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Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

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par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

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INTRODUCTION GENERALE

La justice transitionnelle, en tant que discipline, est une branche du droit assez récente et méconnue du public. Pourtant, elle a été pratiquée dans bien de sociétés sortant d'un conflit armé ou de toute autre situation de troubles. Elle peut être définie comme l'ensemble des mécanismes mis en oeuvre par une société pour affronter un passé marqué par des violations graves des droits de l'homme. Il peut s'agir d'un conflit armé, d'une dictature ou d'un évènement assez marquant auquel il faut donner des réponses.

D'abord, les pouvoirs publics, afin d'obtenir la paix sociale, peuvent prescrire l'oubli de telles violations, d'assurer ainsi l'immunité aux dirigeants afin qu'ils acceptent de quitter le pouvoir, et de restaurer l'état droit. Cette immunité peut aussi s'adresser aux groupes rebelles pour obtenir la cessation des hostilités. C'est le choix qui est souvent fait par la plupart des acteurs. C'est ainsi qu'en Argentine, au Chili ou dans d'autres pays sortant des dictatures, des lois d'amnistie ont été votées avant de nouvelles élections démocratiques.

La société internationale, les organisations de la société civile et les défenseurs des victimes ont vite trouvé cette parade insuffisante. Depuis la chute du mur de Berlin, une nouvelle idée a germé : c'est celle de faire répondre de leurs actes les responsables des violations graves des droits de l'homme. Des requêtes ont été remplies par les associations des victimes pour faire traduire devant les tribunaux tous ceux qui ont commis des exactions1(*). Les Etats eux aussi ont compris qu'ils ne pouvaient plus se satisfaire de la paix obtenue au prix de l'impunité. La création des deux tribunaux pénaux ad hoc2(*) et l'adoption du Statut de Rome3(*) sont les exemples les plus significatifs.

Sortant d'une situation qui a été le théâtre des violations des droits de l'homme, il n'y a plus de raisons de prétendre à une immunité complète. Les responsables des violations graves des droits de l'homme doivent donc répondre de leurs actes, que ce soit devant une juridiction nationale ou internationale. Pourtant, cette réponse purement pénale s'avère insuffisante, lorsqu'il faut reconstruire un tissu social détruit et restaurer la paix nationale. Les valeurs autrefois bafouées par les atrocités doivent être rétablies. La problématique de la réconciliation des groupes sociaux autrefois ennemies et qui devront vivre ensemble nécessite des mécanismes de guérison collective. Les victimes ont le plus souvent besoin d'éprouver un sentiment de justice pour être à mesure de pardonner à leurs bourreaux. La recherche de la vérité et l'écriture de l'histoire commune sont nécessaires pour identifier les causes profondes du conflit afin d'éviter la répétition des faits et le retour du chaos. C'est pourquoi, l'expérience sud-africaine est particulièrement intéressante ; il faut créer un espace où les victimes et les bourreaux pourront croiser leurs récits des faits. Qu'il s'agisse d'une Instance Equité et Réconciliation comme au Maroc, d'une Commission Vérité et Réconciliation comme en Afrique du Sud et au Ghana et en Sierra Leone, les victimes et les coupables doivent pouvoir disposer d'une tribune pour que chacun puisse témoigner de son expérience afin d'établir la vérité, voire que le pardon puisse en émerger.

La Sierra Léone, petit pays d'Afrique de l'Ouest d'environ 6 millions d'habitants4(*), a connu depuis son indépendance obtenue le 27 avril 1961 une relative stabilité marquée par quelques crises politiques de moindre ampleur. Mais la décennie 1991-2002 fut particulièrement sanglante. Le pays traverse alors une guerre civile sans précédent qui a fait de nombreuses victimes et a été le théâtre de violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire. Tant du côté des forces gouvernementales, des milices ou des rebelles, les combattants se sont rendus responsables d'enlèvements, d'exécutions sommaires, d'amputations, de viols systématiques, d'enrôlement forcé d'enfants soldats, d'esclavage sexuel, de destruction ou d'appropriation illicite de biens des populations civiles... causant ainsi de milliers de morts et de déplacés vers l'extérieur et à l'intérieur du pays. Certaines de ces exactions ont même été attribuées à des membres des forces internationales d'interposition5(*).

Le conflit prendra momentanément fin avec la signature le 7 juillet 1999 de l'Accord de paix de Lomé entre le gouvernement et le responsable de la principale force rebelle, le RUF6(*) sous les bons offices du président togolais GNASSIMGBE Eyadéma, alors président en exercice de l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Cet accord, signé en présence du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies précise les conditions de retour à la paix, notamment le vote par le Parlement d'une loi d'amnistie, l'organisation des élections, la refonte des institutions et la participation des membres du RUF, transformé en parti politique, à un gouvernement d'unité nationale7(*).

La loi d'amnistie prévoyait le pardon de toutes les exactions commises par les protagonistes du conflit jusqu'à la signature dudit accord8(*). Le Représentant des Nations unies y a apposé une mention précisant que l'Organisation ne reconnaîtrait pas une amnistie couvrant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

L'Accord de Lomé prévoyait aussi la création d'une Commission Vérité et Réconciliation9(*) (CVR) qui sera chargé de recueillir des témoignages des victimes et des perpétrateurs d'atrocités afin de mettre à jour la vérité historique sur les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire durant le conflit armé en Sierra Leone du début du conflit en 1991 à la signature de l'accord de paix de Lomé, de lutter contre l'impunité, faire face aux besoins des victimes, de promouvoir la réconciliation et de prévenir la répétition de telles violations10(*).

L'Accord de paix de Lomé, à l'instar de celui d'Abidjan de 1996, ne tiendra pas longtemps. Le kidnapping en mai 2000 de 500 soldats de la paix des Nations unies par les forces du RUF et les désaccords au sein du gouvernement pousseront Foday SANKOH à reprendre le maquis, intensifiant ainsi le conflit qui ne prendra fin qu'avec la signature d'un ultime cessez-le-feu en novembre de la même année suite à l'intervention des forces de la Royal Navy britannique qui ont libéré les otages11(*).

Le 16 janvier 2002, le gouvernement sierra léonais signe avec les Nations unies un accord prévoyant la création d'une Cour spéciale pour la Sierra Leone dont le mandat est de poursuivre ceux qui ont la plus grande responsabilité dans les violations graves du droit international humanitaire et de la législation sierra léonaise, sur le territoire sierra léonais depuis le 30 novembre 199612(*), date marquant l'échec de l'accord d'Abidjan. Le tribunal sera composé de juges sierra léonais et internationaux et siègera à Freetown.

L'exemple de la Sierra Léone est à bien des égards un modèle particulier de mise en oeuvre des mécanismes de justice transitionnelle, autant dans la création et la composition d'un organe répressif ad hoc que dans son fonctionnement concurrent avec la Commission Vérité et Réconciliation. Le choix de lutter contre le règne de l'impunité est ici associé aux impératifs, d'une part, de guérison et de réconciliation du peuple sierra léonais et, d'autre part, de reconstruction d'une société de bonne gouvernance et d'un Etat de droit.

Au moment où les efforts de la société internationale en matière de lutte contre l'impunité portent leurs fruits13(*) et que l'Organisation des nations unies (ONU) est entrain de repenser ses stratégies d'approche en matière de maintien de la paix et de justice transitionnelle14(*) ; pendant que la plupart des pays africains en phase de transition mettent en place leurs institutions, l'expérience de la Sierra Léone, reconnue par la plupart des observateurs comme un modèle de mise en oeuvre réussie, mérite une étude critique pour en tirer les leçons.

Une société qui, comme la Sierra Léone sort d'un conflit ayant particulièrement déshumanisé une frange importante de la population a besoin de réponses adéquates pour se reconstruire, assurer la sécurité des populations et éviter la résurgence de nouvelles violences. Il est donc indispensable de s'intéresser aux réponses qu'il faut apporter à ce genre de situation pour fonder les bases d'un nouveau vivre ensemble. En d'autres termes, que faut-il faire, dans une société dont les valeurs morales ont été pendant plusieurs années bafouées, pour retisser un lien social qui n'existe plus ? Quelles mesures doit-on prendre pour assurer d'une part aux victimes et déplacés une réintégration dans leur société libérée de violences et empreinte de justice et, d'autre part, de permettre à ceux qui se sont rendus coupables d'exactions envers la population et l'Etat d'assumer leurs actes et de participer aux cotés de leurs compatriotes à la reconstruction ?

Seule la justice semble aujourd'hui capable de répondre à toutes ces préoccupations car on ne peut en effet pas prétendre à une paix durable sans justice. La justice à mettre en place dans un processus de reconstruction post conflictuelle doit être globale ; c'est-à-dire, qu'elle doit, autant que possible, prendre en considération les besoins de la population dans son ensemble.

En même temps que les autorités s'attèlent à poursuivre ceux qui ont perpétré des atrocités au moyen d'une procédure de justice pénale (première partie), ils doivent aussi permettre aux victimes et à l'ensemble de la communauté de réintégrer une société saine et paisible au moyen d'une procédure de justice réparatrice (deuxième partie).

* 1 Il a ainsi été le cas de Pinochet et de l'abrogation en Argentine de la loi d'amnistie qui couvrait les anciens dictateurs. L'on a aussi assisté à des actions intentées contre Hissen Habré, mais sans obtention des effets escomptés.

* 2 Résolution 827du Conseil de Sécurité (1993) créant le Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie (TPIY) et la résolution 955 (1994) pour le Tribunal pénal International pour le Rwanda (TPIR).

* 3 Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI) du 17 juillet 1998.

* 4 Estimation de l'UNICEF (Fonds des Nations unies pour l'enfance) en 2004: 5 336 000 habitants.

* 5 L'ECOMOG (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group, ou Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Communauté Economique d'Afrique de l'Ouest), la force ouest africaine d'interposition composée en majorité de soldats nigérians et guinéens aurait commis des exactions lors de leur entrée à Freetown en 1998 (voir le rapport de Human Rights Watch, «"We'll kill you if you cry " : sexual violence in the Sierra Leone conflict », vol. 15 N°1(A), janvier 2003)

* 6 RUF: Revolutionnary United Front de Foday SANKOH.

* 7 Foday SANKOH était vice-président de la république et président du Comité national de gestion de ressources stratégiques.

* 8 L'article 9 de l'accord prévoit le vote d'une loi qui devait garantir "an absolute and free pardon and reprieve to all combatants and collaborators in respect of anything done by them in pursuit of their objectives, up to the time of the signing of the present agreement "

* 9 En Anglais Truth and Reconciliation Commission (TRC), qui a finalement été la seule institution de l'accord de Lomé à subsister.

* 10 C'est ce qui ressort en substance de l'article 6 de la troisième partie de la loi de 2000 établissant la Commission Vérité et Réconciliation.

* 11 Les 800 soldats britanniques ont été suppléés dès le printemps 2000 par la plus grande force de maintien de la paix de l'histoire des Nations unies, la United Nations Mission in Sierra Leone (UNAMSIL) qui comptait plus de 17 mille hommes et avait un budget annuel de plus de 700 millions de dollars lorsqu'elle a atteint son maximum de personnel. Voir: http://un.org/Depts/dpko/missions/unamsil/facts.html

* 12 L'article 1 de l'accord stipule en son paragraphe premier que : «there is hereby established a Special Court for Sierra Leone to prosecute persons who bear the greatest responsibility for serious violations of international humanitarian law and Sierra Leonean law committed in the territory of Sierra Leone since 30 November, 1996»

* 13 En effet, depuis la chute du mur de Berlin, la communauté internationale a connu des avancées significatives sur le chemin de la lutte contre l'impunité. La création des tribunaux pénaux ad hoc, l'adoption du Statut de Rome, l'arrestation et le transfert de Charles TAYLOR à La Haye ainsi que de multiples actions menées contre d'autres présumés criminels de guerre au Timor et en Amérique du SUD sont là des exemples les plus significatifs.

* 14 Voir notamment les rapports du Secrétaire général des Nations unies « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous » et « Rétablissement de l'Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit », soumis à l'Assemblée générale et au Conseil de sécurité.

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