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La géopolitique de la Russie dans la région caspienne: évolution des intérêts


par John Makombo Kibangula
Université de Lubumbashi  - Licence 2021
  

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CHAPITRE 3 : LE ROLE DE LA RUSSIE DANS LA REGION CASPIENNE

Dans ce chapitre, il est question de démontrer le rôle que la Russie joue dans cette région de la Caspienne, de démontrer comment et pourquoi la Russie joue ce rôle. Ce chapitre comporte deux sections dont chacune comporte deux paragraphes qui ont certains des sous points .

SECTION 1 : LE ROLE MILITARO-STRATEGIQUE DE LA RUSSIE EN MER CASPIENNE

Dans cette section , il est question de démontrer le rôle de la Russie sur le plan militaire et stratégie. Son influence dans la région , sa puissance au niveau régional. La section est subdivisée en deux paragraphes.

§1 : La Russie, une grande puissance

1. A. Une puissance militaire et nucléaire

1. A.1. Une puissance militaire

Avec 1 140 000 militaires dans le service actif et 2 000 000 réservistes, les Forces armées de la fédération de Russie sont la quatrième plus grande armée du monde, pour un budget estimé à 70 milliards de dollars en 2008.

La doctrine militaire des forces armées de la Fédération de Russie est l'héritière d'une réforme datant de l'URSS, organisée par Mikhaïl Frounze. Celui-ci a lancé une série de réformes essentielles pour l'Armée rouge. Il est partisan d'une organisation militaire permanente, unique moyen de mener les guerres de mouvement offensif que les « spécialistes », comme le chef de l'état-major général de l'Armée rouge, Toukhatchevski propose de mettre sur pied en prévision d'éventuelles agressions extérieures.

La nouvelle doctrine militaire russe, adoptée en 2000, multipliant les références à la crise du Kosovo, évoque abondamment l'ensemble des facteurs qui ont provoqué la dégradation des perceptions que les responsables russes ont de l'Occident. Néanmoins, la Tchétchénie et les instabilités dans la périphérie Sud de la Russie sont également présentes dans la doctrine. Et différents éléments, dans ce texte comme dans la politique aujourd'hui mise en oeuvre par le Kremlin, permettent de relativiser l'idée selon laquelle la Russie est revenue à des postures anti-occidentales.83(*)

Grâce au redressement économique des dernières années et aux excédents budgétaires sans précédent, le gouvernement russe accélère le renouvellement de l'arsenal militaire du pays, et ce dans tous les domaines concernés : de l'aviation stratégique N2 aux nouveaux systèmes balistiques et de défense anti-missile (notamment les missiles S-400, sans doute les systèmes de DCA à long rayon d'action le plus performant actuellement ; les missiles Topol-M et Bulava N3à la mise en orbite de la constellation des satellites de positionnement global N4.84(*)

L'Amiral Kuznetsov, le seul porte-avions russe.

Le budget de la défense de la Fédération de Russie est en hausse sous la présidence Poutine. Cependant, l'opacité de l'attribution des fonds de la défense fut critiquée. La deuxième guerre d'Ossétie du Sud a montré une armée russe moins hétéroclite qu'en Tchétchénie : des unités entières disciplinées et bien équipées, des conscrits bien entraînés, mais sans soutien d'hélicoptères85(*). Cependant la récente guerre contre la Géorgie a relevé de nombreuses lacunes, tant sur le plan de l'utilisation de matériel obsolète que vis-à-vis de la doctrine calquée sur le modèle soviétique.

De plus, les problèmes de l'armée restent nombreux : détournement d'une partie du budget (corruption), utilisation d'un matériel obsolète dont la masse peine à être remplacée, difficultés de mobilisation des conscrits dans une armée réputée par la violence de ses « bizutages », mais surtout pour ses solutions de communication ainsi que ses moyens de combats de nuit inadaptées aux besoins militaires de l'après-guerre froide.86(*)

Depuis 2005, la doctrine militaire est en cours de révision sous l'autorité du général Makhmout Gareev. Les menaces ne seraient plus les armées contre-révolutionnaires mais :

L'instabilité de certains États déchirés par des conflits ethniques ;

L'aventurisme militaire des États-Unis à la recherche de ressources énergétiques.

Les forces armées devraient donc être capables, non seulement de défendre la Patrie, mais aussi de peser dans le monde comme arbitre géopolitique en évitant tout affrontement direct avec les États-Unis.

