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Se vouer à l'autre - L'aventure éthique avec Emmanuel Levinas

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par Grégoire Jalenques
Institut Catholique de Paris - Master 1 2006
  

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D) L'éthique comme philosophie première

Nous nous étions arrêtés sur la question de l'incompatibilité apparente entre l'expérience finie de l'humain et l'infinitude de l'Autre, de Dieu, en ayant déjà fourni un éclairage sur l'infini comme étant non pas un objet de connaissance mais de désir. Cependant, Levinas ne pense pas uniquement une éthique religieuse. Il ne pense pas l'idée de l'infini dans un cadre uniquement métaphysique au sens classique.

En effet, pour Levinas, « l'expérience, l'idée de l'infini, se tient dans le rapport avec Autrui. L'idée de l'infini est le rapport social. »80(*)

Cette phrase de Levinas constitue une révolution dans l'ordre de la pensée métaphysique. Penser déjà un au-delà de l'être face à la modernité et surtout philosopher sur cet au-delà est déjà profondément bouleversant pour les structures modernes de la pensée. Levinas franchit ici une nouvelle étape jamais passée jusque-là, semble-t-il. Une étape très complexe mais dans laquelle on sent poindre des racines juives plutôt que grecques.

En effet, Levinas échappe ici à l'alternative unique d'une religiosité mystique pour sortir du Même. L'apparition de l'autre n'est pas une « illumination ésotérique et le moi qui l'aborde n'est ni anéanti à son contact ni transporté hors de soi, mais demeure séparé et garde son quant-à-soi. »81(*) En quelque sorte, on peut dire que Levinas fait advenir l'infini, par la présence d'autrui, au contact d'un monde qu'autrui dépasse pourtant

Ce rapport avec autrui implique une distance que « le pouvoir du Moi ne franchira pas »82(*)

parce qu'elle « n'équivaut pas à la distance entre sujet et objet »

Levinas dit ailleurs que « l'extériorité de l'être infini se manifeste dans la résistance absolue que, de par son apparition- de par son épiphanie- il oppose à tous mes pouvoirs.»83(*), signifiant ainsi le caractère éthique de cette relation.

Autrui est bien de ce monde au sens ou je le rencontre dans ce monde, au milieu d'objets, mais il n'est pas de ce monde au sens ou tout les objets sont du monde comme objets de connaissance et nourritures. Il est une présence étrangère dans mon monde. Il serait intéressant de voir en parallèle l'analyse doublée du monde chez Hannah Arendt qui est d'une part monde d'objets, d'autres part monde de relation inter humaines. Même si Hannah Arendt ne centre pas sa réflexion sur la question de la transcendance, sa réflexion sur le monde comme lieu de rencontre avec autrui apporterait sans doute à l'étude de Levinas, d'un point de vue phénoménologique.

En effet, cette résistance dans l'apparition et même l'apparition sont des phénomènes non pas premièrement ontologiques mais éthiques. Il ne sont d'ailleurs même pas ontologiques au sens classique du fait que ce qui m'apparaît n'est pas l'être de l'autre mais son altérité, « non pas une forme dans la lumière, sensible ou intelligible, mais déjà ce non lancé aux pouvoirs. Son logos est: `Tu ne tueras point'. »84(*)

Ce n'est pas d'abord l'être mais l'exigence morale qui se présente au sujet. En ce sens ce n'est pas relation de connaissance que cette voie éthique, ce désir de l'infini mais relation éthique. Aussi bien Levinas appelle cette éthique philosophie première parce que son intuition est que l'existence humaine n'est pas d'abord être ni même être autrement ( et non plus mort de l`être) mais autrement qu'être. Le sens de l'existence n'est pas de s'efforcer à être le même, c'est à dire à jouir et identifier toute chose à soi. Il ne s'agit pas de faire de tout ce que l'homme rencontre un nouvel élément du chez soi mais bien de comprendre qu'avant tout économique, la vie de l'homme est d'abord éthique et souci de l'autre.

Levinas n'aborde pas ici la philosophie première dans un sens chronologique mais dans un sens fondamental. L'être de l'homme ne trouve son sens véritable que parce qu'il y a l'autre.. L'être est en son fondement la possibilité et l'appel d'une aventure vers l'extériorité. A un sujet qui se définit par le souci de soi et qui dans le bonheur accomplit son pour soi-même, (Levinas oppose) le Désir de l'Autre qui procède d'un être indépendant et qui ne désire pas pour soi »85(*)

Si l'expérience fondamentale est celle ou je suis face à autrui, c'est parce que cette expérience est expérience de la transcendance, de mon pouvoir limité de ce qui m'échappe. L'expérience de l'autre est le lieu ou se trouve mis en défaut la « toute -puissance » du sujet. L'être se trouve confrontée à une extériorité infranchissable. Cette extériorité pour Levinas est non seulement la justice mais aussi la vérité, « objet » de la philosophie première. En effet, « le penseur entretient dans la vérité un rapport avec une réalité distincte de lui, autre que lui »86(*)

La question qui se pose est de savoir pourquoi l'homme, le sujet se porterait vers Autrui de manière à compromettre la souveraine identification du Moi. Levinas donne une raison somme toute banale mais décisive à cette question; « le Désir d'Autrui (entendu non pas comme satisfaction mais comme désir de l'indésirable, du tout-autre)87(*) que nous vivons dans la plus banale expérience sociale est le mouvement fondamental, le transport pur, l'orientation absolue, le sens. »88(*)

D'une certaine façon, à partir de ce rapport entre vérité et éthique, on peut se demander si Levinas ne nous met pas en rapport avec une certaine façon de l'être ignorée jusque là. N'est-ce pas ce qu'il signifie quant il parle d'autrement qu'être? En effet ce sont bien encore des êtres en jeu dans le `pour l'autre', dans l'aventure éthique. En réalité une telle façon de concevoir l'éthique de Levinas est tronquée parce qu'elle la réduit à une éthique comportementale. Pour Levinas, la structure même de l'être est passivité, crainte d'occuper la place de quelqu'un et désir de l'infini. Levinas soutient que la passivité face au visage de l'Autre précède toute intention totalisante comme structure de l'être. Ainsi Ciaramelli, dans son essai sur Levinas, analyse cela plus profondément en montrant une certaine ressemblance entre l`Autre et Dieu face au sujet.« Dans la passivité absolue de ma position de sujet, écrit-il, je ne saurais échapper à Dieu , et cette impossibilité métaphysico-religieuse précède l'égoïsme et l'altruisme et dessine le fond même [...] du sujet. En face de l'Autre comme en face de Dieu, la transcendance engage l'identité même du sujet. »89(*)

En ce sens l'éthique de Levinas n'est pas seulement un devoir-être mais le fondement même de la subjectivité. La subjectivité se fonde non pas dans le refus de l'autre mais dans l'idée d'infini, pour Levinas. L'idée d'infini n'est pas une superstructure mais un fondement pour penser l'être, et tout simplement pour penser. Elle ne s'oppose donc pas à la philosophie mais en constitue plutôt le fondement.

L'éthique n'est pas non plus chez Levinas une éthique purement théorique qui tirerait des situations concrètes et du domaine de l'action des principes fondamentaux de l'existence humaine, enfermant ces même principes dans la pensée métaphysique.

Pour le dire autrement la démarche de Levinas n'est pas uniquement une philosophie de la subjectivité, une science théorique mais également une éthique au sens ou, montrant les fondements éthiques de la subjectivité, elle éclaire d'une nouvelle façon toute l'existence humaine dans son aspect central qui est la relation inter humaine. Elle veut donner également les moyens de concevoir ces relations, les rapports sociaux sur un autre mode que la possession et la satisfaction. On en connaît l'enjeu face aux catastrophes et totalitarismes du 20ème siècle.

Il convient, avant d'aborder l'éthique de Levinas proprement dite, d'accorder, dans une remarque annexe à cette question de l'éthique comme philosophie première, une place aux métaphysiques pré-modernes, en particulier celles qui ne concevaient pas l'être comme totalité mais pensaient aussi un au-delà. Il est vrai de dire que être et moi n'ont pas toujours été indissolublement lié et que l'histoire de la philosophie a connu des métaphysiques de la transcendance. Des études ont été faites pour montrer le possible rapport entre Levinas et les grecs par exemple, en particulier les travaux de Jean-Marc Narbonne et Jean-François Mattei90(*), et pour montrer les racines profondes d'un au-delà de l'être dans la philosophie grecque. Tous deux mettent en lumière le rapport, souligné à quelques endroits pas Levinas lui-même, entre l'idée du Bien transcendant l'être et l'autrement qu'être levinassien. Levinas lui-même le souligne: « la tradition de l'Autre n'est pas nécessairement religieuse, elle est philosophique. Platon se tient en elle quant il met le bien au-dessus de l'être. »91(*)

* 80 EDE, p.239

* 81 Fevre, p.114

* 82 TI,p.28

* 83 EDE, p.240

* 84 ibid., p.240

* 85 Fevre, p.124

* 86 EDE, p.229

* 87 C'est nous qui précisons la distinction fondamentale pour Levinas

* 88 HAH, p.49

* 89 F.Ciaramelli, Transcendance et éthique, essai sur Levinas, Ousia, 1989, p.206

* 90 Voir J.M Narbonne, Levinas et l`héritage grec, Vrin, 2004 ainsi que J.F Mattei « Levinas et Platon sur l'au-delà de l'essence » dans Emmanuel Levinas, positivité et transcendance, Épiméthée, 2000

* 91 EPP, Cerf, 1993, p.100

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore