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Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

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par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

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Section 2 : Juger ceux qui « portent la plus grande responsabilité »

L'élément qui caractérise le mieux la justice transitionnelle et la différencie des autres types de justice plus classique est le compromis dont elle fait preuve. Mettre en oeuvre les mécanismes de justice transitionnelle, plus encore lorsqu'il s'agit des poursuites pénales nécessite de prendre en compte les buts ultimes qui sont : la prévention d'autres violations graves des droits de l'Homme dans le futur et la construction d'une société paisible et respectueuse du droit. En ce qui concerne la Sierra Léone, il était important de réserver le processus de répression pénale à un nombre restreint de personnes en se concentrant sur ceux qui sont le plus responsables des violations des droits de l'homme. Si cette restriction vise à concilier justice et paix (I), la définition des faits tombant sous la juridiction de la Cour devrait être rigoureuse (II).

I. Une restriction pour concilier justice et paix

La conciliation de la justice et de la paix passe dans un premier temps par la définition de la notion de plus grande responsabilité (A) et de la restriction des mesures d'amnistie (B).

A. Notion de plus grande responsabilité

Lors de l'adoption des Statut de la Cour spéciale, il y a eu un débat très important autour de deux terminologies : « la plus grande responsabilité » et « les plus responsables221(*) ». Ces débats auront permis de définir la responsabilité en fonction de la position qu'ils ont occupée (1) avec tout de même une nuance pour les enfants soldats (2).

1. La position occupée par le poursuivi

La droit pénal, et plus encore au niveau international a pour but d'établir les responsabilités individuelles. L'application du principe d'individualisation des peines et des situations nécessite une définition des grandes responsabilités des personnes ayant participé au conflit. Si l'on se réfère aux textes d'inculpation des accusés devant la Cour, l'on remarque qu'en l'absence de jurisprudence en la matière, le Procureur s'est inspiré de celle des Tribunaux pénaux pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda. La plus grande responsabilité peut donc se définir à deux points de vue : pour ses actes personnels en vertu de la position hiérarchique occupée dans le groupe armé d'une part, et d'autre part, pour les faits commis par les subordonnées. C'est donc la responsabilité pour ses faits personnels et la responsabilité pour ceux des tiers.

La responsabilité pénale pour ses fait personnels est en ce qui concerne les inculpés devant la Cour spéciale est déterminée de prime abord par le fait qu'ils ont occupé une position leur permettant d'exercer un contrôle sur les hommes et les opérations militaires. Le Statut de la Cour spéciale précise que, sont notamment responsables ceux qui »planned, instigated, ordered, committed or otherwise aided and abetted in the planning, preparation or execution of a crime222(*)» Sam Hinga NORMAN était pendant le conflit armé le Coordinateur national des activités de la CDF. Il a joué un rôle important dans leur mise en place, la direction, le ravitaillement et surtout la définition des stratégies de guerre. La direction se remarque par le pouvoir effectif ou apparent que les personnes incriminées ont eu sur les hommes ; l'on retient notamment la capacité de donner des ordres, de recevoir des rapports, y compris les rôles de recrutement et d'instruction. En ce qui concerne les CDF, Allieu KONDEWA en plus de ses fonctions de chef de faction, en était le principal instructeur. C'est lui qui décidait des programmes et des techniques à enseigner aux nouveaux soldats, procédait à leur initiation et décidait s'ils étaient aptes à posséder une arme ou pas. Être responsable de ses propres actes réside aussi dans le pouvoir que l'on a à diriger effectivement les opérations militaires. Moinina FOFANA s'occupait de ces missions pour le compte des CDF ; en sa qualité de Coordonateur national adjoint et chef de la stratégie militaire, c'est lui qui décidait en collaboration avec Hinga NORMAN de l'opportunité des attaques et des opérations qu'il fallait mener.

Pour ne retenir que deux des opérations les plus sanglantes des membres du RUF, il est clairement établit que Foday SANKOH a initié l'opération Stop Elections en ordonnant à ses partisans de trancher les bras des populations civiles affin de les empêcher d'aller voter. Les rétributions des enfants soldats étaient proportionnelles au nombre de bras et de mains coupés223(*). L'objectif affiché était de chercher à empêcher les électeurs d'accomplir leur devoir de citoyen, l'ordre de déclencher cette opération émanait directement de SANKOH selon qui les élections ne pouvaient se tenir dans les conditions de l'époque. Il imputait même la responsabilité de ces faits au Gouvernement. L'opération No Living Thing quant à elle a causé des milliers de morts dans la ville de Freetown et sa banlieue. L'objectif de Sam BOCKARIE était de faire pression sur le Gouvernement pour qu'il exige la remise en liberté de leur chef incarcéré au Nigéria. Des ordres précis on été donnés aux combattants pour terroriser la population et les empêcher ainsi de collaborer avec le gouvernement par la suite.

L'excuse du commandement de l'autorité supérieure n'est pas ici recevable car les personnes poursuivies n'ont pas le droit d'exécuter un acte manifestement illégal. S'il est tout de même établit que les crimes contre l'humanité ont été commis en exécution des ordres d'un supérieur, les Statuts de la Cour spéciale préconise la prise en compte de cette donnée dans le calcul de la peine en déterminant le seuil de responsabilité de chacun dans les opérations incriminées224(*).

L'on peut aussi être responsable des atrocités commises dans le cadre d'un conflit armé si l'on a participé au financement et a tiré des profits considérables dans les opérations militaires incriminées. Les leaders du RUF avaient pour principal but d'avoir un contrôle effectif sur le territoire sierra léonais, surtout les zones diamantifères. Pour ce faire, Foday SANKOH avec ses lieutenants et alliés avaient prévu un contrôle sur les populations par des actes de terreur systématiques. Charles TAYLOR est celui qui a le plus profité des fruits financiers des opérations militaires du RUF et plus tard de la junte AFRC/RUF. Il a été avec le soutien la Côte d'Ivoire et du Burkina Faso225(*), à l'origine du RUF qu'il a financé en échange des retombées financières en matière de trafic de diamants principalement.

La responsabilité pour le fait des tiers se caractérise par les propres omissions des inculpés. Porter la plus grande responsabilité consiste ici à avoir été au courant des agissements de ses subordonnées, les a encouragés ou n'a pas pris des mesures adéquates pour les réprimer ou les faire cesser226(*). Au début de leurs opérations, les membres de la CDF respectaient les règles minimales de protection des populations civiles. Cependant, lorsqu'ils s'éloignaient de leurs régions d'origine, ils devenaient de plus en plus incontrôlables et commettaient des atrocités. Les leaders de ce groupe armé comme ceux des autres groupes ne sauraient s'exonérer car ils étaient forcément au courant des agissements de leurs subordonnées et n'ont pas pris les mesures adéquates pour les prévenir, les faire cesser ou même pour punir ceux qui en sont responsables. Ceux qui occupent des fonctions supérieures dans les forces armées ont des obligations de contrôle des personnes placées sous leur commandement. Ils sont, aux termes de l'article 87 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, tenus de punir les responsables des crimes ou à défaut de les dénoncer auprès de leur hiérarchie. Les responsables doivent s'assurer aussi, pour la prévention des crimes de guerre que leurs subalternes connaissent les règles minimales de protection des populations civiles.

La Cour spéciale a été chargée de poursuivre ceux qui portent « la plus grande responsabilité » des crimes de guerre. Cette responsabilité se détermine en fonction du rôle que l'on a joué et du rang occupé dans le groupe. Quelles sont les dispositions à prendre lorsque ceux qui portent la plus grande responsabilité sont des enfants ou ont été contraints comme les bush followers ?

2. Cas des enfants et des « bush followers »

La guerre civile en Sierra Léone a eu la triste particularité de compter aux cotés des d'adultes un grand nombre de combattants à peine sortis de l'enfance. Ces enfants-soldats étaient pour la plupart enlevés et forcés de combattre après avoir été drogués et formés à l'usage des armes. Les filles s'occupaient des petits travaux domestiques, servaient de porteuse, d'esclaves sexuelles et combattaient aussi au front. Les enfants-soldats étaient réputés pour leur zèle et leur cruauté ; la marge la plus importante des crimes graves commis pendant le conflit porte leur signature. Dans un processus de répression pénale des crimes de guerre, de telles particularités doivent être prises en compte. Les enfants sont-ils responsables des crimes qu'ils ont commis ? Si oui, quel processus doit-on les faire suivre pour assumer cette lourde responsabilité ?

Drogués, violés, forcés de combattre, les child soldiers et les bush followers227(*) se sont rendus responsables des pires atrocités que le pays ait connues. Toutes les factions (couple RUF/AFRC et CDF) disposaient d'unités d'enfants soldats et dirigées par des enfants. L'irresponsabilité des enfants soldats est le principe posé par l'article 7 su statut de la Cour pour assumer leur participation à la commission des atrocités, le but étant de poursuivre « ceux qui portent la plus grande responsabilité ». Quel serait alors le régime applicable si un mineur de 15-18 ans porte la plus grande responsabilité ?

Avant d'analyser la solution finalement adoptée par la Cour, il convient de présenter deux points de vue contradictoires qui veulent pour l'un que les enfants soient responsables des crimes de guerre et punis comme tels et pour l'autre qui ne voit en ceux-ci que des victimes du conflit. La première thèse228(*) est celle partagée par de nombreuses victimes du génocide rwandais229(*) soutient que, l'âge de l'inculpé ne doit pas le rendre irresponsable. L'élément à prendre en compte est la capacité du mineur à appréhender les situations, car, si un enfant était capable de tuer, de faire une distinction entre deux groupes ethniques, de décider qui était Hutu modéré ou pas, était en mesure de commettre un crime sur ces bases, il n'y a aucune raison de considérer cet enfant autrement qu'un adulte. Il est d'opinion générale que la punition des enfants qui ont participé à une guerre et qui ont commis des atrocités devrait être complète et épouser les mêmes contours que celle des adultes.

La seconde, quant à elle, plaide pour une irresponsabilité pénale généralisée. Les enfants sont considérés avant tout comme les victimes de leur enrôleur, le droit international interdisant le recrutement d'enfants soldats, même sur des bases volontaires. Ensuite, la notion de « la plus grande responsabilité » écarte les poursuites contre les enfants soldats car la responsabilité de leurs actions sera couverte par celle de leurs leaders. De plus, les enfants bénéficient d'une présomption d'incapacité en ce qui concerne l'intention criminelle. En effet, de par leur jeune âge, ils sont plus influençables et ne prennent généralement pas la pleine mesure de l'acte qu'ils ont accompli, la guerre étant pour eux la seule activité, toutes les attaches sociales étant dissoutes230(*). En dernier lieu, la plupart d'enfants soldats, ont tué sous la menace ou l'emprise de la drogue, élément qui ne pourrait être examiné qu'en Cour, c'est-à-dire une fois que les poursuites ont été engagées.

La Cour spéciale a quant à elle prévu l'irresponsabilité des enfants pour les crimes qu'ils ont commis avant l'âge de 15 ans (art. 7 § 1). Cet âge est considéré comme le seuil de maturité, celui où les enfants n'ont pas encore les outils nécessaires pour faire la distinction entre le bien et le mal. L'ouverture des poursuites contre les mineurs âgés de 15 à 18 ans est laissée, comme c'est aussi le cas du TPIR et du TPIY, à la discrétion du Procureur. Le Secrétaire général des Nations unies a indiqué dans ce cas que ces poursuites ne se tiendraient que dans des cas exceptionnels. Il a demandé au Conseil de sécurité de définir clairement sa position sur les poursuites des enfants soldats mais celle-ci n'a pas pu trouver de réponse.

Comme l'article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE), l'article 7 du Statut de la Cour spéciale prévoit la prise en compte des intérêts de l'enfant tout au long du processus judiciaire, si le Procureur décidait malgré tout de les poursuivre. L'adaptation des principes du droit pénal aux spécificités de l'enfant requiert la prise en compte du besoin de réintégration, conformément au droit international pertinent en la matière (art. 7 § 1 in fine). La CIDE prévoit notamment, qu'en plus des standards internationaux (art. 14 du PIDCP), les mineurs doivent être traités avec dignité et respect pendant le procès tenu à huis clos. La secret couvre aussi toutes les autres informations comme l'identité des défendeurs car les effets d'une publicité réduisent leurs chances de réinsertion dans la société après même que la peine eût été purgée.

C'est donc créer un procès spécial adapté aux enfants. Les Règles de Beijing, adoptées dans le cadre de la CIDE précisent les conditions de prise en compte de la responsabilité pénale des mineurs. La préoccupation première étant la sauvegarde des intérêts de l'enfant, le but des poursuites judiciaire à leur égard doit être moins la volonté de répression que l'objectif de réintégration de ceux-ci dans leur milieu social d'origine. Il est important, le Statut de la Cour le souligne, que le procès ne conduise pas, comme c'est le cas des accusés adultes à une condamnation comprenant une peine de prison. Des mesures de redressement dont le suivi psychologique par une association ou un organisme approprié, le service communautaire, les travaux d'intérêt général ainsi que les programmes de DDR231(*).

L'application d'une mesure de redressement pour des enfants mineurs ne peut se faire que dans un cadre approprié. La rétention des mineurs en centre fermé ne pourra être décidée que dans des circonstances extrêmement strictes, à l'écart des adultes et dans des conditions où des relations soient maintenues avec le milieu extérieur. Nous l'avons dit, la procédure sommairement mentionné ci-dessus ne concerne que les enfants qui auraient pu supporter la plus grande responsabilité dans les crimes et auraient éventuellement pu être poursuivis. Comme le Procureur n'a décidé aucune poursuite, c'est à la justice réparatrice de se charger de la prise en charge de la responsabilité de ces enfants en les réintégrant dans le tissu social.

Les poursuites pénales ont été rendues possibles par un principe international d'imprescriptibilité et de non amnistie. Pourtant, une loi d'amnistie avait été adoptée en 1999 pour mettre fin au conflit. Il est donc nécessaire d'en mesurer la portée.

* 221 « Those bearing thee greatest responsibility » et « those who are the most responsible ».

* 222 Article 6 § 1 du Statut de la Cour Spéciale : « portent la plus grande responsabilité des personnes qui ont instigué, ordonné, commis ou aidé à la préparation ou à l'exécution d'un crime » (traduction par nos soins).

* 223 Voir le rapport du 1er janvier 2000 de Physicians For Human Rights intitulé « War-Related Sexual Violence in Sierra Leone ».

* 224 L'article 7 § 4 des Statuts de la Cour spéciale : «The fact that an accused person acted pursuant to an order of a Government or of a superior shall not relieve him or her of criminal responsibility, but may be considered in mitigation of punishment...»

* 225 Voir l'article de Jean Paul MARI et le rapport de Marieke WIERDA et Tom PERIELLO tous cités précédemment.

* 226 Article 6 § 3 du Statut de la Cour spéciale: « The fact that any of the acts referred to in articles 2 to 4 of the present Statute was committed by a subordinate does not relieve his or her superior of criminal responsibility if he or she knew or had reason to know that the subordinate was about to commit such acts or had done so and the superior had failed to take the necessary and reasonable measures to prevent such acts or to punish the perpetrators thereof.»

* 227 Le terme bush followers est attribué aux filles qui étaient enlevées par les rebelles lors de leurs expéditions. Elles devenaient ensuite leurs esclaves sexuelles, leurs cuisinières et combattantes occasionnelles.

* 228 Willie Mc CARNEY, «Child Soldiers : Criminal or Victims? Should Child Soldiers be Prosecuted for Crimes Against Humanity? » Dans L'enfant et la Guerre. Instutut International des Droits de l'Enfant, Sion, 2003. Pp 35-55.

* 229 Enquête menée par l'UNICEF au Rwanda en 1995 cité par Willie Mc CARNEY op cit. page 37.

* 230 Ahmadou KOUROUMA (Allah n'est pas obligé, page 215) met en évidence cette réalité : « les enfants soldats étaient de plus en plus cruels. Ils tuaient leurs parents avant d'être acceptés. Et prouvaient par ce parricide qu'ils avaient tout abandonné, qu'ils n'avaient pas d'autre attache sur terre, d'autre foyer que le clan à Johnny KOROMA (...) ». Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas Obligé, Corps, Paris 2001.

* 231 Article 7 § 2, nous y reviendrons largement dans la deuxième partie de notre travail consacrée à la justice réparatrice.

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