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Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post-conflictuelle: l'exemple de la sierra léone

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par Jukoughouo Halidou Ngapna
Institut des Droits de l'Homme de Lyon & Université Pierre Mendès France de Grenoble - Master 2, Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme 2007
  

Disponible en mode multipage

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LE RETABLISSEMENT DE L'ETAT DE DROIT

DANS UNE SOCIETE EN RECONSTRUCTION POST-CONFLICTUELLE :

L'exemple de la Sierra Léone

Mémoire de fin d'études en Master 2 Recherche, Histoire du Droit, Droit et Droits de l'Homme

Jukoughouo Halidou NGAPNA

Sous la direction de

Roger Koussetogue KOUDE

Professeur chargé de cours à l'Institut des Droits de l'Homme de Lyon

TABLE DES MATIERES

DEDICACES ET REMERCIEMENTS 4

SIGLES ET ABREVIATIONS 6

INTRODUCTION GENERALE 8

CHAPITRE PRELIMINAIRE : COMPRENDRE LE CONTEXTE SIERRA LEONAIS 11

I. Une décolonisation progressive et pacifique 12

II. Des crises politiques à répétition : coups d'Etat, parti unique et socialisme (1961-1992) 12

III. Un conflit armé d'une violence sans précédent 13

IV. De la violence « effroyable » à la paix : 1999-2002 14

PREMIERE PARTIE : LA REPONSE PENALE DE LA SIERRA LEONE AUX VIOLATIONS GRAVES DES DROITS DE L'HOMME COMMISES PENDANT LE CONFLIT ARME 16

Chapitre Premier : UNE COUR ADAPTEE A UN CONTEXTE PARTICULIER 19

Section I : Environnement global autour de la création de la Cour Spéciale 20

I. Un contexte national et international propice aux poursuites pénales 20

II. La Cour Spéciale et les autres juridictions pénales internationales 27

Section 2 : La stratégie des poursuites et son impact sur la crédibilité de la Cour spéciale pour la Sierra Léone 35

I. La division tripartite des affaires à juger 35

II. L'impression de travail inachevé : la répression du mercenariat et la responsabilité des chefs d'Etat en exercice 45

Chapitre II : LE MANDAT ET LE FONCTIONNEMENT DE LA COUR SPECIALE POUR LA SIERRA LEONNE 50

Section 1 : Le procès devant la Cour Spéciale 51

I. La composition de la Cour 51

II. Le déroulement de la justice respectueux du modèle démocratique du procès pénal 59

Section 2 : Juger ceux qui « portent la plus grande responsabilité » 67

I. Une restriction pour concilier justice et paix 67

II. Faits tombant sous la juridiction de la Cour 74

DEUXIEME PARTIE : LES MECANISMES DE JUSTICE REPARATRICE ET LA REFORME DES INSTITUTIONS 80

Chapitre III : LA RECHERCHE DE LA VERITE ET LA PRISE EN COMPTE DES PREOCCUPATIONS DES VICTIMES 84

Section 1 : Mandat et pouvoirs de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) 86

I. Organisation et fonctionnement 86

II. Une Commission chargée de rechercher la vérité et de réécrire l'histoire du pays 92

Section 2 : La réparation des victimes des violations graves des droits de l'Homme 99

I. La philosophie du programme de réparation 99

II. Modalités pratiques des réparations 106

Chapitre IV : LES REFORMES INSTITUTIONNELLES, LA DEMOCRATIE ET LA BONNE GOUVERNANCE 110

Section I : La promotion et la protection des droits de l'Homme 111

I. Les réformes de la justice et des secteurs de la sécurité et de défense 111

II. La promotion du pluralisme et la garantie de l'indépendance de la justice 117

Section 2 : Renouer avec la bonne gouvernance 121

I. L'indispensable lutte contre la corruption 121

II . Une redistribution équitable des richesses nationales 126

CONCLUSION GENERALE 132

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES 136

REMERCIEMENTS

Au moment où nous nous apprêtons à présenter le fruit de notre recherche à l'appréciation du jury, c'est l'occasion pour moi de témoigner de ma gratitude à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de ce mémoire.

Nous tenons particulièrement à remercier M. Roger KOUDE, notre directeur de recherches pour sa disponibilité et sa patience. Ses conseils et sa rigueur nous ont permis de progresser et de fournir le meilleur de nous-mêmes.

Jonas MFOUATIE est certainement celui qui a le plus contribué à notre réussite. Il a été pour nous une source de conseils et d'orientation dans les choix de formation. Son soutien financier et matériel depuis le tout début de nos études nous ont permis de réussir au Cameroun, en Guinée et en France. Son engagement dans la défense des droits de l'Homme en Afrique et à travers le monde ont fait de lui le modèle qui nous a déterminés à nous engager dans les mêmes batailles.

Nous voudrions également remercier l'ensemble du corps administratif et enseignant de l'Institut des Droits de l'Homme de Lyon pour leur soutien, encadrement et disponibilité. M. Didier AGBODJAN et Mme Pascale BOUCAUD pour leur aide dans la recherche bibliographique, MM. Laurent GEDEON, Joseph YACOUB et Mme Frédérique LONGERE pour leurs conseils éclairés.

Nous remercions finalement ceux dont le soutien, les relectures et corrections nous ont permis d'avancer dans les recherches et la rédaction du mémoire. Il s'agit notamment de Begoto MIAROM, Soule MFOREN, Françoise EPANYA, Aïsha RAHAMATALI, Marie Astrid FERRAND, Pierre BOUTEILLE, Emmanuel KONE, Sylvia BOURDIN, Komlavi KOKU, Patrick NGUENE, Yvette NDJOMO, Marie-Françoise STEPHEN. Et Marthe EPANYA pour son attention particulière sans laquelle nous aurions certainement cédé au découragement face aux difficultés qui ont jalonné le chemin de la rédaction de ce travail.

A Alassa MFOUAPON, mon regretté père

A Rebecca MAPON, pour son amour et sa tendre affection

SIGLES ET ABREVIATIONS

· AFRC : Armed Forces Revolutionary Council

· APC : All People's Congress

· CDF : Civil Defense Force

· CEDEAO : Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest

· CEDH : Cour Européenne des Droits de l'Homme

· CIDE : Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant

· CIJ : Cour Internationale de Justice

· CIVPOL : Police Civile de la Mission des Nations Unies en Sierra Léone

· CPI : Cour Pénale Internationale

· CVR : Commission Vérité et Réconciliation

· DDR : Désarmement, Démobilisation et Réinsertion

· ECOMOG : Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group / Brigade de surveillance de cessez-le-feu de la CEDEAO.

· EO : Executive Outcomes

· HRW : Human Rights Watch

· ICTJ : International Center for Transitionnal Justice / Centre International pour la Justice Transitionnelle

· IDH : Indice di Développement Humain

· IMATT : Equipe Militaire Internationale Consultative en Matière d'Instruction

· INTOSAI : Organisation Internationale des Institutions Supérieures de Contrôle des Finances Publiques

· IPOA : International Peace Operations Association

· JLSC : Judicial and Legal Service Commission 

· LURD : Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie

· MODEL : Mouvement pour la Démocratie du Libéria

· MRU : Mano River Union

· NCDDR : Commission Nationale pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réinsertion

· NPRC : National Provisional Ruling Council

· ONG : Organisation Non Gouvernementale

· ONU : Organisation des Nations Unies

· OUA : Organisation de l'Unité Africaine

· PHR : Physicians for Human Rights

· PIDCP : Pacte International relative aux Droits Civils et Politiques

· PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

· PRIDE : Post-conflict Reintegration Initiatives for Development and Empowerment

· RPP : Règles de Procédure et de Preuves

· RUF : Front Révolutionnaire Uni

· SCSL : Cour Spéciale pour la Sierra Léone

· SLPP : Sierra Leone People Party

· TPIR : Tribunal Pénal International pour le Rwanda

· TPIY : Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie

· TRC : Truth and Reconciliation Commission

· UA : Union Africaine

· UNAMSIL-MINUSIL : Mission des Nations Unies en Sierra Léone

· UNDDR : Commission de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion des Nations Unies

· UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l'Enfance

INTRODUCTION GENERALE

La justice transitionnelle, en tant que discipline, est une branche du droit assez récente et méconnue du public. Pourtant, elle a été pratiquée dans bien de sociétés sortant d'un conflit armé ou de toute autre situation de troubles. Elle peut être définie comme l'ensemble des mécanismes mis en oeuvre par une société pour affronter un passé marqué par des violations graves des droits de l'homme. Il peut s'agir d'un conflit armé, d'une dictature ou d'un évènement assez marquant auquel il faut donner des réponses.

D'abord, les pouvoirs publics, afin d'obtenir la paix sociale, peuvent prescrire l'oubli de telles violations, d'assurer ainsi l'immunité aux dirigeants afin qu'ils acceptent de quitter le pouvoir, et de restaurer l'état droit. Cette immunité peut aussi s'adresser aux groupes rebelles pour obtenir la cessation des hostilités. C'est le choix qui est souvent fait par la plupart des acteurs. C'est ainsi qu'en Argentine, au Chili ou dans d'autres pays sortant des dictatures, des lois d'amnistie ont été votées avant de nouvelles élections démocratiques.

La société internationale, les organisations de la société civile et les défenseurs des victimes ont vite trouvé cette parade insuffisante. Depuis la chute du mur de Berlin, une nouvelle idée a germé : c'est celle de faire répondre de leurs actes les responsables des violations graves des droits de l'homme. Des requêtes ont été remplies par les associations des victimes pour faire traduire devant les tribunaux tous ceux qui ont commis des exactions1(*). Les Etats eux aussi ont compris qu'ils ne pouvaient plus se satisfaire de la paix obtenue au prix de l'impunité. La création des deux tribunaux pénaux ad hoc2(*) et l'adoption du Statut de Rome3(*) sont les exemples les plus significatifs.

Sortant d'une situation qui a été le théâtre des violations des droits de l'homme, il n'y a plus de raisons de prétendre à une immunité complète. Les responsables des violations graves des droits de l'homme doivent donc répondre de leurs actes, que ce soit devant une juridiction nationale ou internationale. Pourtant, cette réponse purement pénale s'avère insuffisante, lorsqu'il faut reconstruire un tissu social détruit et restaurer la paix nationale. Les valeurs autrefois bafouées par les atrocités doivent être rétablies. La problématique de la réconciliation des groupes sociaux autrefois ennemies et qui devront vivre ensemble nécessite des mécanismes de guérison collective. Les victimes ont le plus souvent besoin d'éprouver un sentiment de justice pour être à mesure de pardonner à leurs bourreaux. La recherche de la vérité et l'écriture de l'histoire commune sont nécessaires pour identifier les causes profondes du conflit afin d'éviter la répétition des faits et le retour du chaos. C'est pourquoi, l'expérience sud-africaine est particulièrement intéressante ; il faut créer un espace où les victimes et les bourreaux pourront croiser leurs récits des faits. Qu'il s'agisse d'une Instance Equité et Réconciliation comme au Maroc, d'une Commission Vérité et Réconciliation comme en Afrique du Sud et au Ghana et en Sierra Leone, les victimes et les coupables doivent pouvoir disposer d'une tribune pour que chacun puisse témoigner de son expérience afin d'établir la vérité, voire que le pardon puisse en émerger.

La Sierra Léone, petit pays d'Afrique de l'Ouest d'environ 6 millions d'habitants4(*), a connu depuis son indépendance obtenue le 27 avril 1961 une relative stabilité marquée par quelques crises politiques de moindre ampleur. Mais la décennie 1991-2002 fut particulièrement sanglante. Le pays traverse alors une guerre civile sans précédent qui a fait de nombreuses victimes et a été le théâtre de violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire. Tant du côté des forces gouvernementales, des milices ou des rebelles, les combattants se sont rendus responsables d'enlèvements, d'exécutions sommaires, d'amputations, de viols systématiques, d'enrôlement forcé d'enfants soldats, d'esclavage sexuel, de destruction ou d'appropriation illicite de biens des populations civiles... causant ainsi de milliers de morts et de déplacés vers l'extérieur et à l'intérieur du pays. Certaines de ces exactions ont même été attribuées à des membres des forces internationales d'interposition5(*).

Le conflit prendra momentanément fin avec la signature le 7 juillet 1999 de l'Accord de paix de Lomé entre le gouvernement et le responsable de la principale force rebelle, le RUF6(*) sous les bons offices du président togolais GNASSIMGBE Eyadéma, alors président en exercice de l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Cet accord, signé en présence du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies précise les conditions de retour à la paix, notamment le vote par le Parlement d'une loi d'amnistie, l'organisation des élections, la refonte des institutions et la participation des membres du RUF, transformé en parti politique, à un gouvernement d'unité nationale7(*).

La loi d'amnistie prévoyait le pardon de toutes les exactions commises par les protagonistes du conflit jusqu'à la signature dudit accord8(*). Le Représentant des Nations unies y a apposé une mention précisant que l'Organisation ne reconnaîtrait pas une amnistie couvrant les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

L'Accord de Lomé prévoyait aussi la création d'une Commission Vérité et Réconciliation9(*) (CVR) qui sera chargé de recueillir des témoignages des victimes et des perpétrateurs d'atrocités afin de mettre à jour la vérité historique sur les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire durant le conflit armé en Sierra Leone du début du conflit en 1991 à la signature de l'accord de paix de Lomé, de lutter contre l'impunité, faire face aux besoins des victimes, de promouvoir la réconciliation et de prévenir la répétition de telles violations10(*).

L'Accord de paix de Lomé, à l'instar de celui d'Abidjan de 1996, ne tiendra pas longtemps. Le kidnapping en mai 2000 de 500 soldats de la paix des Nations unies par les forces du RUF et les désaccords au sein du gouvernement pousseront Foday SANKOH à reprendre le maquis, intensifiant ainsi le conflit qui ne prendra fin qu'avec la signature d'un ultime cessez-le-feu en novembre de la même année suite à l'intervention des forces de la Royal Navy britannique qui ont libéré les otages11(*).

Le 16 janvier 2002, le gouvernement sierra léonais signe avec les Nations unies un accord prévoyant la création d'une Cour spéciale pour la Sierra Leone dont le mandat est de poursuivre ceux qui ont la plus grande responsabilité dans les violations graves du droit international humanitaire et de la législation sierra léonaise, sur le territoire sierra léonais depuis le 30 novembre 199612(*), date marquant l'échec de l'accord d'Abidjan. Le tribunal sera composé de juges sierra léonais et internationaux et siègera à Freetown.

L'exemple de la Sierra Léone est à bien des égards un modèle particulier de mise en oeuvre des mécanismes de justice transitionnelle, autant dans la création et la composition d'un organe répressif ad hoc que dans son fonctionnement concurrent avec la Commission Vérité et Réconciliation. Le choix de lutter contre le règne de l'impunité est ici associé aux impératifs, d'une part, de guérison et de réconciliation du peuple sierra léonais et, d'autre part, de reconstruction d'une société de bonne gouvernance et d'un Etat de droit.

Au moment où les efforts de la société internationale en matière de lutte contre l'impunité portent leurs fruits13(*) et que l'Organisation des nations unies (ONU) est entrain de repenser ses stratégies d'approche en matière de maintien de la paix et de justice transitionnelle14(*) ; pendant que la plupart des pays africains en phase de transition mettent en place leurs institutions, l'expérience de la Sierra Léone, reconnue par la plupart des observateurs comme un modèle de mise en oeuvre réussie, mérite une étude critique pour en tirer les leçons.

Une société qui, comme la Sierra Léone sort d'un conflit ayant particulièrement déshumanisé une frange importante de la population a besoin de réponses adéquates pour se reconstruire, assurer la sécurité des populations et éviter la résurgence de nouvelles violences. Il est donc indispensable de s'intéresser aux réponses qu'il faut apporter à ce genre de situation pour fonder les bases d'un nouveau vivre ensemble. En d'autres termes, que faut-il faire, dans une société dont les valeurs morales ont été pendant plusieurs années bafouées, pour retisser un lien social qui n'existe plus ? Quelles mesures doit-on prendre pour assurer d'une part aux victimes et déplacés une réintégration dans leur société libérée de violences et empreinte de justice et, d'autre part, de permettre à ceux qui se sont rendus coupables d'exactions envers la population et l'Etat d'assumer leurs actes et de participer aux cotés de leurs compatriotes à la reconstruction ?

Seule la justice semble aujourd'hui capable de répondre à toutes ces préoccupations car on ne peut en effet pas prétendre à une paix durable sans justice. La justice à mettre en place dans un processus de reconstruction post conflictuelle doit être globale ; c'est-à-dire, qu'elle doit, autant que possible, prendre en considération les besoins de la population dans son ensemble.

En même temps que les autorités s'attèlent à poursuivre ceux qui ont perpétré des atrocités au moyen d'une procédure de justice pénale (première partie), ils doivent aussi permettre aux victimes et à l'ensemble de la communauté de réintégrer une société saine et paisible au moyen d'une procédure de justice réparatrice (deuxième partie).

CHAPITRE PRELIMINAIRE : COMPRENDRE LE CONTEXTE SIERRA LEONAIS

La Sierra Léone moderne, à l'instar du Libéria voisin, est le résultat de l'abolition de l'esclavage au XIXe siècle. Ce petit territoire de 71 740 Km² - confiné entre la Guinée-Conakry au nord-ouest, le Libéria au sud-est et ouvert à l'océan Atlantique au sud - a été découvert en 1462 par l'explorateur Pedro DA CINTRA qui lui donne le nom de Sierra Leone qui signifie en portugais « montagne du lion » à cause des formes montagneuses de la côte. Elle fut achetée par les britanniques en 1787 où ils fondèrent Freetown (la ville des hommes libres), pour y installer les esclaves affranchis qui voulaient retrouver leurs racines africaines.

Ces anciens esclaves s'installeront tout au long de la côte à côté des tribus mandingues15(*) installées depuis le XVe siècle. Ces Krio16(*) qui représentent un peu plus de 10 % de la population vont tout de suite s'imposer comme la classe dominante du pays du fait de son niveau d'instruction17(*) et des privilèges qui leur sont accordés par le colon anglais. Cette position dominante se traduira après l'indépendance par des politiques économiques défavorables aux autres parties du pays qui, malgré leurs richesses en métaux précieux18(*), sont restées majoritairement agricultrices et très pauvres.

La Sierra Léone, peuplée aujourd'hui d'environ 6 millions d'habitants, est l'un des pays les plus denses d'Afrique19(*). C'est aussi, en raison des ravages de la guerre civile l'un des Etats les plus pauvres du monde20(*) et où l'espérance de vie est la plus courte.

L'on peut se demander comment une société qui, à l'indépendance comptait les cadres les plus compétents et dont les richesses minières le prédestinaient à un avenir prospère pouvait arriver à ce niveau de développement économique aussi bas qui la pousserait dans des affrontements aussi sanglants ? En d'autres termes, quelles sont les conditions ayant présidé à la détérioration des relations entre les populations qui vivaient, malgré les différences, dans une relative fraternité et pratiquent pour la plupart21(*) la même religion ?

Le conflit de la décennie 1991-2000 (III) qui atteindra son point culminant en 1999 (IV) semble être le résultat logique d'une histoire marquée par des crises politiques à répétition (II) alors que la république est issue d'une décolonisation pacifique (I).

I. Une décolonisation progressive et pacifique

La Sierra Léone devient en 1792 la première colonie britannique d'Afrique de l'Ouest. La période coloniale sera divisée en deux phases. La première partie, allant de 1792 à 1951 est marquée par une direction centralisée des affaires du pays. C'est une colonie comme toutes les autres, administrée par un gouverneur sous l'autorité directe du ministère des colonies. De part l'histoire spécifique de ce pays, la métropole sera particulièrement attentive à son développement intellectuel et économique, accentué par l'installation dans la ville de Freetown des centaines de colons qui s'occuperont du petit commerce et des exploitations agricoles.

La seconde phase de la colonisation de la Sierra Léone est fortement influencée par les mouvements de revendication d'indépendance qui ont secoué les colonies et territoires sous tutelle après la seconde guerre mondiale. Le gouvernement britannique cède à la pression des Sierra léonais et leur octroie une large autonomie en 1951. C'est à cette époque que l'actuelle organisation administrative se met en place. Le pouvoir s'appuie sur les chefferies traditionnelles qui rendent la justice, prélèvent les impôts et exécutent les politiques en matière de santé et d'hygiène. Les Paramount chieves ne sont en revanche pas compétents pour l'éducation, la défense, l'économie et les relations extérieures.

En 1954, Milton MARGAÏ est nommé Ministre en chef, la première autorité indigène du pays. Il sera très actif sur le plan national et international. Avec Sékou TOURE de la Guinée-Conakry, Kwame NKRUMAH du Ghana et le président Félix HOUPHOUËT BOIGNY de la Côte d'Ivoire, il sera l'un des représentants de l'Afrique de l'Ouest à la conférence de Bandoeng22(*). C'est donc logiquement qu'il prend la tête du premier gouvernement local avec rang de premier ministre délégué en 1958, conduira les négociations d'indépendance avec le gouvernement britannique et deviendra le premier Président de la République dès 1961.

II. Des crises politiques à répétition : coups d'Etat, parti unique et socialisme (1961-1992)

La plupart des pays africains ont connu les mêmes difficultés aux lendemains des indépendances. L'application du modèle occidental a souffert dans la plupart de ces pays d'une mauvaise assimilation ou d'un manque de préparation des dirigeants. La corruption et le tribalisme ont souvent été à la base des politiques de gouvernement, ouvrant ainsi la voie aux divers détournements des deniers publics et à la mauvaise répartition des richesses nationales.

La relative stabilité de la jeune République sierra léonaise ne survivra pas à la mort du président MARGAÏ qui sera remplacé par son frère Albert MARGAÏ en 1964. Ce dernier est vite confronté à des sérieuses difficultés ; le mécontentement des leaders non Krio qui ont été écartées des rennes du pouvoir commence à déstabiliser le pouvoir en place. Ayant de solides attaches dans l'armée, ils conduiront pas moins de quatre coups d'Etat qui emmèneront brièvement Siaka STEVENS à la tête du pays entre 1967 et 1968.

Ce dernier reviendra au pouvoir en 1971 à la faveur d'un énième coup d'Etat et installera un modèle autocratique qui élimine progressivement toute opposition. La création de l'All People's Congress23(*) (APC) en 1978 viendra couronner cette démarche d'instauration d'un parti unique qui définira la politique de l'Etat mise en oeuvre par le gouvernement. C'est une administration à la socialiste.

L'Etat providence prôné par le président STEVENS sera vite sujet à la corruption, aux détournements de la part des ministres et aux trafics en tous genres. Tous ces facteurs aggravés par l'inflation galopante due à la dette extérieure exorbitante et à une masse monétaire sans cesse en augmentation causeront de graves pénuries et une tension considérable au sein de la population. Le mauvais état de santé du président facilitera sa mise à l'écart par Joseph MOMOH qui tentera de redresser l'économie et de rétablir la démocratie. L'armée se fera l'écho de l'impatience de la population et des appétits croissants des militaires. L'échec du coup d'Etat de 1987 poussera le gouvernement à prendre des mesures drastiques et à instaurer un « état d'urgence économique » qui se terminera par le rétablissement du multipartisme et l'organisation des élections générales en 1992.

Mais entre temps, les multiples restrictions rigoureuses imposées à la population de plus en plus miséreuse, qui doit aussi supporter l'afflux massif des populations civiles du Libéria voisin qui fuient la guerre civile, exacerbent les tensions. Pour punir la Sierra Léone de sa participation à la force d'interposition dans son pays, afin de s'assurer d'une base arrière solide et de bénéficier des richesses du pays voisin, Charles TAYLOR24(*) facilitera en 1991 la création d'un mouvement rebelle qui attaquera le pays par l'Est.

III. Un conflit armé d'une violence sans précédent

Le 23 mars 1991, un ensemble de combattants burkinabés, libériens et sierra léonais avec, à leur tête, Foday SANKOH, ancien caporal de l'armée britannique, attaquent l'Est de la Sierra Léone et prennent vite le contrôle de ces régions riches en matières précieuses. Les revendications des rebelles s'axent autour de la volonté de renverser un pouvoir qu'ils qualifient de dictatorial et de corrompu, qui n'a jamais laissé la chance aux populations des provinces de participer à la redistribution des richesses dont leur sous-sol est pourvu. L'espoir que ce discours aurait pu susciter chez certains s'est rapidement éteint car le RUF a tout de suite commencé à commettre des exactions sur les populations civiles.

De leur côté, le gouvernement et l'armée sont loin de conjuguer leurs forces contre la rébellion. Les militaires renverseront le Gouvernement à peine élu et installeront une junte dirigée par Valentine STRASSER qui mettra en place un National Provisional Ruling Council (NPRC)25(*) dont la lutte armée contre les rebelles ne fournira pas de résultats probants. Ceux-ci, mieux formés, plus organisés et motivés que les militaires loyalistes ne cesseront de progresser vers la capitale. Julius MAADA BIO26(*) décidera d'organiser des élections générales au courant de 1996. Cette période est la plus sanglante du conflit car les rebelles du RUF entameront une campagne tristement célèbre d'amputation des personnes afin de dissuader la population d'aller voter27(*). Ce qui n'empêchera pas l'élection d'Ahmad Tejan KABBAH du SLPP28(*) à la tête du pays. Celui-ci entamera des négociations avec les rebelles à Abidjan la même année.

L'accord de paix signé le 30 novembre 1996 n'aura pas le temps d'être appliqué. Des mutins, mécontents des mesures de restructuration de l'armée que le président était entrain d'entreprendre, déclenchent les hostilités et libèrent le commandant Johnny Paul KOROMA qui prendra le pouvoir au petit matin du 25 mai 1997. Ces affrontements assez sanglants forceront le président KABBAH à l'exil à Conakry d'où il dirigera les forces qui lui seront restées loyales29(*). La junte militaire au pouvoir30(*) invitera le RUF au gouvernement. Une résolution du Conseil de sécurité imposera un embargo sur les importations des armes et du pétrole. C'est le point de départ d'une série de tractations au sein du Conseil de sécurité pour l'implication de l'ONU dans la résolution des conflits en Afrique, malgré les échecs du Mozambique, de la Somalie ou du Rwanda. Pour éviter ce que Kofi ANNAN appelle « des massacres sanglants », le Royaume Uni servira de catalyseur pour arracher des consensus au sein du Conseil, surtout, faire face aux circonspections des Etats-Unis31(*).

La Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) enverra dès février 1998 sa force d'interposition qui aidera les Kamadjors et les quelques militaires loyalistes à rétablir le gouvernement démocratiquement élu. Dès son retour, KABBAH affrontera les violences et mènera son pays vers une paix définitive quatre ans plus tard.

IV. De la violence « effroyable » à la paix : 1999-2002

Réclamant la libération de leur leader détenu à Freetown après son transfert du Nigeria le 25 juillet 1998 où il était détenu depuis 199732(*), Sam BOCKARIE alias Mosquito prend en 1999 la tête d'une expédition punitive dénommée « Operation No Living Thing » sur la capitale Freetown. Cette attaque est la plus sanglante car en moins d'un mois, elle fera plus de cinq mille morts dans la population civile et détruira presque totalement les infrastructures de la ville. Elle a été repoussée grâce à l'aide des troupes de l'ECOMOG qui, eux aussi, auraient commis des atrocités33(*).

Ces évènements n'empêcheront pas le gouvernement d'entamer des négociations avec les rebelles à Lomé. Le président du RUF, toujours en détention, fera le déplacement. L'accord qui en sortira sera le plus contesté, car il accorde une amnistie pour tous les crimes commis par les protagonistes au conflit jusqu'au 7 juillet 1999, date de la signature de l'accord. Bien que les Nations unies ne reconnaissent pas une amnistie portant sur les crimes internationaux, l'opinion publique a considéré que cet accord était une nouvelle voie ouverte vers l'impunité ; en plus, les rebelles sont revenus à Freetown dans le gouvernement où ils occupent la vice-présidence et ont la mainmise sur les ressources stratégiques du pays34(*). Les institutions résultant de cet accord ne fonctionneront pas efficacement. Le Comité des ressources stratégiques que préside Foday SANKOH ne se réunit presque pas, les décisions en conseil des ministres sont très difficiles à obtenir avec la réunion autour de la même table d'anciens ennemis. C'est alors que le RUF décide en mai 2000 de regagner le maquis et d'enlever 500 militaires de la Mission des Nations Unies pour la Sierra Léone (MINUSIL).

La communauté internationale ne pouvant plus rester muette face à ces évènements, le Conseil de sécurité a voté une résolution35(*) imposant un embargo de sur les ventes d'armes au Libéria ainsi que des mesures de contrôle du trafic illégal de diamants issus de la Sierra Léone et du Libéria. L'intervention des militaires britanniques poussera le RUF à libérer les otages et à signer un ultime cessez-le-feu à Abuja en novembre 2000. Les conditions de stabilité minimales étaient requises pour démarrer les opérations de DDR (démobilisation, désarmement et réinsertion) des ex-combattants pour permettre le déroulement des élections de 2002 qui ont conduit à la réélection de Tejan KABBAH à la tête du pays et de l'obtention par son parti de la majorité au parlement36(*).

Le nouveau gouvernement est mis au défi de la reconstruction d'un pays dont les principales infrastructures ont été détruites par un conflit qui a causé 200 000 morts, 800 000 réfugiés vers la Guinée-Conakry (ci-après Guinée) et le Libéria ainsi que plus de la moitié de la population déplacés à l'intérieur du pays. L'enjeu principal est de relancer l'économie, retisser le lien social et répondre aux attentes de la population, notamment les réparations pour les victimes, la réintégration des déplacés et autres personnes affectées par le conflit comme les ex-combattants et la réconciliation nationale. Les tâches incombant aux autorités élues ne sauraient se faire sans l'appui de la communauté internationale. Elle devrait l'aider à lancer un signal fort aux Etats de la sous-région en répondant notamment par des poursuites pénales contre les auteurs des violations graves des droits de l'homme.

PREMIERE PARTIE

LA REPONSE PENALE DE LA SIERRA LEONE AUX VIOLATIONS GRAVES DES DROITS DE L'HOMME COMMISES PENDANT LE CONFLIT ARME Au sortir de dix années de conflit, la société sierra léonaise est confrontée à un contexte qui justifie particulièrement la mise en oeuvre des obligations juridiques et morales de l'Etat. Le nombre élevé des victimes et des perpétrateurs dépasse la capacité des structures étatiques existantes pour répondre aux attentes du pays. Le système juridique est en effet très faible autant en qualité - le personnel qualifié ayant quitté le pays - et doit s'appliquer à résorber la criminalité sans cesse croissante à l'époque post conflictuelle. L'équilibre du pouvoir est assez fragile car il y a des personnes qui, de par leurs immunités, leur position actuelle au gouvernement ou le rôle qu'ils ont joué dans le conflit, constituent un obstacle significatif pour les poursuites pénales contre les responsables des violations des droits de l'homme.

Outre ces obstacles matériels, la Sierra Léone était soumise à des obstacles juridiques qui ne lui permettaient pas de répondre de façon efficace aux crimes de guerre. En plus de la loi d'amnistie de 2000, l'absence d'une mise en oeuvre des conventions internationales permettant de traduire dans l'ordonnancement interne les qualifications de « crime de guerre » et de « crime contre l'humanité » instaurait ainsi un vide juridique empêchant toute possibilité de poursuite sur ces bases au pénal. De plus, les qualifications juridiques de meurtre, viol, pillage ou coups et blessures seront pour la plupart couvertes par l'amnistie et les prescriptions.

Pourtant, la Sierra Léone comme tous les autres Etats a l'obligation de faire toute la lumière sur les violations graves des droits de l'homme, d'identifier et de punir les personnes responsables de ces violations, de réparer les victimes et de prendre toutes les mesures nécessaires afin d'éviter la répétition de tels évènements à l'avenir. Ces obligations constituent une sorte de règle commune internationale reconnue par les instances judiciaires internationales, les organes de contrôle des conventions de la Charte des droits de l'homme des Nations unies et consacrée par la plupart des conventions internationales relatives aux droits de l'homme et au droit international humanitaire.

La question à se poser n'était plus celle de savoir s'il fallait répondre pénalement ou non aux violations graves des droits de l'homme. Il fallait plutôt chercher à trouver les moyens et le timing adéquats pour pouvoir poursuivre de manière efficiente les responsables des pires crimes que le pays ait connus. En d'autres termes, le contexte politique international de l'époque permettait-il la continuité de l'impunité ; comment fallait-il associer aux finalités répressives et préventives de la justice pénale les besoins de réhabilitation et de consolidation de la paix ?

Traditionnellement, il existe plusieurs modèles de règlement judiciaire ou parajudiciaire des violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire37(*). Il s'agit notamment :

· Le modèle judiciaire universel : il correspond à la création d'une instance internationale permanente qui compétente de poursuivre les responsables des crimes internationaux. Ce modèle correspond à la Cour pénale internationale dont le Statut a été adopté à Rome en 1998 ;

· Le modèle transitionnel international judiciaire : il se caractérise par la création des tribunaux ad hoc. Les Tribunaux internationaux de l'Ex-Yougoslavie et du Rwanda appartiennent à cette catégorie ;

· Le modèle national : celui-ci nécessite des capacités judiciaires locales performantes et à même d'absorber l'ensemble des affaires extraordinaires sans préjudice pour les crimes de droit commun interne. C'est le modèle de justice choisi par l'Ethiopie ;

· Le modèle quasi-judiciaire : c'est un modèle qui allie les mécanismes judiciaires répressifs et les mécanismes restaurateurs. C'est l'exemple de l'Afrique du Sud, du Rwanda, et du Burundi ;

· Le modèle judiciaire mixte : sa particularité est de réprimer les violations graves des droits de l'homme par des instruments et personnel internationaux et nationaux. Le procédé peut consister à instituer une chambre spéciale au sein du système judiciaire national comme c'est le cas au Timor Leste et au Kosovo ou à la création d'une instance spéciale hybride ; tel est le cas de la Sierra Léone.

La réponse pénale aux atrocités du conflit sierra léonais nécessitait donc un modèle de justice suis generis car il était à l'époque peu évident de poursuivre, par aucune instance judiciaire internationale ni nationale titulaire de la compétence universelle et pouvant rendre justice au peuple sierra léonais. Le contexte international et les opinions politique et publique internes de la Sierra Léone sont favorables à la création d'une instance pénale dont la mission sera de définir clairement la portée matérielle, personnelle et temporelle de ces obligations pour créer un précédent utile à destination des autres sociétés en reconstruction post-conflictuelle (Chapitre premier). Les fonctions classiques de prévention et de répression de la justice pénale seront nécessairement couplées à la réhabilitation des victimes et des responsables. Le mandat et le fonctionnement de la Cour devront y veiller scrupuleusement (Chapitre 2).

Chapitre Premier : UNE COUR ADAPTEE A UN CONTEXTE PARTICULIER

L'échec de l'Accord de paix de Lomé a sans doute offert à la communauté internationale une occasion de rétablir l'équilibre et de se doter des moyens de pouvoir engager la responsabilité des auteurs des violations graves des droits de l'homme pendant le conflit. La mise en place de la MINUSIL, qui stabilisera le pays, permettra la bonne conduite des élections et l'ouverture des consultations pour la mise sur pied de la Commission Vérité et Réconciliation. Cependant, les attentes de la communauté internationale et de la société sierra léonaise sont plus grandes ; il y a un grand besoin de plus en plus palpable38(*) de procéder à la traduction des responsables des exactions devant une instance pénale qui complètera le travail que s'apprête à entamer la Commission. Plusieurs arguments ont milité en faveur de la création de la Cour sur le modèle actuel.

D'une part, les autorités sierra léonaises craignaient que le jugement de Foday SANKOH et de ses complices par un tribunal national manquerait de crédibilité et ouvrirait ainsi la voie à une nouvelle déstabilisation du pays par les rebelles qui ne se sont réellement pas encore démobilisés. Le président Tejan KABBAH écrira donc au Secrétaire général des Nations unies le 12 juin 2000 demandant l'assistance de la communauté internationale pour juger les hautes personnalités du RUF.

D'autre part, le Conseil de sécurité voyait en la prise en otage des membres de la force des Nations unies par un groupe armé une attaque dirigée contre la communauté internationale toute entière39(*) et estimait qu'il était de l'obligation de l'organisation de fournir son assistance au gouvernement dans la poursuite des perpétrateurs. Le Secrétaire général sera alors chargé de fournir un rapport sur le statut, le financement et le fonctionnement de la Cour. Sur ces trois points, les avis étaient différents. Le Secrétaire général souhaitait une Cour dotées des pouvoirs issus de chapitre VII de la Charte, chargé de poursuivre « ceux qui sont le plus responsables » des violations des droits de l'homme et financée par le budget des Nations unies. Le Conseil de Sécurité quant à lui voulait une Cour indépendante du budget de l'ONU, démunie des pouvoirs du Chapitre VII et compétente pour juger « ceux qui portent la plus grande responsabilité » des exactions. C'est finalement cette dernière formule qui sera adoptée au moyen de la Résolution 1315 du Conseil de Sécurité40(*), demandant « au Secrétaire général de conclure un accord avec le gouvernement de la Sierra Léone en vue de la création d'une Cour spéciale (...) étant donné que la situation du pays est une menace contre la paix et la sécurité dans la région» 41(*).

Après 17 mois de négociations, le gouvernement sierra léonais et le Secrétaire général signent finalement en janvier 2002 l'Accord portant sur l'établissement de la Cour spéciale pour la Sierra Léone42(*) auquel sera annexé un statut.

La création et la mise en place de la Cour auront suscité plein de débats qui relèveront des questions juridiques dont l'analyse présente un grand intérêt. Il était donc nécessaire de mettre en place une instance répondant aux besoins des contextes interne et international et de lui fournir des armes lui permettant d'accomplir sa mission de manière adéquate afin d'inciter une plus grande adhésion des principaux concernés, les populations sierra léonaises. Il conviendra donc, avant de mesurer l'impact que la stratégie des poursuites aura eu sur l'opinion (Section 2) de présenter l'environnement global autour de la création de la Cour spéciale (Section 1).

Section I : Environnement global autour de la création de la Cour Spéciale

La Cour spéciale sierra léonaise est un exemple inédit d'instance pénale internationale. Elle intervient dans un contexte international propice aux poursuites pénales (I) alors même que la communauté internationale, par la création d'autres juridictions ad hoc s'était dotée de moyens lui permettant de répondre ponctuellement à d'autres violations graves des droits de l'homme. Il sera alors utile pour notre étude de confronter la nouvelle Cour avec ces deux instances pénales internationales (II).

I. Un contexte national et international propice aux poursuites pénales

Les crimes internationaux sont d'un genre particulier. Le processus de victimisation va au-delà des victimes directes et immédiates. La déshumanisation des victimes touche à l'humanité tout entière, car c'est à l'ensemble de la communauté des Etats qu'il appartient de garantir le respect des normes impératives du jus gentium. Les développements de la société internationale depuis la création des tribunaux ad hoc en 1993 et l'adoption du Statut de Rome ainsi que la prise de conscience de l'ampleur des atrocités développeront un consensus global autour des poursuites (A) ce qui fera de la collaboration entre la Cour et le gouvernement (B) un exemple.

A. Consensus autour des poursuites

La création d'une Cour pénale en Sierra Léone répondait aux attentes de la population qui a besoin de la justice afin de rétablir l'équilibre interne (1) et de défendre les intérêts de la communauté internationale (2).

1. Nécessité de rétablir l'équilibre social interne

La justice internationale, comme l'indiquait le juriste autrichien Hans KELSEN43(*) est une justice primitive qui a le plus souvent mis l'accent sur la responsabilité collective de l'Etat ou des groupes plus ou moins homogènes44(*). Or, depuis Nuremberg, la société internationale s'est progressivement écartée de cette voie. Il est nécessaire d'établir les responsabilités individuelles. Autrement dit, les victimes et communautés qui ont souffert sont moins disposées à se réconcilier si les auteurs des crimes ne sont pas reconnus comme responsables, elles ont besoin d'identifier les personnes individuellement responsables de leurs souffrances pour mettre fin à la haine et au désir de vengeance. Il ne sera plus question de stigmatiser ou de faire des amalgames à propos des child soldiers, des bush followers, des Kamadjors, des membres des forces armées ou bien d'autres groupes abstraits et de les considérer comme étant tous responsables, diluant ainsi la responsabilité réelle qui réside dans la culpabilité. Il s'agira de trouver des noms, des circonstances précises et des lieux pour identifier avec précision les perpétrateurs et leur infliger des sanctions légitimement proportionnelles à leurs actes.

Il y a quand même eu des réserves des populations consultées quant à leur opinion sur la mise en place de la Cour. Certains d'entre eux soutenaient que traduire les gens devant des juridictions pour les fautes commises était une manière occidentale d'affronter le passé. La tradition africaine45(*) privilégie le dialogue et le pardon entre membres de la communauté, si possible sans la présence des personnes étrangères. Pour eux, faire comparaître des personnes avec qui ils vivent en communauté devant un tribunal, de surcroît dirigé par des juges internationaux, qui n'ont aucun lien historique, moral, idéologique ou religieux avec les protagonistes du conflit, est peu propice à promouvoir la réconciliation ; ce serait faire ressurgir les blessures du passé, reparler des souffrances et humiliations que les femmes et surtout les filles ont dû subir et cristalliser ainsi les haines nées et entretenues pendant le conflit. Ceci est probablement dû au manque de consultation préalable et au sentiment de mise à l'écart des populations et des groupes de victimes. Les principales associations ne pouvaient se rendre à New York où se tenaient les négociations à propos de la Cour et n'assistaient pas toujours aux réunions des experts des Nations unies lorsque ceux-ci venaient en mission sur le terrain. Cette lacune sera corrigée par le greffe du tribunal qui mènera dès les premiers jours de sa constitution une campagne nationale d'information sur le mandat et le fonctionnement de la Cour ainsi que de l'avantage dont les sierra léonais pouvaient en tirer.

L'autre raison de réserves par rapport à la Cour était la précarité de la paix. Si jeune, celle-ci risquait de voler aux éclats parce que les combattants, de peur d'être confrontés à un procès, et d'éventuelles peines de prison mettraient en péril les opérations de démobilisation, désarmement et de réinsertion (DDR) menées par les Nations unies et le gouvernement. Une étude menée par l'organisation PRIDE (Post-conflict Reintegration Initiatives for Developpement and Empowerment) pour le compte de l'ICTJ montre46(*) qu'au début, l'opinion favorable des ex-combattants variait en fonction d'une part de la sensibilisation, et d'autre part de la milice à laquelle ils appartenaient. Ainsi, avant d'être sensibilisés, les ex-combattants de la CDF étaient enthousiastes à l'idée de la création de la Cour, tant il est que l'opinion dominante en Sierra Léone pensait que celle-ci servirait à poursuivre les miliciens qui n'appartenaient pas à la mouvance favorable au gouvernement issu des urnes. Après avoir été renseignés sur la possibilité pour tous les protagonistes à être attraits devant la juridiction, le pourcentage d'opinions favorables s'est considérablement réduit47(*). En revanche, les soldats du RUF, très méfiants au départ étaient plus favorables à la Cour après sensibilisation48(*).

Les victimes, très nombreuses dans les banlieues de Freetown et des autres grandes villes du pays sont pour la plupart pris en charge par la famille ou les associations caritatives et les ONG étrangères ou locales, vivent dans des conditions miséreuses et ont besoin de voir les coupables de ces atrocités répondre de leurs actes devant une instance pénale. En plus de la recherche de la répression, il est important pour ces personnes d'intégrer un système de responsabilité pour satisfaire à la qualification juridique de victime et prétendre à obtenir réparation. Car en effet, sans coupables, il n'y a pas de responsables, donc pas de victimes. Elles veulent et doivent faire partie intégrante du processus judiciaire, non de manière accessoire mais entant que partie prenante à part entière. A ce propos, de la conférence nationale de commémoration pour les victimes de mars 2003 qui regroupait 350 délégués issus des conférences régionales a émergé deux principales idées : en premier lieu, la plupart, notamment les associations des amputés demandaient réparation, ou plus précisément un soutien des autorités dans leurs efforts de réhabilitation. En second lieu, les femmes on apprécié la prise en compte de leurs revendications, notamment en incriminant le viol et les autres violences sexuelles et demandent plus de participation dans le processus de réhabilitation judiciaire et voient en cette initiative un moyen d'éducation des sierra léonais sur les droits de l'homme et le respect des femmes et des filles. La protection des témoins était aussi au centre des préoccupations des victimes. Elles craignaient des représailles car bon nombre de perpétrateurs ou de leurs proches vivaient encore dans les communautés.

Enfin, les attentes des groupes socio professionnels comme la communauté des juristes et les membres des forces armées nationales étaient opposés. Les premiers voulaient une participation effective du barreau local tout au long du processus. Ils souhaitaient participer et profiter pleinement de l'évolution professionnelle que leur offrait cette opportunité mais peu ont finalement été intégrés dans le système, la plupart du personnel de la Cour étant composé d'internationaux49(*). Les militaires quant à eux voyaient en la création de la Cour un outil de la politique extérieure des Etats-Unis qui ont signé avec le gouvernement l'accord bilatéral de non extradition prévu à l'article 93 du statut de Rome.

2. Intérêts pour la communauté internationale

La communauté internationale a une responsabilité dans la pérennité de l'impunité, car les violations des droits de l'homme sont des infractions qui portent atteinte au droit international, indépendamment qu'elles soient punies comme crimes dans tel ou tel Etat. En ratifiant la Charte des Nations Unies de 1945, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques de 1966, les quatre Conventions de Genève de 1949, le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale de 1998, ainsi que les instruments régionaux comme la Charte de l'OUA de 1963 ou la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981, la Sierra Léone a pris l'engagement tant juridique que moral, de respecter et de faire respecter les droits fondamentaux de l'homme.

La fin du conflit sierra léonais correspondait à une période trouble dans la sous-région. En plus du conflit au Libéria qui prenait une tournure particulièrement violente, la Côte d'Ivoire s'embrasait et il était nécessaire de traduire cette création en signal fort à la direction des acteurs de la sous-région pour leur signifier qu'il n'était plus possible d'obtenir l'impunité pour des violations graves des droits de l'homme. La mise en place de cette juridiction pénale répond-elle à un mouvement international vers l'établissement de la CPI ?

En tout cas, les avis divergent selon les observateurs : certains, pensent que le Royaume Uni, qui s'est impliqué avec la France dans tout le processus d'élaboration des instruments de la Cour au Conseil de sécurité, soutenait l'initiative internationale vers la concrétisation des acquis de Rome. Pour eux, il n'y a pas d'incompatibilité entre le soutien à l'établissement d'une institution ad hoc et les efforts en faveur de la CPI, la Sierra Léone étant l'un des tout premiers pays à signer et ratifier le Statut de Rome50(*). Pour les autres, l'implication des Etats-Unis répondait à la volonté de l'administration de torpiller la mise en place d'une juridiction permanente internationale en démontrant la viabilité des méthodes alternatives51(*). Tout compte fait, il n'était plus question pour l'ensemble de la communauté internationale de laisser libre cours à l'impunité. Il fallait aussi tirer les leçons du passé, notamment en matière d'efficacité et d'économie financière.

De 1945 à 1993, l'idée de création d'une instance internationale capable de juger en toute impartialité les responsables des crimes internationaux est progressivement arrivée à maturité. La possibilité même que les responsables politiques ou militaires des Etats puissent être traduits devant une juridiction jouissant de la compétence universelle aura nécessité un temps extrêmement long. Pourtant, plusieurs conventions adoptées dans le cadre des Nations unies avaient envisagé l'éventualité d'un organisme de ce type : l'article VI de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide52(*) prévoyait le jugement des personnes soupçonnées d'avoir commis des actes contraires à la convention devant les tribunaux nationaux « ou devant la Cour criminelle internationale qui sera compétente » ; l'article V de la Convention de 1973 sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid se référait également à un « Tribunal pénal international qui serait compétent ».

La Cour internationale de justice (CIJ) dans son arrêt Barcelona Traction53(*) relevait l'importance supérieure des Etats à protéger les droits fondamentaux de l'homme. Il s'agit pour elle d'obligations erga omnes, c'est-à-dire, l'obligation en toute circonstance d'enquêter, de poursuivre, de juger et de sanctionner les responsables des violations des droits de l'homme ainsi que de prendre des mesures législatives, règlementaires et administratives adéquates pour prévenir la répétition de tels actes. Mais ces références étaient restées lettre morte, bien qu'à de nombreuses reprises dans le monde, des violations graves des droits de l'homme aient montré l'existence dans ce domaine d'une faillite considérable du droit international. Etonnamment, la création des tribunaux pénaux pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda et finalement celle de la Cour spéciale, des instances au Cambodge, au Timor Leste et au Kosovo sont intervenues après des processus relativement rapides.

En ce qui concerne la Cour Spéciale pour la Sierra Léone, sa création intervient dans un contexte international marqué par un scepticisme grandissant vis-à-vis des deux tribunaux ad hoc à Arusha et La Haye. Le TPIR et le TPIY font l'objet de critiques à propos de leur lenteur, du coût exorbitant de leurs opérations, la distance, voire le manque de connaissance de leurs personnels des réalités des victimes dont ils traitaient les dossiers54(*). Les experts des Nations unies ont souligné ces lacunes55(*) en tant que leçons à tirer par la nouvelle juridiction. C'est donc la Résolution 1315 du Conseil de sécurité du 14 août 2000 qui a enclenché le processus d'établissement. Dans cette résolution, le Conseil déplorait que les crimes et violences graves commis sur le territoire de la Sierra Léone contre les citoyens sierra léonais et les membres du personnel des Nations unies et d'autres organisations soient restés impunis. Il ne fallait donc ménager aucun effort pour traduire les responsables de ces atrocités devant une juridiction respectant les principes contemporains du procès équitable. Ce processus devrait, pour le cas particulier de la Sierra Léone, concourir à la consolidation de la paix et faciliter la réconciliation56(*). En outre, le conseil rappelait son attachement aux résolutions issues de l'accord de paix de Lomé, de sa volonté d'appuyer celles-ci mais relevait aussi « que le Représentant spécial du Secrétaire général a assorti sa signature de l'Accord de paix de Lomé d'une déclaration selon laquelle il était entendu, pour l'Organisation des Nations Unies, que les dispositions de l'Accord concernant l'amnistie ne s'appliquaient pas aux crimes internationaux de génocide, aux crimes contre l'humanité, aux crimes de guerre et autres violations graves du droit international humanitaire57(*) ». Certains observateurs58(*) y ont vu un revirement spectaculaire par rapport aux positions de l'ONU prises dans la résolution 1216 de l'année précédente. Elle soutenait en effet les efforts du gouvernement dans l'application de l'accord de Lomé qui prévoyait une amnistie comme monnaie de change contre la paix. Avril Mc DONALD59(*) voit aussi en cette résolution la volonté des Nations unies de créer un précédent important : celui de répondre avec une extrême sévérité aux attaques contre son personnel, car il en va de la crédibilité et de l'intégrité des missions sur les théâtres d'opérations dans le monde.

Elle répond enfin à l'initiative du gouvernement sierra léonais qui, dès l'accession au pouvoir du président KABBAH a sollicité l'aide de la communauté internationale pour procéder au jugement équitable des personnes incarcérées dans les prisons de Freetown60(*). Les conditions de sécurité dans le pays ne permettaient pas au gouvernement de tenir des procès dans des conditions sereines, le pays dépendant encore fortement des casques bleus et de l'armée britannique pour maintenir une stabilité minimale. De plus, le manque de confiance des populations en la justice de leur pays, les capacités nationales limitées en termes de personnel, de moyens financiers et d'infrastructure ainsi que le vide juridique, dû à l'absence de qualification juridique adéquate dans le corpus pénal interne rendaient impossible, sans soutien extérieur de mener des poursuites efficaces à l'égard des personnes présumées responsables des crimes de guerre.

Le Conseil de sécurité demandera donc au secrétaire général d'entamer des négociations avec le gouvernement sierra léonais pour mettre sur pied d'une Cour dont les compétences ratione materiae et ratione personae sont respectivement61(*) « les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et autres violations graves du droit international humanitaire, ainsi que les crimes, au regard des règles pertinentes du droit sierra-léonais commis sur le territoire de la Sierra Leone (...) » et le jugement de « (...) ceux qui portent la responsabilité la plus lourde des crimes... notamment les dirigeants qui, en commettant de tels crimes, ont compromis l'établissement et la mise en oeuvre du processus de paix en Sierra Leone » ; la compétence ratione temporis quant à elle fera l'objet d'un rapport que le Secrétaire général présentera après la désignation d'une mission d'experts sur le terrain.

Il s'en suivra le rapport du Secrétaire général du 4 octobre 200062(*) auquel sera annexé un projet de statut qui présentera les principaux contours de la Cour tenant compte des recommandations du Conseil de sécurité. Des échanges de lettres ultérieures éclairciront les points relatifs au financement, aux pouvoirs de la Cour et de la compétence personnelle.

La création de la Cour répond, ainsi que l'indique la lettre du gouvernement aux Nations unies au besoin de rétablissement de l'équilibre social interne, étant donné que le Conseil de sécurité a reconnu dans la résolution 1315 que tant que certaines personnes resteront en liberté, la situation en Sierra Léone constituerait une menace contre la paix et la sécurité dans la sous-région.

B. Les rapports avec l'Etat sierra léonais

La Sierra Léone a toujours été citée en exemple lorsqu'il s'agit de coopération avec une instance judiciaire internationale. Elle a gardé un profil bas pour assurer l'indépendance de la cour (1) qui apportait des bénéfices remarquables à l'appareil judiciaire national (2).

1. Un profil bas des autorités garant de l'indépendance de la Cour

La coopération entre le gouvernement sierra léonais et la Cour découle juridiquement de la loi de 2002 portant sur la ratification de l'accord signé entre le Secrétaire général des Nations unies et le président KABBAH auquel a été annexé statut de la Cour. En effet, la partie IV intitulée « Assistance mutuelle entre la Cour spéciale et la Sierra Léone63(*)» prévoit des obligations positives des autorités sierra léonaises pour exécuter toutes les demandes d'assistance de la Cour. Etant donné que les mandats de la Cour ont une force exécutoire équivalente à celle des tribunaux sierra léonais (partie V article 20), une demande d'assistance transmise à l'Avocat général doit être traitée sans délai. Il peut s'agir, comme le prévoit l'article 15 de l'identification et de la localisation des personnes recherchées (témoins ou inculpés), la recherche et la transmission des documents, l'arrestation et la transmission des inculpés à la Cour. Sur ce dernier point, la Cour spéciale a bénéficié de la coopération de la police, notamment lors de l'arrestation de cinq suspects en l'espace de quelques heures en mars 2003.

L'assistance peut être fournie à la Cour sous plusieurs formes dans le respect des lois de Sierra Léone, notamment de la loi de procédure criminelle de 1965 (paragraphes 15 et 16). De manière confidentielle ou informelle, l'avocat général doit utiliser la procédure recommandée par la Cour et l'informer des résultats des premières mesures prises pour y répondre. En cas de confidentialité, l'Avocat général doit suivre les prescriptions émanant du juge de la Cour, en moins que la publication d'une information ou d'un document ne soit absolument nécessaire pour la réussite de l'opération. Une telle décision doit être prise de commun accord avec la Cour.

Seules les autorités de la Cour sont en mesure de juger de l'opportunité d'une mesure d'enquête et des moyens à mettre en place pour arriver à leur réalisation. La requête adressée à l'autorité judiciaire locale ne concerne que la phase d'exécution. Dès lors, en cas d'impossibilité pour l'Avocat général d'exécuter une décision ou un mandat de la Cour, celui-ci doit motiver sa décision en expliquant les motifs du refus ou de report de la mise en place des telles mesures. Même en cas d'informations concernant la sécurité interne de l'Etat, un mécanisme est prévu pour la transmission des documents sensibles sans nuire à ces impératifs. Quels que soient les motifs de refus de coopération, la décision de la Cour s'impose car elle est d'une force supérieure à celles des juridictions locales.

Contrairement aux autres cas (Etats de l'ex-Yougoslavie et Rwanda), l'Etat sierra léonais a exprimé une volonté politique de coopération avec la Cour. Le gouvernement a été prudent et s'est tenu à l'écart du travail de la Cour. Il est représenté au comité de management qui a pour fonction de rechercher les ressources nécessaires au fonctionnement, de pourvoir les postes vacants et de définir les lignes budgétaires. Les autorités politiques se sont abstenues jusqu'ici de tout commentaire car ils craignaient d'influencer les choix et les méthodes de travail des organes de la Cour. Certains ont pensé que le manque de réaction des autorités était une preuve que la Cour était imposée aux Sierra léonais par les occidentaux64(*), mais, le Président de la République65(*) n'a cessé de rappeler que l'initiative de la création d'une Cour vient de lui et de son Gouvernement et que celle-ci a été crée et ne peut fonctionner efficacement sans coopération avec l'appareil judiciaire local.

Cette coopération louée par le Président conduira incontestablement des résultats importants quant aux bénéfices que l'appareil judiciaire national pouvait en tirer.

2. Les bénéfices à tirer par l'appareil judiciaire national

A la signature de l'ultime accord de cessez-le-feu entre les rebelles et les forces gouvernementales, les institutions judiciaires de la Sierra Léone avaient perdu tout leur crédit. L'expatriation massive du personnel qualifié, la déliquescence des infrastructures et surtout la mauvaise réputation qu'avaient les juges étaient les principaux obstacles à la mise en place d'une justice compétente et digne de foi. L'établissement d'une juridiction hybride était une occasion pour la justice Sierra léonaise de redorer son blason et de faire profiter son personnel de l'avantage que cela pouvait consister.

En ce qui concerne les infrastructures, la Cour laissera un complexe judiciaire important en termes de bureaux et d'équipements. Le système juridique bénéficiera en plus d'un établissement pénitentiaire ultra moderne qui remplit les exigences internationales d'incarcération, des salles d'audience qui permettront de pallier aux désagréments que causent les commodités actuellement utilisées par les juges de Freetown.

Le travail dans le sens des reformes du système légal dans son ensemble s'est fait sans implication directe de la Cour entant que telle. Néanmoins, certains membres du parquet ont participé à l'initiative pour la réforme légale66(*) financée par le PNUD et qui ont conduit à l'adoption d'un nouveau Code de procédure pénale et d'un nouveau code de conduite des juges. L'Initiative pour les réformes légales consistait aussi en un soutien aux 14 Cours des districts administratifs pour faciliter l'accès à la justice dans les zones rurales à travers une aide budgétaire et la formation du personnel judiciaire et parajudiciaire qui a bénéficié d'un appui considérable de la part de la section de management de la Cour.

Du point de vue du développement professionnel, la Cour a représenté une opportunité d'évolution pour les juges et fonctionnaires, qui, de près ou de loin concourraient à l'exécution des mandats de la Cour. Cependant, cette procédure était limitée dans le temps et l'envergure qu'on a voulu lui donner n'a finalement pas apporté les résultats escomptés. La police quant à elle a su tirer profit de cette évolution car la plupart des fonctionnaires qui ont participé aux missions d'investigation ont tout de suite été promus.

Enfin, dès la création et l'installation progressive de la Cour, les autorités Sierra léonaises ont crée avec le concours de la Cour créé une chaine de radio régionale67(*) qui, propose des émissions de sensibilisation au bien fondé de la Cour et surtout dans le domaine des droits de l'Homme. Considérant que le principal moyen d'information du public Sierra léonais est la radio, l'impact d'un tel outil pour la Cour spéciale et plus tard pour l'information de la population en termes de droits et de la santé.

La création de la Cour spéciale intervient dans un environnement caractérisé par les efforts de lutte contre l'impunité, notamment la mise sur pied de la Cour pénale internationale et surtout des tribunaux ad hoc.

II. La Cour Spéciale et les autres juridictions pénales internationales

La Cour spéciale pour la Sierra Léone, bien que créée suivant un processus suis generis n'intervient pas ex nihilo. Elle vient dans un contexte où la communauté internationale a commencé à faire ses preuves sur le chemin de la lutte contre l'impunité en Ex-Yougoslavie, au Rwanda et plus généralement avec l'adoption du Statut de Rome. La rédaction du statut et des règles de procédure et de preuve de la nouvelle Cour pour la Sierra Léonne devrait « s'inspirer de ceux des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l'Ex-Yougoslavie68(*) » et s'adapter aux circonstances spécifiques du cas sierra léonais. Contrairement aux autres tribunaux ad hoc, la Cour est crée par accord spécial entre le gouvernement sierra léonais et les Nations unies (A) et siège sur les lieux où les exactions qu'elle punit ont été commises (B).

A. Une Cour créée par accord spécial

Les principales parties prenantes au sein du Conseil de sécurité voulaient une Cour économique et indépendante de l'administration onusienne (1). Sa création par accord spécial et non par une résolution concourt à la réalisation de ce premier objectif et surtout privera des pouvoirs importants liés à l'application du Chapitre VII de la Charte de San Francisco (2).

1. Une Cour indépendante de l'administration onusienne

L'indépendance de la Cour par rapport à l'administration onusienne peut revêtir deux aspects : l'aspect financier et l'aspect fonctionnel. Concernant les finances, l'un des principaux facteurs, nous l'avons dit pour la réussite de la Cour était de savoir si elle pouvait remplir sa mission de manière plus efficace que les autres tribunaux ad hoc sans coûter aussi cher à la communauté internationale. Le budget annuel de la Cour est en moyenne de 25 millions de dollars, une moindre somme par rapport aux 120 millions que coûtent chacun des deux tribunaux69(*) ad hoc précités. Ce budget ne correspond pas à l'évaluation première de 114,6 millions opérée par le Secrétaire général70(*). Cette évaluation réduite ayant obtenu l'adhésion des membres du Conseil de sécurité réunis en séance informelle n'a cependant pas vu un très grand enthousiasme dans les contributions.

En effet, la création de la Cour par un accord spécial conduit à l'impossibilité que son financement puisse dépendre du budget global des Nations unies. C'est pourquoi les problèmes que les autres tribunaux n'ont pas rencontrés dès leur mise sur pied allaient se révéler handicapants pour la Cour. Le Conseil de sécurité a demandé au Secrétaire général71(*) de déterminer « le montant des contributions volontaires, en tant que de besoin, les fonds, le matériel et les services, notamment les services d'experts, que les États, les organisations intergouvernementales et les organisations non gouvernementales pourront être appelés à fournir au Tribunal spécial ». Contrairement aux Tribunaux Pénaux Internationaux pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda qui sont financées par les contributions obligatoires des membres des Nations unies72(*) et la Chambre spéciale du Kosovo qui dépend de la Mission des Nations Unies au Kosovo, c'était donc la première fois qu'il fallait qu'une instance judiciaire recherche ses moyens de financements en faisant recours aux contributions volontaires des Etats pour assurer le financement. Le Secrétaire général accordera une particulière attention à la collecte des fonds ; il aura d'ailleurs à cet effet lancé un appel le 18 juin 2001 aux Etats pour leur demander d'indiquer quelles seront leurs contributions financières, matérielles et en personnel à la mise sur pied et au fonctionnement de la Cour pour les trois premières années. Le résultat de 15 millions de dollars pour la première année (1,8 millions de moins que nécessaire) et 20,4 millions pour les deux autres années (soit 19,6 millions de moins) avec des contributions en mobilier et pas de mise à disposition de personnel73(*). Ce manque d'enthousiasme à participer plus activement au financement de la Cour décrit le sentiment de lassitude des Etats face aux coûts exorbitants engloutis par les deux tribunaux.

D'un point de vue fonctionnel, la Cour est complètement autonome par rapport à l'administration onusienne. Bien que rendant compte au Conseil de sécurité via le Secrétariat général, elle est tout à fait indépendante de l'appareil administratif et politique de l'ONU. Contrairement aux TPI pour le Rwanda et l'Ex-Yougoslavie, la nomination du personnel de la Cour spéciale ne dépend pas exclusivement du bureau des affaires juridiques du Secrétariat général des Nations unies ; elle est partagée entre le Secrétaire général et le gouvernement sierra léonais. Au premier incombe la nomination de sept des onze juges de la Cour ainsi que du Procureur. Le président Sierra léonais quant à lui a à sa charge la nomination du Procureur adjoint et des quatre autres juges. Le personnel administratif quant à lui est composé aussi bien de nationaux qu'internationaux74(*). Certains bureaux comme celui des relations publiques sont occupé à 100 %, au moment de la création de la Cour, par les nationaux qui pratiquent la langue courante de la Sierra Léone (le Krio) et qui ont joué un rôle important dans la mission d'information et de sensibilisation sur la Cour à travers le pays.

Le Secrétaire général des Nations unies avait aussi prévu un procédé de coopération75(*) avec la Mission des Nations Unies en Sierra Léone. Le Conseil de sécurité prend en compte ces recommandations dans la résolution 1400 (2002) dans laquelle il « espère que le Tribunal entamera bientôt ses activités et autorise la MINUSIL à assurer au Tribunal spécial, sur la base du remboursement des frais, et sans préjudice pour son potentiel, l'appui administratif et l'appui connexe nécessaires76(*)». La mission lui fournira donc une aide en matière d'administration financière, logistique, notamment en ce qui concerne les outils informatiques et de télécommunications et en personnel pour les premiers mois de fonctionnement, en attendant la mise sur pied progressive du budget et du personnel propres de la cour. Kofi ANNAN prévoyait aussi la mise à disposition de la mission d'une partie de ses locaux à la Cour pour lui permettre d'abriter les bureaux du procureur dans les premiers mois. Ce rapport et la résolution ne seront pas suivis d'effet notable dans la mise en place effective de ces objectifs. Pire, il y est allégué dans un premier temps77(*) une certaine rivalité entre les deux institutions. En effet, les officiels de la mission avaient une certaine hésitation à mettre sur pied une plate forme de coopération avec la Cour Selon les recommandations du Secrétaire général et du Conseil de sécurité car selon eux, la mission de pacification du pays risquait d'être sérieusement mise à mal par les activités de la nouvelle Cour. Il y a quand même eu deux domaines où la MINUSIL a apporté son soutien : la sécurité et les droits de l'homme. En effet, la CIVPOL (police civile des missions des Nations unies) et les troupes militaires ont apporté une aide indispensable pour que la Cour puisse remplir sa mission en toute sérénité. La section des droits de l'homme quant à elle lui a apporté toute l'expérience de son équipe dans l'élaboration des premiers documents de base et la formation du personnel national.

Le fait que la Cour soit indépendante de l'administration onusienne et financée par des contributions volontaires lève la question du rôle du Secrétaire général dans la gestion des contributions et l'utilisation des fonds. Un comité de gestion formé d'un groupe d' « Etats intéressés78(*) » a été mis sur pied par celui-ci pour assurer le contrôle de la gestion des fonds. Le comité sera entre autres chargé de:

· Assister le Secrétaire général pour s'assurer de la disponibilité permanente des liquidités pour le fonctionnement de la cour ;

· Assister les Nations unies et le gouvernement sierra léonais dans la mise sur pied de la Cour, notamment le recrutement et la formation du personnel ;

· Examiner le rapport moral du président et le rapport financier du greffier de la Cour et faire des recommandations au Secrétaire général;

· Faire un rapport au groupe des Etats pourvoyeurs de fonds et rechercher d'autres contributeurs au fonctionnement de la Cour.

Bien que les contributions volontaires aient suscité l'intérêt des membres du Conseil de sécurité et des pays donateurs, la mise en place de cette commission soulève la question de l'indépendance de la Cour. L'on ne peut s'assurer d'un manque de pressions des Etats qui siègent dans cette commission pour influer sur le fonctionnement de la Cour. Plus, les risques de marchandages politico diplomatiques79(*) autour d'une institution dont la mission est de punir les violations graves des droits de l'homme risquent de dénaturer sa mission en détournant l'attention vers son but principal. Ainsi, certains observateurs on vu au financement de la Cour par les Etats-Unis une tentative de saborder les efforts de mise en place de la CPI qui souffre de son hostilité. Pourtant, comme c'est le cas pour les autres tribunaux ad hoc, le financement dépend uniquement de la répartition budgétaire des Nations unies. Les Etats participeront indirectement à leur financement en versant leurs contributions obligatoires au financement du budget annuel de l'organisation.

Outre les conséquences liées au financement et au fonctionnement administratif de la Cour, une conséquence juridique qui influera sur la coopération des Etats avec celle-ci est l'absence de pouvoirs relatifs au Chapitre VII de a Charte de San Francisco.

2. Absence de pouvoirs relatifs au chapitre VII da la Charte des Nations unies

Le Chapitre VII de la Charte des Nations unies relatif aux actions à prendre en cas « menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression » confie au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. En effet, il « constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises (...) pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales » ces mesures ne comportent pas dans un premier temps l'emploi de la force80(*) et dans un second temps, au cas où les mesures pacifiques n'ont pas conduit à la cessation de la menace, des mesures coercitives impliquant l'emploi de la force armée prévues aux articles 42 et suivants peuvent être prises.

Les violations graves du droit international humanitaire dans les territoires de l'Ex-Yougoslavie et les actes de génocide commis au Rwanda ont été interprétées par le Conseil de sécurité comme des menaces contre la paix et la sécurité internationales. La résolution 827 du 25 mai 1993 estimait que « la création d'un tribunal international et l'engagement des poursuites contre des personnes présumées responsables de telles violations du droit international humanitaire contribueront à faire cesser ces violences81(*)... » et à contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationales82(*). Pour faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité prises dans le cadre de l'exécution de son mandat, le Chapitre VII de la charte prescrit une coopération étroite et obligatoire des Etats (article 43 § 1). En appliquant ce principe à la création des deux TPI, les Etats sont tenus de respecter les mandats et d'exécuter les requêtes ainsi que de fournir toute l'assistance nécessaire à la collecte des preuves et à l'arrestation des suspects ou accusés. La création de la Cour spéciale pour la Sierra Léone répond aux mêmes objectifs de lutte contre l'impunité et du maintien de la paix et de la sécurité internationales mais ne correspond pas au même contexte que les deux précédents. Les membres de la communauté internationale n'ont pas voulu - ceci plus pour des raisons plutôt financières - mettre sur pied une autre juridiction greffée aux Nations unies.

La création de la Cour spéciale par un accord spécial entre le gouvernement de Sierra Léone et le Secrétaire général des Nations unies la dépouillera des pouvoirs relatifs à l'exécution du Chapitre VII de la Charte. L'absence de ces pouvoirs influera considérablement sur la coopération des Etats tiers car, seul l'Etat sierra léonais est tenu par les stipulations de l'accord et les dispositions de la loi de ratification. Les autres n'encourent aucune sanction en cas de refus d'exécution des demandes et mandats des autorités de la Cour. Deux circonstances remarquables sont révélatrices de cette lacune.

Pour commencer, dès les premières arrestations des inculpés, les conditions de sécurité n'étaient pas encore jugées suffisantes pour les maintenir en prison en Sierra Léone. Leur lieu de détention était tenu secret en attendant la conclusion d'un accord entre la Cour et les autorités tanzaniennes pour permettre la détention de ces derniers dans les locaux du TPIR à Arusha. Cet accord ne sera jamais conclu et les prisonniers ont dû attendre l'inauguration de la nouvelle prison de Jomo Kenyatta road pour qu'ils puissent être transférés. Le caporal Foday SANKOH y arrivera affaiblit par la maladie et par les mauvaises conditions de détention de la prison nationale de Freetown. Le greffier de la Cour a aussitôt entamé des négociations avec les gouvernements du Ghana, du Nigéria, des Pays Bas et de Grande Bretagne pour procéder à son évacuation sanitaire. Evoquant des raisons techniques, le gouvernement ghanéen refusera la délivrance d'un visa d'entrée à l'intéressé. Les Hollandais et Britanniques eux aussi, peu enclins à l'accueillir sur leurs sols, ne répondront pas favorablement aux demandes car, selon eux, il pourrait profiter de l'occasion pour demander l'asile. Ces arguments sont aussi surprenants parce qu'il n'avait aucune chance de voir sa demande aboutir83(*) à cause de son statut d'inculpé devant la Cour.

Le deuxième cas concerne les péripéties de l'affaire TAYLOR. Son inculpation a été rendue publique lors de son voyage à Accra pour les négociations avec les rebelles libériens du LURD et du MODEL. Au lieu de procéder à son arrestation, les autorités ghanéennes mettront à sa disposition un avion pour qu'il puisse regagner Monrovia sans être inquiété jusqu'au 11 août 2003, date à laquelle il acceptera finalement l'exil au Nigéria. Quelques mois après, INTERPOL décidera de délivrer un mandat d'arrêt international à son encontre. Cependant, les mandats de la police internationale n'ont pas valeur juridique contraignante. Il faut une volonté politique des Etats vers qui ils sont délivrés pour espérer une exécution efficace. La Cour maintiendra le contact avec une coalition d'ONG composée de Human Rights Watch, Amnesty International, Justice Initiative, the Coalition for International Justice, Open Society Institute qui ont continué à faire pression sur les gouvernements des Etats-Unis et du Nigéria. Une action a même été intentée contre TAYLOR par des associations nigérianes devant les juridictions locales pour deux motifs : la violation des règles de l'asile du fait qu'il continuait à interférer dans les affaires de son pays et pour les crimes qu'il a commis contre les citoyens nigérians. Cette procédure judiciaire débouchera finalement sur un échec qui traduisait bien la volonté du président OBASANJO de maintenir le statu quo.

Le président de la Cour a écrit au Secrétaire général des Nations unies lui demandant de lui faire attribuer par le conseil de sécurité les pouvoirs relatifs au chapitre VII de la Charte. Suite au rapport du Secrétaire général84(*), ce point sera inscrit à l'ordre du jour de la session du 30 juin 2005. Curieusement, la résolution85(*) qui en découlera ne fera pas état des pouvoirs à accorder à la Cour. Elle se contentera de soutenir « qu'il importe de s'assurer que toutes les personnes accusées par le Tribunal soient déférées à celui-ci » avec pour seule garantie que tous les Etats soient enclins à « coopérer pleinement avec le Tribunal86(*) ». Une résolution ultérieure (S/RES/1638 du 11 novembre 2005) du Conseil de sécurité ordonnera à la mission des Nations unies au Libéria d'arrêter TAYLOR et de le livrer à la Cour s'il retourne dans son pays.

Le manque des pouvoirs relatifs au Chapitre VII de la Charte influant sur les rapports de la Cour avec les autres Etats aura certes des incidences sur le fonctionnement de la Cour mais ces limites n'auront permis que dans la plupart des cas - sauf pour Foday SANKOH qui mourra avant de trouver un pays d'accueil- de retarder le cours de la justice. Les accusés on été tenus au secret dans une prison d'une île aux larges de Freetown jusqu'à leur incarcération définitive à la Cour pendant que Charles TAYLOR sera finalement extradé vers La Haye où il attend d'être jugé. Contrairement aux autres tribunaux ad hoc qui peinent à obtenir la coopération des Etats où les violations des droits de l'homme jugés par eux ont été commises, la Cour a bénéficié des autorités sierra léonaises de la plus large coopération possible. Ceci est probablement dû au fait que la Cour siège sur le territoire sierra léonais.

B. Une Cour siégeant in loco et les éventuels conflits de compétence

Contrairement au TPIR et au TPIY qui siègent respectivement à Arusha et La Haye, la Cour spéciale siège in loco, c'est à dire sur les lieux où les atrocités ont été commises, ce qui représente des risques non négligeables en matière de sécurité (1). Le domaine d'exercice de la Cour étant le même que celui des autres juridictions, des conflits de compétence doivent aussi être envisagés (2).

1. Les contraintes sécuritaires de la Sierra Léone au moment de la création de la Cour

La création d'une Cour chargée de juger des criminels de guerre présumés soulève toujours des questions relatives aux conditions de sécurité, car les personnes qui seront jugées sont des anciens dignitaires des régimes, ceux qui avaient le pouvoir ou qui exerçaient un contrôle plus ou moins grand sur une partie de la population. Bien que défaits, ceux-ci ont presque toujours un bon nombre de sympathisants qui risquent de déstabiliser le cours de la procédure. Les contraintes d'ordre sécuritaire sont plus accrues lorsque, comme pour la Sierra Léone, les jugements se font sur le territoire même du pays. Ainsi, l'impact d'une mission de maintien de la paix comme la MINUSIL s'avère capital, car les problèmes de sécurité auxquels la Sierra Léone était confrontée au moment de la création de la Cour spéciale relevait de deux ordres : au niveau interne et surtout au niveau de l'espace sous-régional.

Au niveau interne, les recrutements des miliciens se faisaient souvent par cooptation à travers les réseaux familiaux ou amicaux et surtout au cours des attaques sur les villages et autres contrées habitées. La tactique de désocialisation des soldats consistait à éliminer physiquement toutes les personnes pouvant avoir de lien de parenté avec eux pour éviter tout éventuel retour dans les sociétés d'origine. Se créaient ainsi des liens étroits entre les nouvelles recrues et leur hiérarchie qui étaient caractérisés par une certaine loyauté car ceux-ci sont leur famille de substitution et seuls à même de leur fournir des moyens de survie (nourriture et drogue par exemple). Ces partisans des personnes inculpées devant la Cour restaient dans des camps dans une certaine oisiveté et soumis à personne suffisamment charismatique pour les remobiliser87(*), ce qui consistait une épée de Damoclès pendue sur les procès. Les Kamadjors de la CDF étaient revenus dans leurs régions d'origine après la guerre et recevaient encore de la part du gouvernement - indirectement par leur chef Hinga NORMAN membre du gouvernement pendant son inculpation - des fonds et vivres nécessaires à leur survie ainsi que celle de leurs familles. L'inculpation controversée de leurs leaders était cause de rumeurs qui ont conduit à leur transfert dans des cellules de haute sécurité dont la localisation a été maintenue sécrète jusqu'à leur transfert à la prison de la Cour spéciale.

Au niveau externe, le « Triangle de la Mano River88(*) » est une région limitrophe commune au Libéria, à la Sierra Léone et à la Guinée et couverte par une forêt dense qui facilite les trafics en tous genres. Les guerres civiles que ce soit au Libéria, en Sierra Léone ou en Côte d'Ivoire se sont toujours exportées dans les pays voisins, les territoires des uns étant utilisés par des rebelles comme bases arrière, souvent avec le soutien plus ou moins direct des autorités étatiques. La fin de la décennie 1990 et le début des années 2000 ont été pour très tendues dans cette région. Les populations civiles fuyant les exactions des rebelles au Libéria et en Sierra Léone ont emmené dissimulés avec elles des rebelles qui ont tenté de déstabiliser la Guinée. En plus, les groupes du même genre sont rentrés en rébellion en Côte d'Ivoire et continuaient de soutenir l'effort du LURD et du MODEL engagés contre TAYLOR au Libéria. La résolution des problèmes et le rétablissement de la paix en Sierra Léone n'auraient pas de viabilité à long terme si des mesures globales ne sont pas prises pour permettre la sécurisation globale des frontières. Mais, pour le court terme l'entrée des personnes susceptibles de nuire au processus judiciaire en Sierra Léone devrait être empêchées. C'est pourquoi la stratégie de la MINUSIL, comme l'a rappelé le Secrétaire général des Nations Unies dans son rapport de décembre 200089(*) était la combinaison des efforts entre les forces armées des pays de la CEDEAO, de la Grande Bretagne et des troupes de la MINUSIL pour répondre de façon globale et immédiate aux besoins de sécurité des frontières et des populations. L'appui de la MINUSIL sera capital dans le maintien de l'intégrité des frontières. La formation des militaires et des policiers Sierra léonais par les officiers britanniques a favorisé la mise sur pied d'une armée et d'une police républicaines. Dès juillet 2002, la CIVPOL (police civile de la mission des Nations unies) s'occupera avec les contingents armés de la sécurité des bâtiments et du personnel. Après le retrait de la mission, le Secrétaire général a prévu un contingent suffisant pour appuyer les efforts de la nouvelle police sierra léonaise dans sa mission de sécurisation des débats de la Cour.

Il est vrai que les contraintes de sécurité sont énormes lorsqu'une Cour siège sur les lieux où les atrocités ont été commises et qu'il nécessite des efforts constants de la communauté internationale en matière diplomatique et financière pour permettre de minimiser les risques. La Cour spéciale siègera aussi en cohabitation avec d'autres juridictions qui sont aussi compétentes pour connaître des crimes internationaux, ce qui pourrait présager un risque de conflit de compétence.

2. La règle de non bis in idem ou le règlement des conflits de compétence entre juridictions

La règle non bis in idem qui provient de la maxime romaine « Nemobis in idem debet vexari » est une garantie de sécurité juridique, empêchant la double sanction imposée à la même personne, en raison des mêmes faits et avec un fondement identique.

Si la question de non bis in idem est facilement traitée dans l'ordre interne, elle est plus difficile lorsqu'il s'agit de deux Etats souverains et à systèmes juridiques différents. Ainsi, la conduite affectant un Etat peut être reconsidérée par un autre Etat sous une autre qualification. C'est ce que José Luis DE LA CUESTA appelle « la concurrence horizontale nationale90(*) ». Pour ce qui est de l'ordre international, il est d'opinio juris que les décisions prononcées à l'étranger doivent être prises en compte lorsque les mêmes faits font l'objet de nouvelles poursuites devant la juridiction nationale91(*). Ce principe doit être considéré « comme un droit humain à part entière92(*) » et gouverner les rapports entre les juridictions internationales d'une part et les juridictions nationales d'autre part qui auraient une compétence concurrente à l'égard des mêmes faits et personnes. A cet effet, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques en son article 14 § 7 stipule : « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif93(*) ». Cette concurrence verticale entre une juridiction nationale et une juridiction internationale a commencé à se poser après la deuxième guerre mondiale. La Charte du Tribunal militaire international de 1945 prévoit en son article 11 l'impossibilité de bis in idem relative au traitement des activités criminelles d'un groupe ou d'une organisation. La compétence des tribunaux nationaux (notamment ceux des pays alliés) était éclipsée au profit de ceux de Nuremberg et de Tokyo94(*).

Les problèmes de conflit de compétence se sont posés lors de la création des TPI pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda dans les années 1990 et de l'entrée en vigueur du Statut de la CPI le 1er juillet 2002. A cause de la compétence grandissante des juridictions nationales pour les violations des crimes de guerre et autres violations graves des droits de l'Homme et du droit international humanitaire, le problème de conflit vertical de compétence se posera encore avec plus d'acuité qu'en 1945.

Les articles 8 et 9 des statuts des TPIY et TPIR prévoient respectivement qu'à tout moment, un juge peut demander à une juridiction nationale de « se dessaisir en faveur du Tribunal international ». Certains Etats ont adopté des textes de coopération avec les deux Tribunaux, lesquels textes régissent les modalités de mise en oeuvre du principe non bis in idem. La France, par exemple, prévoit dans sa législation que les juges internes doivent obligatoirement prévenir les juges internationaux de toute affaire qui pourrait faire l'objet de sa compétence pendant que l'Autriche opte pour sa part pour un examen ex officio de l'éventuelle compétence de la Cour. Dans tous les cas, les tribunaux nationaux attendront que le Tribunal international leur demande de se dessaisir. Le Président de la Cour spéciale95(*), s'il reçoit des informations selon lesquelles une juridiction nationale de quelque pays que se soit a ouvert une instance sur une affaire relevant de sa compétence, peut lui demander de se dessaisir et de transmettre toutes les pièces en sa possession à Freetown pour que la juridiction internationale s'empare du dossier. En cas de demande de dessaisissement, la juridiction internationale examine l'affaire de façon exclusive jusqu'à la décision définitive, les décisions interlocutoires (affaire Tadic) ne pouvant pas être considérées comme étant définitives. Même lorsque la juridiction internationale a rendu une décision d'acquittement en raison du manque de preuves suffisantes, comme c'était le cas dans l'affaire NTUYAHAGA96(*), une juridiction nationale peut ouvrir un procès sur une qualification de droit commun, car les Tribunaux pénaux internationaux97(*) ne sont compétents que pour les crimes internationaux.

L'autorité négative de la chose jugée joue aussi dans l'autre sens, c'est-à-dire en ce qui concerne les affaires déjà connues par les juridictions nationales et susceptibles de l'être à nouveau par les tribunaux ou cours internationaux. Les articles 10-II et 9-II respectifs des Statuts du TPIY et du TPIR prévoient que ces tribunaux peuvent se saisir d'une affaire si elle a été jugée au plan national sous une qualification de droit commun, ce que l'article 9 du Statut de la Cour spéciale appelle « crime ordinaire », ou encore dans le cas où le tribunal interne a manqué de diligence, d'indépendance ou si le procès était destiné à soustraire l'accusé de la juridiction internationale98(*). Le manque de diligence et d'impartialité du tribunal s'examine de manière objective et ne nécessite pas nécessairement l'exécution de la décision99(*).

Les conflits de compétence peuvent aussi concerner les juridictions internationales entre elles. Les concurrences de compétences horizontales supra nationales n'ont pas encore eu lieu depuis 1994 mais il y a de plus en plus de risques depuis l'adoption du Statut de Rome instituant une juridiction internationale permanente compétente pour juger des crimes internationaux (ceci depuis 2002) et la création d'autres juridictions comme la Chambre spéciale pour la Cour criminelle du Timor Leste et la Cour spéciale pour la Sierra Léone.

Evidemment, le TPIY ne prévoit pas une autre juridiction internationale avec laquelle il pourrait avoir de conflit de compétence. La CPI et la Cour spéciale non plus ne fournissent une réponse à l'application du principe de non bis in idem entre deux juridictions internationales. Dans l'hypothèse d'une telle éventualité, la compétence de la CPI ne serait vraisemblablement que secondaire. En effet elle peut être considérée, de par sa compétence complémentaire des juridictions nationales, comme leur prolongement. Il serait donc logique que la Cour pénale internationale n'intervienne que lorsque les TPI ou la Cour spéciale n'est pas capable, notamment en raison de leurs moyens limités, de poursuivre les personnes soupçonnées de crimes graves100(*). Il est donc nécessaire, pour la création d'une future juridiction ad hoc dont la responsabilité serait de poursuivre les responsables des crimes internationaux (crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l'humanité101(*)) prévoir expressément une hiérarchie de compétences entre cette nouvelle juridiction et la Cour pénale internationale.

Section 2 : La stratégie des poursuites et son impact sur la crédibilité de la Cour spéciale pour la Sierra Léone

Définir une stratégie des poursuites transparente et efficace permet à une juridiction pénale de gagner la confiance de la population pour laquelle elle travaille. Lorsqu'il s'agit d'une juridiction pénale internationale dont les résultats sont attendus à la fois par la communauté internationale et le peuple de Sierra Léone, la contrainte et les exigences sont doubles. Il fallait donc, pour la Cour spéciale palier aux principaux points de désenchantement des TPI à savoir la fluidité et l'économie judiciaire. La division tripartite des affaires à juger (I) participera à l'atteinte de cet objectif même si le processus global donnera une impression de travail inachevé (II).

I. La division tripartite des affaires à juger

Il est nécessaire, pour des besoins d'économie et d'efficacité, de réduire le nombre d'audiences, de centraliser les inculpations des personnes en des affaires communes. Ce procédé s'appelle la jonction d'instances. Elle peut se faire pour des affaires présentant les mêmes caractéristiques, soit en raison de la nature, du lieu de commission de l'infraction ou encore de la personnalité des accusés. La jonction d'instances est une mesure d'administration judiciaire par lequel un tribunal décide d'instruire et de juger en même temps deux ou plusieurs affaires unies par un lien de connexité. Ce procédé, largement utilisé par les juridictions nationales, est prévu dans le Statut de Rome et les Tribunaux Pénaux Internationaux (TPI) ainsi que la Cour spéciale, qui y font largement recours.

La Cour spéciale n'a pas dérogé à la tradition des juridictions dont est inspiré sont statut (A) et a divisé en trois grandes affaires les onze inculpations retenues (B).

A. Une jonction d'instances conforme à la pratique judiciaire internationale

La jonction d'instances obéit à des règles particulièrement strictes. Il faut à la fois que les affaires comportent des particularités en raison de leur nature, de la qualité des personnes poursuivies et que leur jonction ne nuise pas aux principes du procès équitable et de l'individualisation des peines. Successivement seront abordées les deux principales jonctions d'instances, à savoir la jonction des chefs d'accusation pour un même accusé (1), la jonction d'instances de plusieurs accusés (2) et d'évaluer l'ampleur du contrôle du juge qui est le véritable maître de la jonction d'instances (3).

1. Jonction des chefs d'accusation concernant le même accusé

En ce qui concerne les faits, l'on peut réunir en une seule instance des faits commis lors de la même opération, et par le même accusé (règle 48 du Règlement de Preuve et de Procédure102(*) des TPI). Il peut aussi s'agir d'un certain nombre d'actions ou d'omissions survenant à l'occasion d'un seul évènement ou de plusieurs évènements, en un seul endroit ou en plusieurs, faisant partie d'un plan, d'une stratégie ou d'un dessein commun (RPP des TPI, art 2). Les TPI ont interprété de manière large les notions d'espace géographique et de période. Le tribunal a ainsi considéré qu'au vu des documents parvenus au procureur, il était légitime, en vertu de la position hiérarchique de l'accusé, de conclure que les faits se sont produits conformément à l'exécution d'un même plan et de les réunir en une seule et même instance103(*). Le TPIR a réunit quant à lui l'ensemble des actes génocidaires d'avril 1994 et a considéré dans sa décision du 29 juin 2000104(*) que les faits commis au Rwanda pendant cette période répondaient à un plan et dessein unique, étaient exécutés par des personnes organisées et regroupés sous un commandement connu et identifiable, les lieux et la période étant eux aussi clairement définis dans les messages.

En effet, joindre les faits évite à la justice d'entamer contre la même personne des procès successifs et différents pour de nombreux crimes commis dans des situations différentes. C'est donc une économie considérable pour les parties, car la défense et l'accusation disposeront d'un seul dossier. La durée de la procédure sera réduite car les faits de même nature seront évoqués en même temps, les preuves à charge et à décharge échangées dans un même flux. La jonction d'instances influe aussi sur la détermination de la peine ; il n'y aura donc qu'une seule peine pour la totalité des crimes, évitant ainsi la superposition des peines successives.

La Cour spéciale a quant à elle formulé de manière simple sa jonction d'instances. La règle 49 de ses RPP stipule que, dès lors que les conditions de fond sont réunies, les crimes peuvent faire l'objet d'une seule et même instance s'ils font l'objet des charges contre un même accusé105(*). C'est dans cette optique que le Procureur (David CRANE à cette époque là) a décidé d'inclure dans les inculpations environ une vingtaine d'inculpations en moyenne pour chacun des accusés.

Ces règles de procédure prêtent une attention particulière aux jonctions d'instances ratione personae qu'elles précisent dans le détail.

2. Jonction d'instances de plusieurs accusés

La nature particulière des crimes internationaux a pendant longtemps commandé une responsabilité collective. La plupart du temps, ces crimes ne résultent pas de l'action criminelle des individus mais constituent une manifestation de la criminalité collective : les crimes sont souvent commis par des groupes d'individus agissant dans un dessein criminel commun. Même dans le cas où un petit nombre seulement des membres du groupe peuvent physiquement perpétrer un acte criminel (meurtre, extermination, enlèvement ou tortue, etc.), la participation et la contribution des autres membres du groupe est souvent vitale dans la facilitation de la commission lesdits crimes. Ce qui entraîne à dire que la gravité morale n'en est pas moins grande ou différente de ceux qui commettent l'acte en question. Dans ces circonstances, tenir criminellement responsable la seule personne qui a matériellement commis l'acte illicite minimisera le rôle de co-perpétrateur joué par ceux qui, usant d'un quelconque moyen ont facilité la perpétuation de l'infraction.

La jonction d'instances de cette manière a été faite pour la première fois par les tribunaux militaires de Nuremberg où les procureurs ont rédigé un seul acte d'accusation pour tous les accusés. Ils ont tenu compte de la participation volontaire de chacun d'eux dans la commission au moins d'un acte matériel d'une des infractions (par exemple infliger des coups à une personne, fournir un soutien matériel, logistique ou financier aux autres membres du groupe) et de l'élément intentionnel, c'est-à-dire, que les accusés aient eu le même objectif même si la participation des uns et des autres peut être évaluée à des degrés différents.

Ce que le TPIY106(*) appelle « la criminalité collective » prend aussi en compte l'appartenance à un groupe. Il peut s'agir du caractère privilégié de la place que l'accusé occupait dans la hiérarchie de l'organisation. Il suffirait donc que les accusés soient au courant de la nature du système auquel ils ont appartenu et qu'ils aient participé à sa perpétuation. La position d'autorité objective moins que la participation est prise en compte pour sanctionner la situation. Ce processus aurait le mérite de réunir des accusés qui ont participé à des opérations autour de la même affaire et permettra de faire la lumière nécessaire sur l'ensemble des faits pertinents et d'obtenir la manifestation complète de la vérité.

La rège 48 des RPP de la Cour spéciale intitulée « Joinder of accused or Trials » a suivi la tradition judiciaire en joignant les instances des accusés dont les affaires avaient des similitudes. La première condition de jonction d'instances de deux ou plusieurs accusés est l'instant ou l'opération pendant laquelle le ou les crimes ont été commis. Le paragraphe (A) de la règle 48 prévoit notamment que « Persons accused for the same or different crimes committed in the course of the same transaction may be jointly indicted and tried ». C'est dire que l'élément d'appréciation ici est le théâtre des opérations ; le lien entre les accusés étant les lieux et la période, des personnes des groupes armés différents peuvent faire l'objet de mêmes instances. Ce procédé conduirait à une sorte de contradictoire entre les accusés, ce qui aurait le bénéfice d'établir d'une manière efficace la vérité sur des évènements précis. Ceci aurait néanmoins le désavantage que la Cour se détourne de son objectif principal qui est d'établir les responsabilités personnelles et de répondre aux attentes des victimes car elle risquerait de servir de second lieu d'affrontement entre les idéologies des différents protagonistes.

Pour éviter ce fâcheux inconvénient, la Cour a décidé de mettre en avant, non pas la participation des protagonistes à la même opération de guerre, mais leur appartenance à des groupes armés différents. C'est donc dire que le critère de connexité entre les lieux et le temps a été écarté. La partie responsable des poursuites ne pouvait le faire sans l'accord du juge qui est le maître de la jonction d'instances.

3. Le juge, maître de la jonction d'instances

Il est possible de procéder à des jonctions d'instances avant ou après la publication des inculpations, c'est-à-dire que le procureur peut juger nécessaire de réunir les accusés et/ou les faits pendant la rédaction des inculpations originelles. Dans ce cas, la contestation éventuelle de cette décision par les accusés se fera dès le début des audiences préparatoires. Le paragraphe (B) de la règle 48 prévoit aussi que « Persons accused who are separately indicted, accused of the same or different crimes committed in the course of the same transaction, may be tried together, with leave granted by a trial Chamber », c'est à dire que le Procureur obéit à une demande du juge qui, après la réception des inculpations aurait estimé nécessaire, pour une bonne administration de la justice, de réunir les instances des accusés différents. Dans le cas de la Cour spéciale, les premières inculpations ont été produites séparément en mars 2003 et comportaient pour chacun des 13 accusés environ vingt chefs d'accusation. Suite à la mort de Foday SANKOH, de Sam BOCKARIE et de Johnny Paul KOROMA, le président de la Cour a demandé que les inculpations soient réunies en trois groupes. C'est ce que le Procureur fit en janvier 2004107(*).

Le juge est donc seul habilité à ordonner la réunion des instances après que les inculpations aient été publiées. En tant que maître de son instance, le juge, aussi nécessaire qu'il le pense, peut réunir de manière circonstancielle des instances de plusieurs cas disjoints si les faits évoqués ne peuvent être compris sans l'attrait des accusés dont les instances ne sont pas communes.

L'économie judiciaire et l'uniformisation des peines recherchées dans les jonctions d'instances ratione personae et ratione materiae pratiquée par les juridictions pénales, peuvent toute fois heurter le respect des droits des accusés notamment, le droit au procès dans un délai raisonnable. Il est donc nécessaire d'établir des garanties efficaces contre les éventuelles violations des droits de la défense que la jonction d'instances peut provoquer. La première garantie est liée aux principes d'individualisation et de personnalisation des poursuites et des peines qui sont au centre du droit et de la procédure pénales. Il faut donc, malgré le fait que les instances soient jointes, que les accusés bénéficient des mêmes droits que s'ils étaient jugés séparément108(*) et qu'ils répondent personnellement et individuellement de la totalité et rien que des actes qu'ils ont effectivement commis. L'on ne pourra pas imputer la responsabilité d'un fait commis par un accusé à un autre sous le prétexte que leurs instances ont été jointes.

La seconde garantie des droits de la défense est judiciaire. En effet, la décision de la Chambre de première instance de demander au Procureur de joindre les instances est une décision à caractère juridictionnel et est donc ouverte à l'appel devant la Haute Chambre. Cet appel doit se faire in limine litis, c'est-à-dire au seuil de l'instance dans le cas où la jonction s'est faite en amont ou dès la prochaine audience regroupée dans le cas où la jonction est intervenue au cours du procès109(*) Les personnes qui verraient en la jonction d'instances une décision leur faisant grief auront la charge de la preuve devant la Chambre d'appel. Elles devront prouver que les disjonctions préviendront les conflits d'intérêt110(*) et ne constituent pas un obstacle à la bonne administration de la justice. S'ils arrivent à le prouver, les affaires seront disjointes et les procès individuels reprendront.

La Cour Spéciale pour la Sierra Léone a donc fait preuve de conciliation entre les intérêts des parties et de la justice. La bonne administration de la justice aura permis de produire des inculpations regroupées en fonction de l'appartenance à un groupe armé. Quelle auront été les répercussions de ce choix sur les procès ?

B. Les accusés devant la Cour

La Cour Spéciale pour la Sierra Léone, crée pour poursuivre ceux qui portent « la plus grande responsabilité » dans les crimes commis dans ce pays n'aura finalement procédé qu'à treize inculpations qui permettront l'ouverture de trois procès. La volonté du Procureur de remplir pleinement sa mission a surpris un bon nombre d'observateurs quant il a décidé d'inculper les membres de la CDF (1) alors que les inculpations édictées contre les membres de la RUF (3) et de l'AFRC ont sucité un certain soulagement (2) au sein de la population.

1. La surprise et la controverse autour de l'inculpation des membres de la CDF

Une certaine stupeur s'est emparée des populations de Freetown lorsque l'inculpation de Chief Sam Hinga NORMAN a été rendue publique le 7 mars 2003 par le Procureur de la Cour. La tension était intense dans les rangs des chasseurs traditionnels lorsque les deux dernières inculpations, celles de Moinina FOFANA et Allieu KONDEWA ont été publiées le 26 juin. Le 28 février 2004, la Chambre de jugement a ordonné au Procureur de joindre ces trois instances en une seule111(*). Les audiences ont commencé le 3 juin 2004, le procureur a fini avec la présentation de ses preuves et témoins le 20 septembre 2006 pendant que celles réservées aux avocats112(*) de la défense se termineront en novembre. Les premières solutions sont en cours de mise en état.

Il faut dire que les Kamadjors sont jusqu'à présent considérés comme des véritables héros qui ont défendu la capitale contre les assauts des milices de l'AFRC, et surtout des rebelles du RUF. La plupart des Sierra léonais ne comprenaient pas pourquoi le vice-ministre de la défense était inculpé alors que son supérieur hiérarchique, le ministre de la défense qui a ordonné la création de l'entité qui est en cause restait en liberté. Or, il est important de bâtir une société juste pour les victimes car, comme le dit l'actuel Procureur de la Cour spéciale, « ... même si l'on combat aux cotés des anges, l'on est soumis à des règles qu'on ne doit transgresser. Les populations civiles sont sacrées : on ne doit pas les prendre pour cible, quelle que soit la situation113(*) »

L'origine de la CDF remonte au coup d'Etat du 1997, lorsque le président KABBAH a dû quitter le pays pour de réfugier à Conakry. C'est alors, qu'il décide de solliciter la participation des chefs traditionnels dans la lutte contre la junte AFRC au pouvoir. Leur implication dans le conflit était sous la responsabilité à la fois des forces restées loyales au président en exil et des militaires de l'ECOMOG. Les CDF étaient déployées dans les régions du Sud-Est (des Kamadjors de la tribu des Tamaboros), au Nord avec les Gbettis et à l'Est chez les Donsos. Le gouvernement en exil les pourvoyait en logistique, armes, nourriture et formation. A leur tête, se trouvait Chief Hinga NORMAN, l'un des chefs Kamadjors du Sud qui a toujours apporté son soutien au président KABBAH et occupait avant le coup d'Etat le poste de vice-ministre de la défense. Selon certains témoins au procès de NORMAN, la formation de la CDF avait obtenu le soutien financier et la caution morale des grandes puissances comme la Grande Bretagne, les Etats-Unis et le Nigéria. Les champs de bataille ont été visités à plusieurs reprises par le conseiller militaire du Haut commissariat de Grande Bretagne en Sierra Léone114(*).

Les membres de la CDF étaient les derniers remparts qui protégeaient la population civile contre les assauts du RUF. Ils sont encore considérés comme des libérateurs par la population, et, selon les rapports des ONG comme Human Rights Watch, ils ont commis peu d'exactions et surtout des crimes sexuels contre les populations civiles. Il y a plusieurs raisons à cet état de fait :

En premier lieu, la formation des membres de la milice comprenait un module relatif au traitement des populations civiles et interdit les mauvais traitements à leur égard. Les nouvelles recrues étaient obligées de prêter le serment de respecter cet engagement avant d'obtenir les bénédictions des anciens qui faisaient d'eux des Kamadjors à part entière. Lors de cette cérémonie, ceux-ci recevaient des fétiches sensées les protéger contre toutes les attaques, les rendant ainsi invincibles et immortels. C'est en second lieu la crainte de la perte de ces pouvoirs surnaturels qui explique que les soldats de la CDF ne se livraient pas à des violences sexuelles. Selon ces mêmes règles, les Kamadjors, n'ont pas le droit d'entretenir des rapports sexuels ni avec leurs femmes, ni avec une quelconque autre personne avant ou pendant les opérations militaires. Si l'un d'eux enfreignait cette règle, celui-ci perdrait ses pouvoirs115(*). Cependant, les Kamadjors qui s'éloignaient de leurs communautés respectives devenaient de moins en moins respectueux des règles et s'adonnaient à des violences contre la population civile. Lors de l'intervention des forces de l'ECOMOG, les miliciens de la CDF considéraient que les membres des tribus Temne et Lembas étaient des soutiens de la junte RUF / AFRC et s'empennaient à eux. Selon certaines interviews menées par l'organisation Human Rights Watch, des témoins affirment avoir assisté, en mars 1998 dans la ville de Kenema à un viol suivi des mutilations et du meurtre d'une femme dénommée Djenaba qui était considérée comme épouse d'un membre des rebelles. Certains autres dires rapportés par la même organisation faisaient état d'actes de cannibalisme car, certaines croyances soutiennent que manger les organes vitaux de l'ennemi attribuait au consommateur les pouvoirs de la victime116(*). Ces actes, lorsqu'ils faisaient l'objet de plaintes devant les chefs supérieurs de ces soldats, donnaient lieu à des jugements sommaires et conduisait, en cas d'établissement de la culpabilité, à une condamnation à l'emprisonnement ou à subir l'épreuve de Walking the Higway117(*).

L'inculpation des membres de la CDF a fait craindre de vives désapprobations voire de nouvelles violences dans le but de les libérer. C'est pourquoi les lieux de leur détention ont été tenus secrets pendant la construction des nouveaux locaux pénitentiaires du centre-ville. Tel n'a cependant pas été le cas lors de l'annonce des inculpations des membres de l'AFRC. Au contraire, la plupart des populations ont éprouvé un certain soulagement.

2. L'inculpation des membres de l'AFRC : une évidence

La publication des inculpations des anciens membres de l'AFRC a semblé pour beaucoup être logique vu les exactions dont ceux-ci se sont rendus coupables et la mauvaise réputation qu'ils avaient à cause de leurs relations avec les rebelles du RUF. Suite à la fuite et au décès présumé de Johnny Paul KOROMA sur les autres fronts en Côte d'Ivoire ou au Libéria118(*), la Cour a constaté l'extinction des poursuites contre ce dernier et n'a finalement retenu que trois personnes à inculper des 17 chefs d'inculpation constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. C'est ainsi que Alex Tamba BRIMA sera inculpé le 7 mars 2003, Brima Bazzy KAMARA le 28 mai 2003 et Santigie Borbor KANU le 16 septembre 2003. Comme pour les deux cas précédents, les juges de la première Chambre de jugement demanderont au Procureur de joindre ces instances en raison de leur connexité évidente et des besoins de la bonne administration de la justice119(*). C'est ce qui sera fait le 28 septembre 2003. L'instruction du dossier prendra deux ans et les audiences commenceront le 7 mars 2005 avec les présentations des preuves et des témoins à charge par la partie poursuivante. L'équipe de la défense120(*)a quant à elle commencé à plaider devant le tribunal en mai 2006 et finira probablement en décembre.

L'AFRC est arrivé au pouvoir par le coup d'Etat du 25 mai 1997 qui a suscité de vives condamnations de la part des grandes puissances (Grande Bretagne, France et Etats-Unis) et a fait l'objet d'un rapport sévère de Secrétaire général devant le Conseil de sécurité. Le 19 mai, une déclaration du président du Conseil de sécurité a « vivement déploré la tentative de renversement du Gouvernement élu et demandé instamment que soit immédiatement rétabli l'ordre constitutionnel ». Cette condamnation rapide et solennelle témoigne de l'intérêt par le Conseil de sécurité au cas sierra léonais. Ce coup d'Etat, selon le rapport de la Commission vérité et réconciliation était prévisible121(*)à cause de la purge que le président KABBAH avait entamé dans son armée après son arrivée au pouvoir122(*). Il avait aussi décidé, pour des raisons économiques, de réduire les rations des miliaires. S'étant mis à dos l'armée et dépourvu du soutien militaire qu'auraient pu lui apporter les Sud-africains de la Executive Outcomes dont il s'est séparé, le président KABBAH ne pouvait que prendre la route de l'exil après que des mutins, soutenus par le RUF aient attaqué l'ECOMOG, causé l'évacuation des civils occidentaux et la fuite de dizaines de milliers de Sierra léonais vers la Guinée.

Johnny Paul KOROMA est nommé à la tête de la junte qui prendra le nom de AFRC (Armed Forces Revolutionnary Council) le 7 juin 1995 avec, comme vice président Foday SANKOH du RUF. La plupart de pays ont éprouvé un certain mépris pour ce gouvernement d'ailleurs jamais reconnu comme représentant légitime de la Sierra Léone. Le Nigéria et les Etats-Unis ont à plusieurs reprises tenté de convaincre ceux que les Britanniques qualifiaient123(*) « d'assez naïfs, un peu dépassés par les évènements et dénués d'idées précises » de quitter le pouvoir, mais en vain. Ces efforts seront repris par les ministres des affaires extérieures de la CEDEAO réunis en session extraordinaire à Conakry qui proposeront le 26 juin un programme de rétablissement de l'ordre constitutionnel en trois phases : d'abord le dialogue, ensuite les sanctions, y compris le recours à l'embargo et enfin l'emploi de la force armée.

Face au refus de la junte militaire de tenir compte de ces propositions qui ont reçu l'appui de l'ONU124(*), le président du Conseil de sécurité125(*) fera une déclaration pour le moins ferme qui juge « inacceptable que la junte militaire cherche à fixer des conditions au rétablissement du gouvernement démocratiquement élu (...) et lui demander de renoncer à son intension déclarée de rester au pouvoir et de reprendre sans tarder les négociations (...) » Il rappellera que le Conseil est prêt à prendre « des mesures voulues » pour rétablir l'ordre constitutionnel si la junte n'apportait pas de réponses satisfaisantes. Les mesures ont dès alors commencé à être évoquées par les représentants des délégations africaines et Britannique à New York. Ce n'est qu'au sortir du sommet d'Abuja du 26 au 28 août 1997 que les chefs d'Etat de la CEDEAO établissent des sanctions régionales contre la Sierra Léone. En résumé, ces sanctions portent sur l'interdiction de voyage des autorités dirigeantes de la junte et l'embargo sur la vente d'armes, munitions et de produits pétroliers. La déclaration finale du sommet précise en outre que « les forces sous-régionales emploieront tous les moyens nécessaires pour imposer l'application de la décision ». Cette décision pour le moins ferme et radicale suscitera des réserves de la part de certaines délégations aux Nations Unies.

La Suède, le Costa-Rica, la Russie et le Brésil déploreront le manque d'information dont la CEDEAO a fait preuve avant de prendre ces sanctions et étaient surtout préoccupés par l'effet catastrophique qu'elle aurait sur la situation humanitaire qui était pour le moins dramatique. Cette décision à été prise non sans la violation de la Charte des Nations Unies. En effet, lorsqu'il s'agit du maintien de la paix et de la sécurité internationales, toute sanction prise par une organisation régionale doit l'être avec l'accord du Conseil de sécurité126(*). Cette lacune sera comblée par la résolution du 8 octobre 1997127(*) qui réaffirme le besoin de respecter le Chapitre VIII de la Charte et le soutien à accorder aux efforts de la CEDEAO dans la résolution de la crise et confirme les sanctions prises au sommet d'Abuja128(*). Les modalités de mise en oeuvre de ces sanctions seront précisées dans l'accord de Conakry qui prévoyait en outre un cessez-le feu immédiat, la poursuite des négociations et la mise en place des mécanismes de DDR pour toutes les factions armées du pays. L'accord de Conakry sera vain et les exactions continueront de la part des membres de l'AFRC. L'effort combiné des Kamadjors et de l'ECOMOG permettra la reprise de Freetown le 13 février 1998. Le président KABBAH reviendra dans son pays le 10 mars et le Conseil de sécurité votera une résolution129(*) qui lèvera l'embargo sur les produits pétroliers et le maintiendra pour ce qui est des armes et des munitions.

L'AFRC a commencé à commettre des exactions sur les populations civiles dès le début du coup d'Etat de 1997 et ces exactions ont continué au-delà de leur éviction avec la création d'une nouvelle unité baptisée les West Side Boys qui utilisait les mêmes procédés que le RUF.

3. L'inculpation des membres du RUF : un soulagement

Dans l'esprit des autorités Sierra léonaises, le demande d'aide à la communauté internationale pour établir un tribunal en Sierra Léone était destinée au jugement des membres de l'ex-rébellion et de la junte militaire autrefois au pouvoir qui étaient soit en cavale, soit en prison à Pademba Road130(*). L'opinion était aussi plus favorable aux poursuites contre les membres du RUF et des sobels131(*) qui s'étaient rendus célèbres pour leurs exactions systématiques sur les populations civiles.

Le 7 mars 2003, le Procureur David CRAINE a publié les inculpations contre quatre anciens leaders pour 17 chefs d'accusation constitutifs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité : Foday SANKOH, Sam BOCKARIE, Issa Hassan SESSAY et Morris KALLON. Augustine GBAO, quant à lui, a été inculpé le 16 avril. Avec l'aide de la police Sierra Léonaise, trois inculpés ont été appréhendés et ont rejoint leur ancien leader SANKOH en prison. Sam BOCKARIE quant à lui est resté introuvable car il avait, aux derniers jours du conflit, trouvé refuge au Libéria aux côtés de Charles TAYLOR avec qui il continuera l'effort de guerre. Son corps sera retrouvé à la frontière ivoirienne et son décès officiellement constaté le 2 juin 2003. Le tribunal siègera donc le 8 décembre pour constater l'extinction des poursuites contre lui pour raison de mort132(*) Les poursuites contre Foday SANKOH133(*)s'éteindront également à la même date suite à son décès constaté le 2 août 2003 de suite de maladie.

Comme pour les autres affaires, la chambre de jugement a demandé que les instances soient jointes. Le procureur a procédé à cette jonction le 28 février 2003 et les audiences pour ce qu'il convient maintenant d'appeler les procès du RUF ont commencé le 7 juillet 2004. Le Procureur a terminé sa part des débats en 2006 et l'équipe de la défense134(*) a entamé la présentation de ses preuves et témoins à décharge le 2 mai 2006 et les premières décisions sont attendues pour le second semestre de 2007.

Le RUF a été créé dans les premiers mois de l'année 1990 par le caporal Foday SANKOH, vétéran de l'armée britannique, reconverti dans la photographie. Ses déplacements le conduiront en Libye où il fait la connaissance de TAYLOR qui lui aura été par la suite d'un grand soutien tout au long de la décennie qu'a duré le conflit. Le recrutement et la formation des combattants de la rébellion se firent de concert avec le Libéria qui leur servira de base arrière135(*). C'est ainsi que le 23 mars 1991, une troupe d'environ 100 soldats (sierra léonais, libériens et burkinabè) attaquent l'Est (les districts de Kailahun et Pujehun) du pays et réclament le départ du président Joseph MOMOH, qui, selon eux, était l'incarnation des maux des populations délaissées du pays, de la corruption et des détournements de deniers publics. Ces réclamations trouveront pendant un moment un écho au sein des populations qui vont rapidement déchanter face à la violence avec laquelle les soldats vont commettre des exactions sur la population civile. Même si les mobiles et objectifs politiques du RUF changeront au fur et à mesure que le conflit durera, la cible principale de ses opérations restera la population civile qui est considérée comme un moyen de pression et de représailles légitime affin d'obtenir soit une coopération de leur part, soit des avantages sur les forces adverses, ou encore s'assurer des moyens d'approvisionnement.

Le RUF est une force armée composée pour la plupart des enfants-soldats qui ont été enlevés ou enrôlés de force. Les « officiers » rebelles les préfèrent aux adultes car ils sont plus dociles et enclins à obéir aux ordres sans poser de questions. Cyniquement, les « recruteurs » arguent que ceux-ci de par leur petite taille se déplaçaient mieux dans la jungle et pouvaient ainsi échapper aux balles qui pouvaient leur passer par-dessus la tête. Ils étaient formés au maniement des armes et drogués afin d'avoir plus de courage pour tuer sans la moindre pitié des civiles, y compris leurs proches pour éliminer tout lien avec leurs communautés, les rendant ainsi dépendants du contingent auquel ils pouvaient appartenir. Il faut aussi reconnaître que bon nombre des combattants se sont engagés dans le RUF volontairement, en réponse aux politiques d'exclusion et des détournements des fonds des dirigeants en place.

La guerre menée par le RUF peut être divisée en deux phases : la première qui correspondrait à la période 1991-1993 et s'apparentait à ce que les membres de la Commission qualifient de « guerre de front » et la seconde, de 1993 à 1997 correspondrait à une « guérilla ». Quel que soit le type de tactique de guerre utilisé, les exactions restent les mêmes. Les rebelles, sous le commandement de Mohamed TARAWALLIE dans le Nord se déguisaient en soldats de l'armée régulière et commettaient toutes les exactions qui étaient reprochées aux forces loyalistes. Cette pratique fréquente entre 1994 et 1996 a aidé à discréditer profondément les forces de la SLA auprès des populations civiles.

L'année 1996 sera quant à elle marquée par une campagne d'amputation dénommée « Opération stop elections » pendant laquelle les rebelles, surtout les enfants procédaient aux amputations des mains afin d'empêcher la population d'aller voter. Il en est résulté des milliers d'amputation sur les modèles « manches longues ou manches courtes » 136(*) qui étaient même appliquées sur des enfants. Le « succès » de cette campagne est aussi dû au fait qu'elle était confiée à des enfants qui ne manquaient pas de zèle et qui craignaient les représailles impitoyables de leurs chefs Sam BOCKARIE et Foday SANKOH137(*).

Les violences sexuelles ont fait partie du programme de terreur engagée vis-à-vis des populations civiles. C'est un plan dirigé contre les filles en vertu de la fameuse « virgination », une sorte de ciblage des femmes encore vierges qui subiront des violences sexuelles pour les exclure de leurs sociétés car une fille qui n'est pas vierge ne peut plus être mariée138(*). Les viols étaient le plus souvent commis en groupe et pouvaient consister en l'introduction d'objets les plus divers (bouteilles, mortiers, fils de fer, crosse de fusil...) dans les organes génitaux féminins, ce qui entraînait de graves lésions musculaires et des complications traitées par les centres de santé régionaux.

La seconde opération de tristement célèbre est engagée par Sam BOCKARIE en 1999, dénommée «opération  pas âme qui vive» était destinée à faire pression pour obtenir la libération de leur leader emprisonné au Nigéria. Cette opération dura des semaines et détruisit toute la partie Est de la capitale, faisant entre 5 000 et 6 000 morts parmi la population civile. Des milliers de déplacés et des enlèvements de jeunes filles. Cette campagne, couplée avec l'enlèvement de 500 Casques bleus en 2 000, entraînera l'intervention de l'armée britannique qui mettra fin aux hostilités et permettra la continuité de l'opération DDR.

La mission de la Cour de juger « ceux qui portent la plus grande responsabilité » dans le conflit est entrain d'être remplie par les juges et tout l'appareil judiciaire mis en place. Le dernier accusé vivant qui manquait à l'appel est désormais en procès à La Haye. Pourtant, il reste un nombre de questions qui donnent l'impression d'un travail inachevé.

II. L'impression de travail inachevé : la répression du mercenariat et la responsabilité des chefs d'Etat en exercice

Au milieu des années 1990, le conflit sierra léonais a connu une mutation à cause de la participation des mercenaires (A). Cette participation a été favorisée par Charles TAYLOR dont le cas est traité de façon exceptionnelle (B).

A. La participation des mercenaires au conflit Sierra léonais

Les mercenaires ont occupé dans l'histoire une place particulière dans les cours des conflits armés. Ils ont souvent, aussi bien que les soldats-citoyens influencé le cours des évènements. La définition de mercenaire a évolué avec le temps (1) et leur participation aux conflits armés a connu une interdiction récente, tant en droit international qu'en droit interne (2).

1. La définition de l'acception « mercenaire » par le droit international

Aymeric PHILIPON fait une différence entre les mercenaires classiques et les mercenaires modernes139(*). Le mercenaire moderne est celui qui fournit à une partie au conflit une assistance matérielle, un savoir faire militaire ou des protections de sécurité privée. C'est une assistance fournie par des entreprises telles Executive Outcomes (EO) qui, avec leur participation directe de 1995 à 1997, ont pu influer considérablement dans les rapports de force entre le gouvernement et les rebelles du RUF. EO est à l'avant-garde des grandes sociétés lancées à la conquête des richesses minérales d'Afrique. Après ses missions pour le moins fructueuses en Angola140(*), elle s'est engagée avec la junte militaire au pouvoir en 1995 par un contrat de 21 mois dont l'estimation s'élève à 35 millions de dollars. La mission d'EO était essentiellement liée à la lutte antiguérilla, notamment, au soutien aérien sérieux141(*) et financée par l'intermédiaire de la compagnie Heritage qui avance les fonds en échange des concessions minières142(*).

La qualité de mercenaire classique a été définie par le droit international à partir de 1977 au moyen du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève. Cette définition comporte, comme celle de la Convention de l'OUA sur l'élimination du mercenariat en Afrique trois éléments : l'élément personnel, l'élément matériel et le mobile. S'adonne à une activité mercenaire celui qui est spécialement recruté dans son pays ou à l'étranger pour combattre dans les rangs d'une des parties au conflit dont il n'est pas ressortissant et qu'il ne soit pas envoyé en mission par l'armée régulière de son propre pays143(*). Il faut, pour valider l'élément matériel participer directement aux hostilités. La Convention de l'OUA ajoute même que les personnes morales, du fait qu'elles « abritent, organisent, financent, assistent, entraînent, forment, soutiennent ou emploient de quelque façon que ce soit les mercenaires » peuvent être considérées elles-mêmes comme tel. L'élément moral quant à lui est relatif au mobile du mercenaire. C'est celui qui participe directement dans le conflit avec le mobile de recherche d'un avantage personnel « qui est effectivement promise par une partie au conflit ou en son nom ou d'une rémunération supérieure à celle qui est promise ou payée à un combattant ayant un rang comparable dans la force armée de cette partie144(*) ». Le mercenaire doit avoir pour autre but la déstabilisation du Pays, c'est-à-dire qu'il intervient directement pour renverser un gouvernement ou porter atteinte à l'ordre constitutionnel de l'Etat145(*) et l'opposition à un mouvement de libération nationale146(*). L'appui d'EO aux forces gouvernementales sierra léonaises a eu un très grand succès dont Doug BROOKS, le président de l'IPOA, une des plus grandes entreprises de guerre en Afrique du Sud, fait largement écho lors de ses conférences dans le pays147(*).

Les définitions du mercenaire, que ce soit par les conventions à vocation universelle que la convention africaine, manquent de précision148(*). Les critères contenus dans les trois éléments (personnel, matériel et mobile) constitutifs de l'infraction sont cumulatifs et difficilement atteignables par les personnes susceptibles de mener une activité criminelle. Ces données influent énormément sur la répression de la participation des mercenaires au conflit armé149(*).

2. La répression de la participation des mercenaires à un conflit armé

L'article 47 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève définissant le mercenaire ne lui attribue pas un régime répressif. L'intérêt de cette définition réside dans l'exclusion du mercenaire à l'accès aux droits, privilèges et avantages liés à la qualité de combattant. Ce qui implique qu'il ne soit pas possible en droit, lors d'un conflit armé, d'appliquer la qualité de prisonnier de guerre aux mercenaires capturés, le mercenariat étant considéré comme un crime de droit commun. La criminalisation du mercenariat en droit international s'inspirera de cette initiation astucieuse du Protocole I pour édicter des prescriptions aux Etats.

L'article 6 in fine de la Convention de l'OUA relative à l'interdiction du mercenariat stipule que les Etats doivent prendre toutes les mesures notamment législatives, règlementaires, administratives et judiciaires, pour empêcher la formation, le transfert, le soutien ou le financement des mercenaires sur leur territoire. Les Etats doivent coopérer et s'échanger des informations pour faciliter les enquêtes affin de retrouver et mettre hors d'état de nuire d'éventuels mercenaires. Le mercenariat étant érigé à l'article 9 comme crime de droit commun, les Etats doivent infliger les peines les plus sévères à ceux qui s'adonnent à cette pratique. Au niveau de la coopération judiciaire internationale, les Etats doivent extrader les mercenaires présumés vers les pays agressés afin que leur jugement puisse se faire. A défaut, un jugement équitable doit leur être accordé dans le pays en question (art. 10 et 11).

La Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires abonde dans le même sens avec l'édiction d'obligations internationales vis-à-vis des Etats. Cependant, son faible taux d'adhésion150(*) limite considérablement sa portée. Une grande marge est donc laissée à la volonté politique des Etats qui, bien qu'en signant les conventions internationales, doivent les préciser après ratification, par l'adoption des mesures plus concrètes et claires qui définissent les modalités d'application par les autorités internes des normes définies en termes généraux dans les conventions.

Au plan interne, l'un des éléments majeurs est l'adoption d'un dispositif répressif en Afrique du Sud, principale puissance africaine dans la fourniture de services militaires privés. La Loi sud-africaine avait pour vocation première de réhabiliter l'image de marque du pays qui a longtemps été réputé pour le laxisme des autorités face aux activités des compagnies de sécurité privé dans les pays de la sous-région et ailleurs en Afrique et dans le monde.

La Regulation Foreigh Military Assistance Act du 26 février 1998 dite loi anti-Executive Outcomes interdit (art. 2) « à tout citoyen ou résident d'Afrique du Sud de recruter, entraîner des personnes en vue d'activités mercenaires151(*) ou de financer ces activités ». A l'exception des opérations humanitaires (déminage humanitaire par exemple), l'article 3 prohibe le « principe d'assistance militaire à l'étranger », c'est-à-dire, la fourniture, sous les bases privées, de la logistique, du support en sens de personnel et de finances, des services de renseignement, d'assistance opérationnelle, des conseils, de la formation, du recrutement, des services médicaux et paramédicaux, l'acquisition de matériel, des moyens de sécurité destinés à renverser l'ordre constitutionnel, l'intégrité et la souveraineté d'un Etat.

Ce principe d'interdiction est tempéré par les dérogations prévues aux articles 4 et 5 qui prévoient la possibilité pour les entreprises privées d'obtenir une habilitation d'exercer auprès des autorités et solliciter leur agrément à chaque fois qu'ils sont entrain de vouloir signer un nouveau contrat. Le Comité national de contrôle des armes conventionnelles vérifie la conformité de chaque opération commerciale dans le domaine des prestations militaires ou paramilitaires avec les intérêts de l'Etat sud-africain. Le régime de sanction relatif à la violation de cette Loi est relativement sévère. En effet, tout contrevenant s'expose à un million de rands (125 000 €) et/ou 10 ans d'emprisonnement. Si les mercenaires sont des aventuriers qui recherchent un gain matériel dans la participation des hostilités, les membres des forces armées de maintien de la paix recherchent au contraire à préserver les intérêts de la communauté internationale. Bien que combattant pour une interposition sous la bénédiction de la communauté internationale, ils sont néanmoins responsables d'éventuelles atrocités qu'ils ont commises.

Aux côtés des mercenaires sud africains qui ont participé au conflit en Sierra Léone Charles TAYLOR a été considéré comme le principal acteur dans la crise. Mais l'attraire devant la Cour spéciale na pas été chose facile.

B. Le cas exceptionnel de Charles TAYLOR

Charles TAYLOR est reconnu comme le plus grand criminel de guerre africain encore vivant152(*) à la fois pour les crimes qu'il a commis dans son propre pays que pour ceux qu'ont subi les populations civiles des pays limitrophes du Libéria. Cet ancien haut-fonctionnaire de l'administration libérienne est un né en 1948 d'un ancien esclave américain et d'une native153(*). Il suivra une formation militaire en Libye dans la fin des années 1980 après son évasion invraisemblable d'une prison aux Etats-Unis. Il y rencontrera le Caporal SANKOH avec qui il s'alliera plus tard pour déstabiliser la Sierra Léone, ce qui lui vaut aujourd'hui des poursuites pénales devant le Cour spéciale. C'est lors du déplacement de l'ancien chef de guerre, devenu Président de la République, à Accra pour les pourparlers de paix avec les rebelles du Mouvement pour la Démocratie au Libéria (MODEL) et des Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie (LURD) que le Procureur décide de profiter de cette opportunité en publiant l'inculpation de TAYLOR. Pourtant, l'acte d'inculpation a été rédigé comme celui de la plupart des accusés le 7 mars 2003. Cette inculpation mettra brusquement fin aux discussions et au retour précipité du président dans son pays154(*) qu'il quittera définitivement en août pour un exil au Nigéria.

Le Nigéria est d'abord resté sourd face aux demandes des Etats-Unis, de l'ONU et des ONG de défense des droits de l'homme. Ceux-ci ont instamment exigé l'extradition de TAYLOR pour qu'il réponde des accusations devant la Cour. Le Nigéria craignait quant à lui que l'extradition ne constitue un précédent pour les futures négociations de paix155(*) et la déstabilisation que son jugement à Freetown pouvait causer à la fois au Libéria (qui était encore entrain de mener une transition dont l'issue ne se définissait pas clairement) et en Sierra Léone. Olusegun OBASANJO a tout de même signalé que son gouvernement était prêt à répondre à d'éventuelles demandes d'un nouveau gouvernement démocratiquement élu. Le 17 mars 2006, la présidente Ellen JOHNSON-SIRLEAF demande l'extradition de TAYLOR. Celui-ci tente alors de quitter le pays mais est arrêté à la frontière camerounaise et sera remis aux autorités de son pays d'où il rejoindra une cellule à Jomo Kenyatta Road156(*) le 29 mars 2006.

Lors de sa première comparution devant le juge Richard LUSSICK le 3 avril 2006, TAYLOR confirmera la demande qu'il avait faite par la motion envoyée157(*) par l'intermédiaire de son avocat à la Cour à laquelle il demandait de se dessaisir à cause de son immunité entant que chef d'Etat158(*). Cet argument ne sera pas retenu par la Cour car il n'était plus possible d'invoquer des exceptions de compétence. L'accusé invoque aussi les décès de Foday SANKOH et de Slobodan MILOSEVIC survenus respectivement dans la prison de Freetown et au pénitencier du TPIY à La Haye ; il dira craindre pour sa santé et demandera à la Cour de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer son intégrité physique et mentale. Evoquant son indigence, TAYLOR sollicitera une aide juridictionnelle pour lui permettre de se défendre de manière adéquate. Le transfert de l'instance à La Haye suscite des interrogations sur son impact sur l'intégrité du procès.

L'un des principaux obstacles au transfert de TAYLOR à Freetown était lié à la déstabilisation que l'ouverture de son procès pouvait causer dans les deux pays voisins. La nouvelle présidente du Libéria et les autorités sierra léonaises craignaient que les partisans de TAYLOR encore disséminés dans les forêts de Côte d'Ivoire, au Libéria et en Sierra Léonne puissent tenter de le libérer par la commission d'exactions contre la population civile ou en enlevant du personnel civil des missions de la paix. C'est d'ailleurs parce qu'un accord préalable a été signé entre les deux institutions judiciaires (la Cour spéciale et le TPIY) et le gouvernement Hollandais pour tenir le procès à La Haye que Mme JONHSON-SIRLEAF a demandé au Nigéria d'extrader TAYLOR. Cette extradition a été contestée par l'avocat de la défense dès le premier jour d'instance car l'accusé voulait être jugé « en Sierra Léone et nulle part ailleurs (...) car c'était la seule garantie du maintien de l'équité du procès (...) et de bénéficier du soutien moral de sa famille159(*) » Ce transfert à La Haye nécessite des moyens logistiques importants pour notamment assurer la comparution des témoins, le transfert des éléments de preuve et le déplacement de la famille de l'accusé pour assurer son droit à recevoir leurs visites160(*). Toutes ces considérations influeront enfin sur la durée de tous les procès devant la Cour car ce sont les mêmes juges qui s'occuperont des affaires à Freetown et à La Haye.

Chapitre II : LE MANDAT ET LE FONCTIONNEMENT DE LA COUR SPECIALE POUR LA SIERRA LEONNE

La création d'une institution judiciaire internationale, par un accord entre un Etat et les Nations unies, est révélatrice de la volonté affichée par la communauté internationale dans la recherche et la punition des responsables des crimes contre l'humanité. La lutte contre l'impunité répond aussi bien aux besoins des victimes d'obtenir justice et réparation qu'à celui des perpétrateurs qui doivent réintégrer leur environnement d'origine. Non moins important, le rôle stabilisateur de la justice pénale qui s'évalue à travers sa fonction préventive doit être associé à la répression et à la réparation des dégâts causés par les atrocités. Du point de vue de la formation d'une pareille institution, le mandat tiendra compte de toutes ces exigences. La création de la Cour spéciale, bien que suis generis intervient dans un contexte judiciaire international dans lequel elle s'intègre parfaitement. Le fait qu'elle s'inscrit dans le maintien de la paix, de la sécurité et du bien-être du monde la distingue plus encore des tribunaux nationaux. Les instances de la Cour se caractérisent aussi par leur hybridité, c'est-à-dire qu'en plus des infractions internationales (crimes de guerre, crimes contre l'humanité et violations graves du droit international humanitaire), cette instance jugera également d'autres violations du droit interne sierra léonais. Cette double exigence requiert une composition hybride, c'est-à-dire qu'elle sera composée des juges internationaux représentant la répartition des différentes cultures juridiques dans le monde, d'une part et, d'autre part, des juges nationaux pour tenir compte de l'environnement, de l'ordre juridique dans lequel il s'intègre.

Du point de vue de la pratique procédurale internationale, elle est caractérisée par une prééminence du système accusatoire sur le système inquisitoire. Il est révélateur du Common Law qui veut que l'instance soit le lieu d'une « confrontation entre les parties161(*) » qui ont les mêmes droits et les mêmes moyens devant un juge impartial qui se contente d'arbitrer les débats et de contrôler la validité des preuves. Quant au caractère contradictoire de la procédure, il ne s'observe vraiment qu'à l'audience proprement dite, car l'enquête et le rassemblement des preuves à charge appartiennent au Procureur. Pour ce faire, celui-ci a des pouvoirs considérables qui ne sont pas toujours soumis au contrôle juridictionnel, la personne poursuivie étant plus ou moins laissée à la merci de l'autorité poursuivante. La seule protection est la possibilité de demander au juge de refuser les preuves illégalement recueillies. Le ministère public n'assume aucune charge en ce qui concerne la recherche des preuves à décharge, ce sont les autres parties au procès qui en ont l'obligation.

Le caractère hybride de la Cour spéciale est un challenge à l'observation des règles internationales. Bien que le statut consacre la supériorité des règles internationales sur celles du droit interne, quelle sera la dose du droit interne dans le cours du procès ? En d'autres termes, le procès devant la Cour est-il point par point calqué sur ceux des autres tribunaux ad hoc (TPIR et TPIY), sur celui de la Cour pénale internationale ou des autres tribunaux hybrides comme au Kossovo et au Timor Leste ?

Dans tous les cas, le procès devant la Cour spéciale est emménagé de façon à concilier la liberté de l'accusé, les intérêts et la sécurité des victimes et de la société (Section 1). L'harmonisation de tous ces intérêts par le statut passe par la satisfaction d'un autre but de la justice transitionnelle qui est la réconciliation en ne jugeant que ceux « qui portent la plus grande responsabilité » dans les atrocités (Section 2).

Section 1 : Le procès devant la Cour Spéciale

L'équilibre des droits des parties (ministère public, victimes et accusés) suppose une composition équilibrée de la Cour (I), garante d'un procès respectueux du modèle démocratique de justice pénale (II).

I. La composition de la Cour

La Cour spéciale pour la Sierra Léone est composée162(*) d'un organe juridictionnel à double degré chargé de la direction des procès (A), d'un organe d'instruction et de poursuites chargé de rassembler les preuves à charge et à conduire les poursuites (B) et d'un organe d'administration judiciaire (C) chargé de servir de trait d'union administratif entre les autres organes de la Cour - sur le plan interne - et entre la Cour et les autres institutions - sur le plan externe -.

A. L'organe juridictionnel

La Cour spéciale pour la Sierra Léone est une Cour hybride : ses membres sont nommés de manière conjointe par le gouvernement sierra léonais et le Secrétaire général des Nations unies. La procédure de nomination des juges internationaux respecte les principes et standards internationaux. Elle est organisée de manière hiérarchique (1) et a deux types de fonctions (2).

1. Une composition hybride à prédominance internationale

La Cour spéciale était composée à l'origine d'une Chambre de première instance comprenant trois juges et d'une chambre d'appel de cinq juges. Une seconde chambre de jugement a été créée sous la demande du président163(*) de la Cour et le Bureau des affaires juridiques des Nations unies mettra un an pour procéder à la nomination de nouveaux juges164(*). Cette nomination tardive a eu des répercussions sur le début des auditions préliminaires car la première chambre était surchargée de motions tandis que les juges n'habitaient pas encore à Freetown165(*). Chaque chambre de première instance comprend donc deux juges166(*) nommés pour trois ans renouvelables (article 13 § 3 du statut) par le Secrétaire général des Nations unies167(*) et un autre nommé par le gouvernement sierra léonais. Pour ce qui est de la Chambre d'appel, elle est composée de cinq juges dont trois sont nommés par le Secrétaire général des Nations unies. La répartition des juges en fonction des différents systèmes juridiques dans le monde est nécessaire, bien que la proposition de Kofi ANNAN de tenir compte de l'équilibre des genres et de privilégier les juges ressortissants des pays du Common Wealth et de la CEDEAO ait été retenue168(*). Parmi les juges nommés par le gouvernement sierra léonais169(*), deux étaient internationaux, ce qui a fait ressentir le caractère plutôt international qu'hybride de la Cour.

Selon les critères de nomination retenus par la plupart des juridictions internationales, les juges sont choisis parmi des « personnes jouissant d'une haute considération morale, connues pour leur impartialité et leur intégrité170(*) ». Ce sont des personnes qui possèdent des qualifications requises dans leurs pays pour siéger entant que magistrats ; ils sont totalement indépendants dans l'exercice de leurs fonctions, c'est-à-dire qu'ils ne doivent solliciter ni obéir à aucune instruction de leur gouvernement d'origine ou de toute autre source. La position de juge à la Cour requiert aussi des connaissances suffisantes en droit, notamment le droit international, le droit international humanitaire, les droits de l'Homme et surtout en justice des mineurs171(*).

Les juges doivent donc faire preuve d'indépendance et d'impartialité ; l'indépendance s'analyse de manière organique, c'est-à-dire que le tribunal, en tant qu'organe ne reçoive aucune instruction d'une autre institution dans son fonctionnement. Il est indispensable que le tribunal puisse exercer sa mission de jugement en toute liberté, sans entrave de quelque pouvoir que ce soit. L'indépendance organique suppose aussi qu'il n'existe aucun lien de subordination entre les juges et le gouvernement Sierra léonais ou l'ONU, même si leur nomination est exercée par ces deux entités. L'inamovibilité des juges devrait normalement garantir cette indépendance.

L'impartialité du juge est la traduction juridique d'une exigence de neutralité, gage de sa crédibilité. Cette notion, qui s'examine de manière objective et subjective, n'est pas définie juridiquement. Les règles de procédure et de preuve de la Cour se contentent de stipuler qu' « un juge ne peut siéger en première instance ou en appel dans le cas où son impartialité peut être raisonnablement mise en doute172(*) » ; une requête de disqualification d'un juge peut être introduite par toute partie au procès (règle 15 B).

Subjectivement, il s'agit de déterminer ce qu'un juge pense dans son for intérieur et s'il abrite en lui quelque raison ou intérêt de favoriser une partie plutôt qu'une autre. La chambre d'appel du TPIY173(*) a précisé que cet intérêt peut consister en ce que le juge soit partie à l'affaire ou qu'il ait un intérêt financier à en tirer. Les avocats de Sam Hinga NORMAN on voulu récuser la juge WINTER pour ses fonctions précédentes à l'UNICEF. Cette organisation occupe les fonctions d'amica curiae pour les questions relatives au recrutement des enfants soldats ; ce qui pourrait, selon les avocats de la défense, altérer l'impartialité de la juge. Cet argument n'a pas été jugé suffisant pour consacrer un éventuel parti pris174(*) ; les membres de la Cour peuvent avoir une conviction, mais cela ne veut pas dire nécessairement qu'ils sont partiaux.

L'impartialité peut aussi s'évaluer de manière objective, c'est-à-dire qu'il faudra déterminer si le juge ne s'est pas exprimé de telle sorte qu'il soit déjà convaincu de la culpabilité de l'accusé. La Chambre d'appel a eu à examiner cette question, lorsque l'avocat du RUF avait déposé une motion pour récuser le juge ROBERTSON pour le raisonnement qu'il tient dans son ouvrage « Crimes Against Humanity : the Struggle for Global Justice ». Les arguments de l'avocat étaient que les opinions du livre traduisaient les préjugés que le juge pouvait avoir à l'égard des accusés du RUF. Il y aurait conflit d'intérêt car le juge gagnerait beaucoup à ce que les accusés du RUF soient coupables pour valider ses hypothèses175(*). Le Procureur abondera dans le même sens en soutenant que cet élément aurait dû être pris en compte par le Secrétaire général de l'ONU dans la nomination du magistrat. Ces moyens ont été retenus et le juge ROBERTSON a été récusé pour les affaires des accusés du RUF176(*). L'absence de préjugé dans la procédure repose aussi sur le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement qui veut que les différentes étapes de la procédure pénale soient confiées à des autorités différentes. L'inculpation des accusés, la recherche des preuves et leur présentation en audience publique appartient au Procureur qui défend les intérêts de la communauté internationale tandis que la validation définitive des inculpations, la conduite des débats, l'appréciation des preuves et le jugement au fond relèvent du domaine des juges du siège. Bien que l'inculpation soit officiellement approuvée par le juge du siège, cette action ne constitue pas pour lui un préjugé qui le disqualifierait de toute participation à la connaissance ultérieure du dossier, notamment à l'audience et au délibéré pour la décision sur le fond de l'affaire (RPP Cour spéciale, règle 15 D).

Le statut de la Cour ne prévoit pas de circonstances objectives dans lesquelles le juge ou tout autre membre de la Cour peut être démis de ses fonctions. Pour parer à une telle éventualité, l'on pourra se référer à l'amendement des RPP de la Cour (Règle 15 bis) qui s'inspire des provisions de l'article 46 du Statut de Rome de 1998. Le président de la Chambre d'appel qui a, entre autres, la qualité de Président de la Cour, convoque les juges en congrès lorsque des éléments pertinents et raisonnables permettent de douter de son impartialité ou qu'il ait commis une faute lourde incompatible avec la poursuite de ses fonctions. La procédure de démission d'un juge est contradictoire : c'est-à-dire que le juge en question est appelé à faire ses observations sur le dossier et se défendre. Si le congrès considère qu'il y a des éléments suffisants à penser que le juge a manqué à son serment177(*), il adopte un ensemble de recommandations adressées à l'organe qui a procédé à sa nomination pour qu'elle prenne des dispositions adéquates.

La composition de l'organe judiciaire de la Cour spéciale respecte le double degré de juridiction, notamment lors de l'exercice de ses fonctions judiciaires. Certains observateurs178(*) ont tout de même déploré le caractère interventionniste de la Haute chambre qui privilégiait le modèle inquisitoire au détriment de l'accusatoire qui devait servir de référence.

2. Des fonctions articulées entre administration judiciaire et fonctions purement juridictionnelles

Le principal rôle de l'organe judiciaire est de juger les personnes qui sont traduites devant lui. Pour atteindre cet objectif avec efficacité, il doit remplir des fonctions administratives179(*), c'est-à-dire qu'il doit édicter des règles qui encadrent tout le processus judiciaire. L'organe judiciaire est donc responsable de la création d'un corpus de règles d'administration interne (Statut CPI article 52), des règles relatives à l'indépendance, à la récusation des juges et à la nomination des greffiers. L'article 14 du statut de la Cour spéciale stipule que les Règles de procédure et de preuve du TPIR s'appliqueront mutatis mutandis et que les juges réunis en congrès procèderont à l'amendement progressif180(*) de ce corpus juridique en fonction des spécificités de la Cour et procéder à l'adoption de nouvelles règles selon les nécessités circonstancielles. Pour ce faire, ils devront s'inspirer des règles de la loi de procédure criminelle de Sierra Leone de 1965. L'introduction d'une proposition d'amendement appartient concurremment à un juge, le Procureur, le Greffier, le chef du bureau de la défense, le barreau sierra léonais ou toute autre personne mandatée par le président de la Cour181(*). L'amendement du 29 mai 2004 de la règle 6 prévoit que l'adoption d'une proposition d'amendement peut se faire en assemblée plénière de la Cour spéciale mais qu'elle pourrait aussi se faire par d'autres moyens comme l'échange des lettres des juges. S'il y a unanimité, l'amendement entrera en vigueur immédiatement après publication par le greffe.

Les fonctions judiciaires ou juridictionnelles de la Cour peuvent quant à elles être exercées avant, pendant et après le procès. Bien que le Procureur soit le responsable de la partie d'instruction, le juge valide officiellement les actes d'inculpation et est emmené à produire des actes afin de procéder les intérêts de la défense et des victimes. Au vu de l'importance de ces décisions, les institutions judiciaires internationales privilégient la collégialité.

Selon le Statut du TPI, les juges ne doivent pas intervenir avant le procès. Ils ne peuvent ni vérifier, à la demande d'une partie intéressée, ou de leur propre initiative, les actes du Procureur ou de lui demander de rendre compte. Le juge ne peut intervenir que lorsque le procès a commencé. Il peut alors récuser les preuves illégales voire relâcher les inculpés quelles que soient les charges retenues contre eux182(*). A contrario, la CPI prévoit l'intervention de la chambre préliminaire avant l'ouverture de l'enquête en travaillant avec le Procureur. La décision, a priori discrétionnaire, du Procureur d'ouvrir une enquête ou de poursuivre est soumise à l'autorisation de la Chambre préliminaire. Ce contrôle s'exerce à la demande de l'Etat qui a saisi la Cour ou du Conseil de sécurité183(*). La Chambre peut aussi demander au Procureur ainsi que le stipulent les articles 15 § 4 et 57 § 2 du statut de Rome et la règle 46 des RPP d'ouvrir une enquête qui lui semble nécessaire à la manifestation de la vérité. Plus, les actes du Procureur visant à la recherche des preuves doivent préalablement être autorisés par les juges de la Chambre préliminaire qui peut demander un sursis à enquêter (article 18 § 6) et dans le cadre de l'enquête, prendre des initiatives pour assurer, déjà à ce stade, le respect des droits de la défense (art. 56). Enfin, le juge doit vérifier si l'éventuelle décision du Procureur d'abandonner les poursuites ou certains actes de procédure servent les intérêts de la justice.

Au stade des poursuites, seul le juge a compétence d'émettre des mandats d'arrêt, des ordonnances de confirmation des inculpations en l'absence de l'accusé184(*) comme ça a été le cas pour tous les accusés de la Cour spéciale avant la publication des inculpations. Cependant, les audiences ou conférences préparatoires serviront à revenir sur les différentes inculpations et permettront à tous les accusés de contester les charges retenues contre eux et de présenter les motions préliminaires que la Chambre d'appel examinera avant l'ouverture du procès proprement dit.

Pendant le procès, la chambre de jugement composé de trois juges veille au respect de l'équité du procès, à la protection des victimes et des témoins. Les juges délibèrent, fixent les peines et assurent le respect des droits des victimes185(*) le cas échéant. Les dernières fonctions juridictionnelles s'exercent au stade d'appel. Les décisions des chambres de jugement sont connues en appel après les pourvois des condamnés ou du Procureur. Il peut aussi avoir révision en cas de constatation d'une erreur manifeste qui aura permis la condamnation fautive des personnes mises en examen.

La Cour spéciale comme les autres instances internationales ne disposent pas de véritables cours d'appel, le double degré de juridiction est assuré au sein d'un seul et même organisme. Il est donc nécessaire d'assurer l'indépendance et l'étanchéité des deux chambres. La Chambre d'appel doit s'abstenir, lorsque l'affaire est encore en examen devant les chambres basses, de se saisir du dossier ou d'interférer dans le cours de la justice. En vertu de la maxime « qui a jugé ne peut rejuger » il est interdit aux juges de connaître des dossiers qu'ils ont connu en première instance lorsque ceux-ci sont entrain d'être examinés en appel.

Bien que les juges de l'organe judiciaire exercent leurs fonctions en collaboration avec le Procureur, le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement reste consacré. La phase de jugement confiée à l'administration des juges est précédée par une phase déterminante dont s'occupe l'organe s'instruction et des poursuites.

B. Organe d'instruction et de poursuites

Le Procureur reçoit les informations relatives aux crimes relevant de la compétence de la Cour, conduit les enquêtes et soutient l'accusation devant l'organe juridictionnel. Il jouit des immunités et des avantages liés à l'exercice de ses fonctions. Le Procureur est la tête visible de l'organe d'instruction au point où l'évocation des fonctions cet organe ramènent souvent à la seule personne du Procureur. Pourtant, l'organe de poursuites et d'instruction jouit d'une organisation particulière (1) et a des attributions touchant aux droits et à la liberté des personnes (2).

1. L'organisation hiérarchique de l'organe d'instruction et de poursuites

L'organe d'instruction d'une institution judiciaire internationale est organisé de manière hiérarchique. Le procureur est à la tête et est secondé par un vice-procureur qui doit être de nationalité différente que lui (art. 42 § 2 du Statut de Rome, art. 13 § 3 Statut du TPIR). En ce qui concerne la Cour spéciale, le Procureur est nommé, en vertu de l'article 15 du statut de la Cour spéciale par le Secrétaire général des Nations unies pour un mandat de trois ans renouvelables. Le Procureur doit jouir d'un très grand niveau de compétence en matière de droit international des droits de l'Homme et du droit international humanitaire et d'une expérience accrue en ce qui concerne la conduite des opérations de poursuite et d'instruction des affaires criminelles. Il est choisi parmi des personnes qui font preuve d'une grande moralité et intégrité ; il est indépendant des autres organes de la Cour, ne reçoit aucune instructions des Nations unies, de son gouvernement d'origine ou de quel autre gouvernement que ce soit. Le Procureur bénéficie des avantages et immunités liées à l'exercice de ses fonctions. Par contre, le Procureur adjoint quant à lui est nommé par le gouvernement de Sierra Léone. Il seconde le Procureur dans ses fonctions et assure la vacance en cas d'absence et d'incapacité et sous délégation expresse de la part du Procureur186(*). Il jouit des mêmes avantages et immunités que lui.

Le bureau du Procureur est constitué d'un certain nombre d'experts et d'agents juridiques qui, en raison de la diversité des crimes qui tombent sous la juridiction de la Cour doivent détenir des compétences en matière du droit international humanitaire et des droits de l'Homme, mais aussi des procédures psychologiques de recueil des témoignages des enfants et d'autres personnes victimes des crimes particuliers comme les violences sexuelles. L'article 15 du statut de la Cour in fine donne comme attributions au bureau du Procureur l'initiation des programmes de réintégration et de réhabilitation des enfants. Cet ensemble de fonctionnaires sont soumis aux mêmes exigences d'indépendance que le Procureur et son adjoint187(*).

La Cour spéciale pour la Sierra Léone a connu depuis 2002 trois procureurs successifs188(*). David CRANE, le tout premier Procureur a été très efficace au lendemain de sa nomination. Neuf mois après cette nomination, il produira ses sept premières inculpations et aura parcouru le pays pour mener des campagnes de sensibilisation des populations rurales sur son rôle et l'importance que la poursuite des responsables des crimes de guerre représentait pour la pérennité de la paix en Sierra Léone. Il était secondé dans ses fonctions par Desmond De SILVA qui le remplacera au bout de son premier mandat. M. De SILVA est un britannique inscrit au barreau sierra léonais depuis 1968. Sa nomination par le gouvernement sierra léonais a causé des remous au sein de la communauté des juristes sierra léonais car le statut prévoir expressément que le Procureur adjoint soit sierra léonais189(*). En 2003, le bureau du Procureur comptait 65 agents dont les trois cinquièmes sont sierra léonais190(*). Il y avait des experts en droits de l'Homme et compte tenu du fait que le mariage forcé était constitutif de crime de guerre, une section spéciale était consacrée aux questions de crimes sexuels. Le bureau du Procureur ne dispose pas d'agents de force suffisants pour conduire l'arrestation des inculpés. L'assistance des membres de la police civile de l'UNAMSIL, de la police nationale de Sierra Léone et des autres Etats est nécessaire à la conduite de ces objectifs. A cet effet, les officiers de la section de recherches de la police sierra léonaise ont été particulièrement motivés pour apporter leur soutien aux investigations du Procureur.

2. Attributions de l'organe chargé de l'instruction et des poursuites

Les attributions de l'organe des poursuites et de l'instruction sont principalement de rechercher les preuves destinées à soutenir l'accusation devant l'audience de fond, la présentation de ces preuves devant un juge impartial et les réquisitions des peines. Selon la règle 39 (i) des RPP de la Cour, le Procureur peut rechercher, procéder aux auditions et interrogations des témoins et suspects. Les textes fondamentaux de la Cour font du Procureur le responsable de la mise en place des mécanismes de protection des victimes et surtout des témoins. Il devra alors prendre, en relation avec l'organe d'administration judiciaire, des mesures de désintéressement et de réinstallation à l'étranger de ceux dont la sécurité serait menacée pour leur témoignage devant la Cour. Il recherchera autant que possible la coopération des Etats191(*) concernés, - en vertu de la coopération judiciaire - ainsi que de tout organisme de coopération policière internationale comme INTERPOL. Les mesures d'enquête se font selon deux principales approches : l'approche interventionniste et une autre plus respectueuse de la souveraineté des Etats. Les TPI, conformément à l'application des pouvoirs découlant du Chapitre VII de la Charte, agissent directement sans autorisation étatique préalable ou de contrôle juridictionnel. Il peut demander à l'organe juridictionnel de prendre toutes les ordonnances utiles pour faciliter l'enquête.

Le Procureur jouit des pouvoirs exorbitants en ce qui concerne les droits et surtout la liberté des personnes soumises à l'enquête, notamment en ce qui concerne les mesures provisoires. Il s'agit, selon la Règle 40 des RPP de la Cour qu'en cas d'urgence, le Procureur peut demander à un Etat d'arrêter et de placer en détention des personnes susceptibles d'être suspectées, ceci conformément aux règles de procédure de l'Etat en question. Il peut aussi demander au juge de prononcer la mise en détention provisoire (règle 40 bis) d'un suspect dans les cellules du tribunal. Le Procureur doit exercer ces compétences touchant à la liberté des personnes poursuivies en toute conformité avec les RPP car, selon les principes d'Habeas Corpus, tout accusé qui serait détenu irrégulièrement obtiendrait immédiatement sa liberté dès que le juge reconnaîtra cette illégalité, quelle que soit la gravité des faits retenus contre lui. Par principe, le procureur bénéficie d'un pouvoir illimité dans la recherche des preuves. Ce pouvoir doit rester dans une éthique pour que les preuves recueillies soient validées par le juge à l'audience. C'est-à-dire que la garantie judiciaire du respect de l'intégrité de la preuve se fait a posteriori par le juge qui écarte les preuves recueillies irrégulièrement.

La réussite d'une juridiction pénale dépend de la coordination entre les différents organes ses rapports avec l'extérieur. C'est précisément ce dont doit s'assurer l'Organe d'administration judiciaire.

C. Organe d'administration judiciaire

Il est chargé de l'administration des organes de la juridiction. Il assure les tâches qui incombent au greffe ordinaire, lesquelles tâches étant relatives à l'exercice des droits et des intérêts des parties au procès, la protection et l'assistance aux victimes et témoins et enfin l'administration pénitentiaire. L'organe d'administration judiciaire de la Cour spéciale est composée de deux sous-organes placés sous l'autorité d'un Greffier (1) et exerce, en plus de ses fonctions classiques, d'autres fonctions dites exceptionnelles (2).

1. Un organe placé sous l'autorité d'un Greffier

Le Greffier est l'autorité hiérarchique de l'Organe d'administration judiciaire et est nommé par le Secrétaire général des Nations unies après consultation du Président de la Cour spéciale (Règle 30 des RPP de la Cour spéciale et Statut TPIY article 17 § 3 et TPIR article 16 § 3). Personne jouissant d'une haute intégrité, il est assisté d'un adjoint dont la nomination obéit aux mêmes conditions que les autres membres du staff. Les conditions de révocation du Greffier sont les mêmes que celles des autres hautes personnalités de la Cour, notamment, en cas de faute lourde et d'incapacité. Pendant que les TPI et la Cour spéciale ne prévoient rien en ce qui concerne la procédure de constatation de ces manquements, l'article 46 § 1 et suivants du Statut de Rome prévoit que ce soit l'Assemblée plénière des juges qui soit compétente pour voter sur ces questions.

Depuis sa création, la Cour spéciale a été administrée par deux greffiers : le premier, Robin VINCENT nommé en juin 2002, a particulièrement été efficace dans l'établissement de la Cour. Cet ancien administrateur des juridictions pénales britanniques, a su gérer les premiers problèmes d'infrastructure et surtout de communication autour des activités de la Cour. Bien que les RPP de la Cour spéciale (règle 34) ne prévoient que l'unité d'aide, de soutien et d'assistance aux victimes et témoins, l'on peut tout de même lui rattacher l'unité d'aide à la défense, organe indispensable au fonctionnement d'une justice équitable et dont l'administration dépend du greffe.

L'aide et l'assistance aux victimes et témoins consiste à le mise sur pied d'un ensemble de professionnels qui fourniront une assistance matérielle et psychologique aux témoins et victimes qui auront accepté de participer au processus judiciaire. La relocation à l'étranger et la protection physique de ceux-ci occupent une place importante. Des accords avaient été signés avec INTERPOL le 3 novembre 2003 et avec la MINUSIL pour le détachement du personnel de sécurité et des moyens logistiques pour la Cour. Ainsi, le transfert de TAYLOR de Monrovia à Freetown, ainsi que le cours du procès ont été efficacement protégés par la police de la mission.

L'unité d'aide à la défense est quant à elle chargée de mettre à la disposition des accusés sans moyens de se défendre une équipe de conseils commis d'office qui sont salariés par la Cour, conformément à le règle 45 des RPP de la Cour spéciale192(*). Pour accorder à un accusé le bénéfice de l'avocat commis d'office, il faut prendre en compte les signes extérieurs de richesse et l'estimation de sa fortune193(*). Les services du greffier fixent aussi les honoraires des avocats et veillent à ce que ceux-ci ne cherchent pas à se livrer à des manoeuvres ou incidents de procédure affin d'avoir plus de rémunération. Bien que l'attribution d'un conseil gratuit se fasse de manière discrétionnaire, l'accusé qui s'est vu refuser cette facilité peut faire appel devant le Président de la Cour dès après la première audience194(*).

L'Organe d'administration judiciaire de la Cour spéciale, pour sa composition inspiré des autres instances pénales internationales mais a fait preuve d'une certaine originalité dans la définition de ses attributions.

2. Attributions de l'Organe d'administration judiciaire de la Cour spéciale.

L'Organe d'administration judiciaire est la porte d'entrée et de sortie de la juridiction. Elle est responsable des rapports entre la Cour et les autres entités (juridictions nationales et internationales, autorités sierra léonaises, organes des Nations unies et Etats tiers). C'est le lieu de transit des mandats, ordonnances et décisions des Chambres de jugement et d'Appel. Il coordonne avec les Etats les ordonnances d'arrestation, de transfert des suspects et accusés ainsi que de l'exécution des peines.

En plus de sa mission diplomatique, le Greffe assure aussi les relations publiques de la Cour. Il s'agit pour lui d'assurer la communication et la dissémination d'information émanant des autres organes de la juridiction. La publication des jugements et décisions, les communiqués de presse, les lettres, etc. Dès les premiers jours de la Cour, et à cause de la difficulté particulière que présentait la cohabitation de la Cour spéciale avec la Commission vérité et réconciliation, il était nécessaire pour éviter la confusion au niveau des populations sierra léonaises de mettre sur pied un programme de sensibilisation et d'information. La création d'une chaine de radio, les voyages répétitifs du greffier et de l'équipe de sensibilisation composée pour la plupart de nationaux parlant les langues locales dans toutes les régions du pays pour renseigner la population et éviter l'amalgame entre le mandat de la Cour de celui de Commission.

La troisième tâche dite classique qui incombe au greffe de la Cour concerne l'administration pénitentiaire. La Cour dispose d'une prison moderne pour accueillir les 9 inculpés actuellement en procès. Il est alors sous la responsabilité du greffe d'assurer que la détention se passe dans de bonnes conditions. La restauration, le repos, les divertissements, les soins de santé, les conditions d'hygiène et surtout les rapports entre les détenus et leurs proches à l'extérieur doivent être assurés. Ces exigences sont garanties par les visites du Comité International de la Croix Rouge (CICR) et autres organisations de défense des droits de l'Homme auxquelles se plient les autorités de la Cour. Le Greffier de la Cour spéciale a essayé, pour assurer un bon état de santé à l'accusé Foday SANKOH, de conclure un accord avec le gouvernement Ghanéen pour lui permettre de bénéficier d'une visite médicale dans les hôpitaux d'Accra. Cette initiative a été infructueuse, les ghanéens ne voulant pas recevoir un criminel de guerre sur leur territoire.

La Cour spéciale, nous l'avons dit plus haut est une juridiction indépendante financièrement du budget des Nations unies. Son financement dépend des contributions volontaires des Etats. Sans revenir sur les avantages et inconvénients de ce procédé, il convient ici de relever le rôle important que joue le greffe dans la recherche des financements. Actif au comité de management de la Cour, il organise des rencontres informelles entre les ambassadeurs des pays donateurs présents à Freetown et a créé un réseau de coopération avec les ONG internationales qui militent dans le domaine de la justice internationale. La création d'une cour hybride comme la Cour spéciale pour la Sierra Léone suppose la prise en compte de plusieurs facteurs liés à l'harmonisation des compétences relativement aux différentes familles juridiques d'une part, et d'autre part, des éléments concernant la participation du personnel national. Cependant, ces contingences ne doivent pas ignorer le déroulement de la justice qui doit être respectueux du modèle démocratique du procès pénal.

II. Le déroulement de la justice respectueux du modèle démocratique du procès pénal

La Cour spéciale, comme les autres juridictions pénales internationales (TPIR, TPIY et CPI) privilégie un modèle mixte de procédure. Elle prend en compte des éléments caractéristiques de la procédure accusatoire qu'elle allie à ceux de la procédure inquisitoire. Cette mixité se remarque à la phase préalable au procès qui est plutôt de type inquisitoire (A) et au procès proprement dit, qui lui, est de type accusatoire (B).

A. La phase préalable au procès : une procédure inquisitoire dominée par le Procureur

Bien que la procédure utilisée par les juridictions pénales internationales soit dominée par les principes du Common Law, la phase de l'enquête préalable est exclusivement confiée au Procureur (1) et doit être clôturée par une instruction à charge et à décharge (2).

1. Une enquête préalable sous le contrôle exclusif du Procureur

La phase préalable au procès peut être considérée comme le stade de la procédure située entre l'inculpation et la première comparution au procès de fond devant l'organe juridictionnel. C'est la période où le dossier d'accusation est composé et où le Procureur mène la plupart de ses enquêtes. Il est responsable des enquêtes et de l'instruction des procès195(*). Il a un large pouvoir d'initiative et d'appréciation, ce pouvoir n'a aucune limite : il ouvre l'enquête, entreprend des mesures d'enquête et décide de la poursuivre ou non les personnes qu'il soupçonne. Pour ouvrir l'enquête, celui-ci doit vérifier s'il a en sa possession des éléments suffisants lui permettant de soupçonner une personne d'avoir participé à la commission des violations graves des droits de l'Homme. Il n'appartient donc pas à la victime d'intenter une action populaire pour attraire devant une juridiction toute personne soupçonnée d'avoir commis des crimes de guerre, de même qu'aucune autosaisie n'est possible de la part des juges de l'organe judiciaire.

Les mesures d'enquête sont de plusieurs ordres : ce sont des mesures attentatoires à la liberté et à la vie privée des personnes ; il s'agit de actions précises en vue de recueillir, obtenir ou conserver des éléments de preuve qui serviront à démontrer la responsabilité ou l'innocence de la personne poursuivie. Traditionnellement, l'on distingue deux sortes d'approches en matière de mesures d'enquête entreprises par les procureurs des institutions pénales internationales : une approche interventionniste qui consiste en une action directe du Procureur sans contrôle juridictionnel ou autorisation étatique. C'est celle qui est utilisée par les Tribunaux pour l'Ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. La seconde approche quant à elle est respectueuse de la souveraineté étatique, elle s'inspire de la pratique de coopération judiciaire internationale. Elle est utilisée par le Procureur de la CPI. La Cour spéciale quant à elle opère une synthèse entre les deux approches, c'est-à-dire que le Procureur, à travers l'Organe d'administration judiciaire196(*) requiert la coopération des Etats (en occurrence les Etats tiers) et des organismes de coopération policière internationale (comme INTERPOL par exemple) en même temps qu'utilise une approche interventionniste.

Les mesures d'enquête proprement dites consistent, comme le prévoit la Règle 39 des RPP de la Cour spéciale, en l'interrogatoire des suspects, l'audition des témoins et des victimes, la collecte des preuves et la conduite des investigations sur le site197(*). Il peut, dès qu'il juge nécessaire, prendre des mesures nécessaires en vue de préserver l'intégrité des personnes poursuivies et des preuves ; ces mesures peuvent consister à demander à l'organe juridictionnel de prendre toutes les ordonnances et mandats nécessaires à la poursuite de son enquête. En ce qui concerne les mesures d'enquête interventionnistes, la Cour siégeant in loco et jouissant d'une supériorité sur les juridictions locales, les demandes du Procureur doivent être traitées sans délai et les mandats de la Cour exécutées avec le concours de l'Avocat général près la Cour suprême de Sierra Léone. Les mesures d'enquête sont prises sans contrôle juridictionnel préalable.

La décision de mise en détention provisoire des personnes soumises à l'enquête peut être prise par le Procureur. A ce stade, elles bénéficient des garanties fondamentales qui peuvent s'élargir au fur et à mesure que leur inculpation et leur mise en accusation se produisent. Pendant que les TPI ne se bornent qu'à la prise en compte des droits des suspects et accusés, la Cour spéciale et la CPI intègrent d'autres degrés de protection. Il s'agit entre autres le droit pour les accusés à ne pas être obligés de s'auto incriminer ou de s'avouer coupables, de leur droit à ne pas être soumis à la menace, la moindre coercition ni à la torture, aux traitements cruels inhumains ou dégradants198(*), de leur droit à être assistés d'un avocat de leur choix, lequel avocat sera présent à chaque fois que le Procureur décide de les entendre et enfin de leur droit d'être assistés par in interprète gratuit199(*).

Conformément à la Règle 40 (A) des RPP de la Cour spéciale, le Procureur peut, en cas d'urgence, demander à un Etat de procéder à l'arrestation d'un suspect et de le mettre en détention. Cette mise en détention obéit à des règles très strictes. Toute personne est privée de liberté si celle-ci peut lui servir à empêcher la justice de suivre son cours. C'est-à-dire que la mise en détention se justifie lorsque l'on craint raisonnablement que le suspect puisse fuir, soustraire des éléments de preuve, faire pression ou influencer les témoins. La demande de mise en détention est adressée par le Procureur au juge compétent dans un délai de dix jours après l'arrestation du suspect. Le juge peut décider de ne pas mettre cette personne en détention lorsqu'il juge que l'incarcération est inappropriée et si le délai de dix jours est dépassé [Règle 40 (C)]. Lorsque le Procureur juge nécessaire de maintenir en détention plus longtemps la personne suspectée et qu'il y a assez d'éléments permettant sa mise en détention provisoire, le Procureur fait la requête au juge de siège dans les 30 jours qui suivent sa transmission au pénitencier de la Cour spéciale, ou d'une autre prison agrée[Règle 40 bis (C)]. Si la demande de mise en détention provisoire est accordée par le juge, celle-ci ne peut excéder 90 jours. Passé ce délai, la partie poursuivant décide, soit de libérer le suspect soit de l'inculper définitivement. Après l'inculpation, l'accusé est présenté aux juges pour l'audience de première comparution, marquant ainsi le début de la seconde étape avant le début de la procédure au fond.

La seconde phase de l'instruction intervient après l'inculpation formelle de la personne soupçonnée ; celle-ci quitte la position de simple témoin ou de témoin assisté200(*) à celle d'accusé ou de mise en examen. La personne mise en examen est présentée dans les plus brefs délais devant le juge compétent. Pendant cette audience, le juge vérifie que les droits de l'accusé sont jusqu'à ce stade respectés et procède à la lecture des chefs d'inculpation qui sont retenus contre lui. Cette lecture doit être faite de telle sorte que l'accusé comprenne de quoi il s'agit, c'est-à-dire que la traduction doit être faite de manière instantanée lorsque l'accusé ne comprend pas l'Anglais. L'accusé aura alors, la possibilité de plaider « coupable » ou « non coupable » pour chacun des chefs d'accusation (Règle 61 iii). Le juge de fond demandera au Greffier de fixer une date pour le procès dans le cas où l'accusé plaide « non coupable ».

Si l'accusé plaide « coupable », le juge doit s'assurer que cette déclaration est éclairée, c'est à dire si l'accusé a bien compris les faits qui lui étaient reprochés et qu'il ait reçu préalablement le conseil de son avocat. La déclaration doit être faite librement, sans aucune contrainte et sans équivoque. La Chambre de jugement pourra alors, se réunir et déterminer la recevabilité de cette déclaration et le cas échéant, fixer une date pour le prononcé de la sentence201(*).

L'ouverture de la phase d'instruction se traduit juridiquement par une nouvelle garantie des droits de la personne poursuivie et des obligations incombant au Procureur en ce qui concerne la recherche et la transmission des preuves.

2. Une instruction menée à charge et à décharge

Le degré de protection des personnes en relation avec les juridictions pénales évolue au fur et à mesure que l'étape des audiences au fond approche. En effet, les personnes soumises à l'enquête ne disposent que des garanties relatives à leur intégrité physique et ne disposent pas généralement du droit à disposer d'un conseil. Cependant, dès l'inculpation, chaque interrogatoire de l'accusé est filmé et enregistré et ne peut se faire en l'absence de son avocat202(*). La Règle 43 des RPP de la Cour spéciale règlemente strictement les interrogatoires : elle prévoit que le Procureur doit impérativement avertir l'accusé que son interrogatoire est filmé et enregistré (Règle 43 § 1), lui fournir une copie de la cassette qui sera transcrite et dont l'original sera mis dans une enveloppe scellée par le sceau du Procureur et sa signature (Règle 43 § 2 et suivants).

Le système juridique du Common Law, par son caractère accusatoire, ignore l'existence d'un magistrat instructeur qui serait chargé de mener l'instruction à charge et à décharge. Il appartient à chacune des parties de réunir ses éléments de preuve pour les présenter devant le juge en audience au fond. Toutefois, eu vu des moyens considérables dont dispose le ministère public, il peut lui arriver d'être en possession des éléments qui pourraient servir à disculper l'accusé, ou du moins, pourraient lui être d'un apport capital dans sa défense. Etant donné que le système accusatoire s'apparente à un duel judiciaire entre deux adversaires203(*), l'on serait tenté de penser que le Procureur puisse opérer un tri entre les éléments de preuves et ne conserver que celles qui iront dans l'intérêt de ses arguments. A vrai dire, il n'en est rien, car, le Procureur a l'obligation de transmettre tous les éléments de preuve en sa possession aux avocats de la défense. La section 3 des RPP de la Cour spéciale intitulée « Production of Evidence » règlemente cette transmission du dossier qui concerne aussi bien la partie défenderesse que la poursuivante.

En ce qui concerne le Procureur204(*), il doit, trente jours au moins avant la première audience, transmettre à la partie adverse tous les actes, noms des témoins et copie des documents qu'il compte utiliser. Pour toutes les autres preuves qui seront recueillies après la première transmission, le Procureur a l'obligation de les faire suivre pas plus tard que dans un délai de 60 jours avant l'ouverture de la prochaine audience. Dans le cas où l'intervalle entre les audiences serait inférieur à ce délai, le juge de fond décidera de fixer un délai raisonnable pour que tous les éléments soient transmis par le Procureur à la partie défenderesse. En ce qui concerne les informations qui pourraient mettre en péril la sécurité de l'Etat, l'intérêt d'autres enquêtes en cours ou tout simplement l'intérêt général205(*), le juge siège à huis clos sous la demande du Procureur pour maintenir ces informations au secret.

Pour sa part, l'accusé a l'obligation de transmettre au Procureur un dossier qui comporte tous les éléments (témoins, preuves matérielles, documents, etc.) qu'il compte présenter à l'audience de fond pour sa défense206(*). Si l'accusé, lors de la transmission de ce dossier au Procureur, « omet » d'y inclure une ou plusieurs pièces, il ne peut être empêché de les présenter devant la Cour. Ensuite, les avocats de la défense doivent, dans un délai que les RPP ne précisent pas [Règle 67 (C)], transmettre au Procureur un « Defense Case Statement207(*) », document qui comporte qui présente en termes généraux la défense de l'accusé, l'indication des éléments de l'accusation qu'il conteste et les raisons de cette contestation. Cette présentation sommaire de la défense de l'accusé est nécessaire pour la préparation des conférences préliminaires aux audiences et à la transmission des documents à décharge par le Procureur.

Les preuves à décharge son transmises par le Procureur à la défense au plus tard 14 jours après la réception du « Defense Case Statement » ; il s'agit des éléments que le procureur juge pertinents pour la présentation de la défense de l'accusé (Règle 68), c'est-à-dire des éléments à sa disposition et « dont il estime qu'ils disculpent l'accusé ou tendent à le disculper ou à atténuer sa culpabilité, ou sont de nature à atténuer la crédibilité des éléments de preuve à charge208(*) ». L'obligation permanente de transmission des éléments de preuve n'est pas une obligation synallagmatique209(*) dont l'omission par l'une des parties déchargerait l'autre partie de les remplir. Cette exigence pèse avec plus d'acuité sur le Procureur qui doit transmettre les preuves y compris pour les audiences en appel et peut jouer sur l'appréciation de la recevabilité de la preuve concernée par le juge du fond210(*). Plus encore, la non transmission des éléments de preuve qui s'avèrent cruciales pour la disculpation de l'accusé peuvent conduire à la réouverture du procès211(*).

Soumettre la pertinence ou la nécessité d'une preuve pour l'accusé à l'appréciation du Procureur pourrait être considéré comme une rupture grave du principe de l'égalité des armes entre les parties devant le juge. En effet, suspendre la présentation des éléments de preuve à décharge à l'arbitraire du Procureur est un risque de voir ce dernier retenir de manière déloyale certaines preuves qui pourraient entraver le développement de ses arguments devant la juridiction au fond. Il aurait été plus judicieux pour les rédacteurs des RPP de la Cour de prévoir une transmission complète de toutes les trouvailles du Procureur à la partie défenderesse. L'on éviterait alors, des omissions volontaires ou involontaires, de bonne ou de mauvaise foi du Procureur qui ne serait pas en mesure de prévoir la stratégie de la défense à la seule lecture du Defense Case Statement.

L'obligation de transmission réciproque des preuves, témoins et autres moyens de défense avant l'ouverture de l'audience est une expression de la protection des droits de la défense et du principe de l'égalité des armes, gages d'un procès équilibré.

B. Une procédure accusatoire au fond et respectueuse des droits de l'accusé

Le juge est le maître de l'instance : c'est lui assure la sécurité et l'intégrité du cours du procès. Pour ce faire, les textes constitutifs des juridictions pénales internationales font de lui le garant des droits de la défense (1) et l'arbitre impartial et indépendant (2).

1. Les garanties des droits de la défense

Les caractéristiques du procès devant la Cour sont révélatrices des droits de la défense. C'est-à-dire que c'est à travers le caractère public, oral et contradictoire de la procédure que les droits de la partie poursuivie trouvent toute leur expression. L'article 17 du statut de la Cour spéciale présente de manière détaillé ce quelle entend par The Rights of the Accused. Il s'agit, pour les droits les plus pertinents du droit à l'égalité et à la présomption d'innocence, du droit à l'information et à l'examen équitable de sa cause.

· Le droit à l'égalité et à la présomption d'innocence : il s'agit de n'accorder aucun privilège à un accusé par rapport aux autres. Les juges doivent tous les traiter de façon équitable, leur accorder les mêmes droits et attendre d'eux les mêmes obligations présentes dans les Statuts et les RPP de la Cour. Le droit à la présomption d'innocence est affirmé par l'article 11 de la déclaration universelle des droits de l'homme qui stipule : « toute personne accusée d'un acte délictueux est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d'un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées » et réaffirmé par le pacte international des droits civils et politiques (art 14 § 2). Cette exigence veut que l'accusé soit traité de manière à ce que rien ne puisse préjuger de sa culpabilité ; il est donc nécessaire de procéder à une gradation précise de statuts évoquée au stade de la procédure d'enquête et d'instruction.

· Le droit d'être pleinement informé : c'est le premier des droits opposables devant une juridiction. L'accusé a le droit de savoir ce qui lui est reproché, de connaître et de comprendre ce qui justifie sa mise en accusation. C'est la condition sine qua none du respect des autres doits de la défense car si l'on ne sait pas ce qui fait l'objet de l'accusation, l'on n'est pas en mesure de se défendre convenablement. Ce droit est consacré par la plupart des textes internationaux relatifs aux droits de l'Homme212(*) et les juridictions pénales internationales. Les TPI213(*) prévoient qu'une personne inculpée doit « être informée dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle ».

Il ressort donc de toutes ces dispositions que l'accusé doit être confronté aux faits qui lui sont reprochés, et pour ce faire, il a droit à la compréhension. La différence linguistique doit être surmontée par la mise à disposition d'un traducteur, d'un transcripteur en braille ou d'un interprète en langage des signes le cas échéant. Bien que le Statut de Rome ne prévoie aucune prescription en ce qui concerne l'information de l'accusé, l'article 3 des RPP des TPI et surtout, en ce qui concerne la Cour spéciale, la règle 3 règlementent la garantie du droit à la compréhension de l'accusé. L'interprète doit être gratuit, les éléments de preuves soumis doivent lui être traduits en sa langue, si elle est différente de l'Anglais. Le Greffe de la Cour spéciale a mis à disposition des accusés devant la Cour d'interprètes capables de traduire simultanément de l'Anglais aux langues nationales. Ces interprètes ont été nécessaires pour les auditions des témoins et victimes, car, tous les accusés maîtrisent la langue officielle de la Cour.

Une fois que l'accusé est entré en possession des éléments qui lui sont reprochés et des arguments et preuves que le Procureur compte utiliser contre lui, l'accusé doit pouvoir disposer du temps nécessaire à la préparation de sa défense. C'est pourquoi, les éléments de preuve sont transmis soit 14, 30 ou 60 jours, selon les cas, avant l'ouverture du procès (Règle 66 des RPP de la Cour spéciale).

· Le droit de présenter une défense : il se révèle dans le caractère oral, public et contradictoire de l'audience au fond. L'accusé a le droit que sa cause soit entendue publiquement ; cette publicité n'est pas seulement un droit pour l'accusé, c'est aussi un droit pour la communauté internationale d'être informée des poursuites engagées devant la Cour (Affaire TADIC), d'en comprendre le travail et la réalisation du mandat. La publicité des débats est une garantie pour l'accusé contre les abus de la justice et sert à protéger les droits, intérêt, sécurité et dignité des victimes et témoins. Ainsi, le huis clos est requis lorsque l'on a affaire à des victimes de crimes sexuels ou des mineurs214(*).

· Le droit de subir une peine juste et équitable, arrivant à la fin du procès a aussi un double avantage, pour les victimes et les personnes poursuivies. Une fois le procès au fond arrivé à son terme, les collectivités auront profité de la dénonciation des accusés et des crimes qu'ils ont commis, de les punir et de dissuader ainsi les personnes qui seront tentées de troubler la paix sociale. La peine doit être exemplaire et respecter les règles de justice et d'équité pour le condamné. Celui-ci doit bénéficier d'une peine juste, proportionnée et obtenue selon une procédure équitable. Les juridictions pénales internationales n'ont pas prévu de gradation de peines dans leurs textes fondateurs, encore moins en ce qui concerne les textes relatifs aux violations graves des droits de l'Homme215(*). Le principe de légalité des peines prévu dans la plupart des textes pertinents en matière des droits de l'Homme216(*) est respecté et, comme le prévoit l'article 19 du Statut de la Cour, doit être inspirée de celui des TPI. La règle 101 des RPP de la Cour217(*) prévoit que « les personnes reconnues coupables devant la Cour seront condamnées à des peines d'emprisonnement pour un nombre d'années spécifiques, à l'exception des mineurs ».

Cette règle suppose donc que les condamnées ne peuvent subir qu'une peine de prison limitée dans le temps, excluant ainsi la peine de mort ou l'emprisonnement à vie. Autre élément important, l'exclusion des peines d'emprisonnement contre les mineurs dans le cas où leur culpabilité serait établie.

· Une fois sa culpabilité reconnue et la peine infligée, la garantie du droit du condamné à l'exercice d'un recours ou le droit à ce que la décision le concernant soit réexaminée en appel rentre en force. Il s'agit pour lui de demander à ce que la Chambre d'appel réexamine la décision de la Chambre de première instance s'il a des sérieuses raisons de croire qu'il y a eu « une erreur procédurale, une erreur de droit déterminante ou une erreur de fait (...)218(*) » déterminante dans le rendu de la décision qui lui porte grief. Le procès est alors réexaminé dans son ensemble, les conférences préparatoires (règle 109), les preuves additives (règle 115) et les mesures d'enregistrement du procès sont réactivées. Lorsque de nouveaux éléments inconnus pendant l'examen de l'affaire au fond (en première et seconde instance) et que leur connaissance auraient considérablement influencé la décision rendue par les juges et dans un délai de 12 mois, le Procureur peut introduire une requête en révision auprès de la Cour (règle 120 RPP de la Cour spéciale).

Le juge est garant du respect des droits de la personne poursuivie, laquelle mission trouve son expression la pus large, selon les règles de procédure du Common Law, au stade de l'examen de l'affaire au fond.

2. Le juge : un témoin actif, impartial et indépendant

Nous l'avons dit, le procès au fond s'apparente à un duel judiciaire réglé devant le juge qui arbitre les débats. C'est lui le maître de l'instance, l'administrateur de la preuve et le garant du respect de la procédure. En premier lieu, la maîtrise de l'instance se caractérise par la protection du cours de la justice. Le juge a en effet le pouvoir de sanctionner toute conduite qui obstrue le cours de la justice. Cette protection se fait à la fois in facie, c'est-à-dire dans le prétoire ou ex facie, à l'extérieur de la Cour219(*). L'outrage à la Cour peut se manifester par la manipulation, l'intimidation, le harcèlement, l'agression ou la corruption des témoins, la présentation de la version des faits que le conseil savait fausse ou d'utiliser tous les moyens lui permettant d'agir « de façon scrupuleuse pour faire gagner à tout prix son client220(*) ». Le juge de la Cour spéciale sanctionne tous les témoins qui refusent de répondre aux questions, toutes les personnes qui refusent de procéder à l'exécution des mandats de la Cour ou de transmettre les informations et documents demandés par la Cour. Le refus de se présenter au procès après convocation ou assister un accusé dans son évasion ou sa cavale sont également punis par les juges.

La règle 77 (C) de la Cour spéciale édicte la procédure à suivre lorsque le juge constate un outrage à la Cour. Il peut donc gérer le problème lui-même, en référer aux autorités compétentes de la Sierra Léone pour qu'elles prennent les mesures répressives à l'encontre des responsables ou nommer un expert indépendant qui mènera des enquêtes sur le sujet. Si les éléments de preuve constitutifs de l'outrage à la Cour sont suffisants, le juge peut ouvrir in procès à juge unique où toutes les Règles de procédure et de preuve s'appliquent. La protection du cours de la justice se fait aussi par la dissuasion que la sévérité des sanctions présente. Les personnes encourent les peines pouvant aller jusqu'à 6 mois de prison et 2 millions de leones (environ 600 €), voire l'exclusion de l'équipe de la défense de la Cour lorsqu'il s'agit d'un avocat.

En second lieu, le juge a la responsabilité de protéger le caractère équitable e la justice : c'est en cela que la garantie des droits de l'accusée est assurée. Il doit veiller à ce que l'accusé soit représenté et que le Procureur n'use pas de moyens abusifs qui pourraient pousser l'accusé à s'auto incriminer. Le juge est le garant du principe de l'égalité des armes, c'est-à-dire qu'il intervient activement dans la production des preuves par les parties. Il jouit de toute l'autorité nécessaire pour invalider les preuves obtenues par des moyens illégaux, procède à des appels à témoins et surtout ordonner la recherche des preuves supplémentaires. Il s'assure aussi que les accusés comprennent bien les faits qui leur sont reprochés et peut même aller contre la volonté d'un accusé de plaider coupable. En effet, les RPP des TPI (article 98) prévoient que le juge, dès qu'il considère qu'un procès au fond, c'est-à-dire une présentation plus complète des faits peut servir les intérêts de la justice, ordonner au Greffier de fixer une date pour le procès normal même si l'accusé a plaidé coupable.

Le fonctionnement de la Cour, respectueuse des standards internationaux du procès équitable est un gage essentiel pour la recherche et le jugement de tous ceux qui « portent la plus grande responsabilité ».

Section 2 : Juger ceux qui « portent la plus grande responsabilité »

L'élément qui caractérise le mieux la justice transitionnelle et la différencie des autres types de justice plus classique est le compromis dont elle fait preuve. Mettre en oeuvre les mécanismes de justice transitionnelle, plus encore lorsqu'il s'agit des poursuites pénales nécessite de prendre en compte les buts ultimes qui sont : la prévention d'autres violations graves des droits de l'Homme dans le futur et la construction d'une société paisible et respectueuse du droit. En ce qui concerne la Sierra Léone, il était important de réserver le processus de répression pénale à un nombre restreint de personnes en se concentrant sur ceux qui sont le plus responsables des violations des droits de l'homme. Si cette restriction vise à concilier justice et paix (I), la définition des faits tombant sous la juridiction de la Cour devrait être rigoureuse (II).

I. Une restriction pour concilier justice et paix

La conciliation de la justice et de la paix passe dans un premier temps par la définition de la notion de plus grande responsabilité (A) et de la restriction des mesures d'amnistie (B).

A. Notion de plus grande responsabilité

Lors de l'adoption des Statut de la Cour spéciale, il y a eu un débat très important autour de deux terminologies : « la plus grande responsabilité » et « les plus responsables221(*) ». Ces débats auront permis de définir la responsabilité en fonction de la position qu'ils ont occupée (1) avec tout de même une nuance pour les enfants soldats (2).

1. La position occupée par le poursuivi

La droit pénal, et plus encore au niveau international a pour but d'établir les responsabilités individuelles. L'application du principe d'individualisation des peines et des situations nécessite une définition des grandes responsabilités des personnes ayant participé au conflit. Si l'on se réfère aux textes d'inculpation des accusés devant la Cour, l'on remarque qu'en l'absence de jurisprudence en la matière, le Procureur s'est inspiré de celle des Tribunaux pénaux pour l'Ex-Yougoslavie et le Rwanda. La plus grande responsabilité peut donc se définir à deux points de vue : pour ses actes personnels en vertu de la position hiérarchique occupée dans le groupe armé d'une part, et d'autre part, pour les faits commis par les subordonnées. C'est donc la responsabilité pour ses faits personnels et la responsabilité pour ceux des tiers.

La responsabilité pénale pour ses fait personnels est en ce qui concerne les inculpés devant la Cour spéciale est déterminée de prime abord par le fait qu'ils ont occupé une position leur permettant d'exercer un contrôle sur les hommes et les opérations militaires. Le Statut de la Cour spéciale précise que, sont notamment responsables ceux qui »planned, instigated, ordered, committed or otherwise aided and abetted in the planning, preparation or execution of a crime222(*)» Sam Hinga NORMAN était pendant le conflit armé le Coordinateur national des activités de la CDF. Il a joué un rôle important dans leur mise en place, la direction, le ravitaillement et surtout la définition des stratégies de guerre. La direction se remarque par le pouvoir effectif ou apparent que les personnes incriminées ont eu sur les hommes ; l'on retient notamment la capacité de donner des ordres, de recevoir des rapports, y compris les rôles de recrutement et d'instruction. En ce qui concerne les CDF, Allieu KONDEWA en plus de ses fonctions de chef de faction, en était le principal instructeur. C'est lui qui décidait des programmes et des techniques à enseigner aux nouveaux soldats, procédait à leur initiation et décidait s'ils étaient aptes à posséder une arme ou pas. Être responsable de ses propres actes réside aussi dans le pouvoir que l'on a à diriger effectivement les opérations militaires. Moinina FOFANA s'occupait de ces missions pour le compte des CDF ; en sa qualité de Coordonateur national adjoint et chef de la stratégie militaire, c'est lui qui décidait en collaboration avec Hinga NORMAN de l'opportunité des attaques et des opérations qu'il fallait mener.

Pour ne retenir que deux des opérations les plus sanglantes des membres du RUF, il est clairement établit que Foday SANKOH a initié l'opération Stop Elections en ordonnant à ses partisans de trancher les bras des populations civiles affin de les empêcher d'aller voter. Les rétributions des enfants soldats étaient proportionnelles au nombre de bras et de mains coupés223(*). L'objectif affiché était de chercher à empêcher les électeurs d'accomplir leur devoir de citoyen, l'ordre de déclencher cette opération émanait directement de SANKOH selon qui les élections ne pouvaient se tenir dans les conditions de l'époque. Il imputait même la responsabilité de ces faits au Gouvernement. L'opération No Living Thing quant à elle a causé des milliers de morts dans la ville de Freetown et sa banlieue. L'objectif de Sam BOCKARIE était de faire pression sur le Gouvernement pour qu'il exige la remise en liberté de leur chef incarcéré au Nigéria. Des ordres précis on été donnés aux combattants pour terroriser la population et les empêcher ainsi de collaborer avec le gouvernement par la suite.

L'excuse du commandement de l'autorité supérieure n'est pas ici recevable car les personnes poursuivies n'ont pas le droit d'exécuter un acte manifestement illégal. S'il est tout de même établit que les crimes contre l'humanité ont été commis en exécution des ordres d'un supérieur, les Statuts de la Cour spéciale préconise la prise en compte de cette donnée dans le calcul de la peine en déterminant le seuil de responsabilité de chacun dans les opérations incriminées224(*).

L'on peut aussi être responsable des atrocités commises dans le cadre d'un conflit armé si l'on a participé au financement et a tiré des profits considérables dans les opérations militaires incriminées. Les leaders du RUF avaient pour principal but d'avoir un contrôle effectif sur le territoire sierra léonais, surtout les zones diamantifères. Pour ce faire, Foday SANKOH avec ses lieutenants et alliés avaient prévu un contrôle sur les populations par des actes de terreur systématiques. Charles TAYLOR est celui qui a le plus profité des fruits financiers des opérations militaires du RUF et plus tard de la junte AFRC/RUF. Il a été avec le soutien la Côte d'Ivoire et du Burkina Faso225(*), à l'origine du RUF qu'il a financé en échange des retombées financières en matière de trafic de diamants principalement.

La responsabilité pour le fait des tiers se caractérise par les propres omissions des inculpés. Porter la plus grande responsabilité consiste ici à avoir été au courant des agissements de ses subordonnées, les a encouragés ou n'a pas pris des mesures adéquates pour les réprimer ou les faire cesser226(*). Au début de leurs opérations, les membres de la CDF respectaient les règles minimales de protection des populations civiles. Cependant, lorsqu'ils s'éloignaient de leurs régions d'origine, ils devenaient de plus en plus incontrôlables et commettaient des atrocités. Les leaders de ce groupe armé comme ceux des autres groupes ne sauraient s'exonérer car ils étaient forcément au courant des agissements de leurs subordonnées et n'ont pas pris les mesures adéquates pour les prévenir, les faire cesser ou même pour punir ceux qui en sont responsables. Ceux qui occupent des fonctions supérieures dans les forces armées ont des obligations de contrôle des personnes placées sous leur commandement. Ils sont, aux termes de l'article 87 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, tenus de punir les responsables des crimes ou à défaut de les dénoncer auprès de leur hiérarchie. Les responsables doivent s'assurer aussi, pour la prévention des crimes de guerre que leurs subalternes connaissent les règles minimales de protection des populations civiles.

La Cour spéciale a été chargée de poursuivre ceux qui portent « la plus grande responsabilité » des crimes de guerre. Cette responsabilité se détermine en fonction du rôle que l'on a joué et du rang occupé dans le groupe. Quelles sont les dispositions à prendre lorsque ceux qui portent la plus grande responsabilité sont des enfants ou ont été contraints comme les bush followers ?

2. Cas des enfants et des « bush followers »

La guerre civile en Sierra Léone a eu la triste particularité de compter aux cotés des d'adultes un grand nombre de combattants à peine sortis de l'enfance. Ces enfants-soldats étaient pour la plupart enlevés et forcés de combattre après avoir été drogués et formés à l'usage des armes. Les filles s'occupaient des petits travaux domestiques, servaient de porteuse, d'esclaves sexuelles et combattaient aussi au front. Les enfants-soldats étaient réputés pour leur zèle et leur cruauté ; la marge la plus importante des crimes graves commis pendant le conflit porte leur signature. Dans un processus de répression pénale des crimes de guerre, de telles particularités doivent être prises en compte. Les enfants sont-ils responsables des crimes qu'ils ont commis ? Si oui, quel processus doit-on les faire suivre pour assumer cette lourde responsabilité ?

Drogués, violés, forcés de combattre, les child soldiers et les bush followers227(*) se sont rendus responsables des pires atrocités que le pays ait connues. Toutes les factions (couple RUF/AFRC et CDF) disposaient d'unités d'enfants soldats et dirigées par des enfants. L'irresponsabilité des enfants soldats est le principe posé par l'article 7 su statut de la Cour pour assumer leur participation à la commission des atrocités, le but étant de poursuivre « ceux qui portent la plus grande responsabilité ». Quel serait alors le régime applicable si un mineur de 15-18 ans porte la plus grande responsabilité ?

Avant d'analyser la solution finalement adoptée par la Cour, il convient de présenter deux points de vue contradictoires qui veulent pour l'un que les enfants soient responsables des crimes de guerre et punis comme tels et pour l'autre qui ne voit en ceux-ci que des victimes du conflit. La première thèse228(*) est celle partagée par de nombreuses victimes du génocide rwandais229(*) soutient que, l'âge de l'inculpé ne doit pas le rendre irresponsable. L'élément à prendre en compte est la capacité du mineur à appréhender les situations, car, si un enfant était capable de tuer, de faire une distinction entre deux groupes ethniques, de décider qui était Hutu modéré ou pas, était en mesure de commettre un crime sur ces bases, il n'y a aucune raison de considérer cet enfant autrement qu'un adulte. Il est d'opinion générale que la punition des enfants qui ont participé à une guerre et qui ont commis des atrocités devrait être complète et épouser les mêmes contours que celle des adultes.

La seconde, quant à elle, plaide pour une irresponsabilité pénale généralisée. Les enfants sont considérés avant tout comme les victimes de leur enrôleur, le droit international interdisant le recrutement d'enfants soldats, même sur des bases volontaires. Ensuite, la notion de « la plus grande responsabilité » écarte les poursuites contre les enfants soldats car la responsabilité de leurs actions sera couverte par celle de leurs leaders. De plus, les enfants bénéficient d'une présomption d'incapacité en ce qui concerne l'intention criminelle. En effet, de par leur jeune âge, ils sont plus influençables et ne prennent généralement pas la pleine mesure de l'acte qu'ils ont accompli, la guerre étant pour eux la seule activité, toutes les attaches sociales étant dissoutes230(*). En dernier lieu, la plupart d'enfants soldats, ont tué sous la menace ou l'emprise de la drogue, élément qui ne pourrait être examiné qu'en Cour, c'est-à-dire une fois que les poursuites ont été engagées.

La Cour spéciale a quant à elle prévu l'irresponsabilité des enfants pour les crimes qu'ils ont commis avant l'âge de 15 ans (art. 7 § 1). Cet âge est considéré comme le seuil de maturité, celui où les enfants n'ont pas encore les outils nécessaires pour faire la distinction entre le bien et le mal. L'ouverture des poursuites contre les mineurs âgés de 15 à 18 ans est laissée, comme c'est aussi le cas du TPIR et du TPIY, à la discrétion du Procureur. Le Secrétaire général des Nations unies a indiqué dans ce cas que ces poursuites ne se tiendraient que dans des cas exceptionnels. Il a demandé au Conseil de sécurité de définir clairement sa position sur les poursuites des enfants soldats mais celle-ci n'a pas pu trouver de réponse.

Comme l'article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant (CIDE), l'article 7 du Statut de la Cour spéciale prévoit la prise en compte des intérêts de l'enfant tout au long du processus judiciaire, si le Procureur décidait malgré tout de les poursuivre. L'adaptation des principes du droit pénal aux spécificités de l'enfant requiert la prise en compte du besoin de réintégration, conformément au droit international pertinent en la matière (art. 7 § 1 in fine). La CIDE prévoit notamment, qu'en plus des standards internationaux (art. 14 du PIDCP), les mineurs doivent être traités avec dignité et respect pendant le procès tenu à huis clos. La secret couvre aussi toutes les autres informations comme l'identité des défendeurs car les effets d'une publicité réduisent leurs chances de réinsertion dans la société après même que la peine eût été purgée.

C'est donc créer un procès spécial adapté aux enfants. Les Règles de Beijing, adoptées dans le cadre de la CIDE précisent les conditions de prise en compte de la responsabilité pénale des mineurs. La préoccupation première étant la sauvegarde des intérêts de l'enfant, le but des poursuites judiciaire à leur égard doit être moins la volonté de répression que l'objectif de réintégration de ceux-ci dans leur milieu social d'origine. Il est important, le Statut de la Cour le souligne, que le procès ne conduise pas, comme c'est le cas des accusés adultes à une condamnation comprenant une peine de prison. Des mesures de redressement dont le suivi psychologique par une association ou un organisme approprié, le service communautaire, les travaux d'intérêt général ainsi que les programmes de DDR231(*).

L'application d'une mesure de redressement pour des enfants mineurs ne peut se faire que dans un cadre approprié. La rétention des mineurs en centre fermé ne pourra être décidée que dans des circonstances extrêmement strictes, à l'écart des adultes et dans des conditions où des relations soient maintenues avec le milieu extérieur. Nous l'avons dit, la procédure sommairement mentionné ci-dessus ne concerne que les enfants qui auraient pu supporter la plus grande responsabilité dans les crimes et auraient éventuellement pu être poursuivis. Comme le Procureur n'a décidé aucune poursuite, c'est à la justice réparatrice de se charger de la prise en charge de la responsabilité de ces enfants en les réintégrant dans le tissu social.

Les poursuites pénales ont été rendues possibles par un principe international d'imprescriptibilité et de non amnistie. Pourtant, une loi d'amnistie avait été adoptée en 1999 pour mettre fin au conflit. Il est donc nécessaire d'en mesurer la portée.

B. L'amnistie, mesure nécessaire au rétablissement de la paix

L'amnistie est le synonyme du pardon légal, il s'agit d'octroyer l'impunité des poursuites pénales contre des personnes ayant commis des infractions. Elle se fait généralement par une loi. En ce qui concerne les situations de justice transitionnelle, il est important de fixer des conditions limitées à l'amnistie (1) pour laisser la porte ouverte à des poursuites pénales le moment propice (2).

1. Les conditions strictes d'amnistie.

L'amnistie a longtemps été utilisée dans les négociations comme un moyen d'obtenir un cessez-le-feu ou la fin d'un régime oppresseur. Au Chili ou en Argentine, le départ des militaires du pouvoir a été obtenu par l'assurance que le Parlement allait voter une loi d'amnistie. La principale raison des avancés des accords de Lomé était le compromis trouvé par le président EYADEMA. Il s'agissait d'octroyer une amnistie à tous les protagonistes du conflit leur permettant de rendre les armes et de participer à la gestion du pouvoir. Cet accord, le plus décrié est révélateur de la controverse qui entoure la question de l'amnistie. Deux idées principales se dégagent des débats : la première, celle qui a longtemps prévalu, soutient que l'amnistie est un moindre mal si elle vise l'objectif d'obtenir la cessation des hostilités. La seconde idée quant à elle, considère que le droit des victimes à obtenir la condamnation de leurs bourreaux est un impératif supérieur qui ne saurait être éludé.

Dans tous les cas, l'effet de l'amnistie est l'effacement de toute possibilité de poursuites pénales et la réhabilitation des coupables des personnes ayant violé une disposition pénale. Traditionnellement, le principal objectif de l'amnistie est la recherche de la paix sociale en prescrivant l'oubli des crimes passés pour construire le vivre ensemble commun. L'amnistie peut être individuelle, c'est-à-dire qu'elle vise une personne et des faits précis. Celle-ci est très rarement utilisée dans le cadre de conclusion d'un processus de paix. Elle peut aussi et surtout être collective, concernant surtout des personnes qui, avec un dessein commun ou non, ont participé à certains évènements. Il n'y a donc pas de poursuite pénale possible, il y a total oubli - du moins au niveau du droit - des actes amnistiés, quelle que soit leur gravité.

Contrairement à d'autres types de mécanisme d'impunité, l'amnistie est plus solennelle. Elle est en effet adoptée par le Parlement, ce qui lui donne une certaine force car, c'est au moyen d'une future loi qu'il faudra l'abolir, ce qui n'est pas aussi évident. Cette politisation de la justice pénale est perçue comme un encouragement à l'impunité, car est en contradiction avec les obligations positives des Etats de poursuivre les personnes responsables des violations graves des droits de l'homme. Cette impunité peut aussi être perçue comme l'incitation à la commission d'autres infractions pénales, le sentiment d'impunité pouvant être véhiculé dans l'esprit de la loi.

L'amnistie peut aller contre les objectifs de réconciliation qu'elle vise prétendument. En effet, c'est une violation du droit des victimes à être reconnues comme telles et à prétendre à une réparation. Elles ne peuvent plus poursuivre les personnes responsables des violations graves des droits de l'Homme qu'elles ont subies et obtenir la justice pour leurs souffrances. Tant que ce sentiment prévaudra, les victimes resteront repliées dans une rancoeur peu propice à la reconstruction sociale.

Le droit international ne règle pas directement la question de l'amnistie. Il est question, dans la plupart de textes internationaux, de rappeler et de privilégier les obligations de poursuivre les auteurs d'abus graves des droits de l'homme. Ces obligations consistent en l'adoption des mesures législatives en vue de prévenir les violations de les punir pénalement ou d'extrader les personnes suspectes vers les juridictions - nationales ou internationales- compétentes pour les juger. Tout de même, deux déclarations de l'Assemblée générale des Nations unies prévoient l'inefficacité de l'amnistie. Les principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions prévoient au paragraphe 18 qu'une « immunité générale ne pourra exempter de poursuites toute personne présumée impliquée dans des exécutions extrajudiciaires arbitraires ou sommaires ».

L'amnistie et la justice ne sont pas totalement incompatibles. Souvent même, la carte de l'amnistie est utilisée comme préalable à la recherche des objectifs de justice et de vérité. L'Afrique du Sud est un cas particulier de combinaison des objectifs de réconciliation, de paix et de justice. La Commission Vérité et Réconciliation n'accordait l'amnistie aux responsables des crimes du régime d'apartheid que lorsque ceux-ci coopéraient pleinement avec elle. L'objectif était de rechercher la vérité à ces victimes qui exprimaient le désir de pardonner sans savoir à qui adresser leur pardon232(*) et ne cherchaient après tout qu'à retrouver des informations sur ce qui était advenu de leurs proches disparus.

L'octroi de l'amnistie ne doit donc se faire que de manière alternative. C'est-à-dire que le but principal ne doit pas être la recherche de l'impunité des différents acteurs. Elle ne doit intervenir qu'en complément des autres outils comme les poursuites pénales, la recherche de la vérité et la réparation. Il est nécessaire de faire le moins de concessions possibles en délimitant strictement le domaine que couvrira l'amnistie. Il s'agit des crimes amnistiables, des personnes qui pouvant en bénéficier, de la période couverte et de la procédure à suivre pour l'obtenir. L'amnistie viendra toujours en contrepartie d'éléments nécessaires à la recherche de la vérité et de la justice. Il sera par exemple question des informations sur les fosses communes ou les personnes portées disparues ainsi que le dépôt des armes par exemple. L'on prendra aussi en compte les particularités des crimes internationaux qui sont insusceptibles d'être amnistiés233(*). Enfin, une possibilité doit aussi être laissée à des poursuites postérieures en définissant des conditions souples de révocation de la Loi ou en délimitant l'espace temporel de manière limitée.

Les intérêts des victimes doivent être pris en compte pour la réalisation de l'amnistie. Celle-ci bien qu'en limitant les poursuites au pénal doivent laisser les possibilités pour elles de recourir au civil affin de réparer leurs tors ou de se faire restituer leurs biens, ce qui ne semble pas avoir été le cas de la Sierra Léone.

2. La loi de ratification de 1999 ou le blanc seing pour les criminels de guerre

Jamais un accord de paix garantissant l'amnistie pour les criminels de guerre n'a suscité autant de réprobation de la part des observateurs. Les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme ont déploré cette « consécration de l'impunité pour les crimes de guerre en Sierra Léone » et souligné que la déclaration du représentant du Secrétaire général n'était pas suffisante.

C'est à l'article IX de la loi de ratification des Accords de Lomé que les dispositions d'amnistie ont été prises : le premier caractère de cette amnistie est personnel. Il s'agit de d'assurer l'impunité pour Foday SANKOH234(*), les combattants du RUF, de la CDF et de l'ancienne junte AFRC. Les crimes couverts sont tous ceux commis pendant le conflit armé, depuis son début (en 1991) à la date de signature de l'accord de paix (7 juillet 1999) et de prendre «les mesures législatives et autres nécessaires à garantir l'immunité aux anciens combattants, exilés et autres personnes se trouvant actuellement en dehors du territoire pour des raisons relatives au conflit armé235(*)». L'élément matériel de l'amnistie était constitué de tous les crimes commis par les combattants dans la poursuite de leurs objectifs militaires et surtout, l'interdiction de toute poursuite judiciaire, de la prise de tout acte administratif en rapport avec la punition de ces faits. En plus de l'impunité, la loi réclame le pardon sans contre partie236(*), c'est-à-dire sans action de la part des responsables de ces crimes envers les populations victimes.

La mise en place de la Cour spéciale jugeant à la fois sur les bases juridiques internationales et internes allait poser des questions relatives à la portée de la Loi d'amnistie. A vrai dire la question de la Loi d'amnistie se posant pour les crimes de droit commun avait des incidences limitées car il était possible de poursuivre les accusés sur ces bases car, ce sont les mêmes acteurs qui ont poursuivi le conflit de 1999 à la fin du conflit en 2001, période qui n'est pas couverte par l'amnistie. En ce qui concerne les crimes internationaux, la Cour spéciale elle-même a eu à trancher la question. Dans une décision du 13 mars 2004237(*), les juges de la Cour spéciale ont estimé que les prétentions des accusés Morris KALLON et Brima Bazzy KAMARA selon lesquelles l'article IX de l'accord de paix de Lomé interdisait toute poursuite contre eux étaient infondées. Cette décision a été considérée par Amnesty International238(*) comme un précédent historique pour les pays, car ils ne peuvent plus prendre des lois interdisant aux juridictions internationales ou nationales compétentes pour juger des crimes qu'eux ne veulent punir.

L'idée selon laquelle il ne peut y avoir d'impunité pour les crimes les plus graves a été fréquemment réitérée par le secrétaire général des Nations unies239(*). Elle est largement étayée par une jurisprudence abondante et uniforme de la part des tribunaux internationaux et par les interprétations autorisées faites par les organes internationaux, qui sont arrivés à la conclusion que les amnisties nationales portant sur des crimes au regard du droit international sont interdites et n'ont aucun effet juridique sur quelque tribunal que ce soit, y compris sur les tribunaux de l'État où l'amnistie a été accordée240(*). C'est d'ailleurs sur la déclaration restrictive du représentant de Kofi ANNAN que la Cour s'est basée pour prendre sa décision de considérer que l'amnistie était « sans effet » car, « la déclaration interprétative ajoutée par le représentant du Secrétaire général des Nations unies est conforme au droit international, et constitue une indication suffisante des limites de l'amnistie octroyée par cet accord241(*) ».

La Cour a donc retenu la déclaration interprétative du Secrétaire général comme élément ayant une portée juridique suffisante pour appuyer sa décision. En procédant ainsi, elle valide l'opinion de certains juristes242(*) selon laquelle le droit coutumier international n'est pas tout à fait contre le fait qu'un Etat donne effet juridique à une amnistie portant sur les crimes de guerre. La décision de la Cour aurait beaucoup apporté à la construction théorique du droit pénal international en consacrant comme principe l'interdiction de l'amnistie pour les crimes de guerre, quelle que soient les circonstances et même s'il n'y a pas eu un représentant de la communauté internationale pour faire valoir à chaque signature d'un accord prévoyant des amnisties qu'elles ne s'appliquent pas aux violations graves du droit international humanitaire.

Une fois le bouclier de l'amnistie écarté, il convient à présent de préciser plus concrètement les faits qui sont punis par la Cour.

II. Faits tombant sous la juridiction de la Cour

L'article 2 à 5 des Statuts de la Cour spéciale ont prévu la punition de deux catégories de crimes : les crimes internationaux, notamment, la violation des règles du droit international humanitaire (A) et les crimes du droit interne sierra léonais (B).

A. Violation du droit international humanitaire

La plupart des conflits actuels, comme celui de la Sierra Léone, sont à caractère interne : deux ou plusieurs groupes armés se battent soit entre eux, soit contre un gouvernement à l'intérieur d'un même pays. Les violations des règles minimales prévues dans le droit de Genève (1) et les autres violations graves du droit humanitaire (2) sont des crimes susceptibles d'être commis. C'est donc ce que se propose de juger la Cour spéciale.

1. Les infractions aux Conventions de Genève

Le droit de Genève243(*), encore appelé droit de la guerre ou jus ad bellum, est constitué d'un ensemble de règles minimales d'humanité à respecter dans la conduite des hostilités. Les 4 conventions de Genève de 1949 prévoient et règlementent la guerre entre Etats souverains. L'article 3 a été introduit dans les quatre Conventions 244(*)pour régler des situations en « cas de conflit armé ne présentant pas in caractère international et surgissant sur le territoire d'une Haute Partie contractante ». En 1977, deux protocoles additionnels ont été introduits pour préciser la protection des victimes des effets de guerre et, fait nouveau, pour étendre aux conflits non internationaux les prescriptions concernant les conflits interétatiques245(*).

L'article 3 commun aux Convention de Genève comporte « les conditions minimales d'humanité » selon la CIJ246(*) selon lesquelles toutes les personnes, qui ne participent pas ou plus aux hostilités soient traitées sans aucune discrimination avec humanité. Il préconise que les violences contre l'intégrité physique et la vie des personnes, les traitements cruels, inhumains et dégradants, la torture, la prise d'otages soient prohibés en « tout temps et en toutes circonstances ».

En outre, il assure des garanties de jugement équitable pour les personnes soupçonnées de crimes et que les personnes malades et blessés puissent être recueillies et soignées.

L'article 3 traite des questions liées au traitement des personnes aux mains des parties au conflit et non la conduite des hostilités, les règles qui gouvernent les conflits et qui déterminent qui doit faire l'objet d'attaques ou non. Il s'applique à toutes les parties, y compris les personnes appartenant aux forces non gouvernementales. C'est une première en matière du droit international, car des obligations internationales pèsent directement sur des entités infra étatiques, sans pour autant jouer sur leur statut juridique. Enfin, une organisation impartiale comme le Comité international pour la croix rouge pourrait intervenir pour assurer le contrôle de l'exécution par les parties des dispositions de l'article 3.

Le Protocole II de 1977 viendra développer et compléter cet article en y enjoignant des règles relatives à la conduite des hostilités. Il prévoit notamment des obligations pesant, dans le cadre d'un conflit armé non international, à la fois sur les forces gouvernementales et les « groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues247(*) ».

Les forces du RUF, de l'AFRC et de la CDF rentrent dans cette catégorie juridique décrite dans le Protocole. Elles étaient organisées de manière hiérarchique et jouissaient d'un contrôle et d'une autorité effectifs sur des zones du pays. L'organisation hiérarchique du RUF était axée autour du Conseil de guerre dirigé par Foday SANKOH et un groupe restreint de personnalités telles Sam Mosquito BOCKARIE, Issa SESSAY ou encore Johnny Paul KOROMA qui les rejoignit après le prise du pouvoir de l'armée et le ralliement entre le RUF et l'AFRC. Le Conseil de la CDF était dirigé par Hinga NORMAN assisté de Moïnina FOFANA et Allieu KONDEWA. C'est principalement en ces qualités que ces différentes personnes ont été inculpées par le Procureur, car, l'organisation hiérarchique de ces groupes armés était sans équivoque et l'exercice de l'autorité assurée par ces personnes.

Les inculpations ont aussi été faites en fonction des actes matériels commis par ces personnes elles mêmes ou à travers ceux qui étaient sous leur commandement. Il s'agit de la base juridique des articles 13 et suivants du Protocole II qui règlementent la tenue des hostilités.

Le conflit sierra léonais était basé sur la terreur, il s'agit des tactiques de guérilla qui ciblent systématiquement la population civile pour saper son moral et celui des troupes adverses. Lorsque l'un des groupes armés prenaient une localité, les populations civiles subissaient des représailles pour leur supposée coopération avec la partie ennemie. Des pillages et extorsions étaient régulièrement exécutés contre ces populations car, c'est sur ces ressources que les rebelles, soldats et miliciens se payaient.

Les Statuts de la Cour spéciale reprennent génériquement toutes ces dispositions pertinentes de l'article 3 commun et du Protocole II aux Conventions de Genève au moyen de l'article 3 intitulé « Violations of Article 3 Common to the Geneva Conventions and of Additional Protocol II ». Les rédacteurs de se sont pas limités à ces infractions ; au contraire, ils ont inclus d'autres infractions au droit international humanitaires qui ne sont pas mentionnées dans ces textes.

2. Les autres violations graves des droits de l'homme et du droit humanitaire

Il a déjà été relevé que l'un des objectifs primordiaux de la création de le Cour spéciale était un moyen pour les Nations unies d'envoyer un signal fort et dissuasif aux protagonistes des conflits armés. Le message était clair : répondre avec sévérité aux atteintes au faites au personnel humanitaire et surtout aux forces de maintien de la paix mandatées par l'ONU. La prose d'otages du personnel humanitaire, les attaques intentionnelles dirigées contre lui, le matériel destiné aux missions humanitaires et de protection des populations civiles constituent au sens de l'article 4-b du statut des infractions graves du droit humanitaire punissables par la Cour. Cette incrimination est directement dirigée contre la prise d'otages des 500 casques bleus des Nations unies par les rebelles du RUF le 2 mai 2000.

La question de genre occupait aussi une part importante dans la détermination de la compétence ratione materiae de la Cour. C'est ainsi que les Statuts de la Cour prévoient la punition comme crimes de guerre les violences sexuelles exécutées pendant les opérations militaires comme crimes de guerre. L'article 2-g les énumère de manière indicative: il s'agit du viol, de l'esclavage sexuel, de la prostitution forcée, des grossesses forcées et toute autre forme de violence sexuelle.

Le viol doit être entendu, tel que le définit le TPIY dans l'affaire FURUNDZIJA248(*) comme tout acte de pénétration sexuelle « accompli en faisant usage de la force ou de la menace, celle-ci pouvant être implicite ou non, et qui doit donner à la victime des raisons de craindre qu'elle-même ou une tierce personne ne soit victime de violences, de mesures de coercition, ou de mise en détention ou d'une oppression psychologique ». Il s'agit donc, pour constituer l'infraction de viol de rechercher l'élément matériel qui est tout acte de pénétration sexuelle par l'emploi de la force ou de la menace et l'élément moral qui est l'intention de l'agresseur d'agir contre la volonté de la victime. Cette violation de « l'autonomie sexuelle » a été utilisée comme arme de guerre par les rebelles pendant le conflit armé. Les pratiques de virgination249(*) étaient destinées à rendre les filles ainsi violées indigne d'être mariées. Les organisations de défense des droits de l'homme se sont réjouies de cette incrimination et ont prêté leurs services en répondant à l'invitation d'amicus curiae devant la Cour.

Comme autre violation grave des droits de l'homme, les Statuts (article 4-c) retiennent la conscription des mineurs de mois de 15 qui est déjà présente dans les Protocoles de 1977250(*). Cette interdiction est réaffirmée par la Convention internationale relative eux droits de l'enfant de 1989 qui définit les obligations des Etats vis-à-vis du droit humanitaire, notamment en ce qui concerne les enfants. Les Etats prennent toutes les mesures possibles pour assurer que les mineurs de moins de 15 ans ne prennent pas part directement aux hostilités. Pour ce faire, ils doivent d'abstenir de les recruter dans leurs forces armées et les protéger de tous les méfaits de la guerre.

Les stipulations de l'article 38 ne permettent pas une protection effective des enfants du recrutement dans l'armée car, l'enfance ne se limite pas à l'âge de 15 ans. C'est pourquoi l'adoption du Protocole facultatif de la CIDE relatif à la participation des enfants aux conflits armés instaure une nouvelle nuance. Il interdit le principe de recrutement forcé ou obligatoire des jeunes de moins de 18 ans dans les forces armées (article 2). Cette interdiction ne concerne que l'engagement obligatoire, le recrutement volontaire restant tout de même possible mais à des conditions strictes pour les mineurs de 15 - 18 ans. Si le Protocole facultatif élève l'âge du recrutement forcé, il laisse à 15 ans celui du recrutement volontaire. Il est légitime de s'interroger sur la pertinence de cette distinction car, dans la plupart des systèmes juridiques des Etats partis, le consentement d'un mineur est nul, la majorité ne s'obtenant qu'à 18 ans. Le manque de précision de l'article 22 (2) de la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant qui se contente de prohiber le principe de toute participation et recrutement des enfants sous les drapeaux sans pour autant fixer un âge limite, les Etats pouvant décider de l'âge au gré de leurs convenances. L'interdiction est complète pour les forces armées non étatiques pour qui il n'est  «  en aucune circonstance [permis d'] enrôler ni utiliser dans les hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans ».

Le Statut de Rome qualifie de crime de guerre le recrutement des enfants de moins de 15 ans aux fins de participation au conflit armé. Cette participation est définie (article 2) comme une implication directe aux activités militaires liées au combat comme l'espionnage, le renseignement, le portage, la tenue de check points, etc.

Le recrutement des enfants soldats, les crimes sexuels ainsi que les autres violations graves des principes élémentaires d'humanité dans le cadre du conflit sierra léonais nécessitaient une définition précise dans les textes fondateurs de la Cour. Les Statuts se sont contentés de reprendre les principes retenus dans les Conventions de Genève et les autres textes internationaux pertinents en la matière. Les juges ont donc la responsabilité de construire une jurisprudence édifiante sur ces sujets, surtout en ce qui concerne la participation des enfants au conflit armé, car c'est la première fois qu'une juridiction internationale juge le crime de recrutement d'enfants-soldats.

Créée en Sierra Léone, composé de juges internationaux et sierra léonais, chargé de poursuivre les crimes commis sur le territoire sierra léonais en application du droit international, la Cour spéciale a aussi la compétence de juger des crimes du droit interne qui ont été commis pendant le conflit armé.

B. Violation du droit sierra léonais

Le caractère hybride de la Cour spéciale pour la Sierra Léone se remarque en plus de sa composition par le fond du droit applicable. L'incorporation des infractions relatives au droit interne de la Sierra Léone était une façon de prendre en compte certaines spécificités locales qui échappent au droit international. Tandis que le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire prennent en compte les infractions relatives aux personnes et biens à caractère civil, ils ne prévoient pas un système de réparation pour les victimes identifiées. Faire recours au droit interne permettra de les graduer en fonction des coutumes locales.

Selon l'article 5 du Statut de la Cour spéciale, les infractions relatives au droit national relatives à la Prevention to Cruelty to Children Act de 1926 et la Malicious Damage Act de 1861, deux lois datant de l'époque coloniale.

· La Prevention to Cruelty on Children Act de 1926251(*)

La guerre civile en Sierra Léone a été tristement célèbre pour les pires abus commis sur les civils et surtout les enfants. Les pires atrocités ont été commises contre eux du fait de leur fragilité et de la facilité avec laquelle les adultes pouvaient les utiliser. Que ce soient les enfants soldats, les bush wives ou les simples victimes des pires atrocités du conflit, ceux-ci ont profondément été marqués par l'issue du conflit. Être recruté comme enfant-soldat est déjà en soi une violence, être drogué de force, violé, et poussé au crime ou parricide l'est encore plus. C'est alors un signe, un hommage à toutes ces innocentes victimes de la part de la juridiction chargée de punir ceux qui ont mis en scène cette effroyable tragédie que de trouver dans le droit interne, des normes pour qualifier les infractions les punir.

L'article 4 de la loi de 1926 définit un enfant comme toute personne âgée de mois de 16 ans. L'esprit de la loi écarte toute responsabilité pénale de l'enfant en deçà de cet âge car ne punit les abus faits aux enfants que par les adultes qui les ont en leur pouvoir, de facto ou jure et qui portent atteinte volontairement à leur intégrité physique ou morale ou les exposent à de tels abus. De toutes les dispositions de la loi relatives aux abus faits aux enfants, la Cour spéciale a retenu les abus sexuels comme prévus aux articles 6, 7 et 12.

o Les abus sexuels contre les enfants âgés de moins de 13 ans : l'article 6 de la loi de 1926 sur la prévention de la cruauté à l'égard des enfants prévoit que « Whosoever shall unlawfully and carnally know and abuse any girl under the age of thirteen, whether with or without her consent, shall be guilty of felony (...) ». Il en découle donc qu'une relation sexuelle entretenue avec une fille de moins de treize ans est un crime passible d'une peine de 15 ans. Les observateurs internationaux ont rapporté que pendant toute la durée du conflit, les filles étaient les cibles de violations sexuelles de plus en plus jeunes. La pratique de virgination selon laquelle il fallait souiller toute une communauté en violant les filles vierges du village a fait de nombreuses victimes du fait des combattants des parties au conflit. Que ce soient les rebelles, les milices ou certaines forces gouvernementales252(*).

o Les abus sexuels contre les enfants âgés de 13 à 14 ans : en ce qui concerne l'article 7, l'abus contre une fille âgée entre 13 et 14 ans n'est pas un crime. C'est un délit puni d'une peine de deux ans maximum : « Whosoever shall unlawfully and carnally know and abuse any girl being above the age of thirteen years and under the age of fourteen years, whether with or without her consent, shall be guilty of a misdemeanor (...) ». Même si le consentement n'est pas valable comme dans le cas précédent, il est tout de même curieux de constater le décalage entre les deux peines. Une différence de quelques mois entre l'âge des victimes réduit considérablement la sentence. la loi ne retient pas de circonstances aggravantes comme la violence, la réunion, l'usage d'outils ou d'objets pouvant causer des lésions ou des pratiques humiliantes que les victimes pouvaient subir.

o L'enlèvement des filles pour des desseins immoraux: l'article 12 de la Loi de 1926 introduit la notion d'enlèvement de mineur en ces termes: « Any person who, with intent that any unmarried girl under the age of sixteen years should be unlawfully and carnally known, takes or causes to be taken such girl out of the possession and against the will of her father or mother or any other person having the lawful care or charge of her, shall be guilty of a misdemeanor (...) ». La légèreté de la peine et l'insuffisance de cette disposition poussent à douter de son efficacité.

La répression de l'atteinte à l'intégrité physique et morale des enfants pendant la guerre en Sierra Léone est insuffisante lorsqu'elle s'appuie sur ces trois dispositions légales. La loi, adoptée en 1926, lorsque la Sierra Léone était encore sous domination coloniale n'est pas adaptée aux nouvelles spécificités. D'abord, La notion de mineur a évolué et ne concerne plus seulement les enfants de mois de 16 ans. Ensuite, dans l'évaluation du niveau de la peine, les juges doivent palier à l'absence de précision de la loi et prendre en compte tout un ensemble d'éléments qui aggravent l'infraction comme la réunion et la violence. Enfin, devant le silence du législateur de 1926 sur le cas des enfants de sexe masculin, le juge devrait les mettre au même niveau de protection que les filles. Des infractions complémentaires comme l'esclavage sexuel, l'administration de substances nocives aux enfants doivent être pris en compte pour assurer une répression plus complète.

· La Malicious Damage Act de 1861

Le parlement britannique a adopté en 1861 la Malicious Damage Act pour faciliter le maintien de l'ordre public en métropole et dans les colonies de l'empire. C'est l'une des premières lois à consacrer la garantie de la protection du droit de propriété. Elle édicte des sanctions pénales sévères contre ceux qui mettent en périt la propriété de l'Etat, et de manière horizontale celle des citoyens contre les abus des particuliers. Adoptée avant l'indépendance de l'Irlande, elle y est encore en vigueur aussi bien qu'au Canada, à Trinidad et dans plusieurs autres anciennes colonies britanniques comme la Sierra Léone. Modifiée à plusieurs reprises en Angleterre, la loi ne concerne aujourd'hui plus que les infractions relatives au secteur des transports.

La Cour spéciale retient comme infraction tombant sous sa juridiction celles que la loi de 1861 punit aux articles 2, 5 et 6, respectivement pour les destructions par le feu des immeubles privés et publics.

L'article 2 élève au rang de crime le fait de mettre volontairement le feu sur une habitation sachant qu'il y a des personnes et punit cette infraction de la réclusion criminelle à perpétuité. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait mort d'homme pour caractériser l'infraction. Il suffit en effet que celui qui commet l'infraction ait agit en connaissance de cause, quel que soit son mobile. Pendant la guerre de nombreux cas de regroupement de personnes dans des maisons et lieux de culte pour les incendier ont été relevés. De façon complémentaire le législateur aurait pu inclure, soit comme infraction à part entière, soit comme infraction connexe ou encore fait aggravant l'incendie d'un lieu de culte qui est puni par la loi de 1861 à son article premier par les mêmes peines.

La destruction par les mêmes moyens des bâtiments publics constitue également un crime punissable de l'emprisonnement à perpétuité. Il n'est plus ici nécessaire de démontrer (art 5) que l'accusé avait eu connaissance de la présence de personnes à l'intérieur de l'immeuble en question. Cette caractéristique particulière est le résultat du contexte de l'époque où la couronne britannique voulait réaffirmer son statut et défendre ses biens dans les colonies et en métropole. La destruction des bâtiments privés autres que habitation et qui ne contenaient pas des personnes est considérée comme crime de moindre gravité punissable au maximum de 14 ans de prison (article 6).

DEUXIEME PARTIE :

LES MECANISMES DE JUSTICE REPARATRICE ET LA REFORME DES INSTITUTIONS

Lorsque la violence atteint un niveau de gravité aussi important comme ce fut le cas de la Sierra Léone, lorsqu'elle s'est généralisée au point où l'appareil de l'Etat lui-même a participé à la perpétuation des crimes graves qui a déshumanisé une frange importante de la population, il n'est de système de justice qui puisse faire face à ce désordre profond, une fois que le retour vers l'Etat de droit est envisagé. La justice pénale qui ne répond qu'à une frange minime des cas à traiter253(*) ne suffit pas à elle seule pour répondre aux besoins des victimes et des bourreaux de se reconstruire moralement et réintégrer leur société d'origine.

Les crimes de masse ne pouvant rester hors de portée de la justice, les sociétés en transition politique ont recouru à des mécanismes alternatifs incluant un décret de grâce ou le vote des lois d'amnistie. L'instauration d'un régime démocratique succédant à un régime autoritaire ayant érigé la violence en pratique ordinaire s'est toujours faite avec la préférence d'une rémission des peines au cours normal de la justice. Le choix de pardon de l'Afrique du Sud a pris la forme d'une amnistie conditionnée pendant que celui de l'Algérie, de l'Uruguay ou du Chili a été plutôt dirigé vers un pardon plus général accepté par la population soit silencieusement ou au moyen d'un référendum. Quelle que soit la forme du mécanisme adopté, la justice pénale qui s'exerce contre les responsables des crimes semble s'effacer et devient ici une affaire de réconciliation à l'échelle de la société.

Lorsque la violence a fait de très nombreuses victimes, lorsque les coupables sont aussi nombreux l'exercice de la justice, qu'on l'entende comme condamnation ou réécriture de l'histoire est difficile. Le respect de la seule logique de justice peut avoir des effets pervers : en s'affranchissant des normes du droit positif, une justice ad hoc soucieuse de faire droit à l'indignation des victimes risque de miner le caractère juste et démocratique de l'exercice de la justice, voire de participer d'une stigmatisation des coupables qui pouvait les amener à renouer avec la violence. L'objectif de justice peut par conséquent nuire à l'établissement d'un principe de justice, ou ne pas permettre de rompre avec la violence passée. Pour autant, est-il justifiable de laisser de coté la justice pour le pardon vers une hypothétique réconciliation ?

Les femmes de la Place Mai254(*) y répondent par un « Ni oubli, Ni pardon », du moins tant que la vérité n'est pas obtenue. En effet, le pardon est ici conditionné comme c'est le cas de l'Afrique du Sud à la reconnaissance de la victime, à la coopération avec la recherche de la vérité et aux remords sincères. Le pardon peut être octroyé au non de la foi ou « du fatalisme justifié par l'impossibilité de justice pour ceux qui sont démunis de pouvoir politique255(*) ». Il est alors important de rechercher le juste milieu, c'est-à-dire, un mécanisme qui puisse rechercher la vérité et la justice pour les victimes sans pour autant conduire à la stigmatisation des responsables des exactions, ou à leur faire définitivement perdre la face. Là réside la clef du vivre ensemble nouveau.

Nous venons de le montrer, la reconstruction morale est fondatrice du renouveau sociétal. Lequel renouveau est étroitement lié à la reconstruction matérielle du peuple car, il est difficile de prétendre à une réconciliation sans justice sociale. Dans presque tous les cas, les victimes sont dans un dénuement le plus total pendant que les bourreaux sont vivent à l'abri du besoin. En Afrique du Sud, l'apartheid politique total ayant disparu avec la tenue des élections libres et l'adoption d'une nouvelle constitution, l'apartheid économique quant à lui ne se résorbera qu'après de nombreuses années, voire générations. Autant il faudra du temps aux Noirs d'Afrique du Sud de sortir des Bantoustans, autant il sera complexe de réintégrer économiquement les enfants soldats et toutes les autres personnes qui ont tout perdu à cause du conflit. Contrairement au cas sud africain, les sierra léonais n'ont pas prévu de réparation directe aux personnes touchés par le conflit, un ensemble de procédés ont été adoptés pour permettre la réintégration durable de ceux-ci dans le tissus social, et de réduire au plus vite les inégalités. Ces deux régimes de réparation de ce qu'E. NGABONZIZA256(*) appelle le quadruple désordre (le désordre politique, économique, social et culturel) ne sont pas exportables car répondent à des spécificités nationales bien que le principe de rétablissement de l'équilibre social reste acquis.

Il convient donc de se poser deux préoccupations à deux questions principales : comment faire face à l'impunité résultant de l'impossibilité pour le mécanisme strictement pénal de répondre à toutes les attentes des victimes ? Quels mécanismes doit on mettre en place pour redonner des bases solides à la société qui renait d'un passé marqué par des violences graves des droits de l'homme, non seulement au niveau de l'intégrité physique ou morale de la société que son intégrité économique et matérielle ?

La Sierra Léone y a répondu d'une manière qui ne manque pas du tout d'intérêt. Partant du constat que la génération 1991-2000 (soit la population active de la Sierra Léone de 2010) n'a pas eu un cadre de vie adéquat à la formation de l'élite nationale, pire, qu'elle a vécu dans un environnement où la violence, le chaos et la loi du plus fort étaient la règle, un environnement dépourvu se tout sens de justice et de solidarité, un environnement où les liens sociaux primaires se sont délités et qu'il fallait les reconstruire, les autorités sierra léonaises ont mis en place des mécanismes de reconstruction entièrement focalisés vers la jeunesse. Dans un premier temps, l'objectif était de préparer la société à accueillir ses enfants perdus. Cette phase consistait à rechercher les causes profondes du conflit, avoir des données précises sur son déroulement et fixer des recommandations qui serviront à éviter aux générations futures de retomber dans le cercle de la violence. Dans une seconde phase, il fallait préparer ceux qui ont subi le plus les violences pendant le conflit à revenir dans leurs sociétés d'origine. Ces deux ensembles qui ne sont pas du tout dissociables temporellement ont été exécutées à travers la mise en place de la Commission vérité et réconciliation (Chapitre I) et à travers d'autres programmes de reconstruction et de réinsertion comportant la réforme des institutions de sécurité (Chapitre II).

Chapitre III : LA RECHERCHE DE LA VERITE ET LA PRISE EN COMPTE DES PREOCCUPATIONS DES VICTIMES

Seule institution à survivre à l'Accord de paix de Lomé de 1999, la Commission Vérité et Réconciliation de la Sierra Léone avait été chargée de faire la lumière sur tous les évènements qui se sont déroulés dans le pays de 1991 à la fin du conflit. Le choix de la création d'une Commission de vérité était destiné à faire face à l'impunité qui devait régner après l'adoption de la loi d'amnistie pour les protagonistes du conflit. Le choix de la Sierra Léone cadre aussi avec une pratique internationale qui admet la création d'une telle instance après un passé chargé de violations graves des droits de l'homme. En effet, il y a eu près d'une trentaine d'institutions chargées de faire la lumière sur les évènements qui ont marqué la conscience collective des sociétés. Quelles que soient leurs dénominations257(*), elles ont des caractéristiques spécifiques communes, du point de vue de leur mandat, durée et mandat.

La plupart de ces entités sont crées par les autorités étatiques dans un processus de transition, le plus souvent au moyen de lois. Elles jouissent souvent d'une grande légitimité auprès d'une partie importante de la population, même entre anciens belligérants, qui les préfèrent presque toujours à des institutions pénales qui sont à leurs yeux moins à même de poursuivre le but de la réconciliation. Elles ont mené leurs missions à l'abri de toute ingérence, que ce soit au plan interne qu'international et jouissent des pouvoirs exorbitants, ceci, en fonction des spécificités de chaque pays. Cette indépendance se traduit au niveau du personnel, des infrastructures et du budget qui sont propres. Du point de vue de leurs mandats, ils sont articulés autour des violations des droits de l'homme ou d'autres évènements sanglants ayant marqué le passé lointain ou proche, pendant une période plus ou moins longue, et non un évènement ponctuel, souvent confié à des commissions d'enquête classique. Ces mandats sont exécutés pendant une période qui est généralement de deux ans qui se termine souvent par un rapport comportant des recommandations visant à accorder des droits aux victimes à cause des souffrances qu'elles ont subies.

De par leur statut juridique, les commissions de vérité sont différentes à bien des égards des commissions historiques, d'enquêtes officielles, des commissions d'établissement des faits des organisations internationales ou des organismes non gouvernementaux de vérité.

Les commissions historiques contemporaines ont été utilisées en Amérique du Nord (Commission Royale canadienne dur les peuples autochtones et ma Commission américaine sur le transfert et l'internement des civils en temps de guerre) qui avaient la mission d'enquêter sur des exactions datant de plusieurs années. Elles sont différentes des commissions de vérité en ce sens qu'elles n'interviennent pas dans une période de transition politique mais visent à établir une vérité sur des faits historiques et rendre hommage aux victimes et que leurs mandats n'étaient pas destinés à couvrir des violations généralisées des droits de l'homme ou du droit humanitaire mais des exactions spécifiques concernant des groupes ethniques ou raciaux.

Les commissions d'enquête officielles ou semi officielles, bien que visant aussi des violations graves des droits de l'homme sont plus limitées dans leur porté mais sont aussi indépendantes et sont souvent précurseurs des commissions de vérité. Elles sont relativement faciles à mettre sur place, ne nécessitent pas l'adoption d'une loi ou peuvent être prévues dans des textes d'une institution nationale et ponctuelles (commission d'enquête parlementaire) ou internationale et plutôt permanentes (commission d'enquête des Nations unies, commissions des systèmes régionaux de protection des droits de l'homme, etc.)

Enfin, les organes non gouvernementaux de recherche de vérité, bien que n'ayant pas le soutien de l'Etat sont nécessaires dans les circonstances où il est impossible de mettre en place des mécanismes officiels pour écrire une histoire servant de repère pour les générations futures. Il leur manque des pouvoirs que l'on peut attribuer à un organisme officiel, notamment l'accès aux archives, l'immunité des responsables, des structures solides et l'indépendance qui pourrait influer sur la légitimité d'un rapport émanant d'un tel organe, voire l'engagement de l'Etat vis-à-vis de ses conclusions.

Il n'est donc pas inutile, lorsque l'on cherche à comprendre la mise en oeuvre des mécanismes de justice transitionnelle dans une société déchirée comme celle de la Sierra Léone, de se poser la question de savoir comment construire un récit distinguant les coupables et les victimes lorsque le propre des histoires nationales est, traditionnellement de mettre en avant une union, sinon, une unanimité ?

La réconciliation après un passé de violence nécessite un élément d'altérité. Il est question pour les différents protagonistes de se présenter devant un organe impartial à qui ils ont confiance pour croiser le récit de leurs histoires et écrire leur histoire commune. Le recours à une commission de vérité répond à cette finalité. C'est un moyen efficace d'établir la vérité irréfutable258(*) sur la nature et l'ampleur des violations des droits de l'homme ; en effet, elle permet, de part son caractère non juridictionnel, c'est-à-dire n'impliquant pas de sanctions pénales, d'attraire un plus grand nombre de témoins, ce qui permettra l'identification publique des responsables. Si les poursuites pénales prennent en compte presque exclusivement les droits des accusés, la commission de vérité est de prime abord une instance ouverte à l'écoute des victimes. Elle est ouverte à leurs préoccupations et les rapports recommandent des mécanismes d'indemnisation et de réparation pour elles.

Obtenir la vérité dans des circonstances de reconstruction post conflictuelle est un exercice peu évident. En effet, les sociétés ayant traversé une période de conflit ont une société civile défectueuse qui peut difficilement assurer la liaison avec les populations de base qui éprouvent encore la peur d'aller témoigner. Les infrastructures de communication et de télécommunication défectueuses handicapent largement la dissémination des nouvelles aux populations de provinces. Une fois la vérité obtenue, il convient de savoir ce qu'il faut en faire, le lien entre vérité et réconciliation n'étant pas automatique, le débat sur la réelle réconciliation entre sud africains d'après apartheid se posant avec plus d'acquitté. La réconciliation n'est pas la priorité des acteurs, chacun cherchant à obtenir la vérité sur le sort des personnes disparues. Il est donc nécessaire de ne pas prétendre à la réconciliation au bout de l'obtention de la vérité, mais d'une telle possibilité pour tempérer les attentes de la population et servir d'impulsion pour l'obtenir.

La commission de vérité est donc un outil de choix, complémentaire aux poursuites pénales pour couvrir les crimes que la faiblesse des moyens - financiers comme juridiques - d'une juridiction pénale ne pourront connaître. En s'inspirant du modèle sud africain, le mandat et les pouvoirs de la Commission (Section I) ont pris en compte les spécificités locales, en impliquent les leaders religieux et traditionnels ainsi qu'en prescrivant la conduite des audiences selon des modalités révolutionnaires. La Commission a conduit son mandat en même temps que les accusés étaient en procès devant la Cour spéciale, pourtant les rapports entre les deux institutions n'étaient pas définis dans leurs textes fondateurs respectifs (Section II).

Section 1 : Mandat et pouvoirs de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR)

La CVR de la Sierra Léone a été créé à la suite d'une trentaine d'expériences de part le monde. Les exemples les plus significatifs de réussite et d'appropriation du Chili et surtout d'Afrique du Sud ont inspiré les rédacteurs des instruments de la Commission. Cependant, à chaque contexte national, à chaque peuple, à chaque type de conflit correspondent des victimes, des responsables et des violations particulières. C'est pourquoi la mise en place d'une institution de réconciliation et de réhabilitation doit tenir compte de ces particularités. Le législateur sierra léonais a mis en place un système de coopération entre les organismes étatiques, les acteurs traditionnels, religieux et de la société civile, autant dans l'organisation et le fonctionnement (I) que dans la définition du mandat de la commission (II).

I. Organisation et fonctionnement

Le but principal d'une CVR est de rechercher la vérité sur les circonstances des violences pour établir la matérialité des faits acceptables par tous. Il est donc nécessaire que son établissement prenne en compte une consultation la plus large possible et une coopération à la fois des victimes et des coupables d'atrocités. C'est pourquoi, la crédibilité d'une telle instance est nécessaire et transparaît à travers son indépendance et ses pouvoirs d'une part (A) et les rapports qu'elle peut entretenir avec les autres mécanismes complémentaires de justice transitionnelle (B).

A. Un organe indépendant et dotée des pouvoirs exorbitants

Les sierra léonais ont souhaité établir une Commission compétente et surtout crédible aussi bien au plan national qu'international. Ils lui ont octroyé une autonomie administrative et financière pour lui assurer cette autonomie indispensable (1) et lui ont pourvu de pouvoirs exorbitants en matière d'enquête et d'injonction (2).

1. Une institution jouissant d'une autonomie administrative et financière

La CVR est un organisme d'enquête officiellement approuvé à caractère temporaire et non judiciaire qui est chargé de rechercher la vérité sur les évènements survenus dans le pays. Son succès en Sierra Léone comme an Afrique du Sud a beaucoup dépendu de la volonté politique des gouvernants de coopérer avec l'institution. L'indépendance opérationnelle de la Commission a été préservée par la définition claire des modalités de désignation des membres da qui implique la consultation d'institutions et le consensus entre toutes les sensibilités politiques du pays. Elle est constituée de 7 commissionnaires dont trois étrangers259(*), jouissant d'une renommée nationale et internationale. La TRC Act de 2000 souligne la nécessité que ces personnes soient crédibles, intègres, impartiaux dans l'exercice de leur fonctions et susceptibles de jouir d'une confiance générale du peuple sierra léonais (partie II, 2-a). La loi semble privilégier les avocats, spécialistes des sciences sociales, leaders religieux et psychologues260(*).

Il était aussi important de s'assurer de l'expertise des personnes liées de près ou de loin et travail des commissions précédemment créées dans d'autres contextes pour s'imprégner de leur expérience.

Du point de vue de la procédure, toute personne physique ou morale pouvait proposer à la nomination des candidats auprès du représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Sierra Léone qui occupait les fonctions de coordonnateur. Après une consultation générale des leaders religieux et traditionnels, des membres de la société civile et du Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, le coordonateur présente au comité consultatif une liste de dix à vingt candidats commissionnaires. La dernière étape de la nomination était le passage devant le Comité consultatif composé entre autres d'un représentant du Conseil des chefs traditionnels, d'un représentant du Conseil interreligieux, un représentant des ambassadeurs des membres de la communauté internationale représentés en Sierra Léone, un représentant du RUF, de l'AFRC, du Forum national des droits de l'homme, d'un représentant de la Commission des droits de l'homme.

L'indépendance opérationnelle était indispensable à la perception du travail de la Commission. Ses membres travaillent en toute indépendance et à titre individuel261(*), et non entant que fonctionnaire d'un quelconque gouvernement ou agent d'une organisation politique, religieuse ou idéologique. A cet effet, les commissionnaires et toutes les personnes travaillant pour le compte de la Commission ont l'interdiction de divulguer les informations recueillies à une autre entité sous peine d'exclusion.

Du point de vue financier, la Commission disposait d'un budget propre alimenté par des fonds provenant principalement des sources gouvernementales, onusiennes et de la communauté internationale. Le soutien international était indispensable pour deux raisons principales : d'une part, les ressources financières nationales n'étaient pas suffisantes pour assurer le financement de toutes les activités de la commission. D'autre part, il est important de se prémunir de toute influence significative de tout organisme ou Etat participant au financement de la Commission en recherchant la diversité des sources. De nombreux organismes comme le Centre International pour la Justice Transitionnelle ou la Open society Initiative for West Africa ont apporté un soutien technique considérable à la mise en place de la Commission et à conduite de son mandat. L'usage des ressources matérielles et financières était décidé dans le budget annuel de la Commission. L'exécution de ce budget est contrôlée par un auditeur indépendant nommé par le président de la CVR.

De tous les mécanismes de justice transitionnelle mis en oeuvre en Sierra Léone, la Commission a le plus bénéficié tout au long de son mandat de la coopération des populations et de la classe politique. La philosophie d'une telle institution cadre plus à la manière traditionnelle de gestion des conflits et de réhabilitation des victimes. Plus, la volonté politique du gouvernement de collaborer avec elle et de mettre à sa disposition tous les instruments nécessaires à la recherche de la vérité tout en s'abstenant de toute ingérence dans son travail a joué sur sa crédibilité et incité la population à y participer massivement.

Aussi importants que l'autonomie de la Commission, la nature et la portée de ses pouvoirs lui permettra de mener à bien toutes les actions qu'elle juge nécessaires à la manifestation de la vérité. Comme en Afrique du Sud, le législateur sierra léonais lui a octroyé des pouvoirs d'enquête de d'injonction.

2. Pouvoir d'enquête et d'injonction

La création d'une instance nationale de recherche de la vérité sur les violations des droits de l'homme passées pose d'entrée de jeu la question de ses pouvoirs. Lorsque la création d'un Commission de vérité intervient longtemps après les évènements sur lesquels elle est chargée d'enquêter, l'exécution de son mandat ne souffre pas souvent de difficultés, les personnes ayant un quelconque intérêt direct à dissimuler les éléments de preuve n'étant plus en mesure d'influencer les autorités en place. Pourtant, dans le cadre de justice transitionnelle, les instances chargées de faire la vérité sur les évènements passés, sont créés après court délai, voire même comme en Sierra Léone, lors de la conclusion des accords consacrant la cessation des hostilités. Dans ces circonstances, il est important de doter la Commission de pouvoirs d'enquête et importants.

Des termes de l'article 8 de la loi établissant la Commission vérité et réconciliation, elle a les pouvoirs de rechercher par « tous les moyens jugés appropriés toutes les informations qu'elle considère importants » pour faire la lumière sur tous les faits que couvre son mandat. Dans cette perspective, la Commission peut demander à toutes les personnes intéressées de mettre à leur disposition des documents ou rapports, même de la part des sources gouvernementales. Elle peut se rendre sans préavis sur les lieux et exiger la production des informations. Elle peut convoquer et entendre les individus, groupes ou membres d'organisations qu'elle considère avoir joué un rôle important dans les évènements en question. Ces auditions et témoignages peuvent se faire à huis clos et sous serment. Les informations peuvent être données sous des bases confidentielles ; dans ce cas, la Commission n'a pas autorité à divulguer l'identité des personnes concernées.

La Commission peut pénétrer dans tous les lieux qu'elle juge nécessaire à la réalisation de son mandat et procéder à des enquêtes matérielles et recourir à des expertises techniques avec le concours de la force publique.

Comme en Afrique du Sud, il ya eu de fortes garanties judiciaires pour assurer la coopération avec la Commission, et cela à deux niveau : le respect des injonctions et demandes de la Cour d'une part et la véracité des déclarations et indications d'autre part.

Il n'y a pas eu de litiges significatifs en Sierra Léone concernant le refus d'une personnalité à venir témoigner devant la Commission. Ceux-ci ont plutôt eu une très grande volonté de coopérer avec elle qu'avec la Cour spéciale. Contrairement au cas Sud-Africain262(*), il n'y a pas eu de procès sur ces bases là. Il ne suffit pas d'aller témoigner devant la Commission ou de lui fournir les documents qu'elle recherche. Faire un faux témoignage ou mener intentionnellement la Commission vers des fausses pistes sont constitutives d'une infraction analogue à l'outrage à une Court et puni comme tel263(*).

L'obligation de coopération est encore plus impérieuse pour les agents du gouvernement. Ils sont encouragés à coopérer même sur des bases confidentielles et risquent des peines graves en cas d'obstruction du cours du mandat de la Commission. Ils encourent en effet, conformément à la section 9 (2) de la Loi établissant la CVR, toute personne qui interfère de quelle manière que ce soit avec le travail de la commission se rend coupable d'une infraction punissable d'un an e prison et d'une amende d'un million de leones.

Il convient de relever que la commission ne dispose pas de pouvoirs directs de coercition envers les personnes qui commettent des infractions à son égard. Lorsqu'une infraction de la sorte survient, elle saisit un tribunal national, en occurrence la Haute Cour de justice de Freetown qui siège en référé et prend des mesures appropriées. Contrairement à d'autres exemples, la Commission de Sierra Léone n'avait pas de pouvoir d'octroyer l'amnistie ou une quelconque immunité en échange d'informations. Il appartenait donc aux autorités de décider de la destination à donner aux trouvailles de la Commission et à ses requêtes.

L'expérience de la Sierra Léone est unique en son genre : deux institutions de justice transitionnelle avaient leur mandat au même moment et utilisaient les mêmes matériaux. Il convient maintenant de comprendre quelles sont les relations qu'elles ont pu entretenir.

B. Rapport avec la Cour spéciale pour la Sierra Léone

Il est irréaliste de penser qu'une seule institution de justice transitionnelle est suffisante pour régler les problèmes de restauration de l'état de droit dans des sociétés qui ont traversé une période riche en violations des droits de l'homme. La recherche de la vérité doit être couplée avec les poursuites pénales pour accomplir la justice et répondre aux attentes des victimes. La Sierra Léone a été le test grandeur nature de cohabitation entre une CVR et une Cour spéciale chargées toutes deux de mener des enquêtes sur les mêmes faits couvrant les mêmes périodes. Il n'ya cependant pas de précaution dans les textes concernant les rapports juridiques entre ces deux institutions (1) bien qu'un procédé d'échange d'informations soit envisageable (2).

1. Des rapports juridiques entre la Cour spéciale et la CVR non précisés

La CVR est le premier mécanisme adopté en Sierra Léone et trouve son origine dans l'Accord de paix de Lomé de 1999 et ratifiée par la loi de 2000, la philosophie étant l'octroi d'une amnistie pleine à tous les protagonistes du conflit armé (Art IX). Elle est donc antérieure à la Cour spéciale qui n'interviendra qu'après la signature de l'Accord spécial entre le gouvernement sierra léonais et l'ONU le 16 janvier 2002. Curieusement, il n'est expressément pas fait cas dans les Statuts de la Cour spéciale de la Commission. Il est seulement fait cas à l'article 15 (5) qui parle des « mécanismes de vérité et de réconciliation » lorsqu'il s'agit de la prise en compte de la responsabilité des mineurs264(*).

Du point de vue des rapports juridiques entre ces deux institutions, nous pouvons dire que la Cour spéciale semble avoir une supériorité par rapport à la Commission car, la loi ratifiant l'Accord de 2002 prévoit que « toute personne physique ou morale créée ou régie par la loi sierra léonaise a l'obligation d'exécuter les injonctions et mandats de la Cour spéciale265(*)... », créant ainsi une obligation directe à la Commission qui devrait mettre le résultat de ses investigations à la disposition de la Cour.

Cependant, l'article 7 (3) la loi établissant la CVR donne des pouvoirs assez importants à la Commission dans la recherche de la vérité, y compris le recours à la confidentialité à laquelle la commission ne peut renoncer une fois accordée. Plus un pouvoir que cette disposition accorde à la Commission, c'est aussi une obligation juridique de garder en sa possession seule, les informations recueillies sous le sceau du secret. Il a donc eu une possibilité de conflit entre la Commission et la Cour spéciale sur de telles informations. Quel est, du devoir envers les victimes ou témoins qui ont requis l'anonymat de celui envers la supériorité juridique de la Cour sur la Commission celui qui l'emporte ? A la lecture de la formulation de l'article 21 (2) des Statuts de la Cour, selon laquelle, l'obligation de coopération positive avec les injonctions de la Cour existe « quelle que soit la nature de toute autre loi266(*)... », l'on serait emmené à penser que la Commission devrait se plier à toutes les exigences de la Cour267(*). Il y a quand même une exception à cette exigence de coopération et d'obéissance à la Cour. L'article 21 (4) vient en effet tempérer en stipulant que « ...toute personne qui se trouverait dans l'incapacité d'exécuter un ordre de la Cour spéciale devrait lui en rendre compte et donner les raisons de cette impossibilité (...) », laissant ainsi la possibilité pour une institution comme la CVR de faire valoir ses obligations de réserve vis-à-vis des témoignages obtenus par le biais des audiences secrètes. Pendant le fonctionnement de la Commission, la Cour spéciale s'est bien gardée de requérir les informations qui provenaient d'elle. C'était un comportement tacitement adopté pour inciter les populations désireuses de venir témoigner de le faire en toute confiance, sans crainte que leurs dépositions soient utilisées à des fins répressives.

C'est la première fois dans l'histoire de la justice transitionnelle que deux institutions à finalités différentes sont créées et fonctionnent pendant la même période et utilisent les mêmes matériaux. La confusion a pendant longtemps régné au sein de la population. Ceux-ci ont considéré la CVR comme la « branche investigatrice » de la Cour spéciale. Cette impression était d'autant plus renforcée que leurs sièges étaient côte à côte à la Jomo Kenyatta Road, que le Procureur de la Cour spéciale et le Président de la Commission étaient régulièrement en tournée officielle ensemble et que les deux institutions s'échangeaient du personnel, etc.

Il est donc nécessaire, dans un contexte comme celui de la Sierra Léone, de prévoir expressément dans les statuts des institutions, les relations juridiques qu'elles entretiendraient, limitant ainsi des conflits naissant de la trop grande marge de manoeuvre qui serait laissée pour l'interprétation des textes. De plus, en terme de personnel, il est nécessaire de prévoir des incapacités de fait. C'est-à-dire, par exemple, que dès lors qu'une personne ait connu de près ou de loin un dossier de la CVR, qu'il lui soit interdit de travailler pour le compte de la Cour spéciale. Il n'est pas question ici de prévoir une totale étanchéité entre deux institutions complémentaires par essence. Il s'agit, au contraire, de réguler les échanges d'informations qui s'avèrent nécessaires, mais en toute transparence et sur des bases juridiques solides.

2. Des échanges d'informations envisageables

La CVR et la Cour spéciale ont été créées pour accomplir des objectifs louables : la première pour établir la vérité la plus complète sur les circonstances ayant présidé au conflit et son déroulement, la seconde ayant quant à elle pour mission de poursuivre ceux qui portent la plus grande responsabilité dans les crimes commis dans le pays pendant une certaine période donnée. Aucune de ces deux mandats ne saurait être menée au détriment de l'autre. Mieux, nous l'avons à maintes reprises dit, elles doivent l'un avec l'autre, fonctionner dans une complémentarité qui ne serait que bénéfique pour le peuple sierra léonais.

Le Centre international pour la Justice Transitionnelle (CIJT) a mené une étude sur les divers mécanismes que la Cour spéciale et la CVR pourraient utiliser pour échanger les informations. Il a retenu trois principales formules dignes d'intérêt : le modèle « étanche », le modèle « d'accès libre » et le modèle « d'accès conditionnel268(*) ».

Le modèle étanche d'échange peut être défini comme un modèle de fonctionnement où la CVR et la Cour spéciale n'entretiennent aucun échange d'informations, de quelle que manière et nature que ce soient. Une telle précaution assurerait à coup sûr à la Commission une coopération encore plus grande, car l'on serait plus tenté de venir y témoigner en toute confiance, sans craindre que l'information donnée puisse servir à alourdir le sort d'un proche inculpé devant la Cour spéciale, ou tout simplement d'éviter tout risque de représailles de la part des personnes pour lesquelles les informations rendues seraient défavorables. Selon PRIDE269(*), ce modèle pousserait encore plus les es-combattants à venir témoigner devant la Commission.

Si ce modèle présente l'avantage de prévenir les fuites d'informations de la Commission vers la Cour spéciale et de permettre à la première de conclure son mandat, un préjudice énorme risque d'être porté à la justice. La CVR se trouverait à chaque fois avec des informations cruciales pour innocenter ou atténuer la culpabilité des inculpés. En outre, la Commission risque d'être utilisée pour détourner la justice par ceux qui feront sciemment des témoignages erronés ou incomplets devant la Cour pour dire toute la vérité devant la Commission. N'étant pas dans la possibilité de transmettre des informations, un blanc seing risque donc d'être octroyé à des erreurs judiciaires, mettant ainsi la CVR dans une position délicate et faussant ainsi l'objectif de restauration d'une société gouvernée par le droit et la justice. Ce modèle ne mérite-t-il donc pas d'être appliqué, ou du moins de subir quelques aménagements.

Le modèle d'accès libre est quant à lui opposé au précédent. Il consiste en une coopération pleine et complète entre la CVR et la Cour spéciale. Les informations recueillies par l'une ou par l'autre seraient échangées, comme si les deux institutions travaillaient de concert. C'est le modèle utilisé par le Timor Leste entre la Commission de Réception, Vérité et Réconciliation et la Chambre Spéciale de la Cour de justice chargée de poursuivre les crimes de guerre270(*). Ce modèle joue en faveur de la Cour spéciale qui aura des sources d'informations complémentaires. Il peut permettre aux deux instances de recouper leurs informations pour éviter des conclusions contradictoires lors de leurs rapports respectifs.

Le principal désavantage de ce modèle réside dans le déséquilibre qu'il représente pour la Commission. Compte tenu des peurs mentionnées plus haut, l'apparence que la Commission sert de section d'investigation pour le Procureur découragerait les personnes qui souhaitaient venir témoigner devant la Commission. Le modèle étanche et le modèle d'accès libre représentent deux extrêmes qui peuvent être tempérées par l'échange conditionnel.

Comme son mon l'indique, le modèle d'échange conditionnel suppose un échange d'informations entre la Commission et la Cour spéciale. Ces échanges devraient remplir certaines conditions pour assurer l'indépendance des deux institutions d'une part, et d'autre part, la coopération pleine de la population locale. Les informations et dépositions recueillies en public ne posent pas de problème quant à leur échange, toute personne pouvant y avoir accès. Le problème se pose pour les informations confidentielles dont la CVR aurait en sa possession. Sous l'arbitrage d'un juge de siège (juge en de la Chambre d'appel ou de Première instance), les parties au procès (accusation comme défense) pourront demander la mise à leur disposition d'informations nécessaires à la défense de leur dossier271(*). Dans leurs requêtes respectives, elles devraient préciser avec rigueur quelles sont les informations qu'elles souhaitent avoir et quelles sont les personnes qui les ont fournies. Cette exigence doit être rigoureusement respectée pour éviter les demandes formulées de manière générales s'apparentant à une chasse à l'information au hasard. Le juge saisit par la demande convoque une audience extraordinaire au cours de laquelle les parties défendront le bien fondé de leurs demandes et un représentant de la CVR entendu. Si le juge considère que les arguments du requérant sont recevables, il demandera à la Commission de transmettre les informations en tenant compte des intérêts des témoins. Il est alors nécessaire à cette étape d'élaborer une politique claire de protection des témoins de la part des deux institutions. La Commission remettra les informations au juge qui décidera si oui ou non elles peuvent avoir une incidence sur le cours du procès. Les informations signes d'intérêt seront transmises aux parties, avec une précaution importante : le Procureur ne peut les utiliser contre le témoin qui a déposé devant la Commission. Ce compromis est nécessaire à la fois pour ne pas dissuader les personnes à venir témoigner devant la CVR mais aussi de garantir les droits des témoins, notamment à ne pas s'auto incriminer.

Dans une société encore fragile, la mise sur pied de l'Etat de droit nécessite une bonne harmonisation entre les institutions de justice transitionnelle. Leurs statuts doivent prévoir clairement les modalités de cette harmonie affin d'éviter un marge d'appréciation des textes importante. En Sierra Léone, il n'y a pas eu cette prudence ; il n'y a donc pas eu de heurts majeurs entre la Cour spéciale et la CVR. Il n'en reste pas moins important de définir les définir dès le début, car la réécriture de l'histoire de la Sierra Léone en dépend.

II. Une Commission chargée de rechercher la vérité et de réécrire l'histoire du pays

Au sortir de dix ans de conflit armé, une société a besoin de repères pour la construction d'un nouveau vivre ensemble. Ce vivre ensemble doit partir sur des bases consensuelles, sans frustrations ni sentiment d'injustice. Il est alors possible, dès lors qu'on a recherché les sources des discordes du passé, de se réconcilier et de définir de perspectives nouvelles vers une construction d'une société gouvernée par le respect des droits de chacun et dépourvue de violences. Les rédacteurs des textes fondateurs de la Commission ont mesuré l'ampleur de la tâche qui devait leur revenir, étant donné que la plus grande partie du travail historique et incombait à l'organisme dont ils avaient la charge de définir le mandat. C'est donc salutaire que la CVR ait eu un mandat très ambitieux recouvrant une part importante des violations des droits de l'homme et une période relativement longue (A) et qu'il lui ait été possible de rechercher la vérité par tous les moyens dont elle jugeait nécessaires (B).

A. Un mandat ambitieux

Il sera donc question, avant de voir la destination que la Commission a souhaité donner à la vérité qu'elle aura écrite (2) rechercher les types de violations sur lesquelles la CVR s'est penchée pour réécrire une histoire acceptée de tous.

1. Réécrire l'histoire de la Sierra Léone acceptée par tous

Le législateur sierra léonais a défini à l'article 6 de la loi instituant la CVR cinq objectifs regroupés en deux paragraphes distincts : il est d'abord question dans le premier paragraphe pour elle d'établir la réalité sur les violations des droits de l'homme et du droit internationale commises pendant le conflit de 1991 à la signature de l'accord de paix de Lomé en 1999. Dans le second paragraphe, la priorité est donnée à l'usage de cette vérité au service de la consolidation de la paix en faisant face aux besoins des victimes.

Dans sa rédaction d'une « histoire complète et impartiale272(*) » du conflit, la Commission ne saurait se limiter à l'intervalle temporel de 1991 - 1999, car l'accord de paix de Lomé n'ayant pas tenu et les violations des droits de l'homme ayant continué jusqu'en 2001, il faudrait que le travail de la Commission couvre la totalité de la décennie du conflit, c'est-à-dire de l'attaque par les rebelles de Foday SANKOH de l'Est du pays en 1991 à la signature de l'ultime cessez-le-feu à Abuja en novembre 2000.

L'histoire doit se faire en toute impartialité, car, selon le révérend Joseph Christian HUMPER, Président de la Commission, «... une vérité partiale, ce n'est pas du tout la vérité273(*)... », ce n'est qu'une version de l'histoire contée par une partie au conflit qui a des intérêts, une réputation ou une image à sauvegarder. Il est rare de voir un organe judiciaire ou quasi juridictionnel dont l'objectif principal est la recherche da la vérité pour établir l'histoire réelle du conflit. En Afrique du Sud, la dimension historique de la Commission transparaissait clairement dans son rôle à jouer pour construire la Rainbow Nation. « Après Nuremberg, disait Desmond TUTU, les Alliés sont rentrés chez eux, alors que nous les Sud-africains sommes condamnés à vivre ensemble274(*) », ce vivre -ensemble se construisant dans une société de confiance où les mythes du passés sont dévoilés. Le Tribunal de Nuremberg a servi à rechercher la vérité partielle. Elle n'avait pour but que d'établir la responsabilité des Nazis dans le déroulement de la guerre et des atrocités qui y ont été commises, sans penser à tous leurs co-perpétrateurs ou sympathisants qui les ont aidés dans leur sombre dessein. Plus récemment, le TPIY rappelait dans une de ses décisions que l'institution a été établie par les Nations unies dans le but déterminer la vérité sur la possibilité que des crimes de guerre, contre l'humanité ou de génocide aient été commis en Ex-Yougoslavie, établissant ainsi une histoire disponible et vérifiable du conflit espérant ainsi briser le cycle perpétuel de la revanche et du ressentiment. La CVR sierra léonaise a donc eu devant elle une charge ambitieuse, lourde même, une charge dont il serait utopique de dire qu'elle aura accompli dans sa totalité, au regard de ses ressources limitées et du cours laps de temps pendant lequel elle aura mené ses activités. Elle aura tout de même permis de faire la lumière sur certains aspects importants du conflit, de taire certaines rumeurs, d'éclaircir des zones d'ombre importantes, réduisant ainsi la possibilité pour certains idéologues de détourner le cours des évènements pour servir les thèses de ceux qui sont contre le processus de paix.

La CVR avait pour but de rechercher la vérité afin de mettre sur pied des données historiques exploitables par les générations futures. L'article 6 de la Loi établissant la Commission précise que cette vérité concerne la recherche de la manière la plus complète possible « les origines et les raisons... des violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire ». Le mandat de la CVR couvre donc deux branches bien distinctes du droit international public qui en fait concernent, selon l'esprit des parlementaires et des rédacteurs de l'accord de paix de Lomé tous les droits fondamentaux reconnus dans la constitution sierra léonaise de 1991275(*), des textes internationaux comme la Charte onusienne des droits de l'homme et la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples d'une part et d'autre part, l'ensemble du dispositif de Genève concernant la conduite des hostilités dans les conflits armés ne présentant pas un caractère international276(*). Les causes, les circonstances et les responsables de ces exactions devraient être déterminés au moyen des audiences publiques et privées ainsi que d'autres pouvoirs d'enquête importants mis à la disposition de la Commission.

Il convient de rappeler pour finir que les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire devraient être relatives au conflit armé en Sierra Léone. Cette remarque appelle deux observations particulières. En premier lieu, il convient ici d'écarter toutes les autres infractions aux droits de l'homme qui ne seraient pas directement liées au conflit armé. En effet, les droits de l'homme étant reconnus et applicables aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre, les violations générales ne peuvent faire l'objet du mandat de la Commission. Par exemple, un viol commis par un policier dans l'exercice de ses fonctions, dès qu'il n'était pas destiné à un usage guerrier sort du cadre de compétence de la Commission, de même que peuvent aussi être écartés tous les actes de mutilation génitale féminines commis pendant le conflit armé, constituant des violations des droits de l'homme mais n'étant pas destinées à un objectif militaire déterminé. En second et dernier lieu, les violations relatives au conflit appellent l'examen des « facteurs internes et externes » des violations. C'est-à-dire, que les violations des droits de l'homme et du droit humanitaire commises hors du territoire sierra léonais. La Commission serait donc fondée à enquêter sur les abus et violations dans les pays voisins et partout ailleurs pour établir ces facteurs externes avec pertinence, étant donné que plusieurs acteurs non sierra léonais ont une part de responsabilité dans les exactions277(*).

La Commission avait donc une tâche exaltante à mener pour participer aux efforts de reconstruction et de consolidation de la paix en Sierra Léone. Elle a réussi à établir une histoire du conflit partagée par tous et produit un rapport dans lequel elle fait des recommandations, pour donner un sens à son travail de recherche de la vérité.

2. La recherche de la vérité pour quoi faire ?

La question à se poser lors de la mise en place d'une instance chargée de rechercher la vérité sur des évènements douloureux du passé est de savoir quelle est la destination à donner à cette vérité. La Commission siège-t-elle pour quoi faire ? Quel est la portée des recommandations qu'elle devrait être en mesure de faire et sur qui porte la responsabilité de les mettre en oeuvre ?

La loi relative à l'établissement de la Commission vérité et réconciliation en Sierra Léone, nous l'avons dit plus haut, lui fixait deux principales : la première étant à caractère historique et la seconde destinée à des fins réparatrices et réconciliatrices. Il s'agit en effet de faire face à l'impunité, répondre aux besoins des victimes en travaillant au rétablissement de leur dignité et de promouvoir la réhabilitation et la réconciliation tout en adoptant un rapport dans lequel elle indique des recommandations pour éviter la répétition de telles violences dans l'avenir.

A vrai dire, le travail d'une commission de vérité peut aussi servir à la mise en oeuvre des objectifs d'autres institutions de justice transitionnelle. Il s'agira, pour le cas de la Sierra Léone de mettre la vérité trouvée au service du DDR, de la Cour spéciale ou du Comité national de suivi des recommandations de la Commission. En effet, une fois le rapport de la Commission rendu public, les personnes qui auront intérêt à exploiter les résultats des investigations à charge ou à décharge devant la Cour spéciale devraient y trouver satisfaction. Les juges pourront alors s'y référer pour croiser les versions données par un témoin devant l'une ou l'autre des institutions, assurant ainsi une plus grande crédibilité à leurs solutions. Enfin, la loi instituant la CVR prévoit l'usage de ses informations par le Comité de suivi du rapport qui tiendra ses sessions une fois par an pour évaluer la mise en oeuvre de celui-ci par le gouvernement. Bien qu'un programme de réparation ait été mis sur pied indépendamment de la Commission, le fait de fonder ce programme sur les conclusions des enquêtes et les recherches menées dans le cadre de son travail présente des avantages incontestables. Il est tout de même nécessaire d'étendre un tel programme à toutes les victimes, y compris celles qui n'ont pas témoigné.

En outre, du point de vue pédagogique, le rapport de la Commission est un outil de dissémination non seulement de l'histoire impartiale du pays mais aussi des principes de respect des droits de la personne et de réconciliation278(*). C'est un outil indispensable dans la redéfinition du nouveau vivre ensemble car aiderait mieux à définir les solutions et à tirer les conséquences de la guerre pour le futur.

En tout dernier lieu, la vérité peut servir à la reconstruction institutionnelle et structurelle du pays. Le rapport de la Commission est une base suffisamment solide pour établir les responsabilités des individus ou des institutions dans la perpétration des violations graves des droits de l'Homme. Pour écarter des fonctions stratégiques ou de l'exercice du pouvoir ceux qui se seront rendus coupables de telles exactions, une procédure équitable est nécessaire279(*), et la base des données de la Commission pouvant servir de source pour l'une et l'autre des parties. Outre les responsabilités individuelles, celle collective des institutions étant mise en exergue dans le rapport, il est plus avantageux d'y baser toutes les réformes afin d'en tirer toutes les conclusions utiles.

La tâche qui incombait à la CVR fut l'une des plus consistantes. En effet, réécrire l'histoire du pays, redonner l'humanité aux victimes et aux perpétrateurs, faire des recommandations à mettre en oeuvre pour le futur en deux ans de mandat, même pour un petit pays comme la Sierra Léone nécessite des moyens humains et financiers considérables. Les commissionnaires n'avaient d'autre choix que de lier aux mécanismes inspirés d'autres instances des modalités de réhabilitation propres au pays.

B. Des mécanismes mixtes de recherche de la vérité

La mise en place d'une commission de vérité dans une société en reconstruction post conflictuelle doit s'inspirer d'autres expériences de réussite. Cependant, à chaque société correspond une culture particulière, une manière de faire, un ensemble de systèmes de valeurs et de mécanismes de gestion des conflits différents. Il est donc nécessaire d'établir un équilibre entre les mécanismes classiques et spécifiques de réhabilitation et de reconstruction. Le législateur sierra léonais, conscient de cette nécessité, a mis en place une commission alliant les mécanismes de réhabilitation dits classiques (1) et ceux plus proches des pratiques culturelles locales (2).

1. Des modalités classiques prenant en compte les attentes des personnes vulnérables

Le travail de la Commission, plus que celui de toute autre institution, constituait une opportunité sans précédent pour les personnes affectées par le conflit de participer à la reconstruction morale et matérielle de la société. Avant la création, les autorités publiques ont mis sur pied un comité consultatif regroupant les chefs religieux, les membres d'associations des femmes, des ex-combattants, des victimes de guerre ainsi que les représentants des ONG oeuvrant dans le domaine de l'assistance humanitaire et de la consolidation de la paix. Ce comité consultatif a continué à siéger280(*) pendant le mandat de la Commission pour évaluer l'impact des activités de cette dernière sur la réconciliation.

La Commission avait mis sur pied différentes méthodes de recherche de la vérité, notamment, les enquêtes et investigations sur le terrain ainsi que des audiences publiques et privées sur des bases volontaires ou non. Les audiences publiques étaient thématiques, c'est-à-dire consacrées à un aspect particulier du conflit. L'on pouvait donc assister à des audiences consacrées aux femmes, d'autres aux enfants, à la réconciliation, au rôle des forces armées et des factions dans le conflit ainsi qu'au rôle de l'Etat, plus précisément le rôle de ceux qui exerçaient les attributs de puissance publique à différentes phases du conflit281(*).

Les différentes audiences appelaient la présence et la participation des femmes et des enfants affectés par le conflit. La prise en compte de leurs particularités était un impératif pour la Commission. C'est ainsi qu'une prise en charge psychologique a été mise sur pied à a fois pendant et après les témoignages. Les auditeurs de la Commission ont tous été formés aux droits de l'homme, à la psychologie des victimes et aux symptômes et à l'accompagnement du traumatisme que le souvenir de violences pouvait causer aux victimes ainsi qu'aux méthodes d'interrogation neutre des victimes et perpétrateurs. Etant donné qu'il est beaucoup plus facile pour une personne souhaitant relater son expérience de le faire à partir de ses propres mots. C'est ainsi que le recrutement des auditeurs prenait en compte leur capacité à s'exprimer avec aisance dans les langues locales et leur sexe. En effet, il est plus psychologiquement confortable pour une femme de s'exprimer sur les violences sexuelles qu'elle a subies devant une autre femme. Avant tout témoignage public, la cellule psychologique prenait en charge ces victimes pour les préparer à affronter leurs souvenirs. Elles étaient aussi informées sur la possibilité pour elles de témoigner sur des bases confidentielles.

Concernant les enfants, ceux-ci étaient interrogés conformément au mémorandum signé entre la Commission, d'une part, et l'UNICEF et l'Agence de protection de l'enfance (APE), d'autre part. Ce mémorandum prévoyait une évaluation psychologique de chaque enfant par un professionnel de l'APE affin de vérifier si celui-ci était apte à témoigner et sur quelles bases ce témoignage allait avoir lieu.

La Commission s'est largement inspirée de l'expérience sud-africaine dans le soutien des victimes pendant leurs témoignages publics. Il y avait systématiquement un membre de la Commission aux cotés d'une victime pendant son passage. La présence d'un parent, d'un ami ou d'un membre de la famille était fortement encouragée, avec, en ce qui concerne les enfants la présence obligatoire d'un agent de l'APE à leurs cotés. Il arrivait qu'à l'écoute des témoignages, certaines personnes dans le public subissaient elles aussi un traumatisme. Une équipe de la Croix-Rouge nationale et des hôpitaux locaux était présente pour assurer les premiers soins d'urgence à ceux qui en avaient besoin. Les séances publiques servaient aussi de grande salle de consultation médicale. En effet, lorsque les témoignages des victimes apportaient des indices pouvant laisser présager à la nécessité d'une consultation médicale, celle-ci était immédiatement effectuée dans les centres de santé les plus proches.

Après leur témoignage, les témoins recevaient des visites régulières de la part des agents de la Commission pour évaluer l'impact de leur témoignage sur leur vie quotidienne282(*). L'on s'assurait que les mêmes agents s'occupent des mêmes victimes tout au long du processus pour créer un lien de confiance entre les deux parties et permettre ainsi un suivi plus efficace des cas individuels.

La Commission menait son action dans un contexte précis : la majorité de la population de Sierra Léone appartient aux groupes culturels peulhs et mandingues, pratiquent pour la plupart l'Islam, le Christianisme ou les religions dites traditionnelles (animistes). Il n'était donc pas logique d'ignorer ces particularités dans la recherche de la réconciliation.

2. Modes de réhabilitation traditionnels et communautaires

Chez les mandingues, et c'est également le cas chez d'autres groupes ethniques de la Sierra Léone, le péché d'un membre de la communauté est porté par tous les autres. Il est donc inefficace que le perpétrateur se purifie seul. Bien que la Commission ait choisi pour un certain nombre de raisons283(*) de nommer certains responsables, il était nécessaire de mettre en place des community-based reconciliation (ou réconciliations communautaires) qui ont épousé le modèle de la palabre.

Ahmadou KOUROUMA284(*) définit la palabre comme une «... manifestation de l'attachement traditionnel des ancêtres [de l'homme africain] à l'échange pacifique d'arguments. La palabre africaine possède son rituel. Le villageois le plus âgé préside la palabre dont les mécanismes sont rigoureusement codifiés. Chacun ensuite intervient selon son âge. Le benjamin parle le premier. Après lui intervient celui qui le suit en âge et ainsi de suite jusqu'au vieux qui s'exprime le dernier... »

Des deux institutions de justice transitionnelle, la Commission avait le plus de faveur de la part des sierra léonais. Ils préféraient en effet cette manière de gérer les problèmes qui cadre mieux avec les mécanismes traditionnels de gestion de conflits. La Commission procédait de manière originale à l'accompagnement des audiences publiques et à huis clos. A chaque fin de session dans une localité, les différentes parties prenantes (groupes de victimes, perpétrateurs, dignitaires religieux et chefs traditionnels) se retrouvaient pour pratiquer une réhabilitation dite traditionnelle. Cette réhabilitation comprenait des prières aux morts, l'établissement des monuments, ce qui était important non seulement pour les personnes concernées mais pour la communauté tout entière.

La réconciliation communautaire est un mécanisme dont l'accomplissement va au-delà du mandat de deux ans de la Commission. Financée par le PNUD, elle a été mise sur pied avec le concours du Conseil interreligieux de Sierra Léone285(*) qui en exerce la direction. Ce type de réconciliation, initiée pour la première fois en Sierra Léone en octobre 2003 s'exécute en trois phases : la formation de formateurs, les séminaires régionaux de réconciliation qui débouchaient sur la formation des comités régionaux de support.

· La formation de formateurs : du 14 au 16 octobre 2003, un panel de 14 anciens auditeurs de la Commission se sont réunis à Freetown à la faveur d'un séminaire de formation sur les enjeux de la réconciliation communautaire. Il s'agissait entre autres du concept de réconciliation, du rôle de la religion et des traditions, de celui des femmes et des enfants, des perspectives comparatives d'autres pays ainsi que l'ensemble des retombées du travail effectué auprès des victimes et des perpétrateurs de violences.

· Les séminaires régionaux de formation : au niveau régional, des séminaires auxquels participaient les chefs traditionnels et religieux, les représentants d'associations des victimes et d'anciens combattants. Une représentativité des femmes était assurée, de telle sorte que pendant les 10 jours des séminaires (du 10 au 20 novembre 2003), une grande partie de la population féminine ait pu participer au programme. Les débats portaient sur les différents mécanismes à mettre en oeuvre pour faciliter la réconciliation et l'évaluation des besoins des victimes et d'autres personnes affectés par le conflit.

· Les Comités régionaux : les séminaires régionaux débouchaient sur la mise sur pied des comités régionaux chargés de mettre en oeuvre les propositions. Ces comités exerçaient sous l'autorité du Conseil interreligieux et étaient composés de représentants des chefferies traditionnelles et d'associations de victimes et d'ex-combattants.

Il pouvait y avoir entre autres comme activités pertinentes dans le sens de la réconciliation : des rituels de purifications des sociétés secrètes286(*), les activités religieuses, les cérémonies commémoratives, les activités sportives et culturelles, les projets communautaires générateurs de revenus et la sensibilisation aux droits de l'homme, et surtout ceux des femmes et des enfants.

La Sierra Léone a connu par le biais de la réconciliation communautaire des avancées significatives dans la résolution de certains conflits et surtout des problèmes que les politiques publiques classiques ne pouvaient régler du moins, dans des termes aussi courts. La construction de certains monuments et des marchés ; la création artistique notamment, les films et pièces de théâtre et la création de coopératives ou d'autres projets intercommunautaires ont permis, dans une certaine mesure, au tissus social de se ressouder et de fixer les jalons d'un nouveau vivre ensemble que les conclusions du rapport appellent en mettant les victimes au centre des préoccupations.

Section 2 : La réparation des victimes des violations graves des droits de l'Homme

Le processus de mise en oeuvre de la justice transitionnelle comporte un élément de victimisation. En effet, aussi bien dans le cadre de la justice réparatrice que celui de la justice pénale proprement dite, la victime est la préoccupation première des officiels. La prise en compte de la victime en tant que partie prenante au procès et sa participation aux auditions ainsi qu'aux mécanismes de reconstruction communautaire appellent à la conclusion logique de la réparation des torts subis. Cette réparation obéit à une philosophie particulière (I) qui doit elle-même respecter certaines formes pour garantir l'effet réparateur escompté (II).

I. La philosophie du programme de réparation

La philosophie d'un programme de réparation correspond à l'esprit qui l'entoure. Il s'agit de déterminer son but, son mobile, bref, son pourquoi. Nous pouvons identifier dans ce sens qu'un programme de réparation, doit chercher à rétablir l'équilibre rompu en poursuivant le but de justice sociale (B) après l'identification des parties prenantes à la réparation (A).

A. Les parties prenantes au programme de réparation

Pour rétablir l'équilibre rompu, la détermination des parties prenantes à la réparation est nécessaire. Il s'agit de déterminer qui est débiteur et créditeur des avantages découlant du programme de réparation. Deux questions méritent de trouver réponse : à qui incombent les réparations (1) et qui y a droit (2) ?

1. A qui incombent les réparations ?

La particularité de la situation d'un Etat en reconstruction post-conflictuelle et les besoins en matière de réparation ne répondent plus à la mécanique classique de mise en jeu du couple responsable - victime, comme c'est le cas en droit civil. C'est-à-dire que le principe selon lequel toute personne responsable d'un fait délictuel ou non, ayant causé un dommage à une autre soit dans l'obligation de le réparer n'est plus à lui seul pertinent, ceci à plusieurs égards. D'une part, il convient de relever que la situation particulière d'un pays dévasté par la guerre est telle que les ressources des responsables des violences ne soient pas suffisantes pour couvrir tous les torts. Recourir au seul patrimoine des coupables des violations graves des droits de l'Homme est donc inadéquat, voire insignifiant compte tenu de l'importance des dommages à réparer287(*). Et d'autre part, étant donné que la Sierra Léone a opté pour des poursuites à l'égard d'une partie seulement des responsables des crimes, notamment ceux qui « supportent la plus grande responsabilité288(*) », de nombreuses victimes ne verront pas leurs souffrances réparées car les coupables immédiats n'auront pas été identifiés.

L'autre argument est celui selon lequel il faut retenir la responsabilité de l'Etat de manière directe ou indirecte. De manière directe, la Sierra Léone a connu, depuis le début du conflit en 1991, des violations des droits de l'Homme du fait des différentes entités qui ont exercé la puissance publique. Il serait donc logique que la responsabilité de l'Etat soit engagée afin qu'il puisse répondre des faits causés par ses agents. De façon indirecte, l'on pourrait tenir l'Etat pour responsable des violations causées par les tiers du fait de sa défaillance dans la protection des citoyens.

En général, l'obligation pour l'Etat de répondre aux violations des droits de l'Homme découle à la fois des obligations constitutionnelles et internationales de l'Etat. En Sierra Léone, la Constitution de 1991 (chapitre III) reconnait que les citoyens sierra léonais sont titulaires des droits imprescriptibles et inaliénables que l'Etat a l'obligation de respecter et de faire respecter. Parmi ces droits figurent le droit à la vie, la protection contre les arrestations et les détentions abusives, la protection contre le travail forcé ou l'esclavage ainsi que le droit de ne pas subir des peines ou traitements inhumains et dégradants. Les citoyens ont le droit, selon l'article 28 (2) de la Constitution de recourir à l'arbitrage de la Cour suprême pour obtenir réparation s'ils s'estiment victimes de violations de ces droits. En outre, la loi relative à la CVR, en son article 29 fixe pour obligation à l'Etat de réparer les violences du conflit, notamment en mettant en place un fonds d'aide aux victimes de guerre, lequel fonds prendra en charge la réparation de tous ceux qui ont subi les affres de la guerre.

Sur le plan international, la plupart des textes pertinents en la matière prescrivent comme obligations de l'Etat de veiller non seulement à prévenir les violations des droits de l'homme mais à réprimer les coupables et surtout à réparer les victimes de ces violations, que ce soit du fait de ses agents ou des tiers. L'article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, l'article 2.3 du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, l'article 14 de la Convention internationale contre la torture et les articles 7 et 21 de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples reprennent ce principe en prévoyant comme obligation à l'Etat la garantie d'une réparation juste, proportionnelle et équitable aux victimes des violations des droits de l'Homme289(*).

Selon Theo VAN BOVEN et MC BASSIOUNI290(*), le respect dû aux victimes requiert de la part des Etats, en application des règles conventionnelles et coutumières internationales, l'obligation de leur fournir une instance devant laquelle celles-ci sont en droit d'obtenir une réparation juste et équitable selon l'ampleur des violations subies et la situation particulière des Etats. Ils précisent que la particularité que représente les crimes de masse impose l'intervention directe de l'Etat dans le processus de réparation, quelque soit l'auteur des violences, car la responsabilité de l'Etat est présumée lorsque des violations graves des droits de l'Homme et du droit humanitaire se font à grande échelle.

L'Etat est donc responsable de la réparation des violations des droits de l'Homme et il lui incombe de mettre en place des politiques viables pour répondre aux besoins des victimes. Cette réparation, pour être différenciée de la stratégie globale de développement de l'Etat doit être effectuée pour des personnes déterminées, d'où la question de savoir à qui elles doivent bénéficier.

2. Qui a droit aux réparations ?

Pour mettre en oeuvre l'obligation étatique de réhabilitation des victimes des violations graves des droits de l'Homme, l'Etat a besoin d'identifier les victimes291(*) et de déterminer leurs besoins afin de leur accorder la réparation la plus juste et équitable possible. Cette identification de victimes est étroitement liée à la notion de responsabilité. Car, sans responsabilité engagée, il n'y a pas d'occasion de faire la vérité sur l'identité des victimes et de les reconnaître entant que partie à la construction de la nouvelle société.

Cependant, lors de la signature de l'Accord de Lomé comme dans la plupart des cas, le cessez-le-feu a été obtenu par l'octroi de l'amnistie aux responsables des violations des droits de l'homme, abandonnant ainsi l'opportunité des poursuites pénales, outil indispensable pour la recherche des victimes. En effet, l'amnistie octroyée aux responsables des crimes les plus graves empêchait la possibilité d'entamer un processus complet permettant de faire la lumière sur les faits et de punir les responsables, faisant ainsi droit à la première réparation à faire aux victimes. L'Accord (article 26) prévoit quand même la création d'une Commission vérité et réconciliation dont l'une des missions les plus importantes sera entre autres de « recommend measures to be taken for the rehabilitation of victims of human rights violations », ce qui permettra, comme le prévoit l'article 6 (2) (b) de la loi établissant la CVR de concourir à la restauration de la dignité des victimes et de promouvoir la réconciliation.

La Commission a donc, plus que la Cour spéciale qui sera créée plus tard, le rôle le plus important dans la réhabilitation et la réparation des victimes. Tout au long de la loi établissant la Commission, le législateur a habilement évité le terme « réparation » pour n'évoquer que « les besoins des victime [et] la restauration de leur dignité. » Loin d'être négative, cette provision est plutôt pragmatique car ne prépare pas un très grand nombre de personnes à prétendre aux prestations que les possibilités économiques de l'Etat ne peuvent fournir.

De nombreuses personnes sont venues témoigner devant la Commission, de nombreuses personnes on été victimes des violations graves des droits de l'Homme pendant la guerre civile. L'un des membres de la commission a même déclaré à ce propos que « (...) many, if not all of the people of Sierra Leone suffered during the war. Some suffered directly from various kinds of violations mentioned in this report. Others witnessed these violations or indirectly suffered from them. In this way, all Sierra Leoneans are survivors. The Commission hereby explicitly acknowledges the suffering of all these people...» faisant valoir ainsi la nécessité de prendre en compte d'autres critères pour privilégier un groupe ou un autre dans l'accès à la réparation.

Contrairement à la CVR de Desmond TUTU qui n'intégrait dans son programme de réparation que les victimes qui coopéraient avec elle, celle du Bishop HUMPER pensait que prendre en compte ce critère comme déterminant pour la « sélection » représentait un risque énorme pour la réconciliation. C'est en effet un mode de distinction arbitraire et injuste qui ne prenait pas en compte les besoins réels des victimes. De plus, compte tenu de sa taille, de la modestie de son budget et de la durée de son mandat, la Commission ne pouvait entendre tous ceux qui voulaient témoigner devant elle. Le critère de « besoin » s'imposait donc aux membres de la Commission comme celui qui devrait être pris en compte.

De la définition de la victime faite par la Commission, il en découle que toutes les victimes du conflit doivent être prises en charge, non seulement les victimes directes ou les nationaux. Il apparaissait avec la définition de ceux qui avaient besoin d'une attention urgente que certaines victimes directes étaient écartées au profit de veuves, orphelins et autres victimes indirectes qui ont perdu leur soutien économique pendant la guerre. Il ne fallait pas aussi se limiter au critère physique pour déterminer les bénéficiaires, car certains traumatismes comme ceux des nombreuses victimes des violences sexuelles ou de destruction de biens n'étaient pas visibles au premier abord.

Finalement, pour intégrer les victimes dans le programme de réparation, il fallait que les violences soient subies pendant la période du 23 mars 1991 au 2 mars 2002 et qu'elles présentent soit une marque physique du traumatisme comme les amputés, les blessés de guerre ; les victimes des violences sexuelles ; les enfants et orphelins de guerre ainsi que les victimes des violences sexuelles.

· Les amputés : ce sont des victimes ayant perdu un membre supérieur ou inférieur dû au conflit. Le recours à la Compensation Act de 1955 permettra d'évaluer le degré d'invalidité.

· Les « autres blessés de guerre » : c'est une catégorie de victimes qui ont subi des dégâts physiques importants ayant causé une incapacité partielle ou totale, autrement qu'une amputation. Ce sont par exemple les victimes de blessures par balles ou ceux qui sont handicapés par des lésions importantes sur certaines parties du corps.

· Les victimes des violences sexuelles : il s'agit des femmes ou des filles qui ont subi des abus sexuels, des viols, le mariage forcé, l'esclavage sexuel ou des mutilations des parties génitales. Compte tenu de l'ampleur des violences sexuelles faites aux garçons, les hommes ont été inclus dans le programme de réparation. Ces victimes avaient notamment besoin du soutien relatif au traumatisme psychologique découlant de l'agression et surtout à la stigmatisation qu'elles continuent à subir dans leurs lieux de résidence.

· Les veuves, notamment, celles qui ont perdu leurs époux à cause des violations des droits de l'Homme et sont emmenées à supporter les charges familiales. Cette provision exclut de facto les veufs car ils sont traditionnellement les chefs de famille.

· Les enfants représentent une catégorie spécifique des victimes qui doivent bénéficier d'une attention particulière du fait de leur jeune âge. Il s'agit notamment de ceux qui, âgés de moins de 18 ans au 1er mars 2002, ont soit perdu leurs parents pendant la guerre, ont été victimes des violences sexuelles ou subissent des traumatismes psychologiques ou physiques et des enfants nés de viols et dont les mères sont célibataires.

La détermination des victimes pouvant être intégrées dans les programmes de réparation nécessite donc la prise en compte des besoins actuels des victimes. Non pas pour leur accorder des avantages démesurés, encore moins graduer les souffrances ou les niveaux de traumatismes. C'est une manière pragmatique d'atteindre l'objectif de la justice, celui de rétablir l'équilibre rompu entre les membres de la société.

B. Poursuite de l'objectif de justice sociale : le rétablissement de l'équilibre rompu

La guerre, quelle qu'elle soit, est une rupture d'un équilibre de forces autrefois garanti par la puissance publique. Cette rupture de l'équilibre se caractérise par l'érection de la violence en règle et du rabaissement de l'ordre et de la justice au rang d'exception. Un programme de réparation se veut alors un moyen de réparer les violences et abus causés par le déséquilibre. Il doit prendre en considération les besoins actuels des victimes (1) et se démarquer des politiques économiques de l'Etat (2).

1. La prise en considération des besoins actuels des victimes

Lors de la mise en place d'une commission chargée de faire la vérité sur les évènements douloureux, les attentes de la population et surtout des victimes sont assez grandes. En venant témoigner ou en décidant de coopérer d'une manière ou d'une autre, ces dernières espèrent que leur acte contribuera à changer leur quotidien. Desmond TUTU considère que le mobile de cette démarche n'est pas l'obtention d'un gain matériel ou financier. Ces victimes recherchent le plus souvent une écoute, une justice ou une réparation morale.

Le but de la Commission n'est pas de fournir un droit à la réparation pour les victimes des violations graves des droits de l'Homme. Elle doit rechercher la vérité et la mettre à disposition de l'Etat en lui faisant des recommandations pour éviter la répétition de telles violences dans le futur, ces recommandations pouvant contenir le droit à la réparation. Pourtant, la Commission de Sierra Léone a eu pour mission de répondre aux besoins actuels des victimes. Ces besoins pouvant être liés à la recherche de la vérité et de la réconciliation d'une part, et d'autre part à au rétablissement des victimes dans leurs droits.

Les victimes expriment un certain nombre de demandes ou présentent un certain nombre de besoins urgents dans de domaines assez divers. La Commission devrait alors disposer de toute l'autorité nécessaire pour commander à l'Etat d'intervenir dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'attribution d'un revenu minimum aux victimes.

· La santé : c'est le secteur où il ya le plus de nécessité. Le soutien psychologique aux victimes qui témoignent devant la Commission ou celles qui sont profondément marquées par leur traumatisme. Comme nos l'avions déjà fait remarquer plus tôt, des professionnels de la santé ont été dépêchés dans tous les centres d'écoute et d'auditions publiques de la commission. Au point de vue physiologique, les consultations médicales d'urgences ont été mises en place pour permettre aux victimes présentant un traumatisme physique de se faire soigner et de profiter des opérations chirurgicales d'urgence. Les femmes et filles victimes d'abus sexuels ont été prises en charge d'urgence par les services compétents avec le soutien d'ONG internationales comme Physicians for Human Rights. En ce qui concerne les amputés, la Commission a incité le gouvernement de mettre en place un mécanisme d'accès rapide et gratuit de ceux-ci services orthopédiques. Le soutien des ONG comme Handicap International ont apporté un concours significatif à la réalisation des dispensaires orthopédiques où des soins de rééducation sont administrés gratuitement.

· L'état civil : le problème de l'enregistrement des enfants sur les registres d'Etat civil, problématique dans la plupart des pays de l'Afrique de l'Ouest en état de paix est devenu critique dans une Sierra Léone en guerre. Il a donc été important de mener, avec l'aide de l'UNICEF une campagne de sensibilisation et d'enregistrement des enfants nés pendant le conflit et non enregistrés. En outre, un grand nombre de femmes enlevées et mariées de force avec les chefs de guerre sont restés auprès de leurs « époux » avec qui ils ont eu des enfants. La résolution de cette impasse juridique est nécessaire pour garantir d'une part des droits aux enfants nés de ces mariages forcés, et d'autre part, de permettre aux couples qui désirent vivre maritalement de régulariser leur situation.

· L'éducation : dans un pays pauvre comme la Sierra Léone, l'accès des plus pauvres à l'éducation de base est un problème qui ne peut se résoudre au seul niveau de la Commission. Cependant, pour les victimes, une attention particulière doit leur être accordée. Des bourses spéciales ont été accordées aux personnes victimes des violences sexuelles, aux amputés et blessés de guerre ainsi qu'aux orphelins. Les deux programmes mis en place par le ministère de l'éducation nationale pour la reconstruction du système éducatif292(*) assurent la réalisation de ces objectifs immédiats.

· Assurer un revenu de base aux victimes : après une guerre civile comme en Sierra Léone, les victimes de violations graves des droits de l'Homme vivent dans une situation de dénuement total. Leur situation contraste avec celle des ex combattants qui on bénéficié des programmes de DDR mis en place à la fin du conflit. Certaines victimes se sont plaintes de cette situation qu'ils qualifiaient d'injuste. Afin de remédier à cette situation, la Commission a mis en place un programme de formation aux activités génératrices de revenu et à au versement d'une pension aux victimes pour de leur faciliter la prise en charge des dépenses de subsistance.

La Commission Vérité et Réconciliation n'a eu qu'un peu plus de deux ans pour mener à bien son mandat. Il a donc appartenu à l'Etat d'assurer le suivi des programmes entrepris et surtout de mettre en oeuvre les recommandations. Se concentrer exclusivement sur les victimes présente un risque grave de division au sein de la population tout entière. Il y a donc un équilibre à assurer : continuer les programmes de réparation des victimes tout en les dissociant des politiques sociales et économiques de l'Etat.

2. La différente entre la réparation et les politiques sociales et économiques

Soumettre l'Etat au droit et instaurer [ou réinstaurer ?] l'égalité entre les citoyens dans des sociétés, qu'elles soient post conflictuelles ou non, supposent la prise en compte de certains facteurs dominants. Cela doit consister à assurer à la fois l'égalité de tous devant la loi et les services publics en respectant les cas particuliers des pauvres et nécessiteux. Dans le cas de la Sierra Léone, les victimes ont besoins d'être considérées avec humanité et toutes les précautions dues à leur qualité, mais dans le strict respect de la répartition équitable des ressources de l'Etat qui doivent profiter à tous, y compris à ceux qui ne sont pas victimes. Il convient donc de relever deux niveaux de répartition : entre victimes d'une part, et entre les victimes et les le reste de la population d' autre part.

En premier lieu, le principe de non discrimination, tel que reconnu dans les différents textes internationaux pertinents en matière des droits de l'homme et du droit humanitaire doit être respecté. Il en découle que toutes les victimes, quelles qu'elles soient doivent être traitées avec humanité et sans discrimination aucune. Cette discrimination, comme le prévoient les Conventions de Genève293(*), ne doit pas être « ...de caractère défavorable..  » qui peuvent être la race, l'âge, le sexe, le groupe ethnique ou l'appartenance religieuse. Seuls le niveau de précarité et la gravité d'une situation par rapport à une autre devraient déterminer l'ordre ou le niveau d'intervention de l'Etat dans le domaine des réparations. L'on peut arriver à cette fin en déterminant, comme en Afrique du Sud, une allocation par proche disparu ou décédé ou en graduant comme en Sierra Léone les prestations dues aux victimes handicapées en fonction du degré de handicap.

En second lieu, l'Etat, responsable des réparations doit dissocier les réparations proprement dites des autres programmes de politiques économiques et sociales. Cette technique peut présenter trois avantages et un inconvénient primordial. Parmi les avantages, il est évident qu'un programme d'une telle ampleur est viable à condition qu'il soit administré par un programme ou une institution autonome par rapport à l'appareil étatique. C'est-à-dire que du point de vue organique (personnel de direction et d'intervention), financier (budget de fonctionnement) et matériel (actions à entreprendre sur le terrain, projets à financer, etc.), les réparations soient mises en oeuvre par une autorité indépendante, nommée avec la consultation des différentes forces politiques de l'Etat (exécutif, législatif et société civile). Cette autonomie n'exclut pas un contrôle strict exercé soit par le Comité de suivi des recommandations de la CVR, soit par le pouvoir législatif à travers la Chambre des comptes de la Cour suprême.

Le deuxième avantage de ce détachement de réparations est lié au faible risque de récupération politique que cela constitue. Si les réparations dépendaient des orientations et des choix politiques des gouvernements, le risque le plus important serait de les voir dépendre des enjeux électoraux, des calculs et disputes politiciens. L'autonomie accordée au programme de réparation représenterait à coup sûr une garantie du principe de non discrimination et permettrait de ne pas détourner l'objectif de justice qu'apportent les réparations.

Le troisième avantage serait une plus grande disponibilité des fonds pour un programme de réparations autonome. En effet, les bailleurs de fonds et contributeurs et partenaires internationaux sont de plus en plus réticents à financer les programmes dirigés par les administrations centrales. Le financement des réparations risque d'être compromis par les défaillances des autres secteurs gouvernementaux en matière de bonne gouvernance. L'autonomie permettra alors une plus grande confiance des participants.

Comme inconvénient, l'autonomie du programme de réparation pourrait engendrer de nombreux dysfonctionnements et incohérences. Le risque encouru est la superposition des investissements, la distribution des crédits pour la réalisation des projets contradictoires. L'on pourrait tout simplement assister à un certain embouteillage entre programme de réparation proprement dit, les actions du gouvernement et des multiples associations et organisations de la société civile. Pour régler ce manque de coordination, une harmonisation des politiques s'avère nécessaire pour délimiter les champs d'intervention afin de limiter le plus possible la compétition et de promouvoir la complémentarité et la coopération entre différentes structures intervenant dans le domaine socioéconomique. Un comité pluridisciplinaire pourrait siéger dans la gestion des conflits et les évaluations périodiques de l'évolution globale des actions sociales au niveau national.

Il convient de rappeler que les réparations ne doivent pas être confondues avec les politiques sociales classiques de l'Etat. Comme le précise les principes fondamentaux concernant le droit au recours à réparation, l'Etat ne doit pas prendre pour prétexte l'exécution d'un programme de réparation dans une région ou localité pour priver ses populations des prestations auxquelles elles ont droit, en vertu des obligations de l'Etat vis-à-vis de ses citoyens. En effet, les réparations sont un droit et non un ensemble de privilèges pour les victimes et la distinction nette entre elles et l'action socioéconomique de l'Etat ne ferait que consolider cette idée.

La philosophie des réparations définit le cadre d'ensemble dans lequel elles doivent être effectuées. C'est un ensemble de principes directeurs à suivre pour éviter les écueils qui les détourneront de leur but. Il convient maintenant d'en envisager les modalités pratiques.

II. Modalités pratiques des réparations

L'accès des victimes des violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire à la réparation suppose la prise des actions positives pour rétablir les équilibres rompus du fait de ces exactions. Les réparations peuvent être collectives ou individuelles, symboliques ou matérielles, instantanées, à court, moyen ou long termes, mais aussi intégrer un ensemble plus général impliquant les différentes actions au niveau des services publics. Pour une meilleure harmonisation des développements qui suivent, nous ferrons une distinction entre réparations symboliques (A) et les réparations matérielles ou financières qui s'apparentent souvent aux indemnisations(B).

A. Une réparation symbolique pour assumer collectivement le passé

Les sociétés en reconstruction post conflictuelles présentent des caractéristiques communes au niveau du lien social. Celui-ci se délite à cause de la suspicion, de la méfiance, des rancoeurs que la violence et la guerre ont instaurées. La société a besoin au sortir de la guerre d'une réformation des bases du vivre ensemble, une redéfinition des mobiles, de la nécessité de l'instauration d'une société harmonieuse. Il est important de traduire le « plus jamais ça » des discours politiques en actes concrets dont le but est de reconstruire le tissu social, et surtout que celui-ci soit viable.

Les réparations symboliques sont un moyen nécessaire de psychanalyse collective. Contrairement à la réparation matérielle qui est instantanée, la réparation symbolique a le mérite d'être durable et d'avoir les effets sur le long terme. Elles touchent le plus grand nombre de personnes et implique une interaction entre les victimes et les perpétrateurs des violences. La réparation symbolique comporte un certain nombre de valeurs chères aux sociétés africaines : l'humilité, la repentance, la compassion, les regrets, le souvenir, le pardon, la réconciliation, etc. Toutes ces valeurs, importantes pour la reconstruction du tissu social s'acquièrent et s'exercent en binôme. C'est à la victime que le perpétrateur demandera pardon, c'est aussi en commun qu'on se souvient des proches disparus, qu'on prend l'engagement de ne plus répéter les violences dans le futur, bref, d'être l'un pour l'autre le gardien des libertés fondamentales.

Du point de vue financier, les réparations symboliques représentent un avantage important compte tenu des résultats qu'elles procurent et du nombre de personnes qu'elles sont susceptibles de toucher. Elles doivent être faites de concert avec la population concernée. Il convient de les consulter afin de recueillir leur avis sur les types de réparations symboliques à mettre en oeuvre : il peut s'agir des cérémonies traditionnelles d'hommage aux victimes, monuments ou mémoriaux. L'important est la visibilité de ces édifices et leur usage pédagogique au profit des générations présentes et à venir.

La réparation symbolique peut prendre plusieurs formes :

· Les excuses publiques : le rétablissement de la dignité des victimes nécessite que les principaux responsables des violations des droits de l'homme puissent assumer leurs actes et exprimer leurs remords publiquement. Même si, comme c'est le cas en Sierra Léone, il y a un processus strictement pénal qui est mis en place pour juger certains criminels de guerre, cela ne doit pas être un prétexte pour que les autres personnes qui n'ont pas été inculpées de venir témoigner et exprimer leurs remords. Mieux, c'est un moyen pour que ceux qui n'ont pas la possibilité de participer au processus pénal de s'intégrer dans une démarche de réconciliation. Les excuses doivent être sincères. Plus la personnalité est grande, plus le symbole est grand pour les personnes qui reçoivent lesdites excuses294(*) ;

· Les monuments et mémoriaux : la construction dans des lieux publics de monuments commémorant les évènements douloureux de la guerre ou de l'histoire commune permet de ressouder le lien social. Les monuments et mémoriaux jouent un rôle éducatif auprès des générations futures comme pour les prévenir du risque permanent d'un retour à la guerre et ses atrocités. Parmi les réparations symboliques, le baptême des édifices publics (ponts, rues, avenues, stades, etc.) reste un des moyens les plus visibles et efficaces pour attirer l'attention sur le passé et sensibiliser sur la nécessité de consolider la paix ;

· Les cérémonies traditionnelles et religieuses : la société sierra léonaise est marquée par la tradition et la religion. Les autorités traditionnelles et religieuses ont joué depuis la colonisation un rôle très important dans les rapports politiques et jouissent d'une très grande écoute au niveau de la population. Celles-ci préfèrent régler les conflits devant l'Imam, le Prélat ou le Chief au lieu d'intenter une action devant les tribunaux publics. D'où l'intérêt d'impliquer ces autorités dans les réparations symboliques. Les prières et les purifications295(*) permettent aux différents membres de la société de retrouver leur dignité perdue et de fixer les bases d'une réconciliation durable ;

· Les actions honorant les morts : une société ne vivra en paix qu'à condition que les âmes des morts ne viennent pas hanter les vivants. D'où la nécessité d'assurer le repos des âmes à travers des actions émanant à la fois des autorités administratives que traditionnelles. Les premières offriront aux familles des victimes les moyens d'enterrer dignement les victimes identifiées ainsi que la facilitation de la délivrance des certificats de décès, la construction et l'identification des tombes. Les prêtres, animistes comme monothéistes quant à eux, de par leurs prières contribueront au rétablissement de l'équilibre préexistant.

La réussite d'un programme de réparation dépend de la flexibilité et de la diversité des mécanismes mis en oeuvre. C'est justement en alliant aux réparations symboliques les réparations matérielles que l'objectif de justice sociale est le plus à même d'être atteint.

B. La réparation matérielle : une prise en compte à la fois individuelle et collective des situations des victimes

Nous entendons par réparation matérielle tout programme qui comprend l'octroi d'un avantage matériel, financier ou patrimonial aux personnes victimes des violations graves des droits de l'Homme et du droit international humanitaire. Cette réparation peut consister en l'attribution d'une rente, d'une pension ou d'une certaine somme d'argent de manière instantanée.

· Au niveau individuel 

C'est l'évaluation au cas par cas des situations des victimes qui permet de déterminer toutes les prestations à fournir aux victimes pour rétablir leur dignité. Il convient de rappeler que celles-ci doivent être traitées avec dignité, humanisme et sans aucune discrimination. La réparation individuelle peut revêtir plusieurs formes. Il peut s'agir tout simplement de résoudre, comme nous avons fait état plus haut, des besoins actuels des populations, notamment en matière de santé, lutte contre la pauvreté, accès à l'eau, éducation, etc.

La réparation individuelle peut aussi consister en un rétablissement des droits des victimes à un niveau analogue à celui qui existait avant le conflit. Ce rétablissement nécessite une très grande investigation et surtout des procédures équitables à la fois pour les victimes et les possesseurs de bonne foi. Si des preuves de propriété sont apportées, les personnes illégalement dépossédées de leurs biens peuvent les récupérer ou obtenir une indemnisation juste et équitable en cas de destruction.

Les indemnisations individuelles consistent aussi en un versement des sommes d'argent en fonction de certains critères. En Afrique du Sud, une allocation de 17 à 23 000 rands (1 800 à 2 400 € environ) par an a été attribuée aux victimes qui ont accepté de coopérer avec le processus de la Commission Vérité et Réconciliation. Ce procédé, bien que limité à certaines personnes, présente l'avantage de procurer un revenu minimum aux populations les plus vulnérables. La Sierra Léone a aussi opté pour un versement d'une pension mensuelle de 60 000 léones (environ 15 €) pour toutes les victimes de violences sexuelles ou ceux qui ont une incapacité d'au moins 50%296(*). Ces indemnisations nécessitent l'existence de ressources financières suffisantes pour satisfaire le plus grand nombre.

L'octroi des avantages financiers et matériels sont inefficaces, comme l'a remarqué Naïma BENWAKRIM de l'Instance Equité et Réconciliation du Maroc297(*), s'ils ne sont pas accompagnés d'un suivi individuel et d'un ensemble d'avantages au niveau collectif.

· Au niveau collectif 

Il y a des souffrances et des dommages qui peuvent être subies et réparées collectivement. Le retour à une société libérée des rancoeurs et propice à une reconstruction à la fois matérielle et morale nécessite la réparation de ces torts communs. La guerre civile en Sierra Léone a détruit un certain nombre de lieux de socialisation, des lieux communs : les marchés, les écoles ou dispensaires jouent un rôle économique et social important pour assurer aux populations une vie digne et économiquement viable. La reconstruction des édifices civils détruits pendant la guerre contribuera fortement à assurer l'accès des populations à l'éducation, la santé et la vie économique.

La notion de personne ne se limite pas à l'individu entant que tel. La personne humaine est liée à son environnement, à sa communauté, ses institutions, son histoire, ses lieux de culte, etc. Sa dignité est étroitement liée à la sauvegarde de tous ces éléments, si bien qu'une atteinte, quelle qu'elle soit qui leur est faite porte atteinte à sa dignité. La destruction d'une forêt ou d'une case sacrées, la perte d'un lieu de culte ou ayant une signification particulière pour la population agit fortement sur la conscience collective. Redonner à la population ses lieux de rencontre et de socialisation permettra de fixer les bases d'une réconciliation durable.

Toutefois, la réparation collective doit s'inscrire dans un processus de consultation des différentes forces vives de la région. Les familles des victimes, les chefs religieux et traditionnels, les futurs usagers des nouveaux services publics doivent participer à la validation des projets à exécuter. Dans les régions de Bo et Kenema, les populations, après avoir participé à l'adoption des projets de construction des points d'eau et d'écoles, ont participé de manière bénévole par la main d'oeuvre.

Chapitre IV : LES REFORMES INSTITUTIONNELLES, LA DEMOCRATIE ET LA BONNE GOUVERNANCE

Le bilan de la décennie du conflit en Sierra Léone révélait un état des lieux alarmant en matière d'institutions publiques. La puissance publique, jadis centralisée aux mains d'un pouvoir parfois autoritaire à la capitale était progressivement remplacée par un ensemble d'organisations armées divisées en factions plus ou moins autonomes. Les régions étaient éclatées en plusieurs fiefs gouvernés par des chefs de guerre qui ont usurpé de toutes les prérogatives de puissance publique. A l'Est, les concessionnaires de mines d'or et de diamant payaient directement leurs taxes, impôts et redevances aux chefs de guerre qui transmettaient directement la plus grande partie de ces fonds au Libéria. Le constat est aussi préoccupant dans les domaines sociaux. Aucun investissement n'a été mis en place pendant les dix années de conflit, la totalité des ressources étant détournée pour alimenter les réseaux d'achat d'armement, de paiement des mercenaires et d'entretien de nombreuses factions armées. Pire, les hôpitaux, dispensaires, écoles barrages hydroélectriques ou ponts ont été les cibles privilégiées des protagonistes du conflit. En somme, la Sierra Léone est sortie du conflit rétrogradée à la première place des pays les plus pauvres du monde, avec une espérance de vie de moins de quarante ans, une mortalité infantile largement supérieure à la moyenne et une scolarisation des jeunes au plus bas.

Dans une société aussi déchirée et économiquement mal en point comme celle de la Sierra Léone en 2001, il convient de se d'interroger sur les nouveaux principes directeurs de la société qu'on était entrain de construire. Quelles sont les institutions à réformer ou à créer en priorité pour assurer un bouclier efficace du citoyen contre l'arbitraire du pouvoir ? Comment est ce que la nouvelle politique de gestion des ressources du pays devait être mise en place pour assurer une bonne redistribution des richesses ? La réponse à cet ensemble de questionnement nécessite la redécouverte des notions telles le respect des droits de l'Homme, de la bonne gouvernance, de la démocratie et du pluralisme.

Le rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post conflictuelle est a priori une question de respect des droits de l'Homme, de la démocratie et du pluralisme. Pour vivre ensemble dans une société libérée de violences et de conflits, il est nécessaire que le respect de la dignité humaine soit la trame des politiques publiques et que la liberté des énergies et de la pensée soient respectées dans les institutions publiques qui sont chargées de garantir le bien exercice de la vie en communauté.

La nécessité de réformer les institutions publiques se justifie à plusieurs égards. En premier lieu, la puissance publique, de par la position dominante qu'elle occupe, est plus disposée à violer les droits fondamentaux de l'Homme. Tout pouvoir politique, si bon soit-il, sans garde-fous risque de tomber dans l'arbitraire et nuire à l'épanouissement de l'Homme. La nouvelle société que les Sierra léonais étaient entrain de mettre en place ne serait viable que si elle était gouvernée par des institutions libres et respectueuses des droits de l'Homme.

En second lieu, et c'est le plus important, l'autorité publique doit être garante des droits et libertés des citoyens en vertu de ses obligations internationales. En effet, si le conflit sierra léonais a pu surgir et duré aussi longtemps, c'est entre autre à cause des violations des droits économiques et sociaux d'une plus grande partie de la populations et du non respect des textes internationaux relatifs à l'exploitation des ressources naturelles précieuses. Rétablir une société stable et dépourvue de violences nécessite des institutions judicaires et administratives capables de garantir aux citoyens le plein exercice de leurs droits.

Les institutions de justice transitionnelle ont concrétisé l'idée selon laquelle les perpétrateurs des violations graves des droits de l'Homme et du droit humanitaire ne pouvaient plus s'en tirer à bon compte. Ceux-ci, qu'ils supportent la plus grande responsabilité - et dans ce cas devront assumer leurs actes devant la Cour spéciale - ou qu'ils ne sont que des sous-fifres les plus faibles de l'extraordinaire « machine de guerre » qui a concouru à l'une des plus grandes déshumanisations d'une société dans l'histoire de l'Afrique de l'Ouest, ont l'obligation (ou parfois même le besoin) de participer à l'exécution du mandat de ces institutions pour construire une société juste et équitable. Les vertus préventives de la Commission Vérité et Réconciliation et de la Cour spéciale permettront d'agir à la fois dans la protection et la promotion des droits de l'homme (section 1), toutes les institutions ayant l'obligation de renouer avec la bonne gouvernance (section 2).

Section I : La promotion et la protection des droits de l'Homme

La transition démocratique en Sierra Léone est l'occasion de créer une culture des droits de l'Homme. Il convient, pour garantir le respect des droits de l'Homme de manière verticale et horizontale, de réformer d'une part les secteurs de la sécurité et de la défense (I) et d'autre part, de promouvoir le pluralisme, caractéristique d'une société démocratique (II).

I. Les réformes de la justice et des secteurs de la sécurité et de défense

Le pouvoir judiciaire est le garant du respect des droits fondamentaux de l'homme et des libertés publiques. A ce titre, son fonctionnement doit refléter cette réalité (A) pendant que la police et l'armée restent des institutions républicaines (B).

A. L'établissement d'une justice respectueuse des droits de l'Homme

Cela se traduit par l'adoption des nouvelles règles de garantie de la liberté individuelle (1) tout en favorisant l'accès des citoyens à la justice avec l'harmonisation des différents systèmes judiciaires (2).

1. La garantie des libertés individuelles

Tout homme a droit au respect de la dignité inhérente à sa personne. La guerre a été le théâtre de déni de cette dignité. De milliers de citoyens ont subi des violations flagrantes de leurs droits soit à cause de l'action directe des forces étatiques, soit du fait de son impuissance. La justice n'existait plus, la barbarie et les pires injustices prévalaient car la raison et les avantages étaient obtenus au bout d'un fusil. La nouvelle société de Sierra Léone veut se fonder sur le respect des droits les plus inaliénables de l'Homme. Cette refondation appelle des réformes au niveau de la procédure et du droit pénal et surtout de la protection des droits de la défense et du traitement humain des personnes privées de liberté.

· Les réformes constitutionnelles

En premier lieu, il est nécessaire de procéder à une réforme constitutionnelle pour accorder la norme suprême du pays à la pratique internationale. En effet, l'article 16 (1) de la Constitution dispose : «No person shall be deprived of his life intentionally except in execution of the sentence of a court in respect of a criminal offence under the laws of Sierra Leone, of which he has been convicted». Cette disposition admet explicitement l'existence et l'application de la peine de mort en Sierra Léone. Il y a un besoin d'adoption du principe de l'inviolabilité de la vie en toutes circonstances. L'abolition de la peine de mort et son inscription dans la Constitution serait l'expression de la volonté de la part des autorités publiques de faire désormais prévaloir la vie humaine et sa dignité et de les faire respecter.

En second lieu, il convient de limiter les effets des pouvoirs extraordinaires octroyés à l'exécutif en cas de circonstances exceptionnelles. A ce effet, le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation note avec pertinence que298(*) « la Constitution actuelle de la Sierra Léone consacre plus d'espace au déni des droits de citoyens qu'elle ne consacre à son respect [... ] » ce qui montre les risques de détournement de la Constitution de son but ultime. L'article 29 de la Constitution consacrée aux circonstances exceptionnelles considère que le Chef de l'Etat peut prendre des mesures limitant les droits de l'Homme dans des conditions qui peuvent ouvrir droit à des abus. En effet, la simple menace de trouble à l'ordre public, la menace contre l'existence de la Sierra Léone, des troubles ou même « la menace à l'existence de la Sierra Léone » sont des conditions suffisantes à la proclamation par décret des circonstances exceptionnelles299(*). Cet article de la Constitution peut, comme dans le passé, permettre à l'exécutif de prendre des mesures répressives contre les membres des partis d'opposition, de la presse ou des courants d'opinions contestataires.

Il convient aussi de limiter la durée de la période pendant laquelle des mesures exceptionnelles peuvent être prises et l'étendue des pouvoirs du Président. A la lecture des sections 5 et 6 de l'article 29 de la Constitution, l'on comprend que le Président n'a aucune limite dans la prise des décisions pendant une période qui peut aller jusqu'à trois mois. Cette période est, à notre avis trop longue et le maintien de ces dispositions s'avèrent dangereuses compte tenu des droits qui sont en cause. La Commission des Droits de l'Homme a précisé dans l'une de ses directives que « [...] même pendant l'état d'urgence, les citoyens doivent pouvoir bénéficier des garanties judiciaires pour contester la légalité de certaines mesures, y compris la détention ». La Constitution gagnerait à être réformée avec l'introduction de certains droits qui ne subissent pas de dérogation comme le droit de ne pas être soumis à la torture, aux peines ou traitements dégradants et les garanties judiciaires accordées à toutes les personnes accusées devant une juridiction.

· La procédure pénale 

Les libertés individuelles font partie des droits les plus importants de l'Homme. C'est à travers elles qu'il s'épanouit, mène une vie sociale et économique véritables. C'est par les libertés individuelles que le citoyen s'exprime, s'associe ou adhère à une pensée philosophique, politique ou religieuse de son choix. Entraver la liberté d'aller et de venir d'un homme, c'est le priver des moyens de vie active. Il est donc important de prendre des mesures adéquates pour garantir la régularité de la détention et les conditions dans lesquelles les peines privatives de liberté doivent être exécutées.

Il existe en Sierra Léone la notion de « safe custody detention » qui est une institution règlementaire de limitation arbitraire des droits des citoyens à ne pas subir des détentions arbitraires. Par un décret pris en 2000, le Président a permis l'arrestation et la détention des criminels dits dangereux dans des prisons sans inculpation ni jugement. Il est donc important d'abroger ce décret et rétablir la prééminence du législateur dans le domaine de la procédure pénale comme le prévoit le chapitre III de la constitution de 1991.

La Sierra Léone est gouvernée par les principes du Common Law qui privilégient une procédure accusatoire respectueuse ses droits des accusés. La Criminal Procedure Act de 1965 est un ensemble de dispositions destinées à réglementer le duel judiciaire entre l'accusation et la défense. Elle s'efforce à équilibrer les forces entre d'une part un Procureur fort et disposant de tout l'appareil étatique, et d'autre part, un accusé, pauvre, dépourvu des moyens de défense. La loi de 1965, telle qu'amendée à plusieurs reprises, a besoin d'être vulgarisée et appliquée. Aussi bien aux membres de la force publique qu'aux praticiens du droit et les citoyens, une culture de la loi et du droit doit être transmise pour garantir le respect des droits.

Les conditions de détention en Sierra Léone sont loin de rempli les standards internationaux. Les prisons centrales et régionales connaissent des difficultés liées à la surpopulation carcérale, l'accès à l'eau potable, à la santé et à l'éducation. Il est nécessaire de rénover le parc pénitentiaire sierra léonais en limitant le nombre de détenus par cellule, en assurant la séparation entre mineurs et adultes et en prenant des mesures adéquates en vue de la protection des enfants nés en prison.

2. Harmonisation entre les systèmes judiciaires

La Sierra Léone, à l'instar de nombreuses anciennes colonies britanniques, a conservé deux systèmes judiciaires différents. D'une part, les cours et tribunaux dits modernes qui appliquent le droit positif et, d'autre part, les cours traditionnelles qui ont en application le droit coutumier ancestral. Comme dans la plupart des sociétés africaines, les citoyens, pour des raisons affectives ou objectives, ont une préférence pour les tribunaux traditionnels sont pourtant les moins lotis en moyens financiers et/ou juridiques.

Les tribunaux traditionnels ne sont pas expressément reconnus par la Constitution. La seule disposition qui leur est destinée les intègre dans la hiérarchie des institutions sans donner le contenu de leur compétence et de la procédure devant elles. Elles ont été instituées par la volonté du colon britannique d'associer les chefs traditionnels à la gestion du pouvoir, à travers le Protectorate Ordinance de 1896. Les cours traditionnelles connaissent des contentieux civils, notamment matrimoniaux. L'organisation ancestrale des tribunaux traditionnels est devenue obsolète. Elle devrait donc se conformer aux évolutions de la société. Le manque de codification de la justice traditionnelle laisse une grande incertitude quant à son contenu et surtout, apporte de nombreuses disparités en fonction des ethnies et des religions. Il est donc nécessaire de codifier le droit traditionnel afin d'aboutir à une harmonisation au niveau national. Cette harmonisation s'avère toutefois difficile à cause des différences de moeurs entre tribus et religions mais doit cependant être entreprise pour permettre l'égalité de tous les citoyens devant la loi.

La hiérarchie juridictionnelle en Sierra Léone place la Cour suprême au premier plan. Elle connaît du contentieux constitutionnel et électoral en premier et dernier ressort ; connaît en appel de toutes les décisions des Cours d'Appel et a aussi pour fonction de superviser le fonctionnement de toutes les autres juridictions inférieures. Les Cours d'Appel ont quant à elles le droit de connaître en Appel de toutes les décisions de la Haute Cour de Justice (High Court of Justice selon la terminologie sierra léonaise). La Haute Cour de Justice est une juridiction à compétence générale. C'est-à-dire qu'elle connaît à la fois du contentieux civil, pénal et administratif en premier ressort. Elle a aussi pour compétence la supervision du fonctionnement des tribunaux traditionnels. A ce titre, elle connaît en appel de toutes les décisions rendues par elles.

Ce pouvoir d'appel de la Haute Cour sur les juridictions traditionnelles, n'est qu'une garantie apparente des citoyens contre l'arbitraire et la discrimination. Ce contrôle est en effet inefficace, car la Constitution300(*) exclue le domaine du droit matrimonial - qui est sous la compétence des tribunaux traditionnels - de l'application du principe de non discrimination. Une nouvelle réforme constitutionnelle est alors indispensable pour abolir cette disposition (article 27 (4) d.) et garantir à tous le droit d'accès à une justice qui doit être la même pour tous.

B. L'établissement d'une police et d'une armée républicaines

Statutairement, les organes de sécurité de l'Etat et des citoyens sont à l'avant-garde de la protection des droits de l'Homme. Or ils ont été parmi les plus grands violateurs pendant le conflit armé. Pour rétablir l'Etat de droit en Sierra Léone, l'exclusion des rangs de la police et de l'armée tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre se sont rendus coupables d'abus envers la population est désormais d'actualité (1) alors que leur formation nécessite une intégration des principes des droits de l'Homme (2).

1. L'assainissement par la lustration ?

Dans les sociétés qui sortent d'un passé marqué par les violations graves des droits de l'Homme, l'une des manières de faire face aux violations passées des droits de l'Homme par les régimes politiques antérieurs est d'écarter de la fonction publique ceux qui ont collaboré ou perpétué ces violations. Dès la chute du mur de Berlin, les Etats postcommunistes d'Europe de l'Est ont entamé la décommunisation de leurs institutions en écartant ceux qui ont collaboré avec les services de sécurité des régimes précédents. En République Tchèque, en Pologne et en Allemagne de l'Est pour ne citer que ceux-ci, de nombreux agents, dès lors que leurs noms figuraient sur des listes des services secrets en tant que collaborateurs ou informateurs, étaient relevés de leurs fonctions. Cette forme de lustration était basée comme le relève Mark FREEMAN301(*) sur la responsabilité collective et non individuelle, le caractère expéditif de la procédure faisant de la lustration un système décrié par les défenseurs des droits de l'Homme. Des lois ont été adoptées pour réguler la lustration en instituant des institutions spéciales chargées de mener le processus de façon contradictoire et transparente.

La lustration ou vetting302(*) a l'avantage de garantir le respect des droits de l'Homme et d'augmenter la confiance de la population envers les nouvelles institutions. Généralement, l'uniforme de la police ou de l'armée n'est plus synonyme de respect ou d'assurance. Les militaires étaient considérés comme des sobels, soldats le jour et rebelles la nuit à cause des exactions qu'ils commettaient aux cotés des rebelles sur les populations civiles pendant la guerre. L'image des représentants de la force publique auprès des populations civiles s'est détériorée jusqu'au mépris. Ecarter les « brebis galeuses » des effectifs des forces de l'ordre est une nécessité pour renouer les liens de confiance entre celles-ci et la population.

En Sierra Léone, il n'était pas envisageable de mettre en place un mécanisme de vetting à la fin de la guerre dans une société encore fragilisée. Le vetting est un facteur de division dans une société qui, comme toutes les autres sociétés africaines, est une société de consensus et non de contentieux. Les différent acteurs de la transition, notamment la Commission vérité et réconciliation étaient unanimes sur la dangerosité du vetting qui pouvait être utilisé comme une arme de lutte contre les opposants politiques.

Au lieu de purger la police et l'armée des violateurs des droits de l'Homme, il a été jugé opportun par les autorités publiques de procéder à la formation des militaires, policiers et autres agents de l'Etat au respect des principes des droits fondamentaux de l'Homme.

2. Une restructuration gouvernée par les principes des droits de l'Homme

La volonté de ne pas exclure certain membres de la police et des forces armées répondait à plusieurs préoccupations de la Sierra Léone. En effet, les corps armés de la République manquaient du personnel capable de maintenir l'ordre et la sécurité de l'Etat à la fois contre les agressions extérieures que contre les tentatives de déstabilisation de l'intérieur. L'armée a recruté pendant la guerre des miliciens et combattants très jeunes à qui l'on a appris que le maniement des armes, lesquelles armes étaient leur seule source de revenus. Un vetting dans les rangs de l'armée et de la police causerait une certaine instabilité à l'intérieur du pays s'il n'y avait pas de contrepartie fiable pour les soldats démobilisés. Deux axes d'intervention ont été mis en place par la Sierra Léone en coopération avec les partenaires étrangers : la formation d'une partie importante des membres des forces de l'ordre et l'intégration des autres dans les programmes de DDR303(*).

· Les programmes de formation 

Les Sierra Léonais ont eu une très grande réputation en matière de formation des membres de l'armée et de la police. Cependant, la guerre a démobilisé et éparpillé les ressources humaines dans ce domaine. Les missions de maintien de la paix des Nations unies et la coopération britannique vont contribuer fortement à la formation des forces de l'ordre dans les domaines opérationnels, et surtout du respect des droits de l'Homme. Arrivée en Sierra Léone le 22 octobre 1999, avec pour mandat officiel de coopérer avec le gouvernement dans l'observation du cessez le feu de l'accord de Lomé et de l'assister dans le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des anciens combattants, la MINUSIL a orienté sa mission vers le domaine de la formation des nouveaux membres de l'armée et de la police304(*). La section des droits de l'Homme de la Mission, s'est impliquée dans la création et la dissémination d'un ensemble de règles du droit international humanitaire et des droits de l'Homme au sein de la police et de l'armée. Des séminaires de formations se sont tenus dans la plupart des casernes et centres d'instruction pour la formation, dans un premier temps d'officiers et ensuite d'hommes de rangs pour la plus large assimilation des règles internationales.

La Mission devait former dans un délai bref des militaires et policiers capables de prendre progressivement la place des agents des contingents de la MINUSIL et des troupes anglaises. Dans son dernier rapport sur la Mission, Kofi ANNAN faisait état de la progression de cet objectif et de son achèvement en 2006. Selon ce rapport, 4 000 des 9 600 policiers que comptait la police sierra léonaise étaient formés par le concours de la MINUSIL305(*). Cet effort allait continuer dans le cadre de l'instauration du bureau intégré des Nations unies en Sierra Léone306(*).

Les britanniques quant à eux ont participé à la formation des officiers, formateurs et instructeurs de la police qui devaient par la suite prendre le relais dans l'institution des bureaux régionaux et locaux de sécurité. Ils ont aussi participé à la restructuration de l'armée pour lui donner une taille raisonnable pour un pays aux proportions de la Sierra Léone.

· La restructuration de l'armée 

A la fin de la guerre, l'armée sierra léonaise comptait plus de 15 000 hommes répartis en milices, groupes d'intervention et militaires professionnels. Il a fallu faire une distinction entre les militaires recrutés de façon régulière et ceux qui ne l'étaient que de fait. Cette première étape a permis de mettre un plan d'action permettant à terme de réduire cet effectif à 10 500. L'Equipe militaire internationale consultative en matière s'instruction (IMATT) dirigé par la Grande Bretagne est chargée de concourir à la sélection du personnel capable d'assumer les fonctions de l'armée et d'assurer la formation au moins jusqu'en 2010.

Les personnes non retenues intègrent les programmes de DDR. Ces programmes sont l'un des plus grands succès de la gestion post-conflictuelle en Sierra Léone. Cofinancés par les Nations unies (notamment à travers le budget de la MINUSIL et du PNUD), la Grande Bretagne, les Etats-Unis, la Norvège et bien d'autres Etats ayant participé au comité de gestion de la Mission. Le principe était basé sur le volontariat307(*). Le DDR se déroule sur trois principales phases : la démobilisation, le désarmement et la réinsertion.

- La démobilisation : les anciens combattants sont regroupés dans des camps de recensements où il leur est attribué des affectations ;

- Le désarmement : il intervient juste après la démobilisation. Les anciens soldats rendent des armes contre une somme forfaitaire. Ils sont répartis ensuite par groupes plus restreints pour évaluer leurs besoins en formation, réhabilitation et reconstruction morale ;

- La réinsertion : c'est l'ultime phase du processus. Il s'agit de trouver un moyen de resocialiser les ex-combattants. Ils choisissaient des programmes de formation qui leur permettrait d'avoir un revenu. Elle consistait aussi à la réintégration des ex-soldats dans leurs sociétés d'origine. Les différents acteurs sociaux interviennent donc pour les préparer psychologiquement à affronter les regards quelquefois inquisiteurs des populations. Le procédé se faisait aussi dans l'autre sens, à la direction de la société pour qu'elle les intègre sans heurts majeurs.

La réinsertion des anciens combattants dans la vie civile active est une donnée importante dans la garantie de la stabilité de la société. Leur retour dans un environnement prêt à les accueillir et où ils peuvent jouer un rôle économique, politique et social déterminant nécessite l'établissement d'une société gouvernée par le pluralisme.

II. La promotion du pluralisme et la garantie de l'indépendance de la justice

Une société est dite démocratique lorsqu'elle assure la garantie de la séparation des pouvoirs (A) et où la société civile est assez forte pour assurer un contre pouvoir effectif (B).

A. Garantir l'indépendance de la justice

Une véritable démocratie est une société dans laquelle la séparation des pouvoirs trouve toute son expression. Le Pourvoir judiciaire, garant des libertés individuelles, doit exercer en toute indépendance par rapport aux autres pouvoirs, surtout aux influences de l'exécutif et dans une certaine mesure de l'armée. Le système du Common Law de la Sierra Léone met sur un même pied d'égalité l'Etat et les autres personnes morales et physiques devant les juridictions. La garantie de l'indépendance de la justice est donc indispensable pour assurer l'équité de la justice et le respect des droits et libertés fondamentaux. Cette indépendance dépend fortement de la carrière des juges et des moyens apportés au fonctionnement de l'appareil judiciaire.

Le moyen le plus courant pour s'assurer de la possibilité d'influencer le système judiciaire est de nommer aux postes clés le plus possible de partisans politiques du pouvoir politique en place. De la procédure de nomination et de promotion des juges dépend leur degré d'impartialité et d'indépendance. Il est donc important de s'assurer que les juges soient nommés pour leurs compétences et intégrité que pour des raisons partisanes. En Sierra Léone, la période suivant la fin du conflit était marquée par une suspicion générale au sein de la population par rapport à l'intégrité des juges. La nomination par le Gouvernement d'étrangers à la place des nationaux dans son quota de nomination des juges à la Cour spéciale est le reflet de ce manque de confiance à la fois de la part des autorités de l'Etat que des populations.

Le Conseil national de la magistrature de la Sierra Léone (en anglais Judicial and Legal Service Commission : JLSC) est l'organe chargé de recruter et de nommer les juges dans leurs fonctions. C'est l'organe consultatif pour les avancements, les promotions et constitue l'instance disciplinaire de la magistrature sierra léonaise. Elle est composée de magistrats des cours supérieures (Haute cour de justice, Cours d'appel et Cour suprême), du Président de la république et du Ministre de la justice. La Commission Vérité et Réconciliation préconise l'ouverture de la composition de cet organe à d'autres personnes. Dans son rapport final308(*), la Commission souhaite l'élargissement aux membres du parlement et aux universitaires. Les nominations devraient être transparentes et permettre la participation, fusse-t-elle consultative de la société civile.

Le principe fondamental de la liberté et de l'autonomie du pouvoir judiciaire est l'inamovibilité des juges. Leur maintien dans la profession et leur départ à la retraite ne doivent pas dépendre du pouvoir exécutif. En Sierra Léone, le gouvernement a pour habitude de recruter à nouveau des juges retraités pour qu'ils puissent continuer à servir. Cette pratique est contraire au principe de séparation des pouvoirs et est un risque important pour l'impartialité de ceux-ci. Il est important de faire cesser cette pratique et parallèlement, de renforcer la formation des juges, valoriser leurs salaires (pour assurer ainsi l'attractivité des postes vis-à-vis des Sierra-léonais de l'étranger) et étendre, comme le demande la CVR, leur âge de départ à la retraite à 70 ans.

Il faut aussi assurer la garantie des Sierra-léonais contre l'arbitraire des juges en sanctionnant les fautes professionnelles. Le Conseil de la magistrature qui a été institué en 1991 comme organe disciplinaire des juges n'a pas encore été utilisé à cet effet. Ses compétences consultatives ont supplanté toutes les autres. Il est nécessaire de créer une commission qui se consacrerait aux fonctions disciplinaires pour sanctionner les abus et la corruption des juges et des autres personnes composant l'appareil judiciaire. Pour ce faire il est indispensable d'adopter une base légale sous la forme d'un code de la magistrature. Cette adoption n'a pas encore été faite par le Sierra Léone, ce qui est un handicap dans l'établissement d'une justice libre, indépendante et responsable.

Les juridictions pénales en Sierra Léone hésitent à poursuivre les personnes soupçonnées de détournements et de corruption. Ils ont éprouvé une certaine crainte ou complaisance vis-à-vis les membres du gouvernement, les dirigeants d'établissements publics et les militaires qui commettaient des infractions à caractère économique. La collusion entre le judiciaire et l'exécutif était patente et décrédibilisait encore plus cette institution. Outre la carrière personnelle des juges, c'est la liberté du Pouvoir judiciaire entant que telle qui est mise en cause, du moins au niveau financier car les crédits attribués ne permettent pas aux juges de mener les investigations nécessaires à l'accomplissement efficace de leurs fonctions. Il faudrait garantir une autonomie budgétaire pour permettre à la justice de fonctionner librement. En effet, le budget du pouvoir judiciaire est rattaché à celui du ministère de la justice. Il serait judicieux de procéder à une autonomisation progressive des modes de financement de la justice. Le budget de la justice doit être adopté et exécuté indépendamment de celui du ministère de la justice. Un mécanisme de contrôle devrait exister au sein du Conseil de la magistrature pour parer aux éventuelles irrégularités dans la gestion des crédits.

Du point de vue organique, l'Avocat général en tant que garant de l'intérêt public a des pouvoirs exorbitants dans le déclenchement, la poursuite et la défense de l'action publique. Il a aussi des fonctions consultatives à l'égard du gouvernement et de l'exécutif qu'il conseille sur des questions de droit, toujours dans le respect de l'intérêt public. C'est alors une impérieuse nécessité que de garantir le fonctionnement indépendant des services de l'avocat général. Cependant, l'avocat général tient ses bureaux au ministère de la justice, ce qui l'empêcherait d'agir sans aucune influence politique, aggravant ainsi l'idée selon laquelle l'Avocat général était plutôt le garant de l'intérêt du gouvernement et de ses membres que celui de l'Etat.

B. La redynamisation de la société civile

Il s'agit de réserver une place importante à la liberté d'expression et d'association (2) et à la Commission des droits de l'Homme (2).

1. La Commission nationale des droits de l'Homme

Depuis le début des années 1990, l'Afrique a connu des changements allant dans le sens de la démocratie. L'adoption des lois consacrant la liberté d'expression a profondément redynamisé le secteur associatif. L'on a aussi assisté à la création des commissions des droits de l'Homme. Ces commissions, créées par le pouvoir exécutif, participent à l'émergence d'une véritable culture des droits de l'Homme à travers leurs fonctions pédagogiques, investigatrices et revendicatrices. Indépendantes, elles constituent un moyen de pression efficace vis-à-vis des pouvoirs politique qui seraient tentés de commettre des exactions. Travaillant en étroite collaboration avec les ONG et associations oeuvrant dans le même domaine, elles participent au monitoring national des droits de l'Homme et pourrait recevoir des plaintes/requêtes des individus qui se sentent lésés dans leurs droits.

La Sierra Léone n'a pas eu l'occasion de mettre en place une commission nationale des droits de l'Homme. Elle était dans une situation d'instabilité pendant laquelle les droits de l'Homme n'étaient pas la préoccupation première. La fin du conflit et le retour à une situation de stabilité est une bonne occasion de créer un tel organe pour contribuer à la promotion et à la protection des droits de l'Homme. C'est alors que l'Accord de paix de Lomé a requis la création dans un délai de 90 jours d'une Commission nationale des droits de l'Homme autonome et quasi-judiciaire.

Il a fallu attendre le 26 août 2004 pour que le Parlement adopte une loi établissant une Commission de protection et de promotion des droits de l'Homme. La nomination des membres de la Commission (section 3) obéit à une procédure particulière : le Président de la république demande au ministre de la justice et à l'Avocat général de procéder à un appel à candidatures. La sélection se fait par un panel composé des représentants du Conseil inter religieux, du Forum national des droits de l'Homme, de la société civile, du conseil des chefs traditionnels, du forum national des femmes et du Congrès national des travailleurs. Elle est dirigée par un secrétaire exécutif élu pour cinq ans renouvelables une seule fois. Elle dispose des bureaux dans chaque région pour assurer la proximité.

Comme son nom l'indique, la Commission est chargée de protéger les particuliers des violations des droits de l'Homme et de promouvoir la pratique par les institutions nationales des principes du respect des droits fondamentaux.

Pour exercer ses fonctions, la Commission jouit d'une indépendance organique et financière (art. 14). Elle ouvre des enquêtes de son propre chef ou sur requête d'un particulier309(*), personne physique ou morale. Ses pouvoirs d'investigation sont les mêmes que pour ceux d'une juridiction nationale : elle peut entendre des personnes et requérir des documents officiels310(*). Elle peut, après ses investigations requérir de l'Etat des compensations financières au profit des personnes victimes des violations avérées de l'Etat. La Commission des droits de l'Homme peut assister en tant que amicus curiae311(*) à des procès portant sur la violation des droits de l'Homme. Pour ce faire, la Commission procède à la nomination d'un avocat qui fera part de ses observations sur l'affaire devant la Cour (art. 12).

La Commission peut être consultée par le gouvernement ou le parlement dans la préparation et l'adoption des lois qui touchent de près ou de loin aux droits de l'Homme. La Commission participe à la promotion de la culture des droits de l'Homme en Sierra Léone. Elle organise des colloques, séminaires et sessions de formation au profit des professionnels dans des domaines divers.

Le Secrétariat de la Commission produit chaque année un rapport sur l'état des droits de l'Homme dans le pays. Ses activités d'enquête et de monitoring ne peuvent produire des effets positifs que lorsqu'elle est faite en collaboration avec les associations et autres corporations professionnelles.

2. La liberté d'expression et d'association

La liberté d'expression est l'eau qui alimente le moulin de la démocratie. La culture du débat public, de la tolérance et de la dissémination des idées sont des données fondamentales qui permettent de déterminer le niveau d'ouverture d'une société. L'on peut la définir comme la liberté de dire ce que l'on pense, d'exprimer ses opinions à travers l'écriture, la presse audiovisuelle, l'art, etc. C'est à travers le critère de respect de la liberté d'expression que le niveau de démocratisation d'une société est évalué. La liberté d'association est la liberté dont disposent les citoyens de se lier avec les personnes défendant les mêmes buts ou valeurs. La liberté d'association concerne non seulement les associations proprement dites mais aussi les ONG, les syndicats et autres groupes socioprofessionnels. La liberté d'association est étroitement liée à la liberté d'expression, car, sans cette dernière, l'association entre les opinions communes n'est pas possible. Il convient de les examiner en Sierra Léone sous la coupe de la liberté d'information dont doivent disposer les médias, de l'action de proximité des associations et syndicats et surtout, dans le domaine de la justice, le rôle important à jouer par le barreau.

· La liberté d'information : c'est à travers les médias que l'opinion publique se forme et s'informe. L'accès à l'information est la clé la plus importante dont disposent les citoyens pour avoir à exercer leurs droits civiques de la manière la plus éclairée possible. Mettre en place les bases d'une liberté d'information pour les médias concourt à la démocratisation de la société et au rétablissement de la confiance des populations vis-à-vis des pouvoirs publics et des médias. Le contre pouvoirs ne doit pas seulement exister dans les institutions officielles représentant les trois pouvoirs. Il existe aussi dans la société dite civile à travers le droit à l'information. Cette liberté d'information des médias suppose la liberté de la recherche de l'information. Il s'agit de donner les moyens aux médias de mener des investigations dans le respect de la vie privée et de la sécurité de l'Etat.

· L'action de proximité des associations et syndicats : la Sierra Léone a une grande tradition du syndicalisme. Elle a été l'un des plus importants soutiens des acteurs syndicaux africains lors des luttes pour l'indépendance. L'Université de Fourah Bay, crée en 1827, a fourni dans ce secteur une très grande contribution donnant lieu à une culture syndicaliste qui s'est malheureusement effritée juste après les indépendances. La fin de la guerre civile a marqué un tournant important dans le dynamisme associatif avec, il faut le souligner, l'influence des ONG internationales qui se sont installées dans le pays. Les associations sont réputées être le plus possible en contact avec la population et donc de leurs préoccupations. Des rapports nouveaux doivent être mis en place entre les décideurs et la société civile qui participera à la vie sociale à travers les consultations dans les nominations et le choix des politiques économiques et sociales. Les ONG et associations sont indispensables dans l'équilibre et l'arbitrage entre les pouvoirs d'une part et d'autre part entre les citoyens et l'Etat d'autre part. Le développement durable, la défense des droits de l'Homme et la protection de l'environnement sont leurs principaux champs d'intervention. Des moyens financiers et juridiques importants doivent être dirigés vers la réalisation de ces objectifs.

· L'activité du barreau sierra léonais : le barreau de Sierra Léone a manqué une occasion de marquer se son empreinte l'évolution des institutions. La création de la Cour spéciale a été une raison d'espérer que leur participation soit plus importante. Cependant, des avocats qui ont été impliqués dans le processus juridictionnel, très peu sont Sierra léonais alors que le barreau est richement fourni. Les avocats sierra léonais se sont plutôt illustrés par leur hostilité à l'institution. Ils ont notamment introduit une requête en inconstitutionnalité contre la loi instituant la Cour spéciale. Ils ont, par la suite, démissionné massivement des postes qu'ils occupaient au sein des organes de la Cour, ce qui n'a pas joué en leur faveur. Le rôle de veille que doit jouer le barreau dans une société démocratique est indéniable. Entant que spécialistes du droit, ils ont la responsabilité de promouvoir et vulgariser le droit, d'assister les populations démunies et concourir à la faciliter l'accès de tous à la justice.

Le pari de mettre en place une société respectueuse des droits de l'Homme passe par une ouverture et une démocratisation des institutions publiques. La séparation des pouvoirs doit permettre un équilibre des décisions et la prévention des abus. Cet équilibre doit être surveillé à l'extérieur par une société civile, plus proche des préoccupations des populations et à même de défendre leurs droits. Cette démocratisation permettant le contrôle du respect des droits de l'homme aide à mettre en place les bases de la bonne gouvernance.

Section 2 : Renouer avec la bonne gouvernance

La Sierra Léone, comme la plupart de pays africains, a plus que jamais besoin d'assainir la gestion de ses finances. La bonne gouvernance économique et politique est désormais, avec le respect des droits de l'Homme des critères essentiels pour la mobilisation des moyens financiers de la part des institutions financières internationales. Cette bonne gouvernance suppose une lutte indispensable contre la corruption (I) et la bonne redistribution des richesses (II).

I. L'indispensable lutte contre la corruption

Il s'agit de prévenir les détournements des biens publics par un contrôle strict des comptes (A) et l'établissement de la Commission nationale de lutte contre la corruption (B) pour assurer la répression.

A. Le contrôle des comptes publics

Toute démocratie est dotée d'une institution chargée du contrôle indépendant de l'État, et cette dernière est un élément important de sa structure démocratique. Ce contrôle est défini selon deux modalités, le contrôle proprement dit et l'évaluation. Le contrôle se borne à vérifier la mesure dans laquelle les objectifs d'un programme ont été atteints, ainsi qu'à analyser les moyens employés pour atteindre ces objectifs. Jamais un contrôle ne met en doute les objectifs alors que le principe même de l'évaluation est de poser une critique de l'opportunité des objectifs à atteindre.

Il convient donc de revenir sur les principes de tout contrôle des comptes publics (1) avant de relever le rôle et l'impact du Bureau du vérificateur général de Sierra Léone (2).

1. Les principes généraux du contrôle des comptes publics

Les travaux publics jouent un rôle important dans les économies de tous les pays en développement. Ils absorbent une part importante des ressources publiques, et les infrastructures que finance l'État sont essentielles au développement économique du pays. Vu la nature et de l'ampleur de ces travaux, leur contrôle représente une tâche stimulante et complexe. Il est important que cette tâche soit assurée par un organisme public, indépendant ou non des organes ou instituions qu'il contrôle, que ce soit au niveau du pouvoir central ou décentralisé. Dans la mise en oeuvre des compétences des gouvernements locaux, un audit des comptes et une évaluation des politiques nécessitent une expertise dont ne disposent pas les conseils municipaux. C'est pourquoi la Sierra Léone a opté depuis 2002 pour le recours au cabinet d'audit pour les contrôles et audits dans le domaine de l'enseignement312(*). L'intervention des acteurs de la société civile est aussi importante pour apporter plus de crédibilité et de transparence.

Le contrôle proprement dit des finances publiques se fait, comme nous l'avons dit plus haut en amont et en aval de tout usage financier. Dans la recherche des ressources par l'emprunt, l'Etat Sierra Léonais est soumis au contrôle strict du Parlement qui peut, par une résolution, autoriser le Gouvernement à conclure un accord de prêt pour le financement des opérations publiques. Le Gouvernement ne peut donc recourir à un emprunt en dehors du cadre législatif, car, en effet, l'accord signé doit être déposé au Parlement pour ratification à la majorité qualifiée. Le Gouvernement, par le biais des ministres compétents a le devoir de déclarer les revenus de l'Etat au Parlement, y compris ceux qui proviennent des dons et aides financières des organismes et partenaires internationaux avant de les déposer obligatoirement dans un compte ou des fonds prévus à cet effet.

En aval, l'évaluation des projets, le contrôle ou la vérification doivent respecter des critères importants pour assurer leur efficacité. Il s'agit entre autres d'une indépendance et d'une responsabilité appropriées à l'égard des fonctions de vérification, de l'amélioration de l'efficacité des institutions ou organes de contrôle grâce à la nomination d'employés professionnels compétents, des relations avec des agents d'observation d'autres organismes gouvernementaux afin de garantir un partage des compétences et des idées et de s'assurer qu'ils deviennent plus habiles à déceler les cas de fraude et de corruption, de l'application de procédés adéquats sur le plan financier et d'un suivi adéquat des rapports de vérification, ces rapports devant être techniquement exacts et communiqués d'une manière claire et compréhensible.

Selon l'Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques (INTOSAI), les organes de contrôle ont entre autres pour mission de : « s'efforcer d'améliorer la réglementation des marchés publics afin de garantir que l'on applique et que l'on observe strictement les règles relatives à la concurrence de manière à éviter les cas de fraude et de corruption; veiller à l'existence de mécanismes de financement de manière à garantir que les projets sont mis en oeuvre dans les délais fixés et à éviter les dépassements de coûts qu'entraînent les prolongations de délai; planifier la mise en oeuvre de projets de travaux publics dans le cadre des activités de développement durable, afin de garantir leur utilité sociale; renforcer les mécanismes de contrôle interne efficaces et permanents dans le secteur des travaux publics et de permettre aux institutions de contrôle qui travaillent dans le secteur des travaux publics de recourir au besoin à des spécialistes de l'extérieur313(*) ». Cette vérification épouse deux principales formes : la vérification judiciaire et la vérification intégrée.

· La vérification judiciaire : elle ne se limite pas aux enquêtes en cas d'irrégularité ou de fraude. Elle est sujette à la fois à l'expertise des contrôleurs que des vérificateurs. La compétence de la vérification judiciaire appartient à une juridiction qui pourra l'exercer y compris à l'égard du pouvoir judiciaire. La vérification judiciaire s'attèle à mettre en place des méthodes d'évaluation des risques, des déclarations relatives à l'état des créances et au contrôle interne, à faire des directives au secteur public sur la gestion des risques détectés et les procédures de dénonciation. C'est à partir de ces bases de données établies qu'un éventuel dossier d'instruction peut être mis en place pour être transféré au bureau de l'Avocat général.

· La vérification intégrée : ce sont des vérificateurs qui appartiennent aux institutions soumises à contrôle. Ces vérificateurs généraux jouissent d'une complète indépendance et produisent des rapports à la destination soit du Gouvernement soit du Parlement ou les deux à la fois. Ce mode de vérification a le mérite d'être plus régulier et spécifique, les vérificateurs ne s'intéressant qu'aux entreprises publiques ou organismes déterminés. Elle permettra aussi de maintenir une interaction plus complète avec les clients ou partenaires de ces institutions.

Les principes de vérification appellent à la fois une centralisation et une dose de décentralisation des procédés. La décentralisation intervient au niveau du contrôle intégré avec les administrations locales, les organismes et les entreprises publics. La centralisation concernant les procédés judiciaires et surtout la création d'un organisme indépendant de contrôle des finances publiques. C'est ce que la Sierra Léone a institué dès les premières années de son indépendance.

2. Le Bureau du Vérificateur général de la Sierra Léone

Un an après l'indépendance de la Sierra Léone, le Parlement a adopté une loi de vérification qui institue un organe chargé de contrôler la gestion des comptes publics de l'Etat par le Gouvernement, les entreprises et les établissements publics. Le régime juridique de cet organisme a progressivement évolué jusqu'à l'adoption de la Constitution de 1978 qui fixe ses contours modifiés par la Constitution de 1991 et la Loi sur la comptabilité et les budgets de 1998. Le Bureau du vérificateur national dispose d'une indépendance organique et fonctionnelle qui lui permet de mener sa mission avec efficacité.

· Organisation et mandat 

Le mandat du Bureau général du vérificateur de la Sierra Léone est de vérifier de manière indépendante l'ensemble des activités et opérations financières du gouvernement, des entreprises et établissements publics ainsi que des personnes morales de droit privé ayant reçu des subventions de l'Etat314(*). Le Bureau a l'obligation de produire en temps opportun des rapports au parlement. Le cabinet du président et le ministère des finances sont informés des activités de la Commission avec la possibilité de saisir l'Avocat général en cas de constatation de fraudes ou d'irrégularités.

Le Bureau du vérificateur est organisé au niveau central autour du vérificateur nommé par le Président de la République après consultation du Parlement qui ratifie cette nomination par un vote à la majorité qualifiée. Les quatre sous-vérificateurs qui le secondent dans son travail ont des fonctions principalement administratives, sont chargés des finances et de l'administration, des pensions, des organismes parapublics, et de la formation et de la recherche. Au niveau décentralisé, les bureaux régionaux examinent les comptes des organes décentralisés de l'Etat.

· Indépendance 

L'efficacité du travail du Bureau dépend de son indépendance vis-à-vis de toute influence des trois pouvoirs. Le Président de la République nomme le Vérificateur général qui exerce ses fonctions jusqu'à l'âge de 65 ans. Il peut être démis de ses fonctions avant ce terme pour des raisons motivées et défendues devant le Parlement qui ratifie cette destitution par un vote à la majorité des deux tiers de ses membres article (119 § 14 de la Constitution de 1991). Il exerce ses fonctions à l'écart des de toute influence et ne doit ni recevoir, ni solliciter d'instructions de la part de quelque organe ou personnalité qu'il soit (art. 119 § 6) et est soumis au contrôle d'un comité composé de parlementaires et membres de la société civile.

Le Bureau du Vérificateur général a été transformé en 1998 en Service national de vérification, mais garde ses mêmes attributions. Il a contribué de manière significative à l'assainissement des comptes publics et est un des maillons les plus importants dans la chaîne institutionnelle chargée d'établir la bonne gouvernance aux cotés de la Commission nationale de lutte contre la corruption.

B. La Commission nationale de lutte contre la corruption

En Sierra Léone, à la fin de la guerre, l'on a pris conscience de l'ampleur du règne de la corruption dans la fonction publique. Les « dessous de table » et « cadeaux » étaient monnaie courante dans l'attribution des marchés publics, la délivrance de certains papiers officiels ou même la fourniture des prestations aux usagers de l'Etat. Les pouvoirs publics ont procédé à la création d'une Commission aux pouvoirs importants (1) qui sert d'organe d'instruction dans la répression de la corruption (2).

1. Composition et fonctions de la Commission nationale de lutte contre la corruption

Etait-il nécessaire de lutter contre la corruption par la création d'une Commission ? Plusieurs arguments militent en faveur de ce choix : l'efficacité, la neutralité, l'indépendance d'un organe spécialement chargé d'une mission aussi délicate et essentielle. La corruption est une infraction pénale particulière qui nécessite la mobilisation de ressources financières et humaines importantes pour assurer le bon suivi des affaires. Les juridictions pénales sierra léonaises rencontrent des difficultés à examiner dans des délais raisonnables les affaires qu'elles connaissent. Leur confier des dossiers aussi techniques que la corruption accentuerait la lenteur judiciaire et consacrerait dans certains cas l'impunité. L'établissement d'un organe indépendant qui se consacrerait exclusivement à l'infraction pénale spéciale qu'est la corruption permettrait une spécialisation du personnel et leur focalisation sur des dossiers précis, permettant ainsi une répression efficace.

Les juges sont liés à la fois organiquement et financièrement au pouvoir exécutif, ce qui accentue le risque d'un parti pris et l'impression d'impunité. La création par la loi du 3 février 2000 relative à la lutte contre la corruption de la Commission nationale est une étape importante vers la mise sur pied d'un mécanisme indépendant et équitable de répression de la corruption. Son indépendance organique, politique et financière lui permettra d'agir sans crainte contre les membres du gouvernement ou les autres agents publics ou privés qui se seraient donnés à de telles pratiques.

Le choix d'une commission indépendante plutôt qu'une juridiction pénale correspond à une pratique assez répandue dans les pays africains. Souvent, pour montrer leur bonne volonté et sous la pression des institutions de Bretton Woods, les Etats créent des commissions qui ont souvent peu de pouvoir et d'impact dans l'endiguement de ce phénomène.

L'article 53 de la loi relative à la lutte contre la corruption prévoit que la Commission ne devrait solliciter ni recevoir d'ordres ou de directives de la part de quelque personne que ce soit. L'impartialité de la Commission dépend principalement du mode de désignation de ses membres et de leur nombre. Lorsque la nomination des commissionnaires dépend du pouvoir discrétionnaire d'un seul, il y a risque de complaisance dans la mise en mouvement des actions contre les personnes soupçonnées de corruption. Il est donc important d'impliquer le plus de personnes possible dans le processus de nomination. La nomination des commissaires doit être le résultat d'un consensus entre les trois pouvoirs. En Sierra Léone, la loi de 2000 prévoit en son article 2 (2) que le Président de la République procède à la nomination du président de la Commission après consultation du président de l'Assemblée nationale. Cette consultation est elle obligatoire, facultative, assortie de l'avis conforme ? La loi n'en précise pas la portée. C'est une lacune considérable car, le Président peut nommer une personne de son choix sans contre pouvoir efficace en face pour suffisamment tempérer son pouvoir discrétionnaire.

Deux autres données importantes pour assurer l'indépendance et l'efficacité d'une commission sont le nombre des commissionnaires et leur mandat. La loi de 2000 met en place une Commission dans laquelle seuls le président et le vice-président exercent un pouvoir effectif et disposent des avantages et immunités liés à leur rang. Leur mandat est de cinq ans renouvelables autant que nécessaire. Il aurait fallu instituer un principe d'inamovibilité du président de la Commission, car, celui-ci, pour conserver son poste risquerait de vouloir plaire au Président en étant indulgent envers lui ou ses proches pour conserver sa fonction au bout des cinq années que dure le mandat.

Enfin, il est important de souligner que l'une des raisons de la prospérité de la corruption en Sierra Léone et dans les autres pays de la région est la faiblesse du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Les agents de la Commission nationale de lutte contre la corruption doivent échapper à cette contrainte. Assurer aux commissionnaires une rémunération importante les mettrait à l'abri des tentations et permettrait de les rendre plus indépendants des éventuels corrupteurs. Le Parlement devrait prendre en compte cet aspect important dans le vote du budget et du salaire des membres de la Commission.

La principale fonction de la Commission nationale de lutte contre la corruption est de mettre en oeuvre au plan national la lutte contre la corruption (article 4). Elle est chargée de mener sur tout le territoire de la Sierra Léone une campagne de lutte contre la corruption ; cette campagne ayant pour but d'informer et de sensibiliser les populations et les fonctionnaires sur les pratiques de corruption ou les risques que cela a sur le développement du pays. La Commission peut être consultée par les membres des gouvernements (central et régionaux) sur les questions relatives à la corruption. Outre ces fonctions pédagogiques et consultatives, la Commission intervient aussi au niveau répressif en étant l'organe d'instruction des affaires relatives à la corruption.

2. Une intervention importante dans la procédure de répression pénale de la corruption

La loi de 2000 sur la corruption définit la corruption comme le fait pour un agent de l'Etat d'accepter ou de solliciter un avantage matériel ou financier en échange d'une prestation ou abstention dans l'exercice de ses fonctions (art. 8 § 1). Cette prestation ou abstention doit être le résultat exclusif de cet avantage apporté par le corrupteur. La répression de la corruption en Sierra Léone dépend de l'autorité judiciaire qui agit avec l'aide de la Commission de lutte contre la corruption qui sert d'organe d'instruction par l'ouverture et la poursuite de l'enquête préparatoire.

· Le pouvoir d'ouvrir l'enquête : la commission nationale de lutte contre la corruption a le pouvoir d'ouvrir une enquête sur tous les actes de corruption avérés qui lui parviennent. Il n'est pas nécessaire qu'une plainte soit déposée pour ouvrir une telle enquête, car, au regard de l'article 5 de la loi, il suffit d'une simple suspicion de corruption pour l'ouvrir. La Commission peut donc examiner les comptes et pratiques des ministères et établissements publics pour s'assurer de leur régularité et faire des recommandations possibles.

· Le pouvoir de mener l'enquête : pour mener une enquête, la Commission dispose des mêmes pouvoirs, privilèges et immunités que la Haute Cour. Elle peut donc convoquer et entendre les témoins sous serment, exiger la production des documents et autres éléments de preuve, y compris ceux qui se trouvent à l'étranger. La Commission a le pouvoir de saisir les documents, livres et registres des comptes des sociétés, ministères et établissements publics soumises à enquête (article 16). Les personnes soumises à enquête peuvent être soumises à des restrictions de la liberté d'aller et venir315(*) et du secret bancaire (article 20). Ils doivent procéder à une déclaration de revenues (art. 17) et donner des explications sur toutes les opérations financières et bancaires exécutées par elles pendant la période incriminée. Ces dispositions touchent aussi les membres de leur famille et proches. La Commission peut aussi demander l'arrestation et la mise en détention préventive d'un suspect. Celui-ci est incarcéré dans un établissement pénitentiaire et peut demander par le biais de son avocat une libération conditionnelle auprès de la Haute Cour. Ces pouvoirs exorbitants sont garantis par al répression sévère de l'obstruction au mandat de la Commission316(*) qui est punie de peines pouvant aller jusqu'à 30 millions de leones (760 € environ) et 5 ans de prison (art. 20 et 32). Les pouvoirs de la Commission sont un challenge pour les libertés fondamentales des citoyens. Ils sont soumis au respect des règles du due process of law, telles que définies dans le Code de procédure pénale de 1965. Les suspects ont ainsi droit à l'assistance obligatoire d'un avocat, au respect des droits de la défense et à la présomption d'innocence. Les preuves recueillies de manière irrégulière par la Commission sont d'office exclues lors de l'examen de l'affaire au fond.

· Le relais du ministère public : lorsque la Commission a terminé son enquête et juge que les preuves sont suffisantes pour déclencher des poursuites pénales, elle fait un rapport au Ministre de la justice et à l'Avocat général qui prennent les dispositions adéquates. L'Avocat général peut demander des informations complémentaires à la Commission avant de saisir une juridiction pénale (la Haute cour de justice pour les prévenus civils et le Conseil de la magistrature pour les prévenus issus du corps de la magistrature). Les procès sont, conformément au Common Law de caractère accusatoire et peuvent déboucher sur des condamnations sévères. La condamnation peut être privative de liberté et/ou pécuniaire. L'article 40 de la loi prévoit des peines de prison allant jusqu'à 7 ans et des amendes pouvant égaler le double des sommes ou de l'estimation des avantages obtenus par le corrompu.

La lutte contre la corruption est la cheville ouvrière de la restauration de l'Etat du point de vue économique. C'est un axe important de la justice sociale à laquelle doit aspirer tous les citoyens qui ont le droit de bénéficier, de manière équitable, à la redistribution des richesses nationales.

II. Une redistribution équitable des richesses nationales

La justice à faire valoir dans une société en reconstruction post-conflictuelle, comme nous l'avons déjà mentionné doit être intégrale. Il s'agit, en effet, d'instituer une justice pénale pour les victimes des violations graves des droits de l'Homme et surtout de préparer la société à vivre en paix dans le futur. La fiabilité de cette paix dépend de la qualité de la justice sociale dont les différentes réformes de l'Etat sont en mesure de mettre en place, qu'il s'agisse de la gestion de l'exploitation des ressources naturelles (A) ou de la redistribution équitable des richesses à travers la décentralisation (B).

A. La gestion des ressources naturelles

La fin de la guerre et la signature de l'Accord de paix de Lomé a consacré la création de la Commission nationale des ressources stratégiques (1) qui est un élément indispensable dans la mise en oeuvre effective du Processus de Kimberley (2).

1. La Commission nationale des ressources stratégiques

L'Accord de paix de Lomé fait partie des accords de cessez-le-feu les plus critiqués par les observateurs. Considéré comme un blanc seing pour les criminels de guerre, il a pourtant eu le mérite de faire espérer - il est vrai pour quelques mois seulement - un retour à une paix stable. C'est un modèle de participation d'un groupe rebelle, transformé en parti politique, à la vie socio politique.

Foday SANKOH, Prédisent du RUF était revenu de Lomé avec le poste de Vice-Président de la République et surtout le porte feuille hautement important de Président du Conseil de la Commission nationale de gestion des ressources naturelles stratégiques317(*). C'est quelques jours après la ratification de la loi, le 23 juillet que le Parlement vote la loi établissant ladite Commission. Cette loi régie le statut, les fonctions et les pouvoirs dont elle dispose pour contrôler la gestion des ressources naturelles précieuses qui sont stratégiques pour la sécurité de l'Etat sierra Léonais.

La Commission est dirigée par un Comité de dix membres dont le Président du RUF, deux membres nommés par le Président de la République, deux par le RUF, trois issus de la société civile et deux autres par les partis politiques non partis à l'Accord de Lomé (art. 3). Ce Comité exerce des fonctions règlementaires, contentieuses et consultatives.

Parmi les fonctions consultatives, elle fournit des rapports au Gouvernement et le conseille sur des contraintes de sécurité dans les régions qui abritent les mines d'extraction d'or, de diamant et d'autres ressources précieuses. La Commission assiste le gouvernement dans la mise en oeuvre de la loi de 1994 sur l'exploitation des ressources minières et les concessions d'exploitation signées avec les entreprises internationales.

Au point de vue règlementaire, la Commission autorise toutes les exportations de diamants, or et autres ressources naturelles dont l'exploitation a une influence sur la sécurité de l'Etat. A ce titre, elle participe à la négociation et à l'attribution des parts de marché et des concessions aux entreprises nationales et internationales. Etant donné que l'Etat dispose d'un monopole pour exporter les pierres précieuses, elle est chargée de mettre en place un processus de certification et de sanction des violations de ce monopole, y compris dans le domaine de l'exploitation artisanale qu'elle doit aussi réguler. Pour des besoins de transparence, toutes les décisions, homologations et rapports de la Commission doivent être publiés au Journal Officiel conformément à l'article 9 de la Loi.

L'Accord de paix de Lomé a entraîné dans son échec la plupart des institutions qui en découlaient. La Commission des ressources naturelles stratégiques n'a pas survécu à la fuite du SANKOH318(*). Cependant, c'est un outil indispensable dans la protection des intérêts de l'Etat et dans la transparence de la gestion des ressources naturelles. La réactivation d'un tel organisme ou la création d'une nouvelle institution est nécessaire pour ne pas laisser entre les seules mains du Gouvernement l'exploitation des principales recettes financières de l'Etat. C'est un préalable à la concrétisation de la mise en oeuvre de la certification requise par le Processus de Kimberley.

2. Le respect du Processus de Kimberley

Les Nations unies se sont longtemps inquiétées de la menace que consistait l'exploitation illégale des diamants pour la paix et la sécurité internationales. Les premières restrictions ont été entreprises par le Conseil de sécurité sur les importations des diamants provenant de l'Angola en 1998. Seuls les diamants ayant suivi un processus de certification internationale peuvent légalement être vendus sur le marché international. C'est sur ces bases que le Conseil de sécurité a voté les sanctions contre la Sierra Léone, le Libéria et la République Démocratique du Congo.

Le Processus de Kimberley est le produit des pressions faites par la communauté internationale sur l'Afrique du Sud et les pays d'Afrique Australe sur le contrôle des exploitations de diamants. Lancé en 2000, le Processus compte aujourd'hui 44 Etats319(*) (et l'Union Européenne) importateurs et exportateurs de diamants, qui représentent 99 % de l'exploitation mondiale des diamants, et qui ont signé en novembre 2002 un engagement de respecter ce mode de certification dans leurs pays.

Le principal engagement du Processus de Kimberley est celui de ne pas importer ni exporter, encore moins servir de transit aux diamants des pays ou vers les pays n'ayant pas adopté le processus de certification internationale reconnu en Suisse le 5 novembre 2002. Ce processus permettra d'éviter d'une part que les ressources minières soient détournées au profit des individus, et d'autre part, ce qui est le plus important, qu'elles ne servent plus à financer l'achat d'armes et des munition qui alimentent les conflits.

La Sierra Léone est membre du sous-groupe pour les extractions alluviales et coordinateur pour l'Afrique de l'Ouest du Processus de Kimberley. En 2001, pendant que le pays était encore sous l'effet des sanctions des Nations unies, le gouvernement sierra léonais a suspendu pour trois mois toutes les exportations de diamants pour mettre en oeuvre sa législation avec le Processus. Deux années plus tard, le Conseil de sécurité a observé avec satisfaction que le processus de certification pouvait permettre le contrôle de l'exploitation des ressources diamantifères et a levé l'interdiction de l'exportation des diamants. La mise en oeuvre de ce processus permet, comme le rappelle l'ambassadeur PEMAGBI de « mettre sur pied des mécanismes efficaces aux niveaux national, régional et international pour garantir que les bénéfices tirés du commerce de ces pierres précieuses profitent pleinement aux populations des pays producteurs de diamants320(*) ».

La Sierra Léone est à l'avant-garde de l'harmonisation des législations au niveau sous régional entre les pays de la Mano River (Libéria, Sierra Léone et Guinée). Cette harmonisation était indispensable, car malgré les contrôles stricts aux frontières, des grandes quantités de diamants sierra léonais et libériens traversaient encore les frontières vers la Guinée qui n'était sous aucune interdiction. Ces efforts ont permis à la Sierra Léone de passer de 10 millions de dollars en 2000 à 142 millions en 2005. Ces ressources non négligeables lui permettront de mobiliser des crédits pour le financement des projets de développement local.

B. Le rôle de la décentralisation dans la redistribution des richesses

La tradition administrative de la Sierra Léone emprunte beaucoup à l'administration coloniale britannique. Le gouvernement s'appui sur les leaderships locaux pour asseoir son autorité et faire appliquer les lois et règlements. Depuis l'indépendance, l'architecture organique de l'administration a peu évolué avec la conservation des chefferies traditionnelles, les villes à statut particulier et districts. La Local Government Act de 2004 réaffirme l'attachement de la Sierra Léone à cette tradition et perfectionne l'harmonisation de cette pratique administrative en accordant aux conseils locaux et régionaux des pouvoirs importants dans l'exécution des nouvelles compétences qui sont les leurs.

La Sierra Léone compte 19 Conseils régionaux ou locaux321(*) qui eux-mêmes sont divisés en 34 chieftancies. Ces Conseils sont dirigés par des gouvernements locaux de 12 membres au moins322(*) élus au suffrage universel pour 4 ans. Le gouvernement local est la première autorité politique et administrative au niveau local. Ayant à sa tête un président élu parmi les membres, c'est le lien entre la population et le gouvernement central, le président du gouvernement local représente le Président de la république et les ministres. Il est chargé de poursuivre les objectifs gouvernementaux et veiller à l'exécution des lois. Officier de police judiciaire, il concoure à la prévention et à la répression de la délinquance eu niveau local.

Selon la loi sur les gouvernements locaux de 2004, ceux-ci ont pour mission de « promouvoir le développement local », assurer la redistribution des richesses nationales en mettant en oeuvre des projets financés par les ressources budgétaires de l'Etat et issus des impôts, taxes et redevances locales323(*). Le rôle des gouvernements locaux dans la redistribution des richesses et l'efficacité gouvernementale s'examine par le biais des pouvoirs à eux octroyés par la loi, des ressources dont ils disposent et du contrôle qu'exerce le gouvernement central sur eux.

· Le pouvoir législatif et règlementaire des gouvernements locaux 

Les gouvernements locaux sierra léonais ont, sous réserve du respect de la Constitution, la compétence de légiférer (les lois émanant des Gouvernements locaux seront nommés ci-après bye laws) dans les domaines du commerce et du développement de la région de leur ressort. La loi de 2004 (art. 90 § 2-a) précise que ces bye-laws peuvent concerner les infractions pénales. Ce sont en effet des peines ne pouvant excéder 500 000 leones (125 € environ) et les peines de prisons de six mois au maximum. Le gouvernement peut aussi infliger des amendes de 5 000 leones par jour pour des récidives et ce, quelque soit le montant de l'amende finale.

Au niveau économique, les gouvernements locaux légifèrent sur les taxes et les plans de développement locaux. Trois mois avant la fin de chaque exercice, ils déterminent l'assiette, le taux d'imposition et les contribuables pour toutes les taxes locales. Dans la préparation du budget annuel de la région, les gouvernements locaux approuvent les plans de développement locaux après consultation des résidents de leurs régions, des agences gouvernementales, des ONG ou organisations internationales qui ont intérêt à travailler dans la région en question. Pour ce faire, et comme l'article 86 de la loi le prévoit, un comité technique doit être mis en place pour concevoir les projets et les soumettre à l'Assemblée plénière du gouvernement local.

Les gouvernements locaux prennent des textes à caractère réformateur : si une coutume ou tradition locale entrave le développement de la localité, le gouvernement a le pouvoir de l'abolir ou de la réformer en adoptant une bye-law après consultation des autorités traditionnelles de la région (article 94). Un contentieux peut être ouvert devant le ministre de tutelle.

Les textes des gouvernements locaux ayant force de loi sont soumis à une procédure de validation originale : après adoption de la loi locale, elle est transmise au ministre dont l'objet de la réglementation fait partie du champ de compétences. Celui-ci saisit l'Avocat général pour consultation sur la constitutionnalité de la bye-law (article 92-2). Dans le cas où cette dernière est jugée anticonstitutionnelle, le ministre la retourne au gouvernement local dans les 90 jours avec ses observations ; elle est réexaminée selon la même procédure en tenant compte des observations. Si la loi est jugée constitutionnelle, elle est retransmise au chef du gouvernement local qui y appose un contreseing et la dépose au bureau du Parlement qui la publie au journal officiel (art. 92-4) en Anglais ou dans les autres langues de travail du gouvernement local324(*).

Impliquer les gouvernements locaux dans la prise des décisions de validation des projets permet de rapprocher les politiques gouvernementales des populations. C'est aux Gouvernements locaux de choisir les projets qui leur semblent prioritaires et qui permettent de redistribuer eu mieux les richesses nationales, sources de financement des projets.

· Les sources de financement des projets locaux 

''Local councils shall be finnanced from their own revenue collections, from central government grants for devolved functions and from transfers for services delegated from Government Ministries325(*).»

Il ressort de ce qui précède que les sources de financement des projets locaux sont directes ou indirectes. Les sources directes concernent les sommes qui peuvent être collectées directement. Il s'agit, selon l'article 45 (4) des taxes locales, de la taxe d'habitation, des redevances issues des licences d'exploitation accordées aux entreprises exerçant dans les régions, les frais de timbres locaux et les intérêts des dividendes des investissements opérés par les gouvernements locaux326(*). Les gouvernements locaux ont la possibilité de contracter des prêts auprès des ministères après consultation du ministère des finances.

Les ressources indirectes sont celles qui proviennent du Gouvernement central, soit par le budget national, soit par transfert de crédits ou alors par redistribution des revenus issues des ressources naturelles. Au début de chaque exercice budgétaire, le Parlement vote une quote-part qui doit être versée aux conseils régionaux de manière équitable (art. 46). Cette quote-part est complétée par la redistribution des ressources issues de l'exploitation des richesses minières (art. 45 § 4-d et 60). Les transferts de crédits proviennent des délégations de projets par le Gouvernement central. Un ministre peut, après consultation de l'Avocat général, déléguer un projet ou une mission gouvernementale au conseil régional. Celui-ci obtient alors le financement adéquat de la part du ministère. Un rapport moral et financier sanctionnera la fin des travaux.

· Les rapports avec le gouvernement central 

Le gouvernement central exerce sur les conseils régionaux un contrôle de tutelle administrative et financière. Le contrôle administratif consiste en la validation de certains accords (prêts, délégations de fonctions de la part d'une agence gouvernementale, investissements et bye-laws). Les ministres ont le pouvoir de réformer leurs décisions après avis motivé de l'Avocat général. Le contentieux de l'abus de pouvoir peut se faire devant la Haute cour qui siège en premier ressort.

Le Président de la république peut, pour une période de 90 jours maximum, personnellement ou par délégation, exercer les fonctions de chef du gouvernement local après un vote des deux tiers des députés. Cette administration directe peut provenir de la volonté du conseil régional qui, en situation de crise en appelle au Président pour nommer un gouvernement local transitoire. Elle peut aussi provenir de la constatation des abus de pouvoirs répétés de la part du président du gouvernement régional ou encore du prononcé des circonstances exceptionnelles (art. 100).

Au point de vue financier, le Comite des finances régional est chargé de contrôler l'exécution des dépenses et la réalité des travaux sur le terrain. Il est constitué de tous les chefs de gouvernements régionaux et est dirigé par le ministre des finances.

La Sierra Léone a mis sur pied une organisation administrative originale. Pour des besoins d'efficacité, les chefferies traditionnelles héréditaires ont été maintenues et leur pouvoir accru en matière d'exécution des lois et résolutions publiques ainsi que le maintien de l'ordre. Celles-ci participent à la vie sociale et économique de part leur place importance dans les différents organes consultatifs pour la mise en oeuvre des projets locaux. Les gouvernements des conseils régionaux sont quant à eux élus et représentent la vraie voix du peuple. C'est eux qui choisissent les projets prioritaires en accord les chefs, les exécutent et font des rapports au gouvernement central qui est chargé de donner des orientations générales et de coordonner les différentes politiques locales. Une telle organisation administrative suppose l'application des textes et le contrôle de l'autorité judiciaire. La publication des revenus des membres des gouvernements locaux (art. 106) au même titre que ceux du gouvernement central est un premier pas vers la moralisation de la vie publique, aussi bien au sommet de l'Etat qu'au niveau local.

La Sierra Léone avait besoin de la redéfinition du contrat social liant les citoyens entre eux et de la mise en place d'un nouveau pacte républicain liant les citoyens et ceux qui les gouvernent. Avant cela, le tissu social devait être ressoudé et dépourvu de suspicions, rancoeurs et violences. la CVR a servi d'exutoire pour ceux qui avaient besoin de parler de leurs souffrance et de faire connaître les préoccupations et besoins. Elle a servi à donner aux victimes une place importante dans le processus de réhabilitation. Ils ont bénéficié de toute l'attention des membres de la Commission qui a préconisé des recommandations et politiques spéciales à leurs profit. La mémoire des victimes décédées a été honorée par des cérémonies traditionnelles et religieuses. Certains perpétrateurs on eu la possibilité de se réconcilier avec les victimes, complétant ainsi le travail de ma Cour spéciale. Au point de vue politique, la démocratisation de l'Etat et la promotion de la bonne gouvernance sont des motifs d'espoir pour une société en reconstruction post-conflictuelle dont les contours méritent un examen encore plus approfondi.

CONCLUSION GENERALE

L'étude d'une société en reconstruction post conflictuelle nécessite le recul suffisant pour observer les faits, analyser les données et interpréter les résultats des hypothèses. Comme nous l'avions fait remarquer au début de notre étude, le processus de rétablissement de l'Etat de droit dans une société en reconstruction post conflictuelle est gouverné essentiellement par le principe de justice. Justice pénale pour les victimes et contre les criminels, justice réparatrice pour l'ensemble de la société, dont la cohérence et les interactions doivent être rétablies. Répondre aux dilemmes et contradictions que représentent les caractéristiques d'une société en fin de conflit suppose la prise en charge non seulement des données personnelles, mais aussi et surtout collectives pour harmoniser et arbitrer les intérêts de toutes les couches sociales.

Le premier dilemme est organique : à qui faire confiance pour rétablir l'équilibre dans une société ? Quelle est l'institution, l'organe ou la personnalité susceptible d'identifier et de mener à bien les objectifs de la nouvelle société ? La société sierra léonaise, en crise d'identité après 10 ans de conflit, a besoin d'être rassurée, de reconstruire les bases du lien social et du vivre ensemble. La mise en place des mécanismes de justice transitionnelle nécessite l'existence d'une autorité publique légitime. Cette autorité peut être consensuelle et chargée exclusivement de mener le processus transitionnel à terme327(*). Il peu aussi, comme c'est le cas de la Sierra Léone, s'agir d'un pouvoir démocratiquement élu qui, en plus des autres fonctions régaliennes l'Etat, se charge du processus de rétablissement de l'Etat de droit.

Le rétablissement de l'ordre constitutionnel choisi par la Sierra Léone dès les premiers mois de la transition a produit des résultats positifs dans la stabilisation de la société. Pourtant il y avait un risque encore important d'instabilité. En effet, rétablir dans les fonctions de Président Ahmad Tejan KABBAH était un parti pris qui suscitait un certain nombre de questions fondamentales. Ce dernier ne disposait pas d'une puissance militaire suffisante pour rétablir son autorité sur tout le pays, son influence se limitant à Freetown et à sa périphérie. Le reste du territoire, y compris les régions d'exploitation des ressources stratégiques, étaient aux mains du RUF/AFRC. Pour combler ce déficit, la mise en place d'une imposante Mission des Nations unies a permis de rétablir la sécurité et d'instituer des projets alternatifs au conflit.

Le choix organique doit obéir au plan interne à une double légitimité : la légitimité élective et la légitimité par la proximité. Les institutions jouissant de la légitimité élective sont ceux dont la création découle plus ou moins directement d'un processus de consultation. Le Président de la République, son gouvernement et le Parlement appartiennent à cette catégorie. Les institutions de justice transitionnelle comme la Cour spéciale et la Commission vérité et réconciliation, crées respectivement à l'initiative du Gouvernement et du Parlement obéissent à cette logique. Parmi les acteurs, la légitimité par de proximité concerne tous les acteurs associatifs. Les ONG et associations tirent leur légitimité d'action de leurs rapports étroits avec la population et les groupes dont ils défendent les intérêts. Ne pas les inclure dans une dynamique décisionnelle serait peu bénéfique pour le succès des réformes à engager.

Le second dilemme est processuel : quel processus doit ont mettre en oeuvre pour reconstruire la société et fonder les bases d'un nouveau vivre ensemble ? Pour rendre justice aux victimes, punir les violations des droits de l'Homme et prévenir de tels abus dans le futur, fallait-il pour les sierra léonais choisir entre la mise en ouvre effective de l'Accord de paix de Lomé, c'est-à-dire octroyer l'amnistie aux perpétrateurs d'atrocités et promouvoir la réconciliation ou alors écarter les clauses amnistiantes pour entamer un processus pénal ? La question à laquelle il fallait trouver des réponses était celle de savoir si la justice et la réconciliation étaient conciliables. En effet, les objectifs de justice et de réconciliation ne sont pas inconciliables, mieux, l'un ne peut valablement exister sans l'autre. Si l'effet principal de la justice pénale est la punition, son objectif est de permettre aux perpétrateurs d'assumer leurs actes, aux victimes d'être reconnues et à la société d'espérer une stabilisation. La justice n'est pas que strictement pénale, elle est aussi réparatrice en permettant des mécanismes secondaires de responsabilité.

Le retour des ex-combattants dans leurs régions d'origine, la prise en compte des besoins des victimes et la punition de ceux qui portent la plus grande responsabilité dans les crimes est une composition originale dont les résultats ont permis aux Sierra léonais de renouer avec la paix et une certaine justice sociale. La société sierra léonaise étant éminemment consensuelle, tous les procédés considérés comme facteurs de division du pays comme la lustration ou le vetting ont été écartés pour laisser la place à la formation et à la sensibilisation, plus propice à la responsabilisation de la société.

Le rétablissement de la démocratie, de la sécurité et de l'Etat de droit dans une société en reconstruction, en plus d'être soumis à des dilemmes est aussi une question d'intransigeances. Des intransigeances relatives aux principes fondamentaux qui doivent gouverner les politiques mises en place dans ce cadre. Les droits de l'Homme et les traditions constituent cette base fondamentale sur laquelle s'appuient les décisions publiques. Pas les droits de l'Homme de manière exclusive, ni les traditions sans prise en compte de l'ensemble des principes fondamentaux qui gouvernent les sociétés humaines. L'esprit de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples dont le préambule reconnaît la prise en compte « des traditions historiques et des valeurs des civilisations africaines qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions ( ...)328(*) » est révélatrice de l'arbitrage nécessaire qui doit exister entre les valeurs traditionnelles africaines et les droits de l'Homme qui sont considérés, à tort ou à raison, de conception éminemment occidentale329(*).

La justice transitionnelle permet de mettre en place un certain nombre de mécanismes répressifs et préventifs dans le domaine du droit et de la sécurité de l'Etat et des personnes. La répression, les réparations et la réconciliation sont les maîtres mots de cette entreprise, la consolidation de ces acquis et leur pérennité appelant un certain nombre de réformes dans les appareils de l'Etat. La bonne gouvernance politique et économique fonde le développement des pays en transition, apportant ainsi une alternative à la violence comme moyen d'expression, de conquête politique et d'accumulation de richesses. La redistribution équitable du produit issu de l'exploitation des ressources naturelles par l'implication des acteurs locaux dans l'adoption et la mise en place des politiques de développement, l'assainissement des comptes publics et la lutte contre la corruption concourent à cet équilibre étatique.

La Sierra Léone s'est inspiré de plusieurs modèles de justice transitionnelle pour mettre en place la Cour spéciale et la Commission vérité et réconciliation. Mais, elle a fait preuve d'originalité dans la conception et le mandat de ces deux institutions. La Cour spéciale a emprunté aux TPIR et TPIY leur Règlement de procédure et preuves ainsi que leurs spécialistes et juristes. Elle y a ajouté la législation interne, en incriminant sur la base des lois nationales330(*), et les juges nationaux qui siègent aux côtés des internationaux. C'est la remarquable expérience d'une Cour hybride dont le principal mérite est de siéger sur les lieux où les atrocités ont été commises, permettant ainsi aux populations de s'approprier le processus de répression des crimes de guerre qu'elles ont subis. A l'état actuel de son processus, nous pouvons tout de même regretter la faiblesse des moyens dont elle dispose, notamment le manque des pouvoirs relatifs au Chapitre VII de la Charte des Nations unies et la faiblesse de ses moyens financiers qui ont considérablement ralenti le cours des procès. Les affaires sont encore en jugement alors que deux des principaux accusés sont décédés331(*).

La Commission vérité et réconciliation a quant à elle pris en compte les différentes modalités de gestion des conflits des peuples sierra léonais. Les rituels traditionnels de réhabilitation, de purification et d'hommage aux morts et les procédés plus classiques d'audition et d'enquête ont débouché sur un rapport qui fixe les principaux enjeux de la consolidation de la paix en Sierra Léone. Chose inédite, la CVR et la Cour spéciale ont commencé leurs mandats presqu'au même moment. Le manque de précisions dans leurs statuts respectifs quant aux échanges éventuels d'informations a laissé planer un doute sur les objets des deux institutions et a freiné l'enthousiasme des populations à coopérer avec l'une ou l'autre. Il serait opportun, dans le cadre de mise en place d'institutions de justice transitionnelle, d'anticiper et de préciser les rapports entre une cour et une commission de vérité.

Les institutions de justice transitionnelle ont permis de poser les jalons de la future société sierra léonaise, des avancés considérables étant obtenues dans la confiance des populations vis-à-vis de leurs institutions publiques, dans la reconstruction du tissu social et le rétablissement de la démocratie. Malgré tout, la société et l'Etat sierra léonais restent encore fragiles. Fragiles à cause des contraintes politiques, économiques, culturels et sécuritaires. Dans la sous région d'Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire et le Libéria sont, chacun à sa manière entrain de renouer avec la stabilité pendant que la Guinée montre des signes de faiblesse. Plus loin dans la région des Grands lacs, le Burundi, le Sud Soudan, la République Démocratique du Congo et l'Uganda sont entrain de sortir progressivement su cycle de la violence. Ce sont là des exemples qui sont loin de ne pas susciter des intérêts scientifiques.

Tout au long de cette étude, nous avons essayé de présenter des mécanismes de justice transitionnelle, c'est-à-dire les principaux procédés à mettre en oeuvre pour assurer une sortie de crise fiable et durable. Cependant, environ 45% de pays qui sortent d'une crise plus ou moins grave retombent dans les travers de la violence moins de cinq ans après la fin du conflit332(*). Les causes de cette rechute sont plus à rechercher dans la période d'avant le conflit que celle qui a suivi la guerre, car les guerres sont le résultat de la fragilité d'un Etat, cette fragilité s'évaluant à travers un certain nombre de critères. Les clés de la compréhension et de la gestion des problèmes posés par une situation post-conflictuelle résident donc dans une analyse complète de la situation de stabilité qui a précédé le déclenchement de la guerre. Comprendre que les Etats en guerre aujourd'hui ont été fragiles avant le conflit et le seront après, détecter dans les sociétés en reconstruction post-conflictuelle des signes de fragilité permettront d'anticiper et de réduire les risques de transformation d'une crise éventuelle en une guerre effective.

Notre propos occupe donc une position médiane entre deux types de fragilités : la fragilité dite primaire, celle qui précède le déclenchement de la guerre et la fragilité secondaire, qui vient après la transition. Ces deux types de fragilité présentent des caractères similaires, même si les conclusions ne sont pas les mêmes. Cette étude a vocation à être poursuivie, d'abord pour les questions relatives à la justice transitionnelle qu'elle n'a pu aborder ou approfondir, notamment en ce qui concerne la réinsertion des enfants soldats, l'assainissement des institutions de la police et de l'armée, le de la réparation symbolique dans la réconciliation, les diverses dynamiques de la réparation et de la réhabilitation, le rôle des Nations unies et des ONG, etc. Ensuite, du fait qu'elle est consacrée à l'analyse d'une situation en cours, notre étude est soumise à l'évolution de la situation du pays. Que ce soit au niveau de la Cour spéciale, notamment avec le décès de Hinga NORMAN et les délibérations qui se terminent ou de la situation politico institutionnelle du pays avec les prochaines élections, la fin de la Mission des Nations unies et la création de nouvelles institutions de gestion du pays. Enfin, ce travail est susceptible d'être complété par une analyse plus exhaustive des indicateurs de la fragilité de l'Etat et de la recherche des solutions à mettre en oeuvre pour endiguer l'évolution vers la violence. INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES333(*)

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· Résolution 827 du Conseil de Sécurité des Nations Unies de 1993 établissant le TPIY

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· Centre International pour la Justice Transitionnelle : www.ictj.org

· Commission Vérité et Réconciliation: www.trcsierraleone.org

· Cour Pénale Internationale: www.icc-cpi.org

· Cour spéciale pour la Sierra Léone: www.sc-sl.org

· Human Rights Watch : www.hrw.org

· Organisation des Nations Unies : www.un.org

· Recueil des lois de la Sierra Léone: www.sierra-leone.org/laws.html

· Réseau Africain de Recherche sur la Justice Transitionnelle : www.transitionaljustice.org

· Sierra Leone Court Monitoring Programme: www.slcmp.org

* 1 Il a ainsi été le cas de Pinochet et de l'abrogation en Argentine de la loi d'amnistie qui couvrait les anciens dictateurs. L'on a aussi assisté à des actions intentées contre Hissen Habré, mais sans obtention des effets escomptés.

* 2 Résolution 827du Conseil de Sécurité (1993) créant le Tribunal Pénal International pour l'Ex-Yougoslavie (TPIY) et la résolution 955 (1994) pour le Tribunal pénal International pour le Rwanda (TPIR).

* 3 Statut de la Cour Pénale Internationale (CPI) du 17 juillet 1998.

* 4 Estimation de l'UNICEF (Fonds des Nations unies pour l'enfance) en 2004: 5 336 000 habitants.

* 5 L'ECOMOG (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group, ou Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Communauté Economique d'Afrique de l'Ouest), la force ouest africaine d'interposition composée en majorité de soldats nigérians et guinéens aurait commis des exactions lors de leur entrée à Freetown en 1998 (voir le rapport de Human Rights Watch, «"We'll kill you if you cry " : sexual violence in the Sierra Leone conflict », vol. 15 N°1(A), janvier 2003)

* 6 RUF: Revolutionnary United Front de Foday SANKOH.

* 7 Foday SANKOH était vice-président de la république et président du Comité national de gestion de ressources stratégiques.

* 8 L'article 9 de l'accord prévoit le vote d'une loi qui devait garantir "an absolute and free pardon and reprieve to all combatants and collaborators in respect of anything done by them in pursuit of their objectives, up to the time of the signing of the present agreement "

* 9 En Anglais Truth and Reconciliation Commission (TRC), qui a finalement été la seule institution de l'accord de Lomé à subsister.

* 10 C'est ce qui ressort en substance de l'article 6 de la troisième partie de la loi de 2000 établissant la Commission Vérité et Réconciliation.

* 11 Les 800 soldats britanniques ont été suppléés dès le printemps 2000 par la plus grande force de maintien de la paix de l'histoire des Nations unies, la United Nations Mission in Sierra Leone (UNAMSIL) qui comptait plus de 17 mille hommes et avait un budget annuel de plus de 700 millions de dollars lorsqu'elle a atteint son maximum de personnel. Voir: http://un.org/Depts/dpko/missions/unamsil/facts.html

* 12 L'article 1 de l'accord stipule en son paragraphe premier que : «there is hereby established a Special Court for Sierra Leone to prosecute persons who bear the greatest responsibility for serious violations of international humanitarian law and Sierra Leonean law committed in the territory of Sierra Leone since 30 November, 1996»

* 13 En effet, depuis la chute du mur de Berlin, la communauté internationale a connu des avancées significatives sur le chemin de la lutte contre l'impunité. La création des tribunaux pénaux ad hoc, l'adoption du Statut de Rome, l'arrestation et le transfert de Charles TAYLOR à La Haye ainsi que de multiples actions menées contre d'autres présumés criminels de guerre au Timor et en Amérique du SUD sont là des exemples les plus significatifs.

* 14 Voir notamment les rapports du Secrétaire général des Nations unies « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l'homme pour tous » et « Rétablissement de l'Etat de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d'un conflit », soumis à l'Assemblée générale et au Conseil de sécurité.

* 15Outre les Krio, la Sierra Léone compte 20 groupes ethniques dont les Temne (30 %), Mende (30 %) et les Bantous.

* 16 Ou Créoles, parlent une langue très proche de l'Anglais.

* 17 Le Fourah Bay College, fondé en 1827, est la première université moderne d'Afrique noire. Elle formera la première élite de la Sierra Léone et des pays voisins qui se chargeront de la gestion du pays après l'indépendance.

* 18 Le sous-sol de l'Est sierra léonais est en effet riche en fer, bauxite, rutile, or, platine, chrome et détient l'un des diamants les plus purs au monde.

* 19 On estime sa densité à 84 habitants au km² et les populations sont concentrées dans les grandes villes (Freetown, Port Loko, Lumsar, Makeni, Bo, Kenema, Koidu et Koindu) où l'économie est construite autour des ports et commerces des immigrés libanais et européens.

* 20 176ème sur 177 au classement de l'Indice de Développement Humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la Sierra Léone a 576 dollars de Produit Intérieur Brut par habitant, 774,5 % de la population vivant avec mois d'un dollar par jour. L'espérance de vie à la naissance est estimée à 41 ans pendant que les taux d'alphabétisation des adultes et de scolarisation au primaire et secondaire sont respectivement de 35,1 et 65% (données tirés du rapport de l'IDH 2006 disponible sur le site Internet du PNUD : www.undp.org). A vrai dire, la guerre n'a fait que cristalliser cette position car une année avant même le début du conflit, le PNUD classait déjà le pays au 160e rang de l'IDH, voir Jean-Marc CHÂTAIGNER, L'ONU dans la crise en Sierra Léone : les méandres d'une négociation, KARTHALA, Paris 2005.

* 21 60% de la population est musulmane, 10 % chrétienne et 30 % animiste.

* 22 La conférence de Bandoeng de 1955 est l'un des évènements les plus marquants de la vie des pays du Tiers-monde et sous colonisation.

* 23 Le parti de tous les Sierra Léonais.

* 24 Voir le rapport de l'International Crisis Group, « Sierra Leone : Time For a New Military and Political Strategy, » rapport n° 28, du 11 avril 2001 et les charges présentes dans l'acte d'inculpation Prosecutor Vs Charles Ghankay TAYLOR, SCSL-03-02 du 7 mars 2003.

* 25 Conseil national de gouvernement provisoire (traduction assurée par nos soins)

* 26Il a pris le pouvoir en 1992 par un coup d'Etat avec l'aide des mercenaires sud-africains de l'Executive Outcomes, en échange des concessions minières et forestières.

* 27 Voir Tom PERRIELLO and Marieke WIERDA pour l'ICTJ, «The Special Court for Sierra Leone Under Scrutiny», mars 2006, page 6.

* 28 Sierra Leonian People's Party, le parti du peuple sierra léonais.

* 29 De Conakry, le président KABBAH va encourager la création de la Civil Defense Force (CDF) qui sera composée des Kamadjors, des chasseurs traditionnels. Il place à la tête de cette milice l'un de ses plus proches fidèles, Sam HINGA NORMAN qui est actuellement en procès à la Cour Spéciale pour la Sierra Léone.

* 30 Armed forces Revolutionnary Council (AFRC), le Conseil révolutionnaire des forces armées

* 31 En effet, la nomination d'un envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Sierra Léone (l'éthiopien Berhanu DINKA) n'interviendra que le 7 février 1995, soit plus de quatre ans après le début du conflit. Voir, L'ONU dans la crise en Sierra Léone, op cit.

* 32 Le 6 mars 1997, Foday SANKOH est arrêté par la police nigériane à l'aéroport de Lagos en possession d'armes, « illégalement achetées » selon la thèse officielle.

* 33 Voir le rapport de l'ICTJ cité précédemment.

* 34 Conformément à l'article 3, alinéa 3 de l'accord de Lomé, la loi du 20 juillet 1999 a été votée pour permettre la transformation du RUF en parti politique et la participation de ses membres au gouvernement. Son président est aussi nommé à la tête du Comité de gestion des ressources stratégiques, sorte d'autorité administrative indépendante chargée de contrôler toutes les exportations de matières premières du pays.

* 35 Résolution 1306 du Conseil de sécurité du 5 juillet 2000.

* 36 KABBAH est élu avec 70 % des voix, Ernest Baï KOROMA second avec 22 % et Johnny Paul KOROMA avec 4 %. Le parti du président, la SLPP obtient 83 sièges au parlement contre 27 pour les opposants de l'APC.

* 37 NKIRA Jean Emile Vincent, La justice transitionnelle en Sierra Léone : entre stratégies judiciaires et nécessités politiques, in Quelle contribution de l'Afrique de l'Ouest à la tradition universelle des droits de l'homme ? MAGENEST Denis et HOLO Théodore (dir.), Ed. du Cerap, Abidjan, 2006

* 38 De nombreuses associations des victimes comme la Sierra Leonean Amputees Association, des ONG comme No Peace Without Justice, Post Conflict Reintegration Initiatives for Developpement and Empowerment auront fait un travail considérable pour faire pression sur le pouvoir en place pour la création de la Cour

* 39 Voir Michelle SIEFF, A Special Court for Sierra Leonne, mai 2001, disponible sur le site   www.crimesofwar.com/tribun-mag/mag_sierra.html

* 40 Résolution S/Res/1315 (2000) adoptée le 14 août 2000.

* 41 Traduction du texte original en anglais par nos soins.

* 42 En Anglais, Agreement on the Establishment of the Special Court for Sierra Leone.

* 43 Hans KELSEN, «Pure Theory of Law» traduit par M. KNIGHT, University or California, 1er mars 1971.

* 44 Antonio CASSESE, « Le Tribunal pénal international pour l'Ex-Yougoslavie et les problèmes de la justice pénale internationale », dans les droits de l'homme et le droit, conférences de la Chaire Lyonnaise des droits de l'homme, réunies et présentées par Gaëlle VALLET, Editions de l'Institut des Sciences de l'Homme, Lyon, 1998

* 45 Jean Emile Vincent NKIRA relève avec pertinence le fait que la justice soit confiée en premier ressort aux autorités traditionnelles, ceci explique le désintérêt même des populations envers les juridictions nationales, à plus forte raison d'une institution perçue comme venue de l'étranger.

* 46 Voir «Ex-combatants Views of the Truth and Reconciliation Commission and the Special Court in Sierra Leone» disponible sur le site internet de l'ICTJ ( www.ictj.org).

* 47 En effet, 89 % des personnes sondées étaient favorables à la création de la Cour avant les opérations de sensibilisation. Ils n'étaient plus que 75 % après. Idem, page 16.

* 48 De 56 % au début, l'étude a relevé 77 % après la sensibilisation. Idem.

* 49 La Sierra Leonisn Bar Association, a vivement protesté contre cet état de fait lors d'une manifestation en 2002 devant le siège du Parlement et de la Cour suprême.

* 50 L'ambassadeur KANU qui représentait le gouvernement sierra léonais lors des négociations pour la mise en place de la Cour, avait efficacement fait pression sur les gouvernements pour la ratification du statut et occupait en cette période le poste de vice-président de l'assemblée des Etats parties à la CPI. Il s'inquiétait des opinions qui voyaient en la Cour spéciale une menace contre l'établissement d'un ordre de justice internationale car son pays '' had supported the establishment of a permanent criminal Court from the start. It had been one of the first countries to sign and ratift the statute. The crimes covered by the Court would argument and solidify the work of the tribunals and similar institutions, such as the Special Court established in his country. Those who had not supported the Special Court for Sierra Léone should do so. It was contributing to the establishment of a just international legal order. It upheld the rule of international law», extrait du communiqué de presse de la 57ème session de l'Assemblée générale des nations unies. Document n° GA/L/3214, disponible sur le site www.un.org

* 51 Voir « The Special Court for Sierra Leone Under Scrutiny » page 12.

* 52 Résolution 260 A (III) de l'Assemblé générale du 9 décembre 1948 entrée en vigueur le 12 janvier 1951 conformément aux prescriptions de l'article XIII.

* 53CIJ, 1961, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne)

* 54 Les deux tribunaux sont situés dans des pays étrangers et la plupart des membres de leurs staffs n'ont pas eu à prendre contact avec les réalités locales ni avant, ni pendant l'exercice de leurs fonctions.

* 55 Voir, «The report of the Expert Group to Conduct a Review of the Effective Operations and Functioning of the International Tribunals for the Former Yugoslavia and Rwanda», UN doc. A/54/634, 22 novembre 1999. Et aussi Ken ROTH, «International Injustice: the Tragedy of Sierra Leone» Wall Street Journal (Europe); 2000.

* 56 Résolution 1315, du 14 août 2000, § 8.

* 57 Idem, § 5.

* 58Voir Avril Mc DONALD « The Amnesties in the Lomé Peace Agreement and the UN's dilemma », Humanitäres Völkerrecht, N° 1, 2000, Pp 12- 14.

* 59 Avril MC DONALD, « Sierra Leone's Shoestring Special Court » in International Review of the Red Cross, march 2002, Vol. 84 N° 845, Pp 121-143.

* 60 Cf. lettre du président sierra léonais du 12 juin 2000 adressée au Secrétaire général (document S/2000/786).

* 61 Résolution 1315, art 2 et 3.

* 62 UN doc S/2000/925

* 63 En anglais « Mutual Assistance Between Sierra Leone and the Special Court » règle toutes les dispositions relatives aux échanges de procédés entre les parties (l'Etat sierra léonais et les Nations unies). Loi de ratification de l'accord de création de la Cour spéciale et de ses Statuts, loi du 15 avril 2002.

* 64 Voir Marieke WIERDA et PERIELLO cites précédemment.

* 65 Conférence du Président KABBAH à l'Université de Harvard en 2004.

* 66 Legal Reform Initiative.

* 67 Notamment la «Radio Special Court».

* 68 Extrait du Rapport du Secrétaire general des Nations unies sur l'établissement d'une Cour spéciale pour juger les responsables des crimes de guerre en Sierra Léone.

* 69 En fait, si l'on prend en compte le coût par accusé, le budget de la Cour spéciale est bien plus élevé que celui des deux tribunaux.

* 70 Kofi Annan avait évalué à 114 millions de dollars pour trois ans. Mais les Etats membres du Conseil de sécurité l'ont considérablement réduit à 57 millions. Voir la lettre du 13 juillet 2001 du Secrétaire général adressée au président du Conseil de sécurité, document S/2001/693.

* 71 Résolution 1315 § 8 alinéa c).

* 72 Lesquelles contributions émanent du budget global de l'Organisation.

* 73 Lettre du 13 juillet 2001 au Secrétaire général, page 2.

* 74 A vrai dire, la frange réelle du personnel national qui s'occupait du traitement des dossiers au niveau de la Cour était très inférieure au volume global des nationaux. Car ceux-ci s'occupaient principalement des tâches subalternes liées notamment à l'entretien des bâtiments et au transport.

* 75 Voir le rapport de Kofi ANNAN du 4 octobre 2000, UNDOC S/2000/915, § 66 et 67.

* 76 Résolution 1400 (2002) du 28 mars 2002, § 9.

* 77 Marieke WIERDA et Tom PERIELLO pour l'ICTJ cités plus haut.

* 78 Cette terminologie onusienne désigne les pays qui participent financièrement et matériellement au fonctionnement de la Cour. Il s'agit au début de la mise sur pied de la Cour des Etats-Unis, du Royaume Uni, du Canada et de la Hollande mais aussi des moins grands donateurs comme le Lesotho, le Nigéria et le Gouvernement de Sierra Léone. Siège aussi au comité de gestion (management comittee) un représentant du Secrétaire général des Nations unies.

* 79 Lesquels marchandages risquent de compromettre gravement le financement des cours dans des pays qui ne représentent pas un intérêt particulier pour les grandes puissances donatrices.

* 80 L'article 41 de la Charte précise ces mesures qui peuvent consister en « l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques ».

* 81 Résolution 827 du 25 mai 1993, paragraphe 8.

* 82 Dans sa résolution 955 du 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité reste « convaincu que la poursuite des dans les circonstances particulières qui règnent au Rwanda, des poursuites contre les personnes présumées responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit international humanitaire permettraient d'atteindre cet objectif et contribueraient au processus de réconciliation nationale ainsi qu'au rétablissement et au maintien de la paix ».

* 83 En effet, la convention de Genève sur le statut des refugiés du 28 juillet 1951 prévit (article 1 F-a) l'impossibilité d'octroyer le statut de refugié aux personnes qui «ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un rime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ».

* 84 Document S/2005/273 du 26 avril 2005.

* 85 Résolution S/RES/1610

* 86 Idem, paragraphe 6.

* 87 PRIDE, «Ex-Combatants Views on the TRC and Special Court», cité précédemment.

* 88 La Mano est un fleuve qui traverse la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone. Une organisation intergouvernementale (l'Union du Fleuve Mano) a été créée en 1973 et fut rejointe par la Côte d'Ivoire. Elle a pour but de promouvoir les liens de coopération entre les Etats membres et de lutter contre l'instabilité dans la sous-région. Elle a longtemps servi de tremplin aux négociations diplomatiques pour la résolution des conflits frontaliers et des crises récurrentes entre les Etats.

* 89 Huitième rapport du Secrétaire général sur la Mission des Nations unies en Sierra Léone, 15 décembre 2000, paragraphes 30 ) 32, page 5.

* 90 Dans Jose Luis DA CUESTA, « Les compétences criminelles concurrentes nationales et internationales et le principe de `' ne bis in dem'' », Revue internationale de droit pénal, 2002, vol. 73, pp. 675 à 705.

* 91 Article 9 in fine du Statut de la Cour spéciale.

* 92 Résolution IV- B4 du XVIème Congrès international de droit pénal à Budapest en 1999.

* 93 Cette interdiction a été reprise par l'Assemblée générale des Nations unies lors de l'adoption du Traité type sur la transparence des poursuites pénales du 14 décembre 1990 (article 10).

* 94 Sans préjudice des autres poursuites pénales des cours nationales, notamment en France et en Israël.

* 95 C'est ce qui découle notamment de la Règle 13 du corpus règlementant la procédure et les preuves de la Cour spéciale.

* 96 Confère affaire NTUYAHAGA Bernard, ICTR-98-40.

* 97 La CPI, en vertu de sa compétence subsidiaire, ne peut se saisir d'une affaire que lorsque les Etats parties n'ont pas la volonté ou la capacité de poursuivre. Pour cela, le non bis in idem est ici temporaire (A KIP et van DER HILT, AIDP Non bis in idem, Rapport de la Hollande).

* 98 L'article 9 § 2 b du statut de la Cour spéciale, comme celui des TPI stipule que la Cour est compétente si « ... the national court proceedings were not impartial or independent, were designed to shield the accused from international criminal responsibility or the case was not diligently prosecuted ».

* 99 Jose Luis DE LA CUESTA, « Les compétences criminelles concurrentes nationales et internationales », op cit.

* 100 A vrai dire, selon le Statut de la Cour spéciale, sa compétence couvre les crimes commis en Sierra Léone à partir du 30 novembre 1996, le délai n'étant pas délimité. Mais, étant donné que la situation s'est stabilisée en Sierra Léone avant le 1er juillet 2002, date d'entrée en vigueur du Statut de Rome, il est invraisemblable qu'il ait un éventuel conflit de compétence.

* 101 En attendant la définition du crime d'agression.

* 102 Ci-après RPP.

* 103 Le TPIY a ainsi statué que les crimes commis dans la municipalité de Prijedor en Bosnie-Herzégovine ou ses environs du 1er avril au 30 août 1992 et aux environs des municipalités de Bosanski Samac et Odgal du 1er avril au 31 décembre 1993 relèveraient de la même opération. Voir l'arrêt KVOCKA, cas N° IT-98-30, « Décision relative aux exceptions préjudicielles de la défense portant sur la forme de l'acte d'accusation », 12 avril 1999.

* 104 BAGOSSORA, cas N° ICTR-96-7, «Decision on the Prosecution's motion for Joinder« 29 juin 2000.

* 105 «Two or more crimes may be joined in one indictment if the series of acts committed together form the same transaction, and the said crimes were committed by the same accused» Règle 49.

* 106 Confère TADIC, Cas n° IT-94-1 Chambre d'appel, jugement du 15 juillet 1999, § 191.

* 107 La jonction de ces instances a conduit à la réunion des dix inculpations originelles en trois groupes, plus celui de TAYLOR qui est resté inchangé. Les cas individuels de BRIMA, KAMARA et KANU ont été réunis sous la formulation générique de « AFRC Trial » (voir Case n° SCSL-2004-16-PT) ; ceux de SESSAY, KALLON et GBAO sous l'intitulé « RUF Trial » (case n° SCSL-2004-15-PT) et ceux de NORMAN, FOFANA et KONDEWA regroupés en « CDF Trial » (case n° SCSL-03-14-I).

* 108 Règle de Procédure et de Preuves des TPI n° 82 (A), RPP de la CPI, règle 136 § 2.

* 109 Conformément aux prescriptions des règles 50, 52 et 73 des RPP de la Cour spéciale.

* 110 La règle 82 (B) des RPP du TPIY adoptee le 11 février 1994 prévoit notamment à cet effet que: «The Trial Chamber may order that persons accused jointly under Rule 48 be tried separately if it considers it necessary in order to avoid a conflict of interests that might cause serious prejudice to an accused, or to protect the interests of justice».

* 111 Confère CDF Case N° SCSL-03-14-I Persecutor Vs NORMAN, FOFANA and KONDEWA.

* 112 Les accusés avaient pour avocats : Hinga NORMAN : John WEASLEY HALL (Commis d'office), Tim OWEN QC et Bu-Buaker JABBI ; pour Moinina FOFANA : Michel PESTMAN (commis d'office), André NOLLKAEMPER, victor KOPPE et Arrow J. BOCKARIE ; pour Allieu KONDEWA : Charles MARGAÏ, yada Hashim WILLIAMS, Thomas BRIODY et Susan WRIGHT (commis d'office). Source: www.sc-sl.org

* 113 Stephen RAPP, Procureur de la Cour spéciale pour la Sierra Léone s'exprimant sur la mort de Sam Hinga NORMAN, principal accusé de la CDF comparaissant devant la Cour. Emission Hard Talk de Stephen SACKUR rediffusion de 23 heures à la chaîne de télévision BBC World, 5 mars 2007.

* 114 Ce haut fonctionnaire de la représentation britannique a d'ailleurs témoigné en la faveur du principal accusé Hinga NORMAN et a corroboré la thèse des visites sur les lieux de combat et mettait en avant la discipline et la bonne conduite des membres des CDF sous le commandement direct de l'accusé. Voir les vidéos et transcriptions des audiences du 8 au 16 février 2006 disponibles sur le site internet de la Cour ( www.sc-sl.org).

* 115 Human Rights Watch « « We'll Kill You if You cry » Sexual Violence in the Sierra Leone Conflict » Rapport Volume 15, N° 1 (A), janvier 2003.

* 116 Ibid. page 47.

* 117 Qui consistait à faire traverser une haie composée de deux lignes de dix personnes chacune qui lui assenait des coups.

* 118 Après la reprise de Freetown par les forces de l'ECOMOG en 1998, le chef de la junte militaire a réussi à franchir la frontière vers le Libéria. Il a été à plusieurs reprises aperçu aux cotés de Charles TAYLOR avec qui il continuait de travailler à la lutte contre les nouveaux chefs de guerre libériens et à la déstabilisation de la Côte d'Ivoire.

* 119 Confère AFRC Case : N° SCSL-2004-16-PT, Prosecutor Vs BRIMA, KAMARA and KANU. ( www.sc-sl.org)

* 120 L'équipe affectée à la défense des accusés de l'AFRC est composée de cinq avocats : Kjo GRAHAM pour Alex Tamba BRIMA pendant que Andrew William Kodwo DANIELS représentait les intérêts de Brima Bazzy KAMARA. Le troisième accusé quant à lui est défendu par Geert-Jan Alexander KNOOPS assisté de Carry KHOOPS-HAMBURGER et Abibola MANLEY-SPAINE.

* 121 Rapport de la Commission vérité et réconciliation Volume 3a, Chapitre 3, paragraphe 648.

* 122 Le président a décidé de démettre de leurs fonctions les deux plus hauts responsables de l'état-major de l'armée, le Brigardier Joy TOURE et le colonel Komba MONDEH.

* 123 Jean-Marc CHÂTAIGNER, op cit page 60.

* 124 En effet, Johnny Paul KOROMA va déclarer qu'il compte bien finir le mandat du président et ne laisser la place à un gouvernement civil qu'à l'occasion des élections qui sont prévues pour l'année 2001 (voir l'ouvrage de Jean-Marc CHÂTAIGNER, page 62).

* 125 Déclaration du président du Conseil de sécurité du 6 août 1997. Document S/PRST/1997/42, paragraphe 5.

* 126 L'article 53 de la Charte des Nations unies stipule que « (...) toutefois, aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de sécurité (...) »

* 127 Résolution 1132 (1997) document S/RES/1132 (1997).

* 128 Le président du comité des sanctions des Nations unies, l'ambassadeur suédois DAHLGREN, après une tournée dans la sous-région a fait part des difficultés à mettre en oeuvre les sanctions retenues contre la junte militaire.

* 129 La résolution 1156 du Conseil de sécurité (document S/RES/1156) du 16 mars 1998 lève ainsi les sanctions qui ont été précisées par le Conseil le 5 juin 1998 (résolution 1171). Cette dernière répondait aux difficultés de l'affaire Sandline. En effet, les britanniques avaient continué à livrer des armes et des munitions aux forces de l'ECOMOG ainsi qu'à la CDF qui luttaient contre le couple RUF / AFRC, alors que la résolution 1132 imposait un embargo sur toutes livraisons d'armes sans exception.

* 130 Rue où se trouve la prison centrale de Freetown. Presque tous les inculpés de la Cour spéciale y ont transité avant de rejoindre le pénitencier construit aux côtés de la Cour. Cette prison est réputée pour ses mauvaises conditions sanitaires et sa promiscuité.

* 131 Terminologie utilisée pour qualifier les soldats de la SLA (Sierra Leonian Army) qui le jour se comportaient comme des membres de l'armée régulière et la nuit combattait aux cotés du RUF. Elle est aussi utilisée pour faire état de l'imitation des méthodes rebelles dont ils faisaient preuve.

* 132 Voir The Prosecutor Vs Sam BOCKARIE, (case N° SCSL-2003-04-PT), Withdrawal of Indictment, 8 décembre 2003.

* 133 Voir The Prosecutor Vs Foday Saybana SANKOH (case N° SCSL-2003-02-PT), Withdrawal of Indictment, 8 décembre 2003.

* 134 Issa SESSAY est défendu par les avocats Wayne JORDASH et Shareta ASHRAPH, Morris KALLON par Shekou TOURAY et Melron NICOL-WILSON, Augustine GBAO quant à lui bénéficie des conseils de Girish THANKI, Andreas O'SHEA et John CAMMEGH.

* 135 Selon le rapport de la commission vérité et réconciliation, la localité de Camp Namma, situé à la frontière entre les deux pays leur servira de base de formation et d'approvisionnement. Ils s'y retrancheront souvent pour des replis stratégiques sous la protection du groupe rebelle du futur président Libérien. Voir le rapport de la Commission, Volume 2, Chapitre 2 : Findings, paragraphe 72.

* 136 Lorsque les rebelles du RUF s'apprêtaient à amputer une victime, ils leur posaient la question de savoir si celle-ci voulait des « short leaves or long leaves ». le bras était amputé à hauteur du coude ou du poignet en fonction de la réponse de la victime. Voir « Les années barbares de Charles TAYLOR », Jean Paul MARI, Le Nouvel Observateur N° 2169 du 1er juin 2006.

* 137 En 1993 dans le district de Kailahun, les chefs du RUF, pour donner une leçon aux autres membres du groupe, ont torturé et tué 40 rebelles qui s'étaient montrés peu respectueux des ordres. Ces représailles se sont poursuivies tout au long du conflit armé dans les camps de Pujehun. Rapport de la Commission vérité et réconciliation, Chapitre 2 paragraphes 155-157.

* 138 Voir le rapport de Human Rights Watch cité plus haut.

* 139 Aymeric PHILIPON, «Les activités mercenaires et de sûreté face au droit », dans Mercenaires et polices privées : la privatisation de la violence armée, UNIVERSALIS, France 2005, pp 49 - 65.

* 140 Kharen PECH et David BEREFORD, « Africa's New Look Dogs of War», Mail and Guardian, Johannesburg, 24 janvier 1997.

* 141 Hélicoptères MI-24, MI-17 et MIG-23. Philipe CHAPLEAU, Sociétés militaires privées : enquête sur les soldats sans armées, page 136.

* 142 Idem.

* 143 C'est du moins ce qui ressort de l'article 1er de la Convention de l'OUA du 3 juillet 1977 sur l'élimination du mercenariat en Afrique et de l'article 47 du Protocole I aux Conventions de Genève.

* 144 Article 47 f) du Protocole I de 1977.

* 145 Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires du 4 décembre 1989.

* 146 Ajoute la Convention panafricaine à l'article 1 § 2.

* 147 Selon lui, « pour 36 millions de dollars, avec 300 hommes, EO a sécurisé Freetown, libéré les mines, mis les rebelles en déroute et gagné la guerre », il renchérit par comparaison avec les Nations unies qui, selon lui « pour 500 millions de dollars, avec 8 000 à 14 000 hommes, a évacué Freetown, vu ses soldats pris en otages et perdu la paix.

* 148 Des sénateurs français ont reconnu cette ambiguïté lors des débats d'adoption de la loi de ratification de le Convention onusienne. Ils relevaient notamment que « ... une imprécision qui ne permet pas d'exclure clairement de la notion de mercenaire des personnes qui sont envoyées par leur Etat au titre de l'assistance militaire...». Rapport sénatorial cité par Aymeric PHILIPON, dans « Les activités mercenaires et de sûreté face au droit » op cit. page 53.

* 149 Le rapporteur spécial des Nations unies sur le mercenariat dans son rapport du 24 décembre 2003 aura à cet effet préconisé une nouvelle définition « précise, exhaustive et sans ambiguïté » pendant que la Commission des droits de l'homme demande aux Etats dans la Résolution du 8 avril 2004 de prendre des mesures nationales pour palier à cette lacune.

* 150 25 Etats seulement ont ratifié cette convention.

* 151 Le mercenaire étant définit par la même loi comme étant celui qui participe directement dans les hostilités, entant que combattant contre un gain privé.

* 152 Voir l'article de Jean Paul MARI,

* 153 Il usera de cette double légitimité à la fois auprès des anciens esclaves venus des Etats-Unis et des populations indigènes. Ces dernières l'ont même intégré dans un système traditionnel entant que notable et lui ont attribué le nom de « Dakhpannah » qui signifie « homme fort ».

* 154 Ce procédé est décrié par bon nombre d'officiels d'Afrique de l'Ouest qui pensaient que c'était un obstacle au processus de paix. Certains gouvernements comme celui de la Guinée se réjouissent de cette inculpation, peu surprenant car TAYLOR l'ennemi de choix du président CONTE à cause de son soutien à la rébellion de 1998 qui a attaqué la région forestière de la Guinée.

* 155 Les officiels nigérians s'inquiétaient que dans des cas similaires, des présidents refusent d'éviter un bain de sang en quittant le pouvoir car ils pouvaient faire face à des poursuites pénales.

* 156 La Cour spéciale siège à la Jomo Kenyatta Road, au quartier de New England à Freetown.

* 157 Quelques mois avant le début des audiences devant la Cour, la Chambre d'appel siégeait (début des auditions le 31 mai 2004) pour entendre les avocats des parties sur les exceptions présentées in limine litis par leurs clients. Me Terrence TERRY, avocat de TAYLOR a défendu l'idée selon laquelle la fonction de Président de la république le protégeait des poursuites pénales.

* 158 «I do not recognise the jurisdiction of the Special Court for Sierra Leone... because I was indicted when I was serving as the ruling president of the republic of Liberia» a-t-il déclaré devant le juge. (Transcriptions de l'audience du 3 avril 2006)

* 159 Extrait de la transcription de l'audience de première comparution traduite par nos soins.

* 160 Les procédures de visas, les coûts de transport et d'hébergement des dizaines de personnes pouvant assurer tout le processus judiciaire nécessiteront des moyens financiers importants. En prenant en compte les réticences des grandes puissances à supporter les coûts exorbitants d'une juridiction ad hoc, il sera difficile de réunir des fonds nécessaires pour le budget de la Cour pour les prochaines années.

* 161 Anne Marie LA ROSA, Juridictions pénales internationales, la procédure et la preuve, Institut Universitaire des Hautes Etudes internationales, Genève, mars 2003.

* 162 L'article 11 du Statut de la Cour stipule : «The Special Court shall consist of the following organs : The Chambers, comprising one or more Trial Chambers and Appeals Chambers; The Prosecutor, and The registry».

* 163 Notamment en application de l'article 2 (1) de l'accord spécial d'établissement de la Cour.

* 164 Le président de la Cour a demandé la nomination de trois nouveaux juges en mars 2003. Il ne les obtiendra qu'en avril 2004 après moult tractations au niveau du Secrétariat général de l'ONU.

* 165 Tom PERIELLO et Marieke WIERDA relèvent avec pertinence dans leur rapport que les postes à Freetown n'étaient pas assez attractifs. La plupart des juges résidaient hors du pays et la Cour pouvait ainsi rester des mois sans présidence.

* 166 Juges qui ont le rang de sous-secrétaire général des Nations unies.

* 167 La totalité des juges nommés par le Secrétaire général des Nations unies: Benjamin Mutanga ITOE (Cameroon), Richard LUSSICK (Samoa), Teresa DOHERTY (Irlande du Nord), Julia SEBUTINDE (Uganda), Emmanuel AYOOLA (Nigeria), A. Raja N. FERNANDO (Sri Lanka), Renate WINTER (Autriche) et Pierre G. BOUTET (Canada).

* 168 Cinq juges sur onze sont d'origine africaine, trois étant des femmes.

* 169 George Gelaga KING (Sierra Leone), Geoffrey ROBERTSON QC (Royaume-Uni), Rosolu John BANKOLE THOMPSON (Sierra Leone).

* 170 Article 13 du Statut : « qualification and appointment of judges », traduit par nos soins.

* 171 Article 13 § 2 du Statut de la Cour spéciale.

* 172 Règle de Procédure et de Preuves de la Cour spéciale, Règle 15 (A), amendée le 29 mai 2004 et le 24 novembre 2006.

* 173 Dans l'arrêt BRDAMIN, cas n° IT-93-36 ; Decision on Application by Momir TALIC for the Disqualification and Withdrawal of a Judge, 18 mai 2000, les juges avaient statué que le seul fait d'avoir appartenu à une organisation ne suffit pas à fonder la partialité.

* 174 Voir la decision: SCSL-04-14-PT-112 « Decision on Motion to Recuse Judge WINTER from Deliberation in Premiminary Motion on Recruitment of Child Soldiers » 25 mai 2004.

* 175 La motion citait notamment les passages de l'ouvrage qui parlait du RUF comme une organisation « coupable des atrocités constitutives de crimes contre l'humanité, qu'on ne devrait jamais pardonner au point de lui accorder une tranche du pouvoir ; au contraire, ses leaders doivent être capturés et jugés ». Extrait de la page 469 traduit par nos soins. Voir Geoffrey ROBERTSON, Crimes Against Humanity : The Struggle for Global Justice, Penguin, New York 2003 (2ème édition).

* 176 Voir, la décision Prosecutor Vs Issa SESSAY, SCSL-04-15-PT-140. «Decision on Defense Motion Seeking the Disqualification of Judge ROBERTSON from the Appellate Chamber» 13 mars 2004.

* 177 La règle 14 des RPP de la Cour spéciale prévoit en son paragraphe (A) que les juges déclarent solennellement « sans crainte ni faveur, affection ou mauvaise foi, servir consciencieusement la Cour spéciale avec honnêteté, loyauté et impartialité». Cette déclaration est signée en présence d'un représentant du Secrétaire général et du Président de la république de Sierra Léone (règle 14 § B).

* 178 International Crisis Group,»The Special Court For Sierra Leone: Promises an Pitfalls of a New Model», Rapport du 4 août 2003.

* 179 Les règles relatives à la nomination des juges, aux délibérations et aux règles de fonctionnement de collégialité et de jugement par ordonnance sont instituées par la section 4 des RPP (règles 26 à 29).

* 180 Depuis l'adoption des RPP de la Cour le 16 janvier 2002, les juges ne bouderont pas ce pouvoir qu'ils usent à plusieurs reprises, notamment le 7 mars 2003, le 1er et 30 octobre 2003, le 14 mars et le 29 mai 2004, le 14 mai 2005, 13 mai et 24 novembre 2006.

* 181 Règle de Procédure et de Preuves de la Cour spéciale, règle 6 (A).

* 182 Dans l'affaire BARAYAGWISA, la procédure d'Habeas Corpus aurait pu intervenir pendant le cours de la procédure. Voir TPIR, BARAGAWISA, Chambre d'Appel, cas n° ICTR-97-19, arrêt du 3 novembre 1999.

* 183 Article 53 § 3a du statut de la Cour et Règle 107 et 108 des RPP.

* 184 La CPI ne suit pas la même logique car la confirmation des charges ne peut se faire qu'après l'arrestation de l'accusé et son transfert devant les juges. A cette occasion, l'accusé pourra contester ces charges (Statut CPI article 61, RPP Règle 121 à126).

* 185 Les statuts de la Cour spéciale ne prévoient pas le vote par les juges de l'indemnisation des victimes. Le but principal de la Cour étant la prévention des crimes de guerre dans le pays et dans la région en participant à la lutte contre l'impunité, le droit des victimes à la réparation sera examiné par d'autres institutions, notamment la Commission Vérité et Réconciliation.

* 186 La règle 38 des RPP de la Cour spéciale amendée le 7 mars 2003.

* 187 En effet, le Procureur et les membres de son bureau n'ont à recevoir d'aucune source que ce soit des instructions ou des injonctions en ce qui concerne l'ouverture ou non d'une acquête. Il en va de même lorsqu'il s'agit de procéder à un acte d'expertise ou de contre-expertise. Statut TPIR, article 15 § 2, statut de la Cour spéciale article 15 in fine. Voir également la jurisprudence NZIRORERA, cas n° ICTR-97-20, Decision on the Defense Motion Seeking an Order to the Prosecutor to Investigate the Circumstances of the Crash of the President HABIARIMANA's Plane, 2 Juin 2000.

* 188 Le premier Procureur est l'américain David CRANE. Il a été remplacé per Desmond DE SILVA, QC qui assumera les fonctions jusqu'en 2006 avant d'être remplacé en décembre 2006 par un autre américain, Stephen J. RAPP, précédemment assistant du Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, notamment pour les affaires des accusés de la Radio et Télévision Mille Collines.

* 189 L'article 15 § 4 du statut stipule que «The Prosecutor shall be assisted by a Sierra Leonean Deputy Prosecutor...». La transgression de cette règle par le gouvernement sierra léonais n'allait pas faciliter la perception de la Cour par les juristes locaux qui se sont sentis lésés dès le début et qui ont même introduit un pourvoi à la Cour suprême pour contester la constitutionnalité de la loi de ratification de l'accord de création de la Cour spéciale.

* 190 Marieke WIERDA et Tom PERIELLO, op cit.

* 191 Si l'on se réfère aux règles appliqués par la CPI, le Procureur demande au Greffe de saisir l'Etat par voie diplomatique afin d'obtenir sa coopération dans l'arrestation des suspects et la transmission des éléments de preuve et des documents nécessaires.

* 192 La totalité des accusés devant la Cour bénéficient des services d'un avocat commis d'office. Ceux-ci sont aussi bien internationaux qua nationaux. Au début de leur incarcération, les avocats ne résidaient pour la plupart pas sur place. On a mis à la disposition des accusés des téléphones portables pour palier à cette lacune. Ces téléphones ont dû être retirés lorsque les juges se sont rendu compte qu'ils l'utilisaient pour appeler les membres de leurs anciennes factions.

* 193 Même Charles TAYLOR s'est vu accorder les bénéfices d'un avocat commis d'office, malgré ses signes extérieurs de richesse.

* 194 Directive du TPIY relative à la commission d'office du conseil de la défense, articles 12 et 13.

* 195 RPP de la Cour spéciale, règle 37 ; Statut CPI, art 53 § 1 ; RPP TPIY, règle 18 § 1 et RPP TPIR, règle 17 § 1.

* 196 Conformément aux stipulations de la Règle 56 des RPP de la Cour spéciale.

* 197 Il en va de même des provisions des articles 18 § 2 et 17 § 2 des RPP des TPIY et TPIR respectivement.

* 198 Tels que définis par l'article premier de la Convention des Nations unies relative à l'interdiction de la torture, des peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984.

* 199 Règle 42 des RPP de la Cour spéciale, de même que l'article 55 § 1 du Statut de Rome.

* 200 Notamment lorsque le témoin est assisté d'un avocat. Il y a déjà des éléments graves et concordants qui peuvent être retenus contre lui.

* 201 Règle 62 des RPP de la Cour spéciale intitulée « Procedure upon Guilty Plea ».

* 202 La Règle 63 des RPP de la Cour prévoit que l'accusé ne peut être interrogé en dehors de la présence de son avocat que lorsqu'il le demande expressément. Cette demande doit être faite de manière solennelle être enregistrée pour les fins de la procédure à suivre.

* 203 Avec d'une part le Procureur représentant les intérêts de la société (ici, la communauté internationale et l'humanité tout entière) et d'autre part l'accusé.

* 204 Règle 66 des RPP de la Cour spéciale.

* 205 La notion d'intérêt général n'est pas ici définie par les rédacteurs des RPP de la Cour. L'on pourrait craindre que le Procureur s'engouffre dans cette brèche pour ne pas transmettre des éléments de preuve à l'accusé. La diligence du juge de fond servirait alors de rempart à cet éventuel abus.

* 206 Règle 67 des RPP de la Cour spéciale.

* 207 Ou descriptif des prétentions de la défense. Pour la suite de nos développements, nous utiliserons l'expression en Anglais pour lui faire garder le sens originel que notre traduction personnelle ne saurait couvrir efficacement.

* 208 Article 67 § 2 du Statut de Rome.

* 209 Anne-Marie LAROSA, Les juridictions pénales internationale : la procédure et la preuve, op cit, Page 135.

* 210 Voir TPIY, affaire BLASKIC.

* 211 C'est notamment ce qui découle de l'affaire Prosecutor Vs FURUNDZIZA, cas n° IT-95-17 du 16 juillet 1998.

* 212 Pacte international des droits civils et politiques (Pidcp), article 14 § 2 ; la Convention européenne des droits de l'homme (Cedh), article 6, la Charte Africaine des droits de l'Homme et des peuples, article 8...

* 213 Statut TPIY, article 21 § 4 a ; Statut TPIR article 20 § 4 a.

* 214 A la demande de l'une des parties, des témoins, des victimes ou sous sa propre initiative, le juge peut ordonner l'une des mesures prévues à la règle 75 des RPP de la Cour, notamment, l'attribution des pseudonymes, l'altération des voix, le témoignage à travers un système de vidéo conférence voire même le prononcé du huis clos conformément à la règle 79 (A) iii).

* 215 Ces textes se contentent de prescrire aux Etats de « prendre des mesures nécessaires pour fixer les sanctions adéquates » (Convention de Genève IV), la Convention de 1984 contre la torture demande aussi aux Etats de rendre les actes de torture passibles de peines appropriées et prenant en compte la gravité de l'infraction.

* 216 Le principe de nulla poena sine lege est présent dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples à son article 7 § 2, à l'article 15 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l'article 11 § 2 de la déclaration universelle des droits de l'homme qui stipule que «... il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis ».

* 217 Inspirée de les articles 22 § 1 et 23 § 1 du statut du TPIR.

* 218 Règle 106 (A) (a), (b) et (c) des RPP de la Cour spéciale.

* 219 Article 70 et 71 du Statut de la CPI, règle 77 des RPP des TPI.

* 220 Arrêt TADIC.

* 221 « Those bearing thee greatest responsibility » et « those who are the most responsible ».

* 222 Article 6 § 1 du Statut de la Cour Spéciale : « portent la plus grande responsabilité des personnes qui ont instigué, ordonné, commis ou aidé à la préparation ou à l'exécution d'un crime » (traduction par nos soins).

* 223 Voir le rapport du 1er janvier 2000 de Physicians For Human Rights intitulé « War-Related Sexual Violence in Sierra Leone ».

* 224 L'article 7 § 4 des Statuts de la Cour spéciale : «The fact that an accused person acted pursuant to an order of a Government or of a superior shall not relieve him or her of criminal responsibility, but may be considered in mitigation of punishment...»

* 225 Voir l'article de Jean Paul MARI et le rapport de Marieke WIERDA et Tom PERIELLO tous cités précédemment.

* 226 Article 6 § 3 du Statut de la Cour spéciale: « The fact that any of the acts referred to in articles 2 to 4 of the present Statute was committed by a subordinate does not relieve his or her superior of criminal responsibility if he or she knew or had reason to know that the subordinate was about to commit such acts or had done so and the superior had failed to take the necessary and reasonable measures to prevent such acts or to punish the perpetrators thereof.»

* 227 Le terme bush followers est attribué aux filles qui étaient enlevées par les rebelles lors de leurs expéditions. Elles devenaient ensuite leurs esclaves sexuelles, leurs cuisinières et combattantes occasionnelles.

* 228 Willie Mc CARNEY, «Child Soldiers : Criminal or Victims? Should Child Soldiers be Prosecuted for Crimes Against Humanity? » Dans L'enfant et la Guerre. Instutut International des Droits de l'Enfant, Sion, 2003. Pp 35-55.

* 229 Enquête menée par l'UNICEF au Rwanda en 1995 cité par Willie Mc CARNEY op cit. page 37.

* 230 Ahmadou KOUROUMA (Allah n'est pas obligé, page 215) met en évidence cette réalité : « les enfants soldats étaient de plus en plus cruels. Ils tuaient leurs parents avant d'être acceptés. Et prouvaient par ce parricide qu'ils avaient tout abandonné, qu'ils n'avaient pas d'autre attache sur terre, d'autre foyer que le clan à Johnny KOROMA (...) ». Ahmadou Kourouma, Allah n'est pas Obligé, Corps, Paris 2001.

* 231 Article 7 § 2, nous y reviendrons largement dans la deuxième partie de notre travail consacrée à la justice réparatrice.

* 232 Dans Il n'y a pas d'avenir sans pardon publié aux éditions Albin Michel en 1999, Desmond TUTU présente la philosophie et l'intérêt de la création de la Commission. Les conditions de l'amnistie étaient entre autres la sincérité des déclarations et le caractère politique du crime, les crimes crapuleux ne pouvant être couverts.

* 233 La déclaration écrite du représentant du Secrétaire Général aux Accords de paix de Lomé selon laquelle l'amnistie «ne s'appliquera pas aux crimes internationaux de génocide, aux crimes contre l'humanité et autres graves violations du droit international humanitaire» est révélatrice de cette volonté.

* 234 Nommément cité dans le libellé de l'article IX § 1.

* 235 Article IX § 3 traduit par nos soins.

* 236 « The government of Sierra Leone Shall grant and absolute free pardon and reprieve... » proclame la loi à chaque fois qu'il s'agissait de définir la portée de cette loi.

* 237 Cas n°SCSL-2004-15-AR72 (E) et cas n°SCSL-2004-16-AR72 (E), décision n°SCSL-04-15-PT-060-I et décision n°SCSL-04-15-PT-060-II (rejet de l'amnistie). Cette décision a été publiée le 15 mars 2004.

* 238 Amnesty International, « Une décision historique du Tribunal spécial pour la Sierra Leone : les crimes au regard du droit international ne peuvent être amnistiés », document public, Londres, 18 mars 2004.

* 239 «Les juges de la Cour pénale internationale incarnent "notre conscience collective", a déclaré le Secrétaire général à la réunion inaugurale de La Haye», communiqué de presse SG/SM/8628, L/3027, 11 mars 2003.

* 240 Voir Amnesty International, «Sierra Leone: Special Court for Sierra Leone: Denial of right to appeal and prohibition of amnisties for crimes under international law», Londres, 31 octobre 2003.

* 241 Décision n° CSSL-04-15'PT-060-II, rejet de l'amnistie, § 89.

* 242 Voir notamment Antonio Cassese, International Criminal Law, Oxford University Press, Oxford, 2003, p. 315.

* 243 Le droit de Genève comprend la Convention de Genève relative à l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées de campagne (I) celle relative à l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (II) celle relative au traitement des prisonniers de guerre (III) et à la protection des personnes civiles en temps de guerre (IV) et les deux protocoles additionnels de 1977 (protection des victimes des conflits armés internationaux (I) protection des victimes des conflits armés non internationaux (II).

* 244 L'ensemble des Conventions de Genève comporte des centaines d'articles règlementant les règles des conflits armés internationaux. L'article 3 commun à ces conventions qui concerne les conflits armés à caractère non international constitue une enclave qui est appelée à juste titre par la plupart de théoriciens comme une mini convention.

* 245 L'ensemble du droit de Genève est considéré comme des règles coutumières internationales de par leur ratification large. En effet, l'Etat de Nauru et les Îles Marshall sont les deux seuls pays à ne pas avoir ratifié ces textes.

* 246 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Nicaragua c. Etats-Unis, 27 juin 1986. P 114 § 218.

* 247 Article premier paragraphe 2 du protocole additionnel II.

* 248 Procureur c. Anto FURUNDZIJA, 10 décembre 1998.

* 249 Voir, « We'll kill you if tou Cry » op cit.

* 250 l'article 4 (3) (C) du Protocole II stipule : « les enfants de moins de 15 ans ne devraient pas être recrutés dans les forces armées ou groupes armés, ni autorisés à prendre part aux hostilités »

* 251 Qui est en effet une ordonnance du Gouverneur de la Sierra Léone.

* 252 Voir notamment « We'll Kill You If You Cry »: Sexual violence in The Sierra Leone conflict de Human Rights Watch et Sexual and Gender-based violence in Sierra Leone de Physicians for Human Rights, rapports cités précédemment.

* 253 La Cour spéciale pour la Sierra Léone a inculpé au départ 13 personnes pour répondre des crimes perpétués pendant le conflit. Sam BOCKARIE et Johnny Paul KOROMA d'une part n'ont jamais été retrouvés et attraits devant la Cour, et d'autre part, Foday SANKOH et Sam Hinga NORMAN sont décédés avant la fin de leurs procès.

* 254 Depuis 1977, les femmes manifestent sur la Place de Mai à Buenos Aires réclamant la vérité sur le sort de leurs proches « disparus » pendant dictature argentine de 1976 à 1983.

* 255 Sandrine LEFRANC, Politiques du Pardon, Presses Universitaires de France, octobre 2002.

* 256 E. NGABONZIZA Quelles mesures de réhabilitation pour les enfants traduits devant les instances judiciaires ? in Les enfants et la guerre, op cit. PP 76 à 86.

* 257 Nous avons entre autres la Commission sur les disparus en Argentine, au Sri Lanka ou en Ouganda, la Commission de vérité et justice en Haïti ou Equateur, la Commission vérité et réconciliation au Chili, en Afrique du Sud, Ghana, Pérou, Serbie Monténégro ou Libéria, la Commission d'enquête pour l'évaluation de l'histoire des conséquences de la dictature du SED en Allemagne, la Commission accueil, vérité et réconciliation au Timor Leste, la Commission équité et réconciliation au Maroc...

* 258 Cette tribune publique pour les victimes et perpétrateurs d'atrocités est un rempart contre récits extrémistes et révisionnistes.

* 259 L'intégration des commissionnaires internationaux permet à la commission de profiter des compétences diverses et surtout des liens que ceux-ci ont avec le milieu international, notamment dans la recherche des soutiens et financements.

* 260 Le président Joseph Christian HUMPER est sierra léonais et évêque de l'église méthodique de Freetown. Il est assisté du juge Laura MARCUS-JONES, du spécialiste en sciences sociales Sylvanus TORO, le médecin John KAMARA, l'avocate sud africaine Yasmina Louise SOOKA, le juriste canadien William SCHABAS et la ghanéenne Ajaratou Satang JOW.

* 261 Le paragraphe 14 (2) de la TRC act de 2000 prévoit que chaque membre de la Commission « doit servir en son nom et qualité personnels, indépendant de tout partit politique, gouvernement ou de tout autre intérêt et ne devrait prendre aucune initiative susceptible créer une apparence de partialité ou entamer la crédibilité de la Commission ».

* 262 Des procès ont été intentés contre des personnes refusant de venir témoigner devant la Commission. Il faut dire qu'elle était rejetée par la minorité Blanche qui la considérait comme un outil de chasse aux sorcières du pouvoir Noir. Ainsi, les tentatives de conciliation menées par Desmond TUTU pour convaincre Peter BOTHA à venir témoigner n'ont pas été convaincants. Des poursuites pénales ont été intentées contre lui pour outrage à la Commission.

* 263 L'outrage à la Cour est puni d'une peine allant jusqu'à un million de leones d'amende.

* 264 Article 15 (5) «In the prosecution of juvenile offenders, the Prosecution shall ensure that the child-rehabilitation program is not placed at risk and that, where appropriate, resort should be had to alternative truth and reconciliation mechanisms, to the extent of their availability».

* 265 Article 21 (2) de la Loi de ratification de la Cour spéciale pour la Sierra Léone.

* 266 « Notwithstanding any other law... »

* 267 Cette formulation est d'ordre générale et est appelée à embrasser toutes les institution, personnes morales régies par la loi sierra léonaise et personne physique, sans spécifiquement se destiner à la Commission vérité et réconciliation elle-même.

* 268 Respectivement, » fire wall model»,  «free access model» et «conditional sharing model», Marieke WIERDA, Priscilla HAYNER & Paul VAN ZYL, «Exploring the Relationship Between the Special Court and the Truth and Reconciliation Commission of Sierra Leone», The International Centre For Transitional Justice, New York, 24 June 2004, Pp 8 à 10.

* 269 PRIDE (Postconflict Réintegration Initiatives for Developpment and Empowerment), une ONG locale a mené une étude de référence sur l'opinion des ex-combattants sur la Cour spéciale et la CVR. Les conclusions de cette étude étaient plus que clairs : à chaque fois qu'il s'agissait d'échange d'informations, les ex-combattants avaient plus de préférence pour le modèle étanche, car ils craignaient tous que « ...la CVR ne soit une arme d'investigation pour la Cour spéciale... et qu'ils étaient prêts à coopérer avec la CVR dès lors qu'ils étaient sûrs que leurs témoignages ne seraient pas utilisés contre leurs leaders emprisonnés... ». Voir « Ex-combattants Viewn on the Truth and Reconciliation Commission and the Special Cour for Sierra Léone », op cit.

* 270 Selon l'article 24 du Règlement établissant la Commission de Réception du Timor, celle-ci doit transmettre tous les éléments qu'elle juge pertinents pour la compréhension d'un crime grave (crime de guerre ou crime contre l'humanité) au Procureur de la Cour qui décidera sous 14 jours de la destination à donner à ces éléments. La Commission travaille dans ce contexte comme une véritable chambre d'information pour le Tribunal.

* 271 Il convient de rappeler ici que les informations ne sauraient être requises pendant la phase d'instruction, les parties n'étant pas encore en mesure de savoir si une information leur est capitale ou non.

* 272 An impartial historical record dans le texte de l'article 6.

* 273 Discours prononcé à Barray Town en septembre 2002.

* 274 TUTU Mpilo Desmond, Il n'y a pas d'avenir sans ardon, Albon Michel, Paris, 1999

* 275 Constitution de la république de Sierra Léone, Chapitre III : Droits de l'homme et libertés fondamentales.

* 276 L'article 3 commun aux 4 Conventions de Genève de 1949 et le Protocole II de 1977 sur lesquels nous nous sommes étendus en première partir du travail.

* 277 Bien que généreuse, une telle disposition trouverait difficulté à s'appliquer car, seuls les personnes sous l'autorité des lois sierra léonaises sont tenus de coopérer avec la commission. Le recours à la coopération de l'Afrique du Sud pour la recherche des données concernant les armées privées qui ont participé au conflit, et celle du Nigéria en ce qui concerne la responsabilité des forces de l'ECOMOG relevant de son commandement sont très hypothétiques. De plus, il aurait été difficile pour la Commission d'aller enquêter au Libéria où l'un des instigateurs et financiers du conflit était encore au pouvoir.

* 278 Le rapport a été publié en langue nationale et, avec le concours d'ONG locales et internationales, une version courte destinée aux enfants a été produite affin de faciliter sa restitution auprès d'un nombre toujours plus élevé de personnes.

* 279 Voir notamment les différentes procédures de vetting ou de lustration dans les pays ex-soviétiques.

* 280 Des séminaires se sont tenus les 3 et 24 juillet 2003 à Freetown, lesquels séminaires ont été complétés par une série de questionnaires envoyés à tous les représentants associatifs afin de procéder à l'évaluation la plus complète possible du processus de réconciliation.

* 281 La conduite de ces audiences thématiques a permis d'identifier des problèmes spécifiques aux groupes de personnes affectés par le conflit. L'Association des amputés et des blessés de guerre ont mis un préalable à leur participation. Ils ont voulu attirer l'attention du gouvernement de Sierra Léone sur leurs problèmes et ont exigé l'adoption d'une loi de prise en charge des amputés et de leur famille sinon, «... no amputee will appear before the Commission ! », (Cf. Communiqué de presse de l'association à Freetown en janvier 2003.)

* 282 Un certain nombre de questions d'évaluation étaient posées, à savoir : la perception personnelle des victimes de leur témoignage ; leurs sentiments, leurs attentes, la réaction de leurs familles et communautés ; si elles avaient encouru des menaces ou de la stigmatisation ; ou si elles ont encore gardé des traces de leur traumatisme et enfin, l'état des relations avec le perpétrateur s'ils ont été réunis pendant le processus devant la Commission.

* 283 Citer nommément les responsables des violations des droits de l'Homme a toujours été une donnée controversée des commissions de vérité comme celle de la Sierra Léone. Les principaux arguments pour un tel procédé étaient liés à la loi d'amnistie découlant de l'accord de Lomé. En effet, étant donné que la loi accordait l'amnistie à tous pour les crimes, nommer les perpétrateurs était le seul moyen de leur faire assumer publiquement leurs actes et de leur permettre de se réconcilier avec leurs victimes. A contrario, cela pouvait mener à une stigmatisation à la fois des victimes et des perpétrateurs une fois de retour dans leur communauté.

* 284 Préface de Mwamba CABAKULU, Proverbes africains, Marabout, Paris, 2003, p 5.

* 285 Le Conseil Interreligieux est un organisme indépendant qui regroupe tous les chefs religieux musulmans et chrétiens.

* 286 Ces rituels revêtent une signification très particulière en ce qui concerne la réhabilitation des victimes des violences sexuelles. En effet, dans les tribus des grands groupes ethniques mandingue, temne et mende, les jeunes filles devaient se marier en étant vierges. Les rituels traditionnels permettaient aux prêtres traditionnels de redonner aux jeunes filles qui ont subi des viols pendant le conflit de recouvrer symboliquement leur virginité et être ainsi dignes au mariage.

* 287 Il convient de relever ici que pour le cas de la Sierra Léone, tous les prévenus, même Charles TAYLOR ont requis l'aide juridictionnelle pour cause d'indigence.

* 288 Selon les termes utilisés par le législateur dans la loi de ratification de l'Accor spécial entre le gouvernement sierra léonais et le Secrétaire général des Nations unies.

* 289 C'est ce qui ressort du paragraphe 16 des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et réparation des victimes de violations flagrantes du droit international relatif aux droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire qui stipule en substance que : « les Etats devraient s'efforcer de créer des programmes nationaux de réparation et autre assistance aux victimes lorsque la partie responsable du préjudice subi n'est pas en mesure ou n'accepte pas de s'acquitter de ses obligations ».

* 290 Theo VAN BOVEN a été nommé en 1989 par la Sous-commission des Nations unies chargée de la protection des minorités de produire un rapport sur les mesures à prendre par les Etats pour réparer les violations graves et massives des droits de l'Homme sur leur territoire ou sous leur juridiction. Il a produit avec MC BASSIOUNI un rapport intitulé « Ensemble révisé de principes fondamentaux et de directives concernant le droit à réparation des victimes de violations flagrantes des droits de l'homme et du droit humanitaire », adopté par le Conseil économique et social le 13 avril 2005.

* 291 La Commission vérité et réconciliation définit la victime comme une personne «where as a result of acts or omissions that constitute a violation of international human rights and humanitarian law norms, that person, individually or collectively, suffered harm, including physical or mental injury, emotional suffering, economic loss, or impairment of that person's fundamental legal rights. A 'victim' may also be a dependant or a member of the immediate family or household of the direct victim as well as a person who, in intervening to assist a victim or prevent the occurrence of further violations, has suffered physical, mental or economic harm.» Rapport de la Commission, chap. 4, § 27.

* 292 Il s'agit notamment de la Community Education Investment Programme (CEIP) et de la Complementary Rapid Education for Primary Schools (CREPS).

* 293 Article 12 des Conventions de Genève I et II.

* 294 Pendant les auditions de la Commission, de nombreux ex-combattants ont suivi l'exemple de Tejan KABBAH, le Président le la République pour venir présenter leurs excuses, pour les uns directement à leurs victimes ou aux proches et pour l'autre à toute la Nation pour n'avoir pas pu empêcher ou faire cesser les souffrances de son peuple.

* 295 Comme nous l'avions dit précédemment, la peine, au sens traditionnel du terme est collective. Le pêché d'un homme éclabousse la famille, le clan ou l'ethnie tout entière. Il est donc nécessaire que les chefs traditionnels et religieux soient mis à contribution pour redonner aux coupables et aux victimes les purifications nécessaires. De plus, il est important que les jeunes filles violées pendant le conflit puissent symboliquement recouvrer leur virginité sans laquelle leur éventuel mariage serait fortement compromis.

* 296 La Commission est partie sur la base de la Loi de compensation des victimes d'accident de travail et des blessés de guerre, une échelle d'incapacité a été établie en fonction de la gravité du handicap : l'incapacité varie de 4 à 60% selon qu'il s'agisse de la perte d'un doigt ou d'une main ; de 15% lorsqu'il s'agit de la perte d'orteils ; de 30 ou 100% pour la perte partielle ou totale de la vue ; de 7 ou 50% pour la perte partielle ou totale de l'ouïe.

* 297 Présentation de l'expérience marocaine dans le domaine de la justice transitionnelle au Séminaire sur l'essentiel de la justice transitionnelle organisé en juin 2006 à Bruxelles par le Centre international pour la justice transitionnelle. Mme BENWAKRIM a relevé avec pertinence que les fortes sommes accordées de manière instantanée aux victimes des violations des droits de l'Homme ont été rapidement dilapidées par les bénéficiaires qui, le plus souvent illettrées, n'avaient pas de connaissances suffisantes en gestion pour pouvoir fructifier leurs revenus. Elle a ainsi plaidé pour un encadrement de ces personnes en leur permettant de devenir à court ou moyen terme financièrement autonomes.

* 298 Rapport de la Commission Vérité et réconciliation, Chapitre 3, § 66. (Traduction assurée par nos soins).

* 299 L'article 29 de la Constitution dispose que les circonstances exceptionnelles peuvent être declarées lorsque:

«(C) There is actual breakdown of public order and public safety in the whole of Sierra Leone or any part thereof to such an extent as to require extraordinary measures to restore peace and security; or

(d) There is a clear and present danger of an actual breakdown of public order and public safety in the whole of Sierra Leone or any part thereof requiring extraordinary measures to avert the same;

or [...]

(f) There is any other public danger which clearly constitutes a threat to the existence of Sierra Leone.»

* 300 L'article 27 de la Constitution prévoit que la non discrimination ne couvre pas les droits qui découlent de l'« adoption,  marriage, divorce, burial, devolution of property on death or other interests of personal law...»

* 301Mark FREEMAN « Qu'est ce que la justice transitionnelle ? » Communication lors du Séminaire sur l'essentiel de la justice transitionnelle organisé par le Centre International pour la Justice Transitionnelle, Bruxelles, juin 2006.

* 302 L'expression anglaise « vetting » est préféré par les auteurs et professionnels de la justice transitionnelle, car elle se différencie de la lustration par sa procédure quasi judiciaire et individualisée.

* 303 DDR : Démobilisation, Désarmement et Réinsertion. Il y avait deux programmes : le national (NCDDR) et celui de l'ONU (UNDDR).

* 304 Ceci suite aux multiples recommandations du Secrétaire général des Nations unies au Conseil de sécurité. Kofi ANNAN demandait au Conseil d'élargir le mandat de la Mission vers une formation de la police et de l'armée. (Cf. Lettre du SG des Nations Unies au Conseil de Sécurité du 28 décembre 1999).

* 305 Voir notamment le XXVIIème rapport du Secrétaire Général sur la Mission des Nations Unies en Sierra Léone, § 28. 12 décembre 2005.

* 306 Le Bureau Intégré des Nations unies en Sierra Léone est une sorte de super bureau du PNUD qui est en fait une représentation du Secrétariat général sur place. Il est chargé d'assurer le suivi des actions de la MINUSIL et assure la veille au niveau sécuritaire. Il comporte une aile d'observateurs militaires (90 hommes) basés à Freetown et qui coopèrent avec les autres missions dans la sous région (Libéria et Côte d'ivoire).

* 307 Des mesures incitatives ont été prises pour assurer la participation du plus grand nombre de personnes au processus. Cela partait des gratifications accordées lors de l'abandon des armes et des programmes de formation.

* 308 Rapport final de la Commission Vérité et Réconciliation, Volume 2, chapitre, 3 § 141.

* 309 Article 7 (2) (a) de la Human Rights Commission of Sierra Leone Act de 2004.

* 310 Sauf sur des affaires déjà connues par les juridictions nationales ou en cours d'instruction (art. 16).

* 311 L'Amicus curiae, locution latine signifiant « amie de la Cour » est une personne qui fait part de ses observations pour éclairer la Cour sur des sujets relevant de sa compétence, comme l'UNICEF l'a été devant la Cour spéciale pour les affaires relatives aux droits des enfants. Cette participation ne fait pas de la Commission une partie au conflit qui peut prétendre à un droit patrimonial ou extra patrimonial.

* 312 La société privée KPMG est associée depuis 2002 à l'audit des comptes dans le domaine de l'enseignement. Pour une commission de 10% sur les subventions accordées par l'Etat et ses partenaires aux établissements scolaires, elle assiste les gouvernements locaux dans le contrôle de leur utilisation. Voir Sali KPAKA et Joshua KLEMM, Enquête sur la traçabilité des dépenses publiques en éducation, étude de l'ONG National Accountability Group en 2005.

* 313 Inga-Britt AHLENIUS, Les contrôles de gestion, les évaluations et les institutions supérieures de contrôle des finances publiques, Revue Internationale de la Vérification des Comptes publics, publié par l'INTOSAI, numéro de janvier 2000.

* 314

Selon l'article 119 (1 - 4) de la Constitution de 1991, les articles 63 à 69 de la loi de comptabilité et des budgets de 1998 :»The public accounts of Sierra Leone and all public offices, including the Courts, the accounts of the central and local government administrations, of the Universities and public institutions of like nature, any statutory corporation, company or other body or organization established by an Act of Parliament or statutory instrument or otherwise set up partly or wholly out of Public Funds, shall be audited and reported on by or on behalf of the Auditor-General, and for that purpose the Auditor-General shall have access to all books, records, returns and other documents relating or relevant to those accounts».

* 315 Saisie des passeports et autres documents de voyage pendant une période de trois mois renouvelables (art. 27).

* 316 Faux témoignage, destruction de documents, intimidation, bris des scellés, utilisation des biens saisis, soustraction de preuves, etc.

* 317 Comme l'a prévu la loi du 18 juillet 1999 ratifiant l'Accord de paix de Lomé en son article 5, § 2.

* 318 Même pendant sa présence à Freetown, celui-ci a parasité les réunions et posé son veto chaque fois qu'une décision gouvernementale était susceptible de toucher aux zones diamantifères qu'il contrôlait.

* 319 Angola, Arménie, Australie, Biélorussie, Botswana, Brésil, Bulgarie, Canada, République Centrafricaine, République populaire de Chine, République démocratique du Congo, Côte d'Ivoire, Croatie, Ghana, Guinée, Guyana, Inde, Indonésie, Israël, Japon, République de Corée, Laos, Lesotho, Malaisie, Île Maurice, Namibie, Nouvelle-Zélande, Norvège, Roumanie, Russie, Sierra Leone, Singapour, Afrique du Sud, Sri Lanka, Suisse, Tanzanie, Thaïlande, Togo, Ukraine, Émirats arabes unis, États-Unis d'Amérique, Venezuela, Viêt Nam et Zimbabwe.

* 320 Déclaration de Joe PEMAGBI, représentant de la Sierra Léone à l'Assemblée générale des Nations unies lors des 64ème et 65ème séances plénières du 4 décembre 2006 (source www.onu.org).

* 321 Les districts de Bo (3 chieftancies), Bombali (2), Bonthe (2), Kailahun (3), Kambia (2), Kenema (3), Koinadugu (2), Kono (3), Moyamba (3), Port Loko (2), Pujehun (2), Tonkoli (2) et de l'Ouest (aucun) ; les Villes de Bo (un), Bonthe (aucun), Kenema (un), Koidu/NEx Sembehun (2) et Makeni (un) ainsi que celle de la division administrative spéciale de Freetown (aucun).

* 322 La loi prévoit le nombre des membres des gouvernements locaux en fonction de la démographie des régions en question.

* 323 Article 20 de la Loi de 2004 relative aux gouvernements locaux.

* 324 L'article 16 de la Loi de 2004 relative à l'institution des gouvernements locaux prévoit que, bien que l'Anglais soit la langue officielle du pays, les gouvernements locaux peuvent utiliser une langue locale de leur choix, pourvu que celle-ci soit comprise par les populations de la région.

* 325 Article 45 (1).

* 326 Les gouvernements locaux peuvent investir des sommes importantes dans des opérations financières nationales ou internationales sous le contrôle du ministère des finances. Article 64 de la loi relative aux gouvernements locaux.

* 327 C'est notamment les exemples du Libéria et de la République Démocratique du Congo où des gouvernements dits de transition ont été mis en place pour régler les questions relatives au rétablissement de l'ordre constitutionnel.

* 328 Paragraphe 5 du Préambule de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.

* 329 PANNIKAR, « La notion des droits de l'Homme est-elle un concept occidental ?», Interculture Vol. XVII, n° 1, Cahier 82, pp 3-27, 1984.

* 330 La Prevention of cruelty against children Act de 1926 et la Malicious Dammage Act de 1861.

* 331 Foday SANKOH est décédé le 30 juillet 2003, avant même l'ouverture de son procès. Hinga NORMAN, quant à lui, est décédé le 22 février 2007 à Dakar pendant que son procès était en phase d'appel.

* 332 Chiffre d'une enquête de Paul COLLIER cité par Jean-Marc CHATAIGNER et Hervé MAGRO dans Les Etats et Sociétés Fragiles, Karthala, Paris, 2007.

* 333 Les titres présents dans cette rubrique sont ceux qui nous ont été utiles pour les recherches nécessaires à la rédaction du présent mémoire et des travaux à venir.






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