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Efficacité et viabilité de l'électrification rurale décentralisée


par Thibault Erard
Université Paris-Sud - Master 2 Gouvernance de Projets de Développement Durable au Sud 2018
  

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PARTIE 3 : LIMITES DE L'ELECTRIFICATION RURALE

DECENTRALISEE ET EVOLUTIONS POSSIBLES

Malgré les nombreuses contributions de l'ErD au développement des pays émergents, celle-ci ne fait pas l'unanimité. Il existe une partie de la littérature remettant en cause plusieurs aspects de l'ErD. Cette partie tente, dans un premier temps, de rassembler et de mettre en lumière les réserves des chercheurs, ONG et groupes d'évaluation sur les difficultés à atteindre les populations les plus pauvres, le manque de données fiables pour attester des impacts ainsi que les problèmes organisationnels et techniques. Puis dans un deuxième temps, il s'agira de montrer que des solutions méthodologiques, organisationnelles et techniques existent afin de dépasser ces limites.

L'Electrification rurale Décentralisée et ses limites

Une électrification qui ne se concentre pas sur les plus défavorisés

Une des menaces pesant sur le financement de l'ErD est la tendance des grands bailleurs internationaux à s'orienter vers des partenariats public-privé (PPP). Ces partenariats demandent des retours sur investissements plus rapides (Jacquemot, 2017), ce qui favorise les types de programmes plus rentables que l'ErD tels qu'une extension de réseau urbain ou la construction d'une centrale thermique. Les investissements se concentrent donc sur des groupes de population en général plus aisés que les ruraux et qui bénéficient déjà d'un environnement électrifié (infrastructures, commerces, services de bases, etc.). Cette tendance des grands bailleurs internationaux de recourir aux PPP fragilise les financements de l'ErD et ne permet pas de fournir un service électrique fiable et abordable aux populations les plus économiquement et géographiquement défavorisées.

Cet écart d'investissement se retrouve aussi à plus grande échelle avec les choix d'investissement des grands bailleurs. La Banque Mondiale, par exemple, représente à elle seule près de 500 milliards de US$ d'investissement en faveur de l'accès à l'électricité entre 2000 et 2014. Or selon le rapport du Groupe d'Evaluation Indépendant de la Banque Mondiale, 46% des montants investis dans l'électrification ont été destinés à des pays ayant un taux d'électrification déjà élevé voir disposant d'un accès universel (Independant Evaluation Group, 2014). Les pays ayant un faible taux d'électrification n'ont perçu que 22% des montants investis et la part consacrée à l'ErD est minime (de l'ordre de 1%).

Plusieurs raisons peuvent expliquer la frilosité des bailleurs internationaux pour les projets « off-grid » (Power 4 All, 2016) :

o les équipes de ces OI sont habituées aux gros projets d'infrastructures (extension de réseau, mise à niveau d'infrastructures existantes, importants projets

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hydroélectriques et thermique, etc.), les personnes recrutées (ingénieurs et économistes) sont issues d'écoles et formations spécialisées sur ce type de projets

;

o les agences de notation des banques valorisent davantage les gros projets d'infrastructures ;

o les entreprises actives dans ce secteur sont jeunes, ont des capitaux plus faibles (maximum 50 millions de US$) donc moins rassurants ;

o les clients de ces solutions sont moins solvables.

De plus, quand la construction des installations de production d'électricité est terminée, celle-ci n'est pas toujours suivie de raccordements massifs. Ce décalage s'explique souvent par le prix du service et notamment celui du raccordement. Le coût de raccordement est compris entre 50 et 250 euros (Bernard, 2010) selon les programmes et les régions. Même si il ne revient pas en intégralité aux abonnés16, il reste élevé et représente un lourd investissement pouvant atteindre 3 mois de salaires complets (Barron & Torero, 2015) pour les ménages les plus pauvres. En Afrique sub-saharienne, où le pourcentage de la population vivant avec moins de 1,90$ par jour est d'environ 42% en 2013 (World Bank, 2014), il n'est pas rare de constater que les taux de connexion, pourcentage de la population connectée dans les zones où un accès au service est pourtant disponible, sont assez bas (Bernard, 2010). Il en résulte que les foyers raccordés sont souvent les plus riches. Les premiers bénéficiaires des programmes sont les ménages capables de réaliser l'effort financier correspondant au coût du raccordement. Cela remet en cause l'objectif de l'ErD de fournir un service électrique de qualité au plus grand nombre et induit des biais non négligeables dans la mesure des impacts.

Des biais dans la mesure des impacts

L'objectif général de la grande majorité des projets ErD est l'amélioration des conditions de vie des bénéficiaires et le développement économique des régions électrifiées, or ces résultats sont parfois subjectifs (mesure du développement, de la qualité de vie, etc.) et dépendent de multiples variables. Les évaluateurs et chercheurs ne peuvent contrôler toutes ces variables comme dans la recherche médicale et leurs accès est souvent limité (durée de l'évaluation, absence de données, fiabilité, etc.) ce qui rend les évaluations complexes et induit des biais. Toutes les études d'impacts et évaluations de programmes ou de projets en comportent et ceux-ci sont plus ou moins influents, plus ou moins connus et plus ou moins pris en compte.

16 Le reste étant subventionné par l'Etat, des programmes de coopération internationale ou des ONG.

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Dans le cas de l'ErD, les biais sont présents car il est difficile de constituer des échantillons de personnes témoins et donc d'étudier rigoureusement les différences entre ces groupes témoins et les personnes bénéficiaires. Par exemple, si le groupe témoin (foyers non électrifiés) se situe dans le même village que les foyers électrifiés par kits individuels ou par réseau, il est tout à fait envisageable qu'il bénéficie indirectement de l'électrification (nouveaux produits ou services moins onéreux, pouvoir d'achat des clients croissant, amélioration de la sécurité, etc.) et biaisent donc la comparaison. Si le groupe témoin se situe dans un autre village, d'autres externalités entrent en jeu. Il est aussi périlleux de se contenter d'une comparaison avant/après. D'une part, celle-ci ne serait que descriptive et ne permettrait pas d'analyser les résultats et d'autre part, ces résultats ne se manifestent parfois que des années après la mise en service des installations et ne sont donc pas répertoriés. En l'absence de méthode robuste et acceptée par l'ensemble de la communauté de chercheurs et d'évaluateurs, nombre d'études soulignant les effets positifs de l'électrification (santé, éducation, développement économique, etc.) se retrouvent sujets aux critiques et remises en cause par d'autres études ou rapport (Bernard, 2010 ; Van De Walle, Ravallion, Mendiratta & Koolwal, 2013 ; Winther, 2015). En 2008, le Groupe d'Evaluation Indépendant de la Banque Mondiale remettait en cause le nombre d'études fiables en écrivant « la base de données reste faible pour nombre des avantages revendiqués par l'électrification rurale » (Independant Evaluation Group, 2008).

Concernant les impacts sur l'éducation et l'économie, il existe de multiples biais. Certains sont connus et pris en compte depuis longtemps tel que le biais de placement : si la zone électrifiée est proche d'une ville ou d'une région déjà électrifiée, les habitants ont de fortes chances d'avoir des revenus plus élevés que les habitants de zones plus éloignées, ils sont généralement plus dynamiques économiquement et l'électrification leur sera plus profitable, maximisant ses impacts (Cook, 2011). Ce biais de placement influence donc le développement économique par l'achat de nouveau matériel électrique facilité et plus abordable, des clients potentiels plus importants en cas de diversification ou de création d'activités, la présence d'infrastructures de transport, etc. L'accès à une meilleure éducation est, lui, facilité par un nombre d'écoles, collèges et universités plus important, la présence de librairies et bibliothèques, etc. Dès 1975, la Banque Mondiale a pris en compte ce biais en établissant des critères de localisation des projets d'électrification rurale (Bernard, 2010) mais ce n'est pas le cas pour tous les programmes et projets.

Comme indiqué dans la sous-partie précédente, le revenu des foyers influence grandement leur propension à se connecter lors des projets d'électrification, mais il implique aussi d'autres conséquences. Une fois connectés, les foyers les plus riches bénéficient plus de l'électrification et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord et d'un point de vue économique, il a

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été constaté par plusieurs études et chercheurs que le revenu moyen augmentait plus significativement (10% pour les foyers riches contre 2% pour les foyers pauvres aux Philippines ; Cook, 2011) ainsi que le pouvoir d'achat (12% contre 3 % au Bangladesh ; Khandker, Barnes & Samad, 2009). Cela contribue grandement à l'amélioration des conditions de vie et aux possibilités de développement économique. Les évaluations des impacts des programmes d'électrification sur l'éducation diffèrent aussi selon le revenu pré-électrification. Au Bangladesh, l'étude de Khandker, Barnes & Samad (2009) semble indiquer un écart sur le temps de lecture quotidien ainsi que sur le niveau d'étude atteint. Ce biais, quand il n'est pas clairement identifié et pris en compte influence plusieurs indicateurs souvent utilisés lors des évaluation et études et jette donc un doute sur l'exactitude de celle-ci.

Pour les impacts sur la santé, les réserves concernent plus les performances techniques des installations que la mesure et la prise en compte des biais dans l'évaluation.

Limites dans les usages domestiques et productifs

La réduction de l'utilisation de bougies et lampe à pétrole, source de particules nocives, est bien confirmée par la grande majorité des études17 mais des doutes sont émis sur l'efficacité de l'ErD à réduire la pollution des moyens de cuisson et de chauffage. Comme évoqué auparavant, l'ErD ne permet pas de fournir de grandes puissances électriques dans le cas des solutions individuelles et des micro-réseaux.

Dans l'immense majorité des cas, l'électricité ne remplace pas les biocombustibles pour la cuisson des aliments et le chauffage des ménages ruraux18. Cela s'explique par plusieurs facteurs. D'une part, la quantité d'énergie nécessaire pour la cuisson et le chauffage est trop importante pour être alimentée par les systèmes solaires ou éoliens les plus accessibles et répandus : les kits individuels. D'autre part, ces biocombustibles sont accessibles gratuitement ou pour un faible investissement toute l'année, argument particulièrement décisif pour les foyers et région rurales les plus pauvres. Ces éléments limitent l'impact de l'ErD sur la réduction de la pollution intérieure des foyers et ne permet pas de ralentir l'utilisation des biocombustibles.

Ces faibles puissances proposées par les kits individuels limitent aussi grandement le développement d'activités génératrices de revenus pour les foyers électrifiés. Avec ce type de système, il est difficile d'envisager l'utilisation d'équipements électriques gourmands permettant la mécanisation d'activités (moulins électriques, pompes, scies, etc.) existantes et le développement de nouvelles activités (réfrigérateurs, soudeuses, cyber-cafés, etc.).

17 Voir p. 21

18 En Afrique du Sud par exemple, l'électricité ne remplace pas les biocombustibles pour la cuisson dans 90% des cas et dans 99% des cas pour le chauffage (Madubansi & Shackleton, 2006)

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Des moyens de paiement et des tarifs longtemps peu adaptés

La pérennité des projets d'ErD de type micro et mini-réseaux repose sur la viabilité de l'exploitant et le renouvellement des équipements électriques défaillants (panneaux, batteries, petit matériel, etc.). Cela n'est possible que si le nombre d'abonnés est suffisant et si le paiement de la redevance est régulièrement effectué, or une des limites de l'ErD a longtemps résidé dans son système de paiement. Celui-ci était calqué sur les pays occidentaux avec un versement de mensualités. Mais ce système de paiement mensuel par forfait n'est pas le plus adapté au mode de vie des habitants des ruralités des pays émergents. En effet, la majorité des foyers et entrepreneurs sont plus habitués à payer régulièrement de petites sommes pour leur accès à l'énergie que des mensualités non adaptées à leur trésorerie. Sans l'électricité, l'approvisionnement en énergie se fait en fonction du besoin : achat de carburant, bois, charbon, piles, bougies, etc. L'électrification et les systèmes de paiement classiques obligent à changer ce mode de consommation et ce changement n'est pas toujours bien compris ou accepté. De plus, les exploitants sont obligés de se déplacer dans les foyers et entreprises pour collecter les paiements. Ces frais de fonctionnement supplémentaires fragilisent l'équilibre financier des exploitants et la pérennité des projets.

Il est aussi important de souligner l'importance des tarifs de l'électricité. Du point de vue des exploitants, les coûts d'investissement de l'ErD sont élevés et l'équilibre financier est précaire dans ces régions à faible densité de charge (peu de clients et peu de consommation par personne). Si le pays opte pour une tarification nationale homogène basée sur le coût de revient du réseau national d'électricité, le prix payé par les abonnés sera inférieur au prix de revient pour les systèmes décentralisés ruraux, mettant en péril les exploitants (The Africa Electrification Initiative, 2012). Le cadre législatif peut donc, dans certains cas, freiner le développement de l'ErD par un encadrement non adapté des tarifs.

Cette inadéquation entre les habitudes de paiement traditionnelles couplée à une tarification défavorable et une sensibilisation insuffisante en amont des projets sont des facteurs pouvant expliquer les faibles taux de recouvrement pour les services d'électricité et notamment en milieu rural.

Il apparait donc que l'ErD souffre de plusieurs limites et contraintes liées à son évaluation, son fonctionnement, ses régions d'interventions, aux limites technologiques de ses systèmes, etc. Mais celles-ci ne sont pas définitives et il existe des améliorations et évolutions qui, une fois généralisées, permettront de les dépasser.

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Comment les dépasser ?

Amélioration de la méthodologie d'étude

Dans le cadre de l'évaluation de projet de développement, il est impossible de disposer de conditions parfaitement contrôlées mais les études d'impacts et les évaluations de projets ou programmes d'ErD disposent d'outils méthodologiques permettant de contrer une partie des biais évoqués plus haut, ou du moins mieux les prendre en compte. Au vu du nombre de facteurs extérieurs, une simple comparaison avant/après n'est pas envisageable pour les projets d'ErD. Il est possible de recourir à d'autres méthodes dont deux très utilisées : la méthode de la « simple différence » et celle de la « double différence ». Ces deux techniques d'évaluation nécessitent un groupe de contrôle. Il s'agira, avec la méthode de la « simple différence », de comparer sur un ensemble d'indicateurs le groupe de contrôle avec le groupe de population électrifié. C'est une méthode standard qui ne neutralise pas tous les biais. Si les chercheurs ou évaluateurs dispose de temps et de bases de données suffisantes, ils peuvent envisager la méthode de la « double différence », plus fine dans son analyse. En effet, celle-ci reprend le principe de la « simple différence » mais étend la comparaison avec le groupe de contrôle dans le temps. Elle permet donc une mesure de l'évolution plutôt que des résultats finaux.

Deux étapes indispensables de ces méthodes sont sujettes aux critiques et ont été renforcées avec le temps. La première est la définition des indicateurs qui seront utilisés pour la comparaison entre le groupe de contrôle et le groupe électrifié. Ces indicateurs doivent être définis bien en amont du projet et répondre à certaines contraintes (Winther, 2015) : (i) être accessible afin de s'assurer que la récolte des données sera possible (temps de production des données, personne compétente pour la récolte, etc.) ; (ii) correspondre aux objectifs du projet et ne pas se contenter d'illustrer les résultats les plus évidents (exemple : taux de connexion VS usage productif de l'électricité) ; (iii) permettre une évaluation des impacts à long-terme sur des années voire des dizaines d'années (évolution de la consommation, achat progressif d'équipements, utilisation de ces équipements, etc.) et (iv) permettre une différenciation selon le niveau de revenu avant-projet des foyers.

La deuxième étape importante est la définition d'un groupe de contrôle fiable et adapté. Plusieurs techniques peuvent être envisagées afin de créer ce groupe dans les projets et programmes d'électrification (Duflo, 2005) mais elles posent des questions éthiques. Par exemple « l'appariement par score de propension » : il s'agit, dans un premier temps, de collecter le plus de données possibles sur la population étudiée (conditions de vie, économie, santé, démographie, éducation, etc.) puis de créer des paires d'individus, de groupes

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d'individus ou de foyers avec des caractéristiques aussi proches que possible. Un des deux groupes ainsi constitué sera le groupe de contrôle.

Une autre technique est aussi souvent citée car elle permet de contrer de nombreux biais : l'assignation aléatoire. Dans le cas de l'électrification, cette assignation facilite financièrement (peu importe le revenu) l'accès au service électrique par la distribution aléatoire de bons de réduction (ou crédits) sur le coût de raccordement au réseau local (Bernard & Torero, 2011) ou sur l'achat de kits individuels. Ces bons, pour des raisons de transparence et de fiabilité des études, doivent être nominatifs, non échangeables et distribués au vu et au su de tous. Le groupe ainsi désigné se veut représentatif de l'ensemble de la population étudiée et permet d'évaluer l'impact global de l'électrification mais pas de manière individuelle. Comme pour les indicateurs, plusieurs contraintes sont à prévoir (White, 2011). Par exemple, l'assignation aléatoire doit être prévue et acceptée par toutes les parties prenantes dès la préparation du projet et il n'est pas possible de l'appliquer à des projets déjà en cours ou finis car cela induit de nouveaux biais De plus, il faut respecter une taille critique de l'échantillon à étudier car l'assignation aléatoire a pour objectif de fournir une vision globale des impacts. Elle se révèle donc parfois plus coûteuse que des techniques plus classiques (collecte et analyse des données, distribution des bons, suivis, etc.).

Les alternatives ou évolutions évoquées ci-dessus ne permettent pas d'éliminer tous les biais ni d'atteindre des conditions d'évaluation parfaites. Le secteur de l'évaluation des programmes de développement étudie des phénomènes sociaux complexes et ne peut se targuer d'une objectivité absolue ou d'une analyse complète. L'amélioration des méthodes d'évaluation est nécessaire et possible mais elle ne pourra être efficace sans un renforcement des capacités des acteurs locaux. En effet, il est difficile d'envisager des évaluations sans bases de données fiables (institutions nationales spécialisées), connaissances du terrain et suivis rigoureux (bureaux d'études, associations, etc.).

Les activités productives comme point d'ancrage

Le développement d'activités productives peut être vu comme une conséquence de l'électrification d'un village mais c'est aussi un facteur important pour le développement des projets d'électrification et particulièrement en milieu rural. Cette synergie est présente depuis les débuts de l'électrification rurale comme urbaine et se justifie encore aujourd'hui.

Afin de rendre l'électrification aussi utile que possible, il est montré que les nouveaux projets et programme doivent se baser sur une étude fine des besoins de la population mais aussi des activités présentes, en développement ou en projet (Bernard, 2010 ; IFDD, 2015 ; Short, 2015 ; International Energy Agency, 2017). Il s'agit de caractériser au mieux le tissu économique local et d'identifier les filières productives pouvant bénéficier de l'électricité. C'est

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une étape indispensable car ces activités peuvent servir de point d'ancrage à l'exploitant et donc au projet c'est-à-dire être un/des client(s) important(s) et stable(s). Si ces activités sont prises en compte dès la préparation du projet, cela permet d'établir un business plan plus robuste et de faire profiter aux abonnés de tarifs plus abordables.

Dans un rapport de 2015, Tenenbaum, Greacen, Siyambalapitiya & Knickles prennent l'exemple des tours téléphoniques en Inde comme activité productive d'ancrage. 9 000 d'entre elles, situées dans des zones non connectées au réseau national, sont alimentées par un exploitant local. Des systèmes hybrides solaires-éoliens-biogaz produisent de l'électricité pour ces tours mais elle est aussi distribuée aux habitants proches. De cette façon, 150 000 foyers et petits commerces étaient raccordés en 2012.

Lors des périodes d'étude et de sensibilisation, il est important d'informer très tôt les populations des possibilités productives qu'offre l'électricité. Par cette sensibilisation en amont et une aide financière adaptée (crédits, subvention, dons), les habitants pourront anticiper l'arrivée de ce nouveau service et s'équiper en récepteurs électriques pour leur permettre de profiter pleinement de ses avantages.

Souplesse dans les moyens de paiement et les tarifs

Grâce aux avancées technologiques et à la pénétration massive du téléphone portable, même dans les régions les plus reculées du monde, de nouvelles solutions adaptées ont été mises en place pour faciliter le paiement du service électrique. Pour les installations électriques rurales, l'installation de compteurs intelligents connectés et le paiement par mobile permettent, paradoxalement, de se rapprocher des modes traditionnels de consommation avec de faibles montants payés plus fréquemment. Les abonnés peuvent choisir d'acheter une recharge leur donnant droit à une certaine quantité d'énergie et une fois cette quantité épuisée, le système cesse de fonctionner. Le paiement peut aussi se faire a postériori avec un suivi précis de la consommation et la possibilité de recevoir des alertes par SMS en cas de dépassement d'un seuil établi à l'avance.

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Figure 8 : Exemple d'utilisation de système solaire débloqué avec un code SMS (Big Eye, 2013).

Ces méthodes, appelées « Pay As You Go », permettent de payer le service électrique mais ouvrent aussi la voie à l'acquisition des systèmes par les foyers. En effet, les entreprises proposent aux clients de devenir propriétaire des équipements en incluant dans la facture d'électricité le paiement d'un crédit. Ce système est de plus en plus utilisé et certains gouvernements19 s'associent avec des compagnies privées pour le diffuser largement. Les gouvernements peuvent aussi faciliter l'acquisition des systèmes par des subventions pour le raccordement ou l'octroi de crédit à travers leurs compagnies nationales d'électricité. Au Botswana, il a été montré que 80% des personnes raccordées avec un crédit ne l'aurait pas été sans l'aide financière du gouvernement (Prasad, 2008).

Le problème de la tarification est complexe car c'est aussi une question politique. D'une part, il est possible de laisser les exploitants fixer eux-même leurs prix pour assurer la pérennité des systèmes mais cela excluera les foyers les plus pauvres. D'autre part et comme évoqué p. 33, un prix du kWh national met en péril l'équilibre financier des exploitants mais permet au plus grand nombre d'accéder au service électrique. Une des solutions envisagées est alors la subvention d'un tarif rural par l'Etat. Afin d'évaluer le prix hypothétique maximum du kWh dans ces régions, des études (Cook, 2011) proposent de se baser sur les dépenses moyennes des foyers pour l'éclairage et les utilisations possibles de l'électricité (par exemple le diesel nécessaire aux pompes à eau, la recharge des télphones portables, etc.).

« Je vais rendre l'électricité si bon marché que seuls les riches pourront se
payer le luxe d'utiliser des bougies. »

Thomas Edison, prononcée en 1887

19 Notamment au Togo ; International Energy Agency, 2017.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault