, il est à propos de lui faire souffrir la soif et la faim. Oh ! Celse, lui repartis-je, n'est pas mon oracle. Il se trompait comme un autre, et quelquefois je me sais bon gré d'aller contre ses opinions. Je reconnais à vos discours, me dit Cuchillo, la pratique sûre et satisfaisante dont le docteur Sangrado veut insinuer la méthode aux jeunes praticiens. La saignée et la boisson sont sa médecine universelle. Je ne suis pas surpris si tant d'honnêtes gens périssent entre ses mains. (LGBS, 90)

Aussi mauvais que soient les actions et actes posés par Gil Blas, il n'a pas eu pour autant de choix. Il a fallu les poser pour survivre dans un monde hostile. Ce croquis de la représentation de la misère quotidienne traduit ici l'identité picaresque à laquelle se revendique le texte de Lesage.

Pour ce qui est du texte de Le Clézio, son personnage principal, Fintan, refuse de se conformer aux lois établies par les colons, celles qui refusent de chercher toute amitié avec les

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Noirs. Fintan et sa mère Maou s'opposent d'une façon extrême à ses lois discriminatoires, revendiquent l'humanité des Noirs. Fintan préfère vivre en marge des lois coloniales afin de s'opposer promptement aux exigences préconçues par le Divisional Officer. Fintan traine avec Bony, un jeune Noir plus âgé que lui. Il cause des multiples problèmes administratifs à Geoffrey, son père qu'il déteste. Ce dernier finit par être licencié car ses confrères occidentaux trouvent d'un mauvais oeil que sa famille vienne bouleverser le rythme qu'ils ont établi.

L'amitié de Fintan pour Bony est si vraie et candide que les deux personnages sont presque inséparables dans le récit. Les deux garçons passaient toutes leurs journées en marge de la société, à accumuler des aventures à travers la végétation luxuriante et à se promener tout au long des plages d'Onitsha :

Fintan aimait cette descente vers la rivière. Le ciel paraissait immense. Bony courait en avant dans les hautes herbes plus hautes que lui. De temps en temps, Fintan apercevait sa silhouette noire qui glissait. [...] Quand Fintan perdait de vue Bony, il cherchait la piste, les herbes écrasées, il sentait l'odeur de son ami. Maintenant, il savait faire cela, marcher pieds nus sans craindre les fourmis ou les épines et suivre une trace à l'odeur, chasser la nuit. Il devinait la présence des animaux cachés dans les herbes, les pintades blotties contre un arbre, le mouvement rapides des serpents, parfois l'odeur âcre d'un chat sauvage. (Onitsha, 180-181)

A partir de ce morceau choisi, on voit comment Fintan s'est lié d'amitié avec un Nègre. Il s'ajourne avec les gens que l'on considère de mauvaises conditions car ceux-ci n'appartiennent pas à la même classe sociale que lui. Le fait de trainer avec les vagabonds et s'identifier lui-même comme un vagabond prouve que Fintan détient ici la figure de picaro.

Comme toute esthétique picaresque, le héros a un vrai problème avec les règles. Il veut vivre de façon autonome et sans censure. La liberté est pour lui quelque chose de très importante et personne ne doit y porter atteinte. Il obéit rarement à Maou ou à Geoffrey et à force de vagabonder avec Bony, Fintan devient un vrai marginal, un être oisif. Ainsi l'indique le passage suivant :

Fintan suivait Bony, sans ressentir la fatigue. Les ronces avaient déchiré ses vêtements. Ses jambes saignaient. Vers midi, ils arrivèrent aux collines. [...] Fintan regardait chaque détail du paysage. Il y avait ici un très grand silence, avec seulement le froissement léger du vent sur les schistes. Fintan n'osait pas parler. Il vit que Bony contemplait lui aussi l'étendue du plateau et la faille rouge. C'était un endroit mystérieux, loin du monde, un endroit où on pouvait tout oublier. [...] Ils descendirent la pente des collines vers le Nord. [...] [Bony] marchait lentement avec des gestes étranges, comme s'il y avait un danger. Il conduisit Fintan un peu plus haut le long de la rivière. [...] les arbres étaient immenses et silencieux. L'eau était lisse et sombre. Le ciel devint très clair, comme toujours avant la nuit. Bony choisit un endroit, sur une petite grève, devant le bassin. Avec des branches et des feuilles,

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il fabriqua un abri pour la nuit, pour s'abriter du serein. C'est là qu'ils dormirent, dans le calme de l'eau. Au petit matin, ils retournèrent à Onitsha. (Onitsha, 182-184)

Le fait que Fintan dorme hors de la maison montre ici le côté antisocial de ce héros. Malgré la douceur et la naïveté de ce personnage, son essence de picaro commence à se remarquer de façon flagrante. Il refuse la soumission et veut découvrir les méandres du monde. Cet extrait nous montre une fois de plus que ce texte de Le Clézio obéit aux exigences d'un roman picaresque.

Lesage et Le Clézio mettent un accent particulier sur la marginalité, à ce côté vagabond et aventurier de leur personnage. De par le biais de leurs actions quotidiennes, on remarque qu'ils sont atteints d'une sorte de névrose en ce qui concerne le respect des lois et surtout lorsque celles-ci s'opposent à leur désir d'assouvir leur penchant libertin.

2. Le dynamisme des héros

Le dynamisme ici théorisé découle de ce pan marginal des héros du corpus. Ceci étant, le héros du récit picaresque est considéré comme une force vitale dans la mesure où il se caractérise par une instabilité exacerbée. Il est perpétuellement en déplacement, ses aventures le pousse à la marginalité. Ainsi, on comprendra avec Cevasco (2013) que :

Le pícaro est par définition une figure marginale : il ne peut qu'être exclu par le milieu dans lequel il agit, à partir de sa propre famille. De cette manière, il ne se situe ni du côté du bien ni du côté du mal : il est hors de tout jugement. Le héros n'accepte jamais sa situation d'exclusion ou de pauvreté. Et, en conséquence, il finit par entrer en conflit avec la société. L'une des caractéristiques du personnage picaresque est de ne jamais rester stable, ainsi que de refuser toute position statique et toute résignation. (230)

C'est ce que l'on constate avec nos héros du corpus. Gil Blas est en quête d'une existence meilleure. Dès lors, il va d'un lieu à un autre, d'une maison à une autre. La pauvreté et la quête de l'argent sont ses réelles motivations. Il refuse de se soumettre aux lois ségrégationnistes que lui impose la société. Pour lui il ne devra pas exister une classe plus opulente et une classe plus misérable.

Avec Fintan, ses multiples voyages à travers l'Afrique signalent une obsession pour l'instabilité. Les sentiments de révolte qui l'animent tout au long du récit pour montrer les misères coloniales traduisent ici son côté dynamique. Lui, tout comme sa mère, refusent de participer aux mascarades coloniales engendrées par l'administration blanche.

Ce caractère dynamique de nos héros du corpus s'observe à travers le destin incongru auquel ils sont victimes, la responsabilité de l'existence qu'ils prennent sur eux pour survivre face

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aux situations de vie très défavorables. La question de l'errance et la quête de filiation sont également les éléments sur lesquels nous pouvons aussi insister pour montrer que nos protagonistes sont bel et bien dynamiques.

2.1. Du destin incongru à la question de responsabilité

La notion de destin est un élément qui caractérise l'esthétique picaresque. Les personnages et surtout le héros sont le plus souvent habitués à une vie de tribulations. Ces tribulations proviennent nécessairement de leur vie d'aventure et de gueux dans une certaine mesure. Très souvent liée à la fatalité, le destin d'un picaro s'identifie dans l'acceptation de sa condition d'être vil et d'aventurier. Une condition qui d'après eux est voulu par le divin et donc ils font tout pour le défier à voir de par leurs différentes quêtes vers un bien-être existentiel. Un bien-être qui devra être forcément acquis à travers des péripéties rocambolesques. C'est le cas avec les textes qui constituent notre corpus. Que ce soit Gil Blas ou Fintan, ces deux picaros ont un destin bien établi et auquel ils ne pourront échapper. Ils luttent pour une existence modèle et prennent sur eux la responsabilité de montrer aux yeux du monde le malaise d'une vie de vagabond. Ils sont victimes du destin. C'est pourquoi Molho Maurice (1968) a eu raison d'affirmer dans son introduction aux romans picaresques espagnols que : « le destin sans faille constitue l'hypothèse de toute pensée picaresque. » (xix)

Si on prend le cas du héros lesagien, ce dernier connait une naissance et une enfance teintées du manque de d'affection. Abandonné par ses parents, il est élevé par son oncle. A la recherche d'un monde meilleur, il découvre ce monde dans toute sa noirceur. Nous parlons ici en fondant notre analyse sur ses multiples découvertes et séjours parmi les gens de mauvaises conditions :

Le capitaine, en peu de mots, leur conta mon histoire, qui les divertit fort. Ensuite, il leur dit que j'avais du mérite ; mais j'étais alors revenu des louanges, et j'en pouvais entendre sans péril. Là-dessus, ils me louèrent tous. Ils dirent que je paraissais né pour être leur échanson, que je valais cent fois mieux que mon prédécesseur. Et comme depuis sa mort, c'était la señora Léonarde a qui avait l'honneur de présenter le nectar à ces dieux infernaux, ils la privèrent de ce glorieux emploi pour m'en revêtir. Ainsi, nouveau Ganymède, je succédai à cette vieille Hébé. (LGBS, 26)

Dans cet extrait, le destin de Gil Blas est scellé, il est appelé à souffrir et à s'adapter aux nouvelles conditions défavorables qu'il va devoir rencontrer et affronter pour survivre. Son statut de gueux lui permet uniquement à avoir accès aux métiers les plus avilissants du monde de la débrouillardise : valets, hommes de chambre, jardinier, servant, et surtout échanson.

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Fintan pour sa part se lie à la cause noire. Fervent opposant de l'impérialisme et du colonialisme du blanc, ce jeune blanc est issu de la basse classe française. Il s'allie à sa mère pour dénoncer l'horreur orchestré par ses frères blancs sur Onitsha. Aventurier et anticonformiste, ce jeune prodige nous fait la description de son « LONG VOYAGE » sur les côtes africaines et surtout d'Onitsha. Une triste réalité les anime, sa mère et lui :

C'était donc cela, l'Afrique, cette ville chaude et violente, le ciel jaune où la lumière battait comme un pouls secret. [...] sur la rade, le canot glissait vers la ligne sombre de l'île. La forteresse maudite où les esclaves attendaient leur voyage vers l'enfer. Au centre des cellules, il y avait une rigole pour laisser s'écrouler l'urine. Aux murs, les anneaux où on s'accrochait les chaînes. C'était donc cela l'Afrique, cette ombre chargée de douleur, cette odeur de sueur au fond des geôles, cette odeur de mort. Maou ressentait le dégoût, la honte. (Onitsha, 39)

A partir de ce passage, Fintan et Maou sont devant un spectacle impressionnant. La véritable Afrique, pas l'Afrique des rêves fleuris d'exotisme. Le destin a voulu que Fintan découvre ainsi cette Afrique-là. Une Afrique aux couleurs de misère, dévastée par la colonisation et à genou à cause de l'impérialisme européen. De ce constat, l'empathie de Fintan et de Maou se proroge. La mère et le fils se voit comme ceux-là qui devront désormais porter le flambeau de la démystification des actions mauvaises des colons. Ce passage nous le montre d'ailleurs :

Fintan ressentit une telle colère et une telle honte qu'un instant il voulut retourner dans le salons des premières. C'était comme si, dans la nuit, chaque noir le regardait, d'un regard brillant, plein de reproches. [...] Alors Fintan descendit de la cabine, il alluma la veilleuse, et il ouvrit le petit cahier d'écolier sur lequel était écrit, en grande lettre noires, UN LONG VOYAGE. Et il se mit à écrire en pensant à la nuit. (Onitsha, 64)

La responsabilité du héros Le clézien est repérable. En fait, étant le rejeton d'une famille blanche, les Noirs sur le Surabaya le tenaient à un moment donné pour responsable de toute leur souffrance. N'ayant pas succombé au découragement, Fintan accepte son destin de vivre la réalité nègre et pour ce fait, il prend l'unique responsabilité d'écrire pour la situation oppressante des matelots noirs du navire. Il décrit avec honneur la cruauté de sa propre race sur la race noire.

Gil Blas et Fintan peuvent être dans certaines circonstances considérées comme les archétypes pour la défense d'une cause noble. Malgré leur statut de pauvre picaro, vivant en marge de la société, ces deux personnages observent ladite société de près. Non seulement ils assument leur destin de vagabond notoire, d'aventurier sans vergogne mais ils prennent leur courage pour atteindre le but fixé. Ils savent que leur vie en dépend. C'est pourquoi, ils vont devoir s'armer pour assumer les responsabilités découlant d'un libertinage poussé.

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2.2. De l'errance géographique à la quête de filiation

Pour saisir un peu mieux ce motif de l'errance géographique dans les textes du corpus, nous allons parcourir l'origine et l'évolution du terme. Dans son mémoire de Master I le paradoxe de l'errance dans l'étoile errante de JMG Le Clézio, Muelas HURTABO s'interroge sur l'étymologie d'errer. Errer possède une double étymologie, dans une première définition le mot vient du latin errare qui signifie aller de côté et d'autre, au hasard, à l'aventure ; c'est le verbe qui, au figuré, signifie s'égarer ; en référence à la pensée qui ne fixe pas, qui vagabonde. On peut dire qu'errer signifie alors laisser en toute liberté. Ainsi dans le passé, l'errant était celui qui errait contre la foi, c'était le mendiant, l'infidèle, le pêcheur, le vagabond. Toutefois ce verbe errer possède aussi une seconde définition qui se trouve dans l'ancien français iterare et qui signifie aller, voyager, cheminer.

Ainsi, le thème de l'errance est au centre des préoccupations du corpus. Errance renvoie donc à l'idée de la marche, du déplacement. Cette thématique joue un rôle indéniable au niveau de la psychologie des personnages principaux. Car elle les pousse à s'aventurer dans divers endroits anodins à la quête de soi, à la quête du bonheur, du bien-être matériel. L'errance est représentée chez les héros comme la motivation d'aller à la recherche d'un objet de survie.

Selon Berthet (2007 :10) dans ses Figures de l'errance :

L'errance [...] est associée au mouvement, souvent à la marche, à l'idée d'égarement, à l'absence de but. On la décrit comme une obligation à laquelle on succombe sans trop savoir pourquoi, qui nous jette hors de nous-mêmes et qui ne mène nulle part. Elle est échec pour ne pas dire danger. L'errance, toujours vue sous cet angle, s'accompagne d'incertitude [...] l'errance est la quête incessante d'un ailleurs

Du fait de cette quête, généralement, il n'est pas envisagé de retour en arrière, c'est-à-dire de retour à l'endroit d'où on a senti le besoin de partir. Car l'errance relève de la nécessité intérieure, nécessité de partir, de porter ses pas plus loin et son existence ailleurs. C'est ainsi, que l'on parviendra à trouver le meilleur de soi dans l'éloge de l'imprévu.

Ainsi la thématique de l'errance géographique fait appel sans aucun doute à la symbolique du voyage qu'incarnent tous les récits romanesques ayant une résonance picaresque. C'est l'un des fondements de l'esthétisation du picaro. Car ce-dernier, étant un être gueux, vil et vagabond va devra mener une aventure au bout de l'abjection avant d'atteindre une ascension sociale fulgurante.

Par ailleurs, Daniel Marcheix (1972 : 97) déclare :

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La première chose qui frappe lorsqu'on lit un roman picaresque, c'est la mobilité du héros. Cette errance est d'abord géographique d'où la multiplicité des espaces.

C'est le cas lorsqu'on lit les ouvrages qui constituent notre corpus. Aventuriers, les deux picaros de notre corpus vont devoir mener une existence de déplacement constant. Allant d'une ville à une autre, d'un pays à un autre, d'un lieu à un autre, ils vont devoir affronter toutes les difficultés d'une vie oisive avant d'atteindre leur objet de quête. Ceci dit, avec Gil blas, on voit comment il passe par tous les lieux de l'Espagne à la quête d'une bonne condition, de la fortune. Les différents extraits qui suivent nous le montre aussi bien.

Me voilà donc hors d'Oviédo, sur le chemin de Peñaflor, au milieu de la campagne, maître de mes actions, d'une mauvaise mule et de quarante bons ducats, sans compter quelques réaux que j'avais volés à mon très honoré oncle. La première chose que je fis fut de laisser ma mule aller à discrétion, c'est-à-dire au petit pas. Je lui mis la bride sur le cou, et, tirant de ma poche mes ducats, je commençai à les compter et recompter dans mon chapeau. Je n'étais pas maître de ma joie. Je n'avais jamais vu autant d'argent. (LGBS, 7).

J'achetai aussi des bottines, avec une valise pour serrer mon linge et mes ducats. Ensuite, je satisfis mon hôte, et, le jour suivant, je partis de Burgos avant l'aurore pour aller à Madrid. (LGBS, 59).

Nous couchâmes à Dueñas la première journée, et nous arrivâmes la seconde à Valladolid, sur les quatre heures après midi. Nous descendîmes à une hôtellerie qui me parut devoir être une des meilleures de la ville. Je laissai le soin des mules à mon valet, et montai dans une chambre ou je fis porter ma valise par un garçon du logis. (LGBS, 60).

Je marchais fort vite et regardais de temps en temps derrière moi, pour voir si ce redoutable Biscayen ne suivait point mes pas. J'avais l'imagination si remplie de cet homme-là, que je prenais pour lui tous les arbres et les buissons. Je sentais à tout moment mon coeur tressaillir d'effroi. Je me rassurai pourtant après avoir fait une bonne lieue, et je continuai plus doucement mon chemin vers Madrid, où je me proposais d'aller. Je quittais sans peine le séjour de Valladolid ; tout mon regret était de me séparer de Fabrice, mon cher Pylade, à qui je n'avais pu même faire mes adieux. (LGBS, 103)

Ces différents extraits sont en fait une série d'aventure que vit Gil Blas. Sa vie est faite de voyage et déplacements divers. Il va à la découverte du monde, à la recherche d'une nouvelle condition. Il quitte Oviedo, pour aller à Salamanque, voulant s'inscrire à l'université mais le destin en décide autrement. Il est dérouté par des rencontres inattendues qui lui feront changer de condition. Il mène une vie oisive. On note dans une certaine mesure la recherche de soi, hors mis la recherche du bien-être. Il est en quête d'une identité propre. Il traverse tour à tour Salamanque, Oviedo, Burgos, Valladolid et Madrid.

Le même scénario s'observe aussi chez Le Clézio avec le personnage de Fintan. Le héros Le clézien quitte la France au bord du navire Surabaya en compagnie de Maou, sa mère, pour

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aller découvrir l'autre bout du monde, l'Afrique. C'est le début d'une nouvelle aventure pour Fintan :

Le Surabaya, un navire de cinq mille trois cents tonneaux, déjà vieux, de la Holland Africa Line, venait de quitter les eaux sales de l'estuaire de la Gironde et faisait route vers la côte Ouest de l'Afrique, et Fintan regardait sa mère comme si c'était la première fois. [...] c'était la fin d'un après-midi, la lumière du soleil éclairait les cheveux foncés aux reflets dorés, la ligne du profil, le front haut bombé formant un angle abrupt avec le nez, le contour des lèvres, le menton. (Onitsha, 13)

La découverte des côtes africaines et la rencontre avec les misères de l'Afrique se revendique être pour lui un moment de tourment et de désarroi. Il va à la découverte d'un monde jusque-là perçu comme le symbole des fantasmes de romans d'aventure que lui contait Maou, sa mère.

A l'aube, quand personne n'était encore levé, Fintan était déjà sur le pont pour voir l'Afrique. Il y avait des vols d'oiseaux très petits, brillants comme du fer blanc, qui bousculaient dans le ciel en lançant des cris perçants, et ces cris de la terre faisaient battre le coeur de Fintan, comme une impatience, comme si la journée qui commençait allait être pleines de merveilles, dans le genre d'un conte qui se prépare. [...] M. Botrou racontait que c'était là, qu'autrefois étaient enfermés les esclaves, avant de partir pour l'Amérique, pour la mer des Indes. L'Afrique que résonnait de ces noms que Fintan répétait à voix basse, une litanie, comme si en les disant il pouvait saisir leurs secrets, la raison même du mouvement du navire avançant sur la mer en écartant son sillage. (Onitsha, 34-35)

Son voyage en Afrique est une aventure faite de découvertes, d'émotions et de rencontres. Il découvre une Afrique plus déplorable que jamais. Il traverse Dakar et les autres villes du golfe de Guinée avant d'arriver à Onitsha. L'Afrique est pour lui une terre de découverte. La ville d'Onitsha et son administration coloniale tatoueront à jamais la vie de Fintan.

A travers ces deux textes, nous constatons que le voyage est l'un des thématiques guidant un roman fleuri d'écho picaresque. Puisqu'en réalité comme le mentionne Cécile Bertin-Elisabeth (2011 : 38) :

L'errance géographique transcrit l'errance intérieure et, en fin de compte, le picaro n'échappe pas à un entre-deux, entre marges et frontières. S'impose une pensée du milieu, allant du non-lieu atopique au non-lieu utopique, acceptable. Les déformations sociales s'y notent avec force pour un picaro dont les aspirations utopiques créent un monstre social.

En effet pour cet auteur, l'errance conduit vers l'ailleurs, lequel est doté d'une dimension de rêve en une aspiration à un autre lieu. Soit un jeu de va-et-vient propre à un imaginaire de l'ailleurs qui joue de la réversibilité entre deux pôles et vise à l'ébranlement. Ce désir d'ailleurs se fonde contre l'Autre tout en y faisant exister sa propre altérité. Ceci dit, l'errance

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géographique s'ouvre vers une quête de filiation16. Les deux personnages sont à la recherche de leur identité. Ils veulent recouvrir une identité nouvelle ou celle perdue à la naissance.

Gil Blas erre d'un lieu à un autre et multiplie des petits métiers, toujours à la recherche d'une nouvelle condition. Il ne souhaite qu'une chose, faire fortune par tous les moyens afin de retrouver son statut de bourgeois perdu dès son départ d'Oviedo.

C'est aussi le cas chez Le Clézio, Fintan se cherche dans un monde perdu, il veut retrouver son identité perdue à la naissance. Il veut trouver l'amour d'un père, d'une mère ou du moins une famille normale. Geoffrey n'est pas ce père-là, il le veut autrement, plus compréhensif, plus doux. Il veut un monde de bonheur. C'est pourquoi, confronté aux inconvénients de l'impérialisme, au pouvoir exacerbé que le Blanc exerce sur le Noir, il devient très vulnérable. Sa quête est non seulement de trouver une famille réelle mais également si possible, de remédier à la condition des colonisés.

En définitive, nous constatons à travers ces différents éléments liées à la matière picaresque à travers un discours révélateur des personnages marginaux et décadents, que notre corpus est bel et bien traversé par l'esthétique picaresque. On a affaire à des héros qui, de par leur propre expérience quotidienne tachetée d'aventures marginales, se déplacent perpétuellement pour montrer la misère que vit le bas social.

16 C'est un lien qui rattache juridiquement un enfant à chacun de ses parents

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CHAPITRE 2 : LA SATIRE SOCIALE : UNE FORME MARXISTE DU
PICARESQUE

1. Le bas social et sa représentation

Dans notre corpus, le bas social renvoie à la couche ou classe sociale vulnérable, à celle qui subit les actions et réactions de la haute classe. Le bas social dans nos ouvrages est celui qui est le plus frappé par la misère urbaine et rurale et qui, pour vivre, est cependant obligé d'user de la ruse pour avoir de quoi subsister.

1.1 Le bas social dans l'histoire de Gil Blas de Santillane et Onitsha

Chez Lesage, cette classe est représentée par le Tiers-Etats. Ces derniers sont des illettrés et n'ont rien en commun avec la noblesse encore moins avec la bourgeoisie. La plupart des enfants issus de cette classe occupe généralement les postes de valet de chambre ou d'autres sous métiers dans une maison bourgeoise pour faire face à la misère qui se réclame être leur quotidien. Gil Blas représente ici cette classe. A travers des péripéties et des aventures à la fois pittoresques et rocambolesques Gil Blas va à la poursuite du bonheur. Il utilise tous les moyens circonstanciels que lui offre son quotidien pour accéder à la satisfaction.

Par contre, Le clézio quant à lui présente une société coloniale africaine dans laquelle on dénombre des maux sociaux qui font obstacle à l'épanouissement du Noir. Les Noirs se représentent comme le bas social, une race inférieure à la race des colons blancs. Le Noir est le symbole de la barbarie et par conséquent est apte à exercer les métiers dévalorisants dans son propre territoire gouvernée par le Blanc. Tout comme les paysans de Lesage, les Noirs constituent la masse ouvrière chez Le Clézio. Le bas social travaille hardiment pour satisfaire la haute hiérarchie qui exerce un pouvoir incontestable et incorruptible sur lui. Ce sont les marginaux de la société, les pauvres. Ils sont tous dépossédés de leurs biens.

Lesage et Le Clézio composent un décor original du bas social pour les aventures de leurs personnages en empruntant à des mémoires ou à des récits de voyageurs des éléments de couleurs locales. Ces auteurs peignent avec soin les détails du mobilier, de l'habillement et décrivent avec précision le milieu social. Ainsi les aventures des héros servent de prétexte à ces auteurs pour introduire le lecteur dans des milieux qu'il connaît plus ou moins directement : grande et petite noblesse, haut et bas du clergé, bourgeois, valets, aventuriers. Chez Lesage toute la société française se trouve ainsi censurée avec légèreté par un observateur au regard

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impitoyable. L'écriture leclézienne rejoint celle de Lesage lorsqu'avec un style dépouillé, alerte, imagé, il contribue à créer une atmosphère de vie. Puisqu'en fin de compte :

L'avènement d'une esthétique nouvelle, dont l'idéal est, non plus la vérité générale et permanente des caractères, mais la vérité individuelle et singulière des moeurs et des conditions (Catex et al., 1974 : 386).

Le bas social manque de moyens de subsistance. La représentation de cette classe - par Gil Blas chez Lesage, Maou chez Le Clézio - montre les mauvaises conditions et l'état de misère physique et psychologique dont sont victimes les noirs. La déchéance de la basse classe est illustrée par le pouvoir que la haute classe exerce sur eux. De ce faire, c'est ici que les héros interviennent car ils sont comme le dit Souiller (1980) : « le personnage révélateur d'un pays en décadence » (14). Par le biais de leurs aventures, ils se promènent tout au long de la société comme un miroir pour étaler au grand jour les vices que le Bas social est obligé de faire face pour survivre. Néanmoins, la noblesse ou haute hiérarchie sociale est la cause de la déchéance du bas social dans l'une comme dans l'autre de ces deux textes.

Le héros lesagien étale au grand jour, au fil de ces aventures, la position du bas social face à la richesse amassée par les hommes de la cour et par le roi lui-même : toujours être le second en tout domaine, être occupé à faire des tâches les plus difficiles qu'ils soient, être valet ou assistant auprès de tel courtisan ou tel bourgeois. Le picaro s'abandonne aux miettes et surtout à des sous métiers. Dans Onitsha, les différentes escales faites dans les villes africaines - Dakar, Goré, Lomé, Cotonou, Accra, Lagos ou encore Lomé (Onitsha, 37-45) - sur le Surabaya17 ont permis à Maou et à Fintan de découvrir le bas social de ces villes et leur déchéance sous le joug colonial. Des villes sombrées dans un état d'insalubrité et de misères urbaines où des « fonctionnaires » noirs portant des costumes ou des redingotes ridicules, font découvrir leur physique sous-alimenté (Onitsha, 37). Par contre l'administrateur colonial est à l'apogée du bien-être, dans des conditions décentes tout en amassant le plus grand bien réservé aux africains.

1.2 Les moeurs du bas social

La peinture du bas social reste immanente dans les ouvrages constituant notre présent corpus. Cette peinture s'observe à travers le thème de la raillerie bien récurrent dans les textes. Les auteurs partagent une même idéologie celle d'étaler au grand jour les misères des hommes de

17 Surabaya est le nom du navire sur lequel Maou et Fintan ont embarqué de la France pour les côtes africaines.

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basses extractions. Néanmoins les auteurs usent d'une stratégie commune pour manifester ce désir. Alors la raillerie se réclame à travers le corpus, l'esthétique de la peinture sociale.

Cependant il faut noter que « railler », c'est tourner en dérision ou se moquer de quelqu'un ou de quelque chose. C'est l'action de tourner en ridicule avec quelque acerbité. C'est une forme d'ironie qui permet à celui qui l'emploie de rester trivial lors de la représentation acerbe d'une vérité. La raillerie est donc l'essentiel du ton satirique. C'est pourquoi La Rochefoucauld (1868 : 328) trouve que :

La raillerie est un air de gaieté qui remplit l'imagination, et qui lui fait voir en ridicule les objets qui se présentent ; l'humeur y mêle plus ou moins de douceur ou d'âpreté.

Dans l'histoire de Gil Blas de Santillane tout comme dans Onitsha, Lesage et Le Clézio utilisent cette figure de style pour mettre en exergue l'absurdité de l'existence des héros picaros. Certes le but principal de cette écriture est d'ironiser et de se moquer des caractères de la haute hiérarchie sociale, mais il faut noter que la raillerie ici marque la prise de position des auteurs à l'action des instances sociales déstabilisant la vie du bas social. Ainsi c'est une critique virulente qu'usent respectivement Lesage et Le Clézio pour peindre les malheurs du bas social.

Dans l'histoire de Gil blas de santillane, Lesage relève plusieurs éléments caricaturaux exprimés par le biais de la raillerie et l'humour noir. Le chapitre consacré à l'engagement de Gil Blas au service du Docteur Sangrado à Vallodid montre comment même dans les plus délicats des métiers, il y a de la tromperie et de la ruse pour ruiner le bas social. Le mal est partout. Ce fameux docteur tuant ses patients à force de les faire saigner confère à Gil Blas le pouvoir d'être le « médécin » du bas social, sachant bel et bien que Gil Blas n'a aucune expérience dans ce domaine. Il n'a jamais exercé ce métier :

Tandis que j'aurai soin de la noblesse et du clergé, tu iras pour moi dans les maisons du tiers-état où l'on m'appellera ; et, lorsque tu auras travaillé quelque temps, je te ferai agréger à notre corps. [...] Je remerciai le docteur de m'avoir si promptement rendu capable de lui servir de substitut ; et pour reconnaître les bontés qu'il avait pour moi, je l'assurai que je suivrais toute ma vie ses opinions, quand même elles seraient contraires à celles d'Hippocrate. (LGBS, 87)

Lesage met en exergue ici un imaginaire social commun ; celui de la recherche du profit et du gain même dans des conditions les plus défavorables. Le docteur Sangrado donne soin à Gil Blas de soigner le bas social et pourtant il n'a pas les compétences professionnelles pour exercer la médecine. Le ton satirique qu'emploie Lesage permet de dévoiler au grand jour

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comment le bas social est à la merci de la noblesse. Il est négligé, par contre la noblesse et le clergé s'octroient des privilèges.

Dans Onitsha, la raillerie s'exprime à travers les descriptions et les crises de révolte de Maou face à la maltraitance du Noir par Gérard Simpson. On découvre la souffrance du Noir :

Les travailleurs noirs étaient des prisonniers que Simpson avait obtenus du résident de Rally, parce qu'il n'avait pu trouver personne d'autre, ou parce que qu'il ne voulait pas les payer. Ils arrivaient en même temps que les invités, attachés à une longue chaîne reliée par des anneaux à leur chéville gauche et pour ne pas tomber, ils devaient marcher du même pas, comme à la parade. Maou [...] regardait avec étonnement ces hommes enchaînés qui traversaient le jardin [...] les anneaux de leurs chevilles tiraient la chaîne, à gauche, à gauche. [...] leurs visages étaient lissés par la fatigue et la souffrance. (Onitsha, 83-84)

Le Clézio nous fait découvrir, par le biais de cette description satirique, les paradoxes de la colonisation. Ainsi l'esclavage est décrié et l'attitude du colon est tournée en dérision dans la mesure où celui-ci ne peut imaginer la souffrance du Noir. Le manque de bon sens et la bêtise de la grandeur devient le pôle de la critique le clézienne.

2. Le dévoilement des structures sociales aliénantes

Par extension, si dévoiler c'est rendre public ce qui est mystère, ce qui est caché, ce qui ne doit pas être découvert parce que cette découverte montrera la noirceur de l'esprit humain, du monde dans lequel l'individu réside, on peut comprendre que le dévoilement renvoie sans aucun doute à la notion de satire. Dévoiler est l'expression physique de la satire. Pour ce fait, le dévoilement se veut subversion et dénonciation des vices de la société. Cette idée du dévoilement, découlant de l'esprit polémique fonctionne sur le ridicule. Elle se moque de ce qu'elle blâme sans opposition. En employant les procédés à l'instar de l'humour ou encore l'ironie, le dévoilement fonctionne comme jugement et critique de par son côté très grinçant. A la fois didactique et pédagogique selon Kokou, le devoilement se sert de l'ironie pour montrer du doigt les comportements humains surtout dans ce qu'ils ont de travers et de raideur.

Dès lors, on comprend pourquoi Alain-Réné Lesage déclare au début de son texte : « J'en fais un aveu public : je ne me suis proposé que de représenter la vie des hommes telle qu'elle est »18 (4). Ce qui découle d'une telle affirmation nous donne une idée concrète de l'écriture de Lesage, celle de dévoiler de façon complète les profondeurs des structures sociales. On note un engagement pour une cause humanitaire se voulant bénéfique pour établir un climat de

18 Ceci est cité à la préface de l'histoire de Gil Blas de Santillane, Rubrique «déclaration de l'auteur » que Lesage l'affirme.

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justice entre les hommes. Lesage tout comme Le Clézio ne veulent plus se taire devant le mal causé par la division inégale de la société. Cette inégalité se réclame être le quotidien des personnes de basse classe et de mauvaises conditions dans la mesure où ces dernières se retrouvent réduites à néant face à l'opulence de la bourgeoisie.

L'histoire de Gil Blas de Santillane et Onitsha obéissent à un même degré d'intensité de dénonciation de la misère et de revendication de la place que doit occuper le picaro19 dans la société.

2.1.La critique des moeurs

Dans son roman, Lesage nous présente une société dans laquelle la vie se réglemente par la recherche exclusive de l'ascension sociale, celle d'atteindre le somment quel que soit le chemin emprunté. On a affaire à un quotidien qui obéit à ces illustres mots de Jean Paul Sartre (1954) « tous les moyens sont bons quand ils sont efficaces » (202) pour atteindre le sommet. Ainsi, l'aventure vécue par de Gil Blas avec le barbier Diégo montre autant de péripéties de souffrances dont le pauvre est obligé de vivre pour avoir accès à la fortune si bien entendu le destin lui permet de l'obtenir :

Pas fait deux cents pas, que je m'arrêtai pour visiter mon sac. J'eus envie de voir ce qu'il y avait dedans, et de connaître précisément ce que je possédais. Mon père m'apprit de très bonne heure à raser ; et, lorsqu'il me vit parvenu à l'âge de quinze ans, il me chargea les épaules de ce sac que vous voyez, me ceignit d'une longue épée et me dit : Va, Diego, tu es en état présentement de gagner ta vie ; va courir le pays. Tu as besoin de voyager pour te dégourdir et te perfectionner dans ton art. Pars, et ne reviens à Olmedo qu'après avoir fait le tour de l'Espagne. Que je n'entende point parler de toi avant ce temps-là ! En achevant ces paroles, il m'embrassa de bonne amitié, et me poussa hors du logis. [...] Je sortis donc ainsi d'Olmedo, et pris le chemin de Ségovie. Je n'eus trouvai une trousse où étaient deux rasoirs qui semblaient avoir rasé dix générations, tant ils étaient usés, avec une bandelette de cuir pour les repasser, et un morceau de savon (LGBS, 106)

Lesage utilise donc toutes ces figures empruntées chez La Bruyère ou encore chez ses contemporains tels que Marivaux, Diderot et Voltaire pour tourner en dérision l'image d'une société où le paraître et le costume sont privilégiés. Il procède au dévoilement des structures sociales en montrant le vrai visage d'une société fondée sur l'absurdité accordée à la classe sociale. La noblesse reste noble car elle use des moyens moins catholiques pour faire fortune. D'où la marginalisation du « bas social », la classe des paysans, de valets et serviteurs de grands maîtres imbus de leur statut social.

19 C'est-à-dire le pauvre, celui qui vient de la basse classe (tiers-état)

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Ce croquis de la représentation s'observe aussi également dans Onitsha. La question du dévoilement des instances sociales, le symbole de la dénonciation est sans doute l'élément principal auquel s'attache l'ouvrage de Le Clézio. Il s'agit ici d'un dévoilement direct car celui-ci s'observe à travers les différentes critiques virulentes dont Maou jette à l'endroit de ses confrères : les colons. La scène où les Noirs creusent la piscine de Gerald Simpson tout en étant enchaînés, la met dans un état colérique et ne pouvant retenir son empathie pour la cause humaine, elle déclare tout haut et à qui veut l'entendre l'injustice que l'on fait subir aux colonisés. Elle reste pourtant sûre d'elle que l'acte de la dénonciation, du refus de se taire devant un tel mal, un tel opprobre, apportera à coup sûr une nécessaire amélioration à la cause du colonisé car comme le dit Le Clézio :

C'était donc l'Afrique chargée de Douleur, cette odeur de sueur au fond des geôles, cette odeur de mort [...] Maou ressentait du dégoût, la honte. (Onitsha, 390)

Du jour au lendemain, l'arrivée de Maou s'est transformée en moment de désillusion, elle ne peut non plus supporter le culte du pouvoir et de la race bienfaitrice qu'on exerce sur le noir. JMG Le Clézio le mentionne d'ailleurs :

A Onitsha, elle avait trouvé cette société de fonctionnaires sentencieux et ennuyeux [...] à boire et à s'espionner, et leurs épouses, engoncées dans leurs principes respectables, comptant leurs sous et parlant durement à leurs boys, en attendant le billet de retour vers l'Angleterre. Elle avait pensé haïr à jamais ces rues poussiéreuses, ces quartiers pauvres avec leurs cabanes débordants d'enfants, ce peuple au regard impénétrable, et cette langue caricaturale, ce pidgin qui faisait tellement rire Gerald Simpson et les messieurs du club, pendant que les forçats creusaient le trou dans la colline, comme une tombe collective. [...] Personne ne trouvait grâce à ses yeux, pas même le docteur Charon, ou le résident Rally et sa femme, si gentils et si pâles, avec leurs roquets gâtés comme des enfants. (Onitsha, 168)

On remarque que cette tendance à dévoiler, à montrer la vraie couleur des choses dans une société corrompue où les valeurs humaines, les plus primaires, sont bafouées fait la particularité de cet extrait du roman de Lesage. De ce fait, Le Clézio et lui nous rendent compte effectivement des institutions sociales, de l'administration des sociétés ou encore les gouvernements piétinant la masse au profit de leur minorité aristocratique. La noblesse et la classe du colon sont ainsi la figure emblématique de la douleur du bas social dans nos romans. L'antihéroïsme est ici observable au premier plan dans la mesure où ces personnages principaux restent ultimement les victimes de cette démarche vers l'établissement d'une justice sociale qu'incarnent nos auteurs. Aucuns d'eux ne restent pourtant sourds aux plaintes, au désarroi et à la souffrance du bas social.

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La vie du bas social est aussi l'élément de dévoilement chez les auteurs. Chez Lesage, les pauvres ou encore les déshérités de la société sont des voleurs, arnaqueurs, des dupes ou encore bandits de grands chemins qui n'ont ni coeur ni loi. Ils agressent quiconque quel que soit son statut social. Ils le font généralement pour survivre car la société à laquelle ils appartiennent est vicieuse. Néanmoins on assiste à une sorte de dépravation du bas social, ces êtres sont facétieux, vils et très malins. La preuve est que Gil Blas a passé sa plus grande période de jeunesse, après son départ de son village et les circonstances rocambolesques de sa survie, à s'identifier à ce type de personnage qui est prêt à tout pour faire fortune. Il a été victime de l'oppression de l'homme et en retour il refait la même chose à d'autres personnes pour améliorer sa condition de vie. Le chapitre consacré à l'exercice de la médecine à Valladolid chez le docteur Sangrado en est une preuve siné qua non. Ainsi Gil Blas se retrouve dans le corps d'Hippocrate20, trompant et participant à la mort de certaines personnes

:

Tandis que j'aurai soin de la noblesse et du clergé, tu iras pour moi dans les maisons du tiers-état où l'on m'appellera ; et, lorsque tu auras travaillé quelque temps, je te ferai agréger à notre corps. Tu es savant, Gil Blas, avant que d'être médecin ; au lieu que les autres sont longtemps médecins, et la plupart toute leur vie, avant que d'être savants. Je remerciai le docteur de m'avoir si promptement rendu capable de lui servir de substitut ; et pour reconnaître les bontés qu'il avait pour moi, je l'assurai que je suivrais toute ma vie ses opinions, quand même elles seraient contraires à celles d'Hippocrate. Cette assurance pourtant n'était pas tout à fait sincère, Je désapprouvais son sentiment sur l'eau, et je me proposais de boire du vin tous les jours en allant voir mes malades. [...] J'entrai ensuite chez un pâtissier à qui la goutte faisait pousser de grands cris. Je ne ménageai pas plus son sang que celui de l'alguazil, et je ne lui défendis point la boisson. Je reçus douze réaux pour mes ordonnances ; ce qui me fit prendre tant de goût à la profession. [...] Je visitai plusieurs malades que j'avais inscrits, et je les traitai tous de la même manière, bien qu'ils eussent des maux différents (LGBS, 86-87, 89)

A partir de cet extrait, on note une société qui n'a aucune valeur morale où le légal est ravalé au second plan et où pour avoir accès au pain quotidien, on doit se réclamer ingénieux et avoir du tact pour ne pas faillir à la misère. Dans ce contexte, la question de dignité ne donne pas à manger ni de quoi se vêtir.

Dans Onitsha, Le Clézio nous présente le bas social qui participe indirectement à son aliénation à cause de leur passivité. Etant une population soumise au contexte de la colonisation - parce que l'homme blanc apporte la lumière - face à la technicité et au progrès que les Occidentaux exercent physiquement et spirituellement sur eux, ces derniers ne pouvant également protester contre une telle autorité, se plient délibérément à la torture que

20 En référence ici au serment d'Hippocrate du corps médical. Les médecins prêtent serment d'Hippocrate pour exercer la médecine.

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leur infligent leurs maîtres. A coup de fouets et de bâtons, l'homme colonisé d'Onitsha reste docile aux doléances occidentales car :

Les travailleurs noirs étaient des prisonniers que Simpson avait obtenus du résident Rally, [...] parce qu'il ne voulait pas les payer. Ils [étaient] attachés à une longue chaîne reliée par des anneaux à leur cheville gauche. (Onitsha, 83)

A partir de cet extrait on note que Le Clézio étale au grand jour la souffrance et la maltraitance que subissent les prisonniers noirs. Ils sont transformés en esclaves. Ils sont humiliés, leurs droits sont bafoués. Ceci traduit l'expression concrète du dévoilement qu'anime Le clézio, le désir de mettre en lumière les insanités causées par la division des classes et de l'exploitation de l'homme par l'homme.

Ceci dit, nous constatons tout compte fait que les ouvrages de notre corpus s'identifient d'une manière concrète à un dévoilement cru, à la découverte des structures sociales à laquelle nos différents héros y prennent part de façon directe ou indirecte. La misère de la basse classe, l'opulence de la haute hiérarchie se sont constituées en éléments primordiaux d'un tel dévoilement. Et nos auteurs, à travers leurs différents protagonistes, ne cessent de laisser découvrir ce sentiment de révolte qui les anime.

2.2. Le masque comme identité

Commencer à s'interroger sur la notion de masque, à travers son historicité, se voit indispensable pour saisir l'orientation que nous voulons attribuer au masque comme une identité au regard des textes de notre corpus. Ceci dit, on note avec Marie-Claire Zimmermann (2013 : 7) que :

« Masque » surgit au XVIe siècle (1511), à partir de l'italien « maschera », issu du bas-latin « masca », lui-même originaire du radical prélatin « mask » [...] l'italien « maschera » dérive de l'arabe « màshara » qui signifie « bouffon » ou bouffonnerie, ce qui suppose un lien entre le masque et la dérision. On ne va pas manquer de retrouver ultérieurement des connotations péjoratives dans les mots ou expressions qui se prévaudront de l'existence du masque. Qu'est-ce donc qu'un masque ? [...] Il s'agit d'un objet rigide ou non, qui couvre le visage humain et qui représente lui-même une face humaine, animale ou imaginaire. [...] Puisque le masque recouvre le visage, c'est qu'il doit le cacher, le dérober à la vue et il est alors synonyme [...] de dehors trompeur, apparence, « pretexto », « disfraz ». Masquer implique la duperie, le camouflage, le mensonge.

On voit que le masque n'est en réalité qu'un objet de déguisement qui donne à son porteur une fausse apparence en recouvrant son visage ou son corps. Il sert, selon les lieux et les époques, à cacher, à frayer, à transformer, à faire apparaître, à communiquer avec l'au-delà. Il

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favorise aussi l'expression du corps. Ainsi, que ce soit le protagoniste ou les personnages secondaires dans les textes du corpus, tous portent un masque. Non pas un masque au sens dénotatif du terme, mais un masque découlant de l'image à laquelle tous ces personnages veulent renvoyer à la société. On comprend que les héros n'ont pas pour autant besoin de se parer de quelques vêtements que ce soit pour se dissimuler. Si on interpelle ces expressions essentielles à partir de l'extrait ci-dessus : « camouflage » « mensonge » « dehors trompeur » « cacher », on note une perpétuelle aventure de nos héros à user de leur attrait physique pour séduire les autres. Les protagonistes et antagonistes dans nos deux oeuvres montrent tous une image fausse d'eux et cela pour de multiples raisons.

Dans l'histoire de Gil Blas de Santillane, cette aventure du masque va crescendo. Gil blas se cache sous de multiples costumes tout au long de ses périples pour dissimuler son identité. Il devient tour à tour voleur de grand chemin, faux médecin et mauvais acteur dans le but de plaire, de quitter une bonne fois pour toute sa condition de sous homme que la société policée lui impose. Pour lui, le statut de bas social est pesant, et il doit user de tout son charme pour accéder à la haute classe. Le désir d'une ascension sociale fulgurante s'impose. Les actes et actions posés par Gil Blas peuvent dans une certaine mesure se justifier car ici on est dans une société en proie à de multiples discriminations. Une dichotomie qui marginalise le bas social, plus connu sous le nom du Tiers-état. La preuve est qu'il souhaite devenir une autre personne et supporte mal sa vie actuelle. Lors de ses retrouvailles avec son ancien compagnon Fabrice, Gil affirme :

Je vais convertir mon habit brodé en soutanelle, me rendre à Salamanque, et là, me rangeant sous les drapeaux de l'Université, remplir l'emploi de précepteur. Beau projet ! s'écria Fabrice ; l'agréable imagination ! Quelle folie de vouloir, à ton âge, te faire pédant ! Sais-tu bien, malheureux, à quoi tu t'engages en prenant ce parti ? Sitôt que tu seras placé, toute la maison t'observera. Tes moindres actions seront scrupuleusement examinées. Il faudra que tu te contraignes sans cesse. Que tu te pares d'un extérieur hypocrite, et paraisses posséder toutes les vertus. (LGBS, 68)

Dans ce fragment, nous notons que Fabrice déconseille à Gil Blas, de se déguiser pour séduire le haut social. Il faut comprendre que cette hypocrisie du masque, lui retombera en retour au-dessus car la noble classe, quand elle se rendra compte des fausses vertus de Gil Blas, elle le passera à coup sûr au crible d'un châtiment bien mérité. Compte tenu que la société est plutôt rude et intransigeante en ce qui concerne le vol de statut social.

Cette figure de masque ici représentée met en exergue un imaginaire social très prisé par les hommes. On se fait passer pour ce que l'on n'est pas afin de pouvoir accès aux privilèges

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d'une société fondée sur des lois discriminatoires, sur des lois établies par la haute classe défavorisant le bas social.

Les actions de Gil Blas peuvent donc être moralisées bien qu'elles soient préjudiciables. Mais par contre, Lesage lance un cri de moralisateur et décrie ici cette société où le paraitre joue un rôle important dans cette société du XVIIIe siècle dont il décrit avec véhémence et vivacité. Les costumes sont en réalité des masques et se revendiquent être le quotidien des chefs, des grands prêtes et les hauts courtisans nobles. Les titres de noblesse, duc-duchesse, comte-comtesse, marquis-marquise pour ne citer que ceux-ci sont autant de costumes qui poussent les protagonistes à être quelque chose d'autre que ce qu'ils sont en réalité et à se surestimer vis-à-vis des autres hommes. Ils se déguisent en seigneurs, en rois, en gestionnaires de biens publics.

Le masque et le paraître occupent donc une place prépondérante dans le roman de Lesage. On assiste au dévoilement. Ce dévoilement devient sujet à l'autonomie, à la liberté mais une liberté sous-entendue. L'idée de la liberté, de se faire respecter, de devenir quelqu'un d'important dans une société en proie aux multiples aléas de la vie reste ce qui dirige le quotidien dans cette société française. Alors Lesage s'approprie cette façon de voir les choses et la maintient comme l'un des éléments poussés d'une esthétique littéraire. Cette usage du masque montre de manière virulente l'esprit d'une société où le paraitre s'est installé de manière inconditionnelle, et continue de se faire honneur. Elle devient un fait social et s'appréhende dans une certaine mesure comme une identité chez les personnages de Lesage. Le masque est devenu le symbole de tricheries et de duperies des personnages. Les femmes tout comme les hommes en usent davantage sous leurs costumes où personne ne peut rien soupçonner. On observe cette dénonciation du masque comme dans les chapitres : « Quel parti prit Gil Blas après l'aventure de l'hôtel garni » et « Gil Blas continue à exercer la médecine avec autant de succès que de capacité, Aventure de la bague retrouvée » :

Pour éclaircir mes soupçons, j'ouvris la porte de ma chambre, et j'appelai l'hypocrite à plusieurs reprises. Il vint à ma voix un vieillard qui me dit : Que souhaitez-vous, seigneur ! Tous vos gens sont sortis de ma maison avant le jour. Comment, de votre maison ? M'écriai-je : est-ce que je ne suis pas ici chez don Raphaël ? Je ne sais ce que c'est que ce cavalier, dit-il. Vous êtes dans un hôtel garni, et j'en suis l'hôte. Hier au soir, une heure avant votre arrivée, la dame qui a soupé avec vous vint ici et arrêta cet appartement pour un grand seigneur, disait-elle, qui voyage incognito. Elle m'a même payé d'avance. Je fus alors au fait. Je sus ce que je devais penser de Camille et de don Raphaël ; et je compris que mon valet, ayant une entière connaissance de mes affaires, m'avait vendu à ces fourbes. (LGBS, 64).

Camille, toute malade qu'elle était, s'apercevant que deux archers à grandes moustaches se préparaient à la tirer de son lit par force, se mit d'elle-même sur son

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séant, joignit les mains d'une manière suppliante, et me regardant avec des yeux où la frayeur était peinte : seigneur Gil Blas, me dit-elle, ayez pitié de moi. Je vous en conjure par chaste mère à qui vous devez le jour. Quoique je sois très coupable, je suis encore plus malheureuse. Je vais vous rendre votre diamant, et ne me perdez point. En parlant de cette sorte, elle tira de son doigt ma bague, et me la donna. (LGBS, 95)

Dupé par Camille et Don Raphaël à Valladolid, ces derniers se prenant pour des riches propriétaires d'un château, Gil Blas décide de se venger de Camille lors de leur rencontre à Madrid. Dans ces deux fragments, on constate également que le masque occupe une place indéniable dans le roman de Lesage. Le bas social survit grâce aux techniques de masque. Cette technique n'est autre que l'usurpation de l'identité ; les différents protagonistes se font passer pour ce qu'ils ne sont pas. Ils s'octroient de fausses identités dans le but de duper des gens, de les extorquer de l'argent à partir des moyens qui se présentent à eux. Ces peuples de basse extraction ne sont entre autre que le tiers-état. Marginalisés, abandonnés à eux-mêmes, n'ayant aucunement été suivis par des précepteurs intellectuels, ils restent ingénieux et déterminés à quitter la condition miséreuse de vie que leur impose la haute classe.

Dans Onitsha, cette veine satirique pour la dénonciation du masque que portent les personnages le cléziens est remarquable comme chez Lesage. Même si ici ce sont les antagonistes qui se parent régulièrement des masques dans le but de tromper le bas social, c'est-à-dire les noirs. La preuve reste flagrante quand il s'agit d'analyser les actions des hommes d'United Africa ou ceux du Divisional Office auxquels Geoffrey, en fait partie. De ce fait, la question du masque fait l'apanage du roman de Le Clézio à travers ses personnages à l'instar :

On assiste à des personnages :

Fintan

C'est le personnage-narrateur du récit. Le masque porté par Fintan est beaucoup plus représenté dans le récit. Enfant lors de son voyage en Afrique, il partage les convictions que Maou, sa mère, revendique une société de justice. Ami de Bony, le jeune Noir, il est fatigué d'être considéré comme le bouc émissaire des malheurs des Noirs. Il est parfois dénigré par certains parents Noirs et rejeté par les garçons de son âge. Alors Fintan en veut à son père colon, il déteste Geoffrey et il le considère parfois comme le responsable de toutes les tribulations qui sont survenues dans leur vie depuis leur arrivée à Onitsha. On voit ici qu'il y a entre Fintan et Geoffrey un conflit permanent. D'où la reconnaissance du mythe oedipien. A la fin du récit, il raconte sa peine africaine. Ce regard qu'il a eu de l'Afrique. Mais, il ne pouvait

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rien faire pour remédier à cette situation car qu'il le veuille ou pas, il était colon dans tous les sens du terme du simple fait de sa couleur de peau. Ce masque, il le portera toujours et s'en voudra d'avoir toujours participé à une mascarade organisée par sa propre race.

Maou

Elle est considérée comme l'un des personnages le plus important du texte de Le Clézio. Elle est marquée par le masque qu'elle porte. Elle devrait normalement dans certains contextes supporter la stricte puissance du Blanc sur le Noir. Mais elle refuse catégoriquement de prendre part à l'injustice qu'exercent ses compatriotes à Onitsha. Sa moralité ne lui permet pas de procéder de cette façon. Ici sa peau blanche devient une sorte de masque dont elle se sert pour se rapprocher de la race blanche, essayant tant bien qu'elle peut de les caricaturer, de les moraliser. Sa peau est également symbole de masque en ce sens qu'elle revendique la cause des noirs. La chose curieuse que l'on note ici est de voir finalement une femme de race blanche ayant aussi une humanité. Elle se révolte contre le traitement qu'on inflige aux Noirs et revendique leur condition. Sa peau devient un symbole d'affirmation et de moralisation car elle démontre que certains Blancs ne sont pas d'accord avec les pratiques de la barbarie coloniale.

Geoffrey

Qu'il le veuille ou non, Geoffrey a contribué à anéantir la vie des habitants d'Onitsha. Envoyé en Afrique pour perpétuer l'administration coloniale, il accepte de jouer le rôle par souci de patriotisme pour son pays, l'Angleterre. Le masque que porte Geoffrey est plutôt très lourd à assumer, mais il ne peut pas reculer. Puisqu'il a choisi ce rôle, il devra l'assumer jusqu'au bout. Son impartialité, sa désinvolture prouvent qu'il n'a pas toujours été d'accord avec les décisions prises par l'UNITED AFRICA. Mais, il ne peut rien, il rêve toujours de cette belle « Oro » avec lui dans les rives du Nil. Il doit porter ce masque d'hypocrisie, et choisit de dissimuler ses ressentis pour ne pas être considérés comme le traitre.

Gerald Simpson

Ce personnage mythique et « odieux » (Onitsha, 54) dans les écrits de Le Clézio est le symbole de l'identification de la race blanche, paré de mauvaises intentions en vertu de l'Afrique. Exigeant, capitaliste et colon dans toute la splendeur du terme, Gerald Simpson est la figure emblématique du colonialisme. Sa seule motivation réside dans le fait de piller l'Afrique de toutes ses ressources naturelles, de ses valeureux hommes. Par ailleurs, il

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constitue un frein à l'épanouissement de Maou, de Fintan et des africains placés sous son joug. Ici, Le Clézio fait la caricature de ce personnage et de tous ceux de près ou de loin qui s'y rapportent. Il dénonce l'hypocrisie coloniale faisant croire à l'Afrique, à une vie plus occidentale que jamais. Simpson, le D.O de l'United AFRICA, utilise toute sa suprématie désobligeante pour marginaliser le bas social, et bien entendu tous ceux qui sont sous ses ordres. Avec son esprit machiavélique, il mène la vie difficile aux colonisés et à tous ceux qui s'opposent à ses idées farouches et inhumaines. Sa capuche d'homme moralisateur et constructeur n'est rien qu'un tissu de mensonge et Maou sera la première à s'y opposer de façon brutale. Le Clézio fait tomber le masque de Simpson et par extension de tous les colons ayant pillé l'Afrique jusqu'à ses extrémités. A travers ce personnage, Onitsha démasque l'idée préconçue par les occidentaux de la colonisation, comme selon laquelle, ils seraient venus en Afrique dans l'espoir d'apporter un peu de civilisation aux hommes du continent Noir. Le Clézio dénonce la triste réalité des hommes d'une Afrique martyrisée par les travaux les plus avilissants : Dockers, Creuseurs de Puits, boys à tous faire, jardiniers, etc.

Hayling, Sabine Rhodes, le Colonel Metcalfe et sa femme Rosalind et les autres officiers anglais de L'UNITED AFRICA

Ces personnages portent le masque du colon. Ce sont les officiers de l'administration Anglaise envoyés à Onitsha pour superviser la colonie. Ce sont les collaborateurs du D.O. ils sont bien organisé ; chacun à une tâche spécifique dans la colonie. Dès lors, ils mettent en exergue tous les moyens nécessaires pour empêcher les Noirs de constituer un obstacle à leur séjour de pacha en Afrique. Ils maintiennent d'une part l'idée de la suprématie de la race du colon sur le Noir. Néanmoins, ils vivent dans des quartiers huppés et continuent à perpétrer l'idée de la séparation des classes.

3. La division sociale : le conflit des classes

Le conflit est un élément rapprochant les deux textes du corpus. Il se réclame être l'élément qui centralise l'univers de Lesage et celui de Le Clézio. Dans ces romans, on dénote une cruelle opposition entre la haute classe noble et riche et le bas peuple, pauvre et misérable. Chez Lesage, la figure de picaro qu'incarne Gil Blas, être vil de basse extraction, souhaite d'ordinaire accéder à la haute classe. L'idée de l'ascension sociale laisse découvrir le conflit existant entre le tiers-état et la noblesse. Cette dichotomie sociale s'initie également chez Le Clézio avec le climat conflictuel qu'on observe entre les colons blancs et les noirs réduits à l'esclavage et aux travaux forcés.

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3.1. La Cour contre le Tiers-état dans l'histoire de Gil Blas de Santillane

Dans l'Histoire de Gil Blas de Santillane, la cour est représentée par les hommes nobles, les fortunés. Ce sont des ministres de l'église, de l'état et tous les hommes d'une manière ou d'une autre gagnant leur vie en exécutant les multiples tâches de l'administration. Appelés les courtisans, ses comptes et ses comtesses, ses barons et ses baronnes, ses ducs et ses duchesses vivent de fortunes colossales généralement obtenues grâce aux efforts physiques des hommes dits de « mauvaises conditions ». Ces hommes de « mauvaises conditions » ne sont entre autre que l'ensemble de personnes - soldats, paysans, valets et précepteurs - que compose le Tiers-Etat. Ce dernier travaille de manière rude pour satisfaire les honneurs de la haute classe noble. Gil Blas, Fabrice, Diégo pour ne citer que ceux-ci représentent ce Tiers-état. Ils occupent des fonctions les unes aux autres en gardant le même statut : usurier, valet, assistant. Le Tiers-état occupe les postes de secondes catégories. Ils travaillent pour leurs maîtres et font tout pour leur plaire malgré les conditions de travail fréquemment rudes.

La cour s'identifie à la société des maitres, de ceux qui commandent, des opulents. C'est la noblesse, c'est le clergé, ils ne travaillent pas mais emploient des serviteurs. Les lois érigées sont en leur faveur. Ainsi ils se représentent comme la classe marginalisant. Le Tiers-Etat est la classe marginalisée car ils sont sous les ordres du maitre. Ils doivent en général faire des besognes les plus immorales et se tapissent comme les marchepieds des opulents. Tandis que ces hommes nobles s'enrichissent de jour en jour, les pauvres se défigurent et s'appauvrissent quotidiennement.

En revanche, le conflit installé entre les hommes de la cour et le Tiers-Etat réside chez Lesage sur le fait que les deux classes désirent une seule chose. Le maître veut rester maître toute sa vie, rester riche pour toujours car la noblesse est héréditaire. Le pauvre pour sa part, souhaite devenir riche, souhaite changer sa condition voire même de statut social. Pour cela, ce pauvre use de tous les moyens pour y parvenir. Il va devoir être vil, malicieux et surtout ingénieux pour accéder à la haute classe. Le héros lesagien se réclame être ce type de personnage. La preuve, Gil Blas veut tout faire, occupe même les postes esclavagistes pour parvenir à un idéal précis, celui de devenir un courtisan. Lesage nous fait bien ce contraste entre le tiers-Etat et les hommes de la cour, à travers ce fragment de texte, décrivant la première ascension de Gil Blas vers les hautes marches de la société :

Il [le seigneur] me reçut d'un air gracieux, et me demanda si je m'accommodais du genre de vie des jeunes seigneurs. Je répondis qu'il était nouveau pour moi, mais que je ne désespérais pas de m'y accoutumer dans la suite. Je m'y accoutumai effectivement, et bientôt même. Je changeai d'humeur et d'esprit. De sage et posé

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que j'étais auparavant, je devins vif, étourdi, turlupin. Le valet de don Antonio me fit compliment sur ma métamorphose, et me dit que, pour être un illustre, il ne me manquait plus que d'avoir de bonnes fortunes. Il me représenta que c'était une chose absolument nécessaire pour achever un joli homme. [...] J'avais trop envie d'être un illustre, pour n'écouter pas ce conseil ; outre cela, je ne me sentais point de répugnance pour une intrigue amoureuse. Je formai donc le dessein de me travestir en jeune seigneur, pour aller chercher des aventures galantes. Je n'osai me déguiser dans notre hôtel, de peur que cela ne fût remarqué. Je pris un bel habillement complet dans la garde-robe de mon maître, et j'en fis un paquet que j'emportai chez un petit barbier de mes amis, où je jugeai que je pourrais m'habiller et me déshabiller commodément. (LGBS, 161-162)

Ce passage illustre bien le climat conflictuel qui existe entre les classes. Gil blas, homme de mauvaise condition, né et ayant acquis la maturité dans le bas social souhaite un instant soit peu porter le costume de la noblesse, endosser des traits de caractères du courtisan dont il n'est pas. Voilà ce qu'il fait. En se faisant considérer comme un jeune seigneur, il souhaite avoir accès à tous les avantages que vaut ce titre. On voit également à travers ce passage le caractère dupe de Gil Blas. Il représente ici le produit pur du tiers-état à travers ses habitudes et son comportement.

3.2. Colons Blancs face aux colonisés Noirs dans Onitsha

Les héros lécleziens rendent compte des inégalités causées par la colonisation anglaise et française en Afrique21 et au Nigéria, précisément à Onitsha. Le regard de l'Afrique par Maou et Fintan, semble devenu plus amère. L'Afrique au regard de la ville d'Onitsha n'est en réalité qu'un territoire de marginal. Les impressions admises auparavant avant sa découverte constituent un moment de chute libre pour nos protagonistes. Ce n'est plus ce lieu exotique et de beauté naturelle où l'air est conditionné dans son état le plus primitif. Mais cette rencontre concrète avec l'Afrique, plus décevante que jamais est un coup de poignard. Chez Fintan effectivement, « la conscience raciale, et la conscience de la séparation des espèces apparaissent dès son premier contact avec le monde colonial, sur le Surabaya. En même temps, c'est aussi pour lui le lieu des premières transgressions, et la naissance d'un trouble ressenti spontanément devant le sort des « noirs » (Moudileno, 2012 :66):

Il [Fintan] ne pouvait plus détacher son regard des noirs qui vivaient sur le pont de charge, à l'avant du navire. Dès l'aube, il courait pieds nus jusqu'au garde-corps, il calait ses pieds contre la paroi pour mieux voir par-dessus la lisse. Aux premiers coups sur la coque, il sentait son coeur battre plus vite comme si c'était une musique. (Onitsha, 43)

21 En référence ici aux différentes capitales des pays l'Afrique subsaharienne occidentale traversés par nos protagonistes (Maou et Fintan) : Gorée, Dakar, Abidjan, Accra, Cotonou, Lomé, etc.

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La découverte des colons, la souffrance des Noirs, la discrimination sociale, la misère des villes africaines au profit de l'enrichissement des pays occidentaux permettent à Maou tout comme à Fintan de prendre position par rapport à tous ces sacrifices. C'est l'horreur lorsque Maou et Fintan aperçoivent les côtes africaines sur le surabaya, la masse populeuse entassée sur un même lieu comme une termitière à la quête du bien-être. C'est un moment de désolation pour nos protagonistes. Ils se rendent compte que cette Afrique-là n'est pas celle qu'ils se sont imaginé. Ici tout est partagé ; les colons Blancs d'un côté et les Noirs d'un autre.

Dans Les Cahiers Le Clézio, Lydie Moudileno (2012 : 66) rend aussi bien compte de cette situation de la bipolarisation de la société dans son article et trouve effectivement que :

L'appareillage du Surabaya rend irrémédiable l'écartèlement entre deux côtés du monde et fait éclater les contradictions du désir entre Afrique et Occident, il dessine également les contours d'un espace singulier : la colonie. Sur le bateau en effet, la séparation entre les passagers européens et les Noirs est nette : les colons circulent dans les cabines et sur le pont-promenade, les Noirs sont cantonnés à l'avant du bateau, sur le «pont de charge». Métonymie de la colonie, le bateau confirme, comme Franz Fanon l'écrivait dans Les Damnés de la terre, que « le monde colonisé est un monde coupé en deux » régi par la différence raciale. « Ce monde compartimenté », expliquait Fanon, « ce monde coupé en deux est habité par des espèces différentes... Quand on aperçoit dans son immédiateté le contexte colonial, il est patent que ce qui morcelle le monde c'est d'abord le fait d'appartenir ou non à telle espèce, à telle race.

Ce qui est inquiétant est que toutes les villes accostées, avant le débarquement sur Onitsha, ont le même aspect tant physique que psychologique. Les mêmes souffrances se répètent d'une ville à une autre. Les habitants sont marginalisés sous le faix du statut d'homme colonisé dit homme non civilisé voire barbare.

Cependant, on remarque donc qu'Onitsha se réclame être une diatribe contre le colonialisme. Car comme l'affirme Catherine Kern (2004 : 93):

L'Occident est définitivement présenté sous un jour négatif. Fintan est réveillé la nuit par un chant lancinant qui sera sa première découverte de l'esclavage. Le discours social intervient à travers l'itinéraire du personnage-enfant, qui découvre ce monde en même temps que le lecteur. Le constat vient d'un occidental qui s'est désolidarisé des colons [...] L'écrivain se veut, à travers des récits qui retracent des parcours individuels ou plus rarement collectifs, un porte-parole de ces civilisations étouffées, envahies par l'Occident. L'écriture est alors chargée d'une double fonction, à la fois mémorielle (assurer une conservation de ces cultures éphémères) et revendicative.

De ce qui précède, on voit que l'écriture le clézienne ainsi revêt une forte dimension sociale et idéologique. Toutefois en revendiquant son identité culturelle liée à l'Afrique, cet auteur est sensible à la souffrance de l'Afrique face au despotisme du colonialisme blanc. Il s'engage, à travers ses différents personnages, à dénoncer les inégalités quotidiennes que subissent les

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noirs. On voit donc qu'il y a de réels conflits entre les colons blancs et les indigènes noirs dans Onitsha.

On constate à la suite de ce deuxième chapitre que l'écriture du social organise le picaresque et lui confère une unité réelle avec la société. Ces textes sont donc le reflet d'une société dans la mesure où ils représentent en effet l'expression d'une vision du monde c'est-à-dire des tranches de réalités imaginaires ou conceptuelles, structurées de telle manière que, sans qu'il ait besoin de compléter essentiellement leur structure, qu'on puisse les développer en univers globaux (Goldmann, 1964 :348). Ceci dit, la satire sociale s'avère être une forme marxiste du picaresque en vue, dans la mesure où elle permet par la suite de mettre en relief la matière picaresque.

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DEUXIÈME PARTIE : LES

MODALITÉS ESTHÉTIQUES DU

PICARESQUE

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Avant d'être un genre, le picaresque est d'abord une esthétique régissant une forme particulière d'écriture. Cette forme obéit sans aucun doute à des modalités que l'on peut considérer d'essentielles pour la définition du genre. Ceci étant dit, partant d'une écriture du social comme fondement du picaresque, nous nous attelons dans cette seconde partie à faire ressortir les différentes modalités esthétiques qui guident ce genre. Puisqu'il se revendique être une esthétique marxiste dans la mesure où il met en scène les problèmes causés par la séparation des classes, cette partie de notre travail se permet d'établir, d'une part, la structuration du récit d'un picaro et d'autre part, le langage satirique à travers ses différentes formes. C'est la manifestation du discours de ce genre. Ainsi, le chapitre premier, intitulé la structure fonctionnelle du récit picaresque, met en scène la particularité de ce récit basé sur un marxisme identitaire. Le personnage principal se trouve au centre de toutes les préoccupations d'écriture. Il est tour à tour le narrateur du récit homo et/ou hétéro diégétique, anti-héros. Il y a une prépondérance des petits récits hétéroclites et intercalaires. Quant au chapitre 2, titré la mise en scène du langage picaresque, il insiste sur la manifestation des formes satiriques qui guident son discours. A ce niveau, on note un discours pamphlétaire qui se centralise en particulier sur un tropisme indéniable. Il s'agit de l'ironie, de la caricature, de l'humour et du sarcasme. Ceci dit, cette partie veut montrer que, bien que le picaresque soit toujours en perpétuelle innovation, il impose tout compte fait une certaine modalité revendiquant sa pérennité.

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CHAPITRE 1 : DE LA STRUCTURE FONCTIONNELLE DU RECIT PICARESQUE

Comme toute esthétique du roman, le picaresque obéit à une série de caractéristiques qui régisse sa survivance. Il est né dans des conditions particulières c'est-à-dire en réaction contre le roman de chevalerie et ainsi il maintient une structure du récit différente de tout autre récit romanesque. Placé entre le roman de formation ou d'apprentissage, le roman de moeurs et le roman d'aventure, le texte picaresque se veut être une esthétique hybride obéissant à ses propres principes formels auxquels il est impossible de remédier. Néanmoins, la picarisation d'un roman se remarque inconditionnellement à travers sa forme épisodique, nuancée d'une série de récits intercalés qui pour la plupart du temps n'ont aucun rapport à voir avec la trame de l'histoire. C'est pour cette raison qu'Assaf Francis (1983 : 8) trouve que :

D'un point de vue structural, le roman picaresque se présente comme le récit d'un individu issu du peuple, voire du très bas peuple, raconté d'une manière épisodique, avec des textes insérés, n'ayant souvent qu'un rapport lointain avec le récit principal, appelés nouvelles.

On note bien entendu un mélange de genres et en guise de conclusion, le récit se trouve être une autobiographie fictive que l'on nommerait d'autofiction. Ce sont tous ses éléments qui réglementent le récit picaresque et lui confèrent une esthétique unique.

1. Du héros narrateur à l'anti-héros

Dans l'esthétique picaresque, on assiste le plus souvent à une poétique liée à une autobiographie fictive. L'auteur principal de l'oeuvre s'étant transmue en narrateur souffreteux fictionnalise à un moment donné le récit de sa vie. C'est d'ailleurs pour cette raison que Cevasco Clizia (2013 : 196) trouve qu':

Il existe bien une tendance à l'usage de la voix à la première personne du singulier, ainsi que dans la fiction autobiographique. Il s'agit d'une réactivation, qui toutefois n'est pas constante : cet aspect peut en fait s'activer lorsqu'il y a une constellation d'autres éléments de permanence, même s'il n'apparait pas en tant que condition indispensable. On peut donc affirmer que les romans picaresques contemporains montrent une prédominance du narrateur homodiégétique, ainsi que du récit de la vie du héros. Toutefois, on remarque aussi des dérogations et des exceptions : la majorité des romans picaresques ici analysés conservent la première personne du singulier, même si certains dérogent à la règle.

On constate que le personnage principal du roman picaresque conserve une affection propre à son auteur. Nous parle dès lors du héros-narrateur. Car il y a une absence réelle des récits hétérodiégétiques au profit du culte de l'homodiégétique. Le narrateur étant le personnage principal, a une double identité. Il arrive que le narrateur s'identifie tout compte fait à l'auteur

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puisqu'en général le récit est le plus souvent écrit à la première personne. Ceci s'observe avec L'histoire de Gil Blas de Santillane. Ainsi chez Lesage, l'incipit de cette oeuvre débute par :

Blas de Santillane, mon père, après avoir longtemps porté les armes pour le service de la monarchie espagnole, se retira dans la ville où il avait pris naissance. Il y épousa une petite bourgeoise qui n'était plus de sa première jeunesse, et je vins au monde dix mois après leur mariage. Ils allèrent ensuite demeurer à Oviédo, où ma mère se mit femme de chambre, et mon père écuyer. Comme ils n'avaient pour tout bien que leurs gages, j'aurais couru risque d'être assez mal élevé, si je n'eusse pas eu dans la ville un oncle chanoine. (LGBS, 5)

On remarque donc une réelle disposition du narrateur s'identifiant comme personnage qui veut rendre son récit fictif forcément pour une raison de vision du monde. Une autofiction est observable ici. Dès lors ceci obéit au principe organisateur de la poétique picaresque, où l'esthétisation du picaro et sa mise sous forme romanesque donnent lieu à sa fictionnalisation. Ceci dit, on comprend avec le Trésor de la langue française, dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (1789-1960) cité par Cyprien Bodo (2005) que le picaresque se réclame être « un genre littéraire né en Espagne au XVIe siècle qui, sous forme autobiographique, raconte la vie d'un héros populaire, le picaro, aux prises avec toutes sortes de péripéties.» (9)

En revanche, il faut noter que le picaresque obéit aujourd'hui à un imaginaire contemporain. On retrouve des héros du texte picaresque pourtant considéré comme auteur, préfèrent donner le récit à la troisième personne. Ceci dépend généralement de la vision du monde de son auteur. Malgré l'utilisation de la troisième personne, le récit bien qu'étant devenu hétérodiégétique structurellement parlant, obéit fondamentalement toujours à une esthétique homodiégétique. Nous parlons ici en connaissance de cause avec l'un de nos ouvrages du corpus : Onitsha. Ainsi commence le récit :

Quand il avait eu dix ans, Fintan avait décidé qu'il n'appellerait plus sa mère autrement que par son petit nom. Elle s'appelait Maria Luisa, mais on disait : Maou. C'était Fintan, quand il était bébé, il ne savait pas prononcer son nom, et ça lui était resté. Il avait pris sa mère par la main, il l'avait regardée bien droit, il avait décidé : « A partir d'aujourd'hui, je t'appellerai Maou. ». Il avait l'air sérieux qu'elle était restée un moment sans répondre, puis elle avait éclaté de rire, un de ces fous rires qui la prenaient quelques fois, auxquels elle ne pouvait pas résister. Fintan avait ri lui aussi, et c'est comme cela que l'accord avait été scellé. (Onitsha, 14-15)

Ici, on assiste à la fictionnalisation de la vie de l'auteur. Car ce dernier raconte son aventure sur les côtes africaines et en particulier son séjour à Onitsha. À partir de ceci, on comprend donc avec Cevasco qu'il y a alors réactivation du narrateur homodiégétique, au sein d'une constellation d'éléments de permanence du picaresque. La raison de cette mutation, ou de cette complexité, réside en fait dans les conditions littéraires d'une nouvelle époque : on n'a plus besoin de justifier avec la première personne du singulier le récit d'un antihéros, d'un

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pauvre ou d'un gueux, puisque le marginal est entré de droit en littérature. Ainsi pour Cevasco (2013 : 59) :

Des oeuvres écrites à la troisième personne du singulier montrent de toute façon d'autres éléments de permanence du picaresque. Lorsqu'il n'y a pas d'adhérence au modèle homodiégétique du narrateur, le rôle central de la vie et des aventures du héros subsiste toujours. Et, évidemment, ce héros présente des caractéristiques déterminées [...] Le modèle du narrateur peut être homodiégétique et donner lieu à une fiction autobiographique, ou peut être hétérodiégétique même en conservant le récit de la vie du héros : dans les deux cas, le modèle du narrateur ne remet pas en question la forme narrative du genre.

Le personnage principal dans une autobiographie fictive fait appel à la notion de l'anti-héroïsme considéré comme le principe révélateur d'un personnage en décadence ici incarné par lui-même comme le picaro. Vivant des abus, dénonçant les marginaux de la société, la vie miséreuse du bas peuple contre l'opulence cannibale de la minorité ecclésiastique, royale et noble, le picaro s'élève et porte les statuts les plus avilissants de la société : celui de gueux, de transgresseurs. Les figures d'héros des romans courtois et pastoraux disparaissent et donnent place à la dénomination d'anti-héros ici emblème du picaro. Ainsi, selon Wicks Ulrich (1974:245)

The protagonist as a picaro, that is, a pragmatic, unprincipled, resilient, solitary figure who just manages to survive in his chaotic landscape, but who, in the ups and downs, can also put that world very much on the defensive. The picaro is a protean figure who can not only serve many masters but play different roles, and his essential characteristic is his inconstancy - of life roles, of self-identity - his own personality flux in the face of an inconstant world.

C'est pourquoi la thématique picaresque s'inscrit en droite ligne avec la figure de son personnage principal. Il porte le costume d'anti-héros. L'anti-héros peut de tous les points de vue être considéré comme l'antitype du héros. De ce fait, le monde romanesque étant dominé par le thème héroïque, où le héros vit dans un monde merveilleux, supérieur au nôtre, dans lequel il poursuit une quête qui, le confrontant à des épreuves, se termine par une victoire morale. Celle-ci le mène vers un univers harmonieux, ordonné. Le texte picaresque est, quant à lui, dominé par la thématique de l'anti-héroïsme. C'est le monde d'un héros non-héroïque, inférieur à nous, qui vit dans un monde chaotique, inférieur au nôtre, et dans lequel il erre éternellement. Ainsi, l'héroïque satisfait le besoin humain d'harmonie divine, d'intégration, de beauté, d'ordre et de bonté. L'anti-héroïque satisfait la recherche de disharmonie démoniaque, de désintégration, de laideur, de désordre et de méchanceté. L'anti-héroïque semble se coller à la peau du personnage picaro, car en réalité comme l'affirme Kathrine Sørensen Ravn Jørgensen (1986 : 84-85) :

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Ce sont des marginaux, et, revêtant divers masques et jouant différents rôles, ces anti-héros ont pour fonction première d'observer, de surprendre et d'épier "le monde privé" des différents personnages "publics" appartenant aux différentes couches sociales. La situation de serviteur/valet est très favorable à la pénétration de toutes ces couches, au dévoilement de tous les mystères et de tous les ressorts cachés de la vie privée. La vie privée des grands est présentée comme l'envers de leur vie sociale (hautement louée par le thème héroïque): y règnent brutalité, violence, tromperies de toute espèce, hypocrisie et mensonge. Une des tâches des anti-héros, c'est donc de dénoncer les fausses conventions qui imprègnent les relations humaines [...], de lutter contre ces conventions ou simplement de démasquer toutes les formes institutionnelles hypocrites et mensongères [...] qui imprègnent les moeurs, la morale, la politique et l'art de toute une société.

Cela s'explique par le contexte socio-historique de la génèse du roman picaresque. Le contexte d'une société d'ordres affectée de graves tensions politiques, économiques et idéologiques: fins de règne, gestion financière critique d'un empire immense, crispation de la vieille noblesse chrétienne sur son honneur héréditaire lié à l'oisiveté, déclin de l'industrie nationale et extension corrélative du vagabondage aggravé par les disettes et les pestes. Les débats sur la mendicité se multiplient à partir des années 1540, et favorisent l'émergence d'un courant réformateur d'esprit bourgeois préconisant la résorption du paupérisme par le développement des activités manufacturières et commerciales. C'est dans cela que s'inscrit le picaresque. La figure d' « antihéros » montre les tas de dénonciation qu'opère cette esthétique. Voilà pourquoi le souvenir de la naissance du Lazarillo, puis du Guzmán, respectivement prototype et archétype du genre, est indissociable de ce climat conflictuel.

En revanche, le picaro se mue en anti-héros hautement problématique dont la volonté transgressive de s'intégrer aux «gens de biens» et d'accéder à l'honneur malgré les barrières institutionnelles ne trouve d'autres voies que celle de la fraude et du vol débouchant sur l'infamie. C'est pourquoi Kathrine Sørensen Ravn Jørgensen (1986 : 85) continue plus loin en affirmant que :

Ce anti-héros constitue ainsi un contretype de la figure décadente du héros chevaleresque. Les aventures du héros picaresque se présentent comme des pérégrinations hasardeuses qui mènent le gueux à travers les pays et les classes sociales les plus divers lesquels échappent rarement à la satire. Jouer des tours à tout ce qui est "digne de respect", aux institutions, aux traditions et aux valeurs nobles, semble, en effet, être une des missions du picaro.

Néanmoins considérant le fait que ce statut d'anti-héros soit en général problématique dans la perception du roman qu'on pourrait qualifier d' « écho picaresque » ; il faut noter que le statut d'héros ici s'applique uniquement au personnage principal d'un récit. On ne saurait l'appliquer à un personnage antagoniste dans la mesure où le récit n'est pas centralisé sur lui. Par conséquent on ne peut dire qu'un personnage antagoniste - l'adversaire du héros - soit anti-héros vu qu'il se reconnait ainsi sans aucun doute. Ce n'est que le personnage principal -

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le protagoniste - qui peut aussi porter le costume d'anti-héros à partir de certaines péripéties imposées par son auteur. Ainsi Cavillac (2004 : 563) trouve que :

La dénomination anti-héros [...] comporte en elle-même une incertitude fondamentale [dans la mesure où] elle peut caractériser soit un personnage « neutre » simplement privé des qualités héroïques, soit un héros à rebours incarnant les valeurs correspondantes.

Dans l'esthétique picaresque cette caractéristique est fondamentale. Puisque c'est en usant ce statut anti-héroïque que le picaro atteint sa quête. Notre corpus s'identifie bien entendu à ce caractère d'anti-héros que l'on peut reconnaître aux principaux protagonistes de nos textes. Dans l'histoire de Gil blas de Santillane, on observe en général ces mensonges dans des situations particulières pour échapper ou du moins pour dissimuler ses actions passées :

Le lendemain matin, lorsque je lui eus rendu mes services ordinaires, il me compta six ducats au lieu de six réaux, et me dit : tiens, mon ami, voilà ce que je te donne pour m'avoir servi jusqu'à ce jour. Va chercher une autre maison. Je ne puis m'accommoder d'un valet qui a de si belles connaissances. Je m'avisai de lui représenter, pour ma justification, que je connaissais cet alguazil pour lui avoir fourni certains remèdes à Valladolid, dans le temps que j'y exerçais la médecine. Fort bien, reprit mon maître, la défaite est ingénieuse. Tu devais me répondre cela hier au soir, et non pas te troubler. Monsieur, lui repartis-je, en vérité, je n'osais vous le dire par discrétion. C'est ce qui a causé mon embarras. Certes, répliqua-t-il en me frappant doucement sur l'épaule, c'est être bien discret. Je ne te croyais pas si rusé. Va, mon enfant, je te donne ton congé. (LGBS, 147)

On note donc à partir de cet extrait que l'anti-héroïsme se situe dans l'attitude que le personnage adopte lorsqu'un problème se pose à lui. La manière dont il le gère. Il peut choisir de poser des actions immorales ou morales pour sortir d'une situation qui lui est plutôt oppressante. Mais si le choix est centré sur les principes d'immoralité, on parle donc d'anti-héroïsme du personnage principal. C'est cette caractéristique qui fait la particularité du picaresque.

2. Récit épisodique

L'épisode dans un texte littéraire renvoie en général à une partie d'une oeuvre narrative ou dramatique s'intégrant à un ensemble mais disposant d'une certaine autonomie. Alors la particularité du texte picaresque est qu'il accorde une réelle importance aux récits épisodiques qui régissent et organisent son ensemble. Lesage et Le Clézio privilégient cette caractéristique structurale dans leur récit. Dans l'histoire de Gil Blas de Santillane, on assiste à plusieurs récits qui, sans aucune nécessité, prolongent le roman. En général, c'est l'histoire de tel ou tel compagnon de Gil Blas, qui ayant survécu à une situation semblable à celle du narrateur, ce

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dernier se trouve dans l'obligation de nous la raconter. C'est le cas ici au chapitre XI du livre premier avec « L'histoire de dona Mencia de Mosquera » :

Je suis née à Valladolid, et je m'appelle doña Mencia de Mosquera. Don Martin, mon père, après avoir consommé presque tout son patrimoine dans le service, fut tué en Portugal, à la tête d'un régiment qu'il commandait. Il me laissa si peu de bien, que j'étais un assez mauvais parti, quoique je fusse fille unique. Je ne manquai pas toutefois d'amants, malgré la médiocrité de ma fortune. Plusieurs cavaliers des plus considérables d'Espagne me recherchèrent en mariage. Celui qui attira mon attention fut don Alvar de Mello. [...] Don Alvar me contait la triste aventure qui avait donné lieu au bruit de sa mort, et comment, après cinq années d'esclavage, il avait recouvré la liberté, quand nous rencontrâmes hier sur le chemin de Léon les voleurs avec qui vous étiez. C'est lui qu'ils ont tué avec tous ses gens, et c'est lui qui fait couler les pleurs que vous me voyez répandre en ce moment. (LGBS, 41, 46)

Ou au chapitre VII du livre deuxième avec « L'histoire du garçon barbier » :

Ma mère, femme du barbier, en mit au monde six pour sa part dans les cinq premières années de son mariage. Je fus du nombre de ceux-là. Mon père m'apprit de très bonne heure à raser ; et, lorsqu'il me vit parvenu à l'âge de quinze ans, il me chargea les épaules de ce sac que vous voyez, me ceignit d'une longue épée et me dit : Va, Diego, tu es en état présentement de gagner ta vie ; va courir le pays. Tu as besoin de voyager pour te dégourdir et te perfectionner dans ton art. Pars, et ne reviens à Olmedo qu'après avoir fait le tour de l'Espagne. [...] Pour moi, moins affligé d'avoir manqué les plus précieuses faveurs de l'amour, que bien aise d'être hors de péril, je retournai chez mon maître, où je passai le reste de 1a nuit à faire des réflexions sur mon aventure. Je doutai quelque temps si j'irais au rendez-vous la nuit suivante. Je n'avais pas meilleure opinion de cette seconde équipée que de l'autre ; mais le diable, qui nous obsède toujours, ou plutôt nous possède dans de pareilles conjonctures, me représenta que je serais un grand sot d'en demeurer en si beau chemin. (LGBS, 106, 124)

Ces récits épisodiques et indépendants sont présents de part et d'autre dans L'histoire de Gil Blas de Santillane.

Ils s'observent également chez Le Clézio à travers les rêveries de Geoffrey où l'auteur nous fait part du mythe égyptien et d'Oru Chuku qui fascine quotidiennement Geoffrey. Ces courts récits dans le texte se distinguent à travers leur forme unique décalée de deux centimètres de la marge des pages. Ainsi, l'oeuvre de Le Clézio laisse entrevoir de la page :

- 99 à 103 où la prise de conscience des traditions africaines par Geoffrey devient une confession sur une Afrique qui brûle face à l'horreur de l'impérialisme et la raison qui le pousse à ne pas quitter l'Afrique :

L'Afrique brûle comme un secret, comme une fièvre. Geoffrey Allen ne peut pas détacher son regard, un seul instant, il ne peut pas rêver d'autre rêve. C'est le visage sculpté des marques isis, le visage masqué des Umundri. Sur les quai d'Onitsha, le matin, ils attendent, immobiles, en équilibre sur une jambe, pareils à des statues brûlées, les envoyés de Chuku sur la terre. C'est pour eux que Geoffrey est resté dans cette ville, malgré l'horreur qui lui inspire les bureaux de l'United Africa, malgré le Club. (Onitsha, 99)

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- 137 à 141 : Moïse, Geoffrey et le livre des morts égyptiens.

- 142 à 149 : Les rêveries de Geoffrey

- 156 à 160 : La fascination de Geoffrey pour le peuple de Meroë

- 185 à 193 : Geoffrey rêve du peuple de Meroë

- De 201 à 205 : Le départ de Geoffrey pour Aro Chuku.

- De 243 à 248 : l'histoire d'Aru Chuku tombé aux mains des anglais le 28 novembre 1902.

- De 275 à 280 : Lettre de Fintan à Marina en Hiver 1968

A travers ces différents récits aux structures épisodiques et intercalées, les auteurs de notre corpus veulent nous faire part de leur vision de la vie. Cette structuration particulière des récits nous fait également part de l'esthétique picaresque qui guide l'imaginaire de ces romans. Le souci de tout décrire minutieusement la vie des personnages-héros et personnages-adjuvants met en exergue le désir de nos auteurs de représenter la vie quotidienne. Ces récits sont pourtant moins indispensables dans la trame narrative du récit. Mais ils continuent à perpétuer l'écho picaresque qui fait l'unanimité dans ces ouvrages.

3. De la fiction autobiographique au récit hétéroclite et hybride

Une observation des textes de notre corpus nous permet de relever une certaine hybridité dans l'expérimentation du récit auquel est voué le texte. Ceci dit, le roman picaresque serait au carrefour de rencontre de différentes esthétiques du roman. Généralement qualifié de « berceau du roman européen des temps modernes » (Vaillancourt, 1994 :59), on constate que ces romans picaresques soumis à notre analyse se trouvent à mi-chemin entre plusieurs types de roman. Ainsi, l'autobiographie est le premier principe structurant du récit. Certes, l'autobiographie y est identifiable dans toute sa splendeur, mais nous observons aussi les traits de la satire, du comique, de l'aventure ainsi que de l'initiatique dans ces romans.

Commençons par l'autobiographie. Jørgensen Kathrine (1986 :85) trouve que :

Le roman picaresque adopte délibérément la forme de l'autobiographie fictive, la narration porte la marque d'un style personnel et particulier, celle d'une perspective subjective et limitée et gagne ainsi en cohérence

Comme nous pouvons le constater l'autobiographique serait le principe structurant du récit picaresque. Bien que le « Je » soit ici intrinsèque dans l'un de nos ouvrages - à l'instar

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d'Onitsha - identifions des procédés littéraires et stylistiques liés à l'autobiographie auxquels ces ouvrages s'attachent profondément.

Dans le Gil Blas de Santillane, nous assistons au récit centralisé sur le « je » narrateur. L'auteur narre à travers Gil Blas, une série d'aventures à laquelle il est passé. Ce « je » narratif, rends l'auteur de ce texte omniscient et omniprésent dans toutes les scènes du récit. On peut noter que le narrateur nous étale ici l'histoire de sa propre vie, ses aventures mondaines qui ont contribuées à son ascension fulgurante vers les hautes marches de la société. Cette autobiographie s'observe ici bien entendu à travers la déclaration de Gil Blas au lecteur qui peut être dans une certaine mesure considérée comme le prologue de ce récit :

Avant que d'entendre l'histoire de ma vie, écoute, ami lecteur, un conte que je vais te faire. [...] Qui que tu sois, ami lecteur, [...] Si tu lis mes aventures sans prendre garde aux instructions morales qu'elles renferment, tu ne tireras aucun fruit de cet ouvrage ; mais si tu le lis avec attention, tu y trouveras, suivant le précepte d'Horace, l'utile mêlé avec l'agréable. (LGBS, 3)

On note ici que Gil blas, narrateur omniscient nous conte sa propre histoire, l'histoire de sa vie. Voyant qu'ici Lesage se substitue en Gil Blas, héros de son roman, nous pouvons affirmer ici qu'on assiste à une sorte d'autobiographie fictive.

L'autobiographie fictive est aussi observable dans Onitsha dans la mesure où c'est Le Clézio qui, à travers Fintan, raconte ses aventures africaines. Mais par mesure de prudence, vu le contexte social de production et de publication de l'ouvrage, utilise mieux le personnage de Fintan pour étaler ses exploits coloniaux. A travers ce « je » légitime sous forme épistolaire qu'utilise Fintan dans le récit ; Le Clézio nous fait part de cette autobiographie qui traverse ce roman :

Marina, que puis-je te dire de plus, pour te dire comment c'était là-bas, à Onitsha ? Maintenant, il ne reste plus rien de ce que j'ai connu. A la fin de l'été, les troupes fédérales sont entrées dans Onitsha, après un bref bombardement au mortier qui a fait s'écrouler les dernières maisons encore debout au bord du fleuve. [...] Marina, je voudrai tant que tu ressentes ce que je ressens. Est-ce que pour toi, l'Afrique c'est seulement un nom, une terre comme une autre, un continent dont on parle dans les journaux et dans les livres, un endroit dont on dit le nom parce qu'il y a la guerre ? (Onitsha, p.275-277)

Fintan fait le récit des derniers événements qui se sont produits à Onitsha, l'occupation et la guerre sur la baie du Biafra. Le « Je » ici présent s'identifie à lui. On note l'expression de ses sentiments. Cet épisode épistolaire du récit met en relief la fiction autobiographique présente dans ce récit.

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Cette fiction autobiographique qui fleurit dans ces récits picaresques, laisse également place à d'autres types d'esthétique que l'on ne peut ignorer. Ainsi, on identifie dans ces récits une esthétique d'initiation, de formation et d'aventure.

Le roman initiatique ou roman de formation est une esthétique romanesque dans laquelle on identifie un enfant comme héros et qui, à travers diverses péripéties, est confronté à plusieurs situations de la vie qui lui permettront en retour d'apprendre assez sur les mystères de la vie. Cette esthétique de formation est exclusivement centrée à cet effet sur l'éducation. C'est dans ce champ que s'inscrit bien entendu tout récit picaresque. Ici, on présente un héros naïf et innocent qui devra affronter plusieurs obstacles de la vie afin de s'en sortir. C'est l'initiation aux rythmes de la vie, aux règles de l'existence et aux pièges à éviter pour s'en sortir dans un monde rempli de vices.

Prenons pour exemple deux extraits des textes de notre corpus et confrontons-les. Le premier est tiré de L'histoire de Gil de Santillane qu'on nomme « texte A » et le second tiré d'Onitsha nommé « texte B » :

TEXTE A : « De quelle manière Gil Blas fit connaissance avec les valets des petits-maîtres ; du secret admirable qu'ils lui enseignèrent pour avoir peu de frais la réputation d'homme d'esprit, et du serment singulier qu'ils lui firent faire. »

Ces seigneurs continuèrent à s'entretenir de cette sorte, jusqu'à ce que don Mathias, que j'aidais à s'habiller pendant ce temps-là, fût en état de sortir. Alors il me dit de le suivre, et tous ces petits-maîtres purent ensemble le chemin du cabaret où don Fernand de Gamboa se proposait de les conduire. Je commençai donc à marcher derrière eux avec trois autres valets ; car chacun de ces cavaliers avait le sien. Je remarquai avec étonnement que ces trois domestiques copiaient leurs maîtres, et se donnaient les mêmes airs. Je les saluai comme leur nouveau camarade. Ils me saluèrent aussi, et l'un d'entre eux, après m'avoir regardé quelques moments, me dit : frère, je vois à votre allure que vous n'avez jamais encore servi de jeune seigneur. Hélas ! Non, lui répondis-je, il n'y a pas longtemps que je suis à Madrid. C'est ce qu'il nie soluble, répliqua-t-il. Vous sentez la province. Vous paraissez timide et embarrassé. Il y a de la bourre dans votre action. [...] J'avais un extrême plaisir à les entendre. Leur caractère, leurs pensées, leurs expressions me divertissaient. Que de feu ! Que de saillies d'imagination ! Ces gens-là me parurent une espèce nouvelle. Lorsqu'on en fut au fruit, nous leur apportâmes une copieuse quantité de bouteilles des meilleurs vins d'Espagne, et nous les quittâmes pour aller dîner dans une petite salle où l'on nous avait dressé une table. Je ne tardai guère à m'apercevoir que les chevaliers de ma quadrille avaient encore plus de mérite que je ne me l'étais imaginé d'abord. Ils ne se contentaient pas de prendre les manières de leurs maîtres ; ils en affectaient même le langage ; et ces marauds les rendaient si bien, qu'à un air de qualité près, c'était la même chose. J'admirais leur air libre et aisé. J'étais encore plus charmé de leur esprit, et je désespérais d'être jamais aussi agréable qu'eux. (LGBS, 155-156)

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TEXTE B : Onitsha.

C'était la saison rouge, la saison d'un vent qui gerçait les rives du fleuve. Fintan allait de plus en plus loin, à l'aventure. Quand il avait fini de travailler l'anglais et le calcul avec Maou, il s'élançait à travers le champ d'herbes, il descendait jusqu'à la rivière Omerun. Sous ses pieds nus la terre était brûlée et craquante, les arbustes étaient noircies par le soleil. Il écoutait le bruit de ses pas résonner au-devant de lui, dans le silence de la savane. [...] Quand il courait, les longues herbes durcies frappaient sur son visage et ses mains comme des lanières. Il n'y avait pas d'autre bruit que les coups de ses talons sur le sol, le coup de son coeur dans sa poitrine, le raclement de son souffle. Maintenant, Fintan avait appris à courir sans la fatigue. La plante de ses pieds n'était plus cette peau pâle et fragile qu'il avait libérée de ses souliers. C'était une corne dure, couleur de la terre. Ses orteils aux ongles cassés s'étaient écartés pour mieux s'agripper au sol, aux pierres, aux troncs d'arbres. (Onitsha, 104-105)

A partir de ces deux extraits tirés des ouvrages du corpus. Nous pouvons identifier plusieurs types d'esthétiques romanesques. A travers des procédés de styles et de formes nous pouvons tour à tour identifier, un récit d'aventure, un récit de formation ou initiation et un récit satirique. La formation et l'aventure ont presque le même procédé de repère. Ainsi à travers la découverte des nouveaux horizons, d'une nouvelle terre, d'une nouvelle condition, Gil Blas et Fintan se sentent différents. Ils doivent forcément apprendre pour s'adapter, pour suivre. Ils passent d'une manière ou d'une autre à un processus d'acquisition des règles de survie qu'impose la société dans laquelle ils devront désormais évoluer.

Gil Blas connaît une nouvelle condition chez les petits maîtres et il doit se former de façon inconditionnelle pour être à la hauteur de la classe sociale de son nouveau maître. Il admire les manies de son maître, ses fréquentations. C'est aussi le cas chez Fintan. Son arrivée à Onitsha s'est faite de façon très brusque et rapide. L'environnement lui étant hostile et il devra s'adapter d'une manière ou d'une autre. C'est pourquoi l'aide de Maou et de Bony deviennent nécessaires pour que Fintan s'africanise.

Le satirique est une autre esthétique que nous pouvons identifier dans ce corpus. Le texte A, tout comme le texte B, mettent un accent particulier sur le satirique. A travers la description caricaturale fondée sur l'exagération des traits que nous observons dans ces extraits, nous pouvons affirmer qu'il s'agit de la satire.

Ainsi, en prenant appuis sur les fragments suivants tirés respectivement des extraits ci-dessus :

« Ils ne se contentaient pas de prendre les manières de leurs maîtres ,
· ils en affectaient même le langage ,
· et ces marauds les rendaient si bien, qu'à un air de qualité près, c'était la même chose
»

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« Maintenant, Fintan avait appris à courir sans la fatigue. La plante de ses pieds n'était plus cette peau pâle et fragile qu'il avait libérée de ses souliers. C'était une corne dure, couleur de la terre. Ses orteils aux ongles cassés s'étaient écartés pour mieux s'agripper au sol, aux pierres, aux troncs d'arbres».

Nous constatons que ces fragments ironisent bien la formation de ces deux jeunes héros. Ils mettent en exergue le ridicule de la situation face à l'initiation de ces héros aux caprices de l'environnement. Ces deux passages présentent un côté railleur et sarcastique ouvert sous un comique déguisé. De ce fait, on a à faire à une esthétique satirique car les auteurs essayent de montrer la rudesse de s'adapter à de nouvelles moeurs.

Tout compte fait, on trouve que l'autobiographique fictive, les esthétiques d'initiation, de formation, d'aventure et satirique sont précisément des esthétiques de second plan présent dans un roman picaresque. Toutes ces caractéristiques montrent bien que notre corpus est traversé de l'esthétique picaresque. Une esthétique qui est au centre de plusieurs autres. C'est pourquoi nous voyons en l'esthétique picaresque, une forme d'hybridité. Nous qualifions ici le récit picaresque de récit hybride à cause de sa forme disparate. L'hybridité se produit lorsque deux ou plusieurs discours se disputent l'autorité de l'énonciation. Ainsi, dans notre cas, le récit picaresque renferme à lui seul plusieurs autres esthétiques que l'on peut identifier succinctement, et à travers divers procédés de forme et de fond. Dans le récit picaresque on retrouve en général un récit centré sur la satire, l'aventure et la formation pour ne citer que ceux-ci. On parlera en général de roman de mémoire. Ceci dit, le récit picaresque utilise différents procédés qui font appel à un effort de mémoire de la part du narrateur. C'est le récit des aventures qu'il a vécues pendant une période de son existence (qui s'étend de la naissance à la vieillesse en général).

Le récit picaresque se retrouve donc au carrefour de plusieurs sous-genres romanesques par le biais de son esthétique particulière. Il médite de par son récit sur les actions du héros et des hommes. Il est représentatif des moeurs de la société où le héros picaresque naïf, innocent et d'une candeur non négligeable poursuit une vie de misère, devenant tour à tour gueux et vagabond, cesse de l'être à un moment donné de son existence. Et de ce fait, on retrouve une multitude d'esthétiques formant à elles seules l'esthétique picaresque. Il s'agit bien entendu de celles que nous avons pu identifier dans notre corpus à l'instar des récits de formation, d'initiation, satirique, d'aventure et du voyage.

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En définitive, il était question dans ce chapitre d'insister sur la structure fonctionnelle de la survivance picaresque dans notre corpus. Nous avons démontré comment l'esthétique picaresque s'identifie dans nos textes à travers une structuration particulière du récit. Nos textes du corpus obéissent aux règles générales observées dans le picaresque. Pour ce, nous avons insisté sur la narration autobiographique, la question d'anti-héroïsme des principaux protagonistes, les récits épisodiques, hétéroclites et hybrides identifiables dans les textes. Ceci pour montrer qu'un écho picaresque fait l'unanimité de notre corpus. Ainsi, on assiste à un narrateur homodiégétique, racontant lui-même sa propre histoire, ses aventures au crible des jugements. Bref, on peut affirmer qu'il y a une survivance picaresque dans ces récits dans la mesure où ils mettent en exergue les éléments primordiaux qui permettent de caractériser le picaresque.

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CHAPITRE 2 : LA MISE EN SCÈNE DU LANGAGE PICARESQUE : LES FORMES

SATIRIQUES.

1. De la caricature

La caricature se conçoit en général comme la représentation exagérant les traits, les caractéristiques physiques, l'habillement ou les manières propres à un individu dans le dessein de produire un portrait-charge. Nous verrons ici qu'elle peut aussi s'appliquer aux actions de l'homme. Car d'un point de vue philologique ce mot caricature viendrait de l'italien et se traduit littéralement par « charger ». Ceci dit, en France tout comme dans les autres pays du monde où la liberté d'expression occupe une place prépondérante, caricature et charge reçoivent le même sens. Dans ce cas, ayant la même étymologie italienne, ils s'appliquent non seulement au dessin ou à la peinture mais également aux oeuvres littéraires. Néanmoins, désignant la représentation grotesque soit d'une personne, soit d'un fait qu'on veut ridiculiser, la caricature se dit être tout trait s'ajoutant à la nature de quelque chose de forcé, d'exagéré, de bouffon. Jean Pascal Daloz (1996 : 74) a d'ailleurs apporté une nette appréhension à ce concept lorsqu'il affirme :

De prime abord, en forçant sciemment le trait, en provoquant une distorsion dommageable de la figure des dirigeants dans le but de s'en gausser, la caricature [...] [rompt] le « charme » et [vient] pervertir la relation unissant gouvernants et gouvernés. Son action délégitimante, corrosive, serait des plus redoutables : c'est que, ridiculisant la tête, on [ébranle] la croyance, l'adhésion, l'identification même au système.

De ce fait, la caricature constitue donc un moyen de ridiculiser et de tourner en dérision les hommes et les moeurs. En général, on parle de « caricature de situation » en référence à son humour. Puisque derrière son caractère humoristique, la caricature se veut le plus souvent une arme bien élaborée pour faire une satire acerbe. En revanche, la caricature, comme on a l'habitude de l'appréhender, ne se confine pas seulement dans ces courtes légendes d'un comique forcé, accompagnant les caricatures proprement dites et ajoutant le mordant de la parole et surtout au théâtre, où elle consiste le plus souvent dans la manière dont l'acteur joue son rôle et exagère son personnage. Elle peut être dans l'oeuvre elle-même, aussi bien que dans l'interprétation, et elle se justifie par le dessein de l'auteur et de l'effet produit.

Lesage et Le Clézio, deux romanciers français à travers notre corpus se réclament les maitres dans l'art de continuer à perpétuer l'idée de la caricature en littérature comme expression de la

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satire. Ainsi en ressuscitant les travaux de Lucilius22, Juvénal23, Horace24, Régnier25 et Boileau26 sur la satire, ces auteurs emploient le style caricatural où le fait de tourner en dérision les hommes et les instances sociales paraît l'arme indiquée pour mieux dénoncer les travers de la société. Ceci peut s'observer à travers ce passage de l'histoire de Gil Blas de santillane où Lesage met en relief de quelle façon s'habilla Gil Blas pour quitter Burgos :

On me montra des habits de toute sorte de couleurs. On m'en fit voir plusieurs de drap tout uni. Je les rejetai avec mépris, parce que je les trouvai trop modestes ; mais ils m'en firent essayer un qui semblait avoir été fait exprès pour ma taille, et qui m'éblouit, quoiqu'il fût un peu passé. [...] J'avais donc un manteau, un pourpoint et un haut-de-chausses fort propres. Il fallut songer au reste de l'habillement. Ce qui m'occupa toute la matinée. J'achetai du linge, un chapeau, des bas de soie, des souliers et une épée. Après quoi je m'habillai. Quel plaisir j'avais de me voir si bien équipé ! Mes yeux ne pouvaient, pour ainsi dire, se rassasier de mon ajustement. Jamais paon n'a regardé son plumage avec plus de complaisance. (LGBS, 57)

A partir de cet extrait, on voit une caricature hyperbolique du genre de vie que mène Gil Blas à travers son habillement. Ainsi, on note la situation de ridicule que Gil blas quitte burgos pour continuer son périple d'aventurier notoire dans d'autres villes. Ceci nous permet d'arriver à la conclusion selon laquelle dans ces textes qui constituent notre corpus, la verve caricaturale a atteint son apogée. Car elle obéit aux grandes règles de l'art de la démystification sous des jours ridicules poignants.

22 Caius Lucilius dit Lucilius (né en 180 ou 148 av. J.-C.1 à Suessa Aurunca - mort en 102 ou 101 av. J.-C.) est un poète latin fondateur de la satire. Après sa mort, une édition en 30 livres s'imposa, dont il ne subsiste plus aujourd'hui que 1 378 vers.

23 Juvénal (en latin Decimus Iunius Iuvenalis) est un poète satirique latin de la fin du I er siècle et du début du IIe siècle après Jésus-Christ. Il est l'auteur de seize oeuvres poétiques rassemblées dans un livre unique et composées entre 90 et 127, les Satires.

24 Horace (en latin Quintus Horatius Flaccus) est un poète latin né à Vénose dans le sud de l'Italie, le 8 décembre 65 av. J.-C. et mort à Rome le 27 novembre 8 av. J.-C.. S'inspirant de son prédécesseur Lucilius, Horace renouvelle le genre Satirique en limitant l'extension, en s'interdisant la satire politique, et en évitant de tomber dans la crudité et la vulgarité. Par ses nombreux portraits de personnages pleins de vices (avarice, gloutonnerie, raffinement extrême et ridicule dans la gastronomie, libido incontrôlée), Horace construit une morale de la modération et développe déjà le thème du juste milieu qu'il célèbre ultérieurement dans les Odes et les Épîtres

25 Mathurin Régnier, né le 21 décembre 1573 à Chartres et mort le 22 octobre 1613 à Rouen, est un poète satirique français. Nourri des auteurs anciens, et en particulier d'Horace, Régnier, doué d'un rare bon sens et d'une riche imagination, « donne au langage français une précision, une énergie et une richesse nouvelle pour l'époque». Il sera le premier qui fera des satires en François. Il peindra les vices avec naïveté et les vicieux fort plaisamment.

26 Nicolas Boileau, dit aussi Boileau-Despréaux, né le 1er novembre 1636 à Paris et mort le 13 mars 1711, est un poète, écrivain et critique français. Les premiers écrits importants de Boileau sont les Satires (composées à partir de 1657 et publiées à partir de 1666), inspirées des Satires d'Horace et de Juvénal. Il y attaque ceux de ses contemporains qu'il estime de mauvais goût. Par ailleurs, il est au XVIIe siècle l'un des principaux théoriciens de l'esthétique classique en littérature, ce qui lui vaudra plus tard le surnom de « législateur du Parnasse ». Il est l'un des chefs de file du clan des Anciens dans la querelle des Anciens et des Modernes, une polémique littéraire et artistique qui agite l'Académie française à la fin du XVIIe siècle, et qui oppose deux courants antagonistes sur leurs conceptions culturelles.

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De ce fait, on note que si une chose peut réunir les deux auteurs, c'est la représentation caricaturale qu'ils font de leurs différents protagonistes. Ainsi, cette représentation se perçoit, sans aucun doute, comme l'une des modalités du picaresque. Le regard qu'ont les narrateurs des différents personnages qu'ils rencontrent tout au long du récit et les descriptions qu'ils en font traduisent une vision du monde liée à une esthétique romanesque qui se montre novatrice et révoltante. Ceci s'observe bien entendu avec la déclaration de Lesage:

Comme il y a des personnes qui ne sauraient lire sans faire des applications des caractères vicieux ou ridicules qu'elles trouvent dans les ouvrages, je déclare à ces lecteurs malins qu'ils auraient tort d'appliquer les portraits qui sont dans le présent livre. J'en fais un aveu public : je ne me suis proposé que de représenter la vie des hommes telle qu'elle est ; à Dieu ne plaise que j'aie eu dessein de désigner quelqu'un en particulier ! Qu'aucun lecteur ne prenne donc pour lui ce qui peut convenir à d'autres aussi bien qu'à lui ; autrement, comme dit Phèdre, il se fera connaître mal à propos : stulte nudabit animi conscientiam. On voit en Castille, comme en France, des médecins dont la méthode est de faire un peu trop saigner leurs malades. On voit partout les mêmes vices et les mêmes originaux. J'avoue que je n'ai pas toujours exactement suivi les moeurs espagnoles et ceux qui savent dans quel désordre vivent les comédiennes de Madrid pourraient me reprocher de n'avoir pas fait une peinture assez forte de leurs dérèglements ; mais j'ai cru devoir les adoucir, pour les conformer à nos manières. (LGBS, 2)

Bien que ce soit une forme de mise en garde, une façon préventive pour cet auteur de n'indexer personne dans ses écrits, nous notons là qu'il essaye de marquer une insistance majeure sur les caractères de ses personnages. Ils sont pour la plupart des strictes représentations des hommes en société. Alors pour que cette description soit effective, lui, et tout comme Le Clézio utilisent plusieurs tournures stylistiques qui permettent à un moment donné de déconstruire le langage des différents personnages du récit. L'ironie est l'une des armes qu'emploient ces auteurs pour décrire satiriquement certains personnages du récit. C'est le cas ici avec cet extrait de L'histoire de Gil Blas de Santillane où ce dernier « fit connaissance avec les valets des petits-maîtres ; du secret admirable qu'il lui enseignèrent pour avoir à peu de frais la réputation d'homme d'esprit, et du serment singulier qu'ils lui firent faire » :

Mon maître s'étant levé à son ordinaire sur le midi, s'habilla. Il sortit. Je le suivis, et nous entrâmes chez don Antonio Centellés, où nous trouvâmes un certain don Alvaro de Acuila. C'était un vieux gentilhomme, un professeur de débauche. Tous les jeunes gens qui voulaient devenir des hommes agréables se mettaient entre ses mains. Il les formait au plaisir, leur enseignait à briller dans le monde et à dissiper leur patrimoine. Il n'appréhendait plus de manger le sien, l'affaire en était faite. (LGBS, 158)

La découverte de ces personnages fascinait de plus en plus Gil Blas. Chaque aventure pour lui, toutes les maisons dans lesquelles il a exercé lui ont apporté toujours de nouveaux regards sur la façon dont vivent les nobles. Ces êtres toujours abandonnés à leur plaisir et

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éternellement fort enjoués rendaient triste ce picaro à un moment donné. C'est le cas lorsque Gil Blas, ne pouvant s'accoutumer aux moeurs des comédiennes, quitte le service d'Arsénie, et trouve une plus honnête maison. Ici il trouvera du plaisir à faire un tableau caricatural de son nouveau maître et de la vie que mène ce dernier :

Je ne pouvais entrer dans une meilleure maison. Aussi ne me suis-je point repenti dans la suite d'y avoir demeuré, Don Vincent était un vieux seigneur fort riche, qui vivait depuis plusieurs années sans procès et sans femme, les médecins lui ayant ôté la sienne, en voulant la défaire d'une toux qu'elle aurait encore pu conserver longtemps, si elle n'eût pas pris leurs remèdes. Au lieu de songer à se marier, il s'était donné tout entier à l'éducation d'Aurore, sa fille unique, qui entrait alors dans sa vingt-sixième année, et pouvait passer pour une personne accomplie. Avec une beauté peu commune, elle avait un esprit excellent et très cultivé. Son père était un petit génie ; mais il possédait l'heureux talent de bien gouverner ses affaires. Il avait un défaut qu'on doit pardonner aux vieillards : il aimait à parler, et, sur toutes choses, de guerre et de combats. Si par malheur on venait à toucher cette corde en sa présence, il embouchait dans le moment la trompette héroïque, et ses auditeurs se trouvaient trop heureux quand ils en étaient quittes pour la relation de deux sièges et de trois batailles. Comme il avait consumé les deux tiers de sa vie dans le service, sa mémoire était une source inépuisable de faits divers, qu'on n'entendait pas toujours avec autant de plaisir qu'il les racontait. Ajoutez à cela qu'il était bègue et diffus ; ce qui rendait sa manière de conter fort agréable. Au reste, je n'ai point vu de seigneur d'un si bon caractère. Il avait l'humeur égale. Il n'était ni entêté, ni capricieux ; j'admirais cela dans un homme de qualité. Quoiqu'il fût bon ménager de son bien, il vivait honorablement. (LGBS, 199-200)

Dans cet extrait, Gil Blas nous fait part de la caricature de Don Vincent qu'il rencontre dans sa nouvelle demeure où il occupera une fois de plus le fameux poste d'homme de chambre. Sachant mêler le comique à la critique virulente, ce narrateur a atteint l'apogée de la satire sociale par le biais de son récit et à partir de cette représentation picturale qu'il fait de ces maîtres tout au long de son aventure espagnole. Don Vincent et Arsénie sont certainement deux personnages contradictoires malgré qu'ils vivent dans le même milieu. L'un comme l'autre ont une attitude centralisée sur la vie mondaine. Mais Don Vincent, contrairement à Arsenie, vit de sa fortune sans toutefois tromper la vigilance des autres tandis qu'Arsénie est obligée d'user de tous ses charmes pour séduire et plaire le public noble. Ces caractères, parfois très osés, pousse Gil Blas à réfléchir aux types de maîtres auxquels il sera confronté.

Cette idée de la satire des personnes de la société est aussi flagrante dans le texte de Le Clézio. Ainsi la description qu'il fait de certains personnages nous pousse à affirmer que Le Clézio fait aussi bien de la satire. Ceci à travers les descriptions caricaturales qu'il fait de ses protagonistes et de leurs situations de vie. Ainsi Fintan découvre une Afrique, le regard caricatural que les Noirs lui offrent à Cotonou est pour lui un profond bouleversement. La découverte de ce nouveau monde où tout est différent de la France métropolitaine l'exaspère :

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Fintan aperçut les lumières de Cotonou, déjà irréelles, noyés dans l'horizon. [ ...] Alors, sur le pont de charge obscurci pas l'éclat des lampions, Fintan découvrit les noirs installés pour le voyage. Pendant que les blancs étaient à la fête dans le salons des premières, ils étaient montés à bord, silencieux, hommes, femmes et enfants, portant leurs ballots sur leur tête, un par un sur les planche qui servait de coupée. Sous la surveillance du quartier-maître, ils avaient repris leur place sur le pont, entre les conteneurs rouillés, contre les membrures du bastingage, et ils avaient attendu l'heure du départ sans faire de bruit. Peut-être qu'un enfant avait pleuré, ou bien peut-être que le vieil homme au visage maigre, au corps recouvert de haillons avait chanté la mélopée, sa prière. (Onitsha, 63)

A travers ce passage, on note l'absurde dichotomie entre deux mondes diamétralement opposés et les sentiments de Fintan face à cette triste réalité. Aussi caricatural que soit cet extrait, l'impérialisme y est dans toute sa splendeur. Le regard des Noirs met en évidence ici leur souffrance. Cette description nous fait également part du monde impérialiste auquel est confronté Fintan. Maou, aussi, est confronté à cet univers colonial. Alors le regard qu'elle a des individus qu'elle rencontre autour de Geoffrey, son mari ne la laissera pas indifférent. D'abord la découverte des moeurs des colons est pour elle un moment de ridicule qui puisse être :

Chaque semaine, les hommes en tenue kaki avec leurs souliers noirs et leurs bas de laine montant jusqu'au genou, debout sur la terrasse un vers de whisky à la main, leurs histoires de bureau, et leur femme en robes claires et escarpins parlant de leurs problèmes de boy. [...]Maou avait accompagné Geoffrey chez Gerald Simpson. Il habitait une grande maison en bois non loin des docks, une maison assez vétuste qu'il avait entrepris de remettre en état. Il s'était mis dans la tête de faire creuser une piscine dans son jardin, pour les membres du club. (Onitsha, 83)

Ici, Le Clézio raille les moeurs des membres du Divisonnal Office. Il montre la bêtise de ces individus coloniaux profitant de leur statut de chef pour faire voir leur côté mégalomane. On voit ici Gerald Simpson, un colon véreux, se prenant pour l'empereur d'Onitsha et se permettant d'user de son autorité pour imposer sa suprématie et celle de sa race.

Le Clézio et Lesage à travers ces différents passages soulèvent les problèmes auxquels font face leurs différents protagonistes dans le récit. Pour eux, le caractère des personnages joue un rôle fondamental dans l'esthétique de la caricature comme l'expression du satirique dans leur ouvrage. Ceci dit, on remarque l'identité même des deux sociétés en proie aux malheurs causés par les actions des hommes. La caricature présente ici marque la forme absolue du picaresque. Car le picaro doit, au bout de son aventure, apporter un regard satirique sur les actions des hommes. Puisqu'en effet, comme le dit Sophie Duval et Saïdah JP. (2008) :

Contrairement aux cibles, les valeurs précises qui sont supposées légitimer, chaque projet satirique restent souvent implicites et il faut alors les induire des objets visés : la satire recourt massivement à l'implication ironique,

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modalité énonciative centrale et trope clé de ce dispositif à double face, et peut verser dans l'instabilité sémantique et axiologique. (6)

De ceci, il ressort que ce soit Lesage ou Le Clézio, les deux veulent toucher les problèmes de leurs siècles et pour cela, des représentations parfois très grotesques de certains personnages sont conviées pour montrer l'ampleur des situations dans lesquelles vivent les différents protagonistes du corpus. Ces auteurs utilisent des techniques de déformation physique comme métaphore d'une idée en s'appuyant sur la relation caractère. Ainsi, les personnages caricaturés peuvent parfois s'apparentés à des monstres, à des gens sans scrupules ou encore à des personnages d'une naïveté accrue qui, à leur risque et péril, deviennent les marqueurs de la satire sociale d'où l'emploi récurrent de l'ironie.

2. De l'ironie : une arme satirique.

Allusions sarcastiques ou sarcasmes, parodie ou caricature, toutes ces formes d'expression se réclament être d'une sensibilité propre à nos auteurs. En utilisant une technique particulière d'écriture connue comme trope, l'ironie, ces auteurs le privilégient et l'emploient comme le principe organisateur de leurs romans. Cette ironie présente dans ces ouvrages se conçoit, par ailleurs, avec Simedoh Kokou (2008) comme :

Une forme esthétique, une manière de voir, de concevoir la réalité et surtout de la représenter, et ceci de façon critique. C'est cet aspect critique qu'emploie le plus souvent la littérature. Trope, l'ironie n'est pas qu'une simple substitution, un transfert de sens, elle met en présence deux sens contradictoires dans une aire de tension. L'écart qui s'observe est forcément le résultat du fait que l'ironie exprime à la fois le oui et le non dans un mouvement de va-et-vient paradoxal. Au niveau littéraire, l'ironie est une forme rhétorique très employée. Elle est une technique de mise à distance critique, le plus souvent entre l'auteur et sa création, tout comme entre la réalité et sa représentation. (35)

C'est dans cette perspective que l'ironie participe à l'ambition de la fiction de dépasser la simple représentation du réel. Il se crée ainsi une dynamique par laquelle l'art s'auto-représente, se montre, afin de donner une vision renouvelée de la réalité car, à travers l'ironie, l'artiste se libère et peut représenter une chose et son contraire. Schontjes le mentionne d'ailleurs dans sa Poétique de l'ironie (2001 : 109) lorsqu'il affirme :

L'art se montre afin de rendre possible une vision renouvelée de la réalité ; l'artiste s'efforce d'établir une vérité originale des choses en minant leur aspect conventionnel, qui passe par leur représentation traditionnelle. Pour renouveler la vision du monde, il aura donc simultanément pour tâche de nier son objet - dans ce qu'il a de conventionnel - et de le recréer. Le recours à l'ironie permet de réaliser le premier moment, nécessaire pour accéder au second : la création originale, libérée des contraintes.

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De ce qui précède, on comprend que l'ironie traduit sans doute une vision de la vie propre à nos auteurs et nous renvoie cette image de la société corrompue où l'injustice, l'inégalité entre le bas social et la haute hiérarchie sont devenues quelques choses de légitimes. Alors cette technique d'expression est un moyen pour Lesage aussi bien pour Le Clézio d'exprimer les misères du monde.

En revanche, l'ironie désigne un décalage entre le discours et la réalité, entre deux réalités ou plus généralement entre deux perspectives, qui produit de l'incongruité. L'ironie recouvre un ensemble de phénomènes distincts dont les principaux sont l'ironie verbale et l'ironie situationnelle. Quand elle est intentionnelle, l'ironie peut servir diverses fonctions sociales et littéraires. Nous le savons tous que l'ironie la plus exprimée dans nos textes est d'abord verbale. Alors cette ironie verbale prend en général une forme de langage non-littéral, c'est-à-dire un énoncé dans lequel ce qui est dit diffère de ce qui est signifié. Il y a une sorte d'éloignement concrètement observable entre le signifiant et son signifié. Ainsi dans certains énoncés l'ironie peut se produire de différentes manières, et ces manières sont pour la plupart liées à d'autres figures du discours.

Dans notre corpus, on assiste à certaines figures du discours qui laissent entrevoir une connotation ironique. L'antiphrase se réclame l'une des fréquentes utilisations formelles d'ironie dans la mesure où elle consiste clairement à dire l'inverse de ce que l'on souhaite signifier tout en laissant entendre ce que l'on pense vraiment. Mais plus loin, on assiste dans L'histoire de Gil Blas de Santillane à une ironie hyperbolique - ou hyperbole ironique - qui se manifeste plus principalement dans l'exagération des propos où la verve d'une réelle diatribe est observable au premier plan :

J'acceptai donc la proposition du docteur, dans l'espérance que je pourrais, sous un si savant maître, me rendre illustre dans la médecine. Il me mena chez lui sur-le-champ, pour m'installer dans l'emploi qu'il me destinait ; et cet emploi consistait à écrire le nom et la demeure des malades qui l'envoyaient chercher pendant qu'il était en ville. Il y avait pour cet effet au logis un registre, dans lequel une vieille servante, qu'il avait pour tout domestique, marquait les adresses ; mais, outre qu'elle ne savait point l'orthographe, elle écrivait si mal qu'on ne pouvait le plus souvent déchiffrer son écriture. Il me chargea du soin de tenir ce livre, qu'on pouvait justement appeler un registre mortuaire, puisque les gens dont je prenais les noms mouraient presque tous. (LGBS, 85)

On remarque dans cet énoncé une réelle hyperbole ironique à travers les expressions comme « un si savant maître » « il me chargea du soin de tenir ce livre, qu'on pouvait justement appeler un registre mortuaire, puisque les gens dont je prenais les noms mouraient presque tous ». On assiste à une sorte de plaisanterie à la fois douteuse et sarcastique. L'auteur exagère ses

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propos tout en les ironisant dans le but de montrer ce regard « culturel » sur la société de cette époque où comme nous l'avons mentionné plus haut, même ce qui est mauvais se revendique légitime.

De plus, dans nos romans, aussi bien dans l'histoire de Gil Blas de Santillane que dans Onitsha, la raillerie mordante qu'est l'ironie s'observe également à travers plusieurs autres types de figures de style. Ainsi en ayant à faire à la litote qui consiste à minimiser les paroles, les figures telles la juxtaposition, la digression et la circonlocution font aussi partie de cet univers sarcastique dont les écrits de nos auteurs se réclament. Dans ces ouvrages, notre étude de l'ironie nous permet de rendre cette analyse plus élargie dans la mesure où restreindre l'ironie à une simple antiphrase ironique - se limiter à dire l'inverse de ce que l'on pense - ne permet pas de rendre compte de toutes les formes d'ironie existantes. Cependant, vu que l'ironie n'est pas le seul discours dans lequel on fait entendre autre chose que ce que disent les mots car les métaphores ont aussi le même pouvoir, trouver une définition circonscrive n'est pas chose aisée. Néanmoins en poussant la réflexion plus loin, les travaux de Paul Grice27 (1975) pourront nous ouvrir certains champs de vision pour mieux explorer l'univers sarcastique auquel ces ouvrages du corpus accordent une importance particulière.

En outre, si pour Henri Morier (1961 : 555) :

L'ironie est l'expression d'une âme qui, éprise d'ordre et de justice, s'irrite de l'inversion d'un rapport qu'elle estime naturel, normal, intelligent, moral, et qui, éprouvant une envie de rire dédaigneusement à cette manifestation d'erreur ou d'impuissance, stigmatise d'une manière vengeresse en renversant à son tour le sens des mots (antiphrase) ou en décrivant une situation diamétralement opposée à la situation réelle (anticatastase). Ce qui est une manière de remettre les choses à l'endroit.

En d'autres termes, face à une situation d'ordre renversé ou d'injustice, l'ironie, attitude mentale, se propose de remettre les choses telles qu'elle le voudrait et le fait non sans renverser elle-même le processus. C'est en cela que l'ironie constitue en soi un paradoxe parce qu'elle s'oppose d'une part à l'opinion courante ou à une situation jugée inacceptable et pour ce faire adopte un raisonnement qui dissimule et contredit dans son énonciation, l'objet de la critique.

27 C'est un philosophe du langage qui s'est fait connaître pour ses travaux dans le domaine de la pragmatique et en linguistique. Paul Grice a élaboré une théorie selon laquelle la signification réside dans la communication d'un locuteur avec autrui. Il part du principe que la compréhension se fonde sur la conversation entre plusieurs personnes, qui doivent accepter les mêmes règles.

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Selon Morier, ce qui dérange l'ironiste est l'incongruité entre ce qui est dit et le contexte où se produit le discours, entre le signe et son objet. En ce sens l'ironiste est un idéaliste qui souffre de l'erreur et voudrait corriger ce qui déforme la vérité ou ce qui ne devrait pas être. Pour résoudre ou remettre les choses à leur place, l'ironiste use du dédain et surtout du rire, un rire fermé, peu ouvert. On est ici dans la définition traditionnelle de l'ironie qu'est l'antiphrase : dire le contraire de ce que l'on pense. C'est une première étape dans la définition, celle qui est souvent privilégiée, mais il ne faut pas oublier que, dès les origines, l'ironie est un système à panorama très varié selon le but visé, le sens voulu ou espéré, et les figures qui y président. Il faut aussi ajouter que l'ironie appartient à plusieurs catégories et que, par conséquent, on dénombre plusieurs genres d'ironie. Et cette esthétique ironique est plus présente dans nos ouvrages. L'histoire de Gil Blas de Santillane et Onitsha, l'un comme l'autre oppose un type d'ironie particulier. On peut ainsi distinguer :

L'ironie socratique, née de la philosophie grecque, qui se caractérise par une ignorance ou une complaisance simulée afin de faire ressortir l'ignorance réelle de la victime ou cible. C'est une attitude ou état d'esprit qui apparaît aussi dans l'auto-dénigrement raffiné, humaine, mais souvent pleine d'humour. Kokou Simedoh (2008) trouve que :

Cette ironie fonctionne sur la dissociation entre les identités, entre l'être et le paraître, qui est finalement sa source. Elle feint la naïveté et la plaisanterie. Le rire provoqué est équivoque et porteur d'un jugement ambigu. Ici l'ironie est plutôt une attitude qu'autre chose, car l'ironiste, par le rire, cherche son propre plaisir mais le fait aux dépens d'autrui ou de lui-même. (48)

Ainsi, ce type d'ironie joue sur la dissimulation qui est la première caractéristique de l'ironie selon Schaerer. Selon lui, l'ironie constitue un masque qui demande à être arraché. L'eirôn, en grec, se présente comme inférieur à ce qu'il est réellement. Il minimise les titres de gloire qu'il possède. C'est un mystificateur, un flatteur qui joue sur la tromperie. C'est la figure de Socrate qui se fait passer pour un ignorant pour mieux confondre ses adversaires (48). Attitude interrogatrice, l'ironie se trouve au coeur de la maïeutique et cherche à faire coïncider la conscience intellectuelle et morale. Dans l'histoire de Gil Blas de Santillane, cette figure d'ironie plus palpable lors « De ce que fit Gil Blas, ne pouvant faire mieux » :

Je prenais un air gai en leur versant à boire, et je me mêlais à leur entretien, quand je trouvais occasion d'y placer quelque plaisanterie. Ma liberté, loin de leur déplaire, les divertissait. Gil Blas, me dit le capitaine, un soir que je faisais le plaisant, tu as bien fait, mon ami, de bannir la mélancolie. Je suis charmé de ton humeur et de ton esprit. On ne connaît pas d'abord les gens. Je ne te croyais pas si spirituel ni si enjoué. Les autres me donnèrent aussi mille louanges. Ils me parurent si contents de moi, que, profitant d'une si bonne disposition : messieurs, leur dis-je, permettez que je vous découvre mes sentiments. Depuis que je demeure ici, je me sens tout autre que je n'étais auparavant. Vous m'avez défait des préjugés de mon éducation. J'ai

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pris insensiblement votre esprit. J'ai du goût pour votre profession. Je meurs d'envie d'avoir l'honneur d'être un de vos confrères et de partager avec vous les périls de vos expéditions. Toute la compagnie applaudit à ce discours. On loua ma bonne volonté. Puis il fut résolu tout d'une voix qu'on me laisserait servir encore quelque temps pour éprouver ma vocation ; qu'ensuite on me ferait faire mes caravanes. Après quoi on m'accorderait la place honorable que je demandais. (LGBS : 29)

On note ici une ironie utilisée par Gil Blas pour flatter et tromper la vigilance de ses compagnons voleurs et forçats afin d'échapper à leur fratrie. Ici, on remarque comment Gil Blas use de tous les moyens nécessaires pour ne plus faire partie du monde de brigands de grand chemin. Il multiplie les airs d'honnête homme, d'homme apprivoisé ou satisfait de sa condition pour se libérer de cette contrainte immorale pesant sur sa conscience. « Je meurs d'envie d'avoir l'honneur d'être un de vos confrères et de partager avec vous les périls de vos expéditions », signifie tout court qu'il souhaite s'échapper de cette prison souterraine où il est contraint de passer nuit et jour sous les ordres des brigands, de Domingo et de la cuisinière. Il fait croire à ces hébergeurs qu'il est d'accord avec leurs actions quelles que soient leurs natures et pourtant c'est faux.

Hors mis l'ironie socratique, on peut relever un autre type d'ironie guidant l'ensemble des ouvrages que constitue notre corpus : l'ironie de situation. Encore appelée l'ironie du sort, elle matérialise par le renversement, la contradiction observée par l'homme surpris que la situation ne soit pas celle qu'il avait prévue ou qu'il considère comme devant être l'ordre des choses. Ce sentiment de surprise et de rebondissements est la manifestation de rapprochements inattendus de réalités. C'est en général une situation renversée contre toute attente. Le renversement est souvent le fruit du hasard. Le renversement ironique s'opère avec des éléments précis comme l'aveugle qui recouvre tout à coup la vue, le naïf qui induit par dissimulation son interlocuteur en erreur. Il peut jouer dans n'importe quel sens : ce qui est laid peut devenir beau, une récompense peut survenir au lieu d'une condamnation. C'est ici qu'apparaît l'inadéquation des comportements :

Il fallut donc continuer de me contraindre et d'exercer mon emploi d'échanson. J'en fus très mortifié, car je n'aspirais à devenir voleur que pour avoir la liberté de sortir comme les autres ; et j'espérais qu'en faisant des courses avec eux, je leur échapperais quelque jour. Cette seule espérance soutenait ma vie. L'attente néanmoins me paraissait longue, et je ne laissai pas d'essayer plus d'une fois de surprendre la vigilance de Domingo ; mais il n'y eut pas moyen. (LGBS, 30)

On note ici que ce type d'ironie peut être perçu comme de la soumission du hasard, de l'aléatoire, à la logique mais une logique inattendue. L'ironie de situation joue donc sur des identités cachées et sur l'écart entre l'être et le paraître, sur l'apparence et la réalité. Le prototype est l'arroseur arrosé, comme on le voit dans plusieurs comédies - principalement

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les auteurs de la comédie classique -. Cette ironie fonctionne surtout par des péripéties, ayant un caractère dramatique, et se propose en général de montrer un fait par le renversement, ce dernier accompagnant une situation de symétrie où tout semble à première vue en ordre. Sa finalité le plus souvent est de présenter la vie à travers les péripéties inattendues qui la jalonnent. La vision du monde habituel demande l'identité de l'apparence et de la réalité ; elle suppose que ce qui se ressemble s'assemble.

L'ironie verbale fait aussi l'apanage de notre corpus dans la mesure où elle est non seulement une attitude mentale de dissimulation, mais aussi une forme d'expression. Ainsi, fondée sur la fausse modestie, sur une certaine naïveté, l'ironie verbale repose surtout sur des pratiques langagières spécifiques. Autant l'ironie du sort repose sur des situations, autant l'ironie verbale se situe entièrement au niveau du langage. Elle consiste à dire quelque chose tout en prétendant ne pas le dire ou encore à appeler les choses par leurs contraires. L'idée de contraire est fondamentale car selon Cicéron cité par Kakou (2008 :53), l'ironie est un jeu de mots obtenu par inversion verbale. C'est une manière de déguiser sa pensée par une raillerie continue, une manière de dissimuler sa pensée sous un ton sérieux. A cet effet, Kokou trouve qu' :

Une ironie verbale a lieu dès lors qu'il y a désaccord entre les mots et ton de l'énonciation, l'énonciateur ou la cible ou victime, ou encore la nature du sujet. On dépasse de loin ici le simple fait du contraire ou de l'antiphrase. La contradiction et le contraste suscités entre les mots et une nouvelle attitude et le sentiment qui s'y rattache forment le socle de l'ironie verbale. (53-54)

On constate ici que le lecteur ou l'interlocuteur doit faire intervenir son jugement parce que l'ironie dite verbale devient un outil qui mine à la base la réalité, qui remet en question le discours dominant. Car elle critique, raille et se moque en représentant un monde idéal. Dans Onitsha ou encore dans l'histoire de Gil Blas de Santillane cette réalité cruelle des choses est plus palpable et réellement définie à travers les différentes actions de nos héros. On assiste à des héros, qui généralement devant une situation de la vie quotidienne insupportable, change de ton du discours pour marquer ainsi une différenciation entre l'émotion suscitée devant une situation de désillusion et les conséquences morales, physiques qui y découlent. Ceci s'observe dans Onitsha où Maou fait part d'un contraste virulent entre ses rêveries et la cruelle réalité de sa condition de vie à Onitsha :

Tout à coup, [Maou] comprenait ce qu'elle avait appris en venant ici, à Onitsha, et qu'elle n'aurait jamais pu apprendre ailleurs. La lenteur, c'était cela, un mouvement très long et régulier, pareil à l'eau du fleuve qui coulait vers la mer, pareil aux nuages, à la touffeur des après-midi, quand la lumière emplissait la maison et que les

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toits de tôle étaient comme la paroi d'un four. La vie s'arrêtait, le temps s'alourdissait. (Onitsha, 167)

Maou se retrouve confrontée ici à l'absurdité de la vie en Afrique. Elle est prise au piège entre ses rêveries d'auparavant sur l'Afrique et la dure réalité à laquelle elle se trouve confrontée. De ce fait, elle ne peut qu'ironise - «Elle avait appris en venant ici, à Onitsha, et qu'elle n'aurait jamais pu apprendre ailleurs. La lenteur, c'était cela » - pour rendre supportable la situation dans la laquelle elle prend une part grande.

3. Humour et sarcasme des personnages

Vu le caractère des héros picaros du corpus, les différents protagonistes aventuriers ont sûrement connu beaucoup de découvertes tout en déportant d'une société à une autre, d'une culture à une autre, ils ont bien entendu développés des attitudes humoristiques leur permettant de digérer les moeurs osées auxquelles ils sont confrontées. C'est là l'un des principes fondateurs de l'esthétique picaresque. Ainsi, la verve humoristique étant la conséquence d'une rupture de l'équilibre entre les humeurs, elle privilégie le grotesque, le pittoresque et surtout l'inattendu auxquels s'attache le picaresque. Les auteurs de notre corpus nous le font remarquer à travers leurs héros. Parlant de la verve humoristique, l'encyclopédie Universalis (1996 : 1754) note qu':

Il soulève ainsi la question de l'absurdité de l'entendement humain, par lequel il n'est pas possible d'entrevoir une adéquation véritable entre les pensées et les actes, celle-ci se heurtant à une dérision infinie. [il] s'allie à un mépris de l'univers qui cache l'idée anéantissante d'une intelligence limitée et démasquée assimiler ainsi à une sorte de démence qui transformerait la mélancolie en plaisanterie par l'effet supérieur d'un moi parodique.

Ce rôle que joue l'humour montre dans une mesure certaine à quoi se limite le roman picaresque en quelle que sorte. La découverte de diverses couches sociales est un moment de mélancolie pour nos héros mais qui le plus souvent la montre à travers un rire sarcastique. Nos protagonistes à un moment donné font un discours humoristique juste pour se consoler de leur existence hostile. On assiste surtout à une sorte de repli sur soi pour supporter le mal-être auquel ils sont confrontés. Ce lot de consolation s'observe bien entendu chez Fintan. Après la révolte des forçats à Isubun et l'abandon de sa maison par le D.O. Gerald Simpson, Fintan observe avec humour le désenchantement de ce colon despotique :

Alors [Fintan] était allé jusqu'à la maison blanche près du fleuve. Il avait vu la grille déformée, là où le sang avait coulé et imprégné la boue. Le grand trou de la piscine paraissait une tombe inondée. L'eau était boueuse, couleur de sang. Il y avait deux soldats armés de fusils en faction devant le portail. Mais la maison semblait étrangement vide, abandonnée. Tout d'un coup, Fintan avait compris que Gerald

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Simpson n'aurait jamais sa piscine. Après ce qui s'était passé, plus personne ne viendrait creuser la terre. Le grand trou se remplirait d'eau boueuse à chaque saison, les crapauds viendraient y chanter la nuit. Cela l'avait fait rire, d'un rire qui était comme une vengeance. Simpson avait perdu. (Onitsha, 253)

Cette description un peu triste donne à Fintan un certain goût de satisfaction pour ce qui est arrivé au D.O. Ce passage bercé d'humour laisse également entrevoir du sarcasme dans ce récit. Le ridicule dans le renversement des rôles est ce qui rend la tonalité de cet extrait intéressant.

Chez Lesage, cette verve humoristique est encore plus flagrante, dans la mesure où il s'agit pour Gil Blas de mener une vie de tromperie afin de se faire une place au soleil. Les techniques du discours de ce narrateur s'observent d'ailleurs sur l'essentiel que constituent l'humour noir et le sarcasme. Ainsi, dans le livre Premier au Chapitre VII « De ce que fit Gil Blas, ne pouvant faire mieux », le héros se retrouve coincé entre les voleurs et il devra être ingénieux pour se sauver. Alors il emploie des formules d'humour aboutissant au sarcasme pour plaire à son auditoire hostile et aussi malin :

Je prenais un air gai en leur versant à boire, et je me mêlais à leur entretien, quand je trouvais occasion d'y placer quelque plaisanterie. Ma liberté, loin de leur déplaire, les divertissait. Gil Blas, me dit le capitaine, un soir que je faisais le plaisant, tu as bien fait, mon ami, de bannir la mélancolie. Je suis charmé de ton humeur et de ton esprit. On ne connaît pas d'abord les gens. Je ne te croyais pas si spirituel ni si enjoué. (LGBS, 29)

Gil Blas est confronté ici à une situation particulière. Il est tombé par destin aux mains des brigands. Après une tentative d'évasion non concluante où il se fait attraper, il se trouve dans l'impossibilité actuelle de s'échapper. Il doit se faire à l'idée de rester parmi ces voleurs et pour ce faire, il est obligé de se substituer aussi en bandit dans le seul but de tromper la vigilance de ses bourreaux. Cette action décisive est mise au point par des discours apologétique qu'il fait à l'endroit des voleurs. L'extrait ci-dessus dénote un discours sarcastique que Gil Blas met en exergue pour tromper ses bourreaux. Le sarcasme que l'on note ici n'est qu'une sorte de stratagème discursif dans le simple but d'arriver à assouvir son désir de s'évader du monde des voleurs.

Par ailleurs, l'humour tout comme l'ironie est une notion qui présente de nombreuses analogies en son sein car il se réclame aussi être un fait de langage. Tout comme sa meilleure amie l'ironie, l'humour présente un écart par rapport à une énonciation mais à la différence de l'ironie elle ne présente pas le même développement. Il est pris dans une certaine mesure comme une antiphrase qui consiste à faire entendre autre chose que ce que l'on dit. Il est aussi défini par Du Marsais et Fontanier (2008 :19) comme un procédé plus général qui consiste à

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dire par manière de raillerie tout le contraire de ce qu'on pense ou de ce que l'on veut faire penser aux autres. Seulement à la différence de l'ironie, très facile à repérer par le biais de ses traits particuliers, l'humour ne se caractérise pas par un trope spécifique. Il se manifeste par toute une variété de degrés, de procédés, de thèmes et son aspect subtil et diffus en fait généralement un phénomène complexe à cerner. Néanmoins Cazamian et Robert Escarpit (1963) l'abordent en s'appuyant son aspect psychologique et trouvent que l'humour est une forme d'excentricité naturelle ou affectée, ou du moins une anomalie qui se détache sur fond de normalité. Dans son ouvrage intitulé l'humour, Robert Escarpit le conçoit comme un remède lorsqu'il affirme que :

L'humour est l'unique remède qui dénoue les nerfs du monde sans l'endormir, lui donne sa liberté d'esprit sans le rendre fou et mette dans les mains des hommes, sans les écraser, le poids de leur propre destin. (26)

Ceci s'observe aussi chez Jankélévitch. Ainsi pour sa part, il trouve qu'entre l'humour et l'ironie il existerait plutôt une question de gradation. Sans toutefois s'opposer systématiquement comme on le croit souvent, l'humour est pour lui la forme supérieure de l'ironie. Car comme nous pouvons le noter, l'ironie est cinglante, malveillante, fielleuse, méprisante et surtout agressive contrairement à l'humour qui se réclame être une nuance de gentillesse et d'affectueuse bonhomie que l'on ne retrouve pas dans l'ironie. L'humour est la sympathie, il est le sourire de la raison et non le reproche du sarcasme. Il compatit avec la cible, il est complice du ridicule et se sent le plus souvent de connivence avec lui.

Toutefois, Morier (1961) donne ci-dessous, une définition qui résume assez bien la notion d'humour tout en s'appuyant sur des éléments différents :

L'humour est l'expression d'un état d'esprit calme, posé, qui, tout en voyant les insuffisances d'un caractère, d'une situation, d'un monde où règnent l'anomalie, le non-sens, l'irrationnel et l'injustice, s'en accommode avec une bonhomie résignée et souriante, persuadé qu'un grain de folie est dans l'ordre des choses ; il garde une sympathie sous-jacente pour la variété, l'inattendu et le piquant que l'absurde mêle à l'événement. Il feint donc de trouver normal l'anormal. Il soutient paradoxalement, avec un sérieux apparent et tranquille (flegme) que les situations aberrantes qu'il décrit n'ont rien que de très naturel. Il fait semblant d'approuver les écarts, de les justifier à l'occasion. Sa peinture, discrètement exagérée ou légèrement en retrait sur les points les plus irrationnels, fait entrevoir un anti-monde utopique, qui serait le monde de l'ordre de l'intelligence. (582)

Cette définition bien étayée semble s'adapter à l'imaginaire des romans du corpus. Que ce soit l'histoire de Gil Blas de Santillane ou encore Onitsha, l'humour est l'un des éléments qui guident l'écriture satirique dont se réclament être ces deux ouvrages. Ce caractère grotesque

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de l'humour, ce discours au rire sarcastique, s'exprime avec Le Clézio, lorsque Sabine Rhodes fait ce reproche à Maou :

Chère signorina, vous savez, nous en voyons passer tous les jours des gens comme votre mari, qui croient qu'ils vont tout réformer. Je ne dis pas qu'il a tort, ni vous non plus, mais il faut être réaliste, il faut voir les choses comme elles sont et non comme on voudrait qu'elles soient. Nous sommes des colonisateurs, pas de bienfaiteurs de l'humanité. Avez-vous pensé à ce qui se passerait si les Anglais que vous méprisez si ouvertement retiraient leurs canons et leurs fusils ? Avez-vous pensé que ce pays serait à feu et à sang, et que c'est par vous, chère Signorina, par vous et votre fils qu'ils commenceraient, malgré toutes vos idées généreuses, tous vos principes et vos conversations amicales avec les femmes du marché ? (Onitsha, 196-197)

Il faut noter ici que « les femmes du marché » ici représentées sont des femmes noires, celles qui sont à la merci des colons anglais. Sabine Rhodes, ce membre de l'autorité coloniale anglaise en charge de la ville d'Onitsha, semble trouver l'idée de la colonisation comme un bienfait pour les Noirs. Son discours semble aussi normal, car il ne faut pas le cacher, sans eux - les colons - l'Afrique croupirait dans une guerre sans fin. On a donc affaire à ce type de l'humour que définit Schopenhauer (1966 :776) comme étant le fait de plaisanter sur ce qui parait sérieux ou grave. On peut aussi remarquer dans ce discours de l'humour telle que définit Bergson (1981 :96), celle de décrire minutieusement ce qui est en affectant de croire que c'est bien là ce que les choses devraient être. Cet humour est matérialisé chez Lesage à travers cet extrait de Gil Blas :

Messieurs, leur dis-je, permettez que je vous découvre mes sentiments. Depuis que je demeure ici, je me sens tout autre que je n'étais auparavant. Vous m'avez défait des préjugés de mon éducation. J'ai pris insensiblement votre esprit. J'ai du goût pour votre profession. Je meurs d'envie d'avoir l'honneur d'être un de vos confrères et de partager avec vous les périls de vos expéditions. Toute la compagnie applaudit à ce discours. On loua ma bonne volonté. (LGBS, 29)

Ou encore dans celui-ci où exercer la médecine pour Gil Blas semblant être un métier tout comme un autre pour Gil Blas et son maître :

Tandis que j'aurai soin de la noblesse et du clergé, tu iras pour moi dans les maisons du tiers-état où l'on m'appellera ; et, lorsque tu auras travaillé quelque temps, je te ferai agréger à notre corps. [...] Je remerciai le docteur de m'avoir si promptement rendu capable de lui servir de substitut ; et pour reconnaître les bontés qu'il avait pour moi, je l'assurai que je suivrais toute ma vie ses opinions, quand même elles seraient contraires à celles d'Hippocrate. (LGBS, 87)

Ces extraits du roman de Lesage présentant à la fois un ton comique et sarcastique rendent bien compte de l'humour qui est présent dans ce texte. Lesage met en scène ici le côté pervers de la société. Il néglige ou du moins se moque des choses pourtant considérées comme graves. Dans le premier extrait, le héros veut échapper à ses agresseurs et trouve que le moyen pour que ce rêve devienne réalité, c'est de se donner en spectacle dans le but de contraindre ses

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bourreaux à le laisser s'échapper. L'humour se réclame ici être une technique de ruse. Il utilise le rire pour cacher sa peur et ainsi éloigner tout soupçon pouvant le freiner dans sa quête vers la liberté. Dans le second extrait, Gil Blas plaisante une fois de plus avec les choses graves. N'ayant aucune formation nécessaire pour exercer la médecine, se dit devoir si possible obéir au Docteur Sangredo, même s'il sait bien que cette obéissance est contraire au serment d'Hippocrate. Derrière cette plaisanterie ici bien manifestée, se cache la gravité la plus profonde qui perce à travers le rire. La raillerie est donc ainsi présente dans l'humour.

En outre, Dominique Noguez (2000) trouve qu'il existe plusieurs types d'humour en général identifiable à partir de l'intentionnalité de son énonciateur. Ainsi l'humour prend une couleur différente en fonction des thèmes d'où Noguez tire sa liste de paradoxe et de contraste. Il dénombre les types d'humour tels l'humour noir, jaune, rouge, gris, vert et voire même rose (48). Plus loin il parle aussi de l'humour caméléon et de l'humour blanc. Mais ici, avec le contexte de production dans lequel s'inscrivent les deux romans du corpus, il parait judicieux d'insister sur les formes de l'humour qui donnent une verve satirique à l'écriture incarnée par ces auteurs. De ce fait, parlant de l'humour noir, Noguez trouve que c'est une plaisanterie féroce. Il est du côté du macabre et privilégie le scandale. Les formes, comme l'adjectif "noir" l'indique, sont sombres. Aussi, André Breton (1950 : 29) trouve en l'humour noir une révolte métaphysique. Ainsi on comprend avec Moran et Gendrel (2007 : 3) lorsqu'ils affirment que :

L'humour noir navigue donc dans des eaux proches de celles du mauvais goût, du scandale et de l'indécence ; il est en tout cas remarquable qu'il s'agisse d'une forme de rire qui non seulement provoque parfois une réception malveillante, mais semble même s'y complaire.

Cette définition rend compte bien des caractéristiques propres à l'humour noir. Il consiste notamment à évoquer avec détachement, voire avec amusement, les choses les plus horribles ou les plus contraires à la morale en usage. L'humour noir établit également un contraste entre le caractère bouleversant ou tragique de ce dont on parle et la façon dont on en parle. Ce contraste interpelle en général le lecteur ou l'auditeur et à la vocation de susciter une interrogation. C'est en quoi l'humour noir, qui fait rire ou sourire des choses les plus sérieuses, devient exclusivement une arme de subversion. Dans l'histoire de Gil Blas de Santillane, le narrateur ne manque pas d'employer cette technique pour tourner en dérision la pratique de la médecine à Valladolid. Ainsi, Gil Blas raconte :

Bien loin de manquer d'occupation, il arriva, comme mon maître l'avait si heureusement prédit, qu'il y eut bien des maladies. La petite vérole et des fièvres malignes commencèrent à régner dans la ville et dans les faubourgs. Tous les médecins de Valladolid eurent de la pratique, et nous particulièrement. Il ne se

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passait point de jour que nous ne visitions chacun huit ou dix malades. Ce qui suppose bien de l'eau bue et du sang répandu. Mais je ne sais comment cela se faisait, ils mouraient tous, soit que nous les traitassions fort mal, soit que leurs maladies fussent incurables. Nous faisions rarement trois visites à un même malade. Dès la seconde, nous apprenions qu'il venait d'être enterré, ou nous le trouvions à l'agonie. [...] Nous y continuâmes à travailler sur nouveaux frais, et nous y procédâmes de manière qu'en moins de six semaines nous fîmes autant de veuves et d'orphelins que le siège de Troie. Il semblait que la peste fût dans Valladolid, tant on y faisait de funérailles. (LGBS, 99-100)

Gil Blas présente ici l'épisode de la pratique de la médecine à Valladolid et son implication à la poussée des patients vers la mort. Il n'avait pas la pratique approuvée pour exercer son nouveau métier. Son maitre est conscient du fait de son incapacité à traiter la population atteinte de la variole, mais ce-dernier imbu de lui-même et motivé par l'argent à gagner durant cette souffrance totale se refuse de ne pas en profiter. Gil Blas fait cette description avec un timbre de d'humour noir dans la mesure où on n'a pas le sentiment qu'il est touché par les malheurs de ses patients.

Jean pierre Bertrand (1992 : 9, 10) affirme qu'il y a dans l'humour jaune lorsque :

La vision du réel se dissout progressivement dans une projection paranoïaque de la souillure, de la suppuration ; de l'extériorité décrite est miroir de l'intériorité ; le regard torve défigure le réel ; le morbide fait place au macabre, et le macabre au sordide. L'humour jaune procède donc d'une tension entre un désir d'absolu et le désenchantement y découlant.

Ainsi, l'humour jaune s'appréhende ici comme une sorte de comédie de l'ignorance et de la maladresse. Empruntant beaucoup de ruse et d'orgueil, il s'emploie surtout à l'auto-dénigrement. On assiste ici à une sorte de mélancolie humoristique. Cette mélancolie résulte en général par un effet d'hypertrophie du sujet, replié sur lui-même, objectivé en une instance-miroir dont peut se moquer une parole résolument solipsiste. Il en découle surtout un effet d'ironie décapante à l'égard de tout discours. Le brassage culturel imposant une médiation déceptrice du sujet au monde. Ce cas de figure s'observe bien dans Onitsha où Maou, ayant rêvé d'une Afrique imaginée exotique, tombe sur une autre Afrique en proie aux maux de la colonisation. Ainsi le narrateur raconte :

Maou avait rêvé de l'Afrique, les randonnées à cheval dans la brousse, les cris rauques des fauves le soir, les forêts profondes pleines de fleurs chatoyantes et vénéneuses, les chantiers qui conditionnent au mystère. Elle n'avait pas pensé que ce serait comme ceci, les journées longues et monotones, l'attente sous la varangue, et cette ville aux toits de tôle bouillants de chaleur. Elle n'avait pas imaginé que Geoffrey Allen était cet employé des compagnies commerciales de l'Afrique de l'Ouest, passant l'essentiel de son temps à faire l'inventaire des caisses arrivées d'Angleterre avec du savon, du papier hygiénique, des boîtes de corned-beef et de la farine de force. Les fauves n'existaient pas, sauf dans les rodomontades des officiers, et la forêt avait disparu depuis longtemps, pour laisser la place aux champs d'ignames et aux plantations de palmiers à huile. Maou n'avait pas imaginé

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davantage les réunions chez le D.O., chaque semaine, les hommes en tenue kaki avec leurs souliers noirs et leurs bas de laine montant jusqu'au genou, debout sur la terrasse un verre de whysky à la main, leurs histoires de bureau, et leurs femmes en robes claires et escarpins parlant de leurs problèmes de boys. (Onitsha, 82, 83)

Ce passage d'Onitsha laisse découvrir la grande déception de Maou vis-à-vis de son rêve sur l'Afrique. Cette description laisse aussi entrevoir une teinte d'humour jaune dans la mesure où Maou a voulu supporter l'Afrique à travers son climat tropical et son environnement exotique mais en paradoxe, elle tombe sur une Afrique plus macabre que morbide et plus sordide à l'idée de prendre part à cette triste réalité.

La caricature, l'ironie et l'humour ici théorisés dans ce chapitre traduisent l'excellence de la vision satirique qu'incarnent les deux textes du corpus. De ce fait, on aboutit à un discours pamphlétaire comme faisant partie intégrante du picaresque. Puisque le pamphlet en lui-même est une opposition à un fait social désobligeant et deshumanisant, il vient ici combler l'état polémique que soulève le récit picaresque au regard des maux de l'existence qu'affronte le héros. Le pamphlet se veut être une écriture polémique, le plus souvent inspiré par l'actualité. Dirigé contre un personnage, un parti politique ou une institution, le discours pamphlétaire est généralement bref et incisif. Parfois le pamphlet peut se substituer en un long récit. Dans ce cas, il peut être une oeuvre littéraire satirique ou polémique. Marc Angenot (1982) écrit d'ailleurs à cet effet que :

Le pamphlet est un spectacle; le pamphlétaire y «fait une scène», au sens hystérique de ce mot. Tout le pamphlet tient alors à une dénégation: il dénonce un pouvoir abusif en se posant comme hors des pouvoirs et même réduit à l'impuissance. [...] Le pamphlétaire ne critique pas l'erreur, il la transmue en usurpation, c'est dire qu'il est affamé de légitimité. Sa vérité, on l'a vu, s'authentifie en virilité. Face à la violence des appareils, le pamphlétaire joue une violence verbale qui doit le dédouaner. (342)

Le récit picaresque emploie dès lors le ton pamphlétaire pour mettre au point son côté satirique : description de l'univers du picaro à travers diverses péripéties et aventures, raillerie des moeurs de la haute classe marginalisant le bas social. Voilà ce qui attribue au discours picaresque, un ton pamphlétaire. Puisqu'il réagit par la dénonciation, et non l'analyse ; moralement légitimé par son intimité avec la vérité, il peut, à la violence de l'imposture, répondre par un terrorisme verbal. On peut bien entendu le remarquer à travers cet extrait de Gil Blas de Santillane où Gil Blas, ne pouvant s'accoutumer aux moeurs des comédiennes, quitte le service d'Arsénie, et trouve une plus honnête maison :

Un reste d'honneur et de religion, que je ne laissais pas de conserver parmi des moeurs si corrompues, me fit résoudre non seulement à quitter Arsénie, mais à rompre même tout commerce avec Laure, que je ne pouvais pourtant cesser d'aimer, quoique je susse bien qu'elle me faisait mille infidélités. Heureux qui peut ainsi

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profiter des moments de raison qui viennent troubler les plaisirs dont il est trop occupé ! Un beau matin, je fis mon paquet ; et, sans compter avec Arsénie, qui ne me devait à la vérité presque tien, sans prendre congé de ma chère Laure, je sortis de cette maison où l'on ne respirait qu'un air de débauche. (LGBS, 200)

Ici Gil Blas vient d'abandonner son service auprès d'Arsénie. Car la maison d'Arsénie est empestée de comédiennes débauchées et immorales. Ceci dit, le séjour de Gil Blas parmi ces femmes a été un véritable moment de tourment auquel ce dernier n'a pu s'accoutumer. Alors sur un ton pamphlétaire, il nous fait une brève représentation de ce lieu à l'immoralité exacerbée et infeste. Ce passage se réclame être pamphlétaire dans la mesure où l'auteur dénonce les virtuosités immorales que renferme le monde des comédiennes ou du moins des femmes publiques.

Ce discours pamphlétaire est également mis en exergue dans Onitsha où Maou se retrouve confronter à l'absurdité de la vie en Afrique. Elle est prise au piège entre ses rêveries d'auparavant sur l'Afrique et la réalité à laquelle elle se trouve confrontée :

Tout à coup, elle comprenait ce qu'elle avait appris en venant ici, à Onitsha, et qu'elle n'aurait jamais pu apprendre ailleurs. La lenteur, c'était cela, un mouvement très long et régulier, pareil à l'eau du fleuve qui coulait vers la mer, pareil aux nuages, à la touffeur des après-midi, quand la lumière emplissait la maison et que les toits de tôle étaient comme la paroi d'un four. La vie s'arrêtait, le temps s'alourdissait. Tout devenait imprécis, il n'y avait plus que l'eau qui descendait, ce tronc liquide avec ses multitudes ramifications, ses sources, ses ruisseaux enfouis dans la forêt. Elle se souvenait, au début elle était si impatiente. Elle croyait bien n'avoir jamais rien haï plus que cette petite ville coloniale écrasée de soleil, dormant devant le fleuve boueux. Sur le Surabaya, elle avait imaginait les savanes, les peuples de gazelles bondissant dans l'herbe fauve, les forêts résonnant du cri des singes [...] A Onitsha, elle avait trouvé cette société de fonctionnaires sentencieux et ennuyeux, habillés de costumes ridicules et coiffés de casques, qui passaient leur temps à bridger, à boire et à s'espionner. (Onitsha, 167, 168)

Ce contraste virulent que Maou nous fait part ici, entre ses rêveries et la cruelle réalité de sa condition de vie à Onitsha, démontre le côté pamphlétaire de l'écriture le clézienne. Ce discours pamphlétaire employé ici vient confirmer et mettre en exergue le picaresque identifié dans notre corpus.

Au terme de ce chapitre, on découvre ainsi une esthétique satirique, symbole de la stricte représentation de la vie des hommes en société. A partir de là se pose le problème de la valeur du picaresque. Une esthétique de la caricature, une écriture du social qui se veut être représentation, peinture des moeurs et traduisant une vision du monde propre aussi bien à Lesage qu'à Le Clézio. Ceci dit, ne peut-on pas aussi percevoir le picaresque comme une expression d'une autre histoire de mentalité ? La partie suivante s'attèlera à y répondre.

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TROISIÈME PARTIE : LE

PICARESQUE : UNE AUTRE

HISTOIRE DES MENTALITÉS

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Si nous comprenons avec Didier Souiller (1980) que le genre « picaresque [est] au service du combat d'idées» (92), nous nous inscrivons dans la perspective selon laquelle le picaresque serait la réécriture d'une autre histoire de mentalité. Dans ce cas, elle se propose à créer un nouveau monde possible, une humanité intelligible dans laquelle les clichés et l'injustice sont méconnus. Et ceci ne peut se faire que par la peinture dégoutant des litiges sociaux. C'est pourquoi cette dernière partie de notre travail se propose dans un premier chapitre d'insister sur les modes de résistance que le bas social adopte pour se libérer des chaînes oppressantes de la haute classe. Ceci dit, à travers le verbe picaresque comme déconstruction des idéologies, l'esprit de satire animant les auteurs, le picaresque comme expression d'une certaine identité commune, nous arrivons à démontrer qu'effectivement l'esthétisation du picaro vient remettre en question le système oppressif qui sévit dans le monde. Le chapitre deuxième confère au picaresque l'expression d'une vision du monde, la manifestation d'un imaginaire social, ceci par le biais de son fervent engagement pour une cause noble ; celle de mettre un terme aux injustices sociales.

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Chapitre 1 : MODES DE RÉSISTANCE DU BAS SOCIAL

Comme nous le savons déjà le picaresque est une esthétique marxiste. Et ce marxisme qui fait partie intégrante de sa vision du monde lui confère un rôle révolutionnaire. Ceci dit, le picaresque est par essence un genre voulant refaire l'histoire de l'humanité à travers bien entendu sa vision du monde. Si l'on s'en tient à cette modalité de révolution, le picaresque devient donc un mode de Résistance ; résistance dans le temps, résistance dans l'espace. Cette résistance s'exprime d'ailleurs à travers son caractère subversif lié à la satire des moeurs sociales.

Toutefois, il incombe de cerner la notion de Résistance dans le picaresque. Ainsi, on comprend avec François Marcot (1997 : 21) que la Résistance peut se percevoir comme :

Un combat volontaire et clandestin contre l'occupant ou ses collaborateurs afin de libérer le pays. Résister, c'est agir. [...1 la Résistance est une action. Comme mouvement social, la résistance [...1 revêt toute son ampleur quand elle se structure et quand elle se donne une visibilité identitaire sous forme d'organisations porteuses de valeur.

De ce qui précède, on constate que la Résistance est synonyme de la volonté de changer le monde, de le voir autrement car les institutions sont suffisamment mal structurées pour créer un climat de justice social. La Résistance est à la fois révolution et changement. Ici on note aux critères du picaresque dans la mesure où ce dernier divinise les mêmes actions, celui de se soulever, de révolutionner la vision du monde centralisée sur la dichotomie entre les classes sociales créant un climat d'injustice sociale totale. Vu que le picaresque est une réaction contre la bipolarisation de la société ayant engendré que de misères et de peines de la couche vulnérable, on comprend dès lors qu'il obéit à un imaginaire de Résistance. Aussi bien en France que dans le reste du monde, il devient toute une autre histoire de mentalité.

1. Virulence et subversion comme déconstruction de l'idéologie dominante

Si une chose caractérise le genre et l'esprit picaresque, c'est bien entendu le verbe de son discours. Il se dit satirique à travers la virulence de ces mots. « Virulence » de l'adjectif « virulent » et qui vient du bas latin « Virulentus » signifie littéralement tour à tour « virus » et « poison ». De cette étymologie, nous voyons dans « virulence » ce qui est nocif, violent et surtout essentiellement agressif voire mordante. Ainsi, les mots qui dénotent la satire dans le picaresque doivent être suffisamment mordants pour lui attribuer une valeur considérable. C'est la raison pour laquelle dans son ouvrage intitulé Mauvais genre : la satire littéraire

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moderne, Duval Sophie (2008 : 5) oriente l'écriture de la satire dans le registre des mauvais genres et déclare :

Mauvais genre que celui de la satire, qui se délecte de travers, de vices et de folies, qui dénigre, dégrade et démolit, qui s'adonne aux attaques féroces, aux dénonciations sarcastiques et aux flétrissures railleuses, qui se complait à outrepasser les tabous, à recourir aux coups les plus bas et à se rire du bon goût.

On voit ici la valeur discursive de la satire dans le picaresque. Elle s'engage uniquement dans la sélection des mots les plus redoutablement triviaux. Le langage de la satire est centré sur la stricte représentation des moeurs de la société qui se matérialise par une violence verbale. De ce fait, par le biais du comique, il engendre de la polémique lorsqu'il fait la peinture acerbe des personnages et de leurs actions. Ceci s'observe dans le Gil Blas de Santillane lorsque le narrateur fait la description des personnages rencontrés durant ses aventures comme dans ce cas précis avec le personnage Annibal :

D'abord que je fus à Madrid, j'établis mon domicile dans un hôtel garni où demeurait, entre autres personnes, un vieux capitaine qui, des extrémités de la Castille Nouvelle, était venu solliciter à la cour une pension qu'il croyait n'avoir que trop méritée. Il s'appelait don Annibal de Chinchilla. Ce ne fut pas sans étonnement que je le vis pour la première fois. C'était un homme de soixante ans, d'une taille gigantesque et d'une maigreur extraordinaire. Il portait une épaisse moustache qui s'élevait en serpentant des deux côtés jusqu'aux tempes. Outre qu'il lui manquait un bras et une jambe, il avait la place d'un oeil couverte d'un large emplâtre à de taffetas vert, et son visage en plusieurs endroits paraissait balafré. A cela près, il était fait comme un autre. De plus, il ne manquait pas d'esprit, et moins encore de gravité. Il poussait la morale jusqu'au scrupule et se piquait surtout d'être délicat sur le point d'honneur. (LGBS, 409)

On remarque dans cet extrait la manière dont Lesage organise ses mots. Ces mots qui font l'unanimité de ce récit sont bien entendu très virulents. Mêlant gradation et périphrases hyperboliques - homme de soixante de dix ans, d'une taille gigantesque et d'une maigreur extraordinaire - Les observations faites par Lesage, à travers ses multiples descriptions sur l'ensemble de ses personnages confirment la verve caricaturale qui anime cette plume satirique. Le choix des mots est important et la manière de les agencer pour en former un discours trivial et amer est ce qui confère au picaresque une esthétique particulière. Cette esthétique est avant tout une praxis. Une praxis qui a longtemps animé l'écriture des libellistes. Puisqu'en effet, les libelles sont la forme virulente de la satire. Très prisée entre XVIe-XVIIIe siècle, la littérature libelliste s'est constituée autour des grands classiques comme Mathurin Régnier, Agrippa d'Aubigné, Boileau ou encore Montesquieu. Avec leur côté injurieux vu la rudesse des mots employés, dénonciateur des écarts en politique, les libelles peuvent être considérés comme la forme exclusive d'une vraie satire. Par extension dans le domaine de la littérature, beaucoup d'oeuvres littéraires se sont constituées en de

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véritables libelles jusqu'à nos jours. Ainsi tout comme le libelle, l'oeuvre littéraire satirique prend parti, avant toute chose. La raison de l'oeuvre, son but, est d'exprimer l'indignation ou la raillerie, de réformer le monde, de corriger les hommes. Ainsi le satiriste n'est pas toujours un artiste ; il est aussi un partisan, un militant, un moraliste. Il se jette dans la bataille que l'auteur comique se borne à observer et à dépeindre. Il arrive cependant que sans avoir d'intention sociale ou morale l'artiste fait une oeuvre satirique par la simple peinture d'une réalité haïssable, honteuse, blâmable par elle-même. Et les textes de notre corpus peuvent être considérés comme tels car ils sont l'exemple adéquat d'une critique amère des problèmes et moeurs de leur temps.

Dans Onitsha, les mots qu'emploie Le Clézio pour décrire les méfaits de la guerre connue par la ville d'Onitsha et presque tout le secteur de la baie de Biafra ne laissent personne indifférente. Les souvenirs de Fintan sont exprimés d'une façon douloureuse et les mots employés à cet effet rendent encore la situation plus satirique :

Fintan ne peut pas oublier le regard des enfants affamés, ni les jeunes garçons couchés dans les herbes, du côté d'Owerri, du côté d'Omerun, là où il courait autrefois, pieds nus sur la terre durcie. Il ne peut pas oublier l'explosion qui a détruit en un instant la colonne des camions qui apportait des armes vers Onitsha, le 25 Mars 1968. Il ne peut pas oublier cette femme calcinée dans une jeep, sa main crispée vers le ciel blanc. Il ne peut pas oublier les noms des pipelines, Ugheli Field, Nun river, Ignita, Apara, Afam, Korokovo. Il ne peut pas oublier ce nom terrible : Kwashiorkor. (Onitsha, 272)

On présente dans cet extrait des souvenirs d'une Onitsha en proie à la guerre qui a fait des milliers de morts et de déplacés. Cette guerre qui a visé le processus de la décolonisation de cette ville du Nigéria a été sanglante. Ce fut une grande révolution et ayant vécu cette horreur, Fintan ne peut cesser de penser à ses milliers de Noirs qui ont subis l'atrocité de ces émeutes, conséquence de leurs revendications. La reprise « il ne peut pas oublier » met en exergue ici la mémoire, une mémoire qui continue à dénoncer les méfaits du colonialisme et le deuil que ce dernier a orchestré à Onitsha. Fintan ne supporte pas l'esprit colonialiste et refuse de partager la marginalité dont les colons ont couvert les Noirs. Puisqu'en fin de compte cela ne cause que souffrance et guerre comme Fintan affirme lui-même :

La guerre efface les souvenirs, elle dévore les plaines d'herbes, les ravins, les maisons des villages, et même les noms qu'il a connus. (Onitsha, 274)

Plus loin, on remarque que cette verve virulente, cette subversion du langage s'inscrit dans tous les genres satiriques. Que ce soit dans le pamphlet, la parodie ou encore le burlesque auxquels notre corpus s'identifie d'une manière ou d'une autre, la symbolique du langage est bien entendu liée à son esthétique, à la manière dont les mots sont agencés. C'est pourquoi le

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langage qui fait la substance même du genre satirique s'observe dans une certaine mesure à travers ses invariants thématiques : marques boursoufflées du sujet de l'énonciation, pathos de l'outragé sans spécialité, sans autre légitimité que son rapport à une vérité paradoxale enfouie et évidente, que l'adversaire a travestie. Ainsi, d'après Bleton (1985 : 444) le langage satirique du picaresque aussi prophétique que soit-il :

Doit redonner aux mots leur vrai sens, aux imposteurs leur véritable identité, le tout sur fond de pessimisme intégral, puisqu'il est toujours déjà trop tard, que le complot pernicieux a suffisamment perverti les valeurs pour que son rapport privilégié à la vérité signe l'isolement définitif du pamphlétaire. Le manichéisme sémantique tend à donner la plus grande extension à l'écart entre notion formant paradigme, blanc et noir doivent être irréconciliables, bien et mal parfaitement identifiés, le poudroiement des phénomènes ramené par l'amalgame à une cause cryptique et diabolique.

Ainsi, la virulence des mots est considérée comme un mode de résistance et se réclame par essence le symbole de toute écriture satirique. Elle fait la particularité aussi bien du pamphlet, de la parodie, du libelle, du burlesque que du picaresque. Se réclamant comme symbole, ces mots satiristes font l'unanimité et relèvent généralement de la symbolique des imaginaires très répandus chez les auteurs français à travers des siècles. C'est pourquoi depuis la Renaissance, les littératures se sont penchées sur cette esthétique pour prendre en compte les problèmes de l'existence. L'esprit picaresque qu'incarne la satire à travers la virulence de ses mots est ce qui a poussé nos auteurs à s'opposer à un moment donné aux idéologies cannibales qui ne profitent qu'à une caste de personne. Lesage oriente ses écrits dans la caricature des moeurs du XVIIIe siècle engendrées par l'instauration des classes et du pouvoir exclusivement monarchique. Le Clézio pour sa part vise l'idéologie du colonialisme tout en exposant les horreurs de l'exploitation abusive de l'homme noir par l'homme blanc. Ces mots étalent au grand jour la mesquinerie du climat colonial, la discrimination raciale et sociale.

2. L'esprit de satire et l'érection de l'agentivité (agency)

La satire est une modalité primordiale qui confère au picaresque toutes ses lettres de noblesse. La satire à travers les auteurs est fondée d'abord sur la notion d'intentionnalité puisqu'ici ceux-ci ont une obligation morale et sociétale de participer à la vie sociale des individus. Dès lors que ces derniers sont freinés par les multiples discriminations, les auteurs doivent se mouvoir pour trouver des solutions idoines à l'établissement d'une justice sociale. C'est donc dans ce sens que la satire se réclame l'imaginaire de nos différents auteurs du corpus. Ils trouvent que le monde dans lequel ils évoluent est suffisamment lugubre pour que leur action satirique soit considérée comme pleinement légitime pour venir à bout des souffrances que vit

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le bas social. La pauvreté que vit cette couche vulnérable la transforme et la rend encore plus amère face à la vie. Dans le passage qui suit, le lieutenant des brigands se retrouve face à la souffrance d'une enfance qu'il aurait voulu vivre autrement. La condition miséreuse de sa famille a rendu ses parents détestables :

Mon père était un boucher de Tolède. Il passait, avec justice, pour le plus grand brutal de la ville, et ma mère n'avait pas un naturel plus doux. Ils me fouettaient dans mon enfance comme à l'envi l'un de l'autre. J'en recevais tous les jours mille coups. La moindre faute que je commettais était suivie des plus rudes châtiments. J'avais beau demander grâce les larmes aux yeux et protester que je me repentais de ce que j'avais fait, on ne me pardonnait rien, et le plus souvent on me frappait sans raison. Quand mon père me battait, ma mère, comme s'il ne s'en fût pas bien acquitté, se mettait de la partie, au lieu d'intercéder pour moi. Ces traitements m'inspirèrent tant d'aversion pour la maison paternelle, que je la quittai avant que j'eusse atteint ma quatorzième année. (LGBS, 20)

On voit à travers cet extrait comment le gout de la satire du mode de vie du bas social semble prend à coeur l'écriture de Lesage. Ce dernier nous présente à travers la décadence de la vie de son personnage, les multiples problèmes auxquels sont confrontés les individus du bas social et à quoi leurs enfants doivent passer et vivre. L'inexistence de la classe sociale aurait permis à ces derniers de vivre autrement, dans de condition plus acceptable. La satire de Lesage vient donc ici nous montrer comment elle parait importante pour exprimer une classe en proie à moult malheurs existentiels. L'esprit de satire est donc ici un symbole d'imaginaire.

Chez Le Clézio, cet esprit de satire s'exprime aussi à travers sa volonté de vouloir changer le monde, à son intention de s'opposer au colonialisme sur le continent africain. L'environnement dans lequel les Noirs évoluent est fait de promiscuité et de discrimination. Les Noirs ne sont pas considérés comme des hommes à part entière. Ainsi à travers l'extrait ci-dessous :

A Cotonou, Maou et Fintan avaient marché sur la longue digue qui coupait les vagues. Dans le port, il y avait beaucoup de cargos entrain de décharger. Plus loin, les barques des pécheurs, entourées de pélicans. [...] Fintan refusait de porter un chapeau. Ses cheveux châtains, raides et coupés droit sur le front, lui faisaient comme un casque. [...] Il faisait une chaleur torride dès les premières heures du jour. Sur les quais, les dockers entassaient les caisses de marchandises et préparaient celles qu'on allait embarquer, les cotons, les secs d'arachide. (Onitsha, 54)

Les Noirs dans cet extrait sont des esclaves, ils sont appelés bien entendu à des métiers plus avilissants à l'instar d'être « docker » comme mentionné dans le passage. La vie en Afrique n'est pas aisée, rien qu'un océan de mal-être causé par un vécu quotidien miséreux. Chez Le Clézio, la satire n'est pas anodine, elle va au-delà d'un simple fait formel, de l'écriture. Cette satire transcende l'imagination et se réclame être en réalité une position brutale sur le réel dans la mesure où les auteurs veulent agir et s'affirmer.

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Ces deux auteurs exigent à travers le corpus une vision du monde, celle de ne jamais se taire devant une horreur qui met en jeu la vie des individus. Ceci dit, les images et schèmes textuels satiriques que Lesage et Le Clézio mettent en exergue dans notre corpus, nous font part de leur désir volontaire de changer la réalité des choses, de le rendre d'une manière ou d'une autre plus supportable. Ils veulent guérir la société du mal-être auquel elle s'identifie et souhaitent sortir une bonne fois pour toute du voûte de l'enfermement qu'est le quotidien du bas social. A ce titre, nous aboutissons à la dimension active de la satire qui nous permet d'ouvrir le champ d'analyse de l'agentivité28.

Du terme anglais agency, théorie appliquée en sciences humaines et sociales et aujourd'hui dans le domaine des études littéraires, la notion d'agentivité est définie par Véronique Lord (2012 : 19) comme :

La capacité d'agir en fonction de ses propres intérêts [...], ce qui implique de s'autodéterminer, de prendre des décisions et d'agir de manière autonome [...]. Elle suppose la possibilité d'effectuer des changements dans trois registres: la conscience individuelle, la vie personnelle et la société [...], et éventuellement de faire un lien entre expérience personnelle et réalité collective, entre malaise ou souffrance vécus sur le plan individuel et oppression par les institutions sociales et politiques [...].

A partir de cet essai de définition, on note que l'agentivité ou encore agency renvoie alors à une puissance d'agir qui n'est pas une détermination inhérente au sujet, plus ou moins certifiée, mais le fait d'un individu ou plusieurs qui se désignent comme des sujets sur une scène d'interpellation marquant la forte présence d'un pouvoir dominant. Ainsi, on comprendra également avec Albert Bandura (2004) que l'agentivité se conçoit également comme « cette capacité humaine à influer intentionnellement sur le cours de sa vie et de des actions » (9). En ce sens, les différents auteurs à travers leur esprit de satire se représentent comme des « agents actifs » dans la mesure où leur intention est de mettre en place des plans d'actions afin de remédier aux problèmes du bas social. C'est pourquoi Durandi (2004: 453) trouve que:

Agency is here understood as the property of those entities (i) that have some degree of control over their own behavior, (ii) whose actions in the world affect other entities'(and sometimes their own), and (iii) whose actions are the object of evaluation (e.g. interms of their responsibility for a given outcome).

Cet auteur étend l'idée selon laquelle nos auteurs du corpus sont ici considérés comme des sujets sociaux. Ils doivent cependant opérer des choix29 et prévoir des projets d'actions30.

28 De l'anglais Agency.

29 Ici on fait référence à l'intention

De ce qui précède, on note en priorité la question de la volonté et de l'intention chez nos auteurs. Pour eux si le bas social est en proie aux multiples problèmes de l'existence et bien c'est à cause du fait qu'il soit considéré comme une classe inférieure. Cette dernière est marginalisé et laissé au dépourvu en ce sens qu'elle est obligée d'utiliser les moyens immoraux pour se faire une place respectable dans la société. Il se retrouve donc dans l'obligation morale de riposter face à ces différentes scènes. On remarque que cette volonté et cette intention de changer les choses à tout prix se réclament l'essentiel de l'écriture de Lesage comme vous pouvez le remarquer à travers l'extrait suivant où « Gil Blas se met dans le goût du théâtre et s'abandonne aux délices de la vie comique » :

Je voyais des actrices et des acteurs que les applaudissements avaient gâtés, et qui, se considérant comme des objets d'admiration, s'imaginaient faire grâce au public lorsqu'ils jouaient. J'étais choqué de leurs défauts j mais par malheur je trouvai un peu trop à mon gré leur façon de vivre, et je me plongeai dans la débauche. Comment aurais-je pu m'en défendre ? Tous les discours que j'entendais parmi eux étaient pernicieux pour la jeunesse, et je ne voyais rien qui ne contribuât à me corrompre. Quand je n'aurais pas su ce qui se passait chez Casilda, chez Constance et chez les autres comédiennes, la maison d'Arsénie toute seule n'était que trop capable de me perdre. Outre les vieux seigneurs dont j'ai parlé, il y venait des petits-maîtres, des enfants de famille, que les usuriers mettaient en état de faire de la dépense ; et quelquefois on y recevait aussi des traitants, qui, bien loin d'être payés comme dans leurs assemblées pour leur droit de présence, payaient là pour avoir droit d'être présents. (LGBS, 196)

Le milieu des comédiens est mis à nu par Lesage dans le passage ci-dessus. Leurs déboires et leurs différentes mascarades pour tromper la Noblesse s'avèrent avantageuses. La vie de débauche est ce qui caractérise ce groupe d'individu. Et ils utilisent leurs atouts de séducteurs véreux pour accéder à la fortune. Ainsi, on remarque une présence satirique. Cette satire relève de la volonté intentionnelle de dire les choses telles qu'elles sont même si la censure reste réelle en ce qui concerne l'Histoire de la période. Lesage montre enfin la couleur des choses, ce que vit la basse classe31, de quoi elle se nourrit et par quels moyens. Cet auteur se révèle alors un agent actif pour mettre un terme définitif à aux discriminations sociétales par le biais de son esprit satirique.

L'écriture Le clézienne à travers Onitsha ne reste pas muette dans cette aventure satirique. Cet auteur révèle également son intentionnalité de mettre fin à l'injustice sociale causé par la montée d'un capitalisme triomphant. Il s'insurge contre le colonialisme et revendique l'humanité du Noir. L'extrait suivant l'explicite indéniablement :

30 Il s'agit ici de la pensée anticipatrice (anticipation) qui permet de supposer les résultats de nos actes et d'anticiper les évènements.

31 Plus particulièrement le bas social, confère le chapitre 2 de la première partie du présent mémoire.

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Sur les quais de Dakar, il n'y avait que les barils d'huile, et l'odeur jusqu'au centre du ciel. [...] il y avait le grincement du mât, les cris des dockers. Dakar résonnait du bruit des camions, des voix d'enfants, des postes de radio. Le ciel était rempli de cris. Et l'odeur ne cessait jamais [...] ; c'était donc cela, l'Afrique, cette ville chaude et violente, le ciel jaune où la lumière battait comme un pouls secret. [...] la forteresse maudite où les esclaves attendaient leur voyage vers l'enfer. Au centre des cellules, il y avait une rigole pour laisser couler l'urine. Aux murs, les anneaux où on accrochait les chaînes. C'était donc cela l'Afrique, cette ombre chargée de douleur, cette odeur de sueur au fond des geôles, cette odeur de mort. (Onitsha, 39)

Ce fragment met en scène le regard de Le Clézio sur le continent africain. Les Noirs, personnes du bas social, sont victimes de l'oppression exercée sur eux par la colonisation occidentale. Ce sont des esclaves, des sous-hommes abandonnés à leur triste sort. On note une ville comme Dakar32 en plein croissance économique sous le joug du colonialisme. On note également la misère opulente du Noir à travers cette description péjorative. Ceci dit, Le Clézio présente ici son intentionnalité d'aider l'humanité, surtout le Noir à se mouvoir, à prendre position face aux situations de déséquilibre social. Pour ce fait, l'auteur prend cette action sur lui et revendique une société de justice et d'égalité. Cependant, on note une idée anticipatrice découlant d'une pareille prise de position, ce sont les répercussions positives et révolutionnaires qui pourront changer la vie du Noir. Ici le Noir doit faire face à ses oppressions afin de se projeter dans le futur.

De ce qui précède, on note, à travers ces deux auteurs du corpus, une agentivité collective33 dans la mesure où il tente d'atteindre des buts communs. Celui de faire la satire de la société afin d'espérer délivrer le bas social du joug d'enfermement dans lequel la division sociale l'a enfermé. Le bas social compte bien entendu sur l'intervention des auteurs pour contribuer à la réalisation des buts auxquels il aspire intimement. Dans ce cas, on conclut que les auteurs ont des intentions communes et chacun contribue à la concrétisation de ses dernières.

3. Le picaresque comme expression d'une identité commune

La pratique d'une esthétique littéraire est probablement liée à une vision de la vie commune à un groupe d'individus particulier comme à une société et généralement à partir de l'histoire, de l'évolution et de la construction de celle-ci à travers les âges. Pour ce fait, nous remarquons dans nos textes, une prédominance des motifs liés à l'esthétique picaresque et nous pensons que l'une des raisons qui pousse nos auteurs à écrire sous un joug satirique est forcément et consciemment liée à la notion d'identité. Et qui parle d'identité ici, fait appel

32 La capitale du Sénégal, pays de l'Afrique de l'ouest.

33 Elle met en évidence la coordination de l'effort des auteurs.

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sans aucun doute à sa forme collective. Le picaresque est donc une forme d'identité collective dans la mesure où il anime le corpus.

De prime abord, les sociologues et les psychosociologues ont tenté d'apporter des définitions se résumant en quelques mots à la notion d'identité. Ainsi pour M. Castra (2012 : 72) l'identité peut être perçue comme « l'ensemble des caractéristiques et des attributs qui font qu'un individu ou un groupe se perçoit comme une entité spécifique et qu'il soit perçu comme tel par les autres ». Il faut noter que ce concept doit être appréhendé à l'articulation de plusieurs instances sociales, qu'elles soient individuelles ou collectives. Cependant, en nous concentrant sur l'identité collective comme l'une des formes de l'identité, on convient qu'elle trouve son origine dans les formes identitaires communautaires où les sentiments d'appartenance sont particulièrement forts (culture, nation, ethnie...) et les formes identitaires sociétaires qui renvoient à des collectifs, à des liens sociaux provisoires (famille, travail, religion, etc.). Puisqu'en effet et comme le dit Freund (1979 : 78):

Il n'y a d'identité collective que sur la base de la conscience de particularismes. [...] Il y a identité collective parce que les membres s'identifient à quelque chose de commun, c'est à dire le même qui constitue ce quelque chose de commun n'est pas une similitude totale, mais partielle. Ce qui cimente une identité collective c'est à la fois la représentation commune que les membres se font des objectifs ou des raisons constitutives d'un groupement et la reconnaissance mutuelle de tous dans cette représentation, sinon l'identité ne peut se former ou, si elle existait déjà, il se produit une crise de l'identité.

De cet extrait, on peut en déduire l'esthétique picaresque qui anime les textes du corpus. Ils s'opposent sans aucun doute à la misère sociétale qui touche une classe sociale particulière et revendique, à travers des caricatures exacerbées, une société plus morale. Cette revendication commune est en effet l'expression d'une identité collective dont partagent ces auteurs. Puisqu'avant tout comme l'affirme Wittorski (2008 : 196) « la notion d'identité collective est une intention sociale, venant des groupes de personnes qui cherchent à revendiquer une place et à se reconnaitre dans l'espace social ».

L'histoire Gil Blas de Santillane et Onitsha sont deux textes exclusivement très éloignés, situés tous les deux à l'extrémité des temps moderne et contemporain. Mais malgré cela, ils laissent entendre une même voix. Les voix, les paroles de leur auteur se font ressentir d'une façon unique comme s'il s'agissait d'un même discours. À partir de ce discours se laisse entendre une identité collective qui anime les textes du corpus. Ainsi on observe chez ces auteurs une vision de la vie, ils partagent sans aucun doute une même idéologie. Puisqu'ils prennent sur eux le devoir de perpétuer le picaresque en littérature. Ainsi le devoir de

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censurer, tourner en ridicule, les vices, les passions déréglées, les sottises des hommes se retrouve donc l'identité même de tout récit picaresque.

Par ailleurs, si l'on part du principe selon lequel « la constitution d'une identité collective pour un groupe semble répondre d'abord au besoin de se défendre vis-à-vis des contraintes qui lui sont imposées, mais aussi de revendiquer une définition autonome de son propre projet d'existence et enfin d'être reconnu dans l'espace social » (Wittorski, 2008 :196), l'esthétique picaresque se constitue donc véritablement en une identité collective dans la mesure où elle intervient dans tous les événements et prend la défense de la liberté d'esprit contre l'autorité, de la libre humanité contre l'asservissement social. Le picaresque à travers ses diverses formes satiriques exprimées par la raillerie, la moquerie, l'ironie cinglante, le rire vengeur, a dû, à travers des siècles d'écriture littéraire, se revendiquer comme l'arme du faible contre le puissant.

En addition, Bryndis Gunnarsdottir (2009 : 4) pour sa part ajoute que la satire, ici en référence au picaresque, se situe également aux confins des problèmes de la société qu'elle tente de résoudre par le biais de sa verve dénonciatrice. Pour ce faire, il déclare :

In order to discuss sensitive contempory social issues many authors use the form of satire. It gives them the freedom to raise questions about serious matters that people may find difficult to discuss because of their serious nature. Discussing issues with humour and irony can take the sharpest sting out of the issue and make it easier to figure out and find a solution to. Satire can also be effective in catching people's attention since it often shocks and stirs things up. Therefore i believe that the use of satire can be helpful when serious social matters and tabus are being discussed.

On comprend que l'identité collective s'exprime dans l'esthétique picaresque à travers la satire lorsque cette dernière devient l'aiguille qui pique et fait se dégonfler les outres énormes de la sottise. Et comme le mentionne Cohen Edouard, elle est le « chétif insecte » qui déclare la guerre au lion. Elle cloue au pilori les faux grands hommes, les pitres malfaisants qui empoisonnent le monde de leur imposture, l'accablent de leurs dogmes et tiennent sous leur puissance les foules fanatiques et abruties. Elle montre le gâtisme maître du monde, la débauche législatrice de la vertu, la friponnerie dirigeant les affaires, la forfaiture distribuant la justice, le proxénétisme patronnant les bonnes moeurs. Elle sème le rire, vengeur de la solennelle imbécillité pontifiante. C'est elle qui souffle dans les roseaux que Midas a des oreilles d'âne. Elle est nécessaire à l'humanité contre les fausses « élites » qui ne doivent leur prééminence qu'à leur insanité. Elle est la justice immanente qui remet en place le monde à l'envers où le coquin triomphe. Cette idée se voit majestueusement dans notre corpus. Ainsi dans Onitsha Le Clézio met en relief le personnage de Maou portant le flambeau de la

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révolte. Elle s'investit avec ardeur pour faire le portrait de l'environnement oppressant de la colonie anglaise, la ville d'Onitsha :

Elle se souvenait, elle avait tellement espéré cette nouvelle vie, Onitsha, ce monde inconnu, où rien ne ressemblerait à ce qu'elle avait vécu, ni les choses, ni les gens, ni les odeurs, ni même la couleur du ciel et le goût de l'eau. C'était à cause du filtre peut-être, le grand cylindre de porcelaine blanche qu'Elijah emplissait chaque matin avec l'eau du puits, et qui sortait si fine et blanche par le robinet de laiton. Puis elle était tombée malade, elle avait cru qu'elle allait mourir de fièvre et de diarrhées, et de maintenant le filtre lui faisait horreur, l'eau était si fade, elle rêvait de fontaines, de ruisseaux glacés, comme à Saint-Martin. (Onitsha, 74)

Maou a cru découvrir une belle terre, elle a rêvé d'une vie plus spéciale près de son Geoffrey ; mais hélas, la vérité est qu'elle ne rencontre que d'amères désillusions. Son regard des uses et coutumes du terroir, surtout le comportement des gestionnaires de l'administration coloniale c'est-à-dire Gérard Simpson et son clan d'administrateurs véreux et sans scrupules, la rend triste. A cause de son amour pour Geoffrey, elle veut rester et souhaite en même temps étaler au grand jour les insanités que sont les moeurs coloniales. Malgré les méthodes peu persuasives de Geoffrey pour qu'elle ferme une bonne fois sa bouche et qu'elle cesse de causer des problèmes, Maou va en guerre contre le D.O Gérald Simpson, contre Sabines Rhodes, contre le Resident Rally. Elle prend son courage et leur jette en plein visage leurs comportements malsains et deshumanisants dans leurs rapports avec les colonisés noirs.

Dans l'histoire de Gil Blas de santillane, cette satire s'identifie, bien entendu, à travers son côté comique outré. Une note d'indignation réelle est présente dans la mesure où l'auteur se borne à faire une représentation impersonnelle de son sujet en y mêlant une attaque, une critique, une raillerie mais aussi une intention morale et surtout réformatrice. Lesage, par le biais de son talent de satiriste, exprime son indignation par un rire moqueur, la raillerie y est dans toute sa splendeur et il cherche avant tout à réformer le monde, à corriger les moeurs des hommes. C'est pourquoi, le Gil Blas de Santillane se borne à faire des observations et à dépeindre simplement une réalité haïssable, honteuse, blâmable par elle-même. Ce cas s'observe bien évidemment dans le chapitre de « Gil Blas continue d'exercer la médecine avec autant de succès que de capacité. Aventure de la bague retrouvée ». Camille et sa mère avaient abusé de la gentillesse de Gil Blas et s'étaient emparées par ruse « la bague de ce dernier. Il retrouva la bague et choisit de jouer à son tour des deux voleuses. Mais le plus important dans ce passage est la manière dont Gil Blas joue le rôle du substitut du Docteur Sangrado :

Au sortir d'une maison où je venais de voir un poète qui avait la frénésie, je rencontrai dans la rue une vieille femme qui m'aborda pour me demander si j'étais

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médecin. Je lui répondis que oui. Cela étant, reprit-elle, je vous supplie très humblement de venir avec moi. Ma nièce est malade depuis hier, et j'ignore quelle est sa maladie. Je suivis la vieille, qui me conduisit à sa maison, et me fit entrer dans une chambre assez propre, où je vis une personne alitée. Je m'approchai d'elle pour l'observer. D'abord ses traits me frappèrent ; et, après l'avoir envisagée quelques moments, je reconnus, à n'en pouvoir douter, que c'était l'aventurière qui avait si bien fait le rôle de Camille. Pour elle, il ne me parut point qu'elle me remît, soit qu'elle fût accablée de son mal, soit que mon habit de médecin me rendît méconnaissable à ses yeux. Je lui pris le bras pour lui tâter le pouls ; et j'aperçus ma bague à son doigt. Je fus terriblement ému à la vue d'un bien dont j'étais en droit de me saisir ; et j'eus grande envie de faire un effort pour le reprendre ; mais considérant que ces femmes se mettraient à crier, et que don Raphaël ou quelque autre défenseur du beau sexe pourrait accourir à leurs cris, je me gardai de céder à la tentation. Je songeai qu'il valait mieux dissimuler, et consulter là-dessus Fabrice. Je m'arrêtai à ce dernier parti. Cependant, la vieille me pressait de lui apprendre de quel mal sa nièce était atteinte. Je ne fus pas assez sot pour avouer que je n'en savais rien. Au contraire, je fis le capable, et, copiant mon maître, je dis gravement que le mal provenait de ce que la malade ne transpirait point ; qu'il fallait par conséquent se hâter de la saigner, parce que la saignée était le substitut naturel de la transpiration ; et j'ordonnai aussi de l'eau chaude, pour faite les choses suivant nos règles. (LGBS, 93)

Ce récit comique, teinté de sarcasmes, met en exergue une société où tout le monde est fripon. On assiste à une anarchie totale, personne ne respecte rien. Le médecin, incarné ici par Gil Blas, ne maitrise rien du domaine de la médecine. Il n'a jamais fait une école de médecine, ni reçu une formation essentielle pour faire « saigner » les malades. Il invente des méthodes pour soigner ses patients. Ses patients sont des ignorants, mais aussi des voleurs qui veulent qu'on leur porte assistance. Ce passage est en vérité un cri de colère pour Lesage qui dénonce les us et moeurs d'une société corrompue jusqu'à l'âme. On dénote à travers ce récit humoristique, une satire violente des comportements des hommes.

Au vu des extraits précédents tirés des deux textes du corpus, on note que le picaresque par le biais d'une satire spécialisée anime les deux textes. Ces ouvrages se veulent caricaturaux, dans la mesure où ils nous font le portrait des environnements sociaux des héros, ce qu'ils ont à affronter comme moeurs corrompues des hommes. Tout compte fait, force est de constater qu'une identité commune prend corps dans les deux ouvrages du corpus. Cette identité commune liée à l'esthétisation du picaro nait du constat que les deux textes se mettent à faire de la satire, à dénoncer les travers sociaux des hommes avec indignation et visant un seul objectif : celui de la correction de l'esprit. En gardant sa tradition gréco-romaine avec Juvénal, Perse ou Horace, et sa tradition classique avec Marot, Boileau ou encore Aubigné, l'esprit satirique présent dans le corpus cherche à instruire et à toucher. C'est pourquoi l'objectif se double d'une méthode : les auteurs cherchent l'amusement, ils font rire de leur verbe. Ici tous les procédés du comique : mouvement dialogué, monologue grotesque, portrait

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caricatural, anecdotes intercalées, jeux de mots et quiproquos sont mis en exergue pour exprimer une identité collective.

En définitive, ce chapitre nous a instruits sur les différents modes de Résistance qu'emploie le bas social pour faire face aux multiples problèmes dont il est au centre. A travers la virulence des mots, l'érection de l'agence et le picaresque pris comme une identité commune par des auteurs, on constate que le bas social s'arme effectivement pour résister aux diverses oppressions qu'il subit quotidiennement. Le picaresque devient donc le canal d'expression du bas social dans la mesure où il met en scène les difficultés auxquelles font face les déshérités, la couche vulnérable de la société. De ce fait, le picaresque se revendique être définitivement une vision du monde.

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CHAPITRE 2 : PICARESQUE ET LITT RATURE: UNE VISION DU MONDE

1. Le picaresque : un genre engagé

Si l'on comprend avec Molho Maurice qu'étant lié à des conditions sociales et historiques bien définies, le picaresque serait un genre engagé. On doit, néanmoins, reconnaitre que la trace de cette esthétique est aujourd'hui une réalité qu'on ne peut renier dans la littérature française. Fort de ce constat, on parle d'« écho » ou encore de « permanence » picaresque pour désigner les romans qui tendent à pérenniser ce genre. Puisqu'en réalité et partant du postulat des études anhistoriques, « le roman picaresque est considéré comme une forme romanesque ouverte qui continue à se développer et à exercer une influence dans littérature européenne » et mondiale. (Jorgensen, 1981 :2).

Ceci dit, il a fallu au moins deux siècles après l'apparition du Lazarillo de Tormes que l'on tente d'identifier le picaresque en France. Le modèle hispanique à cet effet n'est rien d'autre que l'un des textes de notre corpus. L'histoire de Gil Blas de Santillane est le texte le plus prisé en France qui reprend l'esthétique picaresque à travers son esprit d'engagement. Connu comme le modèle dans la littérature française en ce qui concerne son esthétique particulièrement engagée, L'histoire de Gil Blas de Santillane pose les jalons du picaresque empruntés des récits espagnols. Ainsi, en prenant appui sur les caractéristiques essentielles des romans de moeurs hispaniques, on note que ce texte du corpus obéit à l'esprit de satire des classes sociales érigé par le Lazarillo (1554) et repris par Matéo Aleman dans son Guzman d'Alfarache (1601). Dans la littérature française, il se pose la question de la pérennité du picaresque. C'est la raison pour laquelle l'approche modale mise sur pied par Scholes sur l'esthétique du genre romanesque vient enlever le doute qui règne quand il s'agit de montrer la permanence d'un genre comme le picaresque, comment il s'exprime dans la littérature d'aujourd'hui et ceci à travers quels procédés.

Scholes dans ses Modes de la fiction (1977) distingue le mode34 du genre, utilisant le terme « genre » pour l'étude d'oeuvres individuelles considérées sous l'angle de leur rapport avec des traditions spécifiques, historiquement identifiables. Les études génériques ont plus précisément pour objectif de grouper les oeuvres de telle manière qu'elles soient reliées aussi bien aux modes qu'aux traditions littéraires - sans que la spécification de l'oeuvre particulière soit sacrifiée -. Le roman picaresque, dans cette perspective, est un genre spécifique, lié à la

34 Scholes distingue le mode du genre, utilisant le terme « genre » pour l'étude d'oeuvres individuelles considérées sous l'angle de leur rapport avec des traditions spécifiques, historiquement identifiables.

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tradition espagnole des XVIe et XVIIe siècles et dont la thématique est dominée exclusivement ou presque par le mode de satire, qui lui confère en retour une posture d'engagement. De ce fait, nous notons avec les critiques que le picaresque est une esthétique qui traverse des oeuvres qui n'ont d'ailleurs aucun lien spécifique avec la tradition espagnole, ceci à cause de son écriture sociale engagée. Les oeuvres incarnent ce thème soit de manière prédominante comme dans les oeuvres contemporaines comme nous l'affirme Albérès (1968) soit à un degré plus faible et avec d'autres modes comme dans le roman naturaliste ou dans tout autre esthétique romanesque.

De ce qui précède, on comprend qu'au regard du fait que l'engagement picaresques est présent à la fois dans les textes espagnols et dans les textes français, la polygenèse se pose comme une piste fondamentale dans la quête de la source du picaresque en France. Elle inclut, comme nous le précisions à la suite de Michel Foucault, l'idée d'une ressemblance sans contact qui n'exclut pas les renouvellements, c'est-à-dire des spécificités. C'est le cas avec le roman de JMG Le Clézio : Onitsha.

En outre, en suivant aussi une approche à la fois historique et anhistorique, on note une dissociation du thème picaresque lié à l'engagement, du roman picaresque, en postulant qu'il peut y avoir du picaresque hors du roman picaresque, comme il peut y avoir des romans picaresques qui sont plus picaresques que d'autres. Ainsi en nous inspirant de la théorie des « modes » de Scholes (1974), on peut noter après une étude systématique que le thème picaresque présent dans notre corpus par le biais de son côté subversif qui lui donne les attributions de genre engagé. Ceci dit, à travers bien entendu sa nature, sa permanence et surtout de son rapport avec d'autres thèmes comme la satire sociale, la pérennité du picaresque dans le texte littéraire français est aujourd'hui observable au premier plan. Puisqu'en effet les modes tels que définit Scholes Robert reposent sur le contenu et sur leur définition comportant exclusivement un élément thématique traduit par une attitude existentielle (romantique, satirique, tragique, picaresque, comique, etc.). C'est bien sûr dans cette ordre d'idée que Ravn Jorgensen Kathrine (1986 : 80) trouve que :

Les modes tels que les définit Scholes sont, en d'autres termes, de grandes catégories thématiques qui précèdent la naissance des genres: Scholes parle de catégories "préromanesques" (prenovelistic). Les modes sont supposés comporter des constantes thématiques qui ont une certaine valeur transhistorique, c'est-à-dire que ces catégories thématiques peuvent traverser les oeuvres dans n'importe quelle période littéraire et dans toute littérature nationale. Les modes peuvent en outre, dans l'optique de Scholes, être présents à des degrés variés et à côté d'autres modes dans un grand nombre d'oeuvres.

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Si l'on se penche vers cette optique, la littérature française renferme bel et bien la thématique picaresque lié à l'engagement. Elle ne se limite pas seulement à une période donnée, mais elle se téléporte de façon diachronique et colle à la peau de toutes les autres littératures hors des frontières espagnoles. D'un point de vue diachronique, la question de « picarisation » des textes romanesques français se fait cependant non-lieu puisque beaucoup de textes romanesques ont d'une manière ou d'une autre des connotations propres à l'esthétique picaresque. Car comme le mentionne Vaillancout Pierre Louis (1994 :5) :

D'autres théoriciens (Rico, Guillén, Lâzaro Carreter), stimulés par le formalisme récent, vont plus loin et, tout en raffinant d'un côté l'analyse des traits pertinents caractéristiques de la picaresque traditionnelle, les retrouvent actifs dans des oeuvres modernes, alors certes manipulés, transformés, mais suffisamment fidèles à un champ de gravité, une force génératrice ou un centre d'attraction (termes de Lâzaro Carreter) pour mériter la désignation de picaresque.

C'est de ce constat que l'on retient de L'histoire de Gil Blas de Santillane et d'Onitsha. Le premier est pourtant considéré comme l'un des premiers romans modernes car il prend appui sur les particularités liées au picaresque traditionnellement parlant. En France, ces textes font l'apanage de la prolifération des romans satiriques où les auteurs créent des personnages qui errent dans la société à la recherche de quoi se mettre sous la dent tout en pointant du doigt les vices de la condition humaine.

En insistant plus précisément sur Onitsha, l'intrigue place le héros narrateur dans un contexte de la colonisation exacerbée des populations d'Afrique. Les caractéristiques liées à l'aventure, au voyage, à la recherche du bonheur et à la présentation d'un héros qui s'identifie dans une certaine mesure au picaro font aussi l'apanage de ce texte. Ces différents éléments permettent de le classer parmi les textes dans lesquels on identifie une survivance du picaresque telle que définie dans les modèles canoniques espagnoles. Ceci d'autant plus que ce texte présente une forme narrative très subversive déroulant une série d'épisodes indépendants et discontinus à la fois caricaturale et mordante. Et il partage avec le récit picaresque traditionnel et autres esthétiques cette structure fondamentale, apocopée ou parataxique, où « le sélectif se module de la même façon en successif, comme l'épopée ou les romans chevaleresque ou pastoral » (5) pour reprendre Vaillancourt. En revanche, il s'en distingue par l'absence de quête, ce qui fait que la fin, même si elle présente un état terminal en apparence, reste ouverte, prête à une rallonge, comme marquée d'un « à suivre » en raison de son instabilité et de son contexte ironique (7).

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2. La permanence picaresque : une question d'imaginaire social

Comme déjà mentionné plusieurs fois plus haut, le siècle d'Or est la période où naissent les premiers récits picaresques. Ici on fait l'expérience avec les publications successives des romans anti-pastoraux et anti-chevaleresques tels que le lazarillo de Tormes, le Buscon ou encore le Guzmann d'Alfarache. A travers des âges, ces romans apportent tour à tour un plus indéniable à la construction du roman postclassique. Perçus comme des modèles, ces romans picaresques sont d'origine diligente pour la plupart. On a toujours à faire à ce héros-là qui nait, grandit dans des conditions difficiles, et qui survit grâce son désir d'aller à la conquête du monde. Il va apprendre tour à tour les notions de la survie dans une société, l'attitude et le comportement à adopter pour se hisser aux sommets de la classe sociale puisque c'est le désir de tous les hommes. La recherche de l'ascension sociale, la quête de filiation et de soi, du bonheur en fustigeant les travers de la société sont autant de legs du récit picaresque espagnol et que l'on retrouve après une mise au point minutieux encore dans la littérature française actuelle.

Ceci dit, on comprend pourquoi le picaresque même peaufiné d'une touche contemporaine garde toujours un contact, que nous dirons « inconscient » avec la tradition espagnole. Nous parlerons que cette pérennité relève d'une question d'imaginaire social. Certes, le picaresque évolue au fil du temps et se réinvente à travers les nouveaux problèmes que rencontre la société contemporaine. Mais il réussit à s'acclimater dans un contexte sociopolitique totalement différent de la société espagnole du siècle d'Or. De ce fait, le picaresque pose de nouvelles modalités génériques en conformité avec la société contemporaine à laquelle elle s'identifie. La particularité de ce picaresque dit « postclassique » ou « contemporaine » en référence à sa conformité avec les réalités sociales actuelles, c'est qu'il entretient toujours un contact inconscient, un imaginaire qu'il partage socialement avec la tradition espagnole. Ceci à travers les différentes modalités observées à la deuxième partie de ce présent mémoire. Nos différents protagonistes, portant le costume de picaro, gardent bien entendu leur statut d'aventuriers notoires qui font une critique virulente des travers de la société contemporaine et actuelle. Ainsi, suivant un chronotope traditionnel à son identité espagnole, Vaillancourt (1994 : 67) trouve que le picaresque postclassique obéit à un imaginaire social et :

Propose [toujours], grâce à la stylisation, à l'hybridisation, voire à la variation, une « image du langage » et non plus simplement « un échantillon du langage d'autrui ». Il remplit pleinement son rôle de faire voir une représentation littéraire équitable des langages. Cette équité suppose la capacité pour l'auteur de se placer dans l'indétermination même de la conscience et du langage de son personnage et d'en abolir tout effet de jugement. Le roman picaresque s'écarte de cet accomplissement,

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même s'il le prépare par sa volonté de dévoiler la conscience mensongère d'autrui et par sa rhétorique polémique.

On voit dès lors que le picaresque français contemporain, bien qu'étant victime d'une extrapolation temporelle et transgénérique, a gardé sans aucun doute une image de l'esthétique littéraire né en Espagne au siècle d'Or. Que ce soient le Gil Blas de Santillane ou encore Onitsha, les deux ouvrages poussent sciemment vers l'identification d'une société picaresque ayant été développée dans les romans canoniques du siècle d'Or espagnol. C'est pour cette raison que Bodo Bidy C. (2005 : 322) trouve qu' :

Il est entendu que quand on parle du picaresque, la pensée, inévitablement, renvoie à la littérature espagnole. De là à lier les autres textes à l'architecture picaresque à l'Espagne, cela paraît légitime, plus exactement évident.

Ainsi, le roman de Lesage nous place dans un climat de la société espagnole. Les aventures de Gil Blas se passent dans les villes espagnoles où le narrateur nous présente les moeurs d'une société corrompue à cause de la question des classes. La recherche de l'ascension fulgurante s'observe chez tous les hommes :

Je fis quelque séjour chez le jeune barbier. Je me joignis ensuite à un marchand de Ségovie qui passa par Olmedo. Il revenait, avec quatre mules, de transporter des marchandises à Valladolid, et s'en retournait à vide. Nous fîmes connaissance sur la route, et il prit tant d'amitié pour moi qu'il voulut absolument me loger lorsque nous fûmes arrivés à Ségovie. Il me retint deux jours dans sa maison ; et, quand il me vit prêt à partir pour Madrid par la voie du muletier, il me chargea d'une lettre, en me priant de la rendre à main propre à son adresse, sans me dire que ce fût une lettre de recommandation. (LGBS, 136)

Ces villes mentionnées ici par Lesage mettent en exergue les villes européennes sous le climat de la monarchie. Le héros prend corps avec ces villes car il devra bien entendu les affronter à travers les vices et difficultés sociales qu'elles renferment afin de se hisser au sommet, au crépuscule d'une vie faite de sous métiers. Lesage nous fait part d'une écriture picaresque de connivence exceptionnelle avec une société qui l'a vue naitre et qui s'exprime mieux à travers l'exportation de ses personnages français à la recherche de la survie dans les contrées espagnoles. Ceci nous montre que le picaresque bien qu'étant emprunté à l'Espagne et dont les conditions sociales sont moins différentes, Lesage a voulu garder ce contact avec la société espagnole en faisant une réécriture presqu'identique des textes canoniques picaresques à l'instar du Lazarillo de Tormes ou encore du Guzmann d'Alfarache.

Cet imaginaire social fait aussi l'apanage d'Onitsha. Bien que l'intrigue de ce texte se situe à des milliers de kilomètre de la société espagnole et à quatre siècles des romans canoniques picaresques, ce texte fait voir dira-t-on une écriture picaresque espagnole contextualisée sous

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le joug de la colonisation des territoires d'outres mers. Ici cet imaginaire espagnol s'exprime dans les différents voyages que Fintan, accompagné de Maou sa mère, font sur le surabaya :

Fintan n'avait pas compris tout de suite que c'était le surabaya qui s'en allait. Il glissait le long des quais, il allait vers la passe, vers Cape Coast, Accra, Keta, Lomé, Petit Popo, on allait vers l'estuaire du grand fleuve Volta, vers Cotonou, Lagos, vers l'eau boueuse du fleuve Ogun, vers les bouches qui laissaient couler un océan de boue, à l'estuaire du fleuve Niger. (Onitsha, 51)

Onitsha nous présente à cet extrait ci-dessus les différents éléments lexicaux liés au voyage : une illustration des contrées coloniales. Néanmoins, elle garde une touche espagnole au regard des textes canoniques picaresques avec l'idée de l'instabilité du personnage principal allant d'une ville à une autre, d'un lieu à un autre.

De ce qui précède, nous notons qu'un imaginaire social anime ces récits picaresques et les rattache à la tradition espagnole dans la mesure où on remarque que les deux textes mettent en exergue la thématique du voyage. Cette dernière est une caractéristique majeure du picaresque. Le voyage au bout de l'abjection, sans savoir ce qui arrivera une fois au lieu souhaité. On note que le picaro n'est jamais satisfait des aventures et continue au fur et à mesure, quelles que soient les conditions de ses voyages. Preuves d'autant plus remarquable que notre corpus obéit à cette idéologie des aventures ambigües qui d'ailleurs le permettent de garder un contact inconscient avec les textes picaresques traditionnels ayant vu le jour en Espagne.

3. Du picaresque au picarisme : une expression de liberté

L'esthétique picaresque, nous l'avons déjà mentionné, est née en Espagne au siècle d'Or et en réaction contre les autres esthétiques romanesques qui ne prenaient pas en considération les problèmes essentiels liés à l'existence de l'homme du bas social. Le picaresque devient à cet effet une réaction contre les romans pastoraux et de chevalerie puisque ces derniers mettent exclusivement en scène les valeurs apologétiques de la tradition chevaleresque et l'amour de la patrie. Manuel Montoya (2004 : 112) signale d'ailleurs cette rupture que prétend amorcer le roman picaresque avec les autres récits médiévaux. En les traitant de dépasser, elle affirme que :

Le roman dit picaresque réagit à sa façon contre d'autres genres romanesques qui ont connu un succès immense, même après la parution du Lazarillo. Il s'agit du roman pastoral et du roman de chevalerie dont les thèmes et les structures sont d'après Mateo Alemán obsolètes et dignes d'une autre époque (112)

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La nouvelle esthétique picaresque devient dès lors le rejet de l'attachement au prestige généalogique puisque la situation de misère ayant pris chair durant ces périodes fut trop grand pour ne pas en parler dans un récit. C'est pourquoi Del Vecchio (2011 : 12) :

En prenant directement la parole et en retraçant ses origines modestes, voire infamantes, le héros picaresque réclame le droit d'exister et d'aspirer à mieux dans une société où, en définitive, les plus démunis sont suffisamment nombreux pour qu'une telle requête soit considérée comme pleinement légitime ».

La rupture du lignage avec les autres esthétiques a permis au récit picaresque de se définir comme un « microgenre35 » à part entière qui bien entendu, milite pour une cause noble, celui de montrer au monde, les misères quotidiennes d'une société particulière. Elle s'est implantée comme esthétique incontournable dans l'écriture romanesque et s'est vue finalement adopter au-delà des frontières hispaniques vers d'autres littératures nationales auxquelles la France ne passe pas inaperçue. Cependant, en s'extrapolant des frontières espagnoles, le picaresque, se transmue en idéologie en devenant une esthétique internationale. L'esthétique picaresque quitte le statut du simple « microgenre » mais elle devient « mesogenre » puisqu'elle prend en compte toutes les littératures mondiales. C'est la raison pour laquelle Blanca Acinas (1997 : 97) souligne d'ailleurs que:

Le picaresque se conçoit comme un microgenre - reconnu, utilisé par des écrivains espagnols du temps de Cervantes et on pourrait établir une liste plus ou moins précise, selon les analystes, de ses traits caractéristiques - mais aussi comme un mésogenre d'une portée géographique plus vaste.

L'esthétique picaresque s'identifie dans d'autres littératures qui n'ont rien à avoir avec l'Espagne du Siècle d'Or. En devenant « mésogenre », le picaresque est dit « picarisme ». Dans ce cas, le picaresque ne se conçoit plus comme un genre qui est lié à une période historique donnée. C'est pourquoi en partant d'une approche « anhistorique », l'on peut soutenir que le picaresque, ni par sa forme, ni par son thème ne répond à des conditions sociales spécifiques et propres à l'Espagne. Le roman picaresque est considéré comme une forme romanesque ouverte qui continue à se développer et à exercer une influence dans la littérature « internationale » puisque comme l'affirme Bodo Bidy (2005) dans sa thèse :

Si le mot, le concept est indéniablement espagnol, la pratique, le contenu, en somme la « chose » pour sa part est universelle au regard de l'universalité du genre - le conte - qui en est l'origine ou le porteur. En tant que tel, les procédés picaresques s'inscrivent dans la transculturalité. (323)

35 C'est-à-dire reconnu, utilisé par des écrivains espagnols du temps de Cervantes exclusivement.

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Ce qui était auparavant une simple esthétique romanesque propre à l'Espagne du Siècle d'Or se revendique être une idéologie, une vision du monde propre à tous les écrivains des sociétés et d'époques diverses vivant les mêmes réalités sociales.

Aujourd'hui l'esthétique picaresque traverse beaucoup d'oeuvres en France et se réclame être la réussite d'un emprunt érigé à partir du XVIIIe siècle par les auteurs français à l'instar de Lesage, de Voltaire ou encore de Marivaux. Mêlant satirisme et réalisme, Lesage a permis à son Histoire de Gil Blas de Santillane de s'appréhender non seulement comme le modèle du picaresque français, mais il lui a également attribué la force d'une idéologie fondée sur l'écriture que l'on peut identifier dans les romans picaresques des sociétés hors de l'Espagne.

En revanche, il est à mentionner que le vocable « picarisme » ne se limite pas seulement aux considérations esthétiques propres à la question de culture, à la question de nation, mais elle se voit aussi à travers son action aux services du bas social. De ce fait, le « picarisme » s'exprime à travers l'aventure du personnage antihéros qui se promène dans toutes les couches sociales pour étaler au grand jour l'humaine condition. On peut le noter d'ailleurs chez Lesage :

Lorsque nous eûmes fait environ deux lieues, nous nous sentîmes de l'appétit, et, comme nous aperçûmes à deux cents pas du grand chemin plusieurs gros arbres qui formaient dans la campagne un ombrage dés agréable, nous allâmes faire halte en cet endroit. Nous y rencontrâmes un homme de vingt-sept à vingt-huit ans, qui trempait des croûtes de pain dam une fontaine. Il avait auprès de lui une longue rapière étendue sur l'herbe, avec un havre-sac dont il s'était déchargé les épaules. Il nous parut mal vêtu, mais bien fait et de bonne mine. Nous l'abordâmes civilement. Il nous salua de même. Ensuite il nous présenta de ses croûtes, et nous demanda d'un air riant si nous voulions être de la partie. Nous lui répondîmes que oui, pourvu qu'il trouvât bon que, pour rendre le repas plus solide, nous joignissions notre déjeuner au sien. Il y consentit fort volontiers, et nous exhibâmes aussitôt nos denrées. (LGBS, 125)

Les voyages « initiatiques » auxquels sont confrontés les picaros sont en effet l'expression de la sensibilité qu'ont les auteurs vis-à-vis de la souffrance des déshérités de la société. On note une sorte de perception particulière de l'existence chez nos auteurs. Le picaresque en tant que « mésogenre » dans les deux textes montre comment les problèmes de misère, de la faim, de la discrimination sociale et raciale ne font pas seulement l'unanimité d'une période statique et propre à une société particulière, mais il montre comment ces problèmes peuvent perdurer à travers le temps et avoir les mêmes effets sur la vie de l'Homme d'une époque à une autre. Puisque « dès l'instant [...] que le malheur [...] n'est pas la condition de l'homme, la pensée picaresque jette bas les armes et expire » (96) comme le soulignait déjà Molho Maurice (1968). C'est en cela même que le picaresque vu dans l'angle du « picarisme » se réclame être

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une idéologie. Le picaresque devient une idéologie, car elle défend une vision du monde que l'on note dans sa manière de concevoir l'existence et de se poser en tant que genre littéraire bien défini. En prenant appui sur la satire sociale qui conditionne sa survivance, le picarisme est lié bien entendu à la question de transculturalité et se positionne, paradoxalement à d'autres genres littéraires, comme dénonciatrice des maux sociaux. C'est la raison pour laquelle Marcheix Daniel (1972) souligne que :

L'inégalité des chances de la vie en société, la hiérarchie sociale rigide fondée sur la violence et le mépris des plus petits, le conservatisme politique, social et moral de la classe dominante sont autant d'aspects d'une société dans laquelle la littérature picaresque peut s'épanouir. Le simple bon sens suffit à prouver que ces notions existent dans n'importe quelle société contemporaine ou non. [...] La pensée picaresque est donc sans doute étroitement liée à une constance des relations humaines (5)

A partir de cette preuve que le picaresque tente bien que mal de prouver à travers son engagement révélateur des problèmes de la société contemporaine, on voit que le picaresque en tant qu'idéologie s'oppose du conservatisme social et prône une ouverture de l'esprit des politiques dans la gestion des phénomènes sociaux. Le picaresque prend en compte une classe particulière, celle du bas social, puisque comme nous l'avons dit dans les chapitres précédents, cette esthétique est née en réaction contre des écritures romanesques - chevaleresque et pastoral - très prisées au moyen âge et destinées à la classe des nobles. Or, l'esthétique picaresque est une idéologie, dont son action concrète est celle de s'insurger contre le mal dont le bas social est victime. De ce fait, Bodo Bidy (2005 : 314) parle bien entendu au regard de cette action du picaresque au sein de la société et parle de la question de « logique sociale » dans la mesure où :

L'écriture picaresque [...] est directement associée à des conditions sociales douloureuses : inégalité, pauvreté, injustice, etc. [...] Plus ou moins intenses d'un espace à un autre, ces conditions dramatiques ont favorisé l'émergence d'une écriture picaresque, celle dont la fonction première est de se dresser contre les inégalités sociales.

Ici cette esthétique se fait imaginaire et se revendique être la condition de rédaction des écrivains qui viennent de ce milieu ou qui veulent, par empathie à la condition humaine, s'identifier aux problèmes qui minent le bas social. Nous pouvons le noter dans Onitsha lorsque Le Clézio nous présente l'épisode de la rencontre de Fintan sur le fleuve avec les prisonniers noirs maltraités et accompagnés des policiers blancs :

Au milieu de la troupe, il y avait un homme grand et maigre, au visage marqué par la fatigue. Quand il est passé, son regard s'est arrêté sur Bony, puis sur Fintan. C'était un regard étrange, vide et en même temps chargé de sens. Bony a dit, seulement, « ogbo », car c'était son oncle. La troupe a défilé devant eux au pas

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cadencé, descendant la route poussiéreuse vers la ville. La lumière du soleil couchant éclairait le faîte des arbres, faisait briller la sueur sur la peau des forçats. Le raclement de la longue chaine semblait arracher quelque chose à terre. Puis la troupe est entrée dans la ville, suivie par la cohorte des femmes qui continuaient à appeler les noms des prisonniers. Bony [...] voulait partir, embarquer dans la pirogue, et glisser n'importe où, comme si la terre n'existait plus. (Onitsha, 121122)

Le Clézio positionne son écriture dans la défense de l'humanité des Noirs considéré ici comme le bas social à travers, cette situation de maltraitance à laquelle son héros assiste. On note une révolte de la part de Fintan qui a du mal à supporter l'horreur et l'inégalité que la colonie à travers son administration inflige aux Noirs. Ceci vient confirmer une fois de plus l'idéologie à laquelle s'identifie le picaresque. On note tout compte fait qu'avant d'être une esthétique à part entière, le picaresque est avant tout lié au roman satirique, une satire qui se veut sociale car c'est dans la société que l'inégalité prend corps. Cette satire sociale fait donc l'apanage du roman picaresque et se pose comme idéologie.

Tout compte fait, il s'agissait dans ce chapitre de montrer comment l'esthétique picaresque en tant qu'idéologie s'apparente et se réclame être une vision du monde. Pour que cette idée soit bien entendu vérifiable, nous avons pensé tout d'abord montrer comment le picaresque est une esthétique qui survit et se pérennise en France. Nous avons montré au regard de notre corpus que le picaresque n'est pas mort au XVIIe siècle comme l'atteste Bataillon Marcel, mais qu'elle est présente dans le roman moderne et fait aussi l'apanage des romans postclassiques dans lequel on peut identifier ses traces et de là, une certaine survivance voir un « écho » pour ainsi reprendre Cevasco. Dans le deuxième volet, nous insistons sur la question d'imaginaire social en nous focalisant sur la permanence espagnole dans les récits picaresques. On note un apport transculturel. Ainsi, à partir du lazarillo ou encore du Guzmann, considéré comme les canons du picaresque, nous avons tenté également de démontrer comment l'esthétique picaresque, quel que soit l'endroit, le lieu où elle prend corps, elle dénote toujours au niveau de sa trame narrative le même contexte social connu par l'Espagne au siècle d'Or : d'où le lieu de rencontre d'un imaginaire social. Pour finir nous prenons appui sur le « picarisme » comme la naissance d'une idéologie relevant de l'esthétique picaresque. En partant d'une approche anhistorique et transhistorique, nous avons montré que l'esthétique picaresque est transculturelle dans la mesure où les caractéristiques du picaresque canonique espagnol peuvent être identifiées dans les romans des autres littératures nationales. Dans ce cas, on comprend en définitive que le picaresque n'est pas seulement une affaire de la littérature espagnole. En se positionnant comme une idéologie, les écrivains vivant du même contexte social dans lequel est née cette esthétique, empruntent

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d'une façon imminente la modalité picaresque dans leurs écrits. Par conséquent, le picaresque devient donc un imaginaire social, une autre histoire de mentalité dans la mesure où les écrivains d'origines diverses l'emploient de la même manière sous leur plume dans le but de faire une critique virulente des injustices dont est victime le bas social.

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CONCLUSION GÉNÉRALE

En définitive, la satire sociale accorde un sursis indéniable au picaresque. L'expression de la pérennité de ce genre dans les oeuvres actuelles contribue à poser un regard subversif sur la société. Notre mémoire s'est disposé, tout compte fait, à repenser le picaresque à travers un corpus composé de deux textes romanesques à l'instar de L'histoire de Gil Blas de Santillane d'Alain-René Lesage et Onitsha de Jean-Marie Gustave Le Clézio. De ce fait, notre analyse s'est avéré être centralisée sur le problème du picaresque dans notre corpus. Sur quels ressorts ce genre se fonde-t-il pour représenter la marginalité ? Dans quelles mesures peut-on parler de modalités picaresques ? A partir de quelles données, peut-on affirmer que ce genre réécrire les mentalités d'une civilisation ? Toutefois, quelques hypothèses nous ont permis d'asseoir notre travail en littérature en lui donnant une orientation concrète et définitive. Le picaresque est en effet un genre de nature marxiste représentant la marginalité. Le caractère satirique de son écriture permet au picaresque de s'inscrit dans l'atemporalité et par conséquent, il devient une esthétique permettant de réécrire une civilisation donnée.

Ceci dit, pour marquer la faisabilité des différentes hypothèses citées ci-dessus, nous avons centré prioritairement notre travail sur une double approche théorique. Nous avons d'abord insisté sur la transgénéricité, mis en lumière par Dominique Moncond'huy et Henri Scepi, pour montrer comment le picaresque se pérennise dans l'oeuvre littéraire à travers le phénomène de changement, d'évolution et d'adaptation d'un genre. Ensuite, nous nous sommes également focalisés sur la critique sociologique, plus précisément le structuralisme génétique de Lucien Goldman, pour mettre en relief le fait que nos textes du corpus sont en effet le produit imaginé correspondant à une structure mentale d'un groupe social donné. C'est-à-dire qu'effectivement, ces textes sont en réalité le reflet d'une conscience collective.

Cependant, nous nous sommes permis d'asseoir notre travail sur trois principaux axes au regard des approches théoriques et méthodologiques retenues. Le premier axe s'est attelé à démontrer comment l'écriture du social organise le discours picaresque. À cet effet, l'accent est mis sur l'univers social qui se manifeste dans notre corpus. À travers les différents strates lexicaux et sémantiques exprimant, bien entendu, une coloration affective, voire un reflet de la conscience collective et mettant en relief un ensemble de schèmes transgénériques, les fondamentaux stylistiques et de sémantiques qui agencent nos récits sont à découvert.

Ceci dit, le deuxième axe a insisté sur les différentes modalités du picaresque, tous les éléments qui modèlent sa structure, sa forme. En insistant sur la structuration du récit -

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insistance portée sur son personnage principal - et les formes de satire considérées respectivement comme étant la matière et le langage picaresque, nous avons pu démontrer qu'effectivement les textes de notre corpus s'avèrent mettre en relief un motif picaresque indéniable. Ceci explique sa pérennité dans la littérature française.

De ce qui précède, le troisième axe s'est penché sur le picaresque comme étant l'expression d'une autre histoire des mentalités. Ainsi nous avons voulu insister sur la valeur du picaresque pris comme marqueur d'une civilisation, plus précisément la civilisation française. Par le biais de la satire, nous nous sommes permis de montrer comment le picaresque sert à déconstruire les croyances des peuples. De ce fait, le picaresque se transmue en idéologie et se revendique être l'expression de la liberté du bas peuple. Dans les textes, le bas social est dans une position marginale, subit de ce fait, toutes les décisions de ceux considérés comme la haute classe ou la classe du pouvoir de décision. Ainsi à partir d'un langage commun, celui de faire une critique virulente, les deux textes deviennent le symbole d'une revendication collective puisqu'en fin de compte comme l'affirme Jacques Guilhaumou (2012) les individus sont appelés à se mouvoir et « tiennent en commun des notions propres à mettre en place les pièces d'une infrastructure mentale nécessaire à leur adhésion à l'ordre social » (34). Cette revendication collective se substitue en identité collective puisqu'elle essaye de mettre en exergue l'essence même de l'écriture des deux auteurs. Ici les textes du corpus ont pour dessein premier de dévoiler, à partir d'une structure intertextuelle, la misère sociétale engendrée par la création des classes sociales et les conflits y découlant.

Ceci étant, nous arrivons au résultat de notre travail. Le caractère atemporel du picaresque dans la littérature actuelle s'érige à travers l'expression de la marginalité de son héros. Cette marginalité prend effet à partir d'une modalité majeure qui organise exclusivement son récit ; il s'agit bien entendu de la satire sociale. Celle-ci semble l'arme légitime pour faire une critique acerbe des moeurs dans le picaresque. Cela se confirme, tout compte fait, avec les dires de Maurice Molho (1968) lorsqu'il affirme que :

Si l'on impose au lecteur le personnage d'un picaro, si on l'oblige à voir le monde à travers un regard aussi vil, si, en un mot, on le contraint de partager l'expérience et la pensée d'un être quasiment infrahumain, c'est à seule fin de lui présenter l'humanité - son humanité - sous un éclairage dépréciatif. [...] Le picaro met l'homme en présence de tout ce que sa condition comporte de négatif, afin de dessiller ses yeux et de démasquer les contrevérités faussement rassurantes qui sont l'habitude de la pensée. (XI, XII)

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Au regard de cet extrait, le picaresque s'implante effectivement dans une société de drames, « mal en partie ». cette-dernière représente sa portée idéologique dans la mesure où le picaresque apparaît ainsi comme « une arme de lutte sociale et politique, un débat fondamental sur les phénomènes du racisme, de la dictature et de la guerre » (Bodo, 2005 :22) Par conséquent, le picaresque se revendique une esthétique atemporelle, transgénérique. Dans ce cas, elle est reflet d'une conscience collective traduisant une fois de plus un univers imaginaire. On note donc une sorte une renaissance du picaresque aussi présente chez Lesage et chez Le Clézio ; mais qui tout de même, garde un contact inconscient avec l'archétype espagnol. Ceci dit, Onitsha s'identifie sans prétention à L'histoire de Gil Blas de Santillane. Ayant des similarités génériques visibles, ces ouvrages s'organisent autour d'une même vision du monde. Ces écrivains éprouvent sans doute une sensibilité indéniable face aux injustices orchestrées par la division des classes. Cette sensation couplée et vouée au goût de la critique morale et de la revendication des humanités se transmue sous la plume des écrivains français de génération en génération. Ainsi, Lesage et Le Clézio : deux univers, deux mondes, deux siècles différents, une même soif, se lisent, d'un point de vue générique, l'un dans l'autre. On remarque certainement qu'ici, le picaresque se pérennise dans la littérature française et organise les récits des auteurs de différentes époques.

Au regard de ce qui est dit, on parlera d'abord de « picaricature » pour exprimer une mentalité lié au genre et enfin de « picarisme » car, partant d'une approche à la fois anhistorique et transhistorique, l'esthétique picaresque devient universelle et se revendique être une façon littéraire de concevoir le monde. Son action est mise au service de la société, en ce sens qu'elle doit non seulement arborer le malheur comme étant le lot de l'humanité mais également démontrer comment le picaro survit aux souffrances, aux vives misères, aux injustices orchestrées par les idéologies dominantes. Ceci dit, à partir de ce procès marxiste sur la société, le picaresque se pose doublement, comme une attitude et une écriture de réaction contre toute souffrance, toute injustice : d'où l'expression de sa permanence et de son universalité.

Cependant, à partir des résultats découlant de notre démonstration, nous arrivons à soulever une nouvelle question, celle de savoir si l'esthétique picaresque peut, du fait de sa littérarité, être considérée comme un symbole de liberté et d'espoir pour le bas social.

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Page 134

TABLES DE MATIÈRES

DÉDICACE III

REMERCIEMENTS IV

RÉSUMÉ V

ABSTRACT VI

LISTE DES ABRÉVIATIONS VII

INTRODUCTION GÉNÉRALE 9

PREMIÈRE PARTIE : DE LA MISE EN SCÈNE DE LA MARGINALITÉ A

L'ÉCRITURE DU SOCIAL 28

CHAPITRE 1 : PERSONNAGES ET MARGINALITÉ 30

1. Le personnage picaresque : un héros hors du commun. 30

1.1. La naissance ignoble des héros 32

1.2. Des protagonistes marginaux. 34

2. Le dynamisme des héros 37

2.1. Du destin incongru à la question de responsabilité 38

2.2. De l'errance géographique à la quête de filiation 40

CHAPITRE 2 : LA SATIRE SOCIALE : UNE FORME MARXISTE DU

PICARESQUE 44

1. Le bas social et sa représentation 44

1.1 Le bas social dans l'histoire de Gil Blas de Santillane et Onitsha 44

1.2 Les moeurs du bas social 45

2. Le dévoilement des structures sociales aliénantes 47

2.1. La critique des moeurs 48

2.2. Le masque comme identité 51

3. La division sociale : le conflit des classes 56

3.1. La Cour contre le Tiers-état dans l'histoire de Gil Blas de Santillane 57

3.2. Colons Blancs face aux colonisés Noirs dans Onitsha 58

DEUXIÈME PARTIE : LES MODALITÉS ESTHÉTIQUES DU PICARESQUE 61

CHAPITRE . 1 : DE LA STRUCTURE FONCTIONNELLE DU RECIT PICARESQUE

..63

1.

Page 135

Du héros narrateur à l'anti-héros 63

2. Récit épisodique 67

3. De la fiction autobiographique au récit hétéroclite et hybride 69
CHAPITRE 2 : LA MISE EN SCÈNE DU LANGAGE PICARESQUE : LES FORMES

SATIRIQUES. 75

1. De la caricature 75

2. De l'ironie : une arme satirique 80

3. Humour et sarcasme des personnages 86

TROISIÈME PARTIE : LE PICARESQUE : UNE AUTRE HISTOIRE DES

MENTALITÉS 94

Chapitre 1 : MODES DE RÉSISTANCE DU BAS SOCIAL 96

1. Virulence et subversion comme déconstruction de l'idéologie dominante 96

2. L'esprit de satire et l'érection de l'agentivité (agency) 99

3. Le picaresque comme expression d'une identité commune 103

CHAPITRE 2 : PICARESQUE ET LITTÉRATURE: UNE VISION DU MONDE 109

1. Le picaresque : un genre engagé 109

2. La permanence picaresque : une question d'imaginaire social 112

3. Du picaresque au picarisme : une expression de liberté 114

CONCLUSION GÉNÉRALE 120

BIBLIOGRAPHIE 123






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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo