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Industrie 4.0, une revolution industrielle et sociale ?


par Vincent Kergueme
ESLI - Master 2 2020
  

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2. Trois degrés de fabrication numérisée

Les effets à court, moyen et long terme de la numérisation de la fabrication, ce qu'est en fait Industrie 4.0, ne sont pas tout à fait clairs, mais il est certain qu'ils varieront considérablement en fonction des différentes industries et du degré auquel les usines seront en mesure d'appliquer les technologies modernes. On identifie généralement trois degrés différents : 1) les systèmes d'aide; 2) les systèmes cyberphysiques; 3) l'intelligence artificielle.

Ces formes de technologies pourraient être adoptées séparément ou simultanément dans un lieu de travail donné.

Les systèmes d'aide sont le niveau le moins sophistiqué de la numérisation dans les usines. Utilisés surtout pour l'assemblage de produits, ces systèmes assistés par ordinateur guident les travailleuses et travailleurs à travers leurs différentes tâches, étape par étape. Certains pronostics prévoient que l'utilisation de ces technologies aura pour conséquence une augmentation considérable de la productivité et des revenus, ainsi qu'une réduction simultanée de la main-d'oeuvre allant jusqu'à 25 %.

Les systèmes cyberphysiques sont liés à ce qu'on appelle « Internet des objets », mais ils sont plus généraux. Pour les besoins du présent document, on entend par « systèmes cyberphysiques » une usine intelligente dont les machines, parfois autonomes, sont interreliées et où l'état d'avancement de la production de n'importe quelle zone peut être surveillé en tout temps. Pour ce faire, les machines doivent être intégrées dans un réseau. Les composants sont munis de puces d'identification par radiofréquence (IRF) qui communiquent des informations sur l'état d'avancement de la production aux services d'entretien, aux panneaux de commande des processus et parfois même aux clients et qui envoient aussi des signaux aux machines pour leur indiquer les spécifications du produit final et les étapes de production nécessaires pour le produire.

La compagnie Adidas a récemment annoncé un projet de fabrication numérisée très attrayant pour sa clientèle, car la technologie utilisée permettra de personnaliser les produits : le client choisira les couleurs, les finis ou les tissus pour un produit; ses choix seront sauvegardés sur une puce IRF, qui transmettra ensuite de façon automatique à la machine les matières premières ou les parties à utiliser durant la production.

À titre d'exemple, en ce qui concerne l'économie américaine, les chercheurs prévoient que l'ouverture d'usines intelligentes entraînera une réduction des effectifs allant jusqu'à 35 % dans l'ensemble du secteur manufacturier. Ces pronostics sont cependant assez vagues au sujet des indicateurs de prédiction utilisés et quant à la variation de la réduction des effectifs en fonction des secteurs, ainsi qu'en fonction des compétences et des qualifications actuelles de la main-d'oeuvre.

Cette technologie permettra de produire un petit volume de produits personnalisés à un prix modérément bas, mais comme chaque puce IRF coûte entre 12 et 25 cents américaines (au coût de 2017), on les utilisera surtout pour la production d'articles plus chers et de valeur ajoutée. L'utilisation de ces puces dans la fabrication en série de produits bon marché employant une technologie rudimentaire ne serait économiquement possible que si leur coût unitaire descendait sous les 5 cents.

Les machines intelligentes, à la fois capables de lire les codes IRF et compatibles avec un réseau intégré à l'échelle de l'usine et incorporé dans un Internet des objets, sont-elles aussi un investissement coûteux, que toutes les entreprises ne peuvent pas se permettre. La plupart des petites et moyennes entreprises (PME) sont incapables de faire ces investissements, à moins de recevoir des subventions ou un autre type d'aide financière publique. Cela dit, les prix des technologies de pointe devraient tôt ou tard baisser considérablement.

Par ailleurs, les progrès technologiques récents permettent une approche intermédiaire : des ponts électroniques qui relient les unes aux autres des machines qui existent déjà. Ces dernières sont incapables d'envoyer des rapports d'étape au panneau de commande, mais comme les ponts sont interreliés, ils remplacent cette fonctionnalité manquante dans les machines.

Grâce à cette technologie, les innovations des PME pourraient continuer à faire concurrence aux grandes multinationales qui ont les moyens, elles, de faire la transition vers la fabrication entièrement intelligente. Selon le Centre allemand de recherche sur l'intelligence artificielle, les ponts électroniques accroissent les rendements des compagnies et pourraient entraîner des réductions d'effectifs allant jusqu'à 10 %, ce qui est peu, mais c'est parce que la plupart des tâches exigent encore la présence de travailleurs pour faire fonctionner les machines.

La majorité de ces rationalisations seront appliquées aux tâches d'entretien : les ponts électroniques détecteront les problèmes dès leur apparition et l'entretien sera alors géré sur demande.

L'intelligence artificielle est le degré de fabrication numérisée le plus sophistiqué, sur le plan des technologies, et le plus controversé. Elle n'est pas limitée au secteur manufacturier : l'intelligence artificielle est aussi appliquée aux emplois de bureau, par exemple, pour trier les bons de commande, traiter les données des clients, sélectionner les candidats aux postes affichés, traiter et analyser les « mégadonnées ». Le débat semble assez divisé sur l'intelligence artificielle, ainsi que sur son utilisation et son incidence sur l'économie et la main-d'oeuvre. Pour certains, c'est encore un produit de fantaisie qui est loin d'être prêt à un usage commercial; pour d'autres, c'est déjà un fait accompli qui transformera rapidement la production. Précisons toutefois que l'intelligence artificielle n'est pas synonyme de robotique de pointe - au contraire, elle va contrôler et améliorer la robotique de pointe, entre autres choses.

Le concept de l'intelligence artificielle ressemble un peu à la fabrication intelligente : des machines - dans ce cas-ci, des robots - communiquent les unes avec les autres et se répondent les unes aux autres, mais, au lieu d'envoyer un rapport à un panneau de commande central opéré par des travailleurs hautement qualifiés, elles fonctionnent de façon tout à fait indépendante. Mais, bien que la recherche sur ce sujet progresse, et progresse rapidement, cette technologie est encore tellement chère qu'elle ne sera pas de sitôt appliquée à la fabrication. Quand elle le sera, on la retrouvera d'abord dans les industries de pointe et les industries à forte valeur ajoutée qui sont en mesure de récupérer l'énorme investissement initial sur une période relativement courte.

Si l'intelligence artificielle n'occupe pas encore une place importante dans la fabrication, c'est elle qui pourrait avoir l'impact le plus marqué sur le travail industriel, et qui fera en sorte qu'un grand nombre des travailleurs d'aujourd'hui seront tout à fait dépassés. On se demandera un jour s'il y a un travail que les humains peuvent faire mieux que les robots artificiellement intelligents.

Ces degrés de numérisation de la fabrication industrielle caractérisent des dépendances de trajectoire variant considérablement d'un secteur industriel à l'autre et entre les régions d'un même secteur - non seulement la fabrication industrielle dans son sens le plus strict, mais également le travail de bureau et le secteur des services.

En outre, ils pourraient changer à court, moyen et long terme, à mesure qu'évoluent les tâches au sein de chaque secteur. Cela dit, les caractéristiques qu'ils ont en commun vont redéfinir la façon dont nous considérons le travail. L'intercommunication est le dénominateur commun dans tous ces cas : les communications de machine à machine et de machine à humain seront plus nombreuses dans la fabrication intelligente. La qualité et la quantité de données vont augmenter - procurant de nets avantages au fabricant et au client (possibilité de suivre l'état d'avancement de la production d'un produit personnalisé, un peu comme nous suivons aujourd'hui une commande passée auprès d'Amazon; une meilleure capacité à prédire les futurs besoins en production), mais donnant aussi les moyens de surveiller de près et avec précision les travailleurs et leur productivité.

Les organisations devront refuser un tel contrôle des données personnelles par les employeurs parce qu'il ne peut mener qu'à une compétition sauvage entre les travailleuses et travailleurs et affaiblir leur solidarité. Comment les travailleurs pourront-ils être concurrentiels quand on comparera leur travail à celui d'une machine? Comment la productivité sera-t-elle mesurée quand le travail d'une personne sera exécuté dans le contexte d'un système technique complexe fonctionnant sans arrêt et qu'il n'y aura plus de corrélation claire entre les heures travaillées et la production? Qu'adviendra-t-il de nos attentes relatives à un minimum de respect de la vie privée, même au travail?

Nous devons nous assurer que les données personnelles continueront d'être gardées en lieu sûr. Le terme « mégadonnées » désigne la collecte et l'analyse d'ensembles de données qui étaient jusqu'à présent trop volumineux ou trop complexes pour être utiles. Mais comme les ordinateurs sont toujours de plus en plus puissants, les algorithmes, de plus en plus intelligents et complexes, et les logiciels, de plus en plus sophistiqués, les mégadonnées sont devenues un outil de gestion couramment utilisé par de nombreuses sociétés. Toutefois, avec tous les systèmes de mégadonnées vient aussi la menace de vol et de piratage des données. Qui sera autorisé à accéder aux données et à les utiliser? Et de quelles données est-il question, au juste - celles des travailleuses et travailleurs ou celles de la compagnie?

Il est peu probable que les travailleuses et travailleurs aient leur mot à dire sur la nature des données recueillies à propos de leur rendement ni sur l'usage qui sera fait de ces données.

De fait, compte tenu de la quantité de données personnelles accessibles par le biais de plateformes telles que Facebook et Google, le traitement et la revente de données personnelles et collectives sont devenus une industrie majeure, même si elle est essentiellement cachée. Le nouvel âge du capitalisme est déjà surnommé « capitalisme de surveillance » par certains - et les implications sur la confidentialité des renseignements personnels, voire sur la démocratie, ont à peine été analysées.

Si l'établissement de normes particulières est permis, une quantité excessive de richesse se trouvera concentrée en un seul point de la chaîne de valeur. Les plateformes numériques et les mégadonnées ne doivent pas non plus devenir des monopoles. Les trois principes suivants devraient s'appliquer : 1) les mégadonnées doivent être considérées comme des « données ouvertes »; 2) les algorithmes de recherche doivent être ouverts et équitables; 3) les structures de subventions croisées et les autres pratiques commerciales déloyales doivent être empêchées ou cessées si elles existent déjà.

Ces trois différentes formes de fabrication numérisée - systèmes d'aide, systèmes cyberphysiques et intelligence artificielle - qui sont tous des aspects de l'Industrie 4.0 - vont métamorphoser le travail. Elles feront sentir leurs effets sur les pays développés et les pays en développement à des degrés divers et en vertu de divers principes; elles établiront diverses exigences concernant les qualifications des travailleurs; elles réduiront les effectifs dans différentes proportions. Il est important de ne pas négliger l'impact qu'auront ces changements technologiques sur des domaines de travail autres que la fabrication. Ils vont redéfinir nos sociétés, remettre en cause nos systèmes d'aide sociale, exacerber les inégalités sociales qui existent déjà; malheureusement, malgré leur importance capitale, ces aspects sociétaux ne sont presque pas pris en considération. Une fois encore, il incombe au mouvement syndical de faire valoir les conséquences sociales.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo