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Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

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par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

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II. Le déroulement de la justice respectueux du modèle démocratique du procès pénal

La Cour spéciale, comme les autres juridictions pénales internationales (TPIR, TPIY et CPI) privilégie un modèle mixte de procédure. Elle prend en compte des éléments caractéristiques de la procédure accusatoire qu'elle allie à ceux de la procédure inquisitoire. Cette mixité se remarque à la phase préalable au procès qui est plutôt de type inquisitoire (A) et au procès proprement dit, qui lui, est de type accusatoire (B).

A. La phase préalable au procès : une procédure inquisitoire dominée par le Procureur

Bien que la procédure utilisée par les juridictions pénales internationales soit dominée par les principes du Common Law, la phase de l'enquête préalable est exclusivement confiée au Procureur (1) et doit être clôturée par une instruction à charge et à décharge (2).

1. Une enquête préalable sous le contrôle exclusif du Procureur

La phase préalable au procès peut être considérée comme le stade de la procédure située entre l'inculpation et la première comparution au procès de fond devant l'organe juridictionnel. C'est la période où le dossier d'accusation est composé et où le Procureur mène la plupart de ses enquêtes. Il est responsable des enquêtes et de l'instruction des procès195(*). Il a un large pouvoir d'initiative et d'appréciation, ce pouvoir n'a aucune limite : il ouvre l'enquête, entreprend des mesures d'enquête et décide de la poursuivre ou non les personnes qu'il soupçonne. Pour ouvrir l'enquête, celui-ci doit vérifier s'il a en sa possession des éléments suffisants lui permettant de soupçonner une personne d'avoir participé à la commission des violations graves des droits de l'Homme. Il n'appartient donc pas à la victime d'intenter une action populaire pour attraire devant une juridiction toute personne soupçonnée d'avoir commis des crimes de guerre, de même qu'aucune autosaisie n'est possible de la part des juges de l'organe judiciaire.

Les mesures d'enquête sont de plusieurs ordres : ce sont des mesures attentatoires à la liberté et à la vie privée des personnes ; il s'agit de actions précises en vue de recueillir, obtenir ou conserver des éléments de preuve qui serviront à démontrer la responsabilité ou l'innocence de la personne poursuivie. Traditionnellement, l'on distingue deux sortes d'approches en matière de mesures d'enquête entreprises par les procureurs des institutions pénales internationales : une approche interventionniste qui consiste en une action directe du Procureur sans contrôle juridictionnel ou autorisation étatique. C'est celle qui est utilisée par les Tribunaux pour l'Ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. La seconde approche quant à elle est respectueuse de la souveraineté étatique, elle s'inspire de la pratique de coopération judiciaire internationale. Elle est utilisée par le Procureur de la CPI. La Cour spéciale quant à elle opère une synthèse entre les deux approches, c'est-à-dire que le Procureur, à travers l'Organe d'administration judiciaire196(*) requiert la coopération des Etats (en occurrence les Etats tiers) et des organismes de coopération policière internationale (comme INTERPOL par exemple) en même temps qu'utilise une approche interventionniste.

Les mesures d'enquête proprement dites consistent, comme le prévoit la Règle 39 des RPP de la Cour spéciale, en l'interrogatoire des suspects, l'audition des témoins et des victimes, la collecte des preuves et la conduite des investigations sur le site197(*). Il peut, dès qu'il juge nécessaire, prendre des mesures nécessaires en vue de préserver l'intégrité des personnes poursuivies et des preuves ; ces mesures peuvent consister à demander à l'organe juridictionnel de prendre toutes les ordonnances et mandats nécessaires à la poursuite de son enquête. En ce qui concerne les mesures d'enquête interventionnistes, la Cour siégeant in loco et jouissant d'une supériorité sur les juridictions locales, les demandes du Procureur doivent être traitées sans délai et les mandats de la Cour exécutées avec le concours de l'Avocat général près la Cour suprême de Sierra Léone. Les mesures d'enquête sont prises sans contrôle juridictionnel préalable.