Lutte contre le terrorisme

Voir aussi la Tchétchénie, la première guerre de Tchétchénie, la seconde guerre de Tchétchénie, la guerre contre le terrorisme et l'Organisation du traité de sécurité collective.87(*)

1. A.2. Puissance nucléaire

Évolution des stocks d'armes nucléaires, entre les États-Unis, l'URSS puis la Russie et la Chine, de 1945 à 2005.

L'industrie nucléaire en Russie est héritière du programme nucléaire de l'URSS. La Russie possède, en conséquence, la totalité de l'arsenal nucléaire soviétique dont le commandement unifié lui a été transféré, en 1991, par le Kazakhstan, l'Ukraine et la Biélorussie. En 2005, la Russie possédait 31 réacteurs de production ce qui la place en 4eposition mondiale des pays producteurs d'énergie nucléaire. Par ailleurs, elle possède un nombre très important de sites avec des réacteurs de recherche civils ou militaires, dont environ 109 réacteurs de recherche ou à vocation militaire à l'origine.

La Russie est l'un des cinq pays reconnus officiellement par le Traité de non-prolifération nucléaire comme possédant l'arme nucléaire. Elle possède d'ailleurs le plus vaste arsenal nucléaire au monde avec plus de 16 000 têtes nucléaires dont 5 830 sont opérationnelles.88(*)

La flotte de pêche de Russie est la plus grande au monde et opère dans le monde entier.

Depuis la réorganisation de la compagnie soviétique Aeroflot, qui avait la plus importante flotte aérienne du monde, 70 compagnies gouvernementales et privées ont été créées.

1. B. La présence de la flotte russe en mer Caspienne

Très tôt « maîtrisé » par une Russie impériale en expansion, le rapport de force géopolitique en mer Caspienne a subi de plein fouet l'éclatement de l'URSS et l'émergence des intérêts nationaux. En redevenant pour la première fois depuis le XVIIIe siècle une zone de fracture, cette mer fermée impose à Moscou d'adapter sa stratégie sécuritaire à des enjeux en perpétuelle mutation.89(*)

Au-delà des préoccupations énergétiques, la réforme militaire de décembre 2010 prévoit en effet d'inclure la Flottille russe de Caspienne à un nouvel ensemble géostratégique (le Caucase), évoquant par là un projet de puissance nourri par l'histoire et les représentations territoriales.90(*)

Dans l'Antiquité, la mer Caspienne a pu figurer aux yeux des géographes grecs comme une simple baie de l'immense et inquiétant Océan censé entourer le monde connu d'alors. Si les épopées d'Alexandre, les conquêtes romaines puis l'essor de la Route de la soie ont pu infirmer la thèse des anciens géographes, la Caspienne n'en demeure pas moins durant des siècles une frontière entre le connu et l'inconnu, entre « l'homme civilisé » et le « chaos » des steppes. Lorsque la Russie d'Ivan le Terrible atteint cette mer au niveau d'Astrakhan et de l'embouchure de la Volga, c'est une première victoire majeure du sédentaire slave sur le nomade turco-mongol.91(*)

Fait intéressant, la chute d'Astrakhan en 1556 inaugure une lutte séculaire entre la centralité moscovite et le système clanique des steppes, alors que le point d'orgue de cet affrontement peut être trouvé dans la fondation de la base navale de Sébastopol en 1783 et la chute du khanat de Crimée, dernier héritier des Tatars. La Caspienne demeure durant plus de trois siècles le pivot stratégique de cette volonté russe de domination sur l'élément tribal, alors que le Caucase et l'Asie centrale sont progressivement conquis, et leurs élites évincées ou intégrées au système impérial.92(*)

1. B.1. La Caspienne, pivot historique d'un empire en expansion

Témoin de la naissance d'un empire, la mer Caspienne est écartée des principaux axes stratégiques russes dès le début du XIXe siècle : le traité de Gulistan, en 1813, marque ce basculement géopolitique au terme de neuf ans de guerre contre la Perse.93(*)

La Russie y obtientque son pavillon soit le seul à pouvoir flotter sur les eaux de la Caspienne, consacrant une suprématie que la révolution d'Octobre ne remettra pas fondamentalement en cause. Après avoir pu soutenir les guerres dans le Caucase, transporter troupes et colons sur les côtes kazakhes, la flottille de Caspienne créée par Pierre le Grand n'exerce plus qu'un rôle de garde-côtes, d'ailleurs doublé en 1919 d'une mission de surveillance de la Volga.94(*)

Bien que, durant la Seconde Guerre mondiale, la crise irano-soviétique ait pu montrer l'importance de la Caspienne pour l'acheminement des matériels occidentaux destinés à l'Armée rouge, la cristallisation des zones d'influences induite par la guerre froide relègue cette mer fermée au second plan des préoccupations internationales. De 1945 à 1991, l'Union soviétique et l'Iran se partagent la totalité des côtes de la Caspienne et l'écrasante supériorité militaire, politique et territoriale de Moscou dans la région n'est pas remise en cause par Téhéran, malgré les sympathies occidentales du Chah puis le fanatisme religieux des ayatollahs.95(*)

Comme ailleurs dans l'espace post-soviétique, la chute de l'URSS révèle brusquement tensions et rivalités en multipliant considérablement le nombre d'États souverains et de revendications ethniques. Si la chape impériale puis soviétique avait permis d'étouffer les innombrables rivalités qui bordent la Caspienne, l'apparition de nouvelles entités telles que l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Turkménistan, les républiques autonomes russes du Tatarstan ou de Kalmoukie sont autant de catalyseurs identitaires que les revendications ethniques viennent porter sur le devant d'une scène internationale intéressée par l'apparition d'un nouveau « pont » énergétique, culturel et politique entre Orient et Occident. La naissance de nouveaux États turcophones engage par exemple Ankara à développer ses ambitions pan-turquistes en direction de l'Azerbaïdjan et de l'Asie centrale, alors que l'ouverture à la concurrence des champs pétrolifères soviétiques intéresse aussi bien les majors occidentales que des autorités locales en quête de devises et d'influence dans le nouveau système russe des réseaux d'allégeances.96(*)

Si les temps troubles de 1917 à 1921 avaient pu fournir un aperçu de ce que seraient les rivalités géopolitiques dans la région si Moscou perdait son leadership, 1991 est bien l'avènement d'une nouvelle ère de tensions en Caspienne. Le statut juridique de la Caspienne, négocié entre l'Iran et l'Union soviétique en 1921, fournit un exemple hautement illustratif de la situation contemporaine. Les espaces de souveraineté avaient alors été négociés de manière bilatérale par les deux seuls États riverains97(*). La convention des Nations unies sur le droit de la mer fixe depuis 1973 les zones économiques exclusives de chaque État. Celle-ci ne s'est jamais appliquée en Caspienne, alors que la multiplication des États riverains ne permet plus le consensus autrefois assuré entre l'Union soviétique et l'Iran.

1. B.2.Les nouveaux enjeux militaires

Assez rapidement, les autorités de la jeune Fédération de Russie ont compris l'enjeu de la Caspienne. La flottille de Caspienne basée à Astrakhan, qui avait perdu dès 1991 une part importante de ses effectifs réclamés par le Kazakhstan, est ainsi la première composante navale de l'Armée russe à recevoir du matériel construit après la chute de l'URSS. En devenant le navire amiral de la flottille de Caspienne en 2002, le nouveau bâtiment Tatarstan évoque par son profil les ambitions russes renouvelées dans la région. Le Tatarstan est une frégate de type « Guépard » au départ prévue pour la lutte ASM (anti sous-marine). Cependant, le modèle livré à la flottille de Caspienne a été allégé de ses équipements de détection sous-marine et aménagé pour abriter un hélicoptère.98(*) Par ce biais, le Tatarstan peut mener à bien des missions de souveraineté à long rayon d'action dont le but est d'assurer une présence russe de fait dans ses eaux territoriales en Caspienne, et donc de matérialiser la mission de protection des intérêts nationaux dans une mer riche en ressources naturelles. Fait hautement évocateur, le gouvernement russe parle depuis 2006 de seconder le Tatarstan par un sister ship dont la mise sur cale était prévue en 2008. La commande passée d'une nouvelle frégate « Guépard » en 2009 par le ministère de la Défense pourrait faire aboutir ce projet, et confirmer l'ambition de Moscou de disposer d'une force d'appui conséquente pour faire respecter ses intérêts énergétiques, territoriaux et géopolitiques99(*).

Car, si la stratégie maritime de la Russie contemporaine diffère finalement assez peu de celle de l'URSS, l'intérêt croissant pour la Caspienne est une nouveauté. Dans ces mers « fermées » par des détroits que constituent la mer Noire, la mer Baltique ou la mer du Japon, l'idée de la doctrine maritime est bien d'assurer à Moscou un contrôle suffisant pour lui permettre de se projeter dans « l'océan mondial », théâtre des échanges globalisés. La Caspienne n'est, quant à elle, géographiquement reliée à aucune mer, aucun océan. Pourtant, c'est là que la Fédération déploie sa première frégate. Il s'agit certainement d'une illustration des inquiétudes de Moscou quant à sa sécurité énergétique, mais également d'une quête de puissance, de symbole et de souveraineté.100(*) Frontière entre plusieurs mondes, la Caspienne est alors le théâtre de rivalités aussi bien dans le domaine énergétique que sécuritaire, ainsi que le montre l'initiative CASFOR. Proposée par la Russie en 2005, l'idée de cette force militaire conjointe assurée par les nations riveraines répond directement à l'initiative américaine lancée une semaine plus tôt par Condolezza Rice de créer une Caspian Guard qui viendrait un peu plus confirmer l'influence occidentale dans une région pivot pour la coalition engagée en Afghanistan. Le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Ivanov avait alors annoncé que les affaires concernant la Caspienne devaient se régler entre États riverains, et rejeter toute ingérence occidentale.101(*)

L'exemple de la CASFOR montre que la Russie entend conserver son leadership dans une région en perpétuelle mutation, que la friction des cultures rend hautement instable et évolutive. La nouvelle réforme de l'Etat-major général vient alors compléter ce tableau. Dès le mois de décembre 2010, l'Armée russe adoptera la doctrine des commandements interarmées. Ce qui signifie que, dans chaque district militaire, les forces navales, terrestres et aériennes seront sous l'autorité d'un État-major régional interarmées commun, lui-même rattaché à Moscou. Jusqu'à présent, et hormis durant certaines périodes de crise, les armées russes fonctionnaient chacune avec leur propre commandement, la coordination n'étant possible que ponctuellement et pour une période limitée.102(*) Ce système « traditionnel » a pu révéler ses faiblesses lors des opérations de 2008 en Géorgie, alors que manquaient certains moyens de communication et de commandement, obligeant des chefs d'unités sur le terrain à demander un appui d'artillerie via leur téléphone portable personnel.

La Flottille de Caspienne se retrouve donc intégrée au commandement interarmées (basé à Rostov-sur-le-Don) de la région militaire du Sud-Ouest, comprenant les forces terrestres et aériennes des anciens districts du Caucase Nord et de la Volga, ainsi que la flotte de mer Noire103(*). La prérogative principale de ce nouveau commandement se trouve alors dans le Caucase où, depuis les attentats du début de l'année 2010 dans le métro de Moscou, certains islamistes appellent à la création d'un « émirat du Caucase ». L'interarmisation projette donc la flottille de Caspienne dans un espace stratégique nouveau qui inclut désormais le Caucase. Il est à ce titre clair que les changements à venir témoignent d'une mutation de la situation géostratégique de la Caspienne pour la Russie, avec une meilleure prise en compte des enjeux de l'islamisme caucasien, alors que Moscou « durcit le ton » vis à vis des ambitions nucléaires de Téhéran.104(*)

§2 : La Russie lance un exercice naval en mer Caspienne, avec le conflit du Haut-Karabagh en toile de fond

2. A. La Russie face à ses intérêts dans la Région

S'agissant du Haut-Karabakh, territoire pour lequel se déchirent deux anciennes républiques soviétiques, à savoir l'Arménie et l'Azerbaïdjan, la Russie redoute de devoir s'impliquer militairement. Ce qui pourrait être le cas si jamais le territoire arménien est attaqué par les forces azerbaïdjanaises étant donné que, comme Moscou, Erevan est membre de l'Organisation du traité de sécurité collective [OTSC], qui dispose d'une clause de défense mutuelle.105(*)

Or, le 14 octobre, Bakou a affirmé avoir visé des « sites de lancement de missiles » en Arménie. Ce qu'Erevan a confirmé, tout en niant que ces derniers représentaient une quelconque menace pour l'Azerbaïdjan. Pourtant, une semaine plus tôt, le président russe, Vladimir Poutine, avait assuré que la Russie « ses obligations » dans le cadre de l'OTSC...

Quoi qu'il en soit, hasard ou pas, le ministère russe de la Défense a annoncé, ce 16 octobre, avoir lancé des manoeuvres navales « dans la partie centrale de la mer Caspienne, au nord de la péninsule d'Absheron » ... où est située Bakou. En général, de tels exercices sont planifiés assez longtemps à l'avance. Mais celui-ci vient à point nommé dans la mesure où il pourrait être vu comme un message envoyé à Bakou.106(*)

Si l'ampleur de cet exercice peut sembler modeste, puisqu'il ne concernera que quatre navires, dont les frégates « Tatarstan » et « Daghestan » ainsi que les corvettes « Uglich » et « Velikiy Ustyug », il prévoit en revanche des « tirs d'artillerie et de missiles en mer contre des cibles aériennes et navales dans le cadre d'une force opérationnelle conjointe », des aéronefs du district militaire sud de la Russie devant y prendre part.107(*)

En outre, les quatre navires mobilisés ont tous la capacité de tirer des missiles de croisière Kalibr, dont la version développée pour l'action contre la terre a une portée de 1.400 à 1.500 km.

Cela étant, cet exercice est organisé « dans le cadre d'un contrôle de préparation au combat », « ne présente aucune menace » et de restreint pas l'activité économique des États riverains de la Caspienne », a fait valoir le ministère russe de la Défense.108(*)

2. B. Les raisons des Réformes militaires russes en Caspienne 

Depuis le traité de Gulistan, la Flottille n'avait été qu'une force de garde-côtes. Objectivement, les bouleversements géopolitiques de l'année 1991 ont radicalement changé la donne. On l'a vu, l'apparition d'un nouvel espace régional de rivalités, amplifié par la présence de champs pétrolifères et le flou juridique concernant le statut de la mer sont des arguments majeurs. Mais, au-delà de ces arguments factuels, il convient d'avoir à l'esprit que la naissance de la Fédération de Russie ne postule aucunement la mort d'une représentation soviétique du territoire. Pour reprendre les mots de Marie Mendras, « la Russie est un État qui s'invente sans territoire ».109(*) L'existence préalable du système territorial soviétique supranational postule l'existence d'une Russie bien plus vaste que l'espace contenu dans ses frontières juridiques. Outil de puissance régalienne, les politiques militaires sont le reflet des ambitions nationales. Si Boris Eltsine avait pris le parti de construire cette nouvelle fédération libérale en canalisant la nostalgie des valeurs soviétiques par le biais de la CEI, la politique de Vladimir Poutine se distingue clairement de ces ambitions en privilégiant avec les anciens pays frères une relation ambiguë que la situation ukrainienne illustre parfaitement. Il s'agit d'utiliser dans les anciennes républiques d'URSS devenues indépendantes le potentiel de la communion nostalgique des valeurs soviétiques. Au-delà des questions énergétiques, il s'agit là d'un argument qui a pesé lourd dans la balance des accords de Kharkov (avril 2010), prolongeant le bail militaire russe sur Sébastopol jusqu'en 2042. Bien plus que leurs aspects stratégiques, les bâtiments de la Flotte de mer Noire posent à l'Ukraine la question cruciale de son identité nationale. L'Armée russe représente alors par son potentiel historique et symbolique un outil de communion mémorielle qui dépasse les frontières de la Fédération en affirmant la pérennité des anciennes valeurs de fraternité d'arme.110(*)

Si la question de Sébastopol constitue un cas d'école, ces conclusions peuvent être également utilisées pour comprendre la politique maritime de la Russie en Caspienne. Dépositaire d'un lourd héritage fait de conquêtes, d'expansion puis de paix impériale, la Flottille de Caspienne constitue l'un de ces instruments par lesquels la Russie entend dépasser ses frontières juridiques pour investir les territoires où les symboles de l'histoire lui confèrent une place à part111(*). Au carrefour des mondes caucasien, slave, turcophone, iranophone et centre-asiatique, la mer Caspienne est redevenue pour Moscou cette plateforme stratégique qu'elle était avant 1813. C'est-à-dire une tête de pont géopolitique que les intérêts économiques et énergétiques viennent confirmer, notamment face aux politiques occidentales et aux fanatismes islamistes.

2. C. l'affirmation du leadership russe en Caspienne

L'avantage russe est aussi militaire. En effet, bien que le communiqué final du dernier sommet de la Caspienne réaffirme l'exclusivité accordée aux cinq Etats côtiers dans la poursuite d'activités militaires, Moscou, notamment par la force de ses frappes balistiques tirées depuis la Caspienne en Syrie, fait état de sa puissance. 

Concernant la Syrie, la flotte russe est surtout symbolique, d'autant plus que l'utilisation depuis août 2016 de la base iranienne de Hamadân - située au nord-ouest - pourrait marquer la fin de ces frappes plus efficaces en termes de stratégie militaire et moins dispendieuses. Notons toutefois qu'au moment où les avions russes décollaient du nord-ouest iranien, la flotte russe en Caspienne s'est livrée à des exercices dans la partie sud-ouest de la mer112(*).

Deux enseignements ressortent des tirs en Caspienne et de l'autorisation sans précédent depuis l'instauration de la République islamique donnée pour l'utilisation d'une de ses bases par une puissance étrangère.

Tout d'abord, ceci prouve la supériorité navale russe  en mer Caspienne.  La course aux armements, évoquée par plusieurs auteurs comme « militarisation de la Caspienne », n'en est pas vraiment une. Si tous sont engagés dans des programmes de coopération militaires, les Etats côtiers hors Russie ne disposent que de matériels légers, destinés principalement aux interventions d'urgence, à la lutte contre le terrorisme ou la préservation des ressources marines. Les efforts iraniens, à l'image du déploiement en 2013 d'un destroyer Jamaran-2 et la mise en service prochaine en Caspienne d'un sous-marin de classe Fateh, d'un tonnage relativement faible (600t), ne bouleversent pas cet équilibre.113(*)

En second lieu, ces évolutions marquent un déplacement du centre de gravité de la capacité militaire russe vers le sud. Ce Sud, continuité d'un axe géopolitique historiquement stratégique pour la Russie, c'est-à-dire les axes fluviaux Volga-Don-Dniepr, qui ont permis aux guerriers Varègues de s'installer dans les régions russes, allant des mers Noire et Caspienne jusqu'à la Baltique, nécessite une attention militaire. De par le conflit syrien, mais aussi depuis le retrait des troupes de la coalition d'Afghanistan, suivi de déclarations et d'actions en direction de l'Afghanistan - par exemple à travers l'arrivée de nouvelles troupes russes au Tadjikistan ou la création d'une force d'intervention commune des pays de la Communauté des Etats Indépendants (CEI). D'autres questions plus transversales expliquent l'intérêt russe, comme la progression du salafisme en Asie centrale, différents trafics - des opiacés par exemple - ou les migrations.114(*)

Il est évident de souligner que la crise syrienne conforte l'importance stratégique que revêt la mer Caspienne pour la Russie. En outre, les déploiements militaires, d'abord au large des côtes iraniennes puis dans la base d'Hamadân, tous deux durables, redessinent le rapport de force entre les cinq Etats littoraux de cet espace, au profit, peut-il sembler, d'une division entre Moscou et Téhéran. Le régime légal de la Caspienne recoupant les priorités russes, le rapport de force naval ainsi que les sujets géopolitiques en cours et à suivre plaident pour une telle interprétation. 115(*)

* 83Gabriel Wackerman, la Russie en dissertations corrigés et dossiers, Paris, Ellipses, 2007, p. 76.

* 84Gabriel Wackerman, La Russie en dissertations corrigés et dossiers, Paris, Ellipses, 2007, p. 75.

* 85 Christian Bataille et  Henri RevolRapport sur les incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France entre 1960 et 1996 et éléments de comparaison avec les essais des autres puissances nucléairesAssemblée nationale, 5 février 2001, 248 p., p. 155

* 86S. Rosefielde, Back to the Future? Prospects for Russia's Military Industrial RevivalOrbis, septembre 2001, p. 10.

* 87David Maxwell Owens Miller (trad. de l'anglais), L'Équilibre militaire des superpuissances : la confrontation Est-Ouest, comparaison entre les armements de l'Alliance atlantique et ceux du Pacte de Varsovie [« Balance of military power »], Paris, Bordas, coll. « Grands conflits », 1985, 207 p.

* 88Isabelle Facon, « Le nucléaire dans la politique de défense russe », Les cahiers de Mars, no 203,? mars 2010 

* 89Hans M. Kristensen, Robert S. Norris,  « Russian nuclear forces, 2011 », sur  Bulletin of the Atomic Scientists, mai 2011 (consulté le 10 octobre 2021 à 15h)

* 90The Military Balance 2017. The Annual Assessment of Global Military Capabilities and Defence Economics, International Institute for Strategic Studies, p. 191.

* 91Elbridge Colby : « Russia's Evolving Nuclear Doctrine and Its Implications »., p. 5 et p. 6.

* 92Hans M. Kristensen, Robert S. Norris : « Russian Nuclear Forces, 2015 », Bulletin of the Atomic Scientists, vol. 71, n° 3, 2015, p. 84-97, p. 84.

* 93Michael R. Gordon : « Russia Deploys Missile, Violating Treaty and Challenging Trump », The New York Times, 14 février 2017.

* 94Dmitry Adamsky : « Cross-Domain Coercion: The Current Russian Art of Strategy », Proliferation Papers, IFRI, novembre 2015, n° 54, p. 13 et p. 14.

* 95Yuri E. Federov : « Russia's Nuclear Doctrine », NIDS International Symposium on Security Affairs, Tokyo, National Institute for Defense Studies, 2010, p. 54, cité par Elbridge Colby, « Russia's Evolving Nuclear Doctrine and Its Implications », Notes de la FRS, Fondation pour la recherche stratégique, n° 01/2016, 12 janvier 2016, p. 6-7.

* 96Georges Sokoloff : La puissance pauvre. Une histoire de la Russie de 1815 à nos jours ; Paris, Fayard, 1996, p. 606-614.

* 97David Holloway : Stalin and the Bomb. The Soviet Union and Atomic Energy, 1939-1956 ; New Haven, Yale University Press, 1994.

* 98M. Barabanov, « Prospects of Nuclear Submarines Building in the 21st Century », Yaderny Kontrol, n° 2, vol. 10, p. 143.

* 99M. Khodarenok, « Kremlin's New Peace Initiative », Nezavisimoye Voennoye Obozrenie, n° 43, 17-23 novembre 2000, p. 1.

* 100A. Korbut, « The Security Council Has Approved the Proposals of the General Staff », Nezavisimaya Gazeta, 15 août 2000, p. 3.

* 101Général Yesin, entretien, Yaderny Kontrol, n° 2, vol. 6, mars-avril 2000, p. 33.

* 102I. Safronov, « Russia Plays Nuclear War », Kommersant, 30 janvier 2004, p. 4.

* 103S. Sokut, « Through Nuclear Sight », Nezavisimoye Voennoye Obozrenie, n° 37, 18-24 octobre 2002, p. 6.

* 104S. Sokut, « A Balkan Scenario Has Been Stopped » Nezavisimaya Gazeta, 20 avril 2000, p. 5.

* 105Cf. « The Military Doctrine of the Russian Federation », Nezavisimaya Gazeta, 22 avril 2000, p. 5.

* 106 « Démonstration navale russe depuis la Caspienne », sur Le fauteuil de Colbert, 8 octobre 2013 (consulté le 10octobre 2021 à 19h 30' ).

* 107ZHIZNIN, Stanislav, « Legal mazes of the Caspian », Oil of Russia, n°2, 2012.

* 108TSERTSVADZE Tika, « The South Caucasus and Central Asia », EUCAM, n°4, juillet 2012.

* 109MUZALEVSKY, Roman, « Turkmenistan's Naval Plans: Promoting its Maritime and Energy Interests », Eurasia Daily Monitor 7, n° 31, 16 Février 2010.

* 110MOUSAVI, Seyyed Raoul, « The Future of the Caspian Sea after Tehran Summit », The Iranian Journal of International Affairs, n°1-2, Hiver-Printemps 2008-09.

* 111MAKARYCHEV, Andrey, « The Caspian Region, Local Dynamics, Global Reverberations », PONARS, Eurasia Policy Memo, n°139, mai 2011.

* 112MAGOMEDOV, Arbakhan, « Russia's Policy Toward the Caspian Sea Region and Relations with Iran », Russian analytical digest, n°6, Septembre 2006.

* 113LARUELLE, Marlène, PEYROUSE, Sébastien, « The Militarization of the Caspian Sea: «Great Games» and «Small Games» Over the Caspian Fleets », China and Eurasia Forum Quarterly 7, n°2, 2009.

* 114BINNIE, Jeremy, « Iran threatens to deploy subs to the Caspian Sea », in Jane's Defence

Weekly 49, n°33, août 2012.

* 115Idem

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote