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tourisme et développement : comment le tourisme s'est il imposé au sein du renouveau théorique

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par Nicolas Lehoucq
ILERI - Master 2007
  

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S

i l'on en croît les « objectifs du millénaire » fixés par l'ONU à la veille de l'an 2000, le sous-développement sera sans conteste le défi majeur du XXIe siècle. Nous assistons aujourd'hui à une prise de conscience du malaise issu de la situation des pays du Tiers Monde comme en témoigne les initiatives privées telles que le concert « live 8 » ou la multiplication des ONG à caractère humanitaire... L'ensemble de ces volontés n'ont qu'une conclusion commune... le refus d'un monde déchiré, à deux vitesses.

Pour comprendre le malaise du sous-développement il suffit de prendre la situation de l'Afrique où aujourd'hui la moitié de la population locale, soit près de 340 millions de personnes, vit avec moins d'un dollar US par jour, le seuil de pauvreté extrême1(*). Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans y est de 140 pour 1000 et l'espérance de vie à la naissance de seulement 54 ans. Par ailleurs, 58% de la population a accès à de l'eau potable et le taux d'alphabétisation des personnes de plus de 15 ans est de seulement 41%. Un autre indicateur moins usité nous permet de mieux cerner la situation, en Afrique il n'y a que 18 lignes téléphoniques pour 1000 personnes, par rapport à 146 dans le monde entier et 567 dans les pays à revenus élevés2(*). Dans ce contexte et face à la mondialisation, comment se développer ?

Historiquement, c'est au début des années 50 que la notion de développement s'élabore en tentant de se démarquer du principe de la croissance3(*), mais ce ne sera en vérité qu'à la fin du XXe siècle que ce lien entre croissance et développement va être remis en cause et retravaillé, en mettant au centre de l'analyse le fait que la croissance n'est pas une condition suffisante au développement4(*). Les questions liées aux modèles de développement n'ont donc été une préoccupation nouvelle qu'à la fin du XXe siècle. Les critiques firent état des disparités entre les sociétés, et des dysfonctionnements dans ces dernières, conséquences d'une politique d'essor à forte composante économique, qui avait pour objectif unique la croissance.

Initialement le sous-développement fut ainsi considéré comme « la caractéristique des économies chez lesquelles l'augmentation de la productivité découlait essentiellement des avantages comparatifs créés par l'expansion internationale de demandes des produits primaires »5(*).

Cependant, les pays du Sud virent la donne changer via l'apogée du libre-échange. En effet, par ce dernier et la fin des mesures protectionnistes, les pays sous-développés durent renoncer à la substitution des importations6(*) qui leur permettait de réduire le déséquilibre entre leur lente croissance et le déclin de leur capacité de paiement internationale. Cette pratique qui permettait de contrôler dans une certaine mesure l'endettement fut ainsi supprimée ; de ce fait une phase de forte augmentation de la dette externe se créa.

Pour comprendre ce phénomène d'endettement, il faut revenir sur l'échec des politiques macro-économiques. En effet, les grandes institutions internationales sont les responsables de l'augmentation de la dette des pays sous-développés, le fiasco des politiques institutionnelles des grandes organisations mondiales comme le FMI et la Banque Mondiale montrant ainsi la difficulté de gérer l'économie mondiale.

Le système de développement mis en place par la Banque Mondiale et le FMI fut et le reste encore « une gestion mondiale sans gouvernement mondial »7(*). Il s'agit d'une doctrine où dominent quelques institutions et quelques acteurs mais surtout d'un système où beaucoup de ceux qui sont touchés par leurs décisions n'ont pratiquement aucun droit de parole8(*).

Le FMI joue un rôle particulier dans l'aide internationale. Il est censé surveiller la situation macro-économique de chaque pays et s'assurer que ce dernier ne vit pas au-dessus de ses moyens, car si tel était le cas, d'inévitables difficultés seraient à prévoir. Un pays peut vivre ainsi à court terme en empruntant, mais l'heure de vérité finira par sonner.

Or les prescriptions du FMI, en partie fondées sur l'hypothèse dépassée selon laquelle le marché aboutit spontanément aux résultats les plus efficaces, n'autorisèrent pas les interventions souhaitables de l'Etat sur le marché9(*). Ainsi en voulant remplir ce rôle de « grand régulateur », le FMI a imposé des taux d'intérêt qui interdisent toute création d'emploi même dans un contexte favorable10(*). La compréhension de l'économie par le FMI semble ici limitée ; il convient donc de transformer la vision du développement, or peut-on imaginer un nouveau paradigme sur le sujet ? Le secteur privé pourrait-il venir produire l'apport dont a besoin le secteur public dans le développement ?

Face à cela on vit se dégager des concepts de développement à partir du bas, de développement participatif qui ne sont, selon Bennett, qu'une réponse critique au processus « dictatorial bienveillant » du macro-développement11(*). Or il n'est pas facile de planifier et d'effectuer des interventions à partir du bas car nombre de projets de développement ne sont pas conçus pour fournir des bénéfices à des populations locales, mais à des groupes d'un ordre qui dépasse l'aire d'intervention.

Le développement semble ainsi à l'aube de ce nouveau siècle à la croisée des chemins ; après plusieurs décennies de Guerre froide, où les deux Nords se sont concurrencés sur le plan international, pour venir en aide aux pays tiers, et où s'était mise en place une coopération à caractère stratégique, la faillite de cette politique est venue renforcer la position des plus libéraux qui critiquent le gaspillage de moyens et défendent les relations commerciales comme véhicule d'aide aux pays en développement. L'aide au développement a ainsi permis de « créer et resserrer les liens politiques entre les pays demandeurs de l'aide et les pays fournisseurs, mais les impacts réels sur l'économie ou le tissu social n'ont en vérité pas été les préoccupations prioritaires de ce modèle »12(*).

Aujourd'hui même si on parle souvent de « l'impact dévastateur que peut avoir la mondialisation sur les pays en développement »13(*), nous assistons à une dynamique internationale de relations commerciales de plus en plus intenses. « On retrouve sur le globe de nouveaux vecteurs porteurs de croissance qui se croisent », et qui laissent entrevoir de nouvelles formes de coopération. Cette nouvelle coopération à « géométrie variable »14(*) est fondée sur « des plates-formes régionales qui cherchent à jouer un rôle politique et économique dans leurs zones d'influence »15(*). Cette vision « d'une géométrie variable » des relations s'explique par l'opposition entre une certaine homogénéité que l'on retrouve dans les pays industrialisés à culture occidentale et la diversité des réalités des pays du Sud. Cette reconnaissance « d'une réalité polymorphe16(*) » peut éviter l'erreur de vouloir découvrir des solutions universelles, applicables aux pays en développement.

C'est donc dans une nouvelle dimension géographique et politique, ou géopolitique, qu'il faut formuler les modèles alternatifs de développement. Du point de vue des disparités de développement et de niveaux de vie, le monde continue de présenter deux visages et fonctionne à des vitesses différentes : un monde socialement divisé, où la pauvreté est synonyme de malnutrition et famine, pour les uns, et d'exclusion, pour les autres. Mais c'est aussi un monde qui commence à prendre conscience qu'il fonctionne dans une logique où l'action des uns a des répercussions visibles sur les autres17(*).

Face à ce constat et cette évolution, les institutions internationales, puis la société civile, travaillent depuis près de trois décennies à faire émerger un nouveau modèle de développement qui tienne compte des potentialités sociales et du potentiel des ressources naturelles locales, dans une logique de pérennité des choix de développement pour les générations à venir.

Le développement qui était lié à la théorie de la dépendance18(*) est dans un renouveau théorique ; pis, une nouvelle idée apparaît celle d'un nouveau modèle économique qui place la liberté comme facteur de développement19(*).

Dans ce contexte, les pays sous-développés ne demandent aujourd'hui « ni une perturbation de la dépendance par le biais de l'aide, ni de concessions marginales »20(*). Ils souhaitent être les maîtres de leurs destins.

Il convient alors de s'interroger pour savoir quel secteur privé est-il capable de s'adapter, de permettre de pérenniser le développement  dans ce renouveau théorique?

Le tourisme qui comprend « les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs » ; est de plus en plus mis en avant comme solution au développement. L'Organisation Mondiale du Tourisme stipulant même que « Le développement d'un tourisme durable répond aux besoins des touristes et des régions qui les accueillent, tout en ménageant et améliorant les possibilités futures. Il doit se traduire par une gestion de toutes les ressources permettant à la fois de satisfaire les besoins économiques, esthétiques et sociaux, et de préserver l'intégralité culturelle, les écosystèmes, la biodiversité et les systèmes de soutien à la vie.21(*) » Mais l'industrie touristique peut-elle porter à elle seule le développement ? Cette solution est-elle généralisable ? Comment la mettre en oeuvre ?

Pour résumer notre propos, nous pouvons dire que le développement est à la croisée des chemins ; il convient aujourd'hui d'établir un nouveau paradigme répondant aux besoins mais également aux spécificités de chaque Etat du Sud. Le tourisme semble ouvrir sur un nouveau postulat : et si la solution au développement ne résidait pas au sein d'une stratégie globale dictée par les institutions internationales mais plutôt au sein du potentiel de chaque Etat sous-développé ?

Pour répondre à l'ensemble de ces interrogations, nous diviserons notre étude en deux parties distinctes. La première s'attachera à l'analyse du renouveau théorique et à la mise en avant du tourisme dans les politiques de développement. Le seconde partie, plus concrète, aura comme objectif affiché de mettre en avant les besoins du tourisme et par conséquent les limites du lien « tourisme-développement » ; il conviendra de comprendre comment faire du tourisme un réel vecteur de développement.

I. Le renouveau théorique du développement

« Si la conditionnalité a engendré de la rancoeur, elle n'a pas réussi à engendrer le développement » Joseph E. Stiglitz22(*)

« De la rancoeur », c'est via ce terme que Joseph Stiglitz23(*), ancien vice-président de la Banque mondiale, définit l'échec des politiques de développement misent en place par les institutions internationales durant les cinquante dernières années. Ce point de vue pessimiste est sans aucun doute issu de l'analyse de l'économie du développement que firent nombre de spécialistes dans la décennie 1990 ; cette dernière met en avant plusieurs points primordiaux dans la perspective d'établir un « nouveau modèle de développement ».

Premièrement sur le plan historico politique ; après la chute de l'URSS et en conséquence la fin de la Guerre Froide, on vit apparaître des conflits entre pays du tiers-monde. Ces nouvelles conflictualités mirent à mal les espoirs issus de la conférence de Bandoeng ; mais surtout, elles amenèrent le « nouveau monde unipolaire » à repenser la problématique du sous-développement.

Par ailleurs sur le plan économique, on se rendit compte lors de la dernière partie du XXe siècle de la diversification croissante des pays en développement. En effet, l'apparition, au moins en apparence, de gagnants et de perdants mais également la constitution de groupes aux intérêts distincts mirent à mal l'idée d'une solution unique, d'une seule voie vers le développement. Cette prise en compte de la diversification des pays sous-développés entraîne de facto, une définition nouvelle des voies vers le développement mais également la prise en compte des spécificités de chaque Etat du Sud.

Mais la fin des années 1990 fut également marquée par l'apparition d'une « société civile internationale », selon l'expression consacrée par la théoricienne Béatrice de Pouligny, voulant faire entendre sa voix sur l'échiquier mondial. Il s'agit donc ici d'un bouleversement idéologique auquel nous assistons dans les pays industrialisés, ce dernier ayant pour conséquence et ce pour la première fois, des campagnes d'opinion tournées vers le développement.

Le XXIe siècle semble donc se tourner autrement vers le développement ; un développement prenant en compte les bouleversements de la fin du XXe siècle. En un mot, un développement ne se lisant plus par une grille idéologique dictée par les « grands » mais un développement en osmose avec les spécificités des Etats en développement et les souhaits des peuples. Il convient ainsi de redéfinir les voies vers le développement et la prospérité ; c'est ainsi qu'apparut le « renouveau théorique ».

I.1. La reconquista de leurs destins par les pays sous-développés

Le besoin d'un nouveau cadre théorique pour le développement est intimement lié au fait que le développement fut subordonné durant des décennies à la théorie de la dépendance24(*). En effet, la formation d'un groupe social dominant au sein des pays du Sud avec des modèles de consommation imités des pays développés s'est définie à la fois comme un facteur déterminant du développement des Etats sous-développés mais également du maintien de leur dépendance. Il s'agit du phénomène de la « transplantation25(*) » du centre vers la périphérie ; l'idée est ici que les pays développés n'ont favorisé par leurs politiques de développement et d'aides publiques, qu'une partie infime de la population des Etats du Sud26(*) ; entraînant par là même la création d'un gouffre au sein de la population locale mais également une forme de besoin envers les pays développés qui seuls pouvaient répondre aux attentes de la minorité dominante. Ce cadre d'étude nous permet de comprendre pourquoi la théorie du développement fut analysée dans les conditions de la dépendance27(*).

En effet, dans les économies des pays développés, la diffusion de nouveaux biens et des techniques productives correspondantes constitue un « facteur important d'élévation de productivité »28(*). Ce processus va s'accompagner logiquement de l'élévation du niveau de vie de l'ensemble de la population, soit par le biais de l'augmentation du taux de salaire, soit par le biais de la baisse des prix relatifs aux biens de consommation générale.

A l'inverse dans les économies des Etats sous-développés, la situation est tout autre ; en effet le processus de diffusion de nouveaux biens et de nouvelles techniques productives est freiné par l'exclusion d'une partie de la population des circuits monétaires et par la stagnation du salaire. L'augmentation de productivité dans les pays périphériques ne se traduisant donc pas en une élévation du taux des salaires. Bien au contraire, elle provoque une augmentation des frais de consommation de la minorité dominante et exclut encore plus le reste de la population29(*). « Le développement en vint à se confondre avec l'assimilation à des modèles culturels importés ou avec la modernisation du style de vie d'une minorité privilégiée »30(*).

1. De la théorie Amartya Sen au rapport du NEPAD

L'évolution de l'économie entraîne le besoin d'un nouveau cadre théorique

C'est de cette prise en compte que le développement fut trop longtemps lié à une forme de dépendance que naquit une nouvelle effervescence théorique. Via cette dernière, les économistes et théoriciens n'hésitèrent pas à remettre en cause les hypothèses qui avaient été élaborées pour expliquer et solutionner le développement.

L'ouvrage, « les étapes de la croissance économique, un manifeste non communiste » de WW Rostow paru en 1961 fut particulièrement rediscuté. Dans ce livre, Rostow recensait les étapes de développement par lesquelles toute société se doit de passer afin d'atteindre la prospérité. La première étape est celle de la société traditionnelle où domine l'activité agricole ; ensuite viennent les étapes préalables au décollage dont la description est « calquée » sur l'évolution des sociétés européennes du XVe au XVIII: développement des échanges et des techniques, évolution des mentalités qui commencent alors à rompre avec le fatalisme et augmentation des taux d'épargne. La troisième phase est celle du décollage, vient ensuite l'étape de la marche vers la maturité pour terminer par l'étape finale : l'ère de la consommation de masse.

Cette théorie bien huilée fut largement remise en cause ; en effet on expliqua « que le sous-développement contemporain n'était en rien assimilable à la situation des économies précapitalistes de l'Europe avant la révolution industrielle »31(*). Par conséquent, transposer la théorie de Rostow à une réalité structurellement différente (la situation des pays sous-développés d'aujourd'hui) ne pourrait conduire qu'à des erreurs32(*). Aujourd'hui, il est bien connu que l'économie internationale liée à la spécialisation géographique et aux avantages comparatifs a cédé la place à une autre économie au sein de laquelle les marchés sont contrôlés par les grandes entreprises33(*) et où les Etats sont interdépendants. Ce qui caractérise l'économie internationale du début du XXIe siècle est donc le contrôle par des grands groupes mondiaux de l`économie mais également l'interdépendance croissante des économies et la perte de moyens de régulation globaux de l'Etat régalien.

La théorie d'Amartya Sen et son apport dans l'approche du développement

Ainsi l'apport majeur au nouveau cadre de développement des Etats du Sud fut sans conteste la théorie du Prix Nobel d'Economie Amartya Sen. Déjà Joseph E Stiglitz avait mis en avant le concept de liberté en intitulant un des chapitres de son livre « la grande désillusion » : « la liberté de choisir ? ».

Mais c'est Amartya Sen qui le premier théorisa l'idée que le développement pouvait être appréhendé comme « un processus d'expansion des libertés réelles dont jouissent les individus »34(*). Pour le Prix Nobel, il ne fait aucun doute que dans ce cadre théorique plaçant la liberté au centre du développement, la croissance du PNB ou des revenus revêt une grande importance en tant que moyens d'étendre les libertés dont jouissent les individus.

Plus particulièrement, Amartya Sen explique que la liberté occupe une place centrale dans le processus de développement pour deux raisons35(*) :

· « Une raison d'évaluation »: dans le sens où selon lui, tout jugement sur le progrès et le développement n'a de sens que rapporté aux libertés : « une avancée est une avancée de libertés ».

· « Une raison d'efficacité » : le progrès dans le développement dépend avant tout de la possibilité pour les gens d'exercer leur libre initiative, ce que Sen appelle leur « fonction d'agent ».

Il est donc évident ici que la liberté de participer aux échanges économiques et par conséquent de s'engager pleinement dans le développement de son propre pays a un rôle fondamental certes dans la vie sociale mais également dans la réussite du processus de développement de l'Etat36(*). Quand le développement dépendra réellement de ceux qui en seront les principaux bénéficiaires, celui-ci verra ses chances de réussite décuplées. A l'inverse, si la liberté économique s'exprime sous la forme de la pauvreté extrême comme ce fut le cas pour de nombreux pays, et rend par conséquent une personne vulnérable alors son bien être mais surtout ses autres libertés seront particulièrement fragiles.

Dans son ouvrage, Amartya Sen s'oppose ainsi à la « thèse de Lee »37(*) laquelle posant comme principe que le non-respect des droits individuels stimulerait la croissance économique38(*) et constituerait un facteur essentiel de décollage économique, phase préalable au développement comme le stipulait WW Rostow39(*).

Dans l'élaboration de sa théorie, de son « Nouveau Modèle Economique », Amartya Sen définit cinq types de libertés instrumentales qui sont à ses yeux indispensables de prendre en compte. Il s'agit des « libertés politiques, des facilités économiques, des opportunités sociales, des garanties de transparence et de la sécurité protectrice »40(*). Pour renforcer cette idée, Amartya Sen souligne qu'il n'est pas nécessaire d'atteindre un certain seuil de prospérité acquis après une longue période de croissance économique, pour se donner les moyens de généraliser certaines libertés telles que les services d'éducation ou de santé41(*).

Pour synthétiser la pensée de Amartya Sen, on peut dire que :

« La promotion de la liberté humaine est à la fois l'objectif principal et le moyen premier du développement. À l'inverse la pauvreté est une privation de capacités »42(*).

La définition d'une stratégie nouvelle par le NEPAD (ou NOPADA43(*))

La théorie d'Amartya Sen va connaître son plus grand succès, son plus grand écho via le sommet du NEPAD de 2001.

Le constat du départ du NEPAD est le fait que le sous-développement n'est pas un retard de croissance mais le « produit d'une situation historique spécifique », cette dernière renvoyant ainsi à la colonisation de l'Afrique par les Etats d'Europe et aux conditions de la naissance du capitalisme industriel. Selon le NEPAD, cet enracinement historique trouve ses continuations dans le fonctionnement moderne de l'économie mondiale et dans les modalités d'insertion internationale. Nous retrouvons ici la critique de la théorie de la dépendance des Etats du Sud par rapport aux Etats du Nord que nous avons souligné précédemment. L'analyse que met en avant le rapport du NEPAD ouvre sur le postulat des cercles vicieux44(*).

Ce raisonnement dérive directement de l'hypothèse de la pénurie d'épargne cette dernière constituant une liberté primaire pour Amartya Sen45(*) :

· La pauvreté et la faiblesse du revenu sont selon le postulat des cercles vicieux, responsables d'une faiblesse de l'épargne ce qui compromet l'accumulation du capital. Cette situation maintient donc une faible productivité et a pour conséquence l'absence de l'augmentation des revenus.

· Ces faibles revenus maintiennent de fait la majorité de la population dans un état de malnutrition. Via cette dernière, la productivité de l'individu au travail ne peut que rester faible, par conséquent son revenu ne pourra de nouveau ne pas être augmenté.

· Via les faibles revenus distribués aux travailleurs, le revenu national reste au plus bas. Ceci entraîne une anémie des dépenses d'éducation et donc de la formation de la main d'oeuvre. Ce manque de qualification et d'éducation de la population locale ne lui permet pas de devenir plus productive et ainsi de voir son revenu augmenté ; ce qui ne conférera pas à l'Etat un budget plus important pour favoriser l'éducation.

· Pour terminer, les faibles revenus amènent une faible consommation et des débouchés réduits pour les entreprises. Ainsi, ces dernières n'investiront que modérément ; la productivité continuera à stagner, la production restera faible de même que les revenus.

Schéma cercle vicieux

Après avoir établi le constat d'échec du développement en Afrique, et tenté d'en apporter les raisons, le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NOPADA) va, dans son rapport d'Octobre 2001, définir de nouvelles lignes directrices afin d'assurer un développement équitable et durable de ce continent meurtri qu'est l'Afrique46(*). Ce nouveau cadre fait directement référence à la théorie d'Amartya Sen ; en effet il est au centre de la volonté des Africains de :

« S'extirper eux-mêmes, ainsi que leur continent, du malaise du sous-développement et de l'exclusion d'une planète en cours de mondialisation ».

Par cet engagement, le NEPAD démontre toute sa détermination à mettre en place la liberté de choisir comment se développer. L'idée centrale ici est celle qui consiste à partir du postulat que les populations des Etats sous-développés connaissent mieux que quiconque leurs potentiels, spécificités et besoins.

Ceci est en rupture avec le mode choisi depuis les années 1970, lorsque les pays d'Afrique sont devenus membres des institutions de la communauté internationale47(*). Depuis lors le couple aide / crédit était resté le socle du développement de l'Afrique. Or le crédit s'est traduit par l'impasse de la dette qui n'a fait qu'entraver la croissance des pays d'Afrique d'autant plus que l'autre pendant de la stratégie à savoir l'aide au développement fixée dans les objectifs des années 1970 s'est peu à peu réduite compte tenu des difficultés de remboursement de la dette48(*). Le rapport du NEPAD de 2001 marque donc le fait que le système imposé par les institutions internationales ne convint plus.

Les Africains déclarent via le NEPAD qu'ils ne se laisseront plus « conditionner par les circonstances »49(*). Ils détermineront eux-mêmes leur destinée et feront appel au reste du monde pour compléter leurs efforts. Ils notent par ailleurs des progrès via l'expansion de la démocratie50(*). La Reconquista de leurs destins par les populations du Sud est donc en marche.

2. Une nouvelle stratégie qui s'inscrit dans l'évolution du tourisme

Pour réussir cette nouvelle stratégie de développement, les Etats du Sud se doivent de prendre en compte plusieurs éléments. Il leur faut continuer à gérer le remboursement de la dette tout en assurant un développement de leurs économies. Il leur faut ainsi trouver un secteur répondant à l'ensemble de leurs besoins et pour lequel, ils seront compétitifs. Dans ce contexte le tourisme répond-t-il à la nouvelle stratégie ?

Le tourisme évolue à travers les âges

L'ancienneté du désir de voyage et de découverte est intrinsèque à la nature humaine. Déjà, le monde hellénistique adorait les sites touristiques tel que Mirabilia, ou comme en témoigne l'idée des sept merveilles du monde51(*). On se souvient également de Ibn Battuta, le grand voyageur arabe du 14e siècle qui parcourut près de 20 000 Kms pour « la joie de découvrir des pays et peuples nouveaux ».

Ce n'est que bien plus tard que le tourisme devint l'expression indirecte de l'enrichissement et de la « prospérité des couches dominantes de la société aux débuts de l'ère industrielle »52(*). L'évolution des processus productifs, par l'apport des nouvelles technologies et de l'innovation, a permis l'émergence et une libération croissante d'un temps consacré aux loisirs. Ce nouvel espace d'émancipation de l'esprit est occupé de nos jours par des activités telles que la pratique de voyages, la découverte et la connaissance de nouveaux espaces culturels et géographiques. Le tourisme apparaît comme catalyseur de cette volonté. Il est un secteur alternatif pour les régions qui sont à la recherche de reconversion économique, et c'est également une industrie qui permet la création de valeur par l'utilisation des ressources naturelles.

Comme le note J-D Urbain, « Aujourd'hui les gens voyagent comme ils mangent »53(*), cette formule qui peut paraître choquante au premier abord, illustre néanmoins le fait que le tourisme et le voyage sont aujourd'hui une banalité.

La sociologie touristique

La demande touristique fut longtemps appréciée via les fameux quatre « S » : sand, sea, sun, sex54(*). Mais en vérité, la demande touristique est bien plus compliquée et ne cesse de se complexifier compte tenu de l'évolution des mentalités, des spécificités, des moyens de communication et de l'exigence55(*).

Au-delà de ces facteurs évidents et consensuels de la demande touristique, certains auteurs comme Robert Lanquar ont établi le concept de sociologie du tourisme. Pour Lanquar, la sociologie du tourisme recoupe plusieurs domaines comme « le bien être, le cadre de vie, la culture, la communication, les groupes sociaux, le développement, la rencontre des sociétés différentes, la psychologie des individus, les sondages, les études d'impact ou celles de marché, et l'aménagement du temps de travail »56(*). De l'ensemble de ces données, nous pouvons dégager un concept nouveau, celui de la « tourismologie »57(*) : préférence accordée au phénomène sociétal58(*).

Par l'étude que nous venons de faire de la demande touristique, des préférences des voyageurs nous pouvons comprendre aisément qu'un des défis principaux du secteur touristique est l'adaptation des entreprises touristiques aux besoins de la demande touristique internationale. Or comment les pays sous-développés qui représentent un niveau de vie inférieur à celui des pays du Nord, peuvent-ils être conduits à développer le tourisme en leurs seins ?

Pour répondre à cette interrogation, il faut comprendre que la demande touristique a évolué avec les années. Aujourd'hui la nature et la culture sont de véritables leitmotivs pour des voyageurs de plus en plus nombreux en quête d'expériences exotiques que seuls les pays en voie de développement peuvent offrir59(*). Si l'on ajoute à cela une demande nouvelle de vacances dans les pays à économies émergentes telles que l'Inde et la Chine ; on assiste à un déplacement des activités touristiques vers le sud.

Le tourisme : une opportunité pour le développement

Au fur et à mesure du temps, « le tourisme international est devenu une partie fondamentale de la spécialisation internationale des pays »60(*) au même titre que le commerce international des marchandises, que les mouvements de capitaux... Dans certains pays, le poids du tourisme international est supérieur à celui des échanges internationaux de marchandises61(*).

Le tourisme est par ailleurs un vecteur de mobilité : des personnes, des devises, des modes de consommation. En ce qui concerne la mobilité des personnes, le tourisme est un phénomène migratoire particulier, par ses motivations, sa distribution, sa périodicité : il est régulier et volontaire. Il peut être également, par la mobilité des devises, des modes de consommation, des normes de qualité, de confort, de sécurité dans les infrastructures de transport ou dans l'hébergement par exemple, un acteur participatif dans le processus de mutation des espaces urbains et ruraux, en tant que catalyseur de développement.

C'est un consommateur d'espace, de ressources naturelles dont il est dépendant ; et dans l'optique des pays en développement, dont la structure du tissu économique repose souvent sur les activités du secteur primaire (agriculture, pêche et exploitation minière), le tourisme peut se retrouver en tant que concurrent des activités traditionnelles, sur un territoire donné.

Le tourisme a de nombreux avantages pour les pays en développement car non seulement il contribue à diversifier leurs ressources en devises (particulièrement important dans le cadre du remboursement de la dette) mais également par le fait que la balance des opérations touristiques ne subit pas les aléas de la dégradation des termes de l'échange, comme la balance commerciale. C'est un avantage essentiel pour le développement des pays sous-développés.

De plus l'emploi dans le secteur touristique ne nécessite encore aujourd'hui malgré les progrès technologiques, pour la plupart des postes de travail, qu'une qualification moyenne ou faible62(*).

Le tourisme est, pour ces raisons, considéré comme un secteur stratégique de développement pour les pays en développement.

* 1 Rapport du NOPADA Octobre 2001, page 1.

* 2 Source rapport du NOPADA Octobre 2001, page 1

* 3 Il convient ici de se référer au livre de François Perroux, Pour une philosophie du nouveau développement ; Presses de l'UNESCO, Paris, 1981, 279 pages.

* 4 Précédemment l'ensemble des cadres théoriques sur le développement affirmait que s'il y avait croissance, il y aurait développement.

* 5 Celso Furtado, théorie du développement économique ; PUF, Paris, 1976, page 203

* 6 Cf. Celso Furtado, Théorie du développement économique ; PUF, Paris, 1976 ; page 208

* 7 Joseph Stiglitz, la grande désillusion ; Fayard, Paris, 2006, page 55.

* 8 Il s'agit ici de ce que dénonce Bennett comme « Processus Dictatorial bienveillant ».

* 9 C'est ce que nomme Stiglitz comme modèle américain de la Banque Mondiale.

* 10 Joseph E. Stiglitz, La grande désillusion ; Fayard, 2002 ; page 48.

* 11 Sur ce point se référer au livre de Massimo Tommasoli, le développement participatif ; 2004.

* 12 Ben Brik Anis, thèse sur le tourisme et développement durable, 2004 ; page 8.

* 13 Joseph E. Stiglitz, La grande désillusion ; Fayard, 2002 ; page 17.

* 14 Ben Brik Anis, thèse sur le tourisme et développement durable, 2004.

* 15 Idem

* 16 Ben Brik Anis, thèse sur le tourisme et développement durable, 2004 ; page 8.

* 17 Ben Brik Anis, thèse sur le tourisme et développement durable, 2004.

* 18 Sur ce point, il convient de prendre en référence les théories de Furtado, Sunkel, Cardoso et Faletto.

* 19 Il s'agit de la théorie d'Amartya Sen que nous verrons plus loin.

* 20 Rapport du NOPADA Octobre 2001, page 1.

* 21 Guide à l'intention des autorités locales : Développement durable du tourisme, OMT, 1999, p. 18 à 23.

* 22 Joseph E. Stiglitz, La grande désillusion ; Fayard, 2002 ; page 89.

* 23 Joseph Stiglitz est professeur d'économie, Prix Nobel d'Economie, ancien conseiller de Bill Clinton, qui en 1999 démissionna de son poste de Vice-président de la Banque Mondiale en expliquant qu'il préférait partir « plutôt que d'être muselé ».

* 24 Sur ce point précis, il est conseiller de se référer au livre de Celso Furtudo, Théorie du développement économique ; PUF, 1976 ; et plus particulièrement au chapitre intitulé « Dépendance externe et sous développement ».

* 25 Selon le terme utilisé par Celso Furtudo dans son livre « Théorie du développement économique » ; PUF, 1976 ; page 205

* 26 Cette partie infime, étant comme le relève François Xavier Vershave dans son livre « Françafrique », essentiellement composé des hommes de pouvoirs et hauts industriels totalement en adéquation avec les Politiques des pays du Nord.

* 27 Nous pourrions ici approfondir notre analyse de la dépendance par une étude poussée des systèmes de pouvoir et des racines culturelles et historiques de ces dernières.

* 28 Celso Furtudo, Théorie du développement économique ; PUF, 1976 ; page 206.

* 29 Celso Furtudo, Théorie du développement économique ; PUF, 1976

* 30 Celso Furtudo, Théorie du développement économique ; PUF, 1976 ; page 203

* 31 Stéphanie Treillet, l'économie du développement ; Nathan, 2002, page 11

* 32 De plus, l'idée selon laquelle il n'existerait qu'un état unique de développement souhaitable est trop figée. Comme l'écrivent Pierre Dockès et Bernard Rosier dans leur ouvrage l'histoire ambiguë (Puf, 1988) : « le fait que l'ère de consommation de masse soit la finalité posée du développement exprime bien que pour ces auteurs (Rostow) toute société est appelée à rejoindre la société américaine posée comme référant absolu, par une analyse réduisant l'histoire à un schéma linéaire et répétitif qui nie toute spécificité des sociétés... et empêche toute politique alternative ».

* 33 Voir sur ce point l'ouvrage de Hymes « the multinational corporation and law of unerdevelopment »

* 34 Amartya Sen, Un nouveau modèle économique ; Odile Jacob, 1999, page 15.

* 35 Amartya Sen, Un nouveau modèle économique ; Odile Jacob, 1999, page 16 et 17.

* 36 Amartya Sen, Un nouveau modèle économique ; Odile Jacob, 1999, page 20.

* 37 Cette théorie tire sa dénomination du Nom de l'ancien Premier Ministre de Singapour Lee Kuan Yewselon.

* 38 Amartya Sen, Un nouveau modèle économique ; Odile Jacob, 1999, page 30.

* 39 Cf. Supra

* 40 Amartya Sen, Un nouveau modèle économique ; Odile Jacob, 1999, page 59.

* 41 Amartya Sen, Un nouveau modèle économique ; Odile Jacob, 1999, page 72.

* 42 Il s'agit ici du titre du chapitre 4 de l'ouvrage d'Amartya Sen intitulé Un nouveau modèle économique.

* 43 Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique

* 44 Ce concept découle des théories de la croissance équilibrée et déséquilibrée (Hirschman).

* 45 L'analyse de ce raisonnement appelé « causalités circulaires cumulatives » par Gunnar Myrdal, se retrouve dans l'ouvrage de Stéphanie Treillet, l'économie du développement ; Nathan, 2002, page 54.

* 46 Ceci est exprimé dans le rapport lui-même qui « représente une promesse faite par des dirigeants africains de placer leurs pays sur la voie d'une croissance et d'un développement durables ». Rapport du NOPADA Octobre 2001, page 1.

* 47 Rapport du NOPADA Octobre 2001, page 1.

* 48 Le rapport du NEPAD parle ici de « plafonnement de l'aide publique »

* 49 Rapport du NOPADA Octobre 2001, page 2.

* 50 Rapport du NOPADA Octobre 2001, chapitre relatif aux initiatives pour la paix, la sécurité et la bonne gouvernance ; page 16 à 19.

* 51 Boris Martin, Voyager autrement ; Edition Charles Léopold Mayer, 2002, page 50

* 52 Comme le souligne Gabriel Wackermann dans son livre loisir et tourisme ; SEDES, 1994, 254 pages.

* 53 Jean Michel Hoerner, Traité de tourismologie ; collection études, 2002, page 17.

* 54 En Français : sable, mer, soleil et sexe

* 55 Voir le schéma en annexe (1) de la demande touristique .

* 56 Jean Michel Hoerner, Traité de tourismologie ; collection études, 2002, page 31.

* 57 Jean Michel Hoerner, Traité de tourismologie ; collection études, 2002, page 32.

* 58 Voir en annexe (2) le schéma de l'implication du Moi dans le tourisme.

* 59 Centre indien de recherche Equations, Expansion du tourisme international et libéralisation des services ; Alternatives Sud, volume 13, 2006.

* 60 François Vellas, Economie et Politique du Tourisme International ; Economica, 2007, page 51.

* 61 Par exemple, le secteur du tourisme a permis à l'Espagne de devenir la huitième puissance industrielle du monde en lui fournissant, au cours de sa croissance, sensiblement autant de devises étrangères que ses exportations.

* 62 Cf. analyses du BIT (Bureau International du Travail).

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