La décision de mise en détention provisoire des personnes soumises à l'enquête peut être prise par le Procureur. A ce stade, elles bénéficient des garanties fondamentales qui peuvent s'élargir au fur et à mesure que leur inculpation et leur mise en accusation se produisent. Pendant que les TPI ne se bornent qu'à la prise en compte des droits des suspects et accusés, la Cour spéciale et la CPI intègrent d'autres degrés de protection. Il s'agit entre autres le droit pour les accusés à ne pas être obligés de s'auto incriminer ou de s'avouer coupables, de leur droit à ne pas être soumis à la menace, la moindre coercition ni à la torture, aux traitements cruels inhumains ou dégradants198(*), de leur droit à être assistés d'un avocat de leur choix, lequel avocat sera présent à chaque fois que le Procureur décide de les entendre et enfin de leur droit d'être assistés par in interprète gratuit199(*).

Conformément à la Règle 40 (A) des RPP de la Cour spéciale, le Procureur peut, en cas d'urgence, demander à un Etat de procéder à l'arrestation d'un suspect et de le mettre en détention. Cette mise en détention obéit à des règles très strictes. Toute personne est privée de liberté si celle-ci peut lui servir à empêcher la justice de suivre son cours. C'est-à-dire que la mise en détention se justifie lorsque l'on craint raisonnablement que le suspect puisse fuir, soustraire des éléments de preuve, faire pression ou influencer les témoins. La demande de mise en détention est adressée par le Procureur au juge compétent dans un délai de dix jours après l'arrestation du suspect. Le juge peut décider de ne pas mettre cette personne en détention lorsqu'il juge que l'incarcération est inappropriée et si le délai de dix jours est dépassé [Règle 40 (C)]. Lorsque le Procureur juge nécessaire de maintenir en détention plus longtemps la personne suspectée et qu'il y a assez d'éléments permettant sa mise en détention provisoire, le Procureur fait la requête au juge de siège dans les 30 jours qui suivent sa transmission au pénitencier de la Cour spéciale, ou d'une autre prison agrée[Règle 40 bis (C)]. Si la demande de mise en détention provisoire est accordée par le juge, celle-ci ne peut excéder 90 jours. Passé ce délai, la partie poursuivant décide, soit de libérer le suspect soit de l'inculper définitivement. Après l'inculpation, l'accusé est présenté aux juges pour l'audience de première comparution, marquant ainsi le début de la seconde étape avant le début de la procédure au fond.

La seconde phase de l'instruction intervient après l'inculpation formelle de la personne soupçonnée ; celle-ci quitte la position de simple témoin ou de témoin assisté200(*) à celle d'accusé ou de mise en examen. La personne mise en examen est présentée dans les plus brefs délais devant le juge compétent. Pendant cette audience, le juge vérifie que les droits de l'accusé sont jusqu'à ce stade respectés et procède à la lecture des chefs d'inculpation qui sont retenus contre lui. Cette lecture doit être faite de telle sorte que l'accusé comprenne de quoi il s'agit, c'est-à-dire que la traduction doit être faite de manière instantanée lorsque l'accusé ne comprend pas l'Anglais. L'accusé aura alors, la possibilité de plaider « coupable » ou « non coupable » pour chacun des chefs d'accusation (Règle 61 iii). Le juge de fond demandera au Greffier de fixer une date pour le procès dans le cas où l'accusé plaide « non coupable ».

Si l'accusé plaide « coupable », le juge doit s'assurer que cette déclaration est éclairée, c'est à dire si l'accusé a bien compris les faits qui lui étaient reprochés et qu'il ait reçu préalablement le conseil de son avocat. La déclaration doit être faite librement, sans aucune contrainte et sans équivoque. La Chambre de jugement pourra alors, se réunir et déterminer la recevabilité de cette déclaration et le cas échéant, fixer une date pour le prononcé de la sentence201(*).

L'ouverture de la phase d'instruction se traduit juridiquement par une nouvelle garantie des droits de la personne poursuivie et des obligations incombant au Procureur en ce qui concerne la recherche et la transmission des preuves.

2. Une instruction menée à charge et à décharge

Le degré de protection des personnes en relation avec les juridictions pénales évolue au fur et à mesure que l'étape des audiences au fond approche. En effet, les personnes soumises à l'enquête ne disposent que des garanties relatives à leur intégrité physique et ne disposent pas généralement du droit à disposer d'un conseil. Cependant, dès l'inculpation, chaque interrogatoire de l'accusé est filmé et enregistré et ne peut se faire en l'absence de son avocat202(*). La Règle 43 des RPP de la Cour spéciale règlemente strictement les interrogatoires : elle prévoit que le Procureur doit impérativement avertir l'accusé que son interrogatoire est filmé et enregistré (Règle 43 § 1), lui fournir une copie de la cassette qui sera transcrite et dont l'original sera mis dans une enveloppe scellée par le sceau du Procureur et sa signature (Règle 43 § 2 et suivants).

Le système juridique du Common Law, par son caractère accusatoire, ignore l'existence d'un magistrat instructeur qui serait chargé de mener l'instruction à charge et à décharge. Il appartient à chacune des parties de réunir ses éléments de preuve pour les présenter devant le juge en audience au fond. Toutefois, eu vu des moyens considérables dont dispose le ministère public, il peut lui arriver d'être en possession des éléments qui pourraient servir à disculper l'accusé, ou du moins, pourraient lui être d'un apport capital dans sa défense. Etant donné que le système accusatoire s'apparente à un duel judiciaire entre deux adversaires203(*), l'on serait tenté de penser que le Procureur puisse opérer un tri entre les éléments de preuves et ne conserver que celles qui iront dans l'intérêt de ses arguments. A vrai dire, il n'en est rien, car, le Procureur a l'obligation de transmettre tous les éléments de preuve en sa possession aux avocats de la défense. La section 3 des RPP de la Cour spéciale intitulée « Production of Evidence » règlemente cette transmission du dossier qui concerne aussi bien la partie défenderesse que la poursuivante.

En ce qui concerne le Procureur204(*), il doit, trente jours au moins avant la première audience, transmettre à la partie adverse tous les actes, noms des témoins et copie des documents qu'il compte utiliser. Pour toutes les autres preuves qui seront recueillies après la première transmission, le Procureur a l'obligation de les faire suivre pas plus tard que dans un délai de 60 jours avant l'ouverture de la prochaine audience. Dans le cas où l'intervalle entre les audiences serait inférieur à ce délai, le juge de fond décidera de fixer un délai raisonnable pour que tous les éléments soient transmis par le Procureur à la partie défenderesse. En ce qui concerne les informations qui pourraient mettre en péril la sécurité de l'Etat, l'intérêt d'autres enquêtes en cours ou tout simplement l'intérêt général205(*), le juge siège à huis clos sous la demande du Procureur pour maintenir ces informations au secret.

Pour sa part, l'accusé a l'obligation de transmettre au Procureur un dossier qui comporte tous les éléments (témoins, preuves matérielles, documents, etc.) qu'il compte présenter à l'audience de fond pour sa défense206(*). Si l'accusé, lors de la transmission de ce dossier au Procureur, « omet » d'y inclure une ou plusieurs pièces, il ne peut être empêché de les présenter devant la Cour. Ensuite, les avocats de la défense doivent, dans un délai que les RPP ne précisent pas [Règle 67 (C)], transmettre au Procureur un « Defense Case Statement207(*) », document qui comporte qui présente en termes généraux la défense de l'accusé, l'indication des éléments de l'accusation qu'il conteste et les raisons de cette contestation. Cette présentation sommaire de la défense de l'accusé est nécessaire pour la préparation des conférences préliminaires aux audiences et à la transmission des documents à décharge par le Procureur.

Les preuves à décharge son transmises par le Procureur à la défense au plus tard 14 jours après la réception du « Defense Case Statement » ; il s'agit des éléments que le procureur juge pertinents pour la présentation de la défense de l'accusé (Règle 68), c'est-à-dire des éléments à sa disposition et « dont il estime qu'ils disculpent l'accusé ou tendent à le disculper ou à atténuer sa culpabilité, ou sont de nature à atténuer la crédibilité des éléments de preuve à charge208(*) ». L'obligation permanente de transmission des éléments de preuve n'est pas une obligation synallagmatique209(*) dont l'omission par l'une des parties déchargerait l'autre partie de les remplir. Cette exigence pèse avec plus d'acuité sur le Procureur qui doit transmettre les preuves y compris pour les audiences en appel et peut jouer sur l'appréciation de la recevabilité de la preuve concernée par le juge du fond210(*). Plus encore, la non transmission des éléments de preuve qui s'avèrent cruciales pour la disculpation de l'accusé peuvent conduire à la réouverture du procès211(*).

Soumettre la pertinence ou la nécessité d'une preuve pour l'accusé à l'appréciation du Procureur pourrait être considéré comme une rupture grave du principe de l'égalité des armes entre les parties devant le juge. En effet, suspendre la présentation des éléments de preuve à décharge à l'arbitraire du Procureur est un risque de voir ce dernier retenir de manière déloyale certaines preuves qui pourraient entraver le développement de ses arguments devant la juridiction au fond. Il aurait été plus judicieux pour les rédacteurs des RPP de la Cour de prévoir une transmission complète de toutes les trouvailles du Procureur à la partie défenderesse. L'on éviterait alors, des omissions volontaires ou involontaires, de bonne ou de mauvaise foi du Procureur qui ne serait pas en mesure de prévoir la stratégie de la défense à la seule lecture du Defense Case Statement.

L'obligation de transmission réciproque des preuves, témoins et autres moyens de défense avant l'ouverture de l'audience est une expression de la protection des droits de la défense et du principe de l'égalité des armes, gages d'un procès équilibré.

* 195 RPP de la Cour spéciale, règle 37 ; Statut CPI, art 53 § 1 ; RPP TPIY, règle 18 § 1 et RPP TPIR, règle 17 § 1.

* 196 Conformément aux stipulations de la Règle 56 des RPP de la Cour spéciale.

* 197 Il en va de même des provisions des articles 18 § 2 et 17 § 2 des RPP des TPIY et TPIR respectivement.

* 198 Tels que définis par l'article premier de la Convention des Nations unies relative à l'interdiction de la torture, des peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984.

* 199 Règle 42 des RPP de la Cour spéciale, de même que l'article 55 § 1 du Statut de Rome.

* 200 Notamment lorsque le témoin est assisté d'un avocat. Il y a déjà des éléments graves et concordants qui peuvent être retenus contre lui.

* 201 Règle 62 des RPP de la Cour spéciale intitulée « Procedure upon Guilty Plea ».

* 202 La Règle 63 des RPP de la Cour prévoit que l'accusé ne peut être interrogé en dehors de la présence de son avocat que lorsqu'il le demande expressément. Cette demande doit être faite de manière solennelle être enregistrée pour les fins de la procédure à suivre.

* 203 Avec d'une part le Procureur représentant les intérêts de la société (ici, la communauté internationale et l'humanité tout entière) et d'autre part l'accusé.

* 204 Règle 66 des RPP de la Cour spéciale.

* 205 La notion d'intérêt général n'est pas ici définie par les rédacteurs des RPP de la Cour. L'on pourrait craindre que le Procureur s'engouffre dans cette brèche pour ne pas transmettre des éléments de preuve à l'accusé. La diligence du juge de fond servirait alors de rempart à cet éventuel abus.

* 206 Règle 67 des RPP de la Cour spéciale.

* 207 Ou descriptif des prétentions de la défense. Pour la suite de nos développements, nous utiliserons l'expression en Anglais pour lui faire garder le sens originel que notre traduction personnelle ne saurait couvrir efficacement.

* 208 Article 67 § 2 du Statut de Rome.

* 209 Anne-Marie LAROSA, Les juridictions pénales internationale : la procédure et la preuve, op cit, Page 135.

* 210 Voir TPIY, affaire BLASKIC.

* 211 C'est notamment ce qui découle de l'affaire Prosecutor Vs FURUNDZIZA, cas n° IT-95-17 du 16 juillet 1998.

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