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L'aventure scripturale au coeur de l'autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène

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par Nadia BOUHADID
Université Mentouri, Constantine - Magistère en science des textes littéraires 2008
  

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2.1.3 Les policiers face aux jeunes de la banlieue :

Les quartiers difficiles ou « zones sensibles» semblent ordinairement rimer avec les expressions : « gangs de dealers », « violence des jeunes », « intervention des policiers ». Effectivement, les jeunes souffrant du chômage et de l'exclusion sociale tombent souvent dans le gouffre de la délinquance. Cependant, certaines analyses ont montré que « la délinquance peut être considérée comme une stratégie contre la dévalorisation.2». Quelles que soient les raisons qui les ont poussés à suivre cette voie, ces jeunes par leur comportement de délinquant se retrouvent inévitablement en affrontement avec les policiers.

La narratrice nous rapporte ainsi l'une de ces scènes d'embarquement de policiers
chez un suspect : « C'était tante Zohra en panique parce que des policiers sont

1 UNICEF, La situation des enfants dans le monde 200. Femmes et enfants : le double dividende de l'égalité des sexes, Rapport 2007, p12, cité par : Ghislaine Sathoud, « Femmes de nulle part : vivre entre deux cultures », art. en ligne : http://sisyphe.org/sisypheinfo/article.php3?id_article=142

2 Malewska-Peyre, Hanna , « Le processus de dévalorisation de l'identité et les stratégies identitaires », cité in : Stratégies identitaires, Paris, PUF, 1990, p. 138.

venus chez elle à six heure du matin pour arrêter Youssef. Ils ont défoncé la porte, l'ont sorti du lit à coups de pieds, mis tout sens dessus dessous dans l'appartement et l'ont emmené au poste » (p.69)

Au niveau d'inventio les syntagmes « arrêter », « défoncé », « coups de pieds » prennent un sens très explicite car ils renvoient promptement aux scènes de violence lors d'une arrestation conventionnelle. Donc, ces syntagmes constituent des stéréotypèmes du stéréotype : la violence des policiers. Quant au niveau de dispositio, la succession des actions est très prévisible (défoncement+ pénétration en domicile + intervention physique+ arrestation), ce genre d'enchaînement est une forme très classique des scènes d'intervention policière.

Cependant, le déictique « à six heures du matin » confère au texte plus de vraisemblance et l'éloigne de la généralité banalisante du stéréotype. Remarquons que cette image de violence des policiers n'étonne guère le lecteur car une telle intervention est bien attendue dans ce genre de scènes diffusées et illustrées souvent à la télévision dans les reportages ou films. Le stéréotype joue dans ce cas le rôle d'un activateur de perception1, dans ce sens où il installe une atmosphère de familiarité pour le lecteur qui ne fournit nul effort dans la reconstruction du sens.

Quant aux jeunes « dealers », ils sont souvent mêlés dans des histoires très connues : drogues, vols etc. A ce sujet, Doria illustre : « Tante Zohra n'a pas arrêté de pleurer. Elle expliquait à Maman qu'il est impliqué dans un trafic de drogues et des histoires de voitures volées. » (p.69)

Le lecteur peut reconnaitre facilement le stéréotype du jeune de la banlieue :

Un jeune vivant dans un espace défavorisé, se sent désoeuvré et suit ainsi la mauvaise voie. Autre stéréotype qui se présente comme la suite logique de l'image du délinquant est celui de l'affrontement des policiers avec ces jeunes. Ces stéréotypes sont ancrés profondément dans l'imaginaire culturel collectif : une banlieue en difficulté, intervention des policiers, violence subie, violence exercée sur les jeunes etc. Comme nous pouvons le constater l'emploi du stéréotype revient

1 Dufays, Jean-Louis, « Le stéréotype, un concept-clé pour lire, penser et enseigner la littérature », op.cit.

à un souci d'économie de réflexion1. En outre, l'aspect répétitif du stéréotype de la violence sous ses différentes formes contribue largement à produire un effet de vraisemblance et ancre le roman davantage dans un espace socioculturel spécifique aux banlieues françaises.

1. Le stéréotype du racisme :

« La lutte contre le racisme commence avec le travail sur le langage [...] Il faut agir, ne pas laisser passer une dérive à caractère raciste2»

Malgré l'évolution des sociétés occidentales, les différences ethniques ont toujours été à la base de divers conflits. Ce refus de l'Autre, engendré souvent par des stéréotypes xénophobes et racistes, empoisonne les esprits de nombreuses personnes dans le monde entier. Ainsi, c'est le cas de l'immigré (spécialement d'origine maghrébine) en France, affrontant au quotidien les réactions racistes des français. L'un des stéréotypes qui représente ce phénomène de racisme est bel et bien celui de « l'arabe voleur ».

La protagoniste nous parle à ce sujet, de sa mère qui en souffre au travail : "Au formule 1 de Bagnolet, tout le monde l'appelle "la Fatma". On lui crie après sans arrêt, et on la surveille pour vérifier qu'elle pique rien dans les chambres. "(p. 14)

Le prénom « Fatma » est un prénom féminin très courant dans une communauté arabo-musulmane car c'est le prénom de la fille du Prophète. Cependant, l'utilisation du nom « la Fatma » est d'ordre péjoratif car non seulement il est réducteur en indiquant toute femme arabe, mais il est également porteur de préjugés négatifs comme : femme soumise, femme illettrée et même voleuse. En effet, le syntagme « vérifier qu'elle pique rien » confirme que les employeurs français, influencés par le stéréotype de « l'arabe voleur », soupçonnent incessamment leurs employés arabes. Le jeune Hamoudi était également victime de ce genre de racisme, Doria rapporte : « Hamoudi aimait bien ce travail. Il commençait à trouver ça bien

1 Encyclopédie Wikipédia en ligne : http://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9r%C3%A9otype

2 Ben Jelloun, Tahar, Le Racisme expliqué à ma fille, Seuil, 1997, p.61.

la légalité. Mais, ils l'ont viré parce que des trucs ont disparu dans l'entrepôt (...) et c'est Hamoudi qui a été accusé » (p. 123)

Les français refusent souvent d'embaucher les jeunes qui ne sont pas des français de souche. En outre, « Ils sont recalés, pas seulement pour leur origine ethnique, mais aussi pour les quartiers ségrégués dans lesquels ils habitent1».Effectivement, ils sont généralement vus comme des gens sales, bruyants, délinquants. Donc, cette image dévalorisante voire raciste les prive de leur droit d'intégration économique. Dans l'exemple ci-dessus le jeune Hamoudi a certes eu la chance de décrocher un travail, mais dès qu'il y a eu vol, il était le premier à être montré du doigt, on l'a accusé sans aucune preuve car son origine arabe était suffisante pour l'incriminer.

Hamoudi riposte : « j 'm 'en fous, j'suis propre, j'ai rien à me reprocher, j'ai bien fait mon boulot et j'me suis pas endormi une seule fois ! Le seul truc qu'ils peuvent me reprocher c'est cette sale gueule... » (p.123)

Ce stéréotype de l'arabe voleur fait partie intégrante de l'imaginaire culturel français et accroît du coup le phénomène de la discrimination qui gâche la vie de tant d'innocents.

L'autre attitude raciste est celle du responsable de Yasmina, la mère de la narratrice, au Formule 1Bagnolet : « Ça doit bien le faire marrer, M.Schihont, d'appeler toutes les Arabes Fatma, Tous les Noirs Mamadou et tous les chinois Ping Pong. » (p.14) L'exemple de M. Schiont représente le raciste à outrance. Or, la narratrice condamne ce genre de stéréotypes à base fausse. Elle nous donne l'exemple de son directeur du lycée qui à force d'être marqué par les stéréotypes devient un homme à esprit limité voire un ignorant :

Outrée par la réaction de son directeur qui n'a pas cru que sa mère n'arrivait pas à
tenir un stylo entre les mains, la protagoniste rapporte : "Il s'est même pas posé la

1 Davies, Françoise J.M., « L'immigration et le racisme », art. en ligne :

http://www.aber.ac.uk/~mflwww/6thForm/aleveltop04.html

question. Il doit faire partie de ces gens qui croient que l'illettrisme, c'est comme le sida. Ça existe qu'en Afrique. "(p. 14.)

Guène saisit ces exemples pour témoigner l'écho de ce que Pierre-André Taguieff nomme «le malaise de l 'antiracisme»1. Les personnages dans Kiffe kiffe demain semblent ainsi être accablés par cette inégalité sociale. L'auteure à travers sa narratrice, Doria, lance un appel pour que tout le monde, soit reconnu : « on se soulèvera pour être reconnus tous » (p. 192). Dans un espace où les discriminations sont toujours aussi criantes, les immigrés ne cessent de réclamer une équité sociale car «toute vie mérite le respect. Personne n 'a le droit d'humilier une autre personne. Chacun a droit à sa dignité2 ».

1. Le stéréotype de la famille arabe nombreuse:

L'assistant social exprime son étonnement vis-à-vis de la famille de Doria qui n'a qu'un seul enfant : « Une fois, il a dit à ma mère qu'en dix ans de métier, c'était la première fois qu'il voyait des gens comme nous avec seulement un enfant par famille. » il ne l'a pas dit mais il devait penser « Arabe ». » (p.19)

La famille arabe est réputée pour être une famille nombreuse, un stéréotype qui a circulé un peu partout dans le monde entier. Effectivement, les pays arabes sont des nations à grand pourcentage jeunes. Cela peut avoir deux explications : d'une part le monde arabe appartient au Tiers-Monde où la culture d'espacement entre les naissances n'est pas encore bien prise en charge. D'autre part, ce comportement s'explique par l'exhortation de la religion islamique aux hommes musulmans pour avoir beaucoup d'enfants. Ce stéréotype marque effectivement l'esprit de nombreux occidentaux et automatise du coup leurs représentations. Toutefois, cette représentation de la famille arabe n'est guère loin de la réalité mais l'exemple de la famille de Doria rappelle que les exceptions existent toujours.

1 Taguieff, Pierre André, «Comment peut-on être antiraciste», Esprit 190, mars-avril 1993, 36. Cité par Jaccomard, Hélène, « L'antiracisme en question: Les Raisins de la galère de Tahar Ben Jelloun », art. en ligne : http://www.european.uwa.edu.au/about/staff/helene_jaccomard/publications?f=129876

2 Ben Jelloun, Tahar, Le Racisme expliqué à ma fille, Seuil, 1997, p.63.

Le stéréotype a donc influencé les représentations de l'assistant social et a agit sur sa réaction. L'étonnement dévoile justement une non coïncidence entre ses représentations et la réalité rencontrée. Autrement dit, son univers d'attente n'a pas été comblé. En effet, pour cet assistant c'était de l'évidence que toute famille arabe soit nombreuse, le stéréotype apparaît donc « comme ce qui permet de naturaliser le discours, de masquer le culturel sous l'évident, c'est-à-dire le naturel. 1»

Comme, nous venons de le percevoir le stéréotype automatise la pensée et produit un effet de figement d'images antérieures. Le stéréotype est considéré donc comme une construction de lecture2, autrement dit « il n'émerge que lorsqu'un allocutaire rassemble dans le discours des éléments épars et souvent lacunaires, pour les construire en fonction d'un modèle culturel préexistant. 3»

Mais en voulant transgresser et bannir quelques stéréotypes déjà existants, l'auteure a cristallisé certaines images préconçues et intériorisées par la collectivité concernant la banlieue. Cette cristallisation renvoie à un souci d'objectivation du regard porté sur le monde, un regard accrédité par sa sincérité et sa transparence.

Le stéréotype acquiert donc « la valeur d'un formidable outil de pensée dans la mesure où il permet un décentrement intellectuel qui ouvre l'esprit à la relativité de toute chose, à la pluralité des cultures. 4»

Le stéréotype est, donc, un élément incontournable dans la construction de l'imaginaire subjectif et social de l'individu. Cependant, peut-il intervenir dans la construction d'un imaginaire se balançant entre deux mondes ? Et en ce cas de figure, comment l'individu biculturel gérerait ces stéréotypes qui se fuient et se heurtent ?

1 Charaudeau P, Maingueneau D, Dictionnaire d'Analyse du discours, op.cit. p.547.

2 Amoussy R, Les idées reçues. Sémiologie du stéréotype, Paris, Nathan, 1991.

3 Charaudeau P, Maingueneau D, Dictionnaire d'Analyse du discours, ibid.

4 Chevrel M., Autostéréotype et hétérostéréotype dans les Lettres persanne de Montesquieu, cours en ligne : http://pagesperso-orange.fr/chevrel/dossiers/brunet.htm

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery