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La revitalisation des langues autochtones du Canada grace au spectacle vivant


par Marlene Viardot
Université de Bordeaux - Master 1 d'Anthropologie sociale et culturelle 2020
  

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CONCLUSION

Dans ce chapitre, nous avons vu qui sont les peuples autochtones du territoire appelé Canada, et quelles sont leurs langues. Nous avons analysé la politique coloniale assimilationniste mise en place depuis l'arrivée des premiers Européens au XVème siècle, jusqu'à la fin du XXème siècle. Face à ces récurrentes interdictions de pratiquer leur culture, de réduction de territoire, de discrimination, de mépris, la résilience des Peuples Premiers du Canada est ce qui ressort : de nos jours, ils se battent pacifiquement pour faire reconnaître leurs droits et leur place. Les injustices sont nombreuses à réparer, et les mesures prises par les gouvernements récents laissent penser que le Canada a désormais choisi de respecter les aspirations culturelles et politiques des Premières nations, des Inuits et des Métis.

Les efforts de revitalisation pour les langues autochtones du Canada sont vifs et prennent de multiples formes : outre l'éducation, nous avons vu que des cours sont dispensés, qu'il y a une reconnaissance plus grande de la part des autorités gouvernementales, que les initiatives locales telles que créer des panneaux en langue autochtone se multiplient29 ; que surtout les communautés de locuteurs/trices veulent faire vivre leur langue, par tous les moyens.

Voyons donc à présent si l'un de ces moyens est efficace dans la revitalisation, et si oui comment : le spectacle vivant.

III. Spectacles en langues natives et impact

28 Les "appels à l'action".

29 Voir annexe 6.

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Malgré les persécutions, les cultures autochtones se sont battues pour leur survie, et elles reviennent petit à petit sur le devant de la scène au fur et à mesure que les gouvernements reconnaissent la place des Amérindiens.

Ainsi, les pratiques artistiques autochtones du Québec vivent depuis le début des années 2000 une véritable ébullition. Que ce soit en littérature, en arts visuels ou en cinéma, les créateurs/trices des Premières Nations opèrent une prise de parole au sein de l'espace public et créatif, démontrant le dynamisme de leurs cultures, de même que leur singularité.

Nous centrons notre recherche sur les formes de pratiques artistiques appelées "spectacle vivant". Voici ici la définition qu'en donne la loi française :

" Le vocable "spectacle vivant" désigne l'ensemble des spectacles "produits ou diffusés par des personnes qui, en vue de la représentation en public d'une oeuvre de l'esprit, s'assurent la présence physique d'au moins un artiste du spectacle". La danse, la musique, le théâtre, dans toute la diversité de leurs formes (opéra, musique de variété, chorales, fanfares, cirque, arts de la rue, conte, marionnettes...), appartiennent au spectacle vivant, par opposition au spectacle enregistré (cinéma-audiovisuel).30 "

A. UN LIEN DIFFICILE A ETABLIR

Comme nous l'avions précisé en introduction, nous n'avons pas trouvé de littérature portant sur la revitalisation des langues autochtones par le biais du spectacle vivant. Nous comptions donc sur les entretiens téléphoniques pour explorer l'existence de ce lien - entretiens qui n'ont donc pas pu avoir lieu en raison de la pandémie.

Car lors de nos recherches, nous avons constaté que la création artistique en langue autochtone existe, et est pleine de vigueur : des théâtres proposant des pièces et des cours en langues autochtones, des artistes musicaux de tous styles et de toutes les Nations, des festivals petits et grands.

Rappelons ici que notre objectif est de savoir si toutes ces manifestations ont une influence sur le degré de revitalisation des langues pratiquées, c'est-à-dire savoir si elles sont davantage

30 Source : site du Ministère de la Culture.

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transmises de génération en génération, apprises en tant que langue seconde et donc si le nombre de locuteurs/trices augmente.

Car bien sûr que performer est une manière de revendiquer sa place, d'affirmer sa culture et de demander à se faire reconnaître, ou d'asseoir une reconnaissance. Utiliser une langue d'origine rajoute une dimension politique forte, sachant à quel point elles ont été réprimées par le passé. Nous citerons ici J. Beaupré :

« Les pratiques artistiques autochtones contemporaines ne constituent pas un sujet politiquement neutre. Elles ne portent pas toutes à un même degré un message à caractère politique, mais la simple mention du travail des créateurs[/trices] autochtones démontre que les Amérindiens n'ont pas "disparu", qu'ils existent toujours, au présent. Évoquer ces oeuvres contribue à l'entreprise, poursuivie par nombre d'artistes eux-mêmes, consistant à prouver que leurs cultures ne doivent pas être reléguées à un passé lointain, une fable, celle du Nouveau Monde. »

(Beaupré 2015)

L'aspect politique de revendication n'est donc bien entendu pas à renier. Mais qu'en est-il de l'impact linguistique ?

Voyons quels types d'arts vivants peut-on trouver aujourd'hui sur le territoire canadien.

B. L'ART VIVANT AUTOCHTONE A LA PERIODE ACTUELLE

Comme l'ont rapporté les premiers voyageurs, missionnaires, colonisateurs puis anthropologues, le chant et la danse avaient une importance sérieuse pour les populations autochtones.

Boas commença à recueillir des chansons des Amérindiens de la Côte ouest pendant les années 188031, et ses premières publications inspirèrent une génération de collecteurs, dont entre autres Marius Barbeau (1883-1969) : considéré comme le fondateur de l'anthropologie canadienne et québécoise, il a été l'un des plus importants collectionneurs de la mémoire collective québécoise et des Premières Nations du Canada. Il a enregistré sur environ 300032

31 Dont "Chinook songs", JAF, 1888, p. 220-226; "Kwakiutl songs and dances", JAF, 1888, p. 49-64.

32 Source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

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cylindres de cire33 des chants et des contes folkloriques, à partir de 1911.

Nous savons ainsi grâce à lui qu'il existait des chants pour les visiteurs importants, des chants de guerre, ou des rituels de guérisons où un guérisseur portait un masque (appelé "faux-visage") : il représentait un médecin ou un esprit de l'autre monde, qui venait pour chasser la maladie. Ces rituels étaient également accompagnés de chants spéciaux34.

Les chants étaient donc principalement cérémoniels.

1. LA MUSIQUE EN LANGUE AUTOCHTONE

Pour comprendre un peu l'évolution de ce domaine, il faut savoir que pendant la période d'évangélisation, beaucoup de traditions musicales autochtones ont disparues. Les nations ont perdu l'utilisation de leurs instruments traditionnels (l'utilisation du tambour traditionnel, le Teweikan, était interdite.).

Pendant longtemps on n'a plus entendu de musique d'origine autochtone. Ce n'est que récemment que les Peuples Premiers font réentendre leur voix, en mêlant leur passé à la culture dominante occidentale. Ils créent de nouveaux sons tout en préservant les racines.

À partir des années 1950, des auteur.es-compositeurs/trices-interprètes en langue autochtone font leur apparition dans le milieu musical public. Les morceaux ne sont pas des chants traditionnels : cela commence par de la country, puis est suivi par de la pop (par l'influence d'Elvis), chanté.es en atikamekw, en langue abénakise, en innu, en mohawk... Certains jeunes vont même jusqu'à traduire les paroles des "hits" du moment dans leur langue, pour en faire des reprises version autochtone. De cette période citons René Weizineau - reconnu parmi les siens comme le premier auteur-compositeur-interprète country en langue atikamekw - ; Alanis O'Bomsawin, artiste engagée et militante ; Émile Grégoire, surnommé "l'Elvis innu" ; le groupe The Mighty Mohawks : Indian Showband (ils reprenaient aussi les

33 L'ancêtre du disque. Les deux principales utilisations du cylindre étaient l'enregistrement de musique et la prise de notes.

Le cylindre de cire avait un avantage marqué sur les disques plats : un cylindre pouvait être effacé et réenregistré plusieurs fois. Bien que la commercialisation des cylindres ait cessé vers 1929, leur utilisation en tant que support d'enregistrement a continué au moins jusqu'aux années 1940.

34 Source : archives de Radio Canada, extrait de l'émission télévisée Votre choix du 26 sept. 1964 : Interview de M. Barbeau par les animatrices Nicole Germain et Ludmilla Chiriaeff. Il est impressionnant de voir ce vieux monsieur octogénaire entonner ces chants, de mémoire.

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tubes d'Elvis - dont Jailhouse Rock habillés en prisonniers, mais coiffés de chevelures style mohawk).

Au fur et à mesure du temps, les artistes musicaux autochtones se sont emparé de tous les genres pour chanter dans leurs langue : folk, rock, gospel...

Et petit à petit, les formes traditionnelles de leurs musiques montent dans la sphère musicale publique.

Ainsi, dans les années 2000, les aînés du Nunavik ont décidé collectivement que les chants de gorge inuit étaient réservés aux Inuits : eux seuls peuvent apprendre et transmettre cette pratique et surtout, donner des spectacles et produire des enregistrements.

Aujourd'hui le chant de gorge traditionnel inuit est principalement pratiqué au Nunavik (Nord du Québec) et sur l'Île de Baffin au Nunavut.

Un groupe important pour les membres des Premières Nations est Kashtin : fondé en 1984 par Vollant and McKenzie, ce mot qui signifie "tornade" en innu, mais qui peut également faire référence au terme d'argot "cashing in", "encaisser" en français, en réponse aux traditionnalistes qui critiquaient le duo pour leur approche commerciale de la musique innue. Le groupe a commencé à tourner dans les festivals et les bars, et leur succès a été confirmé avec leur premier album en 1989, deux fois disque de platine, avec plus de 150 000 exemplaires vendus dans les 6 mois suivant sa sortie. Le morceau "E uassiuian", "Mon enfance", est devenu un hit, et s'est très bien vendue en France.

Leur popularité continuant de grandir, la musique de Kashtin devint la voix de la Crise d'Oka35, un conflit opposant les Mohawks au gouvernement québecois puis canadien : ils protestaient contre l'agrandissement du golf de la ville d'Oka prévu sur un cimetière mohawk. Le conflit dura de mars à septembre 1990, et nécessita l'intervention de l'armée. Plusieurs stations de radio ont banni la musique du groupe pendant cette période, mais leurs chansons sont restées comme symbole de la fierté culturelle.36

Des récompenses existent, incluant des prix pour les productions artistiques autochtones:

35 Voir documentaire d'O'Bomsawin, "Kanehsatake, 270 ans de résistance."

36 Sources : Harris, C. (2016) Heartbeat, Warble, and the Electric Powwow : American Indian Music. University of Oklahoma Press,

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- les Juno Awards possèdent depuis 1994 une catégorie "Juno Award for Indigenous Music Album of the Year"37 ;

- et les Canadian Aboriginal Music Awards, prix créés en 1999 pour reconnaître, honorer et célébrer la création musicale autochtone au Canada, comportent des catégories telles que le prix de la Sauvegarde de la Tradition, le prix du Meilleur album de pièces de tambour à mains, ou le prix du meilleur album de flûte traditionnelle - des preuves indéniables de la reconnaissance de la culture musicale particulière des communautés autochtones sur le territoire.

Enfin, citons l'existence de la plateforme d'écoute musicale Nikamowin, qui permet de découvrir tant les artistes que les cultures autochtones du Canada. On y trouve un classement par genre musical (alternatif, blues, chants de gorge, grunge, jazz, métal, traditionnel, électro...), par nation/territoire (anishnabe, atikamekw, cree, dené, huron-wendat, naskapi, kanien'kehá:ka, wolastoqiyik...), et par langue (anglais, français, inuktitut, mig'maq, iiyiyuu ayimuun...).

2. LES POW WOWS

Le pow wow est un grand rassemblement traditionnel organisé par les Amérindien.nes pour célébrer leur identité et où plusieurs Nations se rencontrent pour festoyer, faire des compétitions entre elles et honorer leurs aîné.es. Cette fête convoque la musique, les danses, les habillements traditionnels, les aliments et les objets d'artisanat autochtone.

De 1886 à 1951, les pow-wows, comme toutes les autres cérémonies traditionnelles autochtones, ont été interdits par le gouvernement canadien.

La tradition a cependant ressurgi dans les années 1960 et s'est tranquillement étendue à toute l'Amérique du Nord dans les dernières décennies. Il y a maintenant des pow-wows dans toutes les provinces canadiennes, du début du printemps à la fin de l'automne. Et ces fêtes se déroulent tant dans les communautés autochtones que dans les villes.

Donc, même si pour un regard extérieur le pow wow représente l'image d'Épinal de culture traditionnelle, il faut garder en tête que cette forme de rassemblement date de moins d'un siècle. Hobsbawm et Ranger (Hobsbawm & Ranger 1983) analysent cela comme un cas d' "invention de tradition", répondant aux nouvelles nécessités de la vie dans les réserves et des

37 Les artistes autochtones ne sont pas restreint.es à cette seule catégorie ; ainsi certain.es préfèrent ne pas soumettre leur musique dans celle-ci, préférant être classé.es dans les catégories plus générales.

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nationalismes amérindiens naissant durant le XXème siècle (Marienstras 1980) : les communautés autochtones ont constaté l'intérêt des touristes pour ces manifestations, et ont décidé d'en faire une vitrine. Ce qui était et demeure en premier lieu un événement social, festif et cérémoniel est donc devenu aussi un spectacle, par le simple fait de la présence et du regard de spectateurs. Pour exister comme entités politiques, les Premières Nations (certaines d'entre elles, en tout cas) semblent désormais miser sur la visibilité et l'opinion publique autant que sur la reconnaissance formelle du gouvernement (Maligne 2010).

Les non-Autochtones sont donc acceptés comme pouvant prendre part à ce spectacle - ils et elles doivent cependant rester respectueux.ses38. La piste de danse, circulaire et nettement limitée, est ainsi en général réservée aux danseur.se.s en compétition (par catégories de sexe, d'âge et de types de danse), ou à celles et ceux effectuant des démonstrations (comme la "danse des cerceaux"), mais à certains moments elle est accessible au public, lors des danses dites "intertribales". A d'autres moments, il est demandé au public d'éteindre leurs caméras et de ne pas prendre de photos, comme pour le rite destiné à ramasser une plume tombée de la tenue d'un danseur ("retrieve the Feather").

Il existe aujourd'hui plus d'une centaine de pow wows sur le territoire canadien.

3. LES FESTIVALS DE CONTES

Comme nous l'avons vu, les peuples autochtones du Canada étaient de tradition orale. Les histoires contées avaient donc une place capitale39.

Cet héritage est transmis aujourd'hui grâce aux festivals de contes, en plus des pow wow où il existe une transmission également.

Nous n'avons trouvé que deux occurrences de ce type de manifestations - les deux se déroulant dans la province de Québec, mais à 1000 km d'intervalle :

- Le Festival de contes et légendes Atalukan, depuis 2010

- Le Festival du conte et de la légende de l'Innucadie, depuis 2006.

38 Radio-Canada a d'ailleurs publié un article contenant un paragraphe " Petit guide d'éthique pour les non-Autochtones".

39 Récoltés principalement par M. Barbeau.

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Lors de ces évènements, la plupart des contes sont racontés en français, et quelques légendes en langue autochtones.

4. LE THEATRE

Notre sujet nous a poussée à savoir s'il existait des pièces de théâtre en langues autochtones.

Contrairement aux chants ou aux contes, le théâtre (tel qu'on l'entend au sens occidental) ne fait pas partie du répertoire traditionnel habituel des peuples autochtones du Canada.

Cet aspect, couplé à la situation linguistique appauvrie des communautés autochtones du fait des politiques d'assimilation précédemment étudiées, a pour conséquence qu'il n'existe pas d'oeuvres théâtrales en langues amérindiennes, qui se produisent en tous cas sur les scènes des théâtres officiels.

Ce qui est appelé "théâtre autochtone" désigne les productions réalisées par et/ou avec des personnes d'origine autochtone, et surtout traitant des problématiques culturelles particulières relatives à ces communautés. Les titres de certaines pièces seront en langue autochtone, quelques mots dans la pièce, mais ce ne sera pas la langue majoritaire utilisée pour l'oeuvre.

K. Grajewski dresse une liste de ce théâtre autochtone pour la partie anglophone du pays : des dramaturges d'origine autochtones ont commencé à produire des pièces, à partir des années 1970, en anglais.

En 1974, l'Association for Native Development in the Performing and Visual Arts (ANDPVA) fonde la Native Theatre School (maintenant le Centre for Indigenous Theatre), qui dispense des cours intensifs permettant aux jeunes talents d'apprendre leur art avec les meilleurs professeurs de diction, de gestuelle et de déclamation et qui prône l'étude des traditions culturelles et des formes de spectacles propres aux Amérindien.nes.. La quasi-totalité des comédiens autochtones du Canada étudient à cette école de théâtre.

En 1982, la troupe Native Earth Performing Arts est fondée à Toronto : elle présente des créations traitant des problématiques liées aux communautés autochtones, et remporte un franc succès.

En 1984, la troupe De-Ba-Jeh-Muh-Jig, de l'île Manitoulin dans le nord de l'Ontario, est la première est toujours aujourd'hui la seule compagnie théâtrale oeuvrant dans une réserve.

La troupe inuite Nakai Theatre met l'accent sur les expériences des habitants du Grand-Nord produit des pièces qui abordent les sujets de l'itinérance, de la pauvreté, de la discrimination et de l'appropriation culturelle.

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À Saskatoon, le Gordon Tootoosis Nîkânîwin Theatre (anciennement la Saskatchewan Native Theatre Company), fondé en 1999 offre des programmes qui encouragent les jeunes à s'impliquer dans le milieu artistique, ainsi que des programmes de formation professionnelle et de coproduction.

À Edmonton, l'Alberta Aboriginal Arts est cofondée en 2009 par deux Métis d'Edmonton, Ryan Cunningham et Christine Sokaymoh Frederick, afin de développer les traditions autochtones dans les milieux artistiques. Ils organisent un Rubaboo Arts Festival annuel (rubaboo est un mot métchif désignant un ragoût cuisiné sur la ligne de trappe), une célébration du théâtre et de la culture autochtones. (Grajewski 2017)

Du côté francophone, le théâtre Ondinnok a été fondé en 1985 : c'est la première compagnie de théâtre francophone amérindien au Canada (15 ans après le premier théâtre anglophone autochtone). Les créations qui y ont lieu "explorent et questionnent la complexité d'être amérindien.ne au temps de la modernité et de l'urbanité". Il a lui aussi mis sur pied à partir de 2004 un programme de formation intensive en théâtre pour les Autochtones40.

Bien que toutes les pièces réalisées par les théâtres et les compagnies citées ci-dessus ne soient pas parlées en langues autochtones, nous avons trouvé qu'elles avaient de l'importance : en effet, l'intensité de cette production théâtrale et les sujets traités marquent sans aucun doute l'émergence de nouvelles pratiques d'énonciation et d'affirmation identitaires au sein des communautés autochtones. Voici l'analyse que fait François Paré du théâtre autochtone contemporain :

« Le théâtre autochtone s'élabore désormais comme un ensemble de réalisations dramatiques, axées sur la récupération des pratiques et mythes ancestraux et toujours accompagnées d'un discours méthodologique visant à instruire les spectateurs et les chercheurs non autochtones sur la manière de lire et d'interpréter l'expérience théâtrale et, au-delà du seul spectacle, l'histoire même des peuples autochtones. [...] Ces textes d'accompagnement visent à la fois à dénoncer, souvent de façon virulente, les structures coloniales contre lesquelles les sociétés

40 Par rapport à l'utilisation du terme "Autochtone" en tant que nom ici, nous reprenons ici les termes employés sur le site internet du théâtre (cf Avant-propos).

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autochtones d'Amérique continuent de lutter et à proposer une lecture thérapeutique et émancipatrice de la représentation scénique. »

(Paré 2013)

Comme nous l'avons indiqué plus au début de ce paragraphe, le théâtre occidental ne fait pas partie des arts autochtones. Et donc, pour la majorité des dramaturges, comédien.nes et danseur.ses autochtones de la fin des années 1980, les structures du théâtre à la manière européenne, où le texte et le metteur en scène dominent, reproduisent les conditions mêmes de l'oppression coloniale dont les peuples autochtones continuent d'être les victimes.

Présenter des oeuvres permettant de présenter sur scène, à un public, les perspectives autochtones, est certes un pas en avant, mais ne suffit pas si elles restent dans le cadre classique du théâtre. C'est cela qu'a souhaité instaurer Yves Sioui-Durand, le fondateur d'Ondinnok, en créant un parcours nomade, représentatif des cultures autochtones.

Ainsi, nous pouvons déduire que, si nos recherches ont conclu à l'inexistence de pièces intégralement jouées en langue amérindienne sur les scènes de théâtres publics et urbains, ce n'est pas par manque d'envie de la part des communautés autochtones, ni par absence totale de structures, d'artistes, de moyens : c'est bien par limitation linguistique.

C'est donc avec admiration pour la résilience et la détermination de ces peuples que la dernière étape de notre recherche sur le théâtre autochtone s'est achevée en apprenant que, pour la toute première fois, en septembre 2019, le Centre National des Arts (CNA) d'Ottawa a lancé sa toute première saison de Théâtre autochtone en langues autochtones : intitulée "Nos histoires guérissent", ce projet artistique met en valeur des spectacles dans une dizaine de langues autochtones, en plus du français et de l'anglais. Bien que cette programmation s'adresse à un auditoire autochtone, en traitant de sujets qui les touchent très directement (comme les disparitions des femmes et des filles autochtones sur lesquelles aucune enquête ne sont ouvertes, les ravageuses conséquences des pensionnats comme le suicide ou l'alcoolisme, ou les enlèvements d'enfants autochtones par les services sociaux pour des adoptions forcées), un public plus large est également visé. Le directeur artistique du Théâtre autochtone du CNA, Kevin Loring, pense que tous les publics viendront41.

41 Article en ligne de Radio Canada du 04/09/2019.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci