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Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

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par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

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Chapitre IV : LES REFORMES INSTITUTIONNELLES, LA DEMOCRATIE ET LA BONNE GOUVERNANCE

Le bilan de la décennie du conflit en Sierra Léone révélait un état des lieux alarmant en matière d'institutions publiques. La puissance publique, jadis centralisée aux mains d'un pouvoir parfois autoritaire à la capitale était progressivement remplacée par un ensemble d'organisations armées divisées en factions plus ou moins autonomes. Les régions étaient éclatées en plusieurs fiefs gouvernés par des chefs de guerre qui ont usurpé de toutes les prérogatives de puissance publique. A l'Est, les concessionnaires de mines d'or et de diamant payaient directement leurs taxes, impôts et redevances aux chefs de guerre qui transmettaient directement la plus grande partie de ces fonds au Libéria. Le constat est aussi préoccupant dans les domaines sociaux. Aucun investissement n'a été mis en place pendant les dix années de conflit, la totalité des ressources étant détournée pour alimenter les réseaux d'achat d'armement, de paiement des mercenaires et d'entretien de nombreuses factions armées. Pire, les hôpitaux, dispensaires, écoles barrages hydroélectriques ou ponts ont été les cibles privilégiées des protagonistes du conflit. En somme, la Sierra Léone est sortie du conflit rétrogradée à la première place des pays les plus pauvres du monde, avec une espérance de vie de moins de quarante ans, une mortalité infantile largement supérieure à la moyenne et une scolarisation des jeunes au plus bas.

Dans une société aussi déchirée et économiquement mal en point comme celle de la Sierra Léone en 2001, il convient de se d'interroger sur les nouveaux principes directeurs de la société qu'on était entrain de construire. Quelles sont les institutions à réformer ou à créer en priorité pour assurer un bouclier efficace du citoyen contre l'arbitraire du pouvoir ? Comment est ce que la nouvelle politique de gestion des ressources du pays devait être mise en place pour assurer une bonne redistribution des richesses ? La réponse à cet ensemble de questionnement nécessite la redécouverte des notions telles le respect des droits de l'Homme, de la bonne gouvernance, de la démocratie et du pluralisme.

Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post conflictuelle est a priori une question de respect des droits de l'Homme, de la démocratie et du pluralisme. Pour vivre ensemble dans une société libérée de violences et de conflits, il est nécessaire que le respect de la dignité humaine soit la trame des politiques publiques et que la liberté des énergies et de la pensée soient respectées dans les institutions publiques qui sont chargées de garantir le bien exercice de la vie en communauté.

La nécessité de réformer les institutions publiques se justifie à plusieurs égards. En premier lieu, la puissance publique, de par la position dominante qu'elle occupe, est plus disposée à violer les droits fondamentaux de l'Homme. Tout pouvoir politique, si bon soit-il, sans garde-fous risque de tomber dans l'arbitraire et nuire à l'épanouissement de l'Homme. La nouvelle société que les Sierra léonais étaient entrain de mettre en place ne serait viable que si elle était gouvernée par des institutions libres et respectueuses des droits de l'Homme.

En second lieu, et c'est le plus important, l'autorité publique doit être garante des droits et libertés des citoyens en vertu de ses obligations internationales. En effet, si le conflit sierra léonais a pu surgir et duré aussi longtemps, c'est entre autre à cause des violations des droits économiques et sociaux d'une plus grande partie de la populations et du non respect des textes internationaux relatifs à l'exploitation des ressources naturelles précieuses. Rétablir une société stable et dépourvue de violences nécessite des institutions judicaires et administratives capables de garantir aux citoyens le plein exercice de leurs droits.

Les institutions de justice transitionnelle ont concrétisé l'idée selon laquelle les perpétrateurs des violations graves des droits de l'Homme et du droit humanitaire ne pouvaient plus s'en tirer à bon compte. Ceux-ci, qu'ils supportent la plus grande responsabilité - et dans ce cas devront assumer leurs actes devant la Cour spéciale - ou qu'ils ne sont que des sous-fifres les plus faibles de l'extraordinaire « machine de guerre » qui a concouru à l'une des plus grandes déshumanisations d'une société dans l'histoire de l'Afrique de l'Ouest, ont l'obligation (ou parfois même le besoin) de participer à l'exécution du mandat de ces institutions pour construire une société juste et équitable. Les vertus préventives de la Commission Vérité et Réconciliation et de la Cour spéciale permettront d'agir à la fois dans la protection et la promotion des droits de l'homme (section 1), toutes les institutions ayant l'obligation de renouer avec la bonne gouvernance (section 2).

Section I : La promotion et la protection des droits de l'Homme

La transition démocratique en Sierra Léone est l'occasion de créer une culture des droits de l'Homme. Il convient, pour garantir le respect des droits de l'Homme de manière verticale et horizontale, de réformer d'une part les secteurs de la sécurité et de la défense (I) et d'autre part, de promouvoir le pluralisme, caractéristique d'une société démocratique (II).

I. Les réformes de la justice et des secteurs de la sécurité et de défense

Le pouvoir judiciaire est le garant du respect des droits fondamentaux de l'homme et des libertés publiques. A ce titre, son fonctionnement doit refléter cette réalité (A) pendant que la police et l'armée restent des institutions républicaines (B).

A. L'établissement d'une justice respectueuse des droits de l'Homme

Cela se traduit par l'adoption des nouvelles règles de garantie de la liberté individuelle (1) tout en favorisant l'accès des citoyens à la justice avec l'harmonisation des différents systèmes judiciaires (2).

1. La garantie des libertés individuelles

Tout homme a droit au respect de la dignité inhérente à sa personne. La guerre a été le théâtre de déni de cette dignité. De milliers de citoyens ont subi des violations flagrantes de leurs droits soit à cause de l'action directe des forces étatiques, soit du fait de son impuissance. La justice n'existait plus, la barbarie et les pires injustices prévalaient car la raison et les avantages étaient obtenus au bout d'un fusil. La nouvelle société de Sierra Léone veut se fonder sur le respect des droits les plus inaliénables de l'Homme. Cette refondation appelle des réformes au niveau de la procédure et du droit pénal et surtout de la protection des droits de la défense et du traitement humain des personnes privées de liberté.

· Les réformes constitutionnelles

En premier lieu, il est nécessaire de procéder à une réforme constitutionnelle pour accorder la norme suprême du pays à la pratique internationale. En effet, l'article 16 (1) de la Constitution dispose : «No person shall be deprived of his life intentionally except in execution of the sentence of a court in respect of a criminal offence under the laws of Sierra Leone, of which he has been convicted». Cette disposition admet explicitement l'existence et l'application de la peine de mort en Sierra Léone. Il y a un besoin d'adoption du principe de l'inviolabilité de la vie en toutes circonstances. L'abolition de la peine de mort et son inscription dans la Constitution serait l'expression de la volonté de la part des autorités publiques de faire désormais prévaloir la vie humaine et sa dignité et de les faire respecter.

En second lieu, il convient de limiter les effets des pouvoirs extraordinaires octroyés à l'exécutif en cas de circonstances exceptionnelles. A ce effet, le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation note avec pertinence que298(*) « la Constitution actuelle de la Sierra Léone consacre plus d'espace au déni des droits de citoyens qu'elle ne consacre à son respect [... ] » ce qui montre les risques de détournement de la Constitution de son but ultime. L'article 29 de la Constitution consacrée aux circonstances exceptionnelles considère que le Chef de l'Etat peut prendre des mesures limitant les droits de l'Homme dans des conditions qui peuvent ouvrir droit à des abus. En effet, la simple menace de trouble à l'ordre public, la menace contre l'existence de la Sierra Léone, des troubles ou même « la menace à l'existence de la Sierra Léone » sont des conditions suffisantes à la proclamation par décret des circonstances exceptionnelles299(*). Cet article de la Constitution peut, comme dans le passé, permettre à l'exécutif de prendre des mesures répressives contre les membres des partis d'opposition, de la presse ou des courants d'opinions contestataires.

Il convient aussi de limiter la durée de la période pendant laquelle des mesures exceptionnelles peuvent être prises et l'étendue des pouvoirs du Président. A la lecture des sections 5 et 6 de l'article 29 de la Constitution, l'on comprend que le Président n'a aucune limite dans la prise des décisions pendant une période qui peut aller jusqu'à trois mois. Cette période est, à notre avis trop longue et le maintien de ces dispositions s'avèrent dangereuses compte tenu des droits qui sont en cause. La Commission des Droits de l'Homme a précisé dans l'une de ses directives que « [...] même pendant l'état d'urgence, les citoyens doivent pouvoir bénéficier des garanties judiciaires pour contester la légalité de certaines mesures, y compris la détention ». La Constitution gagnerait à être réformée avec l'introduction de certains droits qui ne subissent pas de dérogation comme le droit de ne pas être soumis à la torture, aux peines ou traitements dégradants et les garanties judiciaires accordées à toutes les personnes accusées devant une juridiction.

· La procédure pénale 

Les libertés individuelles font partie des droits les plus importants de l'Homme. C'est à travers elles qu'il s'épanouit, mène une vie sociale et économique véritables. C'est par les libertés individuelles que le citoyen s'exprime, s'associe ou adhère à une pensée philosophique, politique ou religieuse de son choix. Entraver la liberté d'aller et de venir d'un homme, c'est le priver des moyens de vie active. Il est donc important de prendre des mesures adéquates pour garantir la régularité de la détention et les conditions dans lesquelles les peines privatives de liberté doivent être exécutées.

Il existe en Sierra Léone la notion de « safe custody detention » qui est une institution règlementaire de limitation arbitraire des droits des citoyens à ne pas subir des détentions arbitraires. Par un décret pris en 2000, le Président a permis l'arrestation et la détention des criminels dits dangereux dans des prisons sans inculpation ni jugement. Il est donc important d'abroger ce décret et rétablir la prééminence du législateur dans le domaine de la procédure pénale comme le prévoit le chapitre III de la constitution de 1991.

La Sierra Léone est gouvernée par les principes du Common Law qui privilégient une procédure accusatoire respectueuse ses droits des accusés. La Criminal Procedure Act de 1965 est un ensemble de dispositions destinées à réglementer le duel judiciaire entre l'accusation et la défense. Elle s'efforce à équilibrer les forces entre d'une part un Procureur fort et disposant de tout l'appareil étatique, et d'autre part, un accusé, pauvre, dépourvu des moyens de défense. La loi de 1965, telle qu'amendée à plusieurs reprises, a besoin d'être vulgarisée et appliquée. Aussi bien aux membres de la force publique qu'aux praticiens du droit et les citoyens, une culture de la loi et du droit doit être transmise pour garantir le respect des droits.

Les conditions de détention en Sierra Léone sont loin de rempli les standards internationaux. Les prisons centrales et régionales connaissent des difficultés liées à la surpopulation carcérale, l'accès à l'eau potable, à la santé et à l'éducation. Il est nécessaire de rénover le parc pénitentiaire sierra léonais en limitant le nombre de détenus par cellule, en assurant la séparation entre mineurs et adultes et en prenant des mesures adéquates en vue de la protection des enfants nés en prison.

2. Harmonisation entre les systèmes judiciaires

La Sierra Léone, à l'instar de nombreuses anciennes colonies britanniques, a conservé deux systèmes judiciaires différents. D'une part, les cours et tribunaux dits modernes qui appliquent le droit positif et, d'autre part, les cours traditionnelles qui ont en application le droit coutumier ancestral. Comme dans la plupart des sociétés africaines, les citoyens, pour des raisons affectives ou objectives, ont une préférence pour les tribunaux traditionnels sont pourtant les moins lotis en moyens financiers et/ou juridiques.

Les tribunaux traditionnels ne sont pas expressément reconnus par la Constitution. La seule disposition qui leur est destinée les intègre dans la hiérarchie des institutions sans donner le contenu de leur compétence et de la procédure devant elles. Elles ont été instituées par la volonté du colon britannique d'associer les chefs traditionnels à la gestion du pouvoir, à travers le Protectorate Ordinance de 1896. Les cours traditionnelles connaissent des contentieux civils, notamment matrimoniaux. L'organisation ancestrale des tribunaux traditionnels est devenue obsolète. Elle devrait donc se conformer aux évolutions de la société. Le manque de codification de la justice traditionnelle laisse une grande incertitude quant à son contenu et surtout, apporte de nombreuses disparités en fonction des ethnies et des religions. Il est donc nécessaire de codifier le droit traditionnel afin d'aboutir à une harmonisation au niveau national. Cette harmonisation s'avère toutefois difficile à cause des différences de moeurs entre tribus et religions mais doit cependant être entreprise pour permettre l'égalité de tous les citoyens devant la loi.

La hiérarchie juridictionnelle en Sierra Léone place la Cour suprême au premier plan. Elle connaît du contentieux constitutionnel et électoral en premier et dernier ressort ; connaît en appel de toutes les décisions des Cours d'Appel et a aussi pour fonction de superviser le fonctionnement de toutes les autres juridictions inférieures. Les Cours d'Appel ont quant à elles le droit de connaître en Appel de toutes les décisions de la Haute Cour de Justice (High Court of Justice selon la terminologie sierra léonaise). La Haute Cour de Justice est une juridiction à compétence générale. C'est-à-dire qu'elle connaît à la fois du contentieux civil, pénal et administratif en premier ressort. Elle a aussi pour compétence la supervision du fonctionnement des tribunaux traditionnels. A ce titre, elle connaît en appel de toutes les décisions rendues par elles.

Ce pouvoir d'appel de la Haute Cour sur les juridictions traditionnelles, n'est qu'une garantie apparente des citoyens contre l'arbitraire et la discrimination. Ce contrôle est en effet inefficace, car la Constitution300(*) exclue le domaine du droit matrimonial - qui est sous la compétence des tribunaux traditionnels - de l'application du principe de non discrimination. Une nouvelle réforme constitutionnelle est alors indispensable pour abolir cette disposition (article 27 (4) d.) et garantir à tous le droit d'accès à une justice qui doit être la même pour tous.

* 298 Rapport de la Commission Vérité et réconciliation, Chapitre 3, § 66. (Traduction assurée par nos soins).

* 299 L'article 29 de la Constitution dispose que les circonstances exceptionnelles peuvent être declarées lorsque:

«(C) There is actual breakdown of public order and public safety in the whole of Sierra Leone or any part thereof to such an extent as to require extraordinary measures to restore peace and security; or

(d) There is a clear and present danger of an actual breakdown of public order and public safety in the whole of Sierra Leone or any part thereof requiring extraordinary measures to avert the same;

or [...]

(f) There is any other public danger which clearly constitutes a threat to the existence of Sierra Leone.»

* 300 L'article 27 de la Constitution prévoit que la non discrimination ne couvre pas les droits qui découlent de l'« adoption,  marriage, divorce, burial, devolution of property on death or other interests of personal law...»

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery