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Industrie 4.0, une revolution industrielle et sociale ?


par Vincent Kergueme
ESLI - Master 2 2020
  

Disponible en mode multipage

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INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION INDUSTRIELLE ET SOCIALE ?

Projet de fin d'étude 

Référent entreprise : M. Stéphane LANGEVIN

Référent campus CEI : M. Tony CRAGG

Projet de fin d'étude présenté en vue de l'obtention du

Mastère Manager Logistique Achats Industriels

Kergueme Vincent

BOSCH GROUP

PARCOURS : MANAGER LOGISTIQUE SÉCURISÉE INTELLIGENTE

Remerciements

Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mon directeur de mémoire, Monsieur Tony CRAGG. Je le remercie de m'avoir encadré, orienté, aidé et conseillé.

J'adresse mes sincères remerciements à tous les professeurs, intervenants et toutes les personnes qui par leurs paroles, leurs écrits, leurs conseils et leurs critiques ont guidé mes réflexions et ont accepté de me rencontrer et de répondre à mes questions durant mes recherches.

Je remercie mes très chers parents, qui ont toujours été là pour moi. Je remercie ma soeur, pour ses encouragements.

Enfin, je remercie mes amis qui ont toujours été là pour moi. Leur soutien inconditionnel et leurs encouragements ont été d'une grande aide.

À tous ces intervenants, je présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude.

Reserve de responsabilité

« Le GIP Campus ESPRIT Industries n'entend donner ni approbation ni improbation aux idées émises dans lesPFE et autres documents soutenus en vue de l'obtention du diplôme. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs et n'expriment en rien la position des institutions auxquelles ils appartiennent. »

Table des matières

I. INTRODUCTION 2

II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION INDUSTRIELLE ? 5

A. Industrie 4.0 5

1. Définition 5

2. Trois degrés de fabrication numérisée 11

3. Industrie 4.0 et développement durable 17

B. L'industrie du future vue par les industriels 19

1. Industrie du futur et compétitivité 20

2. Évolution du business model 23

3. Vers des organisations responsabilisantes 24

C. L'industrie 4.0 dans le contexte du développement mondial 25

1. Au-delà de l'économie européenne - Menace pour les pays en développement 26

2. Objectifs de développement durable - Implications pour l'industrie 4.0 30

D. Variation sectorielles dans le cadre de l'industrie 4.0 32

1. Faible impact 32

2. Incidence moyenne 37

3. Incidence élevée 42

II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION SOCIALE ? 48

A. Ressources humaines en période de transformation industrielle 48

1. Fabrication intelligente 49

2. Lacunes et inadéquation des compétences 52

B. L'industrie du futur et ses conséquences sur le monde du travail 56

1. Conséquences à l'échelle macroéconomique pour l'emploi 56

2. Conséquences sur l'organisation du travail dans les entreprises 59

3. De l'innovation technique à l'innovation sociale 63

III. CONCLUSION 67

I. INTRODUCTION

La quasi-totalité des grands

Le concept de « l`industrie 4.0 » a été introduit dans le débat public par la « Forschungsunion Wirtschaft und Wissenschaft ».Il désigne la digitalisation de la production industrielle. Le concept dessine la vision d`une usine intelligente, caractérisée par la mise en réseau de toutes les parties et tous les processus de la production : le pilotage virtuel en temps réel et l`emploi croissant de robots et d`unités de travail autopilotées doivent contribuer à accroître la productivité grâce à une plus grande efficacité dans l`emploi des ressources. Cette mutation est déjà en cours et la notion de « l`industrie 4.0 » est aujourd`hui très présente dans le débat sur le numérique.

Les convergences entre production et interaction, entre travail et communication relèvent de plus en plus de compétences interdisciplinaires pour préserver la compétitivité économique. Non seulement les connaissances techniques, mais aussi la flexibilité, la créativité et la capacité d`innovation deviennent les facteurs décisifs de la réussite pour les entreprises et leurs salariés. Toutefois, ces capacités n`apparaissent pas spontanément dans les entreprises. L`industrie 4.0 a besoin du soutien d`une politique appropriée en faveur de l`innovation. Mais celle-ci n`est pas l`apanage de l`Etat. Au même titre que les acteurs publics, les parties prenantes au sein de la société, des entreprises et des sciences doivent élaborer une vision systémique de l`innovation, pour pouvoir concevoir de façon globale le passage au numérique dans les entreprises.

Les modifications mises en oeuvre par l`interconnexion et l`utilisation des données ont une portée qui dépasse largement la seule production industrielle. Elles remettent en partie en question des éléments fondamentaux du monde du travail et de la production. Elles impactent globalement nos structures économiques et notre façon de vivre ensemble au sein de la société.Il s'agit d'une association réunissant 28 représentants du monde de l'entreprise et des sciences.Nous ne sommes qu`au début d`un débat de fond qui apporte pour le moment plus de questions que de réponses. Nous verrons dans ce mémoire que l`industrie 4.0 ne doit pas seulement être considérée comme une innovation technique, mais aussi comme une innovation sociale.

II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION INDUSTRIELLE ?

A. Industrie 4.0

1. Définition

Les innovations technologiques transforment la fabrication industrielle depuis les années 1900. Et, bien que ce ne soit là rien de nouveau, un grand nombre de compagnies et de gouvernements discutent depuis quelques années de la numérisation, qui est en train de transformer le secteur manufacturier tel que nous le connaissons. Dernièrement, les expressions « Industrie 4.0 » et « quatrième révolution industrielle » sont utilisées pratiquement comme des synonymes. Elles ont été utilisées pour la première fois par la Deutsche Forschungszentrum für Künstliche Intelligenz (DFKI ou Centre allemand de recherche sur l'intelligence artificielle), mais il faut préciser que l'analyse du DFKI ne fait pas l'unanimité. Quoi qu'il en soit, ces expressions sont passées dans l'usage, même si leurs définitions sont demeurées assez vagues. Elles désignent tour à tour des compagnies qui utilisent Internet pour des solutions adaptées aux besoins de leurs clients; des fournisseurs de services indirects qui font appel à des travailleurs de plateforme, à des travailleurs participatifs ou à des travailleurs de l'« économie à la demande »; l'utilisation d'une vaste gamme de technologies allant de l'impression tridimensionnelle (fabrication par couches) à la robotique de pointe dans les usines de fabrication, en passant par les drones - et bien plus encore. De fait, en plus de la numérisation, des technologies de l'information et des communications, et de l'impression tridimensionnelle, la liste des nouvelles sciences et des innovations techniques ne cesse de s'allonger : photonique, biotechnologie, nanotechnologie, microtechnologie, matériaux de pointe, sans oublier les changements radicaux apportés aux technologies de l'énergie et de l'environnement - et bien d'autres encore. Toutes ces nouvelles technologies sont mises en service rapidement, et il est certain qu'elles auront un impact - possiblement un impact perturbateur - sur la fabrication industrielle traditionnelle.

L'expression « Industrie 4.0 » n'est peut-être pas idéale pour désigner les changements qui s'en viennent, mais comme sonusage est répandu, il serait trop difficile de la remplacer par unterme plus approprié. L'expression « Industrie4.0 » a été utilisée pour la première fois comme nom d'uneassociation de recherche entre le gouvernement allemand et unProjet stratégique portant sur la haute technologie, dirigée parle ministre allemand de la Recherche, mais elle a trouvé depuisd'autres utilisations dans le monde anglophone. En décembre2015, le Forum économique mondial s'est réuni à Davos pourdiscuter de ce dossier; la revue The Economist a publié un numérospécial sur l'Industrie 4.0; Eurofound, une agence de recherchede l'Union européenne, a produit plusieurs rapports consacrés àl'avenir du travail et portant sur certaines des conséquences del'Industrie 4.0 sur les travailleuses et travailleurs. Le résumé le plusconnu provient sans doute du Centre allemand de recherche surl'intelligence artificielle (figure 1).Il y a évidemment toujours une interaction entre les technologies, les intérêts commerciaux et les structures sociales. Toutefois, ilserait faux de croire que les technologies sont toujours, d'une façonunidirectionnelle, à l'origine d'un changement.

Au contraire, il fautexaminer l'ensemble du contexte. Dans quel environnement socialet économique les changements technologiques se produisent-ils? Quelles pressions risquent-ils d'exercer sur la société, l'économie ou l'environnement? Le développement durable va découler de l'application d'une pensée intégrative.

Figure 1. Les quatre révolutions industrielles

Source : Centre allemand de recherche sur l'intelligence artificielle

De nouvelles avancées en technologie ont déclenché des révolutions industrielles de diverses durées au cours des siècles, et chacune d'elles a provoqué d'importantes réactions chez les travailleurs et leurs porte-parole. Si les révolutions industrielles précédentes se sont soldées par la hausse des emplois, on peut s'attendre cette fois ci à un résultat différent. Les révolutions industrielles précédentes ont donné naissance à des théories économiques et politiques non conventionnelles (par exemple, le communisme) et à des structures sociales alternatives (par exemple, l'État providence).

Les conséquences de l'Industrie 4.0 et la transformation qu'elle opérera sur notre économie sont si variées que l'analyse de ses menaces, avantages et solutions potentiels doit être faite en accordant une place importante à la fabrication industrielle (et à sa chaîne de valeur).

Les changements survenus dans la production industrielle, les nouvelles technologies et leurs répercussions sur les travailleurs et le travail ne sont rien de nouveau.

L'invention du moteur à vapeur qui a donné le coup d'envoi à la fabrication industrielle dans la première révolution; les bandes transporteuses et les chaînes de montage, dans la seconde; l'utilisation d'ordinateurs et d'équipement électronique pour contrôler la production, dans la troisième, l'ont démontré à maintes reprises : les travailleurs doivent faire face aux conséquences des changements technologiques depuis des décennies et des siècles. Ce qui est différent avec la quatrième révolution industrielle, c'est la vitesse à laquelle ellepourrait exercer son potentiel d'impact considérable et durable sur l'économie, sur les disparités entre les pays en développement et les pays développés, sur la main-d'oeuvre, sur le prix des produits et sur nos sociétés. Quand le processus d'automatisation sera lui-même automatisé grâce à des technologies comme l'intelligence artificielle, l'accélération du changement qui en résultera sera différente de tout ce que l'on a connu.

Jusqu'à présent, les entreprises et les gouvernements ont dirigé les discussions en adoptant une approche centrée sur l'économie et les technologies et en faisant abstraction des impacts sociaux ou en ne leur accordant que très peu d'importance. Les gouvernements, surtout en Europe, investissent dans des recherches et des projets pilotes dans le but de mettre au point des processus de production à l'aide des technologies de l'Industrie 4.0 (en subventionnant efficacement les entreprises privées).

Cependant, l'analyse des répercussions sur la société - portant à la fois sur les menaces et les possibilités - de l'avenir du travail, des changements dans le marché du travail, ainsi que des tensions potentielles sur les systèmes d'aide sociale et sur les disparités économiques actuelles, semble être reportée ou négligée complètement dans les discussions. Au lieu de simplement attendre que les impacts sociaux se manifestent, nous devrions nous employer à les orienter. Si nous souhaitons éviter les pièges des précédentes itérations de changements capitalistes, nous devons insister pour que les technologies soient centrées sur l'humain, c'est à dire que toute nouvelle technologie mise en service accorde une place centrale aux humains en tant qu'opérateurs et décideurs actifs, qui seront plus que des opérateurs de machines et des chargeurs de matériaux. Les impacts sociaux peuvent et doivent être pris en compte dans tout nouveau système.

Certains emplois seront transformés, d'autres disparaîtront, d'autres encore seront créés. Les compagnies qui ne s'adapteront pas seront obligées de fermer leurs portes ou de fusionner avec d'autres. De nouvelles compagnies verront le jour.

Certains gouvernements joueront un rôle, d'autres, non. Quant aux gouvernements qui interviennent déjà, ils se sont jusqu'ici contentés de subventionner la recherche et le développement, l'éducation et les formations professionnelles, sans exiger de garanties d'emplois en retour.

· Nous avons besoin d'une meilleure interaction et de meilleurs partenariats entre la recherche, l'éducation et l'industrie, et nous devons renforcer le lien entre les compétences fondées sur l'expérience et la recherche.

· Nous devons combler les lacunes dans les organismes de financement public - pour développer et restructurer de grandes compagnies matures, qui, à leur tour, font affaire avec une foule de fournisseurs de petite et de moyenne taille.

Bien que toutes ces choses soient constamment à l'oeuvre dans notre économie mondiale, les changements induits par l'Industrie 4.0 se produiront beaucoup plus rapidement que tout ce que nous avons vu jusqu'ici.

Bien sûr, les gouvernements ne doivent pas limiter leur rôle à subventionner et à encourager la transformation numérique. Au contraire, dans ce domaine d'évolution rapide, ils doivent créer et appliquer des lois, des normes et des politiques publiques, dans l'intérêt du public.

Le processus de numérisation « concentre le pouvoir et la richesse dans des plateformes de marché numérique, privant ainsi toutes les autres compagnies de la chaîne de valeur de la capacité d'investir, d'innover et d'offrir de bons salaires et de bonnes conditions de travail. Il s'attaque aux fondements de la relation d'emploi permanent et à temps plein reposant sur des conventions collectives, parce que toutes les fonctions de cette relation (dont le contrôle des tâches) peuvent être effectuées individuellement, automatiquement et à distance (et), par conséquent, les travailleurs étant placés dans une concurrence internationale des prix, le travail précaire assorti de conditions personnalisées connaît un essor fulgurant (pigistes, pseudo travail indépendant, travailleurs participatifs, travailleurs de plateformes ou travailleurs à la demande). Le processus de numérisation ouvre des possibilités sans précédent au contrôle asymétrique, vertical et horizontal des travailleurs, tout en permettant entre eux la coopération symétrique, horizontale, multilatérale et démocratique.

Le graphique suivant (en forme de sourire) illustre à quel point la fabrication a été sous-représentée, comparativement aux autres étapes de la chaîne de valeur. C'est le résultat de politiques publiques et privées plutôt qu'une loi de la nature et, par conséquent, cette situation pourrait en principe être changée.

Figure 2. Courbe générique « en forme de sourire » dans une chaîne de valeur

Source : adapté à partir du Smiling Curve.svg, Rico Shen, Wikimedia Commons

Les prédictions portant sur l'Industrie 4.0 et ses conséquences potentielles sur les marchés du travail semblent très polarisées. Les optimistes s'attendent à une augmentation du nombre d'emplois très bien rémunérés, tandis que les pessimistes prédisent des pertes d'emplois de l'ordre de 35 à 40 %. Même en prévoyant une marge d'erreur entre la théorie et la (future) réalité, il est étonnant de constater que les prédictions faites au sujet d'une transformation industrielle qui est déjà en train de se produire autour de nous semblent aussi peu fiables qu'une boule de cristal.

Les conséquences générales de l'Industrie 4.0 sont, à certains égards, prévisibles, mais il en va autrement des chiffres, dans ce scénario : la performance de l'économie dans son ensemble, les dépenses gouvernementales en matière de recherche et développement, de qualifications et d'éducation entrent toutes en jeu dans ces prédictions.

Divers secteurs industriels seront touchés très différemment par l'Industrie 4.0 et l'automatisation potentielle. La complexité des produits, les prix et les qualifications actuelles de la main-d'oeuvre de l'industrie sont des indicateurs qui peuvent nous aider à prédire les conséquences pour la main-d'oeuvre et influencer la façon dont nous imaginons le travail dans un avenir plus ou moins rapproché. L'objectif du présent document est de faire la lumière sur les différents résultats de l'Industrie 4.0 afin de nous préparer en vue des futures tendances qui se

Source : Deborah Greenfield, directrice générale adjointe, Politiques, Organisation internationale du Travail, 26 octobre 2017, Genève

Tableau 1. Incidence des technologies sur les emplois : diverses estimations

manifesteront dans les industries et les secteurs importants.

2. Trois degrés de fabrication numérisée

Les effets à court, moyen et long terme de la numérisation de la fabrication, ce qu'est en fait Industrie 4.0, ne sont pas tout à fait clairs, mais il est certain qu'ils varieront considérablement en fonction des différentes industries et du degré auquel les usines seront en mesure d'appliquer les technologies modernes. On identifie généralement trois degrés différents : 1) les systèmes d'aide; 2) les systèmes cyberphysiques; 3) l'intelligence artificielle.

Ces formes de technologies pourraient être adoptées séparément ou simultanément dans un lieu de travail donné.

Les systèmes d'aide sont le niveau le moins sophistiqué de la numérisation dans les usines. Utilisés surtout pour l'assemblage de produits, ces systèmes assistés par ordinateur guident les travailleuses et travailleurs à travers leurs différentes tâches, étape par étape. Certains pronostics prévoient que l'utilisation de ces technologies aura pour conséquence une augmentation considérable de la productivité et des revenus, ainsi qu'une réduction simultanée de la main-d'oeuvre allant jusqu'à 25 %.

Les systèmes cyberphysiques sont liés à ce qu'on appelle « Internet des objets », mais ils sont plus généraux. Pour les besoins du présent document, on entend par « systèmes cyberphysiques » une usine intelligente dont les machines, parfois autonomes, sont interreliées et où l'état d'avancement de la production de n'importe quelle zone peut être surveillé en tout temps. Pour ce faire, les machines doivent être intégrées dans un réseau. Les composants sont munis de puces d'identification par radiofréquence (IRF) qui communiquent des informations sur l'état d'avancement de la production aux services d'entretien, aux panneaux de commande des processus et parfois même aux clients et qui envoient aussi des signaux aux machines pour leur indiquer les spécifications du produit final et les étapes de production nécessaires pour le produire.

La compagnie Adidas a récemment annoncé un projet de fabrication numérisée très attrayant pour sa clientèle, car la technologie utilisée permettra de personnaliser les produits : le client choisira les couleurs, les finis ou les tissus pour un produit; ses choix seront sauvegardés sur une puce IRF, qui transmettra ensuite de façon automatique à la machine les matières premières ou les parties à utiliser durant la production.

À titre d'exemple, en ce qui concerne l'économie américaine, les chercheurs prévoient que l'ouverture d'usines intelligentes entraînera une réduction des effectifs allant jusqu'à 35 % dans l'ensemble du secteur manufacturier. Ces pronostics sont cependant assez vagues au sujet des indicateurs de prédiction utilisés et quant à la variation de la réduction des effectifs en fonction des secteurs, ainsi qu'en fonction des compétences et des qualifications actuelles de la main-d'oeuvre.

Cette technologie permettra de produire un petit volume de produits personnalisés à un prix modérément bas, mais comme chaque puce IRF coûte entre 12 et 25 cents américaines (au coût de 2017), on les utilisera surtout pour la production d'articles plus chers et de valeur ajoutée. L'utilisation de ces puces dans la fabrication en série de produits bon marché employant une technologie rudimentaire ne serait économiquement possible que si leur coût unitaire descendait sous les 5 cents.

Les machines intelligentes, à la fois capables de lire les codes IRF et compatibles avec un réseau intégré à l'échelle de l'usine et incorporé dans un Internet des objets, sont-elles aussi un investissement coûteux, que toutes les entreprises ne peuvent pas se permettre. La plupart des petites et moyennes entreprises (PME) sont incapables de faire ces investissements, à moins de recevoir des subventions ou un autre type d'aide financière publique. Cela dit, les prix des technologies de pointe devraient tôt ou tard baisser considérablement.

Par ailleurs, les progrès technologiques récents permettent une approche intermédiaire : des ponts électroniques qui relient les unes aux autres des machines qui existent déjà. Ces dernières sont incapables d'envoyer des rapports d'étape au panneau de commande, mais comme les ponts sont interreliés, ils remplacent cette fonctionnalité manquante dans les machines.

Grâce à cette technologie, les innovations des PME pourraient continuer à faire concurrence aux grandes multinationales qui ont les moyens, elles, de faire la transition vers la fabrication entièrement intelligente. Selon le Centre allemand de recherche sur l'intelligence artificielle, les ponts électroniques accroissent les rendements des compagnies et pourraient entraîner des réductions d'effectifs allant jusqu'à 10 %, ce qui est peu, mais c'est parce que la plupart des tâches exigent encore la présence de travailleurs pour faire fonctionner les machines.

La majorité de ces rationalisations seront appliquées aux tâches d'entretien : les ponts électroniques détecteront les problèmes dès leur apparition et l'entretien sera alors géré sur demande.

L'intelligence artificielle est le degré de fabrication numérisée le plus sophistiqué, sur le plan des technologies, et le plus controversé. Elle n'est pas limitée au secteur manufacturier : l'intelligence artificielle est aussi appliquée aux emplois de bureau, par exemple, pour trier les bons de commande, traiter les données des clients, sélectionner les candidats aux postes affichés, traiter et analyser les « mégadonnées ». Le débat semble assez divisé sur l'intelligence artificielle, ainsi que sur son utilisation et son incidence sur l'économie et la main-d'oeuvre. Pour certains, c'est encore un produit de fantaisie qui est loin d'être prêt à un usage commercial; pour d'autres, c'est déjà un fait accompli qui transformera rapidement la production. Précisons toutefois que l'intelligence artificielle n'est pas synonyme de robotique de pointe - au contraire, elle va contrôler et améliorer la robotique de pointe, entre autres choses.

Le concept de l'intelligence artificielle ressemble un peu à la fabrication intelligente : des machines - dans ce cas-ci, des robots - communiquent les unes avec les autres et se répondent les unes aux autres, mais, au lieu d'envoyer un rapport à un panneau de commande central opéré par des travailleurs hautement qualifiés, elles fonctionnent de façon tout à fait indépendante. Mais, bien que la recherche sur ce sujet progresse, et progresse rapidement, cette technologie est encore tellement chère qu'elle ne sera pas de sitôt appliquée à la fabrication. Quand elle le sera, on la retrouvera d'abord dans les industries de pointe et les industries à forte valeur ajoutée qui sont en mesure de récupérer l'énorme investissement initial sur une période relativement courte.

Si l'intelligence artificielle n'occupe pas encore une place importante dans la fabrication, c'est elle qui pourrait avoir l'impact le plus marqué sur le travail industriel, et qui fera en sorte qu'un grand nombre des travailleurs d'aujourd'hui seront tout à fait dépassés. On se demandera un jour s'il y a un travail que les humains peuvent faire mieux que les robots artificiellement intelligents.

Ces degrés de numérisation de la fabrication industrielle caractérisent des dépendances de trajectoire variant considérablement d'un secteur industriel à l'autre et entre les régions d'un même secteur - non seulement la fabrication industrielle dans son sens le plus strict, mais également le travail de bureau et le secteur des services.

En outre, ils pourraient changer à court, moyen et long terme, à mesure qu'évoluent les tâches au sein de chaque secteur. Cela dit, les caractéristiques qu'ils ont en commun vont redéfinir la façon dont nous considérons le travail. L'intercommunication est le dénominateur commun dans tous ces cas : les communications de machine à machine et de machine à humain seront plus nombreuses dans la fabrication intelligente. La qualité et la quantité de données vont augmenter - procurant de nets avantages au fabricant et au client (possibilité de suivre l'état d'avancement de la production d'un produit personnalisé, un peu comme nous suivons aujourd'hui une commande passée auprès d'Amazon; une meilleure capacité à prédire les futurs besoins en production), mais donnant aussi les moyens de surveiller de près et avec précision les travailleurs et leur productivité.

Les organisations devront refuser un tel contrôle des données personnelles par les employeurs parce qu'il ne peut mener qu'à une compétition sauvage entre les travailleuses et travailleurs et affaiblir leur solidarité. Comment les travailleurs pourront-ils être concurrentiels quand on comparera leur travail à celui d'une machine? Comment la productivité sera-t-elle mesurée quand le travail d'une personne sera exécuté dans le contexte d'un système technique complexe fonctionnant sans arrêt et qu'il n'y aura plus de corrélation claire entre les heures travaillées et la production? Qu'adviendra-t-il de nos attentes relatives à un minimum de respect de la vie privée, même au travail?

Nous devons nous assurer que les données personnelles continueront d'être gardées en lieu sûr. Le terme « mégadonnées » désigne la collecte et l'analyse d'ensembles de données qui étaient jusqu'à présent trop volumineux ou trop complexes pour être utiles. Mais comme les ordinateurs sont toujours de plus en plus puissants, les algorithmes, de plus en plus intelligents et complexes, et les logiciels, de plus en plus sophistiqués, les mégadonnées sont devenues un outil de gestion couramment utilisé par de nombreuses sociétés. Toutefois, avec tous les systèmes de mégadonnées vient aussi la menace de vol et de piratage des données. Qui sera autorisé à accéder aux données et à les utiliser? Et de quelles données est-il question, au juste - celles des travailleuses et travailleurs ou celles de la compagnie?

Il est peu probable que les travailleuses et travailleurs aient leur mot à dire sur la nature des données recueillies à propos de leur rendement ni sur l'usage qui sera fait de ces données.

De fait, compte tenu de la quantité de données personnelles accessibles par le biais de plateformes telles que Facebook et Google, le traitement et la revente de données personnelles et collectives sont devenus une industrie majeure, même si elle est essentiellement cachée. Le nouvel âge du capitalisme est déjà surnommé « capitalisme de surveillance » par certains - et les implications sur la confidentialité des renseignements personnels, voire sur la démocratie, ont à peine été analysées.

Si l'établissement de normes particulières est permis, une quantité excessive de richesse se trouvera concentrée en un seul point de la chaîne de valeur. Les plateformes numériques et les mégadonnées ne doivent pas non plus devenir des monopoles. Les trois principes suivants devraient s'appliquer : 1) les mégadonnées doivent être considérées comme des « données ouvertes »; 2) les algorithmes de recherche doivent être ouverts et équitables; 3) les structures de subventions croisées et les autres pratiques commerciales déloyales doivent être empêchées ou cessées si elles existent déjà.

Ces trois différentes formes de fabrication numérisée - systèmes d'aide, systèmes cyberphysiques et intelligence artificielle - qui sont tous des aspects de l'Industrie 4.0 - vont métamorphoser le travail. Elles feront sentir leurs effets sur les pays développés et les pays en développement à des degrés divers et en vertu de divers principes; elles établiront diverses exigences concernant les qualifications des travailleurs; elles réduiront les effectifs dans différentes proportions. Il est important de ne pas négliger l'impact qu'auront ces changements technologiques sur des domaines de travail autres que la fabrication. Ils vont redéfinir nos sociétés, remettre en cause nos systèmes d'aide sociale, exacerber les inégalités sociales qui existent déjà; malheureusement, malgré leur importance capitale, ces aspects sociétaux ne sont presque pas pris en considération. Une fois encore, il incombe au mouvement syndical de faire valoir les conséquences sociales.

3. Industrie 4.0 et développement durable

Sur le plan économique, la numérisation de la fabrication industrielle sera avantageuse pour les compagnies et les gouvernements, et elle pourrait également favoriser le développement durable. La production numérisée permet aux compagnies d'utiliser les matières premières d'une façon plus efficiente, et l'utilisation de puces IRF permet de sauvegarder l'information sur l'assemblage des produits concernant les matériaux utilisés dans tels ou tels composants. Le démontage et le recyclage s'en trouvent facilités; le gaspillage des ressources, réduit. Ce résultat est le fondement de ce que l'on appelle l'« économie circulaire », l'un des principaux avantages sur le plan de l'environnement et celui qui intéresse le plus les gouvernements.

L'exploitation accrue de petites productions locales d'une énergie renouvelable (par exemple, des cellules photovoltaïques installées sur un toit), assortie d'une consommation d'énergie contrôlée numériquement et de technologies de gestion de l'énergie artificiellement intelligentes, pourrait aboutir à la décentralisation de la production d'énergie et, tôt ou tard, à la décentralisation du réseau d'électricité lui-même. Cette tendance existe déjà : en Europe, de nombreuses usines de papiers pratiquent déjà la production combinée de chaleur et d'électricité, laquelle sera, ou est déjà, une réalité pour d'autres secteurs également, dans les usines qui sont alimentées en électricité par leur propre groupe électrogène. Le rejet thermique peut être transformé en énergie utilisable grâce à des systèmes de récupération de la chaleur perdue. Les compagnies pourraient de plus en plus être alimentées par des énergies renouvelables (énergies solaire, éolienne ou hydraulique). Le surplus d'énergie produit par les usines industrielles - c'est à dire la quantité d'énergie qui excède l'énergie nécessaire à la fabrication de leurs produits - peut être déversé dans le réseau d'électricité qui dessert les collectivités voisines.

L'existence de nombreux petits sites de production d'énergie obligera à modifier le réseau d'électricité, conçu pour répondre aux besoins d'un nombre relativement petit de vastes générateurs électriques. L'application de ces principes permettra de réduire considérablement le gaspillage d'énergie. L'Industrie 4.0 accentuera cette récente tendance vers la décentralisation des réseaux électriques.

Certains chercheurs prévoient des impacts positifs sur les infrastructures énergétiques des régions plus précaires de la planète, en Afrique notamment. La disponibilité de sources d'énergie de remplacement pourrait, selon ces prédictions, non seulement améliorer le niveau de vie des populations, mais également inciter les compagnies à employer les ressources humaines régionales, stimulant par le fait même les économies locales. Par contre, dans les centrales électriques ou dans les services publics d'électricité, de nombreux emplois seront perdus ou transformés.

D'un point de vue plus pessimiste, la capacité accrue de répondre rapidement et avec souplesse aux désirs des consommateurs risque d'accélérer le cycle de vie des produits et de provoquer leur obsolescence de plus en plus rapidement. Il s'ensuivrait une augmentation de la demande en ressources, suivie d'une augmentation de la production de déchets. L'instauration des nouvelles technologies numériques nécessite l'utilisation de ressources supplémentaires, par exemple : des métaux du groupe des terres rares pour les puces; d'autres minéraux pour l'équipement numérique.

L'Industrie 4.0 pourrait représenter des avantages pour l'environnement, mais elle risque aussi de faire peser des menaces sociales sur les travailleurs, leur famille et leur collectivité, si la sécurité des emplois n'est pas garantie pendant la transformation. Jusqu'à présent, aucune transformation économique induite par les technologies n'a pu être stoppée, mais les syndicats doivent insister pour que les droits des travailleuses et travailleurs soient améliorés par le changement technologique, et non diminués. L'histoire a montré que les révolutions industrielles de cette ampleur ne peuvent être maîtrisées que si l'expertise et le savoir des travailleuses et travailleurs sont pris en compte. S'ils sont négligés dans le processus de transformation, de riches sources de connaissances et des innovations futures seront gaspillées.

Les disparités entre les pays développés et les pays en développement devraient particulièrement attirer l'attention des gouvernements sur la façon de gérer cette transformation en accordant la priorité aux conséquences positives sur la société et en réduisant au maximum les coûts pour la société.

B. L'industrie du future vue par les industriels

« L'industrie du futur est un sujet trop important pour le laisser entre les seules mains de l'État ». C'est par ces mots que Philippe Darmayan, président de l'Alliance Industrie du futur, du Groupement des fédérations industrielles et d'Arcelor- Mittal France, a ouvert la séquence du 20 avril 2017 consacrée à la conception et l'organisation de l'usine du futur dans les entreprises industrielles.

Du point de vue des industriels, le sujet de l'industrie du futur reste trop souvent associé dans le débat public au thème de la robotisation et à la question sociale qui en résulte. Cela relève d'une mauvaise compréhension de ses enjeux. À la différence des précédentes révolutions industrielles et technologiques, l'industrie 4.0 ne concerne pas prioritairement la productivité du travail.

Selon Philippe Darmayan, les enjeux de l'industrie du futur vus par les industriels sont de quatre ordres :


· la différenciation de l'offre par une adaptation plus fine à la demande (personnalisation) ;


· la compétitivité (baisse des coûts, amélioration continue, robotisation, traitement des données) ;


· la réduction des capitaux engagés (rapidité de traitement, chaînage entre conception et usine, réduction des besoins en fonds de roulement, maintenance prédictive) ;


· la transformation des business models.

Les industriels doivent s'impliquer dans les grandes questions transversales, telles que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et la standardisation. Les entreprises européennes laissent trop souvent à d'autres le soin de définir les standards et les normes. Sur ce point, le leadership américain est incontestable. Des questions telles que les infrastructures européennes du cloud, le marché intérieur numériqueet son cadre juridique européen, revêtent une importance capitale, sous peine pour l'Europe de devenir un « Tiers-monde numérique », selon le terme de Laurent Alexandre auditionné au Sénat le 19 janvier 2017 sur l'intelligence artificielle.

Dans la pratique, le concept d'industrie du futur présente une certaine plasticité : il varie selon les priorités des entreprises et les secteurs d'activités. Passage en revue de quelques cas d'application.

1. Industrie du futur et compétitivité

- Le cas Vallourec

Pour Philippe Crouzet, président du directoire de Vallourec, l'usine du futur ouvre trois champs d'opportunités :


· une meilleure maîtrise des procédés de production (y compris dans des industries très anciennes comme celle de l'acier), qui permet des gains de productivité par la baisse de la non-qualité (grâce notamment aux capteurs et aux nouvelles capacités d'analyse de données) ;


· une meilleure utilisation des actifs (diminution du besoin en fonds de roulement, nouvelle jeunesse pour les équipements anciens, disparition des stocks intermédiaires) ;


· une amélioration significative de l'offre aux clients (services et produits).

Les tubes que Vallourec fabrique pour l'industrie pétrolière et gazière, par exemple, disposent désormais d'une fiche d'identité technique très détaillée grâce à l'utilisation des data de la production, qui permet aux clients de gérer différemment leurs stocks et de mettre en oeuvre les tubes en fonction de leurs propres besoins. Ceci a ouvert pour Vallourec un nouveau champ de réflexion, afin d'aider les clients à optimiser l'ordre dans lequel ils positionneront les tubes dans le sol. Les nouvelles technologies permettent ainsi de générer une nouvelle valeur ajoutée pour les clients - sans qu'il soit question de robots ou de baisse d'effectifs. Remplacer les hommes par des robots n'est pas du tout l'objectif de l'industrie 4.0.

- Le cas Valeo

Valeo est un fournisseur de premier rang de l'industrie automobile. Jean-Luc di Paola- Galloni, directeur du développement de Valeo, indique la triple évolution que va connaître l'automobile :


· l'électrification des produits (véhicules hybrides et électriques) ;


· la connectivité et la progressive automatisation des véhicules (véhicules autonomes) ;


· les services de mobilité liés au digital.

En parallèle, une révolution a lieu dans les usines, du côté des processus. Valeo est présent dans plus de 30 pays dans le monde, y compris la France et l'Allemagne. Mais l'usine de Valeo la plus avancée en matière de robotisation se situe en Tchéquie.

Plus que des robots, elle utilise des cobots : des robots collaboratifs. Non seulement cette utilisation ne supprime pas nécessairement des emplois, mais en plus elle améliore la qualité du travail des opérateurs. Chez un équipementier automobile, la valeur ajoutée innovante provient essentiellement du niveau de maîtrise des opérations. Les opérateurs deviennent donc des quasi-techniciens, voire des quasi-ingénieurs.

L'évolution vers l'industrie du futur permet d'accompagner les changements sur les sites industriels en termes de produits, en améliorant leur valeur ajoutée. À Nogent-le- Rotrou, par exemple, Valeo exerçait des métiers de plus faible valeur ajoutée. Grâce à la modernisation, la production a pu être rattachée à un autre business group.

En outre, là où il existe des enjeux de qualité extrême (moins de cinq défauts par million de pièces produites, par exemple), l'industrie 4.0 aide à l'amélioration de la transmission des données depuis l'approvisionnement jusqu'à la sortie des produits finaux. Elle retire notamment un certain nombre de charges dans des métiers très stratégiques, comme la logistique des usines : l'introduction des véhicules automatisés à l'intérieur des usines apporte un vrai plus, mais également davantage de sécurité. Enfin, elle apporte une amélioration très nette des outils de gestion, des interconnexions de données et des échanges entre les différents métiers, qui sont sources d'innovation. La numérisation et la digitalisation au sein des entreprises sont donc capitales pour prendre de l'avance en matière de produits innovants.

Certes, tout cela représente un coût. Sur ce point, l'Allemagne a été un pays extrêmement précurseur dans les dispositifs de financement collaboratif public-privé, mais la France y vient également.

En tant que co-gestionnaire de la plateforme de recherche automobile auprès de la Commission européenne, Jean-Luc di Paola- Galloni constate que les programmes en place fonctionnent, mais qu'il convient d'aller plus loin, car les entreprises ont besoin à la fois de programmes digitaux et numériques spécifiques à leur secteur, et de programmes plus transverses. Les systèmes cyber-physiques (embarqués), par exemple, affectent plusieurs industries. Mettre en commun tous les programmes de financement pluri-industriels à l'échelle européenne est donc capital. Dans cette optique, sans doute faut-il davantage harmoniser les schémas nationaux et les schémas européens.

Enfin, les coopérations sur ces sujets doivent aussi aller au-delà du cadre européen. Valeo a ainsi décidé d'aider le gouvernement tunisien, de la même façon que PSAet Renault aideront le gouvernement marocain qui s'apprête à disposer d'une base industrielle automobile inédite.

Jouer la carte franco-allemande, européenne et euro-méditerranéenne est un atout pour l'avenir.

- Le cas Cuisines Schmidt

Schmidt Groupe est allé loin dans la numérisation et la robotisation avec son projet lancé il y a dix ans : une cuisine fabriquée en un jour livrée au bout de dix jours avec une qualité de 100 %. Le vendeur crée virtuellement une cuisine avec les clients ; la commande est traitée par échange de données informatiques ; la fabrication est robotisée. Une commande standard peut ainsi être réalisée presque sans intervention humaine. Mais les collaborateurs n'ont pas perdu leurs emplois comme ils pouvaient le craindre : ils se sont transformés en opérateurs et en pilotes d'installations complexes. Cela a nécessité du temps beaucoup de formation et de la confiance facilitée par la dimension familiale de l'entreprise. L'entreprise croît désormais jusqu'en Chine et réalise un CA de 1,5 milliard d'euros.

2. Évolution du business model

Sanofi, laboratoire pharmaceutique, renforce son implication au service d'une prise en charge globale du patient. Comme l'explique Jean-Yves Moreau, directeur des relations institutionnelles France, au-delà de la recherche de molécules, Sanofi a depuis plusieurs années la volonté de proposer une offre de santé qui comprend, certes des médicaments mais aussi des dispositifs médicaux innovants dans le cadre d'une prise en charge personnalisée du patient.

Un exemple en est donné avec le traitement du diabète. Maladie chronique touchant 3 millions personnes en France, le diabète représente un défi thérapeutique majeur pour rendre autonomes les patients sous insuline. L'innovation digitale - l'e-santé - est au coeur de l'accompagnement des patients diabétiques sous insuline, parce que les nouvelles technologies apportent de vraies solutions pour aider les patients dans l'accompagnement du traitement de leur diabète. Sanofi qui a une expertise historique sur l'insuline, développe des outils d'accompagnement sur les différentes étapes : le diagnostic, l'aide au calcul de dose d'insuline, la télésurveillance des données auto-relevées par le patient dans le cadre d'une démarche de télémédecine, etc.

L'entreprise s'est également rapprochée de la filiale santé de Google (Verily Life Sciences) afin de créer une filiale commune : Onduo. Celle-ci travaillera à la conception de nouvelles solutions combinant dispositifs médicaux, logiciels, médicaments et soins professionnels, pour une prise en charge simple et intelligente de la maladie.

Onduo profitera à la fois de l'expérience de Verily en matière d'électronique miniaturisée, de techniques analytiques et de développement de logiciels grand public, et de l'expérience clinique de Sanofi pour proposer des traitements novateurs aux personnes atteintes de diabète.

Cependant, dans certains pays comme la France, les modalités d'évaluation pour ce type d'innovation ne sont pas encore matures. En effet, les molécules, les dispositifs médicaux et les actes médicaux sont évalués par des instances différentes avec une approche encore en discussion sur la place de ces nouvelles solutions intégrées.

Une évolution de cette approche avec la prise en compte des attentes des patients et de l'utilisation de ces nouveaux produits est souhaitée. Elle fait l'objet de discussion multilatérale au sein du comité de filière, sous l'égide du CSIS : le Conseil stratégique des industries de santé.

Comme le note Philippe Darmayan en complément, la logique par filière industrielle peut parfois aussi se révéler paralysante pour concevoir l'innovation, car aujourd'hui beaucoup d'innovations sont combinatoires : par exemple, la plasturgie et l'électronique donnent la « plastronique » qui permet d'obtenir des produits « intelligents » destinés aux applications médicales (pompes à injecter, activateurs musculaires, pompes à oxygène, etc.)

3. Vers des organisations responsabilisantes

On sait que l'industrie du futur nécessitera une plus grande autonomisation et responsabilisation des salariés. On observe aussi que des organisations du travail construit sur la responsabilisation des salariés renforcent l'engagement de ces derniers et améliorent la performance globale de l'entreprise. En intégrant la réflexion sur le travail (les tâches, les relations, les processus) et la qualité du lien social aux changements de l'organisation, les entreprises favorisent l'initiative des salariés et parviennent aussi à mieux cerner où se crée réellement la valeur.

C'est le cas, par exemple, de Michelin, comme le rapporte Marc Deluzet, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès et président de l'Institut Érasme.

Depuis 2013, Michelin a décidé de mener une expérimentation, en sélectionnant une quarantaine d'îlots de fabrication à travers le monde et en leur donnant carte blanche pour s'organiser comme ils l'entendent. Précisons qu'un îlot est formé par une équipe d'opérateurs sur un périmètre machines, qui se succèdent en continu. Des gains de productivité ont été observés et la non-qualité a été fortement réduite. Le taux de satisfaction au travail des ouvriers de ces groupes a fortement crû et tend à rejoindre celui des cols blancs, ce qui est rarissimedans une entreprise industrielle. Auparavant, même s'ils savaient ce qu'il fallait faire, les ouvriers devaient attendre l'accord de la maîtrise.

Désormais, les problèmes sont résolus en temps réel par les ouvriers, et le travail de la maîtrise consiste davantage à faire de l'anticipation. Il est intéressant de noter qu'aucun des îlots sélectionnés n'a complètement changé le mode de production des pneus. Il s'est plutôt agi de favoriser la responsabilisation des acteurs, sans modélisation a priori.

Fort de ce résultat, Michelin a décidé d'étendre la démarche à plusieurs sites industriels complets et leur a, notamment, proposé de s'affranchir du reporting. Ce faisant, le management s'est mis en situation de repenser et d'inventer l'ensemble du fonctionnement des usines. Le dialogue et l'ajustement sont intégrés dans le processus de production, avec une mise en avant du cas par cas et de la responsabilisation des acteurs plutôt que de la modélisation générale du système.

C. L'industrie 4.0 dans le contexte du développement mondial

Le débat sur l'Industrie 4.0 est jusqu'ici dirigé par quelques pays et régions. L'Europe a eu une grande influence, tant dans le monde universitaire qu'en politique, mais d'autres pays mettent en oeuvre des stratégies voisines, dont la stratégie « Fabriqué en Chine 2025 » est un exemple. Lancée en 2006 par l'Union européenne, la stratégie « Europe 2020 » a pour objectif « une croissance intelligente, durable et inclusive ». Cette stratégie ne se limite pas à la croissance économique : elle prend en considération un grand nombre de facteurs sociaux, l'adaptation nécessaire de l'UE et l'adoption de politiques nationales en matière d'éducation et d'aide sociale. Cela dit, les pays européens développés dirigent cette discussion en faisant peu de cas des effets que cette transformation risque d'avoir sur le monde en voie de développement. Or, il ne faut pas laisser l'Industrie 4.0 devenir, aux mains des pays développés, un nouveau moyen de punir les pays qui le sont moins.

Il est probable que la mise en oeuvre de l'Industrie 4.0 débutera dans chaque secteur par les industries où les coûts de cette transformation auront le plus de chance d'être rapidement compensés par des gains de productivité - et donc des hausses de bénéfices. Les premiers utilisateurs de ces technologies exerceront des pressions sur leurs fournisseurs et clients immédiats qui, à leur tour, exerceront des pressions sur leurs fournisseurs et clients respectifs, et ainsi de suite, tant vers le haut que vers le bas et d'un bout à l'autre de la chaîne de valeur, pour qu'ils emboîtent le pas. Leurs concurrents, ainsi que leurs propres chaînes de valeur, devront céder aux pressions et adopter les technologies de l'Industrie 4.0. L'adoption croissante ne sera donc pas un processus graduel ou linéaire. Elle s'étendra plutôt de façon exponentielle, une fois qu'elle sera pleinement lancée, et, grâce aux chaînes de valeur mondialisées d'aujourd'hui, elle ne demeurera pas bien longtemps un phénomène propre aux pays européens ou aux pays développés - ce qu'elle n'est déjà plus, en fait. La forme et l'orientation actuelles des chaînes d'approvisionnement mondiales et de la mobilité de la main-d'oeuvre seront de nouveau en harmonie.

L'Industrie 4.0 changera plus que les méthodes de production. Elle déplacera l'endroit où la plus grande valeur est ajoutée sur la chaîne de valeur. Les différentes étapes - conception, ingénierie et entretien - doivent être prises en considération au-delà de la fabrication industrielle d'un produit. Il faudra peut-être repenser les droits de propriété intellectuelle (brevets et droits d'auteur) et les droits relatifs aux mégadonnées. Les lois en vigueur dans ce domaine ont permis à un petit nombre de compagnies d'accumuler d'énormes richesses.

1. Au-delà de l'économie européenne - Menace pour les pays en développement

La façon dont les pays développés agissent dans cette transformation et la façon dont les gouvernements décident de subventionner ce changement socioéconomique ou d'assurer un soutien par d'autres moyens (p. ex., des réductions d'impôt) ont des effets marqués et très directs sur les pays en développement. Dans une économie mondialisée, les bas salaires versés dans les pays en développement sont l'un des principaux avantages compétitifs de ces derniers par rapport aux pays développés.

C'est d'ailleurs cet avantage qui est à l'origine de la désindustrialisation de certains pays développés, mais l'expression « relocalisation industrielle » serait plus appropriée pour décrire ce phénomène.

Bien que le travail précaire soit particulièrement répandu dans les pays du Tiers-Monde, de nombreux travailleurs, leur famille et leur collectivité ont vraiment besoin du (petit) revenu qu'ils tirent de ce travail industriel, même s'il est parfois insuffisant pour combler leurs besoins fondamentaux.

En somme, l'Industrie 4.0 rend possible la production en petits nombres de produits spécialisés à des prix relativement bas, même dans le monde développé. Les ressources et les matériaux sont utilisés d'une façon plus rationnelle, mieux réutilisés et mieux recyclés; la décentralisation de la production d'énergie et des réseaux de distribution d'électricité permet aux compagnies de produire elles-mêmes l'énergie dont elles ont besoin et de retirer un revenu supplémentaire en déversant leurs surplus d'énergie dans le réseau électrique qui dessert les collectivités avoisinantes. Et, bien sûr, les rationalisations et les réductions d'effectifs exercent elles aussi une tendance à la baisse sur les coûts de production, ce qui représente un immense avantage pour les compagnies. Pour certains chercheurs, ces changements sont un stimulant économique puissant, surtout pour l'Europe, car, associé à des produits de grande qualité, le sceau « Fabriqué en Europe » est très recherché sur le marché.

Toutefois, quand la fabrication de produits coûte de moins en moins cher dans les pays développés, les pays en développement commencent à perdre leur avantage compétitif et sont placés en concurrence directe avec eux - et cela se fait la plupart du temps aux dépens des travailleuses et travailleurs. Les technologies qui gravitent autour de l'Industrie 4.0 - il s'agit ici surtout de systèmes d'aide et de systèmes cyberphysiques - coûtent encore relativement cher et, en raison des bas salaires versés dans les pays en développement, elles ne sont pas près d'être appliquées dans ces pays. Cela dit, il s'ensuit que les travailleuses et travailleurs des pays en développement subissent des pressions directes quand les compagnies menacent de relocaliser leur production dans les pays développés qui offrent la fabrication numérisée.

Lasociété allemande Adidas illustre parfaitement cette réalité. À l'été de 2016, elle a annoncé la construction en Allemagne d'une usine numérique de pointe pour les chaussures de sport haut de gamme, où elle relocalisera une partie de la production qui était auparavant fabriquée dans ses usines situées en Asie orientale. Les pressions exercées sur les salaires versés aux travailleuses et travailleurs des pays du Tiers-Monde augmenteront, même si ces travailleurs sont déjà confrontés à des situations de travail précaire et à des salaires à peine suffisants pour assurer leur subsistance. Qui plus est, les pressions globales exercées sur les travailleurs pourraient toucher d'autres aspects, notamment le nombre d'heures de travail, la santé et la sécurité au travail, etc.

Les technologies de l'Industrie 4.0 sont encore relativement chères, mais lorsque les coûts de la robotique de pointe seront inférieurs aux coûts de la main-d'oeuvre, il y aura un risque élevé de réduction des effectifs, même dans le monde en développement. Selon la théorie du choix rationnel, on serait porté à croire que, parmi les pays du Tiers-Monde, ceux où les salaires sont les plus élevés seront les premiers à subir des réductions d'effectifs à la suite de l'automatisation de leurs usines par la robotique de pointe. Pourtant, l'exemple bien connu de Foxconn, un fabricant chinois de téléphones intelligents, prouve le contraire. Les salaires versés en Chine se situent dans la moyenne asiatique. Cela n'a pas empêché la société Foxconn d'effectuer d'importants investissements dans ce qu'elle appelle « son Foxbot », un robot, par lequel elle a déjà remplacé 30 % de ses effectifs - au total, quelque 300 000 travailleuses et travailleurs. Les effets de la numérisation sur les pays en développement peuvent paraître indirects, à première vue, mais c'est seulement parce que les pays développés peuvent les forcer à entrer dans une concurrence qu'ils n'ont tout simplement pas les moyens de soutenir dans la durée. Ils ne sont donc pas à l'abri des conséquences directes négatives de l'Industrie 4.0 sur les travailleuses et travailleurs - lesquelles pourraient n'être que reportées à plus tard. En fait, les pays en développement seront touchés beaucoup plus durement pour les raisons suivantes : problèmes actuels au sujet des bas salaires; soutien pratiquement inexistant en matière de santé; situations de travail précaire; faiblesse des systèmes d'aide sociale, surtout dans les pays où le travail informel et atypique est répandu. Pour toutes ces raisons, les travailleuses et travailleurs de ces pays courent un risque élevé de tomber en chute libre le jour où ils seront touchés par les rationalisations découlant de l'automatisation.

Enfin, il faut comprendre les objectifs et les répercussions des règles et des ententes commerciales. Une tendance récente consiste à donner à l'économie numérique un statut spécial au sein des accords commerciaux, ce qui rendra encore plus difficile pour les futurs gouvernements de contrôler le pouvoir de monopole et la concentration excessive de la richesse. Parmi les tendances politiques, mentionnons la protection accrue des brevets et des droits d'auteur (propriété intellectuelle) et la mise en place d'obstacles afin de bloquer le contrôle des données ou de la vie privée, lorsque les données sont stockées dans un autre pays. Ces tendances risquent d'empêcher la réalisation des objectifs en matière de développement durable. La délocalisation de la production contrôlée numériquement à partir d'un endroit éloigné; la production locale utilisant la technologie d'impression tridimensionnelle à l'aide de logiciels et de modèles qui sont protégés par des droits d'auteur, voilà d'autres nouveaux domaines qui ne sont pas encore bien compris.

Il faut souligner que les expressions « pays développés » et « pays en développement » ne sont pas absolues. Il existe tout un continuum de développement économique, selon le degré de dépendance à l'égard de l'exploitation des matières premières et de la production industrielle qui (dans de nombreuses régions) n'ont pas encore tout à fait incorporé les avantages et les leçons des révolutions industrielles précédentes. Ce qui est clair, c'est qu'il doit exister un chemin vers un meilleur avenir pour tout le monde. Les avantages de l'Industrie 4.0 doivent être partagés à la fois à l'intérieur des pays et entre les pays.

Les actions des gouvernements et des compagnies dans le monde développé, surtout en Europe, ont une incidence directe sur le monde en développement. C'est pourquoi les pays développés doivent prendre en compte ces actions quand ils prennent des décisions au sujet de l'Industrie 4.0.

2. Objectifs de développement durable - Implications pour l'industrie 4.0

En 2015, les Nations Unies ont annoncé leurs objectifs de développement durable (ODD) (figure 3), qui s'inscrivent dans le prolongement de leurs objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), fixés en 2000. Il va de soi que les pays développés devraient s'engager de quelque façon à l'égard du développement durable relativement à l'Industrie 4.0.

Presque tous ces objectifs visent clairement à faire en sorte que la transformation industrielle imminente soit faite de façon durable. Les ODD numéros 1, 2, 3 et 8 visent la création d'emplois durables offrant des salaires décents, l'interdiction du travail précaire et l'amélioration de la santé et de la sécurité au travail. Le développement de l'industrie, de l'innovation et de l'infrastructure (ODD n°9) représente un problème à la fois pour les pays développés et les pays du Tiers-Monde, et il est très pertinent dans le contexte de la numérisation de la fabrication. L'Industrie 4.0 arrive avec toute une gamme de nouveaux défis et de nouvelles exigences relatives aux qualifications des travailleuses et travailleurs. Plus les systèmes d'éducation seront efficaces, plus ils seront en mesure de s'adapter aux nouveaux changements qui verront le jour dans l'industrie et de rendre les inégalités moins systémiques (ODD n°4, 5 et 10).

Le plus important des ODD est probablement le n°17 parce qu'il indique clairement la nécessité d'une coopération à l'échelle de la planète et de partenariats mondiaux pour la réalisation des objectifs et pour que la transformation industrielle opérée par l'Industrie 4.0 profite des avantages et réduise les menaces au maximum.

L'une des conséquences positives de la transformation numérique est la possibilité d'obtenir, ou d'exiger, des informations détaillées concernant toute la chaîne de valeur d'un produit : le lieu de fabrication, les méthodes utilisées et sous quelles conditions. Ce type de signature numérique permettrait de réaliser la promesse d'une responsabilité sociale d'entreprise.

Figure 3. Sommaire des objectifs de développement durable des Nations Unies jusqu'en 2030, adoptés en décembre 2015

Source : www.un.org

Il reste que l'Industrie 4.0 est un phénomène mondial, dans le cadre duquel les pays ne peuvent pas et ne devraient pas tenir compte uniquement de leur économie nationale, mais saisir l'occasion de s'attaquer à ce problème à l'échelle internationale. De nombreuses possibilités accompagneront cette transformation, mais les travailleuses et travailleurs ne doivent pas être les seuls à en payer le prix, notamment en se voyant contraints d'accepter des baisses salariales, des conditions de travail précaires, de faire concurrence à des machines, tout en courant le risque de perdre leurs emplois. Par ailleurs, ces opportunités que l'Industrie 4.0 pourrait créer ne seront offertes qu'aux travailleuses et travailleurs capables d'obtenir une formation et de l'éducation leur permettant d'acquérir les compétences et les qualifications requises dans les domaines qui seront recherchés.

D. Variation sectorielles dans le cadre de l'industrie 4.0

Les conséquences de l'Industrie 4.0 dépendent d'un vaste éventail d'indicateurs, dont certains ont déjà été vus dans le présent document : l'Industrie 4.0 aura une incidence sur divers secteurs industriels et diverses régions du globe, sur lesquels elle n'influera pas toujours de la même façon, et elle renforcera probablement les inégalités déjà présentes tant au sein des régions qu'entre les régions. En outre, la complexité et la tarification des produits, le niveau requis de compétence et le niveau antérieur d'automatisation sont d'autres indicateurs importants, car ils permettent de prédire le comportement des gouvernements et des compagnies durant cette transition. Si l'investissement initial en capital est trop élevé pour être assez rapidement rentabilisé par des revenus, les compagnies n'auront pas tendance à investir dans des technologies de pointe. De même, s'il n'y a pas suffisamment de personnel qualifié capable de travailler avec ces technologies, leur investissement sera fait en vain. On peut regrouper les secteurs en trois catégories, selon qu'ils seront peu, moyennement ou très influencés par l'Industrie 4.0, dans un avenir plus ou moins rapproché.

1. Faible impact

Métaux de base

Les secteurs industriels comme les métaux de base ne connaîtront probablement pas, à court terme, une grande transformation sous l'influence de l'Industrie 4.0. Ce secteur à main-d'oeuvre élevée a besoin de travailleuses et travailleurs hautement qualifiés. Jusqu'à présent, les emplois de ce secteur ne se prêtent pas bien à l'automatisation, même avec la robotique de pointe, ce qui nécessiterait de la part des compagnies un investissement initial élevé et non rentable. Il ne faut toutefois pas en déduire qu'il ne subira aucune transformation.

L'industrie sidérurgique a encore la réputation de créer un grand nombre d'emplois, mais la situation est en train de changer.

À plus ou moins long terme, certaines parties du processus de production pourraient être externalisées ou numérisées et un plus grand nombre de processus seront commandés à partir de salles de commande centrales plutôt que dans les ateliers.

Des calculateurs industriels prendront de plus en plus de décisions, entre autres, à propos des mélanges précis de matières premières, et les machines pourront de plus en plus diagnostiquer leurs propres besoins en matière d'entretien. La gestion de l'entretien pourrait devenir numérique et être confiée à des fournisseurs de services spécialisés dans des plateformes spécifiques. La location d'équipement de production, plutôt que l'achat, aura le même effet : le fournisseur d'équipement conservera les responsabilités touchant l'entretien et sera tenu au courant des besoins en matière d'entretien par des composants numériques de TIC intégrés dans les machines. De nouveaux progrès technologiques dans le domaine des véhicules autonomes seraient un atout intéressant dans ces secteurs - si les véhicules autonomes ne sont pas encore assez sophistiqués pour prendre en charge le transport et la livraison au complet, ils pourraient au moins prendre en charge la manipulation du matériel au sein de l'usine elle-même.

À plus long terme, il est certain que même les emplois dont l'automatisation n'est pas rentable pour le moment finiront par être transformés. L'Institut de recherche allemand Fraunhofer IAIS fait une différence entre, d'une part, l'intégration numérique à l'intérieur de l'usine, dans l'optique de l'optimisation de la production et, d'autre part, l'intégration numérique faisant intervenir des entités externes, notamment les fournisseurs et les clients. La première a tendance à améliorer l'efficience, la productivité et la qualité, tandis que la deuxième concerne l'adaptabilité, la personnalisation, les stocks et la logistique. La vitesse de cette transformation variera considérablement, mais elle est déjà en cours dans certains domaines. La nouvelle usine de laminage de Voestalpine AG, en Autriche, n'a besoin que de 14 travailleurs pour produire autant de produits que ce que mille travailleurs produisaient dans les années 1960. Cet exploit est rendu possible grâce à l'automatisation avancée et à une commande centralisée des processus. Exception faite du personnel d'entretien et du personnel de logistique (qui comptent environ 300 personnes encore à l'usine), les quelques emplois liés à la production qui restent encore à l'usine sont les employés de bureau et les techniciens à la régie.

À l'échelle mondiale, la production d'une tonne d'acier exige maintenant en moyenne 250 travailleurs-heures, par rapport à 700 travailleurs-heures il y a 20 ans - cette tendance à la baisse se poursuit et pourrait même s'accélérer. Les hauts fourneaux, par la nature de leur travail, risquent de moins bien se prêter, à court terme, à ce type radical d'automatisation, comparativement à une usine de laminage, mais des changements sont à venir là aussi. Voestalpine cherche déjà des moyens de moderniser ces lieux de travail et d'éliminer un grand nombre d'emplois.

Secteur minier

Le secteur minier est relativement diversifié quant aux progrès technologiques utilisés dans les mines. Quelques mines nécessitent encore une grande proportion de travail manuel, mais d'autres sont déjà très automatisées, ce qui semblerait indiquer que les mines sont de bonnes candidates pour une numérisation industrielle plus poussée. Bien que la transformation numérique (ou la diffusion de ces technologies) varie selon la région où se trouvent les mines, la « mine numérique » n'est pas loin à l'horizon. Dans les pays où la main-d'oeuvre est bon marché et où les technologies couramment utilisées sont rudimentaires, les compagnies n'auront pas tendance à investir à court terme dans la numérisation des mines parce que le rendement de cet investissement demeurerait plutôt bas.

Cela dit, il y a déjà des mines où des robots ou des machines téléguidées accomplissent une grande partie du travail qui était fait autrefois par des humains sur la paroi rocheuse; le forage est un bon exemple. Plus le coût de ces technologies sera bas, plus elles seront utilisées. L'accessibilité des technologies de pointe, notamment les capteurs, les analyseurs et la connectivité des machines de production, placera l'Internet des objets et les services en nuage au centre de l'environnement numérique de l'industrie minière. « Les forces à l'oeuvre derrière l'essor de la «mine numérique» sont aussi impérieuses que celles qui provoquent le changement dans d'autres industries. » - Marcelo Sávio, architecte, Solutions industrielles mondiales, chez IBM. Les forces motrices derrière l'essor de la « mine numérique », ce que Marcelo Sávio appelle l'« économie transformée » de l'exploitation minière, sont la productivité, les défis techniques et sociaux, la hausse du prix des intrants, la chute des cours des produits de base et les exigences en matière de sécurité. Les statistiques concernant la numérisation sont étonnantes.

Voici quelques chiffres tirés d'un webinaire de la division Energy Insights de la société International Data Corporation (IDC), intitulé Digital Transformation in Mining : Driving Productivity Improvements : À l'échelle internationale, 28 % des sociétés minières comptent augmenter leurs budgets de TI malgré les défis auxquels l'industrie est confrontée actuellement.

Les technologies jouent un rôle de plus en plus déterminant du côté des investissements : 70 % des compagnies envisagent d'investir dans l'automatisation de leurs mines; 69 % examinent la possibilité d'installer un poste de commande et de contrôle centralisé; plus de 25 % étudient le rôle que pourrait jouer la robotique. Les compagnies qui réussiront à créer une différentiation concurrentielle se retrouveront dans la meilleure position pour obtenir de bons résultats dès maintenant et quand les cours des produits de base remonteront. Les compagnies minières augmenteront progressivement leurs visibilité, dynamisme et contrôle au moyen de leurs données. On s'attend à une augmentation de 30 % chez les sociétés minières qui utiliseront l'analytique avancée dans leurs opérations au cours des prochaines années, particulièrement pour la gestion de l'énergie, des minerais et de la chaîne d'approvisionnement. L'incidence sur les emplois est évidente, ainsi que la nécessité pour les travailleuses et travailleurs d'acquérir de nouvelles compétences. Les mesures favorisant une transition équitable dans le secteur de l'énergie - c'est à dire les programmes qui devraient être mis en place pour protéger les travailleuses et travailleurs touchés par cette transition - devront être complétées par des projets de diversification économique réalisés par les gouvernements nationaux. La diversification des économies locales serait renforcée par un modèle de développement économique intégré - une politique industrielle durable - qui obligera les compagnies minières à intégrer leurs plans de développement des infrastructures à l'intérieur des plans de développement des économies locales.

Ces plans ont été mis en place jusqu'ici lorsque l'investissement était justifié par des circonstances exceptionnelles, comme l'exploitation de minerai d'uranium à très haute teneur, qu'il serait impossible d'extraire à l'aide de travailleurs humains à cause du danger d'irradiation. Précisons que les technologies capables de remplacer divers emplois du secteur minier par des robots existent déjà. Nul doute qu'elles seront de plus en plus utilisées à mesure que le coût de ces technologies diminuera.

Secteur du textile, de l'habillement et du cuir

Le secteur du textile, de l'habillement et du cuir est lui aussi relativement diversifié en ce qui concerne les produits et les technologies utilisés. Les fibres et les textiles utilisés dans la fabrication de matériaux spéciaux, par exemple, les tissus et les plastiques renforcés de fibres de carbone, entrent de plus en plus dans la construction des automobiles, des avions, etc., et utilisent déjà de l'équipement très moderne. Par ailleurs, la confection de vêtements et d'articles en cuir profite encore d'une main-d'oeuvre bon marché, mais elle est effectuée dans des conditions de travail extrêmement précaires, malsaines et dangereuses, presque toujours dans le monde en développement. Ce secteur sera probablement partiellement touché par l'Industrie 4.0 : la confection de textiles spéciaux qui se fait déjà à l'aide de machines de haute technologie pourrait être numérisée davantage.

Encore récemment, l'automatisation de la fabrication de vêtements était considérée comme une tâche très difficile, à cause notamment des caractéristiques extensibles des tissus et de l'obligation de personnaliser les produits. Cela dit, il y a eu des percées dans ce domaine, et des robots sont maintenant capables de faire le travail qui était autrefois accompli par des opérateurs de machines à coudre. À mesure que cette technologie fera ses preuves, des centaines de milliers - peut-être même des millions - d'opératrices de machines à coudre risqueront de perdre leurs emplois. À titre d'exemple, au Bangladesh, l'automatisation avancée a déjà éliminé des centaines de milliers d'emplois dans les usines de chandails. Comme ce secteur est un secteur clé dans certains pays en développement, les risques sociaux et les risques de développement seront énormes. En effet, la possibilité que l'automatisation devienne rentable, même dans les pays où la main-d'oeuvre est bon marché, soulève des questions importantes.

Cette initiative et d'autres semblables réussiront-elles à inciter les fabricants à accélérer l'implantation des technologies de pointe? Le tannage et le cuir ont eux aussi résisté dans une certaine mesure aux changements technologiques, mais ce n'est plus nécessairement le cas, et les conséquences pourraient être considérables. En Inde, les emplois dans l'industrie du tannage et du cuir sont déjà passés de presque 200 000 à environ 30 000 (ces pertes d'emplois ne sont pas dues qu'aux seuls changements technologiques, mais à une combinaison de facteurs).

Par ailleurs, en raison de tolérances de plus en plus strictes par rapport au contrôle de la qualité, les fournisseurs de textiles, de vêtements et de cuir se verront obligés d'adopter la haute technologie. Les parties du secteur du vêtement exigeant des travailleurs peu qualifiés pourraient être touchées par la relocalisation d'usines vers des pays européens - comme l'a déjà fait Adidas. Cette relocalisation permet aux compagnies de produire à l'aide de méthodes en grande partie numérisées, mais de vendre leurs produits plus cher parce qu'ils sont de meilleure qualité et que le sceau « Fabriqué en Europe » exerce un attrait sur les consommateurs.

2. Incidence moyenne

Secteur de l'aérospatiale

Comme l'Industrie 4.0 réussit à fournir des solutions personnaliséesaux besoins des consommateurs, même des secteurs commecelui de l'aérospatiale seront très touchés par l'application de lanumérisation avancée. Bien que l'automatisation soit déjà trèsprésente dans le secteur de l'aérospatiale, elle sera amenée àde plus hauts niveaux grâce à l'utilisation de robots intelligentsdurant le montage. Ces changements seront motivés en partie parl'adoption de seuils de plus en plus stricts en matière de contrôlede la qualité, en vue notamment de faire en sorte que les piècesaient le poids minimal capable d'assurer force et sécurité. Airbusprévoit construire d'ici 2025 une usine intelligente qui produiraune nouvelle ligne d'aéronefs à l'aide de plusieurs technologiesmodernes : des technologies de véhicules autonomes servirontdans la manutention logistique et la manutention des matériaux;des outils intelligents aideront les travailleuses et travailleurs dela chaîne de montage; la technologie laser fera en sorte que lespièces assemblées soient parfaitement ajustées avec le minimumde temps et d'effort. L'impression tridimensionnelle est déjà utiliséepour certaines composantes des avions.

À titre d'exemple, Arconic,un fournisseur d'Airbus, produit un support en titane imprimé entrois dimensions qui entrera dans la production régulière des sériesd'Airbus.L'aérospatiale est un secteur industriel très sensible aux décisionspolitiques.

Contrats militaires, appui à l'exportation, accordscommerciaux, retombées et transferts de technologies ont toustendance à avoir une plus grande incidence sur ce secteur - àl'heure actuelle - que les changements technologiques. C'estpourquoi il est plus difficile d'analyser l'incidence de l'Industrie4.0 sur cette industrie déjà très avancée sur le plan technologiquequ'est l'aérospatiale.

Secteur de l'automobile

Le secteur de l'automobile partage quelques-unes descaractéristiques de l'aérospatiale que nous venons d'analyser.Ce secteur est déjà très automatisé et on peut donc s'attendre àun niveau encore plus grand de numérisation dans l'assemblagedes pièces. Comme c'est le cas pour le secteur de l'aérospatiale,on prévoit une augmentation de la fabrication intelligente pourle secteur de l'automobile, mais comme le pourcentage demarge bénéficiaire est beaucoup plus élevé pour les avions quepour les automobiles, les compagnies auront tendance à investirprogressivement dans la numérisation de leurs usines plutôt qued'installer les technologies des usines intelligentes dans leursusines. Les systèmes d'aide seront de plus en plus utilisés dansla chaîne d'approvisionnement, et les technologies de véhiculesautonomes auront une grande incidence sur la logistique.

Ce qui est moins évident, c'est l'impact de ces nouveaux véhiculessur le système de fabrication. Certains constructeurs d'automobilesen profiteront indéniablement pour apporter des changementsfondamentaux à l'organisation du travail et au degré d'utilisation desrobots, tout en s'adaptant aux demandes du marché, notammentdans le but d'offrir plus de véhicules électriques et moins devéhicules à combustible fossile. Il est clair qu'un changementradical est imminent dans le marché des transports, car plusieursgouvernements ont indiqué clairement par leurs politiques que lesmoteurs à combustion interne ne sont plus désirés. Daimler faitobserver que la marge bénéficiaire sur les véhicules électriquesest (jusqu'ici) moins élevée que sur les véhicules à carburant.Par ailleurs, Daimler estime que le nombre de travailleuses ettravailleurs nécessaires pour construire un groupe motopropulseurélectrique pourrait être aussi peu que le sixième du nombre requispour construire un groupe motopropulseur à combustion.

Cetteestimation incitera les constructeurs d'automobiles à éliminer leurseffectifs dans la mesure du possible.Des experts croient que tout le modèle d'entreprise de l'industrieautomobile est à l'aube d'un changement révolutionnaire quine concernera pas seulement la transition allant des moteursà combustion interne aux moteurs électriques, non plus quesimplement la transition vers les véhicules autonomes, maiségalement une transition allant de la possession de véhiculesparticuliers à l'achat ou à la location de véhicules partagés ou deservices de mobilité. Au cours de cette transition, les constructeursd'automobiles s'appuieront de plus en plus sur des mégadonnées.

Secteurs des produits chimiques, des produitspharmaceutiques, du caoutchouc et du papier

Les secteurs des produits chimiques, des produits pharmaceutiques,du caoutchouc et du papier sont déjà relativement avancés du côtéde l'automatisation. Les calculateurs industriels sont la normeplutôt que l'exception. Quand les processus fonctionnent sansheurts, les usines ont besoin d'un nombre relativement petit detravailleuses et travailleurs. On peut s'attendre néanmoins à uneplus grande utilisation de la fabrication assistée par ordinateur età des technologies de numérisation avancée encore plus pousséespour ces produits à forte valeur ajoutée, partout où la période derécupération de ces investissements sera brève.

Ces secteurs sontdominés par de grandes multinationales qui pourraient trouver pluséconomique d'investir dans des technologies de numérisation trèssophistiquées.En revanche, dans les pays en développement, le secteur continued'employer des effectifs très nombreux, surtout dans les domainescomme l'emballage et l'expédition, lesquels pourraient être à risque.Récemment, Duc Giang Chemical and Detergent Powder JSC aremplacé par des robots presque 90 % de l'effectif d'une usinede détergents au Vietnam. Si cette option est rentable au Vietnam- pays qui était jusqu'ici une destination pour les compagnies à larecherche d'une main-d'oeuvre bon marché - alors nous pourrionsêtre témoins du début de la fin de l'avantage compétitif des petitssalaires.

Le nombre insuffisant d'opérateurs humains sur place est unepréoccupation propre au secteur des produits chimiques - et ausecteur de l'énergie.

Dans un grand nombre d'usines de produitschimiques, les opérateurs humains ne sont plus assez nombreuxpour intervenir efficacement lors d'une situation d'urgence, si jamaisles mesures de protection et les systèmes d'arrêt automatiquesne parviennent pas à maîtriser la situation. Comme ces usinescontiennent des matières très dangereuses, il s'ensuit un niveaude risque accru pour les travailleurs en place et les agglomérationsavoisinantes.Secteur des matériauxLe secteur des matériaux est en train de changer radicalement.

Encore récemment, la même analyse faite précédemment pour lesmétaux de base aurait été valide, mais de nouvelles études montrentque les compagnies de ce secteur sont beaucoup plus touchées parla numérisation que ce que l'on croyait. Par exemple, l'entrepriseSaint-Gobain figure maintenant parmi les dix multinationales chezlesquelles les effets de la numérisation se font le plus sentir.Les consommateurs peuvent créer en ligne leurs propres« recettes » de matériaux spécialisés selon leurs propresspécifications.Les sociétés de matériaux offrent sur le Web des progicielsde soin à la clientèle, des systèmes de gestion des relationsclientset des plateformes conjointes d'applications.Processus d'extraction automatisés (comme dans les industriesd'exploitation minière)Processus de production entièrement automatisés de bout enbout (extraction > transformation > (emballage) > transport)Technologies d'autoanalyse pour l'entretien des fours et deschaudières (ou des applications de réalité augmentée pour lestechniciens en entretien et en réparation).Ce processus transforme également toute l'organisation dans lesindustries de matériaux, ainsi que les lieux de travail qui appartiennentà ces industries.

Ce développement est particulièrement difficile,car il est question ici de relations d'entreprise à entreprise. En effet,peu de consommateurs s'approvisionnent directement auprès desproducteurs de ciment, de verre ou de céramique de pointe.L'industrie subit de fortes pressions qui l'incitent à adopter destechnologies de pointe, puisqu'elle est une grande consommatriced'énergie et une importante productrice de dioxyde de carbone.La réduction de l'impact sur l'environnement et l'accroissementde l'efficacité énergétique doive naturellement être considéréscomme des progrès bénéfiques, mais ces améliorations ont eu deseffets sur les travailleuses et travailleurs de ce secteur.

Secteurs de la construction navale

La construction navale est un processus de fabrication quel'on pourrait comparer à plusieurs égards à l'aérospatiale etaux automobiles, mais qui a tendance à faire intervenir plus detravail humain en raison de la taille et du poids des élémentsconstitutifs. Chaque navire est plus ou moins bâti sur mesure, cequi rend l'automatisation difficile, mais pas impossible. À courtterme, les systèmes d'information qui surveillent les progrès dechaque composante d'un navire, de ses origines dans la chaîned'approvisionnement à son installation sur le navire, deviendrontprogressivement plus sophistiqués et importants. Certains voletsde la construction et certaines composantes seront adaptés à lanumérisation et de plus en plus automatisés. À plus long terme, onpeut s'attendre à ce que d'énormes robots sophistiqués remplacentdes humains pour une grande partie des procédés de construction.En revanche, le démantèlement de navires dépend davantage d'ungrand nombre de travailleurs manuels qui démantèlent les naviresmis hors service, dans le but de les recycler à l'aide de technologiesrudimentaires.

C'est pourquoi cette industrie se retrouveprincipalement aujourd'hui dans les pays où la main-d'oeuvre estbon marché, par exemple : en Inde, au Pakistan et au Bangladesh.En outre, comme chaque navire est différent et que l'environnementde travail est difficile, on peut s'attendre à ce que la numérisationet l'utilisation de robots s'implantent lentement dans ce secteur,tant que les salaires demeureront bas. À long terme, cependant,les navires pourraient être recyclés efficacement par des machinesgéantes. Des informations stockées sous forme numérique ausujet du montage exact de chaque navire pourraient permettre dereconnaître avec précision les pièces qui peuvent être recyclées etle meilleur moyen de les démonter. Le démantèlement physiqued'un navire en vue du recyclage peut également être fait par desmachines dotées d'une puissance suffisante. Cette technologieexiste; la question est de savoir quand les coûts d'investissementpour ces systèmes d'information et ces énormes machines serontjustifiables en comparaison du coût de la main-d'oeuvre.

3. Incidence élevée

Secteur de l'énergie

La numérisation de la fabrication change les industries non seulementen ce qui a trait à la production, mais également par rapport à laproduction et à la consommation d'énergie. La décentralisation dela production d'énergie et du réseau de distribution d'électricité faitaussi sentir ses effets sur l'industrie énergétique. À l'heure actuelle,les sources d'énergie renouvelable qui sont le mieux placées pourconcurrencer les combustibles fossiles sur la base des coûts sontl'énergie éolienne et l'énergie solaire (d'autres types d'énergieseront peut-être concurrentiels dans un avenir rapproché). Chacunede ces sources a des problèmes qui lui sont propres quand vient letemps d'alimenter un réseau. Une plus grande proportion d'énergiesera produite et consommée localement.

Quand les dispositifsde production d'énergie seront capables de s'auto-approvisionneren électricité, alors les centrales électriques centraliséesdeviendront moins nombreuses. Par ailleurs, des emplois serontcréés localement et décentralisés des centrales, surtout en ce quiconcerne les énergies renouvelables. Les centrales à combustiblefossile pourraient subir des fermetures et des pertes d'emplois, nonpour la seule raison de la décentralisation du réseau énergétiquedans le contexte de l'Industrie 4.0, mais également dans la fouléedes objectifs de développement durable (ODD) et de l'Accord deParis sur le climat, fixés et conclus respectivement lors de la COP21(la 21e Conférence des parties à la Convention-cadre des NationsUnies sur les changements climatiques).

Le personnel des servicespublics d'électricité devra faire face à la transformation rapide dece secteur, en ce qui a trait aussi au réseau de distribution.Au cours des prochaines décennies, les industries pétrolièreet gazière connaîtront des bouleversements numériques quitransformeront de façon radicale les méthodes d'exploitationcouramment utilisées aujourd'hui. À l'aide des technologies del'Industrie 4.0, les opérations de forage menées par les sociétéspétrolières et gazières deviendront entièrement automatisées, demême que l'inspection des pipelines, le forage et l'abandon despuits. On peut imaginer que le bouleversement numérique desindustries pétrolière et gazière sera général et rapide. Le prix dupétrole aura une grande incidence sur le taux de transformationnumérique de l'industrie.Les cours du pétrole sont instables depuis quelques années.L'effondrement des prix en 2008 a été suivi d'un redressementaprès la crise, puis de nouvelles baisses brutales ont eu lieu en 20142016 (figure 8).

Pendant la plus récente crise des prix du pétrole,les sociétés pétrolières ont réduit leurs investissements et se sontmises à investir dans les technologies. Selon les données compiléespar les experts de l'industrie, l'ingénierie des puits est responsabled'environ 40 % des frais de développement d'un projet typiqued'installation d'une plateforme pétrolière en eau profonde. Dansle but de réduire l'investissement total dans ce domaine, plusieursinitiatives ont été lancées pour trouver des façons plus rentables deconstruire des puits sous-marins. Des technologies novatrices, tellesque des systèmes de terminaux intelligents, permettent des zonesde production multiples dans un même puits de forage, ce qui réduitla nécessité d'investir dans l'exploration et la production d'une zoneconsistant en plusieurs sites ou sites de production.Comme pour le secteur des produits chimiques, la réduction continuedes effectifs présents dans les raffineries de pétrole et embauchés parles compagnies pipelinières (par exemple) a soulevé des questionsrelatives à la sécurité. Comme elles ont de plus en plus recours à desdispositifs d'arrêt automatique pour gérer les situations d'urgence,le personnel sur place est tout simplement trop peu nombreux pourintervenir, si jamais ces dispositifs ne fonctionnent pas comme prévu.

Figure 4. Cours au comptant du pétrole brut de référence brent

Sources : Administration de l'information sur l'énergie (EIA) et Bureau des statistiques sur le travail (BLS) des États-Unis

Secteur des technologies de l'information et des communications, de l'électricité et de l'électronique

Le secteur des technologies de l'information et des communications (TIC), de l'électricité et de l'électronique pourrait connaître une croissance considérable, puisqu'il est le fournisseur de la plupart des technologies qui seront recherchées par les autres secteurs industriels. La numérisation de la fabrication industrielle sous-entend que les machines et les systèmes de commande exigent des technologies sophistiquées en matière d'information et de communication, ainsi qu'une demande accrue dans le secteur des TIC, de l'électricité et de l'électronique. Il est important d'examiner l'ensemble de ce secteur sur le plan des chaînes de valeur intégrées plutôt que de penser à des usines isolées.

Sous cet angle, il est évident que les gouvernements doivent adopter des règlements afin d'empêcher que deux ou trois grandes sociétés de technologie récoltent la majorité des avantages de la transformation industrielle, ne laissant que des miettes aux autres entreprises de la chaîne de valeur. Les études qui se sont penchées sur ce sujet semblent unanimes à prédire que des emplois seront créés dans ce secteur dans le contexte de l'Industrie 4.0.

Fait étonnant, ce secteur n'a pas dans l'ensemble fait de grands efforts pour numériser la production de TIC de qualité commerciale - au moins en ce qui concerne l'assemblage des produits, bien que la fabrication des puces et des composants électroniques soit déjà hautement numérisée. Étant donné qu'un grand nombre de ces usines sont concentrées en Asie, on pourrait croire que ce secteur sera, à court terme, relativement peu touché par l'automatisation. Cela est dû aux bas salaires qui sont actuellement versés dans les pays abritant les usines à forte intensité demain-d'oeuvre, ce qui rend la transformation technologique de haut niveau non rentable dans ce contexte.

Toutefois, la société Foxconn, est un exemple qui prouve que des efforts en TIC sont déjà faits quant à l'utilisation privée de produits des TIC (téléphones intelligents, tablettes, etc.), et il n'est donc pas improbable que des transformations semblables soient faites dans les TIC de qualité commerciale. Dans l'ensemble, ce secteur sera probablement touché au moins par les systèmes d'aide, par des percées dans la robotique de pointe et par des réductions d'effectifs. Les processus d'assemblage de ce secteur peuvent être très automatisés.

Il faut aussi mentionner qu'il y aura probablement une division régionale du travail entre la conception industrielle elle-même (création d'emplois, probablement dans le monde développé) et la fabrication industrielle (emplois perdus, probablement dans le monde en développement).

Secteur du génie mécanique

À part le secteur des TIC, le secteur du génie mécanique sera l'un des secteurs les plus touchés par la numérisation de la fabrication. Qui dit nouvelle production dit nouvelle machinerie, et il y aura donc une demande accrue du côté du génie mécanique de haute technologie. La transformation de ce secteur a en fait beaucoup de points communs avec la systématique des TIC parce que le design industriel et la fabrication industrielle subiront des effets très différents sur l'emploi. Quand la production de l'équipement de génie mécanique sera numérisée et que d'autres procédés de fabrication modernes tels l'impression tridimensionnelle seront utilisés pour remplacer le travail humain, leur production entraînera des pertes d'emploi.

En revanche, dans le design industriel et dans les diverses disciplines du génie, des emplois pourraient être créés consécutivement à une hausse de la demande en équipement de génie mécanique de pointe. Cependant, comme nous l'avons mentionné au chapitre 3, les profils des emplois qui seront perdus et ceux des emplois qui seront gagnés seront très différents. On assiste déjà à une tendance vers les emplois de col blanc, non seulement dans les services, mais également dans la production, la création et l'entretien lui-même : de technicien à ingénieur, d'ingénieur à agent polyvalent au service de la clientèle.

Secteur des cols blancs

Le secteur des cols blancs est composé de travailleuses et travailleurs dont le travail consiste principalement à obtenir, à gérer, à employer, à analyser et à distribuer de l'information et des connaissances, par opposition à des biens et des produits - même s'ils touchent par moments à des biens ou des produits. Encore récemment, on croyait que ces travailleuses et travailleurs étaient relativement à l'abri des effets de l'automatisation et de l'externalisation. Ce n'est plus le cas, et on peut s'attendre à ce que les systèmes d'intelligence artificielle aient une incidence importante sur les emplois de col blanc. Les emplois de bureau et de soutien technique, ainsi que les emplois d'analystes et d'ingénieurs, sont tous susceptibles d'être remplacés par des ordinateurs de pointe et, au bout du compte, par des systèmes d'intelligence artificielle.

L'une des conséquences de la révolution numérique sera la transformation d'un grand nombre des anciens emplois de col bleu, lesquels ressembleront beaucoup plus à ce que nous appelions auparavant les emplois de col blanc. La production consistera de plus en plus à contrôler le processus, plutôt qu'à faire le travail. Les travaux d'entretien pourraient être transférés aux fournisseurs de services. Malheureusement, le travail accompli par les cols blancs deviendra de plus en plus stressant dans le contexte de l'Industrie 4.0. On peut déjà observer une tendance à la hausse de leurs heures de travail; la ligne entre le travail et le temps libre devient de plus en plus floue; le travail mobile cause un stress supplémentaire et des troubles de santé; l'automatisation des tâches routinières exécutées par les cols blancs augmente la pression sur ces travailleuses et travailleurs dans d'autres domaines.

Ajoutez à cela l'accélération des exigences changeantes en matière de compétences et une pression constante sur les travailleuses et travailleurs pour qu'ils s'adaptent à tous ces changements, et le milieu de travail des cols blancs devient la recette parfaite pour une augmentation spectaculaire des cas de dépression, d'épuisement professionnel et de maladies liées au stress, tels que les maladies du système circulatoire et le cancer.

III. II. INDUSTRIE 4.0, UNE REVOLUTION SOCIALE ?

A. Ressources humaines en période de transformation industrielle

Les prévisions concernant les futures exigences en matière de compétences dans le secteur manufacturier varient beaucoup. Certains prévoient qu'elles vont augmenter et que les compétences en programmation et en technologie de l'information (TI) seront les plus recherchées. D'autres prédisent que les travailleuses et travailleurs occuperont surtout des postes de contrôle et que les qualifications exigées vont diminuer. Dans certaines industries, nous observons de plus en plus le regroupement de sous-segments de la production industrielle (ventes, conception, création, production et entretien) dans un « service intégral », dont le personnel est très qualifié et polyvalent.

Dans d'autres industries, nous assistons à une déqualification des travailleuses et travailleurs, à mesure que des robots exécutent de plus en plus de tâches à leur place, laissant les tâches subalternes, mais non répétitives (donc difficiles à automatiser) aux humains (figure 4). Les variations entre les prédictions sont dues à trois raisons principales. Premièrement, comme les exigences professionnelles varient grandement d'un secteur à l'autre, elles doivent être analysées séparément. Deuxièmement, les variations régionales ont une incidence importante sur les résultats de ces pronostics : les aptitudes exigées en Europe ne seront pas les mêmes qu'aux États Unis; les résultats de l'Asie orientale seront différents des résultats de l'Amérique du Sud, etc. Troisièmement, les exigences de qualification varient en fonction du degré de numérisation. L'emploi des technologies de pointe en fabrication entraîne pour les travailleuses et travailleurs des défis variés et de nouvelles exigences.

Figure 5. Estimation des ventes mondiales annuelles de robots industriels par secteur 2016-2018

Source : World Robotics 2019

1. Fabrication intelligente

La « fabrication intelligente » amène les travailleuses et travailleurs hautement qualifiés à un niveau tout à fait nouveau. Il va de soi que tous les travailleurs et travailleuses d'une usine intelligente doivent posséder des habiletés pratiques, des compétences techniques et des compétences en programmation. D'une manière générale, les qualifications requises dans une installation industrielle vont probablement devenir plus élevées. Le travail d'entretien, par ailleurs, bien qu'il exige des niveaux élevés de compétences, sera surtout externalisé ou gardé « captif » par les fabricants de machinerie qui passeront à un modèle de services d'entretien et de réparation après-vente plutôt que de se limiter à la vente d'équipement.

Cette tendance soulève d'ailleurs des questions importantes à propos, notamment du continuel échec des efforts déployés pour transférer les technologies au monde en développement. On peut dire quand même, tout bien considéré, que les pays ayant déjà en moyenne une main-d'oeuvre hautement qualifiée s'adapteront plus facilement à ces changements que les pays dont la main-d'oeuvre est surtout moyennement et peu qualifiée.

Toutefois, cela ne les protégera pas contre les rationalisations qui seront entreprises quand le secteur de la fabrication aura moins besoin du travail humain.

Ce sujet est analysé de façon plus controversée par Ben Shneiderman, professeur d'informatique à l'Université du Maryland, qui écrit que :

« Les robots et l'intelligence artificielle fournissent matière à des reportages captivants pour les journalistes, mais ils donnent une vision erronée des grands changements économiques. Les journalistes ont perdu leurs emplois à cause des changements survenus dans la publicité, les professeurs sont menacés par les cours en ligne ouverts à tous (CLOT), et les commis de magasin perdent leurs emplois au profit des vendeurs sur Internet. L'amélioration des interfaces d'utilisateurs, la livraison électronique (vidéos, musique, etc.) et l'autonomie accrue des clients ont pour résultat une diminution des besoins en main-d'oeuvre. Parallèlement, on bâtit de nouveaux sites Web, on gère des plans d'entreprise pour les réseaux sociaux, on crée de nouveaux produits, etc. L'amélioration des interfaces d'utilisateurs, de nouveaux services et des idées novatrices créera plus d'emplois. »

Une étude menée en 2016 par Wolter et des collaborateurs, pour le compte de l'Agence fédérale allemande pour l'emploi, prédit qu'à mesure qu'augmentera la demande envers les technologies numériques, il sera de plus en plus nécessaire d'investir dans l'éducation et les formations professionnelles. L'étude prédit la perte de 1 540 000 emplois et la création de 1 510 000 emplois d'ici 2025. Comme l'Allemagne a fait preuve par le passé d'une grande capacité d'adaptation, notamment à la suite de la fermeture des mines de charbon, on peut supposer que les quelque 30 000 travailleuses et travailleurs qui se retrouveront au chômage trouveront rapidement un autre emploi.

Admettons que ces deux prévisions - celle de Ben Shneiderman et celle de Wolter - contiennent toutes deux un peu de vérité, il est clair que : comme les profils et les exigences professionnelles des emplois perdus sont différents des profils et des exigences professionnelles des emplois créés, il faudra, pour répondre aux exigences de ces derniers, mettre en place de nouveaux programmes d'éducation et de formation professionnelle intensifs, ce qui ne s'improvise pas du jour au lendemain. Rien ne garantit non plus que tous les nouveaux emplois créés seront accessibles aux travailleuses et travailleurs d'aujourd'hui déplacés pour d'autres raisons - ils pourraient, par exemple, se trouver dans des régions complètement différentes.

La transition vers la fabrication intelligente produit toute une gamme d'effets sur la façon dont le travail peut être fait et sera fait à l'avenir, ainsi que sur son degré d'inclusion ou d'exclusion à l'égard de certains travailleurs. Le travail manuel est en baisse, tandis que le travail par ordinateur est à la hausse. Posséder des connaissances en informatique et être capable de comprendre et de travailler avec les langages de programmation les plus courants seront des compétences précieuses à l'avenir. Pour permettre l'acquisition de ces compétences, il faudra mettre en place des programmes d'éducation et de formation professionnelle, ainsi que fournir des possibilités de perfectionnement, lesquels ne seront pas accessibles à tous. De même que pour les langues parlées, la maîtrise des langages de programmation s'acquiert plus facilement à un jeune âge, ce qui veut dire que les générations de travailleurs plus âgés pourraient avoir de la difficulté à acquérir les qualifications nécessaires. Les travailleurs migrants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais peuvent se retrouver en situation d'inégalité sur le plan de la formation (bien que des études montrent qu'ils ne sont pas aussi désavantagés qu'on pourrait le croire, en raison de la nature extrêmement logique des langages de programmation).

Les études et les formations exigent du temps et des efforts en dehors de l'horaire normal de travail. L'Union européenne estime qu'il nécessite en moyenne un minimum de 40 heures par année dans certains métiers, alors que la moyenne d'aujourd'hui se situe autour de 9 heures par année. Les travailleurs qui ont de jeunes enfants, et surtout les femmes, auront donc plus de difficulté à concilier leurs obligations de travail avec leurs obligations familiales. Les travailleuses et travailleurs ayant une incapacité, plus particulièrement les personnes ayant une incapacité mentale, avaient jusqu'ici leur place dans les usines de fabrication, où elles exécutaient les tâches plus simples - mais étant donné la complexité croissante des tâches et la nécessité de posséder des compétences en informatique et en programmation, ces emplois sont eux aussi en train de devenir plus fermés.

Le travailleur du nouveau savoir, que certains appellent « innovateur col bleu » et d'autres, « travailleur de l'innovation », a étudié pendant des années et est à tout le moins capable de comprendre les principaux langages de programmation, à défaut de les maîtriser parfaitement. Or, pour arriver à un tel niveau de main-d'oeuvre, il faut offrir des programmes d'éducation et de formation professionnelle avancés aux travailleuses et travailleurs.

Cela doit être fait d'une façon qui respecte les choix des travailleurs, d'une façon inclusive et sans aggraver les inégalités sociales déjà à l'oeuvre.

Contrairement à la fabrication intelligente, les industries qui utilisent des systèmes d'aide ont besoin de compétences très différentes. Les programmes informatiques facilitent l'assemblage des produits en donnant à chaque travailleuse et travailleur des instructions relativement claires sur les tâches à accomplir. Dans ce scénario, le profil d'un travailleur est donc très différent du travailleur du savoir. Les compétences manuelles sont plus importantes dans ce cas-ci, et les compétences en programmation sont inutiles pour ce travail. Dans les économies émergentes où la main-d'oeuvre est moyennement qualifiée, cette transformation pourrait s'avérer une opportunité intéressante et exercer un attrait sur les compagnies parce que cette main-d'oeuvre moyennement qualifiée est déjà présente et que leur embauche pourrait stimuler leur économie nationale.

2. Lacunes et inadéquation des compétences

On ne peut pas dire que les travailleuses et travailleurs d'aujourd'hui manquent de compétences, mais leurs compétences ne sont pas toujours celles qui sont recherchées dans les nouveaux lieux de travail. On reconnaît généralement que les qualifications sont l'un des plus grands défis de l'Industrie 4.0. Les nouveaux besoins en matière de compétences sont un défi pour les travailleurs, mais ils ont aussi de fortes répercussions sur les sociétés, surtout dans les pays développés où les lacunes dans les compétences et l'inadéquation des compétences causent déjà des problèmes très présents dans le marché du travail (voir figure 5).

Pour compliquer davantage le problème, le vieillissement de la main-d'oeuvre - un phénomène ressenti le plus vivement au Japon, dans les pays européens, au Canada et en Australie - a pour conséquence que, dans ces régions, les stratégies en matière d'éducation et de formation professionnelle doivent, pour donner de bons résultats, tenir compte des forces et des faiblesses des travailleurs plus âgés. Le Japon voit en effet ces technologies comme une solution partielle à la crise démographique de son pays.

La géographie, les migrations et l'urbanisation doivent également être prises en compte au moment de planifier la stratégie qui permettra de rendre l'éducation et les formations professionnelles accessibles à ceux qui en auront besoin. Dans le contexte de l'accessibilité à l'éducation et aux formations, les syndicats sont depuis longtemps les organisations les plus efficaces en ce qui a trait à l'offre de formations professionnelles. Sont-ils prêts à assumer ce rôle dans les domaines de technologie de pointe? À titre d'exemple, les syndicats italiens ont proposé de créer des centres de compétences ou des centres d'excellence, qui faciliteraient l'acquisition et la transmission des compétences, pas nécessairement à l'intérieur du présent cadre universitaire.

Dans la plupart des économies développées, le design industriel et la fabrication de produits de grande qualité exigent beaucoup de travailleurs et d'ingénieurs hautement qualifiés. Par ailleurs, il y a un besoin permanent de services privés et personnels, tels que des services de nettoyage, de buanderie, d'entretien, etc., qui demandent peu de compétences. D'autre part, les compétences moyennes sont requises dans une bien moindre mesure parce qu'une plus grande proportion des usines de fabrication ayant besoin d'une main-d'oeuvre moyennement qualifiée ont été relocalisées dans d'autres pays.

Figure 6. Comparaison entre la répartition des compétences requises et celle des compétences déjà acquises; marchés du travail industriel dans les pays développés

Source : Hilpert, Y, (2017)

Dans les sociétés occidentales, la répartition des qualifications acquises est très différente de la répartition des compétences nécessaires. Comme les systèmes d'éducation et les programmes de formation en apprentissage sont établis depuis longtemps, de vastes segments de la société possèdent au moins des compétences moyennes, tandis qu'une proportion relativement petite de la population est peu spécialisée. Bien que cela soit un bon signe pour les systèmes d'éducation, cette constatation fait également ressortir un problème d'offre et de demande.

La surproduction potentielle d'une main-d'oeuvre moyennement qualifiée signifie qu'une grande proportion de ce groupe pourrait avoir de la difficulté à dénicher un emploi correspondant à ses qualifications. Ces personnes sont surqualifiées pour les emplois exigeant moins de qualifications (moins bien rémunérés, mais elles n'ont pas les qualifications requises pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée dans les emplois exigeant les plus hauts niveaux de qualification. Alors que le travail industriel et la conception intéressent moins les nouvelles générations des sociétés occidentales, les lacunes dans les compétences posent de plus en plus problème en ce qui concerne les emplois hautement spécialisés.

Pour tenter de remédier à cette situation, les compagnies et les gouvernements de l'Union européenne ont entrepris une planification stratégique des compétences et pris des mesures pour rendre les emplois industriels plus attrayants, notamment en distribuant des bourses d'études en sciences, en technologies, en génie et en mathématiques (disciplines STGM) et en annonçant des offres d'emploi garanti aux diplômés des programmes de formation en apprentissage. (Un aspect négatif de cette stratégie est que certains pourraient faire valoir qu'en général les compagnies ne font pas leur part et qu'elles se fient plutôt au secteur public pour subventionner leurs besoins en matière d'éducation et de formations professionnelles.)

Il est évident que diverses initiatives d'élaboration de politiques sont nettement axées sur les technologies, spécialement les politiques en matière d'éducation, mais le jour viendra où le travail humain sera moins recherché, et il faudra alors mettre l'accent sur l'invention de nouvelles solutions aux problèmes sociaux. Les sciences sociales et les arts libéraux, qui ont leur place en tant qu'innovateurs sociaux, devraient attirer autant d'attention politique et d'investissements que les disciplines STGM.

Cette démonstration met en évidence plusieurs problèmes. L'inadéquation des compétences ne signifie pas seulement qu'une certaine proportion de travailleuses et travailleurs seront obligés d'occuper des emplois qui ne correspondent pas à leurs qualifications respectives et pour lesquels ils sont surqualifiés et sous-payés. Cela veut dire aussi qu'une grande proportion des ressources humaines actuelles risquent de demeurer sans emploi, malgré des niveaux de qualification plutôt élevés. Quelle est la pertinence de ces constatations dans le contexte de l'Industrie 4.0?

Les compétences et les qualifications présentes dans la société, ainsi que les problèmes actuels dans le marché du travail, tels que les pénuries de main-d'oeuvre qualifiée et l'inadéquation des compétences, qui sont d'importants indicateurs, donnent une idée de l'incidence qu'aura l'Industrie 4.0 sur la société. La demande en main-d'oeuvre peu qualifiée continuera probablement de stagner dans les pays développés : l'exploitation d'usines de fabrication demandant peu de compétences coûte moins cher dans les pays en développement, et, d'ailleurs, un grand nombre d'entre elles ont déjà été délocalisées vers ces pays. En revanche, les emplois manufacturiers qui exigent des compétences moyennes ont tendance à être des emplois numériques, et ils sont donc plus à risque d'être touchés par la réduction et la rationalisation des effectifs.

Les services qui ont besoin d'une main-d'oeuvre moyennement qualifiée (conception Web, calculs, etc.) peuvent facilement être externalisés et fournis, pour une fraction du prix, à partir de n'importe quelle région de la planète par le biais de diverses plateformes. Ils auront donc pour effet de diminuer, dans ce secteur, les possibilités d'emploi local dans le monde développé. On peut donc s'attendre à une réduction de la part occupée par les emplois pour main-d'oeuvre moyennement qualifiée, alors que les travailleuses et travailleurs capables d'occuper ces postes représentent une grande proportion de la population active. Une partie de la fabrication faite par des travailleuses et travailleurs hautement qualifiés pourra à l'avenir être effectuée dans des usines de fabrication intelligente, ce qui entraînera des réductions d'effectifs; une deuxième partie pourra être améliorée par des systèmes d'aide et une troisième partie pourrait au contraire créer des emplois. Les travailleuses et travailleurs moyennement qualifiés déjà sur le marché de l'emploi auront accès à ces postes dans la mesure où des programmes d'enseignement et de formation professionnelle seront créés et offerts.

Même les travailleuses et travailleurs hautement qualifiés tels que les techniciens et les ingénieurs se trouvent devant une situation où leur instruction et leurs compétences risquent de devenir obsolètes et de ne plus être recherchées par les employeurs, si elles ne sont pas continuellement mises à jour.

B. L'industrie du futur et ses conséquences sur le monde du travail

Que signifie l'industrie du futur pour l'homme au travail ?

On voit dès aujourd'hui se dessiner les tendances suivantes. Premièrement, l'organisation du travail est de plus en plus flexible dans le temps et dans l'espace. Deuxièmement, les opérations tendent à s'affranchir des hiérarchies et du centralisme. Troisièmement, les processus gagnent en transparence. Quatrièmement, de plus en plus de tâches routinières sont numérisées et automatisées.

La question au coeur de toutes les préoccupations est la suivante : la progression du numérique va-t-elle condamner au chômage les personnes travaillant dans les entreprises de production ? Il semble difficile d'apporter une réponse définitive à cette question, tant les analyses demeurent incertaines.

1. Conséquences à l'échelle macroéconomique pour l'emploi

La disparition des emplois ?

Alors que les révolutions technologiques successives se sont accompagnées jusqu'à présent du développement de l'emploi suite à des redistributions (le « déversement sectoriel » d'Alfred Sauvy), la diffusion du numérique - et demain de l'intelligence artificielle - dans les sites de production fait craindre une diminution globale du besoin en travail humain. De nombreuses études, parfois contradictoires, certaines très alarmistes, d'autres plus rassurantes, font état du remplacement du travail humain par des robots ou d'autres formes d'automatisation des tâches.

Par ailleurs, l'épuisement des ressources naturelles et les enjeux climatiques, amènent à repenser le modèle de croissance qui doit évoluer vers une plus grande sobriété. Une priorité environnementale qui pourrait peser sur l'activité économique tandis que la productivité, avec la numérisation de l'industrie, continuera à progresser. Les effets conjugués de ces deux phénomènes pourraient réduire les marges de redistribution, comme jamais ce ne fut le cas antérieurement.

« Le remplacement de l'homme par la machine est peu à peu devenu une réalité ». C'est ce qu'affirme le cabinet Roland Berger Strategy Consultants dans un rapport de 2014 intitulé Les classes moyennes face à la transformation digitale. Dans ce rapport, le cabinet affirme que 42 % des métiers seront automatisables d'ici à 20 ans. Et ce ne seront pas uniquement des métiers manuels. D'ici à 2025, 3 millions d'emplois risqueraient d'être détruits en France par la digitalisation de l'économie. Cette étude suivait celle, très commentée, de deux chercheurs de l'université d'Oxford, Frey et Osborne, affirmant que 47 % des emplois aux États- Unis présentent un fort risque d'automatisation d'ici 10 à 20 ans.

La méthode pour parvenir à ces estimations - et donc la signification même de ces chiffres - sont très controversées. Vu d'Allemagne, ce scénario semble d'autant moins réaliste que les systèmes de production et les profils de qualification y sont différents de ceux des États-Unis. En outre, les conséquences de l'industrie 4.0 sur l'emploi pourraient être moins drastiques en Allemagne que dans d'autres pays, ne serait-ce que du fait de l'évolution démographique et du risque de manque de main-d'oeuvre qualifiée.

Un tel scénario catastrophe est également contesté en France : le Conseil d'orientation pour l'emploi (COE), une instance d'expertise rattachée aux services du Premier ministre, indique que ce sont « seulement » moins de 10 % des emplois en France qui sont en danger à cause de l'automatisation. Il préfère souligner l'impact positif, sans pouvoir le chiffrer, que la numérisation de l'économie peut avoir sur les créations d'emplois. « Parmi les 149 nouveaux métiers apparus depuis 2010, 105 appartiennent au domaine du numérique », soulignent les auteurs du document.

En réalité, personne n'est vraiment capable de prédire, au niveau macro-économique, par quels nouveaux emplois les emplois perdus seront compensés. Mais selon Louis Gallois, il importe que les futurs emplois créés soient, dans des proportions aussi fortes que possible, des emplois exposés à la concurrence mondiale, car ces types d'emploi sont mieux rémunérés et ont un effet d'entraînement plus important sur le reste de l'économie. Par nature, tous les territoires sont en compétition entre eux pour attirer et fixer les emplois « nomades ». Ce qui nécessite une réflexion poussée sur les conditions d'attractivité territoriale de ces emplois, qui reposeront sur la qualité des infrastructures matérielles et immatérielles, concentrées dans des pôles interconnectés ou « hubs ».

La polarisation des emplois ?

Parmi les conséquences de la numérisation de l'économie, on évoque également depuis plusieurs années la « polarisation » de l'emploi. Cette thèse renvoie à l'idée que la part des métiers les plus qualifiés augmente, de même que la part des métiers les moins qualifiés, alors que la part des emplois intermédiaires diminue. On parle alors de courbe en U ou smiling curve. Cette tendance semble surtout vérifiée aux États-Unis. En France, on observe effectivement une élévation de la part des plus qualifiés, mais la part des moins qualifiés ne croît qu'en raison de la récente explosion des emplois de services à la personne : si l'on fait abstraction de ce phénomène, les emplois sont détruits d'autant plus vite qu'ils sont moins qualifiés, notamment dans l'industrie. L'avenir de ces évolutions reste incertain : d'aucuns pensent que les tâches routinières vont connaître une disparition accélérée qui touchera l'ensemble des qualifications, qu'elles soient faibles ou élevées, et l'ensemble des secteurs (industrie et services). Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, en France, on observe que le chômage de masse touche prioritairement les moins qualifiés, comme l'indique le graphique 7ci-après, ce qui justifie d'inciter les jeunes à acquérir un niveau élevé de qualification.

La tendance qui se dessine est donc celle d'un nécessaire monté en compétences du travail humain, qui devra aller de pair avec une réforme profonde des systèmes éducatifs et de la formation tout au long de la vie professionnelle, afin d'assurer aux travailleurs le niveau requis par des emplois de plus en plus exigeants, et d'accompagner les reconversions issues de la redistribution des activités.

Figure 7. Le chômage de masse concerne en France les travailleurs peu qualifiés

Source : Marché du travail : la grande fracture, Institut Montaigne

2. Conséquences sur l'organisation du travail dans les entreprises

Que signifie concrètement l'industrie 4.0 pour l'organisation du travail ?

Changement de la nature du travail

Konrad Klingenburg, directeur du bureau de Berlin du principal syndicat allemand de l'industrie, IG Metall, analyse les changements attendus sur six dimensions (graphique 8).

Les savoir-être, la capacité à échanger, à partager, à s'accorder, l'autonomie et la créativité vont prendre une importance capitale dans l'industrie du futur. Les relations horizontales tendront à se substituer aux rapports hiérarchiques verticaux. Les collaborations s'étendront hors de l'entreprise dans une logique d'entreprise-réseau ou entreprise-plateforme.

Changement des formes d'organisation

À ces changements dans la nature du travail répond toute une gamme de formes d'organisation des entreprises, allant de l'organisation polarisée à l'organisation en essaim - en passant par des variantes issues d'une conjugaison de ces deux modèles.

L'organisation polarisée s'appuie sur l'hétérogénéité des tâches, des qualifications et des emplois au sein de l'entreprise. Elle répond aux besoins des systèmes de production qui consistent à maintenir un nombre limité d'opérateurs en charge de tâches simples, n'offrant que peu ou pas de marges de manoeuvre, et un groupe croissant de techniciens et de spécialistes, dont le niveau de qualification est nettement supérieur à celui des ouvriers qualifiés traditionnels. Ces salariés sont non seulement chargés des tâches de maintenance (par exemple, gestion des pannes), mais assument aussi diverses tâches de gestion de la production.

À l'autre bout du spectre se trouve l'organisation en essaim (en France, on parle plutôt d'« entreprise libérée », ce qui introduit un jugement de valeur assez contestable, ou encore d'holacratie). Cette forme d'organisation du travail se caractérise par un réseau plus souple de salariés très qualifiés et opérant sur un pied d'égalité. Dans cette forme d'organisation, on ne trouve plus de tâches simples, nécessitant peu de qualifications, celles-ci ayant été en grande partie automatisées. Les tâches ne sont pas définies pour chacun des salariés : le collectif de travail opère en s'auto-organisant et en s'adaptant à chaque situation (figure 8).

Figure 8. Changement de la nature du travail

Source : Zukunft der Arbeit - IG Metall

Figure 9. Organisation polarisée versus en essaim

Source : Hirsch-Kreinsen

Dans chacune de ces hypothèses, l'homme reste au centre de l'activité mais sa dépendance à l'égard des données augmente fortement. C'est l'une des raisons pour lesquelles la sécurité et la protection des données revêtent une importance particulière.

Risques et opportunités pour les travailleurs

Les changements dans la nature du travail, ainsi que dans les modèles d'organisation, ouvrent pour les travailleurs des risques et des opportunités. Le représentant d'IG Metall les résume dans le tableau ci-contre.

Il estime probable que, le travail quittant de plus en plus ses formes et ses lieux classiques, on observera une forte augmentation du « travail à distance » et du « travail sur le cloud », effectué par des personnes moins bien payées, travaillant en freelance, bénéficiant d'une moindre protection sociale et sans accès à la participation. Ce crowdworking se déploiera d'abord et prioritairement dans le monde des nouvelles technologies, mais pourrait à court terme essaimer et « contaminer » les entreprises traditionnelles. Il faut donc s'attendre à un creusement des inégalités entre actifs (salariés versus travailleurs indépendants et indépendants économiquement dépendants), particulièrement en matière de protection sociale, d'accès au crédit et aux assurances.

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, va dans le même sens en soulignant que la pression sur les salariés risque encore d'augmenter en raison du décloisonnement entre vie professionnelle et vie privée, d'astreintes « en continu » et d'une surveillance accentuée, concrétisant le « panoptique » cher à Michel Foucault. La géo-localisation des chauffeurs de poids lourds en offre déjà un exemple.

Dans les prochaines années, l'organisation du travail devrait devenir l'un des principaux enjeux du dialogue social.

3. De l'innovation technique à l'innovation sociale

Pour Isabelle Martin, responsable du service Économie et société à la CFDT, il y a une fascination française pour la technologie. Mais la technologie ne sera une réussite - au sens sociétal, durable et écologique - que si nous sommes capables collectivement de transformer le travail et d'« embarquer » l'ensemble des parties prenantes.

L'entreprise doit favoriser l'échange des points de vue entre parties prenantes et reconnaître que celui-ci est source de performance. L'histoire récente de l'industrie française montre que cette conception du dialogue social fait souvent défaut. Ainsi le « Lean » déployé dans une approche exclusive de gains de compétitivité, sans associer les salariés à la mise en place des nouvelles organisations du travail et sans discussions sur la qualité du travail, n'a pas toujours permis d'atteindre les niveaux de performance attendus.

Figure 10. Risques et opportunités pour les travailleurs

Source : IG Metall

Selon une enquête menée par la CFDT auprès de 200 000 salariés, 75 % d'entre eux souhaitent être davantage associés aux décisions qui les concernent. De plus, les collectifs de travail sont souvent les mieux à même d'apporter des solutions pertinentes aux problèmes auxquels ils sont confrontés.

Il est donc nécessaire de poursuivre, parallèlement, la transformation des rapports sociaux dans l'entreprise, ne serait-ce que pour faire baisser le caractère anxiogène du changement.

Le travail doit être considéré comme une source d'innovation à part entière.

Cela implique de reconnaître la place du travail dans la stratégie et la gouvernance des entreprises. L'entrée des administrateurs salariés dans les conseils d'administration des grandes entreprises a représenté une avancée significative en ce sens, mais il est nécessaire d'aller encore plus loin, d'approfondir et d'étendre la mesure à un plus grand nombre d'entreprises.

Mais avant tout, le travail et son organisation doivent être discutés entre partenaires sociaux. La mise en oeuvre des décisions stratégiques peut se faire selon divers scénarios dont les conséquences économiques et sociales ne sont pas identiques. Ces options doivent être discutées avant que les choix définitifs soient arrêtés, et les représentants des salariés doivent disposer d'une réelle capacité à peser sur ces choix ; le cas échéant, ils doivent pouvoir saisir le conseil d'administration des difficultés qui n'auraient pas été anticipées par ce dernier. Un dialogue social de haut niveau est une condition essentielle pour réussir la transition vers l'industrie du futur, il doit être considéré comme un levier d'accompagnement du changement de l'entreprise et non comme un frein à sa mutation.

L'industrie du futur ne saurait se concevoir comme un progrès sans y associer le progrès social.

Au terme de cette vision de l'industrie du futur, nous pouvons retenir que les avancées offertes par le numérique offrent d'immenses perspectives d'innovation. Au niveau technique, avec la fusion des biens et des services en produits intelligents, dont la fabrication pourra être à la fois plus rapide et davantage économe en ressources. Au niveau du contenu du travail, grâce à de nouvelles organisations des entreprises, de nouvelles formes d'emploi et de nouveaux modèles économiques.

Au niveau social, par une meilleure conciliation entre le travail et la vie personnelle avec le travail à distance, le recul de la barrière de l'âge et du handicap. Pour autant, ces évolutions portent aussi leur part de risque - pour l'individu comme pour la société.

La flexibilité peut être synonyme de porosité accrue entre vie professionnelle et vie privée, d'intensification du travail et de stress supplémentaire.

De même, des domaines sensibles tels que la protection et la sécurité des données, l'augmentation des moyens de contrôle des hommes par les systèmes, l'avenir des collectifs de travail ou encore le rythme des disparitions et des créations d'emplois comportent encore un grand nombre de questions sans réponses.

IV. CONCLUSION

A l'avenir, les entreprises mettront en réseau leurs machines, leurs systèmes de stockage, leurs outils, leurs salariés, leurs sous-traitants et leurs partenaires, mais aussi leurs clients dans des systèmes sociotechniques (des systèmes cyberphy-siques) à l'échelle mondiale. Pour l'industrie 4.0, il y a là un potentiel énorme : il deviendra possible de prendre en compte les désirs individuels des clients et même de produire de façon rentable des pièces uniques ; la production sera plus rapide et plus flexible ; on diminuera la consommation des ressources et on augmentera la productivité. La productivité des salariés pourrait également s'en trouver accrue. Des modes de travail flexibles leur permettraient de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale, dans le temps, mais aussi dans l'espace. Il est en effet tout à fait concevable que certaines parties de la production s'installent (de nouveau) en France et puissent être localisées dans les zones urbaines.

Même si le sujet est abordé jusqu'ici essentiellement sous l'angle de la technique, l'homme fait partie de l'industrie 4.0, décentralisée et auto-organisée. Cependant, son travail est appelé à beaucoup évoluer dans de nombreux domaines. Les tâches vont devenir plus complexes, les réseaux de création de valeur plus dynamiques. Cela exige beaucoup de flexibilité. De nouveaux outils d'apprentissage devront être employés - systèmes d'assistance, robots, e-learning. L'industrie 4.0 nécessite davantage de savoir issu de l'expérience et de réflexion en réseau. Les machines fonctionnent bien dans la fabrication standardisée et assistent les hommes pour que ceux-ci puissent préparer et prendre de meilleures décisions. Pour schématiser : les hommes posent de meilleures questions - et les machines doivent les aider à trouver de meilleures réponses. Cette configuration confère aussi un rôle central au travail de conception (par exemple pour la mise au point de commandes intuitives) et de communication (interne et externe).

Ainsi, l'industrie 4.0 offre un potentiel important pour le numérique dans les innovations, les nouveaux services et les nouveaux modèles économiques. Elle pourrait offrir des chances particulières aux start-ups et aux créations d'entreprises. Parmi les formes d'entreprises existantes, c'est peut-être justement « l'entrepreneur » qui exprime le mieux l'avantage compétitif de l'homme par rapport aux machines.

Quelles sont les missions que doit assumer la politique en faveur de l'innovation ? Elles sont nombreuses. Selon l'indice d'observation de l'industrie 4.0, les trois quarts des entreprises interrogées déplorent le manque de soutien approprié de la part des politiques. Il faut donc agir. Dans ce cadre, les responsables politiques doivent cependant s'efforcer de promouvoir aussi bien les innovations techniques que les innovations sociales - en envisageant toute la gamme complète des possibilités, tant du côté de l'offre que du côté de la demande. Pour ce faire, il est nécessaire d'avoir une compréhension systémique de la politique en faveur de l'innovation, qui intègre également une stratégie et une mise en oeuvre coordonnée, afin que l'innovation technologique devienne aussi une innovation sociale et puisse apporter une contribution importante à l'émergence d'un progrès social.

Concrètement, la politique fait face à une multitude d'objectifs : elle peut stimuler le savoir collectif - en impliquant également les entreprises à faible intensité de recherche - pour que les nouvelles technologies et le nouveau savoir puissent se diffuser plus rapidement. La politique en faveur de l'innovation peut aussi utiliser des concours et des mécanismes de financements incitatifs pour favoriser la création d'alliances autour de projets et de centres de compétences interdisciplinaires et ainsi soutenir le transfert de la recherche fondamentale vers le développement d'applications - via les laboratoires d'universités, les laboratoires vivants et les usines de démonstration. Ce type de mesure favorise la communication et la coopération et prépare un terrain fertile pour les innovations sociales et techniques. Ces innovations sont avant tout nécessaires dans les domaines de la sécurité et de la protection des données. La politique en faveur de l'innovation pourra partir de l'offre et de la demande, par des acquisitions directes ou indirectes, de l'information, des centres de certification, le développement d'infrastructures plus sures, la formation initiale et continue, etc. En outre, il faut voir dans l'Europe une chance pour l'industrie 4.0. C'est un marché porteur qui a le potentiel pour définir des normes mondiales, y compris en matière de protection et de sécurité des données (par exemple via des « infrastructures européennes du Cloud » ou la définition d'un cadre juridique européen).

Néanmoins, l'industrie 4.0 doit encore apporter la preuve de son utilité pour la société. Les potentiels de l'industrie 4.0 ne seront reconnus et utilisés que lorsque les évolutions qui en découlent constitueront une valeur ajoutée pour la société, avec l'implantation de nouvelles techniques, de nouvelles règles, de nouveaux services et de nouveaux modes d'organisation en mesure d'être considérés comme « meilleurs pour l'homme ». Pour y parvenir, une coordination rapide et une politique proactive seront nécessaires; une politique qui soutient et qui exige, qui fixe des règles claires, mais qui investit dans l'avenir en faisant preuve d'audace.

BIBLIOGRAPHIE

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Institut Montaigne, Marché du travail : la grande fracture, février 2015.

http://www.industriall-union.org/ , aout 2020, fédération syndicale internationale

Sommaire des illustrations

Figure 1. Les quatre révolutions industrielles 2

Figure 2. Courbe générique « en forme de sourire » dans une chaîne de valeur 10

Figure 3. Sommaire des objectifs de développement durable des Nations Unies jusqu'en 2030, adoptés en décembre 2015 31

Figure 4. Cours au comptant du pétrole brut de référence brent 44

Figure 5. Estimation des ventes mondiales annuelles de robots industriels par secteur 2016-2018 49

Figure 6. Comparaison entre la répartition des compétences requises et celle des compétences déjà acquises; marchés du travail industriel dans les pays développés 53

Figure 7. Le chômage de masse concerne en France les travailleurs peu qualifiés 59

Figure 8. Changement de la nature du travail 61

Figure 9. Organisation polarisée versus en essaim 62

Figure 10. Risques et opportunités pour les travailleurs 64

Résumé 

Dans un contexte de pandémie mondiale les entreprises ont pu constater l'importance de la digitalisation et de l'automatisation. Il est évident que les entreprises ayant développé ces points ont eu un avantage sur les autres. Cet évènement va surement encourager les entreprises qui hésitaient encore à développer l'industrie 4.0 à leur mettre dans leur top priorité. Mais attention, une révolution industrielle ne doit pas se prendre à la légère. En effet si les avancées techniques ne sont pas anticipées, le marché de l'emploi s'en trouvera bouleversé. Comme nous pourrons le voir dans ce mémoire les compétences recherchées par les entreprises seront trop éloignés des compétences acquises par les travailleurs. Cela mettrait en péril les travailleurs, l'entreprise et le marché du travail.

Mots clés: Industrie 4.0, révolution industrielle, usine du future, marché de l'emploi, travailleurs de demain

Abstract

In the context of a global pandemic, companies have seen the importance of digitization and automation. It is obvious that the companies having developed these points had an advantage over the others. This event will surely encourage companies that were still hesitant to develop Industry 4.0 to put them in their top priority. But beware, an industrial revolution should not be taken lightly. Indeed, if technical advances are not anticipated, the job market will be upset. As we will be able to see in this brief, the skills sought by companies will be too far removed from the skills acquired by workers. It would put workers, business and the labor market at risk.

Keyswords: Industry 4.0, industrial revolution, factory of the future, job market, workers of tomorrow






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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore