|
|
|
|
|
REPUBLIQUE DU CAMEROUN
Paix - Travail - Patrie
REPUBLIC OF CAMEROON
Peace - Work- Fatherland
UNIVERSITE DE YAOUNDE I THE UNIVERSITY OF YAOUNDE
I
FACULTE DES ARTS, LETTRES ET FACULTY OF ARTS, LETTERS
AND
SCIENCES HUMAINES SOCIAL SCIENCES
DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE
Department of philosophy
|
|
|
|
LE DISCOURS FONDATEUR DES DROITS DE L'HOMME DANS
L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE : ESSAI DE COMPREHENSION DE L'APPORT
LOCKIEN DANS LA DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME.
|
|
Mémoire présenté en vue de l'obtention
du diplôme de maîtrise en philosophie Par
Sédard-Roméo
NGAKOSSO-OKO Licencié en philosophie
Option : Philosophie Morale et
Politique
Avec
Sous la direction du l'encadrement du
Professeur Guillaume BWELE, Docteur Lucien
AYISSI,
Maître de conférences, Chargé de
cours. Chef du Département de Philosophie.
ANNEE ACADEMIQUE 2001 -2002 Academic
year 2001-2002
|
|
|
II
SOMMAIRE
SOMMAIRE III
DEDICACE IV
REMERCIEMENTS V
ABREVIATIONS VI
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE : INFRASTRUCTURES THEORIQUES DE
L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE 6
Introduction 7
Chapitre I. Les fondements de l'anthropologie politique de J.
LOCKE 8
Chapitre II. L'anthropologie politique de J. LOCKE 19
Chapitre III. Une nouvelle perspective éthique et
politique 36
Conclusion 48
DEUXIEME PARTIE : DE L'IDEE D'UNE PHILOSOPHIE DES DROITS
DE L'HOMME DANS L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE 49
Introduction 50
Chapitre IV. La philosophie contemporaine des droits de l'homme
51
Chapitre V. Sur la pensée libérale de J. LOCKE
59
Chapitre VI. L'intuition lockienne d'une théorie des
droits de l'homme 69
Conclusion 79
TROISIEMME PARTIE : L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE
ET LA DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME 80
Introduction 81
Chapitre VII. Identité, analogie ou homologie ? 82
Chapitre VIII. J. LOCKE et la Déclaration universelle des
droits de l'homme 87
Chapitre IX. Les droits de l'homme, un long processus historique
92
Conclusion 108
CONCLUSION GENERALE 109
RAPPORT DE SOUTENANCE 117
I. Allocution de soutenance 118
I. 1. Problématique et objectifs l'étude 118
I. 2. Résumé de l'étude 120
I. 3. Résultats de l'étude 121
II. Le jury de la soutenance 126
II. Remarques du jury / Observations of jury 126
BIBLIOGRAPHIE GENERALE 127
TABLE DES MATIERES 135
DEDICACE
A la mémoire du Pr. C. PAIRAULT, Sj. et de
notre frère Alain KINKIELELE
REMERCIEMENTS
Nous remercions vivement nos encadreurs : le professeur
Guillaume BWELE et le docteur Lucien AYISSI. Non seulement ils ont bien voulu
diriger et codiriger cette présente étude, mais aussi, ils nous
ont maintes fois encouragé et incité à
persévérer sur les sentiers tortueux de la recherche
scientifique. Qu'ils voient ici le témoignage de notre reconnaissance
très vive pour la vigilance critique et les suggestions toujours
fécondes. A ces deux précédents, nous associons tous les
membres du corps professoral du Département de Philosophie de l'U.Y.I.,
pour nous avoir suivi ces deux dernières années.
Nous exprimons également notre gratitude à nos
bienfaiteurs : le professeur Dieudonné KINKIELELE et le professeur
Claude PAIRAULT, Sj., (décédé peu avant le second tirage
de ce mémoire ; une occasion pour nous de lui rendre hommage), qui en
outre avait bien voulu relire notre manuscrit. Qu'ils trouvent ici la preuve de
notre gratitude pour le soutient et les encouragements.
Ce travail doit énormément à Mme Suzanne
BIWOLE-SIDA pour ses pertinentes observations, à l'équipe de la
bibliothèque de l'A.P.D.H.A.C. et à celle de l'U.C.A.C.-I.C.Y.
pour la collaboration particulière. Nous ne saurions clore ces
remerciements sans témoigner notre gratitude vis-à-vis de nos
parents : monsieur et madame NGAKOSSO-OKO ; à nos amis : Marquise-Flore
TIENCTHEU KAMENI, Christian-Philippe KANGA, Casimir Servais ESSOMBA et à
tous nos camarades de philo. IV 2000-200 1 pour l'ambiance et la compagnie.
Enfin, à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué
à la réalisation du présent travail et dont les noms ne
figurent pas ici.
Cette étude a fondamentalement été
soutenue par une allocation du Programme de Petites Subventions pour la
Rédaction de Mémoires et de Thèses initiée par
le Conseil pour le Développement de la Recherche en Science Sociales en
Afrique (CODESRIA).
Sédard-Roméo
NGAKOSSO-OKO.
ABREVIATIONS
A. I. : Amnesty International.
Créé en 1961, Amnesty International est un mouvement de
défense des droits de l'homme. Ses activités sont centrées
sur les prisonniers (détenus d'opinions) et la liberté de la
presse. Le mouvement se veut indépendant des gouvernements, factions
politiques, idéologies ou religions. Il a reçu le prix Nobel de
la paix en 1977. Cette organisation a donné une remarquable
réédition de la D.U.D.H. en 1988 en l'occasion du
quarantième anniversaire dudit document.
A.P.D.H.A.C. : Association pour la Promotion des
Droits de l'Homme en Afrique Centrale C.A.D.P. : Charte
Africaine des Droits des Peuples à Disposer d'eux-mêmes,
1981.
C.C.T.A.P.T.C.I. : Convention Contre la
Torture et Autres Peines ou Traitements cruels Inhumains, 1984.
C.E.T.F.D.E.F. : Convention sur
l'Elimination de Toutes Formes de Discrimination à l'Egard des
Femmes, 1980.
C.E.D.H. : Convention Européenne des
Droits de l'Homme, 1950. C.I.D.H. : Charte
Internationale des Droits de l'Homme.
D.A.D.H. : Déclaration
Américaine des Droits de l'Homme, 1948. D.D.E. :
Déclaration des Droits de l'Enfant, 1959.
D.U.D.H. : Déclaration Universel des
Droits de l'Homme, instrument international de protection des droits de
l'homme promulgué par l'O.N.U. le 10 décembre 1948.
E.P.C.E.H. : Essai Philosophique
Concernant l'Entendement Humain, ouvrage de J. LOCKE.
GREENPEACE : Association écologique de défense
et de promotion des droits de l'homme. L.T. : Lettre sur
la tolérance, ouvrage de J. LOCKE.
O.N.U. : Organisation des Nations Unies.
O.U.A. : Organisation de l'Unité
Africaine
P.R.D.C.P. : Pacte Relatif aux Droits Civils
et Politiques, 1966.
P.R.D.S.E.C. : Pacte Relatif aux Droits
Sociaux Economiques et Culturels, 1966. T.G.C. :
Traité du gouvernement civil, ouvrage de J. LOCKE.
U.C.A.C.-I.C.Y. : Université Catholique
d'Afrique Centrale, Institut Catholique de Yaoundé
U.N.I.C.E.F. : United Nations International
Children's Emergency Fund, un organe des Nations Unies
spécialisé dans les questions relatives à l'enfance.
U.Y.I. : Université de Yaoundé
I.
« Le bien public et l'avantage de la
société étant la véritable fin du gouvernement, je
demande s'il est plus expédient que le peuple soit exposé sans
cesse à la volonté sans bornes de la tyrannie ; ou, que ceux qui
tiennent les rênes du gouvernement trouvent de l'opposition et de la
résistance, quand ils abusent excessivement de leur pouvoir, et ne s'en
servent que pour la destruction, non pour la conservation des choses qui
appartiennent en propre au peuple ?
»1.
1 J. LOCKE, T.G.C, trad. D. MAZEL, GF-Flammarion, 1992,
Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 229, p. 313.
Il y a plus d'un demi-siècle, choquée par les
atrocités du second grand conflit mondial, l'humanité, à
la recherche d'une nouvelle éthique internationale, faisait adopter le
10 décembre 1948 par l'Assemblée Générale de
l'O.N.U., la
2
D.U.D.H.. L'objectif étant de faire la
promotion de la justice, de l'égalité, de la paix ainsi que de la
dignité inhérente à la personne humaine, en vue de
réprimer la tendance naturelle de l'homme vers le mal. Tendance à
l'absolutisme, à l'esclavage et à l'exploitation de l'autre-moi.
Depuis, cette vision est devenue la pierre angulaire d'une dynamique
d'envergure internationale en faveur des droits de l'homme.
Historiquement, la dynamique internationale dans le cadre de
laquelle il y a aujourd'hui l'inflation du concept des droits de l'homme a
réellement connu son essor avec la Philosophie des
Lumières. Cette dernière a défini les canons de
la légitimité institutionnelle devant protéger les droits
de l'homme et du citoyen. En dépit de la différence qui peut
opposer les problématiques des théoriciens de ce mouvement,
celles-ci se recoupent toutes sur la nécessité de substituer
à l'ordre socio-politique existant, aberrant et tyrannique, un ordre
politique fondé en raison.
L'anthropologie politique de J. LOCKE (1632-1704),
n'échappe pas à ce contexte historique. Fondée sur la
distinction « état de nature/état civil »,
elle est une minutieuse réflexion philosophique sur l'origine,
l'étendue et la finalité propres de l'autorité politique.
Elle reste toute entière dominée par le rejet de l'absolutisme
qui, des STUART et de CROMWELL, en Angleterre, à LOUIS XIV en passant
par RICHELIEU, en France, constituait le problème commun des citoyens de
cette époque. Ce rejet de la monarchie absolue, associé à
celui de l'arbitraire et des dogmatismes caractéristiques du
XVIIème siècle3, a conduit LOCKE à
réfuter la théorie de droit divin des rois ou de l'imperium
paternale (pouvoir ou empire des pères), soutenu
par BOSSUET (1627-1704) à la suite de R. FILMER (1588-1653). C'est pour
cette raison, avions-nous constaté, qu'il est conceptuellement en
rupture vis-à-vis de la tradition
2A.I. en a donné une remarquable
réédition en 1988 à l'occasion du quarantième
anniversaire dudit document.
Nous soulignons cependant que cette organisation n'est pas
l'auteure de la D. U.D.H. Elle est l'oeuvre d'une
Commission Internationale mandatée par l'O.N.U., dont
l'Assemblée Générale entérina l'adoption.
3J. LOCKE fustigent ces dogmatisme, E.P.C.E.H., Vrin, 1998,
Livre IV ; Chapitre XVI, § 04, pp. 550-551.
politico-religieuse de son époque, dont il sait
parfaitement qu'elle est encore active. Son ouvrage fondamental, le
T.G.C. (1690), véritable plaidoyer pour la liberté
humaine, donne une nouvelle tonalité à la philosophie politique.
C'est la défense raisonnée des droits des peuples.
La nouvelle philosophie politique que J. LOCKE promeut se
fonde sur son optimisme anthropologique. Notamment à travers des
concepts comme celui de trust (confiance). Avec cette idée de
trust, le T.G.C. introduit simultanément une foi
nouvelle en l'homme, une nouvelle conception de l'autorité politique, et
véhicule toute une théorie de la citoyenneté ou du peuple
raisonnable qui a ouvert la voie à la pensée politique des
Lumières.
Avec cette théorie en effet, les idées de
raison, de droit naturel, de tolérance préparent leur triomphe,
et, à leur suite, se forgent en philosophie politique les concepts
opératoires de contrat, d'individualisme, de volontarisme, de
consensualisme et de constitutionalisme, socle de la promotion des
libertés fondamentales comme le soulignaient déjà GROTIUS
(1583-1645) et PUFENDORF (1632-1677). Ainsi, se trouvent théoriquement
définies les bases d'une politique nouvelle : un nouveau sens du concept
de légitimité politique et une «reconception» de la
personne humaine comme sujet de droit devant devenir la valeur et la norme
fondamentale de gestion des sociétés civilisées. C'est
l'émancipation de la conscience politique :
« Les hommes, ainsi qu'il a été dit,
étant tous naturellement libres, égaux et indépendants,
nul ne peut être tiré de cet état, et être soumis au
pouvoir «politique» d'autrui, sans son propre
consentement, par lequel il peut convenir, avec d'autres hommes, de
«se joindre» et de s'unir en société
pour leur conservation, pour leur sûreté mutuelle, pour la
tranquillité de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur
appartient en propre, et être mieux à l'abri des insultes de ceux
qui voudraient leur nuire et leur faire du mal »4.
Désormais, la politique n'a plus à se fonder sur
la transcendance. Elle est enfin descendue sur la terre et s'impose comme un
devoir à assumer. Ce devoir correspond à la promotion du peuple,
reconnu comme réalité juridique et comme
4J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992, Chap.
VII : De la société politique ou civile, § 95, pp.
214-215.
sujet de droit5. Il dépend des hommes
d'entendre les commandements de la loi de la nature et d'en accomplir la
téléologie immanente. La liberté est synonyme
d'obéissance aux lois ; et l'égalité se comprend selon ce
principe que les mêmes lois s'appliquent à la fois, et à
tous les citoyens, et au souverain. Enfin, que nul des deux n'est
supposé être au-dessus de celles-ci.
Ceci, non seulement, montre l'appartenance de J. LOCKE
à ce vaste concert de revendications politiques des
Lumières, dont l'objectif est de réaliser le renouveau
institutionnel et politique, mais aussi, érige son système en
paradigme politique dans le cadre de la défense raisonnée des
libertés fondamentales des êtres humains. C'est de cette nouvelle
éthique politique que l'humanité contemporaine se réclame
à travers les notions de droits de l'homme, de démocratie, de
bonne gouvernance et de transparence. Dans cette optique, la D. U.D.H.
promulguée par l'O.N.U., est très significative. On peut affirmer
que ce document, sur lequel, sont non seulement fondées et
gouvernées, mais aussi et surtout, justifiées et
légitimées nos sociétés contemporaines, a
été construit sur le modèle de l'anthropologie politique
de J. LOCKE, en reprenant les grandes lignes de ce système à son
propre compte. D'où la nécessité de nous interroger sur la
part des idées lockiennes dans l'élaboration dudit document. Ceci
est une piste de recherche, notre intention est exactement de poser des jalons
de réflexion.
Aujourd'hui, plus de trois cents ans nous séparent de
J. LOCKE, et cinquante environ, de la D. U.D.H. Mais la frappante
proximité entre ces deux systèmes dans la reconnaissance et la
promotion des droits fondamentaux de l'homme suscite des interrogations et nous
interpelle. En effet, nous demandons- nous, un acte de l'envergure de la
D.U.D.H., ne trouve-t-il sa source que dans l'unique prise de
conscience des hommes devant les atrocités de la deuxième guerre
mondiale, quand en fait, l'histoire des idées politiques vécues
au quotidien par les hommes nous révèle d'autres paradigmes
d'énonciations et de défenses des libertés fondamentales
--telle l'anthropologie politique de J. LOCKE-- pouvant aussi bien
5F. TINLAND, «Le sujet de droit dans la
philosophie politique de T. HOBBES, J. LOCKE et de J.J. ROUSSEAU», in
Archives de la philosophie du droit, T. 34 : Le sujet de droit,
Sirey, 1989, pp. 51-60.
conduire à une réalisation analogue au
chef-d'oeuvre onusien ?
Fondamentalement, notre contribution est une analyse
philosophique dont la fin est de déterminer les incidences de
l'anthropologie politique de J. LOCKE sur la D.U.D.H.. Pour cela,
trois grands moments constitueront l'ossature de cette contribution. Le premier
moment nous conduira avant de dégager les grandes orientations
conceptuelles, à examiner les fondements théoriques de
l'anthropologie politique de J. LOCKE. Puis, après avoir analysé
le document onusien, nous donnerons notre point de vue sur les conditions de
possibilité d'une philosophie des droits de l'homme dans cette
anthropologie politique. Ce qui nous autorisera dans la troisième et
dernière partie de notre analyse, à nous prononcer sur la
possibilité d'incidence de l'intuition lockienne de défense et de
promotion des libertés fondamentales de l'homme sur la dynamique
contemporaine des droits de l'homme en oeuvre dans la D. U.D.H. Enfin,
une conclusion générale clôturera ce travail.
PREMIERE PARTIE : INFRASTRUCTURES THEORIQUES
DE L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE
|
Introduction
Rechercher les infrastructures théoriques de
l'anthropologie politique de J. LOCKE est une attitude qui consiste à se
poser des questions sur ce qui soutient cette conception de l'homme. Autrement
dit, c'est rechercher les fondements de ce système de pensée. En
effet, c'est là une façon de procéder très
chère à notre discipline, la philosophie. Toute son histoire, de
l'antiquité grecque (SOCRATE vers 470-399 av. J.-C.) jusqu'à
notre époque (HEIDEGGER 1889-1976 ; HUSSERL 1859- 1938), en est
marquée. A la lumière de cette histoire, ce concept
désigne « ce qui sert de base ». C'est le principe de
stabilité servant de base à un système, à une
entreprise. Ainsi parle-t-on des fondements de l'Etat, de la
société civile, d'une doctrine. Dans cette première grande
section de notre étude, nous allons renouer avec cette exigence majeure
de notre discipline en appliquant cette recherche des fondements à
l'anthropologie politique de J. LOCKE
En effet, c'est cette anthropologie politique, qui, pour l'une
des premières fois dans l'histoire des idées, a essayé de
modéliser la solution aux préoccupations classiques de la
philosophie politique (quel doit être le souverain légitime, et
à qui doit revenir légitimement le pouvoir politique) en termes
de souveraineté populaire. C'est également à partir d'elle
que la philosophie politique a su relancer sa propre histoire en
déplaçant désormais ses interrogations. Ainsi donc,
à la question du souverain légitime, ce sont ajoutées
d'autres plus techniques. Comme quelles doivent être les relations entre
l'Etat et la société ? Quelles sont les limites, s'il doit y en
avoir, du pouvoir de l'Etat, y compris lorsqu'il s'agit d'un Etat
démocratique ?
Comme nous pouvons le voir, la recherche des fondements
équivaut ici à ce qui soutient ce système
philosophico-politique. Elle présente un double avantage. D'une part,
elle nous permet d'accéder aux principes fondateurs de ce système
philosophico-politique. D'autre part, elle nous prédispose à
l'appréhension et à la compréhension des grandes
orientations conceptuelles de ce paradigme philosophique
d'interprétation du fait politique et juridique. Ce double avantage
constitue l'objet principal de notre première partie.
Chapitre I. Les fondements de l'anthropologie politique
de J. LOCKE
I.1. Les fondements historiques
I.1.1. Situation socio-politique de l'Angleterre à
l'époque de J. LOCKE
La vie6 de J. LOCKE coïncide avec un chapitre
important de l'histoire d'Angleterre. Son oeuvre exprime une double
évolution : historique et idéologique. Historiquement, il est
lié à GUILLAUME III d'Orange (1650-1702) et à la
Glorious revolution de 1688/89. Celle qui fait date dans l'histoire de
la liberté des peuples. Idéologiquement, il assiste à la
mise en place d'une monarchie constitutionnelle dont il est non seulement
l'admirateur, mais aussi le théoricien en plaidant pour le pluralisme
confessionnel et politique. A cette époque, la réflexion sociale
et politique n'est pas homogène. Cette diversité est la
traduction des besoins politiques, éthiques et religieux et est
dominée par l'opposition significative de deux grandes tendances : la
tendance des Tories et celle des Whigs.
I.1.2. La tendance Tory
Les Tories sont favorables à l'Eglise
anglicane, élevée au rang de religion officielle d'Etat par
l'Acte de Suprématie7, et à la Couronne dans
sa version absolutiste monarchique, creuset de l'arbitraire et des injustices.
C'est la tendance aristocratique. Elle représente l'idéologie
dominante. Soutenue dans une moindre mesure par T. HOBBES (1588-1679), dans son
oeuvre monumentale, le Léviathan, 1650. Mais son
défenseur le plus zélé reste R. FILMER, avec son
maître ouvrage, Patriarcha or natural power of kings, 1680
(Patriarche ou pouvoir naturel des rois).
Patriarcha or natural power of kings est un essai sur
l'obligation politique et l'origine historique du pouvoir qui légitimait
l'autorité de Charles Ier STUART (1600-1649) sous sa forme la plus
absolue au nom du droit divin des rois,
6Sur cette vie dont nous faisons ici
l'économie, nous renvoyons aux ouvrages suivants : P. KING, Life of
John LOCKE, 2 volumes, 1829 et 1830 ; H. R. FOX BOURNE, The life of
John LOCKE, 1876, 2 volumes, et enfin, M. CRANSTON, John LOCKE,
a biography, 1957.
7L'Acte de Suprématie scella la
rupture entre l'Eglise d'Angleterre et l'Eglise catholique romaine en
proclamant la primauté de la première sur la seconde. Il fut
signé en 1534. Nous renvoyons sur ce sujet à R. MARX,
Religion et société en Angleterre de la réforme
à nos jours, P.U.F., 1978, p. 13 & p. 34.
|
|
8
|
8Jacques VI d'Ecosse, cité par R. MARX, Op.
Cit., pp. 16-17.
9Jacques II STUART, Instructions à son
fils, 1692, cité par R. MARX, Idem, p. 17.
fondé sur la puissance paternelle et la
primogéniture. Il met l'accent sur l'ordre social, et, le sanctifiant,
ordonne une identique soumission aux lois de Dieu et à celles des
hommes. Dans cette optique, toute une somme d'institutions et de coutumes
rappellent aux Anglais que pour être de bons sujets, ils doivent
accomplir leurs devoirs religieux, et que cela exige leur soumission à
l'ordre établi. Cette sacralisation de l'Etat et des institutions
s'opère à travers la personnalité même du prince.
Voici la quintessence de cette sacralisation que résume Jacques VI
d'Ecosse :
« Les rois ne sont pas seulement les lieutenants de
Dieu sur la terre, assis sur le trône divin lui-même, mais, bien
plus, Dieu en personne les a dénommés dieux [...] Les rois sont
la tête du microcosme humain [...] De même qu'il est
blasphématoire de mettre en question un acte de Dieu, de même il
serait séditieux pour des sujets de critiquer ce qu'un roi accomplit
dans la plénitude de son pouvoir »8.
De même, Jacques II STUART (1633-1701), après
avoir été privé de son trône par la
révolution de 1688/89, a lui aussi un discours analogue quand il dit
à son fils que « les rois ne sont comptables d'aucune de leurs
actions que devant Dieu et eux-mêmes »9. Il
apparaît clairement que l'ordre politique est déterminé par
le respect même de la loi divine ; et à la sacralisation des
institutions politiques correspond celle de l'ordre social. Rébellion et
péché ici sont indissolublement liés. Dans la mesure
où le conformisme religieux apparaît à la fois comme une
pente naturelle sur laquelle il faut se laisser glisser, tout comme il est un
comportement imposé par la loi sous peine de sanctions graves.
L'autorité civile est requise pour prêter main forte à
l'exécution des ordonnances ecclésiastiques.
C'est dans cette optique que, sous ELIZABETH
Ière (1553-1603), une Cour de Haute Commission fut mise sur
pied pour statuer sur les cas marginaux. A partir de 1660-1678, d'autres
raisons confirmèrent de cette orthodoxie : 1661, le Corporation Act
excluait des fonctions municipales toute personne ne communiant pas dans
l'Eglise officielle d'Angleterre ; 1673, le Test Act étendait
ces dispositions à l'ensemble des fonctions civiles et militaires.
Enfin, en 1678, le Second Test Act lui aussi, excluait du parlement,
toute personne qui ne pouvait pas faire preuve de
10Sur ces exclusions et répressions, cf. R.
MARX, Idem, pp. 30-80. Egalement VOLTAIRE, Lettres
philosophiques, Lettre sur la religion anglicane, GF-Flammarion,
1964, pp. 42-44.
11 Connue sous le nom de la Déclaration
des droits des citoyens. Elle fut lue et approuvée au parlement le,
13 février 1689 devant la nouvelle reine, Marie STUART et le nouveau
roi, GUILLAUME III d'Orange. Ce texte est donné en Appendice de : J.
LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992, pp. 359-360. Voir ci-dessous
pp.57-58.
12S. E. BARKER, La Monarchie constitutionnelle
anglaise, Fosh & Cross Ltd, 1950, p. 05.
son orthodoxie. Dans ce dernier cas, l'administration adoptait
de plus en plus une législation soupçonneuse et
répressive. La fin étant de faire prendre conscience aux
personnes concernées de leur indignité, et les persuader de
renoncer à leurs errements10. De tels principes n'ont pas
manqué d'être remis en question au temps des deux grandes
révolutions du XVIIème siècle. C'est l'oeuvre
des Whigs.
I.1.3. La tendance Whig
S'appuyant sur les arguments des monarchomaques
réfugiés aux Pays- Bas, les Whigs prennent le
contre-pied des Tories. C'est ainsi qu'ils n'ont pas
hésité à justifier les guerres et les révolutions,
respectivement sous Charles Ier STUART et Jacques II STUART. Leur
message est celui de la tolérance, du pluralisme confessionnel et
politique. Pour eux, la tolérance apparaît comme un droit naturel
au même titre que la liberté individuelle et la
propriété. J. LOCKE, dans ses différentes L.T. de
1664 à 1689 et dans son T.G.C., se fait tout à la fois
l'écho et le guide de cette tendance contestataire. A côté
de lui, se trouvent d'autres auteurs comme : S. ALGERNON (1622-1683), le
poète MILTON (1608-1674), E. COKE (1552-1634), etc.
Ces auteurs ont exercé une profonde influence sur la
maturation de l'opinion anglaise en matière politique. Les Anglais ont
effectivement revendiqué et exercé le droit de juger face
à l'arbitraire de ses monarques au XVIIème
siècle. Il y eut une rébellion contre Charles Ier
STUART en 1642 et une révolution contre Jacques II STUART en 1688/89. La
dernière particulièrement changea même les normes de
succession au trône, en adoptant une importante loi11 qui
limitait les pouvoirs du roi. C'est à cette loi que S. E. BARKER fait
allusion quand il dit :
« Une loi fut également votée, loi
particulièrement importante et connue sous le nom de Déclaration
des droits des citoyens, qui limitait les pouvoirs du roi. La monarchie
était dorénavant une monarchie limitée. Et, étant
donné que ces limites étaient déterminées par un
document constitutionnel, nous pouvons lui donner le nom de monarchie
constitutionnelle »12.
Une telle tendance est essentiellement républicaine et
démocratique. Elle prône la liberté par la loi
promulguée et connue de tous, et l'idée de la balance des forces
au sein du corps politique. Elle est également favorable à la
politique de la représentativité du peuple au parlement par les
élus locaux, à travers laquelle ses promoteurs voient un moyen
pour le peuple de s'autogérer. Comme nous pouvons le voir, de cette
pensée, il se dégage des thèses constitutionnalistes, qui
expriment un contexte doctrinal qui est déjà celui des
démocraties occidentales modernes, et même contemporaines.
Le summum de cette réflexion est incarné par G.
SAVILLE (1633-1685), marquis de Halifax (Lord) et par J. TYRELL, avocat, deux
auteurs qui ont exercé une profonde influence sur la pensée
politique de J. LOCKE. Le T.G.C. en porte des marques. Lord Halifax,
est l'auteur de The character of a trimmer (1688). Dans cet ouvrage,
l'auteur retrouve l'intuition aristotélicienne du « juste
milieu » en assimilant l'action du gouvernement civil à celle
du capitaine de navire, le trimmer, qui en agissant sur le gouvernail,
maintient le navire en équilibre. C'est-à-dire en excluant les
extrêmes : ni trop à bâbord, ni trop à tribord. Donc
ni républicanisme démocratique que risque de gangrener
l'intérêt et la passion, ni absolutisme monarchique parce que
tenté par l'arbitraire. Le trimmer symbolise le gouvernement
mixte où se conjuguent l'autorité du prince et la liberté
des sujets.
Quant à lui, J. TYRELL est l'auteur de The
Patriarcha unmonarched (1681), une réplique à l'ouvrage de
R. FILMER plus haut indiqué (page 8). L'ouvrage de J. TYRELL trace
déjà le contexte doctrinal dans lequel s'inscrira le
traité politique de J. LOCKE qui, non seulement combat l'absolutisme
dans toutes ses manifestations, mais aussi, conceptualise un plaidoyer pour la
monarchie constitutionnelle.
Enfin, il convient de mentionner qu'à côté
de ces deux grandes tendances, figuraient également d'autres mouvements
protestataires difficilement catégorisables. Ces mouvements
étaient plus ou moins associés à certaines «Eglises
dissidentes». C'est le cas des Levellers (niveleurs),
Diggers (bêcheurs), Seeckers (chercheurs),
Ranters (divagateurs) qui, malgré des procédés et
objectifs divers, se
rejoignaient tous dans un unique dessein : subvertir le statu
quo, la société aristocratique et les croyances
établies.
I.2. Les fondements philosophiques
I.2.1. L'anthropologie des doctrines du contrat social
L'idée de « contrat social »
s'oppose à la thèse naturaliste de l'origine des
sociétés civiles et de l'autorité politique. Elle est la
pierre angulaire de la réflexion philosophico-politique. Son origine est
très controversée13. Certains la situent dans la
Bible, qui a considérablement influencé J.
LOCKE14. Ils y trouvent une relation scellée par un
engagement indissoluble dans la distinction des partenaires qu'elle relie :
Dieu et l'homme. D'abord avec NOE après le
Déluge15, ensuite avec ABRAHAM16 et enfin
avec MOÏSE et le peuple rassemblé au pied du mont
Sinaï17. D'autres dans l'illustre civilisation
égypto-mésopotamienne avec le très célèbre
Code d'HAMOURABI (XVIIIème siècle av.
J.-C.)18. D'autres encore dans l'antiquité grecque.
Essayons de remonter aux sources de cette intuition. Nous allons voir ce
qu'il en est chez les païens grecs, ensuite la métamorphose dans
l'Occident chrétien médiéval, et enfin, son paroxysme dans
la renaissance et la modernité occidentales avec des possibilités
d'en évoquer les persistances de nos jours.
I.2.2. La pensée grecque païenne
Au Vème siècle avant JESUS-Christ les
Grecs19 s'interrogeaient déjà sur le fondement du fait
politique et juridique : l'existence des lois et des constitutions, la
jurisprudence et les tribunaux, etc. Avec le mouvement philosophique
initié par SOCRATE (vers 470-3 99 av. J.-C.) et celui des sophistes,
pareille réflexion connue son
13Sur cette controverse, voir l'excellent ouvrage de
S. GOYARD-FABRE, L'Interminable querelle du contrat social, Edition de
l'Université d'Ottawa, 1983.
14Rappelons de mémoire que, LOCKE a
été destiné par ses parents à la
cléricature. A Christ Church, il a suivi une formation à
cet effet, avant de se réorienter en médecine. Dans ses
traités politiques de 1690, il cite abondamment les Saintes
Ecritures.
15E.B.J., Genèse IX, Cerf/Verbum
Bible, 1988.
16Idem, Genèse, XV, 17.
17 Idem, Exode, XXIV.
18Nous renvoyons à F. DUMAS, La
Civilisation de l'Egypte pharaonique, Arthaud, 1965, p. 190. Egalement S.
GOYARD-FABRE, Op. Cit., Introduction, p. 22.
19SOPHOCLE dans ces tragédies, Antigone
par exemple, s'interroge sur la nature des lois. Lorsque par exemple CREON
condamne ANTIGONE pour avoir inhumé son frère en dehors des
prescriptions édictées par la loi, celle-ci lui répond
qu'elle a agit conformément aux lois immuables qui émanent du
Ciel.
|
|
12
|
20ARISTOTE, La Politique, T I, Livre I, 1253a
2, Vrin, 1962, pp. 28-29.
21Idem, Livre I, 1253a 2p. 30.
22PLATON, La République, Livre II,
359a, GF-Flammarion, 1966, pp. 108-109.
23PLATON, Protagoras, 337a-338b in
Protagoras, Euthydème, Gorgias, Menexène, Menon,
Cratyle, GFFlammarion, 1990, pp. 68-69.
apogée et, certainement aussi, son plus haut point de
systématisation. Deux écoles s'affrontent : les tenants du
naturalisme et ceux du conventionnalisme.
Selon les promoteurs de la première école,
HESIODE (vers la fin du VIIIème siècle av. J.-C.) et
HERACLITE (vers le VIème siècle av. J.-C.) par
exemple, les lois ont une origine divine. ZEUS en est l'auteur tout comme la
société. Dans cette même optique, la constitution que donna
LYCURGUE (entre le XIème et le IXème
siècle av. J.- C.) à Sparte lui fut dictée par Dieu.
ARISTOTE (3 84-322 av. J.-C.) d'ailleurs ne s'en démarquera pas, selon
la tonalité de ce passage de La Politique20
où, reprenant l'intuition présocratique, il s'oppose aux
sophistes, partisans du conventionnalisme. La famille, les normes et la
cité estime-t-il, sont au nombre des réalités qui existent
naturellement. Voilà pourquoi « l'homme est un animal
raisonnable » par nature. Ainsi, l'homme sans cité est soit un
apatride, soit un être dégénéré, soit encore
au- dessus de l'humanité. La cité ne résulte pas d'une
convention qui s'opposerait à la nature. Les citoyens ne sont pas, comme
le pensait GORGIAS (vers 487-vers 380 av. J.-C.), fabriqués en
séries par l'Etat comme les artisans fabriquent les
vases21.
Les sophistes, en lesquels nous avons reconnu le courant
opposé, avaient établi une antithèse entre la nature et la
loi. Celle-ci signifie clairement que tout ce qui est coutume, loi ou
convention, ne fait pas partie de l'ordre naturel des choses, et n'existe qu'en
vertu de l'opinion convenue entre les hommes, dont il n'y a pas de traces dans
les choses naturelles22. A cet artifice de la loi, se joint une
explication génétique de la société civile.
D'où, vivre selon la nature est une hérésie. La nature est
violente, désordonnée et imparfaite, il faut corriger ses
imperfections afin de bien vivre23. L'existence et l'ordre dans la
cité reposent sur une opposition à cette dernière. De
façon génétique, structurelle et institutionnelle, la
cité est le résultat d'un pacte. Les institutions ne s'imposent
qu'en vertu d'un commun accord passé entre les hommes. Nous voici ici
sur une piste qui nous amène à assimiler les sophistes aux
pionniers de l'idée de « contrat social ».
24PLATON, OEuvres, T I, Criton,
51 a, b, c & e, les Belles Lettres, 1920, pp. 227-229. Le citoyen (SOCRATE)
est lié à la cité par un pacte tacite, le pacte civil. Il
s'est mis en accord avec les lois pour faire ce qu'elles ordonnent. D'où
la tentative d'évasion de prison proposée par CRITON est
rejetée par celui-ci, parce que considérée comme un acte
incivique.
25S. GOYARD-FABRE, L'Interminable querelle du
contrat social, Edition de l'Université d'Ottawa, 1983, p. 39.
26TITE-LIVE, Histoire romaine, cité par PUFENDORF,
Droit de la nature et des gens, « B.P.P.J.
» du Centre de philosophie politique et juridique de
l'Université de Caen, 1987, Livre VII, Chapitre III, § 01.
Certes, ce sont les sophistes qui ont le plus marqué le
conventionnalisme antique. Mais il n'en demeure pas moins que l'on retrouve
également cette même idée dans certains dialogues de
PLATON24 (428-348 av. J.-C), chez les Epicuriens25 et
même chez certains auteurs romains de l'époque impériale
comme l'atteste ce passage : « L'autorité ne tire son origine
que du consentement de ceux qui s'y soumettent »26.
Comme nous pouvons le constater, s'il est possible de parler
des origines grecques de l'idée de « contrat social
», il faut le dire, c'est une attitude qu'il faudra adopter avec
beaucoup de circonspection. Car, il y a encore des écueils dans cette
conception. Elle n'échappe pas à l'antithèse nature/loi et
à l'ontologie que ces concepts supposent. Aussi, est-elle davantage
développée comme une éthique politique que comme une
science du politique. Enfin, il manque encore la thématique qui pose
l'individu et l'Etat comme deux extrêmes, entre lesquels il faut
établir un lien. Ce qui n'empêche pas que les deux thèmes
de conventionnalisme et d'individualisme qui domineront la doctrine du contrat
social à l'époque moderne puissent se réclamer d'un
lointain enracinement dans la philosophie grecque.
I.2.3. La pensée chrétienne
médiévale
Préoccupés par un souci d'ordre
apologétique imprégné d'une volonté de
prédication et par le problème des relations entre le pouvoir
spirituel et le pouvoir temporel, les penseurs chrétiens du Moyen Age
n'ont pas vraiment proposé de théorie du contrat social. C'est
l'opinion qu'il est possible de se faire, à l'examen des travaux de
saint AUGUSTIN (354-430) et de saint THOMAS d'Aquin (1225-1274). Avec eux, la
philosophie est plutôt animée par une immense espérance
eschatologique. Si bien que l'organisation de la cité humaine vise
à exprimer le mieux qu'il est possible la beauté de la
Cité de Dieu, qui a valeur de paradigme ontologique éthique et
politique. Comparée à cette thèse, l'idée de
« contrat social », dont le ressort réside
dans l'initiative des individus et suppose
l'indépendance des volontés et des personnes est nulle. Elle
manque de consubstantialité à l'Etre et est beaucoup trop
fragile, pour s'insérer dans le cosmos chrétien où
d'ailleurs elle sonne faux. Cette idée, génératrice de
souveraineté voue les hommes au pluralisme politique et à la
relativité des ordres de droit positif.
A la suite d'ARISTOTE, saint THOMAS pense que l'Etat est une
communauté naturelle qui se réalise en vertu de la
sociabilité que Dieu a inscrite dans l'ontologie même de l'homme.
L'autorité du prince ne se comprend dans cette optique qu'en rapport
avec Dieu, qui seul, peut la déléguer. L'idée de
« contrat social », qu'il soit un contrat de
société ou de souveraineté, apparaît ici comme
complètement inutile. L'autorité politique légitime,
fondée en Dieu, doit être guidée par la Foi et s'exercer
sous l'égide de l'Eglise. La notion d'Etat est effacée en tant
qu'entité juridique, même en tant que réalité
politique. Il ne reste que l'Institution Pontificale. C'est un
avatar27 de la théorie du contrat social. L'intuition
contractualiste dont les sophistes avaient pourtant compris qu'elle traduisait
la maîtrise de l'homme dans la construction de sa propre cité, ne
peut plus au Moyen Age trouver de place. Elle se dilue dans le non-sens. Saint
AUGUSTIN et saint THOMAS, sans s'y appesantir, laissent clairement entendre que
les exigences de leurs philosophies sont ailleurs, que toute convention humaine
est frappée de finitude et marquée du sceau de la
négation. Simone GOYARD-FABRE souligne dans cette optique :
« A cette époque, la vie politique n'est pas
comprise dans l'horizontalité d'une théorie contractualiste
demeurant au niveau de la «terra humana» qui porte
l'empreinte de la faillibilité de l'homme ; elle a besoin d'une relation
verticale, d'une relation de transcendance qui l'unisse à
l'au-delà et à l'absolu »28.
I.2.4. Les Temps Modernes
Non seulement, la pensée contractualiste culmine
à l'époque moderne, mais ce moment représente un tournant
décisif dans l'histoire de son élaboration. Cette époque
est divisible en deux grandes phases. D'un côté, nous avons la
période classique, le XVIIème siècle, avec les
auteurs comme : T. HOBBES (1588-1679), H. GROTIUS (1583-1645), S. PUFENDORF
(1632-1694), B. SPINOZA (1632-1677) et J. LOCKE
27S. GOYARD-FABRE, Op. Cit., p. 49.
(1632-1704), avec des ouvrages hautement significatifs.
Respectivement le Léviathan (1650), le Droit de la guerre
et de la paix (1727), le Droit de la nature et des gens
(1672), le Traité théologico-politique
(1670), et le Traité du gouvernement civil
(1690). De l'autre côté, il y a le XVIIIème
siècle, les Lumières, où nous avons
remarqué l'apport considérable de J.J. ROUSSEAU (1712-1718) avec
son Du contrat social ou principe du droit politique (1762), et E.
KANT (1724-1804) avec ses Conjectures sur les débuts de l'histoire
humaine et de son Traité de paix perpétuelle
(1795).
Ces penseurs ont donné une nouvelle configuration
conceptuelle à la notion et à la doctrine du contrat social.
Mais, leurs différentes conceptions y relatives restent
protéiformes et très controversées. Dès qu'on les
confronte, on ne sait plus exactement : le contrat social est-il l'acte par
lequel se forme la société ou se fonde le gouvernement, est-il
conclu entre les particuliers ou entre ces derniers et le souverain ?
Résout-il un problème de fondement ou d'origine, de genèse
ou de structure, de constitution sociale ou de légitimité
politique ? Enfin, le contrat est-il un acte unique ou se décompose-t-il
en deux ou trois actes différents, ces actes sont- ils successifs ou
simultanés ?
Ce qui est certain, c'est que ces inquiétudes
traduisent une évidence. L'idée de « contrat social
» est devenue une plate-forme de la philosophie politique et s'est
chargée des équivoques au point de rendre sa nature difficile
à cerner. C'est dans cette optique qu'il faudra comprendre les
premières critiques qui lui étaient adressées. Nous
pensons ici à celles de SHAFTESBURY (1617-1713)29, de
MONTESQUIEU (1689-1755)30, surtout à celle de D. HUME (171
1-1776)31, la plus virulente de toutes.
Au-delà de cette controverse constatée entre ces
théoriciens, leurs
28Idem, p. 73.
29Il s'agit d'A. ASHLEY COOPER III,
3ème comte de Shaftesbury, petit-fils de l'ami de LOCKE, dans
son ouvrage intitulé, les Characteristics.
31D. HUME, Essai sur le contrat primitif,
Vrin, 1972, p. 136. Egalement S. GOYARD-FABRE, Op. Cit., pp. 204-
210.
30MONTESQUIEU, 44ème Lettre
persane. L. ALTHUSSER en a donné un remarquable
résumé : MONTESQUIEU, la politique et l'histoire,
P.U.F., 1985, p. 21 & pp. 26-29. Egalement S. GOYARD-FABRE, Op.
Cit., pp. 203-204.
32J. RAWLS, Théorie de la justice,
Seuil, 1987, p. 91 : « En premier lieu : chaque personne doit avoir un
droit égal au système le plus étendu de liberté de
base égale pour tous qui soit compatible avec le même
système pour les autres. Deuxièmement : que les
inégalités sociales et économiques doivent être
organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l'on
puisse raisonnablement s'attendre à ce qu'elles soient à
l'avantage de chacun et (b) qu'elles soient attachées à des
positions et à des fonctions ouvertes à tous ».
différentes conceptions se recoupent dans son
organisation en trois moments. A l'origine, l'état de nature. Ensuite le
contrat ou le pacte social. Enfin, l'état civil ou la communauté
politique. Ce paradigme du contrat montre qu'on ne fait plus appel à une
légitimité de type religieux ou transcendant pour approuver
l'autorité politique. Et que la base de l'autorité n'est rien
d'autre qu'un contrat volontaire, passé tacitement entre l'ensemble des
individus ayant consenti à vivre en communauté politique les uns
avec les autres. Ceci, en vue de leur épanouissement, de leur bonheur et
de leur sécurité.
Même à notre époque, l'intuition
contractualiste de l'origine de la société est loin d'être
parvenue au terme de son parcours. Elle est présente dans la monumentale
Theory of justice (1971) de J. RAWLS. Ce livre est une tentative de
redéfinition de l'idée de la justice distributive.
C'est-à-dire : du principe d'allocation et de redistribution des
richesses économiques, sociales et symboliques dans le contexte des
sociétés contemporaines traversées par le « fait
du pluralisme » et de son corollaire d'inégalités.
RAWLS soutient que, dans une société bien organisée,
l'accord sur « Deux principes de justice »32
devraient fonder l'adhésion des populations aux institutions
démocratiques.
D'un côté, le premier principe reconnaît
à tous les individus des libertés égales. D'un autre
côté, et à condition que le premier principe soit
respecté et conçu comme prioritaire, il faut que tous les membres
de la société puissent se représenter la
répartition des biens et des richesses comme équitable au sens
où ils ne puissent imaginer une autre répartition plus «
juste ». Ainsi, même les plus défavorisés devront
considérer que les inégalités existantes sont à
leur avantage. Pour une démocratie, RAWLS estime qu'il ne s'agit pas de
supprimer toutes les injustices. Mais de s'interroger sur celles qui sont
compatibles avec le respect des libertés fondamentales, de la
dignité anthropologique et sur celles qui ne le sont pas, et qui doivent
être réformées.
Pour réaliser cette entreprise, RAWLS recourt à
une fiction méthodologique qui place les individus dans une situation
idéale afin de choisir les meilleurs principes de justice sociale
acceptables par tous. Cette situation idéale ou « position
originelle » correspond au « voile d'ignorance
»33. Là dedans, les individus ignorent la place
qu'ils occuperont et les conditions du monde dans lequel ils vivront une fois
le contrat passé. Cette « position originelle » dans
laquelle les hommes adoptent les normes de leur société future
est l'équivalent «post-moderne» de l'idée de «
contrat social ».
Comme nous pouvons le voir, la réflexion
philosophico-politique n'a pas fait fortune égale entre la thèse
naturaliste et la thèse conventionnaliste de l'origine de la
société. On dénote la prépondérance de la
dernière sur la première, dont elle démontre
l'incohérence en raison et anéantit la perspicacité.
Après avoir traversée le monde païen et le monde
chrétien, cette idée de « contrat social » est
devenue avec les Modernes, une manière communément admise de
penser le problème de l'origine des sociétés civiles et de
l'autorité politique. En d'autres termes, un lieu commun de la
philosophie politique classique. Elle est une «re-conception» de
l'homme ayant atteint majorité et autonomie, arraché aux
superstitions éthiques et au pluralisme politique dont s'était
encombrée son histoire au Moyen Age. De cette «re-conception»
de l'homme, est née une nouvelle manière de voir, la silhouette
d'un homme nouveau, séduisante, riche et pleine d'espérance.
C'est ce message d'optimisme politique que J. LOCKE véhicule dans son
anthropologie politique.
33J. RAWLS, Op. Cit.,pp. 168-169.
34J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992,
Chapitre II : De l'état de nature, § 04, p. 143.
Chapitre II. L'anthropologie politique de J. LOCKE
II.1. Les trois moments du contrat social
II.1.1. L'état de nature
Cet extrait du T.G.C. décrit les
caractéristiques et la logique du fonctionnement de l'état de
nature :
« [...] un état de parfaite
«liberté», un état dans lequel, sans
demander la permission à personne, et sans dépendre de la
volonté d'aucun autre homme, ils (les hommes) peuvent faire ce
qu'il leur plaît, et disposer de ce qu'ils possèdent et de leurs
personnes, comme ils jugent
à propos, «pourvu qu'ils se tiennent
dans les bornes de la loi de nature» »34.
Dans cet état, Dieu a originellement mis les hommes et
prescrit la loi naturelle. Celle-ci inspire la paix et la bienveillance
réciproques entre eux. Bien que l'état de nature indique aux
hommes les desseins moraux de l'humanité, il ne comporte pas cependant
les moyens d'en assurer avec certitude l'accomplissement. Car, la nature
humaine étant fragile, chacun peut céder à la passion,
à l'intérêt, à la corruption et à la
vengeance ; se détournant ainsi, de cette loi d'obligation qu'est la loi
de nature voulue par Dieu. Alors, les différends éclatent entre
les individus, et il n'y a aucun juge commun pour trancher. Le droit naturel de
chacun est dépourvu de toute dimension juridique.
Voilà pourquoi LOCKE, contrairement à HOBBES,
refuse d'assimiler l'état de nature à un état de guerre.
Il admet tout de même que les individus y sont exposés à
beaucoup d'inconvénients et d'incertitudes. C'est pour cette raison
qu'ils aspirent à un autre état qui puisse leur donner la
sécurité et les garanties que réclame une raison
raisonnable. Autrement dit, les hommes ont besoin d'une société
civile, dans laquelle une législation et un système judiciaire et
juridique communs, protègent leurs « personnes »,
leurs « libertés » et leurs « biens
». Au besoin, en sanctionnant ceux qui violent la loi
universelle de nature sur la base des normes stables et connues de tous.
35J. LOCKE Op. Cit., Chapitre XI : De
l'étendue du pouvoir législatif, §§: 124, 125 &
126, pp. 237-238.
Il ressort donc sous la plume de LOCKE que, l'état de
nature n'est pas essentiellement conflictuel. Il est dynamique. C'est ce
dynamisme qui prédispose les hommes à la bienveillance
réciproque. Mais, avec l'apparition de la propriété
privée, doublée du manque d'arbitre et des règles du jeu
approuvées par tous, cette bienveillance naturelle observable entre les
individus est susceptible d'être niée et contredite. Ce qui peut,
en dernier ressort, générer des conflits entre les particuliers.
Au bout du compte, l'état de nature apparaît comme conflictuel. Il
apparaît clairement que c'est un état défectueux.
D'où le recours à l'artifice des hommes afin de corriger ses
défauts qui sont : le manque des lois établies connues,
reçues et approuvées d'un commun consentement,
c'est-à-dire, de règles fixant la nature des châtiments
proportionnels à la nature des délits ou crimes commis ;
l'absence d'un juge commun, lequel est chargé par la communauté
d'évaluer les transgressions et de prononcer les châtiments,
enfin, une force publique, capable de faire que la sentence du juge et
l'intention de la loi deviennent réalité effective. Cet autre
extrait du T.G.C. condense non seulement l'idée de cette
défection de l'état de nature, mais aussi, énonce une
perspective pouvant conduire à son amélioration :
« C'est pourquoi, la plus grande et la principale fin
que se proposent les hommes, lorsqu'ils s'unissent en communauté et se
soumettent à un gouvernement, c'est de «conserver leurs
propriétés», pour la conservation desquelles bien
des choses manquent dans «l'état de nature».
«Premièrement», il y manque des lois
établies, connues, reçues et approuvées d'un commun
consentement, qui soient comme l'étendard du droit et du tort, de la
justice et de l'injustice, et comme une commune mesure capable de terminer les
différends qui s'élèveraient [...] «En
second lieu, dans l'état de nature», il manque un juge
reconnu, qui ne soit pas partial, et qui ait autorité de terminer tous
les différends, conformément aux lois établies [...]
«En troisième lieu, dans l'état de
nature» il manque ordinairement un pouvoir qui soit capable
d'appuyer et de soutenir une sentence donnée, et de l'exécuter
»35.
II.1.2. Le contrat ou la convention
En même temps que J. LOCKE entend ruiner les
thèses de R. FILMER qui, à l'instar de BOSSUET, s'était
fait le défenseur à la fois, de la monarchie absolue et de
l'identification du pouvoir politique à l'imperium paternale,
en même temps, il expose la théorie du bouleversement
constitutionnel anglais qui a évincée Jacques II
37Idem, Chapitre VIII : Du commencement des
sociétés politiques, §§ : 98-99, pp. 216-217.
STUART, et instituée sous GUILLAUME III d'Orange, un
régime parlementaire. Cette théorie définit un nouveau
type de contrat politique entre la nation et le souverain. Ainsi, bien que
naturellement sociable, l'homme doit au moyen de conventions, construire la
société civile. Cette construction va de pair avec le choix du
régime politique. Elle requiert simultanément un contrat
(compact) et un trust, qui, en mettant fin à l'état
de nature, forment un corps politique entre les hommes. La
caractéristique essentielle de ce corps est de faire prévaloir la
règle majoritaire, à défaut de l'unanimité
impossible au monde des hommes en raison des passions ou carences
psychologiques et morales :
« Car «si le consentement du plus grand
nombre» ne peut raisonnablement être reçu comme un
«acte de tous», et obliger chaque individu à
s'y soumettre, rien autre chose que le consentement de chaque individu ne sera
capable de faire regarder un arrêt et une délibération,
comme un arrêt et une délibération de tout le corps [...]
Car où «le plus grand nombre» ne peut
conclure et obliger le reste à se soumettre à ses décrets
; là on ne saurait se résoudre et exécuter la moindre
chose, là ne saurait se remarquer nul acte, nul mouvement d'un corps ;
et par conséquent, cette espèce de corps de
«société» se dissoudrait d'abord
» 36.
Dans le compact, il ne s'agit pas d'assembler les
individus que la nature a enfermés dans une insularité, telle
qu'ils redoutent devant la présence d'autrui, les conflits et la mort.
Le contrat originaire (originary compact) n'est pas un pacte
d'association. Puisque par nature, les hommes appartiennent à cette
vaste famille qu'est l'humanité, (mankind). Il est plutôt
un pacte de spécification qui détermine à
l'intérieur de la société originaire, des ensembles qui
seront susceptibles de former sous un gouvernement et des lois, une
unité politique37. Dès lors, le passage de la
société naturelle à la société civile dit J.
LOCKE, se produit chaque fois que des hommes en nombre quelconque, entrent en
société civile. C'est-à-dire : dès qu'ils
36Idem, Chapitre VII : De la
société politique ou civile, § 98, pp. 216-217. La
traduction de B. GILSON est plus concise pour illustrer cet aspect de la
pensée de J. LOCKE. Il est possible de lire : « La majorité
a le droit de faire agir le reste et de décider pour lui [...] ; Il faut
que chaque individu accepte le consentement de la majorité comme
l'équivalent rationnel de la décision de l'ensemble et s'y
soumette [...] Quand la majorité ne peut pas décider pour le
reste, les gens ne peuvent pas agir comme un seul corps et cela entraîne
la dissolution immédiate du corps politique », J. LOCKE,
Deuxième traité du gouvernement civil, Vrin, 1985,
§ 98.
38Idem, Chapitre VII : De la
société politique ou civile § 89, p. 208.
39Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements,
§ 241, p. 325.
constituent dorénavant un même peuple, un corps
politique unique sous un seul gouvernement suprême38.
Ce compact qui assurément exige un accord
(agreement) entre les individus, ne suffit pas encore à la
constitution de la société politique. Il la rend seulement
possible plus tard. Ce qui nous conduit à réaliser que, chez
LOCKE, la communauté politique se forme par deux actes
spécifiques. D'une part, l'originary compact forme par
le consentement unanime des membres, la volonté unique qui sera
confiée au corps politique. Cette volonté s'exprime par le
pouvoir législatif qu'exerce au nom de la majorité, ceux
que la communauté a investis à cette fin. D'autre part, c'est
dans ce second acte, le trust, que réside le ressort essentiel
du politique. C'est-à-dire, que c'est lui qui détermine le
pouvoir d'établir les lois fondamentales, positives et permanentes de
l'Etat (Commonwealth). A travers lui, une mission spéciale est
confiée par le peuple au gouvernement : toujours oeuvrer pour le bien
public.
Le gouvernement, en vertu de la loi de la nature et dans les
limites qu'elle lui impose, est tenu de remplir cette mission39. Les
citoyens, sous peine d'incohérence, sont tenus d'obéir aux lois,
qu'ils ont eux-mêmes contribuées à édicter.
L'originalité de ce contrat est d'être une obligation sans
contrainte, à la fois pour le gouvernement et pour les citoyens. Le
trust est une obligation morale. A travers ce paradigme de
trust, les hommes libres sont en train de transformer, par leur
consentement, la forme de leur liberté, ce qui revient au même, la
forme de leurs droits. Comme nous le voyons, pour la première fois dans
l'histoire des hommes et des idées, un libéralisme politique est
défini. Dans cette définition, le consentement des individus
à la vie civile prend une force en consacrant l'idée du droit
à la propriété et à la liberté. C'est cette
force qui joua en faveur des révolutionnaires orangistes contre Jacques
II STUART en 1688/89. C'est encore elle qui influença les
révolutionnaires sécessionnistes américains de 1776. Elle
n'a pas laissé indifférents les constituants français de
1789.
40MONTESQUIEU en souligne gravement le vertige
sémantique : De l'Esprit des lois, T. I, GF-Flammarion, 1993,
Livre XI, Chap. 2 & 3 : « La liberté est le droit de faire tout
ce que les lois permettent ».
Le contrat social provoque, selon J. LOCKE, la
métamorphose de la liberté qui n'est plus une liberté
selon la nature, mais une liberté selon la loi40. Le droit
naturel à la liberté est désormais garanti par une
constitution. Il tire sa réalité juridique du contrat qui
définit la mission du gouvernement. L'optimisme libéral est
là tout entier et la légitimité n'est plus à
chercher du côté du pouvoir du monarque. Son principe
réside dans la volonté des individus membres de la
communauté politique.
II.1.3. La société civile ou
communauté politique
La société politique se forme, dit J. LOCKE,
lorsque les hommes se dessaisissent du pouvoir de juger et de châtier
qu'ils tiennent tous de la nature, et le confient à un magistrat commun.
Il revient à ce dernier d'en assurer la gestion en vue du bien commun
seulement : « protéger les citoyens et ce qu'ils ont en propre
». La société civile repose donc sur l'union des
hommes, décidés à former un seul corps, dans lequel il y
ait un système juridique et judiciaire commun auquel ils peuvent
recourir. Ce système a compétence pour trancher les
différends qui s'élèveront entre eux et punir les
délinquants. La sanction repose sur la détermination des lois
permanentes dont la violation entraîne l'application d'un châtiment
proportionné.
C'est donc pour assurer le respect des droits que chacun tient
de la nature, et pour éviter que l'effort de chacun pour s'assurer la
disposition de sa personne et de ses biens conduise à l'état de
guerre, que tous renoncent au droit de se faire justice selon leur propre
volonté. Ils donnent alors mandat à l'autorité pour
assumer cette charge. Tout en lui reconnaissant la possibilité de
requérir leur propre force à l'occasion d'une action publique. Ce
propos de J. LOCKE est significatif :
« Ceux qui composent un seul et même corps, qui
ont des lois communes établies et des juges auxquels ils peuvent
appeler, et qui ont l'autorité de terminer les disputes et les
procès qui peuvent être parmi eux et de punir ceux qui font tort
aux autres et commettent quelques crimes : ceux-là sont en
«société civile» les uns avec les
autres ; mais ceux qui ne peuvent pas appeler de même à aucun
tribunal sur la terre, ni à aucunes «lois
positives», sont toujours dans «l'état de
nature», où il n'y a point
41J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992,
Chapitre VII : De la société politique ou civile § 87, pp.
206-207. 42Idem, § 98, p. 216.
d'autre juge, étant juge et exécuteur
soi-même, ce qui est, comme je l'ai
montré auparavant, le véritable et parfait
«état de nature» »41.
J. LOCKE assimile le pouvoir confié au magistrat par un
artifice des hommes à un pouvoir suprême. Mais, cette
suprématie se distingue de l'absolutisme, et ne se comprend
qu'exclusivement dans son association avec la notion de trust. En
d'autres termes, ce pouvoir n'est suprême que dans le contexte de la
mission qui lui est dévolue. Il ne saurait être arbitraire sur le
bien du peuple, d'autant plus que la propriété doit toujours
être à l'abri. Par conséquent, le pouvoir suprême est
conditionnel, pas absolu. Cette suprématie n'est légitime
qu'à condition que ce pouvoir s'acquitte de sa mission : assurer la paix
et la sécurité, sauvegarder, les personnes, les libertés
et les biens. Le pouvoir suprême ne saurait se concevoir en contradiction
avec sa mission. Si, les responsables à qui est dévolue sa
gestion négligent leur mission ou l'assument mal, il revient
nécessairement, aux mains du peuple, garant de la
légitimité en dernier ressort. La communauté politique est
le véritable juge ; à elle de trancher selon le «
principe de la majorité » si le magistrat doit rester ou
partir. Elle demeure donc le pouvoir suprême. Chez J. LOCKE la loi
fondamentale est la loi de la propriété.
II.2. L'aspect polémique des traités
politiques de J. LOCKE
II.2.1. Polémique vis-à-vis de T. HOBBES
Très souvent J. LOCKE est présenté comme
un critique de T. HOBBES. Le raisonnement est sommaire jusqu'à l'erreur.
Il convient ici de lever l'équivoque. Il est malaisé de constater
d'emblée que le nom de l'auteur du Léviathan,
n'apparaît nulle part dans le traité politique de J. LOCKE. Sauf
son livre, Léviathan, qui y est mentionné une
fois42.
Aussi, la pensée politique de J. LOCKE n'a pas toujours
été encline au libéralisme comme cela se dit. En d'autres
termes, J. LOCKE a lui aussi connu une période absolutiste. C'est
précisément quand il était jeune. En effet, le jeune
LOCKE
est l'auteur de quatre textes inédits. Les deux
premiers, des poèmes43 sont une louange en l'honneur de O.
CROMWELL (1599-1658), un usurpateur-tyran. Les deux derniers, des
essais44, dans lesquels répondant à un libellé
de son ami étudiant, E. BAGSHAWE, J. LOCKE se réjouit
successivement de la restauration de Charles Ier STUART et défend avec
fougue l'autorité des rois et l'obéissance des sujets. Comme nous
le relevons, à cette époque, la pensée de J. LOCKE exprime
une nette proximité avec la philosophie politique de T. HOBBES. C'est
d'ailleurs l'avis de S. GOYARD-FABRE et de plusieurs autres commentateurs de la
pensée politique de J. LOCKE :
« Il (J. LOCKE) a donc bien traversé
une époque anti-libérale, et lors même qu'il
récusait l'étiquette de «hobbiste» et
se défendit toute sa vie d'en avoir subi l'influence, l'ombre de HOBBES
planait à cette époque sur sa réflexion politique
»45.
Le dépassement de la tentation hobbienne se fait sentir
dès 1664 avec les Essays on the law of nature et se
précise dans l'Essai sur la tolérance de 1666 avant de
prendre sa formulation définitive dans le traité politique de
1690. Non sans avoir emprunté à T. HOBBES l'idée selon
laquelle c'est le contrat qui est non seulement, l'acte
générateur de la souveraineté, mais aussi, l'acte
fondateur de la société civile. Au reste, J. LOCKE lui sait aussi
gré d'avoir su distinguer un état où les hommes sont
hostiles les uns vis-à-vis des autres, l'état de nature, et un
autre état, l'état civil, où les hommes sont régis
par des lois publiques (Common law). Il ressort clairement que le
système de J. LOCKE est bien tributaire de la pensée politique de
T. HOBBES.
43Composé en 1653-1654 : l'un en vers
anglais et l'autre en vers latin. Pendant cette période, CROMWELL
était devenu le personnage le plus important de la République.
Sur ces deux poèmes, voir C. BASTIDE, J. LOCKE, ses théories
politiques et leurs influences en Angleterre, Leroux, 1906, p. 13.
44Composé en 1660 : l'un en anglais,
Wether the civilis magistrtate may lawfully imposes and determines the use
of indifferents things in reference to religious worship. L'autre en vers
latin, An magistratus civilis possit res adiaphoras in divini cultus ritus
asciscere, eosque populo imponere ? Sur ces deux textes, cf. R. POLIN,
«Locke et le libéralisme», Appendice de La Politique
morale de J. LOCKE, P.U.F, 1960, pp. 237-250 ; et dans l'introduction
à la L.T., P.U.F., 1993, pp. LXVII-LXXXIII.
45 S. GOYARD-FABRE, Introduction au Traité du
gouvernement civil de J. LOCKE, GF-Flammarion, 1992, p. 19. C'est aussi
l'avis de R. POLIN, «J. LOCKE et le libéralisme», Appendice de
La Politique morale de J. LOCKE, P.U.F, 1960, pp. 237-250. Egalement,
Y. MICHAUD, LOCKE, Bordas, 1986, pp. 14-17. De Richard ASHCRAFT,
La Politique révolutionnaire et les deux traités du
gouvernement de John LOCKE, P.U.F. 1999, p. 82, nous lisons : « Ces
manuscrits établissent clairement qu'un nombre considérable
d'éléments que nous identifierons comme le noyau de la
pensée politique de LOCKE sont absents de ses écrits politiques
antérieurs à 1667. C'est-à-dire que, au début des
années 1660, LOCKE est prêt à accorder au magistrat civil
un pouvoir absolu et arbitraire sur les actions des individus à
l'intérieur de la société ; il ne souscrit pas à
une théorie des droits naturels ; il est opposé à la
tolérance de la dissidence religieuse ; il ne croit pas que la
primauté du parlement soit une concrétisation du pouvoir
législatif de la société ; il n'expose pas dans ses
écrits une théorie de la propriété ou de son
importance dans les origines de la société civile. Enfin, il
rejette l'idée que le peuple ait le droit de résister à
ses gouvernants ».
46T. HOBBES, Léviathan, Partie I,
Chapitre XIV : Des deux premières lois naturelles et des contrats,
Sirey, 1983, p.129.
Cependant, l'oeuvre de J. LOCKE, par certains
côtés, entretient une polémique par rapport à celle
de T. HOBBES. Cette polémique se situe en terrain purement
philosophique, et se développe à deux niveaux.
Premièrement, en ce qui concerne la conception de l'état de
nature (ci-dessus pages : 19-20) d'une part, en ce qui concerne celle de l'acte
générateur de la société civile et instituteur de
l'autorité politique (ci-dessus pages : 20-23) d'autre part.
Deuxièmement en ce qui concerne la conception et la compréhension
de l'autorité politique elle-même (ci-dessus pages 3-4 et dessous
pages : 26-47). En outre, pareille polémique ne signifie nullement une
opposition, ni même une critique, mais plutôt un
dépassement.
Chez l'auteur du Léviathan, l'acte fondant et
instituant la communauté et l'autorité politiques est le
résultat d'un calcul de la raison, qui, tournée vers l'avenir,
détermine les conditions nécessaires à la sauvegarde des
hommes. La raison ici procède par mathématiques et technique. De
la simple sommation arithmétique des entités insulaires que sont
les individus, elle parvient à la mise sur pied d'un homme artificiel,
en qui résidera l'essence de la république. Par un ensemble de
lois civiles qu'il édictera, il substituera la paix à la guerre,
et, par la contrainte, il effacera la crainte. Voici la quintessence de ce
calcul téléologique d'intérêts :
« De cette loi fondamentale de nature, par laquelle
il est ordonné aux hommes de s'efforcer à la paix, dérive
la seconde loi : que l'on consente, quand les autres y consentent aussi,
à se dessaisir, dans la mesure où l'on pensera que cela est
nécessaire à la paix et à sa propre défense, du
droit que l'on a sur toute chose ; et qu'on se contente d'autant de
liberté à l'égard des autres qu'on en concéderait
aux autres à l'égard de soi-même. Car, aussi longtemps que
chacun conserve ce droit de faire tout ce qui lui plaît, tous les hommes
sont dans l'état de guerre. Mais si les autres hommes ne veulent pas se
dessaisir de leur droit aussi bien que lui-même, nul homme n'a de raison
de se dépouiller du sien, car ce sera là s'exposer à la
violence (ce à quoi nul n'est tenu) plutôt que de se disposer
à la paix »46.
Les conséquences suivantes s'imposent.
L'autorité publique, pourtant issue du pacte social, n'est pas partie
prenante de ce pacte. Sa puissance, il la tient de l'accumulation de tous les
droits que les individus ont abdiqués. Cette formidable puissance, c'est
ce qu'on appelle l'état (Commonwealth), qui se
caractérise par son
empire. En cette dimension superlative, il est puissance
souveraine telle qu'il n'y a pas plus grande qu'elle. C'est cette
supériorité qui fait la souveraineté de
l'Etatléviathan, lequel peut aussi bien s'incarner dans une
Assemblée que dans un homme. L 'Etat-léviathan se
distingue aussi par sa proximité avec l'autorité
ecclésiastique. Sa finalité est de mettre fin par la contrainte,
aux violences de l'état de nature. Le souverain, issue de ce contrat
n'est pas lui-même obligé par la loi, tandis qu'avec J. LOCKE,
c'est tout le contraire (pages 3-4 ; 20-23 ; 26-47). En définitive, T.
HOBBES apparaît comme enclin à l'absolutisme. C'est le point de
démarcation avec le vieux J. LOCKE, désormais tourné vers
le libéralisme politique. Contrairement à T. HOBBES, il plaide
pour la séparation des pouvoirs spirituel et temporel. La L.T.
en fait foi :
« Mais afin que personne ne donne pour
prétexte à une persécution et à une cruauté
peu chrétienne le souci de l'Etat et le respect des lois ; et afin, au
contraire, que d'autres, sous le couvert de la religion, ne cherchent pas la
licence des moeurs et l'impunité de leurs crimes ; afin, dis-je que
personne, soit comme sujet fidèle du prince, soit comme croyant
sincère, n'en impose, ni à lui-même, ni aux autres ;
j'estime qu'il faut avant tout distinguer entre les affaires de la cité
et celles de la religion et que de justes limites doivent être
définies entre l'Eglise et l'Etat »47.
Aussi, méthodologiquement et stylistiquement, la
démarche de T. HOBBES est distincte de celle de J. LOCKE. A proprement
parler, cette distinction, repetons-le, moins une opposition, qu'un
dépassement. S. GOYARD-FABRE l'a si bien caractérisée
quand elle dit, en substance, que T. HOBBES, en effet, élabore en termes
généraux et abstraits une science politique. Sa démarche
est logique et déductive48. Cette démarche est en
grande partie tributaire de son pessimisme anthropologique, selon lequel la
nature humaine est fondamentalement méchante et stable. La même
auteure estime, par ailleurs que J. LOCKE ne croit pas en une science du
politique. Car les mots dans leur fixité ont une sémantique
arbitraire49 et la démarche rationnelle et déductive
ne rend pas compte de la complexité des situations humaines (la nature
humaine est complexe, dynamique). Le souci de J. LOCKE est de
47J. LOCKE, L.T., P.U.F., 1993, pp. 9-11.
48S. GOYARD-FABRE, Introduction au De cive,
GF-Flammarion, 1982. Egalement dans, Le droit et la loi dans la philosophie
de T. HOBBES, Klincksieck, 1975.
49J. LOCKE, E.P.C.E.H., Vrin, 1998, Livre
III, chapitre II : De la signification des mots, § 08, p. 327 ; Chapitre
IX : De l'imperfection des mots §§ : 21, 22, & 23, pp. 395-397,
enfin, l'intégralité du chapitre X : De l'abus des mots, pp.
397-413.
|
|
27
|
50Sur cette doctrine politique cf., P. CARRIVE,
La Philosophie anglaise. Passions, pouvoirs et liberté : de HOOKER
à HUME, P.U.F., 1994, pp. 37-72 ; S. GOYARD-FABRE, introduction au
T.G.C. de J. LOCKE, GFFlammarion, 1992, pp. 47-58 ; P. LASLET,
Introduction et notes , in R. FILMER Patriarcha or natural power of
kings, Edition LASLET, 1949. P. LASLET y a adjoint d'autres livres de
l'auteur. Enfin, l'excellent ouvrage de F. LESSAY, Le Débat Locke
FILMER, P.U.F., 1998.
51P. CARRIVE, Op. Cit., pp. 33-34.
52E.B.J., Romain, XII, 2.
53R. FILMER, cité par J. TULLY, LOCKE droit
naturel et propriété, P.U.F., 1991, p. 92.
54Ibid., p. 91.
55J.LOCKE, T. G.C., Flammarion, 1992 :
Chapitre V : De la propriété des choses, § § :
52-76.
58
J. LOCKE, Op. Cit., chapitre IX : Des fins de la
société politique et des gouvernements, § 123, pp. 236-237 ;
L. T., P.U.F., 1993, p. 11. Il en ressort que la
propriété n'est pas seulement le droit que l'on a sur ses
possessions, mais c'est aussi et surtout, le droit qu'on a sur sa vie, sa
liberté, son corps. La même préoccupation est
présente chez PUFENDORF, Op. Cit., Livre IX, § 03 :
«Le bien du peuple est la souveraine loi. C'est aussi la maxime
générale que les puissances doivent avoir nécessairement
devant les yeux, puisqu'on ne leur a confié l'autorité
suprême qu'afin qu'elles s'en servent pour procurer et maintenir le bien
public, qui est le but naturel de l'établissement des
sociétés civiles ». En un mot, ce sont toutes sortes de
droits ; c'est d'ailleurs l'usage que le XVIIème
siècle faisait de cette notion.
59J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992,
Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 216, p. 302.
60Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements
§ 211, pp. 298-299.
61Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des
gouvernements § 212, pp. 299-301. 62Idem, Chapitre XIX
: De la dissolution des gouvernements § 221, p. 305.
63C. BECKER, La Déclaration
d'indépendance, Nouveaux Horizons, 1970, pp. 261-262. Nous avons
d'ailleurs consacré un petit commentaire à ce document ( pages
57-58).
64On pourrait ici reconnaître la similitude avec
LA BOETIE, Discours sur la servitude volontaire, GFFlammarion, 1978,
pp. 176-178.
65Article 38c, fixant les violations des principes
généraux du droit reconnus par les nations civilisées.
donner une explication positive du fait gouvernemental. Dans
cette optique, il émancipe le politique des a priori de la
raison spéculative. Mais la polémique la plus virulente fut celle
qu'il a développée envers l'ouvrage de R. FILMER (cité en
page 8). Examinons à présent la substance de cette
polémique.
II.2.2. Polémique vis-à-vis de R. FILMER
Sir R. FILMER est un auteur peu connu. Mais son oeuvre n'est
pas des moindres. Patriarcha or natural power of kings, 1680, est son
ouvrage principal dans lequel est développé l'essentiel de sa
doctrine politique50. Le traité politique de J. LOCKE en est
une réfutation systématique, qui a suscité à P.
CARRIVE la déclaration suivante :
« La démocratie moderne trouve dans la
pensée de LOCKE une de ses sources les plus importantes, et que LOCKE
l'a élaborée en partie pour répondre à
l'écho que suscita encore pendant plus d'un quart de siècle
après la parution de la Patriarcha, la théorie absolutiste de R.
FILMER »51.
S'appuyant sur les Saintes Ecritures, en particulier
sur les paroles de l'Apôtre des Nations : « Celui qui
résiste à l'autorité, résiste à l'ordre que
Dieu a établi »52, R. FILMER s'emploie à
démontrer que le pouvoir royal dérive du pouvoir paternel. Ce
pouvoir fut confié au seul ADAM par Dieu, dès le commencement.
Ainsi, tel Dieu trône sur l'univers, tel ADAM doit lui aussi
régner sur toutes les créatures qui lui sont subordonnées
ainsi que sur sa propre famille. C'est pour cette raison que, « aucun
de ses descendants ne pourrait faire valoir quelque droit que ce fût sur
une chose, sauf à l'avoir reçu de lui en donation, à s'en
être saisi par sa permission ou le tenir de lui par héritage
»53. Cette thèse de R. FILMER, déjà
défendue par saint AUGUSTIN et reprise par BOSSUET, n'est autre que la
théorie du droit divin des rois, également position officielle de
l'Eglise catholique romaine en matière politique à cette
époque. R. FILMER entendait ainsi ruiner les thèses
désespérantes des monarchomaques : BUCHANAN G. (1506-1582), J.
KNOX (1505-
1572), et même de T. HOBBES et de BARCLAY pourtant
grands défenseurs de la monarchie absolue, pour avoir soutenu qu'un
contrat était générateur de souveraineté. Selon R.
FILMER, il ressort que la société est une vaste famille. La
société politique étant aussi naturelle que la
société familiale, le rapport du prince à ses sujets soit
le même que celui du père à ses enfants. C'est un rapport
de commandement à obéissance qui ne peut tolérer ni
réserves, ni exceptions. L'obligation politique se ramène
à une allégeance totale envers l'autorité patriarcale du
prince :
« ADAM était père, roi et seigneur de
sa famille ; un fils, un sujet, un serviteur, un esclave, étaient,
à l'origine, une seule et même chose. Le père pouvait
disposer de ses enfants comme de ses serviteurs, il pouvait les vendre.
Lorsqu'il est question, dans les Ecritures, du premier recensement des biens,
les serviteurs et les servants sont dénombrés parmi les
possessions et patrimoine du propriétaire, comme étant ses biens
»54.
R. FILMER justifie ainsi l'absolutisme monarchique comme
héritage direct de l'empire paternel d'ADAM et l'obéissance
passive des sujets nécessairement subordonnés et assujettis.
L'idée de la liberté naturelle est ici vide de sens. C'est cette
théorie que J. LOCKE va entreprendre de réfuter
méthodiquement en désavouant les principes. Le sous-titre du
traité politique de 1690 est révélateur de cette
polémique : « The falses principles and foundations of sir R.
FILMER and his followers are detected and overthrown ». Le
patriarcalisme de R. FILMER est un mythe moins intelligible d'autant que la
nature des choses le rejette55. Dès lors que sont
démontés les faux principes du gouvernement selon R. FILMER, il
convient de préciser l'origine et l'étendue véritables du
gouvernement civil. Telle est la tâche entreprise par J. LOCKE dans son
traité politique. Logiquement, celui-ci est la réfutation de R.
FILMER et poursuit le combat pour la liberté contre l'absolutisme
à travers une réflexion philosophique scientifiquement
programmée.
La signification profonde du contractualisme de J. LOCKE et de
sa polémique nourrie vis-à-vis de T. HOBBES et de R. FILMER, est,
en fait, le rejet de l'absolutisme. Ainsi, il élabore une théorie
du droit de résistance contre
l'oppression. Dans cette voie, du reste, il a
été précédé par les
monarchomaques56 ; certains auteurs de notre époque
d'ailleurs continuent de penser la même chose sur ce chapitre
57.
II.3. Les circonstances exceptionnelles de
résistance au souverain
Ici, la question qui se pose est de savoir si les citoyens ont
le droit de se révolter, d'abolir ou de changer le gouvernement, au cas
où celui-ci ne remplirait pas ses devoirs légitimes.
C'est-à-dire, s'il viole la propriété58 ou les
libertés fondamentales des citoyens qu'il est censé
protéger. Comme nous nous le voyons, ce problème renvoie aux
obligations ou aux devoirs des citoyens, d'après les fonctions du
gouvernement. Dans la mesure où ce dernier a besoin de la
coopération des citoyens pour s'acquitter de son rôle, chaque
citoyen peut se considérer comme obligé. Les devoirs des citoyens
découlent donc des besoins du gouvernement. Dans l'abstrait, il n'existe
pas d'obligation typique du citoyen envers le gouvernement. Les gouvernements
sont établis pour aider les hommes à atteindre leur objectif de
bonheur le plus grand et de plein épanouissement de leur
personnalité.
J. LOCKE estime que, lorsque le gouvernement cesse d'agir dans
cette direction, il revient de droit au peuple, garant de la
légalité et de la souveraineté, de le « modifier
» ou de « l'abolir ». La propriété
de l'individu revêt une importance capitale dans la communauté
politique. Elle constitue le fondement de l'action politique. Il ne peut y
avoir d'atteinte plus grave au droit, qu'une violation de la
propriété de l'individu. Lorsqu'un gouvernement va à
l'encontre du but pour lequel il a été institué,
c'est-à-dire, viole la propriété des particuliers, les
citoyens ont toute la latitude de le changer ou de le renverser.
56S. GOYARD-FABRE, «Le peuple et le droit
d'opposition», in Cahier de philosophie politique et juridique n°
02, 1982.
57Il s'agit de H. D. THOREAU, J. HABERMAS, J. RAWLS
et H. ARENDT. Une synthèse de leur doctrine sur le droit de
résistance est proposée par Y. SINTOMER, «Aux limites du
pouvoir démocratique : Désobéissance civile et droit
à la résistance», in Actuel Marx n°24 :
HABERMAS, une politique délibérative, 1998, pp.
85-104.
En d'autres termes, le peuple possède le droit de
porter au pouvoir un autre gouvernement pour remplacer celui qui ne remplit pas
ses fonctions. Le droit à la résistance est donc bien
affirmé. Le peuple doit se rebeller contre le gouvernement qui viole les
droits fondamentaux des citoyens. Il a ainsi le droit de s'opposer à
l'autorité du gouvernement et de désobéir aux lois qui ne
représentent pas un exercice légitime du pouvoir. Ces cas
d'exercices illégitimes sont clairement définis par J. LOCKE.
C'est par exemple lorsque règne l'arbitraire ou si ceux
qui font les lois n'ont pas été dûment mandatées
à cet effet par le peuple59. Il en va de même quand le
pays est conquis par un autre Etat. Ce fait supprime le devoir
d'obéissance à l'ordre légal en vigueur. Car un contrat ne
peut lier que s'il est passé librement, et l'invasion constitue par
conséquent, une cause de dissolution de la société
politique60. La rébellion est aussi justifiée, lorsque
le pouvoir législatif se trouve altéré par suite de
certains abus du pouvoir exécutif qui l'empêchent d'assumer les
tâches qui lui sont dévolues61. De même la
désobéissance civile devient légitime quand ces deux
pouvoirs rompent le trust que le peuple a placé en eux. Par
exemple, en utilisant les moyens puissants dont ils disposent pour satisfaire
d'autres intérêts que le Bien Commun62.
Les lois et règlements imposés par les
gouvernements en violation des droits fondamentaux de l'homme et des
libertés civiques n'ont pas force obligatoire. Pour présenter ce
caractère, la loi doit être juste. Les lois injustes sont
tyranniques, et l'on se doit, à juste titre, de s'opposer à la
tyrannie. Le droit à la résistance inclut le droit à la
révolution : « abolir » un gouvernement. Il peut
entraîner la mise à mort du tyran (tyrannicide), comme ce fut le
cas pour Charles Ier STUART, prince indigne, bien que cet acte soit
difficilement justifiable par des considérations éthiques.
Cependant, pour la stabilité de la communauté
politique, J. LOCKE admet qu'il est dangereux que les citoyens décident
qu'une loi ou un gouvernement est injuste. Ou encore, qu'un gouvernement rende
des comptes au peuple. Voilà
pourquoi, il exige que les menaces planant sur la
propriété doivent être substantielles et sérieuses.
Une violation occasionnelle, si lamentable qu'elle soit, ne constitue pas une
menace écrasante ni un danger évident pour le peuple. Le droit
à la révolution doit donc être bien établi, et les
violations du droit par les autorités gouvernementales absolument
manifestes, comme ce fut le cas pour les révolutionnaires
sécessionnistes américains de 1776 vis-à-vis de la
GrandeBretagne63.
Le droit à la résistance est donc ancré
dans une tradition humaine qui touche aux principes mêmes de l'existence
de l'homme. Partout où il se trouve, l'homme doit reconnaître de
telles violations comme d'odieuses atteintes à sa dignité et
à sa liberté de choix. On ne peut attendre de lui qu'il vive sous
de telles conditions. Le droit à la résistance devient
indispensable à sa survie, en qualité d'être humain.
Autrement, ce serait accepter volontairement la forme d'esclavage la plus
basse. Se faire le complice de tels actes, est une attitude
criminelle64, laquelle est également condamnée par la
Cour Internationale de Justice dans son statut fondateur65.
II.4. Le problème de la légitimité
institutionnelle
La théorie politique développée dans
le T.G.C. conduit à faire du souverain la condition d'une
optimisation dans la jouissance par les hommes de leurs droits naturels, sur la
base d'une aliénation minimale à ce qui est légitime en
condition naturelle. Cette renonciation aux prérogatives naturelles
présuppose un état dit de nature, tel que nous l'avons vu plus
haut (pages : 20-23). Ladite renonciation se limite à ce qui est requis
pour qu'un arbitrage supérieur aux volontés individuelles
empêche les différends entre particuliers de générer
la violence et la mort. Ainsi tous les hommes apprennent qu'ils sont
égaux et indépendants, nul ne doit léser autrui dans sa
vie, sa santé, sa liberté et ses biens. Ainsi, chaque homme est
tenu, non seulement de se conserver lui-même, mais aussi,
toutes les fois que sa propre conservation n'est pas en jeu, de
veiller à celle du reste de l'humanité.
Il apparaît qu'il n'est pas possible de compter sur la
seule rationalité des hommes pour que soit assuré à
chacun, le respect de ses droits par les autres. Il importe de
reconnaître aussi que chacun a le droit naturel de sanctionner les
violations de la loi de nature ; laquelle serait vaine si personne dans
l'état civil, n'avait le pouvoir d'en assurer l'exécution. Il y a
donc un usage légitime de la violence pour prévenir ou obtenir
réparation d'un dommage subi en violation de la loi naturelle, par soi
ou par d'autres. Car, cela va permettre à tout homme d'invoquer de ce
chef le droit de préserver le règne humain en
général.
L'état civil naît donc d'une renonciation des
individus à l'exercice du droit originaire à exécuter et
à faire respecter la loi naturelle. C'est-à-dire : à
préserver les droits que chacun détient par nature. Cette
aliénation se présente comme un transfert, plus
précisément, comme une élévation à la
puissance communautaire du pouvoir légitime de sanctionner les
manquements à la loi. L'autorité ici ne saurait ériger son
pouvoir comme absolu, au-dessus des lois, où il n'y aurait aucun recours
contre ses actes ou décisions. C'est précisément
l'existence d'un recours contre toute décision ou action susceptible
d'empiéter sur ce qui est perçu comme droits par les
particuliers, qui définit l'établissement du corps politique. Ce
corps politique présuppose des principes et des modes de
régulation qui s'imposent à toute la société. Ces
principes résident dans les lois et dans les modalités de leur
mise en oeuvre, expression du pouvoir législatif. Ils ne peuvent
résider ailleurs que dans les organes collectifs, auxquels nul ne peut
se soustraire, même le prince, détenteur du pouvoir
exécutif.
Les citoyens sont assujettis au pouvoir sous un double
rapport. Premièrement, pour autant que la puissance publique s'exerce
dans le cadre institutionnel établi par une volonté communautaire
s'imposant à la magistrature suprême elle-même.
Deuxièmement, parce que le pouvoir de la cité sur ses membres a
pour finalité de protéger les individus en tant que sujet support
de ces droits. Il s'ensuit que le pouvoir politique doit son existence au
consentement du
peuple. Autrement dit, à l'ensemble des individus qui a
adhéré à la vie civile. L'autorité politique ne
naît ni du droit divin, ni de la puissance paternelle. Elle ne naît
pas non plus de la force qui ne conduit qu'à la conquête ou
à l'usurpation. L'essence du gouvernement civil réside dans la
«juridicité» qu'expriment le pouvoir législatif et le
pouvoir exécutif. Ces pouvoirs impliquent une souveraineté dont
l'assise est le peuple.
La liberté selon J. LOCKE, est la grande conquête
des hommes en train de devenir maîtres de leur destinée sur la
terre. Loin d'être un privilège définitivement acquis, elle
se présente comme un programme à réaliser. Le gouvernement
civil vise l'autonomie, le refus d'inféoder la politique à la
théologie. Il signifie désormais que la politique n'a rien
à demander à la transcendance, qu'elle est enfin descendue sur la
terre et qu'elle s'impose comme un devoir à assumer. Ce devoir
correspond à la promotion du peuple, reconnu comme réalité
juridique et sujet de droit. Il dépend des hommes d'entendre les
commandements de la loi de la nature et d'en accomplir la
téléologie immanente. Elle est synonyme d'obéissance aux
lois mises en oeuvre pendant le contrat. L'égalité se comprend
ici selon le principe que la même loi s'applique à la fois et
à tous les contractants et au souverain. Nul des deux n'est tenu ou
supposé être au-dessus de celle-ci.
J. LOCKE inaugure une nouvelle perspective éthique et
politique que nous nous proposons d'analyser immédiatement. Non avant
d'avoir dit que, par opposition à cette dernière, T. HOBBES du
Léviathan, verrait dans la reconnaissance par J. LOCKE, de la
possibilité de dénonciation d'un abus de pouvoir, le ferment de
la dégénérescence du corps politique, qui conduira
tôt ou tard à la guerre civile.
Car, selon lui, au sens strict, il ne peut y avoir d'abus de
pouvoir, le souverain étant le seul juge des limites dans lesquelles il
maintient l'exercice de son droit naturel. La condition première de la
paix civile réside alors dans une volonté souveraine
incontestable, c'est-à-dire dans le représentant unique du peuple
dont tous les sujets en même temps autorisent l'action et sont sans
pouvoir d'exercer un recours contre elle. Ce représentant, «
souverain », dit la loi, qui est telle par décision sans appel
de celui qui est, en outre, juge de son application, comme des
conditions de la sanction et de sa transgression. Ainsi, la
loi selon T. HOBBES, tire sa légitimité d'un pouvoir dont
l'absolutisme conditionne la paix civile et la sécurité des
sujets ; dont les droits imprescriptibles se limitent aux moyens d'une
protection immédiate de la vie contre toute espèce de menace.
66J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992,
Chapitre X : Des diverses formes de sociétés politique,
§§ : 132-133, pp. 240-241.
67Idem, Chapitre IX : Des fins de la
société politique et du gouvernement, §§: 124, 125 et
126, pp. 236-238. 68Idem, Chapitre X : Des diverses formes
de sociétés politique § 132, pp. 240-241.
69Idem, Chapitre X : Des diverses formes de
sociétés politique § 133, p. 241.
70Idem, Chapitre IX : Des fins de la
société politique et du gouvernement, § 127, p. 238.
71Idem, Chapitre XI : De l'étendue du
pouvoir législatif, § 134, pp. 242-243.
72Idem, Chapitre XI : De l'étendue du
pouvoir législatif § 134, pp. 242-243 et chapitre XIX : De la
dissolution des gouvernements, § 212, pp. 299-301.
73Idem, chapitre XIX : De la dissolution des
gouvernements, § 212, pp. 299-301.
74Ibidem.
75Idem, chapitre XI : De l'étendue du
pouvoir législatif, § 135 et chapitre XIX : De la dissolution des
gouvernements, §§ : 243-244, pp. 326-327.
76Idem, chapitre XIX : De la dissolution des
gouvernements, § 241, p. 325.
77Idem, chapitre XII : Du pouvoir
législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, §
144, p. 251.
78Idem, Chapitre XIV : De la
prérogative, § 160, pp. 263-264.
79Idem, Chapitre XIV : De la
prérogative, § 164, p. 266.
80Idem, Chapitre XIV : De la
prérogative, §§ : 164 & 166, pp. 266 & 267-268.
81Idem, Chapitre. XII: Du pouvoir
législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, §
145, pp. 251-252. 82Idem, Chapitre. XII: Du pouvoir
législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, §
145, pp. 251-252.
83Idem, Chapitre XII : Du pouvoir
législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, §
148, pp. 252-253.
84J.-J. ROUSSEAU, Du Contrat social, Livre
IV, Chapitre I, GF-Flammarion, 2001, p. 143.
85J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992,
chapitre XVIII : De la tyrannie, § 199, p. 290.
92Idem, chapitre II : De l'état de
nature, § 06, pp. 144-146 et chap. III : De l'état de guerre,
§ 16, pp. 154-155.
93Pierre COSTE, Eloge à feu monsieur
LOCKE, contenu dans sa lettre à Pierre BAYLE en l'occasion de la
mort de LOCKE et publié dans Les Nouvelles de la république
des lettres, février 1705, p.154. On peut également trouver
cet éloge en Appendice de J. LOCKE, Op. Cit., pp. 341à
355 et dans l'Avis aux lecteurs de J. LOCKE, E.P.C.E.H.,
Vrin, 1998, pp. XX à XXVII.
94S. GOYARD-FABRE, introduction, in J. LOCKE, Op.
Cit., p. 126.
Chapitre III. Une nouvelle perspective éthique
et politique
III.1. Forme et organisation du gouvernement civil
Le problème fondamental ici est d'examiner
l'épineuse question de la forme et de l'organisation de ce corps
politique commun, que nous qualifions aujourd'hui de droit public. Pour J.
LOCKE, deux questions fondamentales doivent être posées à
cet effet. La première, d'ordre politique, concerne le type du
régime gouvernemental66, tandis que la seconde, plus
technique et structurelle, est relative à son aménagement
institutionnel67.
La naissance de la société civile se place sous
le signe de la « règle de la majorité »
(rule of majority). C'est pourquoi nous disons que chez J. LOCKE,
originairement, la « majorité » s'est unie, à
la fois pour donner des lois ou un système juridique à la
communauté politique, et pour nommer les magistrats de leur choix afin
de faire appliquer ce système. Ce qui nous conduit à dire que
chez LOCKE, la communauté politique n'a pas une forme
prédéterminée. C'est ainsi qu'elle peut être
« une parfaite démocratie », notamment quand le
pouvoir d'édicter, d'exécuter et de faire respecter les lois
appartient à la majorité des citoyens, c'est-à- dire : le
« plus grand nombre »68. Elle peut être
aussi une oligarchie. C'est quand le pouvoir de légiférer est
placé entre les mains d'un petit nombre. Enfin, ce pouvoir peut
être placé entre les mains d'un seul homme. Dans ce dernier cas,
il s'agit d'une monarchie qui est soit héréditaire, soit
élective. Mais du moment où c'est la manière de
légiférer qui détermine la forme de la
société civile, J. LOCKE admet la possibilité d'envisager
des régimes mixtes, comme la monarchie constitutionnelle pour laquelle
il éprouve beaucoup d'admiration.
Le souci de J. LOCKE ici n'est pas de faire une nomenclature
des régimes politiques. Moins encore de répondre à la
question classique, de la meilleure forme de gouvernement. D'où,
« par communauté ou un Etat, il ne faut donc point entendre, ni
une démocratie, ni aucune autre forme précise de gouvernement,
mais
bien en général une société
indépendante, que les Latins ont très bien désignée
par le mot «civitas», et qu'aucun mot de notre
langue ne saurait mieux exprimer que celui d'Etat »69.
La préoccupation de J. LOCKE ici est fondamentalement
éthique. Que le régime politique soit une monarchie, une parfaite
démocratie ou encore une oligarchie, l'essentiel est qu'il soit
légitime70. C'est-à-dire, qu'il procède de
« la majorité du peuple » souverain et qu'il
garantisse la « paix sociale et protège la
propriété » des membres du corps politique. Ce qu'il
dénonce ici, ce sont les vices, les abus de pouvoir qui, dans tous les
cas sont une menace sérieuse pour la liberté civile.
III.1.1. L'aménagement des institutions de la
république
Selon J. LOCKE, l'organisation du corps politique est
destinée à pallier les carences de la condition naturelle de
l'état de nature (voir plus haut p. 19-20). C'est pour pallier ces trois
défaillances naturelles qu'il distingue trois pouvoirs au sein du
Commonwealth. Le premier, c'est le pouvoir législatif, le
deuxième, le pouvoir exécutif et enfin un troisième
pouvoir assorti des deux premiers qu'il désigne par le terme «
pouvoir fédératif ». Chacun d'eux possède
des caractéristiques propres. Leurs fonctions respectives sont
désignées par leurs finalités. L'important est qu'ils
s'inscrivent, tous, dans une hiérarchie dont la structure et le
fonctionnement rendent compte des visées constitutionnalistes.
C'est-à-dire : garantir de façon simultanée la «
paix sociale » et « mettre à l'abri la
propriété », conformément aux prescriptions de
la loi naturelle.
III.1.2. Le pouvoir législatif
C'est le pouvoir suprême de la
république71. Il tire sa raison d'être du pouvoir
constituant du peuple avec lequel il se confond. Il constitue non seulement la
première loi positive de toute société
civile72, mais aussi et surtout, il a un caractère «
inaltérable et sacré » ; il est l'«
âme » qui donne à la république « sa
vie
et son unité »73. Le pouvoir
législatif manifeste le choix du peuple désignant ses gouvernants
et les habilitant à faire les lois qui le régiront74.
Il existe en permanence ou de manière intermittente75. Aucune
autre possibilité de légiférer n'est envisageable en
dehors de lui. C'est le peuple qui l'institue via la majorité,
afin de remédier à la condition naturelle. De ce fait, il est
doté d'une puissance pour exprimer et manifester ses sentences. Le
pouvoir législatif ne peut habiliter qui que ce soit d'autre à
légiférer. Et nul législateur ne peut transmettre, ni
aliéner ce qu'il a reçu du peuple souverain76.
III.1.3. Le pouvoir exécutif
L'office du pouvoir exécutif consiste selon J.LOCKE,
à aider sans discontinuité les membres de la communauté
politique à accomplir leur devoirs dans le cadre établi par les
lois77. C'est lui qui procède à l'application des
règles législatives en transformant leur caractère
obligatoire en effectivité. Car, une loi que l'on n'applique pas est
vaine et inutile. Sur ce chapitre, J. LOCKE est plus percutant que T. HOBBES,
qui place le souverain ex-lege (en dehors ou au-dessus des
lois). Pour J. LOCKE, le caractère obligatoire de la loi ne
connaît pas d'exception. Aucun magistrat, puisque tous font partie
intégrante du corps politique, n'est ex-lege. Tous, à
quelque niveau qu'ils se situent dans la hiérarchie, sont obligés
par la loi. Ce qui fait de cette dernière un rempart contre
l'arbitraire.
Toutefois, J. LOCKE estime aussi que l'exécutif
n'apparaît pas seulement comme un simple exécutant des ordres du
législatif. Car, il possède dans des contextes exceptionnels
« le pouvoir d'agir avec discrétion pour le bien public,
lorsque les lois n'ont rien prescrit sur certains cas qui se présentent,
ou quand même elles auraient prescrit ce qui doit se faire en ces sortes
de cas, mais qu'on ne peut exécuter dans certaines conjonctures sans
nuire à l'Etat : ce pouvoir, dis-je, est ce qu'on appelle
prérogative, et il est établi fort judicieusement
»78 . Ce pouvoir,
c'est la prérogative. Il est légalement
défini, et vient combler les lacunes et les silences de la
loi79. Son caractère discrétionnaire ne s'apparente en
rien à l'arbitraire. Il répond chez le prince, au souci de «
faire le bien ». Il est soumis aux prescriptions de la loi
naturelle, et oblige le prince à la droite raison. L'action
déraisonnable d'un prince ou d'un magistrat suprême ne peut en
aucune façon se prévaloir de la
prérogative80.
III.1.3. Le pouvoir fédératif
D'après J. LOCKE, le pouvoir fédératif
(federative power)81est le troisième pouvoir de la
communauté politique. Ce pouvoir gère ce que dans le langage
moderne nous nommons « les relations extérieures ».
Sa compétence est de déclarer la guerre, de conclure des ligues
ou alliances, de signer des traités de paix, d'adopter des conventions
à usage inter étatique en matière de monnaie, de
communication ou de commerce, etc. J. LOCKE estime que ce pouvoir est «
naturel », parce qu'il ne s'exerce pas comme les deux
précédents, c'est-à-dire, dans le cadre des lois positives
du Commonwealth. Car, le droit public du Commonwealth est
exclusivement interne. Ainsi, le corps de la république demeure t-il
toujours « dans l'état de nature par rapport à tous les
autres Etats »82 ou par rapport à toutes les autres
personnes qui lui sont extérieures.
Il n'existe pas de règles positives de droit
international, public ou privé, aptes à régir les
relations des différentes républiques entre elles ou les rapports
de leurs ressortissants avec le Commonwealth. Lorsque surgissent des
différends, il faut qu'interviennent les pouvoirs publics pour les
trancher pour que le juste ne soit pas méconnu et bafoué. Ces
pouvoirs publics interviennent par l'entremise du pouvoir
fédératif. L'originalité de ce « pouvoir
est d'être une fonction », plutôt que la puissance
(power) d'un organe spécifique. Cette fonction ne s'explique pas
par rapport à une disposition législative positive, mais
relativement par l'obligation à la loi de nature. Elle est la traduction
du devoir de la droite raison.
Quelques observations s'imposent. Chez J. LOCKE il est
question d'une distinction et d'une hiérarchisation des pouvoirs qui
sont la condition juridique de l'anti-absolutisme et l'axiome principal de son
libéralisme politique. Ceci, pour deux raisons fondamentales. D'une
part, la conception que J. LOCKE se fait de ces différents pouvoirs,
à savoir : les pouvoirs législatif, exécutif et
fédératif est plus fonctionnelle qu'organique. Et l'office qu'il
leur assigne est aux confins du juridique et de l'éthique. Ainsi,
l'obligation à la loi de nature s'impose en chacun d'eux au point de les
situer toujours dans l'orbe de la raison droite et raisonnable. D'autre part,
et du point de vue de la technique juridique, ces pouvoirs ne sont point
séparés les uns des autres. L'exécutif et le
législatif sont liés nécessairement, l'un à l'autre
parce que l'un veille à l'application des règles
édictées par l'autre. Et si le pouvoir exécutif et le
pouvoir législatif diffèrent entre eux par leur vocation qui les
voue aux affaires internes et externes de l'Etat, ils se retrouvent en fait
confiés aux même magistrats. Car, soumettre à des
commandements différents la force publique dont ces magistrats font
usage, est synonyme d'exposer la république au désordre et
à la ruine83. Donc au lieu de « séparation
des pouvoirs », il y a dans l'organisation du Commonwealth
chez J. LOCKE, « distinction », mais liaison des
différents pouvoirs. Cette liaison se traduit par leur convergence vers
la sauvegarde du bien de la communauté.
III.2. Du gouvernement civil et de ses
finalités
Dans les temps les plus reculés, estime LOCKE, un homme
pouvait directement traiter avec un autre homme pour résoudre les
difficultés qui surgissaient entre eux. C'est ainsi qu'en Grèce
antique par exemple, les choses se passaient d'une manière directe.
Chaque citoyen pouvait faire connaître sa volonté au sein d'une
assemblée. Mais, l'avènement et la croissance des
collectivités modifia cette procédure, en exigeant une certaine
forme d'organisation sociale pour le règlement des différends.
Les citoyens durent déléguer à leurs représentants
la gestion des affaires communales. De nos jours, la plupart des nations sont
régies par l'une de ces formes quelconques de système
représentatif. C'est le degré de représentativité
qui, selon J. LOCKE, fait la différence entre les régimes
autoritaires et
les régimes démocratiques. C'est également
cette politique de représentativité qui est la raison
d'être des autorités ou du gouvernement civil.
On comprend que le rôle du gouvernement civil consiste
à représenter les citoyens dans leurs relations avec la
communauté. Sur un plan idéal, le gouvernement devrait
représenter la volonté de chaque membre de la communauté.
Ainsi, les divergences seraient aplanies par une liberté de choix
individuel maximale. Il est cependant évident que les relations au sein
de la communauté politique imposent l'octroi d'une priorité
à certaines prétentions par rapport à d'autres. Les
règles utilisées pour déterminer les priorités
reflètent la structure profonde de la société, ici le
principe de majorité. A la suite de J. LOCKE, J. J. ROUSSEAU dans son
article l'Economie politique (1754), s'exprimera lui aussi de la
même façon sur ce chapitre. Notamment quand il assimile le corps
politique à un être moral qui a une volonté. Celle-ci tend
toujours vers la conservation et le bien être du tout et de chaque
partie. Elle est la source des lois, et se présente pour tous
les membres de l'Etat et par rapport à l'Etat lui-même, comme la
règle du juste et de l'injustice. Mais c'est dans un autre
texte que le propos de J. J. ROUSSEAU paraît plus intéressant. Il
convient de lui laisser la parole :
« Tant que plusieurs hommes réunis se
considèrent comme un seul corps, ils n'ont qu'une seule volonté,
qui se rapporte à la commune conservation, et au bien-être
général. Alors tous les ressorts de l'Etat sont vigoureux et
simples, ses maximes sont claires et lumineuses, il n'a point
d'intérêts embrouillés, contradictoires, le bien commun se
montre partout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour
être aperçu. La paix l'union l'égalité sont ennemies
des subtilités politiques »84.
Le gouvernement civil doit exprimer la volonté du
peuple sur la terre, car, tout homme et tout groupe d'hommes possèdent
le droit à l'autodétermination. Les personnes l'exercent par leur
volonté individuelle, les groupes de personnes par leur majorité.
La loi de la majorité apparaît ici comme la loi naturelle de toute
société civile. Le gouvernement est un instrument au service,
uniquement, de la communauté et chargé d'assurer sa protection.
C'est l'objet en vue duquel il a été établi. En aucun cas,
il ne doit être la négation de l'objet même en vue duquel il
a été institué. Le véritable rôle du
gouvernement est d'aplanir les divergences entre les
hommes de manière à permettre le maximum de
libertés et de bien-être au sein de la communauté
politique. Cela sous-entend aussi bien la protection de celle-ci contre les
attaques qui nuiraient à l'ordre social que la création de
certains services pouvant faciliter les relations en son sein, afin
d'atténuer les dangers du mauvais fonctionnement des mécanismes
sociaux.
En s'appuyant sur un examen minutieux des faits historiques,
J. LOCKE pense qu'il est nécessaire de soumettre le gouvernement
à un contrôle, pour veiller à ce que qu'il reste
fidèle à son objectif initial. Le gouvernement est investi de la
fonction légitime de diriger les différents groupes de la
société. Les personnes doivent être protégées
contre toute atteinte à leur droits. Tant de la part des groupes de
particuliers qui menacent l'ordre public, que de la part du gouvernement lui-
même. La règle de la majorité, en tenant compte des droits
des minorités et des individus, doit tendre à garantir un respect
accru de la volonté d'un plus grand nombre de citoyens, que la dictature
d'un groupe ou d'un seul homme.
Le but du gouvernement doit être compris en fonction des
intérêts de chaque citoyen pris individuellement. Ainsi, il est un
instrument de régulation soumis aux même garanties que les groupes
qu'il cherche à régir. En d'autres termes, les membres du
gouvernement sont soumis à un même contrôle que les autres
citoyens. Le gouvernement n'est pas au-dessus de la loi, il est placé au
même pied d'égalité que les autres groupes. La
décision finale reste ainsi entre les mains des citoyens. Dans le
même sens, il incombe à chaque citoyen de décider si le
gouvernement remplit ses obligations ou non.
Le rôle du gouvernement consiste donc à aider
chaque citoyen, pris individuellement, à mieux réaliser toutes
les possibilités de sa personnalité. Il dispose de puissants
moyens pour réduire les souffrances humaines et aider les hommes dans
leur recherche du bonheur. Sa structure doit permettre aux individus de faire
l'expérience des différentes normes à cette fin. Il ne
doit en aucun cas s'arroger le droit de les leur imposer quand il s'agit de
l'épanouissement de leur personnalité. Les dirigeants du
Commonwealth peuvent faire des recommandations, mais, en
dernière analyse, il revient à l'individu de décider de
concert avec les
autres, en toute conscience, de la voie à suivre pour y
parvenir. Ceux qui doutent de l'aptitude des divers membres de la
communauté politique à faire un choix personnel raisonnable,
n'ont pas encore compris que le gouvernement qui porte atteinte aux droits
fondamentaux de la personne, porte en lui-même le germe de sa propre
destruction. Ainsi, quels que soient selon J. LOCKE, les désastres que
peuvent causer les excès individuels, ils ne pourront jamais être
aussi graves que les atrocités provoquées par les dictatures.
III.3. Les bornes du gouvernement civil
En dépit du court épisode absolutiste de sa
jeunesse, l'hostilité de J. LOCKE pour toutes les formes d'absolutisme
ne faisait plus mystère pour personne. Son amitié pour A. ASHLEY
COOPER, Ier Compte de Shaftesbury, sa proximité ou sa
préférence pour le parti Whig en sont des signes
révélateurs. Le titre du second traité lève
officiellement le voile (voir ci-dessus pp.28-30). En effet, J. LOCKE ne
s'attarde plus seulement sur la question devenue classique de l'origine et des
fins du gouvernement civil. Il se prononce aussi sur celle beaucoup plus
complexe et polémique, de son étendue. Il souscrit à la
thèse selon laquelle, le pouvoir politique n'est pas illimité.
La nature essentielle du gouvernement civil dit J. LOCKE,
exige qu'il tire son origine du consentement populaire de ceux qui ont consenti
à vivre en communauté. En d'autres termes, le gouvernement civil
n'a pas un autre fondement que le consentement de la majorité à
la vie civile. Ce fait est un acte de confiance des citoyens envers les
représentants qu'ils ont choisis afin d'assurer le Bien Commun. Il
comporte également des restrictions, c'est le plus important, puisqu'il
exclut toute origine de l'autorité politique que le pacte social, et
toute autre fin de cette dernière que la sauvegarde des vies, des
libertés, des biens et de la cohésion sociale.
L'autorité politique ne doit s'exercer, uniquement, que
dans un cadre légitime et authentique85, au-delà des
limites duquel commence la tyrannie avec son cortège
d'illégalités, d'offenses et d'injustices. Limiter
l'autorité politique obéit à
l'exigence d'hygiène ou d'éthique politique.
C'est adopter des mesures préventives afin d'orienter l'action
gouvernementale vers un but préalablement voulu. Lequel but est
salutaire pour tous ceux qui ont consenti à la vie civile. Ainsi, seront
évitées l'hypertrophie pathologique ou les dérives du
pouvoir politique. Nous retrouvons chez J. LOCKE, la survivance de
l'idée de mesure et modération en ce qu'elle a de
fondamentalement moral. A ce propos, nous aimerions faire quelques
observations.
Cette idée de mesure et de modération traverse
toute sa pensée politique. A travers elle, nous découvrons que J.
LOCKE assigne au gouvernement civil des racines méta-juridiques. En
d'autres termes, il faut comprendre que le fait politique ne
révèle plus exclusivement du droit, mais aussi de la morale. J.
LOCKE trouve dans la morale le fondement du droit et de la politique. C'est
l'interdépendance du fait politique et de la morale. Aussi, cette
idée de mesure et modération se mue en un éloge de la
monarchie mixte qui exprime selon J. LOCKE, la nature essentielle du
gouvernement civil légitime. Car, celle-ci requiert des gouvernants
comme des gouvernés, une conduite raisonnée, leurs droits
étant la contrepartie de leurs devoirs.
L'obligation politique est une manière d'assurer et
d'assumer la confiance reçue ou accordée. Elle incombe à
ceux qui gouvernent comme à ceux qui sont gouvernés. Elle exclut
de part et d'autre, tout excès et toute défaillance. La monarchie
mixte, par sa mesure et sa modération, est le modèle du pouvoir
légitime dont l'action ne franchit pas les bornes que lui impose son
essence. L'harmonie dans la communauté politique, ne résulte pas
selon J. LOCKE, d'un jeu d'équilibre dans la distribution des puissances
que se partagent les compétences étatiques. Mais elle
réside dans la déontologie propre au trust, confiance
oblige. Le pouvoir civil n'a vocation à légiférer qu'au
nom du peuple et pour lui, tout le reste est forfaiture ou imposture.
III.4. Le gouvernement civil et la communauté
ecclésiastique
C'est dans Le pouvoir civil et ecclésiastique
(1673-1674) que J. LOCKE traite de cette question. Il compare les deux types de
société et les fins qui leur sont respectivement
assignées. Il pense que « la fin de la société
civile est la jouissance
présente de tout ce que recèle ce monde-ci ;
la fin de la communauté ecclésiale est l'espérance future
de ce qui nous est destiné dans un autre monde »86.
Ainsi, les biens qu'a pour mission de gérer la société
politique relèvent fondamentalement de la propriété
indivise, allouée à tous, tandis que ceux de la communauté
ecclésiastique sont, par définition, des biens privés. Car
dans la société politique, les biens de chacun sont liés
à ceux de tous les autres et en dépendent toujours en quelque
manière. Alors que du point de vue de la communauté religieuse,
les affaires de chacun sont séparées et chaque individu subit,
seul, les conséquences fâcheuses de ses actions, ses propres
péchés. Poursuivant son argumentation, il estime que la plupart
des hommes sont un jour ou l'autre, appelés à expérimenter
l'une ou l'autre société.
Mais, c'est la L.T. qui constitue sa contribution la
plus significative à cette question de la praxis politique et de la
praxis religieuse. En distinguant le gouvernement civil de la communauté
ecclésiale, J. LOCKE ne nie pas l'existence de Dieu. Bien au contraire,
et à juste titre, il est convaincu qu'il existe un Législateur
Suprême, créateur de l'univers, auquel tous les hommes sont
soumis, et qui a édicté des lois au respect desquelles doivent
satisfaire les entreprises de toutes ses créatures, dont l'homme. J.
LOCKE recourt ici à l'argument du dessein de Dieu ou de la loi de nature
développé dans l'Essai sur la loi de nature (1664) et le
T.G.C. On retrouve une excellente présentation de cet argument
chez James J. TULLY87. La distinction du gouvernement civil de la
communauté ecclésiale répond fondamentalement à une
raison éthique et des compétences propres que se partagent le
magistrat et le ministre du culte : « afin de ne pas justifier la
politique par la religion et vice versa » (ci-dessus page 27 note 47
et la sous-section suivante).
III.5. Originalité de la nouvelle perspective
éthique et politique
J. LOCKE développe une anthropologie dont la force
singulière sert l'émancipation politique de l'homme. Non
seulement elle marque la naissance des sociétés civiles et de
l'Etat moderne, mais aussi et surtout, à travers elle, son auteur
inaugure une nouvelle tradition éthique et politique. L'Etat est
nécessairement un
86J. LOCKE, Le Pouvoir civil et
ecclésiastique, 1830, livre II, p. 111, cité par James
TULLY, LOCKE droit naturel et propriété, P.U.F., 1991,
p. 246.
Etat séculier, indépendant de l'autorité
théologique. Il a pour origine la volonté libre d'hommes
raisonnables que Dieu lui-même a faits capables d'autonomie et
obligés à leur propre bonheur. Nous trouvons ainsi, dans la
pensée de J. LOCKE, les premières ébauches de la
théorie de l'autorisation et celle du peuple raisonnable où tout
est à la gloire de l'homme. Non plus de l'homme métaphysique ou
universel comme le concevait DESCARTES (1596-1650), mais de l'homme concret,
qui par la vigilance de sa raison, est responsable, sur cette terre, de son
propre gouvernement. Toutes les conditions du libéralisme se trouvent
là rassemblées.
Toutefois, l'établissement du gouvernement civil, alors
même qu'il n'est pas consacré par un texte constitutionnel, doit
correspondre à la téléologie immanente de la loi
naturelle88. Et, l'idée même de gouvernement implique
la nécessité des lois fixes et écrites, connues de tous
par leur promulgation89 ; lois dont l'application est
scrupuleusement observée90 et qui obligent aussi bien les
gouvernants que les gouvernés. C'est donc par la médiation des
lois civiles que peuvent s'accomplir les prescriptions de la loi naturelle.
Autrement dit, c'est la loi qui prescrit à chaque objet la forme, le
mode et l'étendue de son action. L'aspect limitatif de la loi ne doit
plus dans cette optique, être perçu comme une contrainte, mais
accepté comme ce qui protège inévitablement des
marécages et précipices de ce monde. Le droit bien compris
consiste moins à restreindre un agent libre et intelligent, qu'à
le guider au mieux de ses intérêts, et ne commande qu'en vue du
Bien Commun91.
La loi n'a point pour fin d'abolir la liberté, mais de
l'accroître et de la conserver toujours. Elle est déduite de
l'ordre naturel des choses par la raison que Dieu a donnée aux hommes.
Elle prescrit à l'humanité le souci de sa
conservation92 et marque par son dispositif les limites que
l'autorité politique ne peut franchir sans déchoir. Les
sécessionnistes américains de 1776 et les constituants
français de 1789 ont su tirer parti de cette «re-fondation»
institutionnelle. Il en est de même des
87James TULLY, Op. Cit., pp. 69-76
88J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992,
chapitre XIV : De la prérogative, § 168, pp. 268-269.
89Idem, Chapitre IX : Des fins des
sociétés politiques et des gouvernements, § 131, p. 239 ;
Chapitre X : Des diverses formes des sociétés politiques, §
136, pp. 244-245 et § 137, pp. 245-246.
90Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des
gouvernements, § 219, pp. 303-304.
91Idem, Chapitre VI : Du pouvoir paternel,
§ 57, pp. 184-185.
visées représentatives et constitutionalistes dont
se réclament la plupart de nos démocraties actuelles.
Autrement dit, dans le message de J. LOCKE, il y a tant de
promesses, d'horizon heureux ! Avant nous, le XVIIIème
siècle l'avait déjà compris en faisant de son
T.G.C., la Bible politique du siècle nouveau.
Le régime constitutionnel qui s'installait en Angleterre en 1688/89, se
réclame de ses idées. Il en est de même pour la France des
Lumières et les Anglais de l'autre côté de
l'Atlantique. Pierre COSTE n'a pas eu tort de présenter LOCKE comme le
« maître à penser des temps nouveaux »93
. L'influence de J. LOCKE sur J.J. ROUSSEAU, MONTESQUIEU, E. KANT, A.
SMITH et même K. MARX sera considérable. Dorénavant, il est
entré dans l'histoire mondiale. Pour reprendre ce propos de Simone S.
GOYARD-FABRE, « la politique de LOCKE a beau porter la marque de son
siècle, elle recèle une actualité qui dépasse le
temps »94.
Conclusion
Nous allons conclure cette première grande section
consacrée à l'étude de notre problématique
générale en nous permettant quelques observations. L'oeuvre
philosophico-politique de J. LOCKE est d'abord une conception de l'homme dans
son environnement. La finalité de ces rapports entre l'homme et son
environnement c'est la liberté, l'épanouissement et le bonheur.
Chez LOCKE, cette quête de la liberté est fondée sur des
bases, nous l'avons vu, historiques, théologiques et naturalistes.
Cette conception de l'homme peut être aussi
interprétée comme un effort constant d'autolimitation des
prétentions de l'artificialisme politique moderne. Autrement dit, LOCKE
essaie de normer l'action de l'autorité publique. Là, non
seulement il envisage le renouveau de la philosophie politique, mais aussi,
énonce une théorie de la citoyenneté et de la protection
des individus contre tout abus de pouvoir. Comme nous pouvons le voir, cette
nouvelle conception de l'homme n'est pas loin de celle que nous qualifions
aujourd'hui par la dynamique contemporaine des droits de l'homme.
C'est dans ce sens que nous avons dit que l'anthropologie
politique de J. LOCKE rompt avec la tradition éthique et politique de
son époque. De ce fait, elle inaugure une nouvelle vision du politique,
de la politique et de l'homme. Dans l'histoire des hommes et des idées,
elle énonce l'une des premières formes du libéralisme
politique. Dans cette optique, elle présente une étonnante
proximité avec les différentes chartes relatives à la
promotion et à la défense des droits de l'homme. Notamment, avec
la D. U.D.H. de l'O.N.U., qui est la plus importante d'entre elles.
D'où se formule l'interrogation suivante : l'anthropologie politique de
J. LOCKE, a-t-elle eu une incidence dans la conception du document onusien ? La
nécessité de rechercher ce lien s'impose désormais. Mais
auparavant, il apparaît judicieux, de répondre à deux
autres questions. En quoi consiste la philosophie des droits de l'homme ? Et
dans quelle mesure sommes-nous autorisés à parler d'une
philosophie lockienne des droits de l'homme ? La deuxième partie de
notre étude examine une telle problématique.
DEUXIEME PARTIE : DE L'IDEE D'UNE PHILOSOPHIE DES DROITS DE L'HOMME DANS
L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE
|
Introduction
Dans la première partie consacrée au traitement
de la problématique générale de notre étude, nous
avons ancré nos efforts dans la recherche des infrastructures
théoriques du système philosophico-politique de LOCKE. A cet
effet, nous avons axé notre investigation dans deux principales
directions. Tour à tour, nous avons analysé les fondements et
essayé de forcer à la lumière de ces fondements, non
seulement un accès à l'intelligibilité de ce
système, mais aussi, d'en dégager les différentes
interprétations possibles.
Fort de cela, la section suivante tentera de rechercher
l'intuition d'une philosophie des droits de l'homme dans cette anthropologie
politique. Cette intuition des droits de l'homme, nous l'avons vu, y est
déjà présente. Notamment dans la théorie lockienne
de la propriété. A la fois, cette théorie se trouve
à la base du renouvellement politique et institutionnel et annonce le
libéralisme politique des temps modernes. Aussi, à cette
époque, elle véhiculait déjà une conception de la
personne humaine comme un sujet de droit. En d'autres termes, une
idéologie des droits de l'homme se dégage déjà
à partir du paradigme lockien de la propriété.
A l'entrée de cette seconde grande section que nous
vouons de nouveau au traitement de notre problématique, nous estimons
qu'il sied d'inaugurer une réflexion qui puisse nous permettre la
compréhension de cette théorie. Ainsi, nous nous posons les
interrogations suivantes. Qu'est-ce que la théorie lockienne de la
propriété ? Véhicule t-elle réellement
l'idée d'une philosophie des droits de l'homme ? A-t-elle eu une
incidence sur la mise en oeuvre de la dynamique contemporaine des droits de
l'homme en oeuvre dans la D.U.D.H. ? Dans les lignes qui suivent, nous allons
essayer d'apporter quelques éléments de réponse à
ces interrogations. Mais, avant d'y arriver, il convient d'abord d'expliciter
ce qu'on entend par philosophie contemporaine des droits de l'homme.
95Artiste Peintre né à Bruxelles en
1934. Auteur d'aquarelles, de gravures et de décors de
théâtres, titulaire du grand prix de la XIIème
Biennale de Sao Polo, 1973. Ses ouvrages publiés : La Mort d'un
arbre ; Le Regard du témoin ; Lettres à
Georgio, etc. Il a illustré les oeuvres de KAFKA, BORGES, VIAN,
MAUPASSANT, APPOLINAIRE, BRADBURY et toute celle de PREVERT. Il a
travaillé pour l'U.N.I.C.E.F., pour GREENPEACE et pour A. I.
Chapitre IV. La philosophie contemporaine des droits de
l'homme
IVi. La Déclaration universelle des droits de
l'homme
La dynamique dans laquelle s'inscrit le mouvement contemporain
des droits de l'homme est l'oeuvre de la D. U.D.H. C'est un document
de l'Assemblée Générale de l'O.N.U., que nous avons
déjà présenté (ci-dessus page 2). L'édition
de 1988 (par AMNESTY INTERNATIONAL) a la particularité de proposer le
même texte dans plusieurs langues entrelacées : le
français, l'arabe, l'espagnol, le chinois l'anglais et le russe, et est
illustrée d'images, très expressives, de Jean-Michel
FOLON95. Ces images évoquent et traduisent les
qualités de justice, de paix et d'égalité entre les
hommes.
Selon ce document, les droits de l'homme sont des valeurs
inhérentes à la densité ontologique de l'homme. Ils sont
sacrés, inaliénables, distinguent les hommes des autres
êtres vivants avec lesquels ils ont la terre en commun et sont
antérieurs à toutes les législations positives. Ils
s'expriment par les besoins de connaissance, de spiritualité et
d'expression artistique. Priver un être humain des moyens pour satisfaire
ces besoins fondamentaux, c'est l'empêcher d'être un humain
à part entière. La D. U.D.H. élève ces
besoins fondamentaux de l'homme au rang de droits. Nulle législation
positive, ou individualité, sous quelque prétexte que ce soit,
n'est habilitée à priver autrui des moyens nécessaires
pour satisfaire à ses droits fondamentaux. Ce sont des aspirations
légitimes auxquelles chaque homme est moralement et juridiquement en
droit de prétendre. Afin d'accéder au message
véhiculé par ce document, nous l'avons subdivisé en deux
parties. L'avant-propos et les deux préfaces d'un côté, et
le préambule suivi des trente articles de l'autre.
IV.1.1. Analyse de la Déclaration universelle des
droits de l'homme IV.1.2. L'avant-propos et les préfaces de
l'édition de 1988
Ils sont respectivement signés par Jean-Michel FOLON,
FRANCA SCIUTI96 et par J. P. de CUELLAR97. L'avant-propos
définit la nature et l'origine des images qui ont illustré
l'ouvrage. Il marque un accent particulier sur l'universalité des droits
de l'homme, avant de souligner vigoureusement l'objectif à atteindre,
à long terme par ce document : « l'éradication
progressive du mal dans l'homme ».
La première préface mentionne l'importance
unique que revêt ce texte historique pour l'humanité avant
d'affirmer l'appartenance de cette dernière à une seule et
même famille, « le genre humain ». Dans cette mesure
tous les hommes ont les mêmes droits fondamentaux, malgré les
disparités qui peuvent exister entre eux. Aussi, précise-t-elle
le contexte de l'élaboration, de l'adoption de la D.U.D.H. par
l'Assemblée Générale de l'O.N.U., et de sa ratification
par les Etats membres de cette institution98. Enfin, elle dresse un
bilan de la dynamique, désormais mondiale, des droits de l'homme en
quarante ans de parcours, exhortant tous les hommes au respect, à la
promotion et à la protection de ces qualités qui sont valables,
à la fois pour soi-même et pour autrui99.
La seconde préface souligne les efforts consentis par
les rédacteurs de la D.U.D.H., lesquels ont pour la
première fois défini la notion de droits de l'homme. Aussi,
prescrit-elle aux gouvernements les objectifs à atteindre dans le
domaine, avant d'esquisser-elle aussi, à son tour, un bilan des quarante
ans de parcours. Ce bilan est jonché de multiples violations des droits
de l'homme, à côté desquelles on peut lire l'effort, en
droit international, pour codifier les concepts développés dans
la D. U.D.H.. Celle-ci se rapporte aux constitutions de certains Etats
et à de multiples pactes internationaux : le P.R.D.C.P.,
(1966), le P.R.D.S.E.C., (1960), la D.D.E., (1959), la
C.E.F.D.E.F., (1980), la C.C.T.A.P.T.C.I., (1984), etc., et
d'autre part, à des pactes
96Présidente de A.I. au moment de la
publication de cette édition de la D. U.D.H..
97Secrétaire Général de l'O.N.U.
au moment de la publication de cette édition de la D.U.D.H.
98Sur ce contexte, voir également : J. GLEN
& J. SIMONIDE, La Déclaration universelle des droits de
l'homme, UNESCO/l'Harmattan, 1991, pp. 21-33.
99A.I., D.U.D.H., Article XXVIII, Folio,
1988, p. 114.
100A. I., Op. Cit., Article I, p. 26.
101Idem, Article III, p. 34.
102Idem, Article XXII, 1988, p. 98.
purement régionaux comme la C.E.D.H., (1950),
la C.A.D.P., (1981) et la D.A.D.H., (1948).
IV.1.3. Le préambule et les trente articles
Il s'agit maintenant de la D. U.D.H. proprement dite,
telle qu'elle a été publiée pour la première fois
en 1948. Elle comprend le Préambule construit en sept points, les fameux
« considérant » sur lesquels repose l'origine des
droits de l'homme : « la dignité anthropologique »,
point d'ancrage de la philosophie politique générale de la D.
U.D.H. En réalité, cette philosophie
politique est une théorie du gouvernement. Venant à la suite du
préambule, les trente Articles sont une spécification des
modalités des différents droits de l'homme en cause.
Le principe fondamental sur lequel repose la D. U.D.H.
est affirmé dans son article premier :
« Tous les êtres humains naissent libres et
égaux en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et
doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité
»100.
Sur ce fondement, les rédacteurs de la D.
U.D.H. ont défini deux catégories de droits que l'on
désigne aussi sous le vocable de droits fondamentaux. La première
catégorie se trouve libellée dans son article III : «
Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à
la sûreté de sa personne »101. Ces droits ne
sont autre que les libertés civiques et politiques
énumérés dans les articles IV à XXI. Ces droits
sont : la « vie », la « liberté
» et la « sûreté de sa personne ». A
son tour, la seconde catégorie des droits repose sur l'article XXII. Cet
article stipule :
« Toute personne, en tant que membre de la
société, a droit à la sécurité sociale ;
elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits
économiques, sociaux et culturels indispensables à sa
dignité et au libre épanouissement de sa personnalité,
grâce à l'effort national et à la coopération
internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays
»102.
Les articles XXIII à XXVII, dérivés du
précédent, détaillent ces droits qui sont dits
économiques, sociaux et culturels. Dans cette catégorie,
figurent
notamment le « droit au travail », le
« droit à l'éducation » et le « droit
de participer aux activités culturelles de sa communauté
». De nos jours, l'usage rassemble ces deux catégories de
droits (c'est-à-dire les droits civiques et politiques d'un
côté, et sociaux, économiques et culturels de l'autre)
respectivement sous la dénomination de droits de la première et
de la deuxième génération.
De plus en plus, l'on parle aussi d'une troisième
génération des droits103. Elle regroupe principalement
le « droit au développement » et le « droit
à un environnement sain ». Cette dernière
génération des droits est également désignée
par l'expression « droits de solidarité ». C'est une
aspiration aux conditions d'existence raisonnables et conformes à la
dignité de la personne humaine. Comme les deux premières
générations, celle-ci s'estime, elle aussi, fondée sur la
dignité humaine, quand bien même elle n'est pas explicitement
garantie par la D. U.D.H. de 1948. Signalons tout de même que
cette troisième génération des droits est au centre d'une
véritable confrontation idéologique, politique et juridique. Son
évacuation de l'espace réservé aux droits de l'homme en
général, et aux droits fondamentaux en particulier, semble de
moins en moins envisageable.
IV.2. Originalité et philosophie politique de la
D.U.D.H.
La D. U.D.H. institue un nouveau pacte moral entre
les hommes. Ce pacte est fondé sur le respect mutuel, la
sécurité, l'égalité et la dignité
inhérents à la nature de la personne. Dans ce sens, elle
constitue un jalon dans l'histoire de l'humanité. Elle classe, pour la
première fois, la seconde catégorie des droits parmi les droits
humains les plus fondamentaux. Pour la première fois aussi, elle
définit dans un document international, l'expression «droits de
l'homme» jusque là laissée à la discrétion des
philosophes et de certains Etats seulement. Ainsi, nous apprenons
103Sur ces droits de la troisième
génération, voir H. de DECKER, «Droits de l'homme et droits
au développement, concurrence ou complémentarité», in
Droits de l'homme en Afrique centrale, dir., D. MAUGENEST & P.-G.
POUGOUE, U.C.A.C./KARTHALA, 1995, p. 208. Egalement, A. ABDELFATAH,
«Droits de l'homme au développement», in COLLECTIF,
Effectivité des droits fondamentaux dans la communauté
francophone, A.U.P.E.L.F.-U.R.E.F., Bruylant, 1994, p. 109. Egalement,
CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX, Le droit au développement,
Librairie édition Vaticane, 1991, p. 11. Egalement, K. MBAYE,
«Droits de l'homme et pays en développement», in
Humanité et droit international, Mélanges
Réné-Jean DUPUY, édition A. PEDONE, 1991, p. 220.
Enfin, B. R. GUIMBO (sic), «Droit au développement et
dignité humaine», in dir., Y-J. MORIN, Les droits fondamentaux
: Actes des 1ères journées scientifiques du
réseau droits fondamentaux de l'AUPELFUREF, Tunis, 9-12 octobre 1996,
Bruylant, 1997, pp. 73-89.
|
|
54
|
104Sur ce statut de la D.U.D.H., cf. : J.
GLEN & J. SIMONIDE, Op. Cit., pp. 129-141.
105B.-B. GHALI, «Discours inaugural de la
conférence mondiale sur les droits de l'homme», 1993, cité
par A. ABDELFATAH, «Rapport introductif», in (dir.), Y-J. MORIN,
Op. Cit., p. 37.
que peu importe que nous soyons homme, femme ou enfant, notre
langue, religion, opinion politique, etc., nous jouissons des même
droits.
Depuis son adoption, la D. U.D.H. a été
traduite dans plus de deux cent langues, intégrée dans la
C.I.D.H. et arrimée aux constitutions de nombreux pays. Ce qui
lui confère valeur de loi sur le plan juridique, en dehors de la simple
fonction morale qu'elle avait au début104. De plus en plus,
un mouvement dynamique, d'envergure internationale, en faveur des droits de
l'homme gagne du terrain. Ce mouvement incite au changement des
mentalités, à la culture de la paix, au respect de l'autre moi et
à la pratique de la tolérance. Sa finalité est la
réalisation d'un monde apaisé, l'affirmation du progrès de
l'humanité vers une véritable société des personnes
et la foi dans un idéal de justice.
Une certaine doctrine sur les droits de l'homme va plus loin.
Elle recourt à la notion de « droit d'ingérence
» ou de « devoir d'ingérence » ; elle
présuppose une conception des droits de l'homme en rapport avec le
principe de la souveraineté des Etats. Pareille conception en appelle
à l'établissement de nouvelles constructions juridiques. Les
droits de l'homme, estime-t-elle, abolissent la distinction traditionnelle
entre l'ordre interne et l'ordre international, et sont créateurs d'une
perméabilité juridique nouvelle. Il s'agit donc de ne les
considérer ni sous l'angle de la souveraineté absolue, ni sous
celui de l'ingérence politique. Au contraire, il faut les comprendre
comme impliquant la collaboration, la coordination des Etats et des
organisations internationales. L'Etat est ainsi non seulement le meilleur
garant des droits de l'homme, mais c'est aussi à lui que la
communauté internationale a, à titre principal,
délégué les soins de la protection des individus, et peut
réclamer des comptes à cet effet :
« La question de l'action internationale doit se
poser lorsque les Etats se révèlent
«indignes» de cette mission, lorsqu'ils
contreviennent aux principes fondamentaux de la Charte et lorsque, loin
d'être les protecteurs de la personne humaine, ils en deviennent les
bourreaux »105.
106H. PALLARD, «Personne, culture et
droits», in dir., Y-J. MORIN, Op. Cit., p. 125.
107J.-S. ZA'ABE, Fondements philosophiques des
droits de l'homme, Presses de l'U.C.A.C., 2000, p. 08.
Le fondement des droits de l'homme repose incontestablement
sur un principe existentiel : « vivre au moindre mal possible
»106. Ce qui caractérise l'existence
humaine c'est la recherche du bonheur et du plaisir, la fuite de la souffrance.
A partir de ce principe, la D. U.D.H. entend fonder la liberté,
l'égalité et le droit à la vie. Elle démontre que
certaines pratiques comme l'excision, les scarifications, etc., sont contraires
au principe du « vivre au moindre mal possible », donc
condamnables.
Dans la même optique, devant l'altérité et
la diversité de ses manifestations, J.-S. ZA'ABE107
retrouve-lui aussi dans ce concept des droits de l'homme, une
normativité susceptible de réprimer l'agressivité humaine.
Cette normativité institue un nouvel ordre social et juridique
fondé sur le respect de la personne, et traduit le désir
légitime d'un minimum d'éthique pouvant être
universalisé. L'éthique ne tolère pas que l'on fasse
souffrir de façon arbitraire et inhumaine des êtres humains.
Devant la souffrance, nous voyons apparaître un sentiment spontané
d'indignation qui est la manifestation d'une pulsion morale
élémentaire transformable en une position éthique. C'est
ce minimum d'éthique que nous retrouvons dans les droits de l'homme. La
théorie des droits de l'homme suppose une nature humaine, elle
suppose connaissable l'essence de l'homme. Enfin que cette nature est
siège de valeurs, que l'on puisse en inférer des normes.
Il faut, par ailleurs, signaler que la D. U.D.H.
n'est pas le seul document en son genre qui parle des droits de l'homme. Il
existe plusieurs autres traités analogues qui l'ont
précédé, en dépit de leur portée uniquement
nationale. La section suivante essaie de les énumérer. Toutefois,
la D. U.D.H. reste le traité le plus important et le plus
décisif en la matière, dans la mesure où, elle mobilise
toute la communauté humaine.
108 C. BECKER, La Déclaration
d'indépendance, Nouveaux Horizons, 1992, pp. 261-262.
IV.4. Quelques Déclarations des droits de
l'homme dans l'histoire
IV.4.1. La Déclaration des droits des citoyens (Bill
of rights, 1689)
Adoptée par le parlement restauré à la
suite de la Glorious revolution de 1688/89, la Déclaration
des droits des citoyens fut lue en présence de la nouvelle reine
Marie STUART et du nouveau roi GUILLAUME III d'Orange. Elle est le summum d'une
vieille tradition parlementaire anglaise établie par la Magna
Carta de 1215, une charte solennelle des libertés d'après
laquelle l'autorité du souverain se limite à la protection de la
propriété.
La Déclaration des droits des citoyens
renforce les principes déjà contenus dans cette charte et
renferme ceux du nouveau régime, la monarchie constitutionnelle qui
s'installe. Elle ne crée pas une nouvelle représentation
nationale, car le parlement existait depuis des siècles, et avait
été tout simplement écarté par les STUART et par O.
CROMWELL. Moins encore, elle ne prive pas le roi de ses pouvoirs traditionnels.
Il est simplement question d'organiser la monarchie, de la modifier et de
régler définitivement l'équilibre des forces politiques et
sociales au sein du Commonwealth.
IV.4.2. La Déclaration d'indépendance
(1776)
Elle a été adopté le 4 juillet 1776 par
les « représentants des treize Etats- Unis d'Amérique
réunis en congrès plénier ». Son objet est
énoncé dans le premier paragraphe où, en une phrase
remarquable, la simplicité de l'expression s'unit à une
élégante solennité du style :
« Lorsque dans le cours des événements
humains, un peuple se voit dans l'obligation de rompre les liens politiques qui
l'unissent à un autre, et de prendre, parmi les puissances de la terre
le rang égal et distinct auquel les lois de la nature et du DIEU de la
nature lui donnent droit, un juste respect de l'opinion exige qu'il
déclare les causes qui l'ont poussé à cette
séparation »108.
Le but avoué est d'exposer devant la conscience
mondiale, les causes qui contraignaient les colonies à se séparer
de la Couronne britannique. Dans la suite du document, sont listés les
griefs contre le gouvernement et le roi de Grande Bretagne.
109On pourra ici noter la similitude avec J. LOCKE,
« mettre à l'abri les citoyens et leurs
propriétés », J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion,
1992, Chapitre IX : Des fins de la société politique, § 123,
pp. 236-237 ; Chapitre XI : De l'étendue du pouvoir législatif,
§ 134, pp. 242-243. Avec les révolutionnaires-
sécessionnistes américains de 1776 : C. BECKER, Op.
Cit., p. 263. C'est également la conviction des
révolutionnaires orangistes anglais de 1688/89. C'est enfin l'expression
de la pensée profonde de H. ARENDT, Essai sur la
révolution, Gallimard, 1963, p.1 57.
Ces griefs doivent s'interpréter comme une
volonté manifeste et délibérée de ce dernier
d'imposer une tyrannie absolue aux colonies. Ils laissent entendre que le
gouvernement et le roi de Grande Bretagne étaient
particulièrement animé par une intention malsaine. C'est un
mobile condamnable, contre lequel il n'existait plus d'autre possibilité
que l'affranchissement de la tutelle de l'empire britannique et du roi de cette
nation.
IV.4.3. La Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen (1789)
Son préambule signale l'acteur de l'énonciation
des droits : « les représentants du peuple français,
constitués en Assemblée Nationale ». Ces droits sont la
liberté, la propriété, la sûreté de sa
personne et la résistance à l'oppression. Ils fixent les
frontières légitimes du gouvernement par rapport aux
individus.
Autrement dit, l'objet même du gouvernement est de
manifester la finalité de l'exercice légitime du
pouvoir109. Elle énonce les principes fondateurs d'un nouvel
ordre social et politique, point d'ancrage du système
démocratique moderne. Les droits de l'homme y sont conçus comme
des valeurs opposables à l'hypertrophie de l'Etat totalitaire et de son
contrôle des individus. Ils retrouvent la puissance effective d'une norme
qui ne se dissout pas dans l'historicité parce qu'elle est
historiquement antérieure et logiquement supérieure au droit
positif.
Une telle vision les sacralise en leur accordant le statut
d'une sorte de définition du nouvel humanisme politique. Mais dans
quelle mesure cette philosophie contemporaine, dite des droits de l'homme, dont
nous venons de dégager les grandes orientations conceptuelles, se
réclame-t-elle de la pensée politique de J. LOCKE ?
Chapitre V. Sur la pensée libérale de J.
LOCKE
V.1. Les fondements de la politique libérale
V.1.1. La loi naturelle et ses différentes
obligations
La pensée libérale de J. LOCKE prend ses racines
dans la théorie de la loi naturelle. A l'instar de ses
pairs110 qu'il cite abondamment, J. LOCKE dans ses Essais sur la
loi de nature (1664) et dans son T.G.C., admet l'existence de la
loi naturelle. A la différence de ces derniers, il va plus loin en
donnant à celle-ci, sa construction théorique définitive,
certainement aussi, la plus systématisée.
La loi naturelle est fondamentalement une norme
éthique, c'est-à-dire, une détermination du bien et du
mal. Elle nous est donnée par Dieu, créateur de l'univers et des
hommes111. A travers elle, Dieu a prescrit aux unes et aux autres
espèces de la nature, son oeuvre, une téléologie
appropriée à la nature de chacun. Ainsi, la loi de nature propre
à l'homme s'insère-t-elle aussi dans l'ordre logique,
téléologique du monde créé par Dieu, et revêt
du même coup cette signification naturelle. On peut ici,
reconnaître l'influence de la tradition judéo-chrétienne,
dont saint THOMAS se présente comme l'illustre légataire au Moyen
Age, et de celui que J. LOCKE nomme le « Judicieux HOOKER
».
Pour J. LOCKE, la loi naturelle est la volonté de Dieu
appliquée à l'humanité et inscrite dans l'ordre
téléologique de son oeuvre112. Elle s'impose sous la
forme d'une obligation convenable aux êtres humains, c'est-à-dire,
aux êtres doués de raison, afin de parfaire la volonté du
créateur selon laquelle « toute son oeuvre doit être
conservée et soignée suivant son bon plaisir
». Cette loi est ici assimilée à la loi
divine. Elle est la mesure du bien en général du genre humain
mankind113. Parce que cette loi existe, désormais il
est possible au genre
110Il s'agit de GROTIUS et de PUFENDORF.
111J. LOCKE, T.G.C., Chapitre II : De
l'état de nature, § 12, p. 150.
112Idem, Chapitre II : De l'état de
nature § 06, pp. 144-146 ; Chapitre V : De la propriété de
choses, § 26, p. 163, § 29, pp. 164-165 ; Chapitre VI : Du pouvoir
paternel, § 56, pp. 183-184 ; enfin, Chapitre VII : De la
société politique ou civile, § 77, p. 200.
113J. LOCKE, E.P.C.E.H., Livre II : Des
idées, Chapitre 28 : De quelques autres relations, et surtout des
relations morales, Vrin, 1998, pp. 277-288.
|
|
59
|
114On peut noter la similitude avec saint THOMAS
d'Aquin, Somme théologique, II, II, 94-2, Edition de la revue
des jeunes, 1935.
115J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992,
Chapitre II : De l'état de nature, § 06, pp. 144-145.
116Idem, Chapitre II : De l'état de
nature, § 06, pp. 144-145. Chapitre III : De l'état de guerre,
§ 16, pp. 154-155. Enfin, Chapitre XI : De l'étendu du pouvoir
législatif, § 135, pp. 243-244.
117Idem, Chapitre II : De l'état de
nature, § 04, p. 143.
118Idem, Chapitre II : De l'état de
nature § 07, p. 146.
119Idem, chapitre XI : De l'étendue du
pouvoir législatif, §§ : 134-135, pp. 242-243. Chapitre XVI :
Du pouvoir paternel, du pouvoir politique et du pouvoir despotique
considérés ensemble, § 195, p. 287.
120R. POLIN, La Politique morale de J. LOCKE,
P.U.F., 1960 p.1 14.
121E.B.J., Op. Cit., Genèse I. 26
& 28 ; J. LOCKE cite ce passage Op. Cit., Chapitre V : De la
propriété des choses, § 25, p. 162. On peut également
noter la similitude avec saint THOMAS d'Aquin, Op. Cit., II, II, 66-1
; II, II, 66-2 et II, II, 66-5. C'est nous qui soulignons.
122C'est aussi l'avis de BARBEYRAC en marge du texte
de PUFENDORF, Droit de la nature et des gens, Livre IV, Chapitre IV,
3n, cité par J. TULLY, Op. Cit., p. 96.
123J. LOCKE, E.P.C.E.H., Vrin, 1998, Livre IV
: De la Connoissance, Chapitre XII : Des Moyens d'augmenter notre connoissance,
§ 11, pp. 533-541. (C'est la traduction de P. COSTE, 1700 ; donc l'ancien
français).
124J. TULLY, Op. Cit., pp. 89-90.
125J. LOCKE, L.T., P.U.F., 1993, p. 03.
126E.B.J., Op. Cit., Luc XX, 25.
humain de comprendre les jugements d'innocence et de
culpabilité que chacun, en son âme et conscience est en mesure de
porter sur lui-même ou sur les autres. Sans elle, il n'y aurait ni vice,
ni vertu, ni récompense, ni châtiment. Et la loi positive, qui
représente la loi en vigueur dans les sociétés civiles
particulières, n'est déduite qu'en fonction d'elle ; et n'est
dite bonne ou mauvaise qu'en se mesurant à elle. Enfin, la connaissance
du bien et du mal immanente à tout homme, est la grande preuve de son
existence.
Telle que présentée par J. LOCKE, la loi
naturelle exprime d'abord une nature humaine. C'est-à-dire, un pouvoir
parfaitement libre. Ensuite, et par voie de conséquence, les limites
appropriées à la conservation de cette nature humaine. Enfin, ces
limites qui sont traduites en forme de lois, visent la « parfaite
égalité » et la « parfaite liberté
», attitudes impossibles en dehors de la loi. Exception faite de
l'obligation classique qui consiste pour les créatures de louer leur
créateur, LOCKE adjoint trois autres prescriptions114
à ces limites.
La première prescription divine invite tous hommes
à glorifier et à agir selon les règles de Dieu, leur
créateur. En d'autres termes, elle invite tous ces derniers à
reconnaître Dieu comme étant leur créateur, à le
glorifier et à contempler sa majesté à travers l'ensemble
de son oeuvre dans toute sa splendeur, témoignage de sa puissance et de
sa sagesse incommensurables115. Les hommes étant l'oeuvre de
ce créateur infiniment puissant et sage, ils ont été
crée pour le servir et sont sa propriété. Voilà
pourquoi leurs vies ne leur appartiennent pas. Ils sont donc obligés
à ne pas porter atteinte volontairement à celles-ci.
La seconde prescription, équivaut à la fois
à l'obligation pour chaque homme de pourvoir à sa propre
conservation, et à celle de veiller à la conservation de
l'espèce humaine dans son ensemble116. Ce dernier aspect
montre que, les hommes appartiennent à une même famille,
mankind et sont doués des mêmes
facultés, la raison particulièrement. C'est pour
cette raison qu'aucun d'eux, n'est fondé à posséder (les
biens du monde) plus que les autres. Tous les pouvoirs dont dispose chacun sont
identiques à ceux détenus par tous les autres, et tous vivent
dans un état de « parfaite liberté » et de
« parfaite égalité »1
17.
Les hommes faits à la gloire de Dieu, sont ici des
êtres égaux, soumis à une loi de conservation personnelle
et collective. Ils sont fondés à sauvegarder mutuellement
« leurs personnes, leurs biens, leurs libertés et leurs vies
». Cet énoncé propre de la loi de nature les
oblige également à vivre dans un état social de paix et de
sécurité118. La formation et la conservation de
celui-ci sont subordonnées à cette loi de nature. C'est d'ici que
découle la troisième et dernière obligation naturelle,
intimant aux hommes l'ordre de respecter et de perpétuer la vie sociale.
Dans cette optique, J. LOCKE pense à juste titre, et ceci, à la
suite d'ARISTOTE que, l'usage de la parole et du langage, prédisposent
les hommes à la vie civile119. La vie en
société, est une obligation de la loi de nature, les hommes
disposent des potentialités à cet effet. Ils ont le devoir de
respecter la vie humaine. Pour nous résumer, la loi de nature chez J.
LOCKE renferme l'ensemble des devoirs de l'homme envers Dieu, envers
lui-même et envers les autres120.
V.2. La loi naturelle et le fondement de la
propriété
Nous venons de voir selon J. LOCKE que, l'homme a
été créé par Dieu dans le but de le glorifier par
l'usage raisonnable de ses facultés, sous les auspices de la loi
naturelle. Il apparaît donc qu'il ne peut user légitimement de ses
facultés en contredisant cette fin qui lui enjoint notamment
l'auto-conservation et la conservation du genre humain dans son ensemble. La
propriété intervient ici pour renforcer cette prescription
naturelle. Elle est soumise aux impératifs de solidarité et de
protection de l'humanité que l'instauration de la société
civile n'abolit pas. La propriété ne se réduit pas
à la simple appropriation des biens. Par ce terme, il faut sous-entendre
un ensemble plus large, dans le sens de ce qui appartient en propre
aux humains. Cet ensemble plus large renvoie à la
« vie, la liberté, le corps et les biens ». La
propriété renvoie ainsi à tout ce qui est
nécessaire à la subsistance et à la réalisation de
la vocation et des potentialités propres aux hommes, comme le
créateur le désire. Autrement dit, c'est ce sans quoi les hommes
ne peuvent vivre selon que leur nature le désire.
Ainsi, le droit de propriété désigne
cette obligation à la quelle chaque être humain se doit de
satisfaire à tout ce qui est nécessaire à sa subsistance.
La propriété est un don de Dieu fait à tous les hommes,
les Ecritures sont d'ailleurs de cet avis. C'est un de ses passages
qui est mis à contribution et qui sert de point d'appui à J.
LOCKE :
« Dieu dit : «Faisons l'homme à
notre image, comme notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la
mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et
toutes les bestioles qui rampent sur la terre [... Dieu dit :
«Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et
soumettez là ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel
et tous les animaux qui rampent sur la terre »121.
Chaque homme est fondé naturellement à
revendiquer ou à défendre ces droits qui sont un don de Dieu,
donc antérieurs à toute législation ; même en
s'opposant par la force à un gouvernement fondé sur la confiance
des gouvernés, en vertu d'un contrat initial établissant l'Etat.
La pierre angulaire de cette doctrine de la propriété, c'est
précisément la loi de nature, que J. LOCKE s'est efforcé
de faire apparaître avec évidence. La propriété
désigne tout ce qui appartient en propre à un individu, et qui ne
peut lui être amputé sans son consentement.
L'objectif de LOCKE dans cette doctrine de la
propriété est de confondre les partisans de la monarchie absolue.
Tel le chevalier R. FILMER, dont les écrits sont fort populaires
à cette époque, et contre lesquels, J. LOCKE monte une attaque en
règle. Il oppose à R. FILMER une théorie
constitutionnaliste radicale de la souveraineté, doublée d'une
défense individualiste du droit de résistance au nom de la
propriété. La commune possession du monde à tout le genre
humain s'oppose ici à l'idée filmerienne de
propriété privée exclusive à ADAM, premier prince
de
l'humanité. Le vocable
«propriété» chez J. LOCKE est synonyme de
«droits». Ces droits sont dévolus à tous les
êtres humains : « droits communs à tous
»122, et se traduit par cette emprise qu'a le genre humain
sur les espèces inférieures de la création. Cette emprise
se manifeste par le travail. Et c'est exactement ce dernier qui apparaît
comme le fondement réel de l'appropriation privée des biens selon
la loi de nature, c'est-à-dire, dans les strictes limites
assignées à la conservation de l'individu.
Toutefois, il n'en demeure pas moins que dès
l'état de nature, toute restriction à l'appropriation
privée illimitée des biens soit levée. Ceci est possible
avec l'invention et l'adoption de la monnaie. Car, elle permet d'accumuler
autant de biens de la nature sans les dénaturer. Cela ne va pas sans
soulever quelques séries de problèmes, notamment deux,
liés avec la fonction du gouvernement.
La première série est consécutive
à la possibilité de s'approprier indéfiniment les biens de
la nature. Elle n'est pas sans incidences et préjudices sur les autres
membres de la communauté qui sont en dehors du processus d'accumulation,
et qui, conformément à la loi naturelle, sont obligés de
se conserver. Dans ce cas, estime J. LOCKE, c'est au gouvernement civil de
maintenir et de rétablir les exigences de la loi naturelle en
protégeant les droits de ceux qui sont restés en dehors de ce
processus d'accumulation. La seconde série concerne le sens historique
des revendications défendues par le T.G.C. Elle légitime
l'exclusion de l'Etat du domaine du marché et vise à limiter son
pouvoir. Néanmoins, elle autorise une certaine régulation
publique de l'économie, sous réserve du « consentement
» des propriétaires, dont la décision majoritaire des
représentants est supposée être l'équivalent. Le
capitalisme qui va connaître son essor au XIXème
siècle sera le grand héritier de cette théorie de la
propriété de J. LOCKE. Certains y ont vu une entreprise de
défense et de légitimation du capitalisme. Nous y reviendrons
(ci-dessous page 71), pour l'heure, posons-nous d'abord la question relative
à la finalité du paradigme lockien de libéralisme.
V.3. Finalité du paradigme lockien du
libéralisme
La théorie des droits ou de la propriété
représente le summum de l'anthropologie politique de J. LOCKE. Elle a
une finalité double, et à travers elle, son auteur se bat sur
deux fronts. Il lutte aussi bien contre l'absolutisme que contre les
dogmatismes qui s'imposent par voie d'autorité. C'est-à-dire, le
scepticisme et l'autoritarisme dont étaient réputés le
XVIIème , son époque, et contre lesquels il formule un
plaidoyer en bonne et dû forme, en faveur de la liberté et de la
tolérance.
V.3.1. Le rejet des dogmatismes et de l'absolutisme
J. LOCKE estime qu'il faut permettre à l'homme de
concentrer tous ses pouvoirs sur la découverte des vérités
nécessaires à son existence et qui se trouvent celles qu'il peut
effectivement atteindre. L'homme n'a pas à se plaindre de
l'étroitesse de son entendement, puisqu'il est adapté aux fins
qu'il a à poursuivre et à atteindre123. Etant
donné les facultés que Dieu a données aux hommes, il est
raisonnable de les appliquer aux fins auxquelles elles sont le mieux
proportionnées. Notre compétence ici bas, n'est pas de
reconnaître toute chose, mais celles-là seulement, qui concernent
notre conduite.
La morale est donc la propre science et la propre affaire de
l'humanité en général, et non de quelques individus
susceptibles d'imposer leurs opinions aux autres. Le parallélisme avec
E. KANT ici est important. Ce dernier en abolissant le savoir, pour laisser
libre court à la croyance, condamnait les prétentions de la
raison spéculative à atteindre les vérités
situées au-delà de la pensée. Il s'attaquait aussi bien
aux préjugés insoutenables d'une métaphysique dogmatique,
qu'à l'incrédulité et aux tendances sceptiques
préjudiciables à la moralité, qui ne paraissaient pas
suivre le triomphe de l'Aufklärung.
Le T.G.C. de J. LOCKE est une réflexion
rigoureuse sur les limites de l'action politique légitime, fondée
sur la connaissance de la loi naturelle. Ainsi, il
combat les Tories qui soutenaient l'action politique
de la Cour (entendue la Cour des STUARTS), et qui légitimaient son
inspiration idéologique dans les termes même de R. FILMER. Dans
cette perspective, toute autorité légitime, qu'elle s'exerce sur
les hommes ou sur les biens, est conçue comme une
propriété privée. Elle confère droits d'user, de
mésuser ou d'aliéner. De la même manière que tout
propriétaire légitime possède sur toute sa maison un
pouvoir de droit divin et absolu, ainsi en est-il du souverain sur l'ensemble
de ses sujets et sur sa famille.
C'est en réalité contre cette position de R.
FILMER que J. LOCKE dirigeait sa critique. Il se propose de fonder en
théorie la légitimité du droit de résistance,
pierre angulaire du programme Whig. Dans cette même critique en
termes de la loi naturelle, il visait également H. GROTIUS et S.
PUFENDORF, qui venaient d'utiliser le concept normatif de droit naturel pour
défendre et illustrer l'absolutisme124, le même
absolutisme précédemment légitimé par MACHIAVEL
(1469-1527, Le Prince, 1513).
V.3.2. Le plaidoyer pour la liberté et la
tolérance
J. LOCKE est un fervent croyant. La foi en un Dieu
parfaitement sage et puissant commande l'ensemble de son système. Avant
la L.T., il avait déjà composé plusieurs
écrits sur la tolérance religieuse. Il pense principalement que
la tâche du magistrat est de maintenir l'ordre public. Chaque homme est
libre d'adorer Dieu selon que sa conscience le lui recommande, à
condition de ne pas troubler l'ordre public. Car, nulle part dans la
Bible, il est écrit que les hérétiques doivent
être réprimés par la force. Cette séparation
radicale des fonctions de l'Eglise et de l'Etat est son argument le plus fort,
sur lequel repose toute sa doctrine sur la tolérance. On est conduit
à penser que, chez J. LOCKE, l'Etat et l'Eglise sont sans point commun
l'un avec l'autre. Ou encore, qu'ils ne devraient avoir aucun point commun, si
chacun se tenait strictement dans son domaine. Ce monde-ci seul, et ses biens,
concernent l'Etat qui n'a le droit d'agir que sur eux et le droit de ne
s'occuper que d'eux. Seul, le salut éternel des hommes et le soin des
âmes concernent l'Eglise. Celle-ci ne peut agir que sur les âmes,
et elle n'a que le droit de s'occuper d'elles.
Cette séparation de l'autorité publique du
pouvoir ecclésiastique est l'argument principal sur lequel J. LOCKE
bâtit toute sa L.T.. Cet argument fonde la tolérance non
plus sur la liberté de conscience, mais sur la défense de la
liberté essentielle à l'homme en vue de sauvegarder la paix dans
l'Etat. Cette tolérance s'applique à l'exercice de la
liberté, qui n'est pas la licence de faire ce que l'on veut, mais le
droit d'obéir à l'obligation essentielle pour chaque homme
d'accomplir sa nature humaine. La liberté de l'homme n'a de sens que par
rapport à la loi de sa nature, qui est une loi raisonnable :
« Monsieur, puisque vous me demandez mon opinion sur
la tolérance réciproque entre les chrétiens, je vous
répondrai en peu de mots que c'est, à mon avis, le principal
critère de la véritable Eglise. Les uns ont beau se vanter de
l'antiquité des lieux et des titres de leur culte ou de sa splendeur,
les autres de la réforme de leur discipline, et tous en
général de l'orthodoxie de leur foi (Car chacun est orthodoxe
à ses propres yeux) ; tout cela et toutes les choses du même genre
sont plutôt les signes de la lutte des hommes pour le pouvoir et
l'autorité plutôt que les signes de l'Eglise du Christ
»125.
Aucune Eglise ne saurait se concevoir si elle ne pratique pas
la tolérance. La tolérance entre les religions est un devoir
naturel, conforme à la raison et à l'évangile. Toutes
doivent la pratiquer les unes à l'égard des autres. La vraie
religion naît de la vie des hommes selon les règles de la
piété et de la vertu. Elle ne se fonde pas sur les apparences de
la foi. Non plus que sur la domination ecclésiastique. Elle n'exige pas
de persécuter tous ceux qui ont une opinion divergente de soi dans cette
discipline. Le fondement théorique et pratique de la tolérance
repose sur les compétences propres du gouvernement civil (magistrat) et
sur celles de la société religieuse (Eglise) qui sont distinctes,
et que l'on doit nécessairement séparer.
JESUS-Christ lui-même, ne recommandait-il pas
déjà cette attitude à ses contemporains ? En effet,
lorsque les Zélotes (secte qui prône l'action et
revendique l'autonomie face à l'occupant romain) veulent occuper la
place temporelle, vacante, de « roi des juifs », JESUS,
témoignant dans l'ordre politique d'une perspicacité
extrême, s'enflamme contre eux leur demandant de « rendre
à CESAR ce qui est à CESAR et à Dieu, ce qui est à
Dieu »126. Par cet acte, il dissocie les ordres
temporel
et théologique. Ce que ses contemporains n'ont pas
compris, car habitués à l'intrication du théologique et du
politique. Voilà pourquoi, dans une atmosphère de fin du monde,
il oppose un autre royaume à l'empire terrestre d'Israël dont il
sait parfaitement qu'il ne reviendra plus. Ce royaume de JESUS est celui de
l'intériorité spirituelle où la souveraineté
appartient à celui qu'Israël nomme le « Roi des rois
».
Le gouvernement civil se rapporte à l'homme et à
des biens en ce monde. L'Eglise se rapporte à l'homme en tant qu'il a
une âme immortelle, susceptible d'un salut futur éternel.
Guidé par sa conception de la liberté de jugement essentielle
à tout être humain, J. LOCKE estime qu'aucun Etat n'a le droit
d'imposer la foi religieuse, et qu'aucune Eglise, définie comme une
association libre et volontaire, ne doit persécuter les adhérents
des autres confessions, ni non plus s'occuper des hommes en tant qu'ils ont des
biens civils à promouvoir et à conserver. Les deux institutions
sont strictement et rigoureusement limitées l'une par rapport à
l'autre. Ces limites sont immobiles et infranchissables. Ceci au nom du droit
de l'homme à la liberté.
V.4. Les conditions de l'Etat de droit
Le rôle du gouvernement consiste à aider la
communauté politique dans sa recherche du bonheur, conformément
à ses options. C'est-à-dire, matérialiser le plein
épanouissement des potentialités et des personnalités des
différents membres. Notamment sur le plan culturel, spirituel,
économique, politique et social. Le gouvernement dispose de puissants
moyens lui permettant de réaliser ces objectifs. Dans chaque
communauté politique, c'est le peuple qui est le détenteur du
pouvoir suprême. Les particuliers qui constituent le corps politique, ont
la latitude de choisir leurs gouvernants.
Les régimes économiques et sociaux peuvent
varier. Mais le peuple doit toujours décider en dernier ressort des
systèmes économiques ou sociaux qui doivent le régir. En
ce sens, les droits de tous les citoyens doivent être respectés.
C'est une erreur, que de séparer la survie économique
considérée comme un droit, des autres droits tels que la
conservation. Il n'y a pas de contradiction entre les
efforts pour atteindre un niveau de vie élevé et
les efforts pour satisfaire les besoins fondamentaux dans le domaine
économique et social.
L'être humain doit être traité comme une
entité. Sa personne physique fait tout autant partie de lui que ses
facultés mentales, spirituelles et ses biens. Cela signifie qu'un droit
quelconque ne peut pas prendre le pas sur les autres. La distinction et la
limitation des pouvoirs ne sont en fait, rien d'autre qu'un moyen de
spécifier les fonctions du gouvernement, afin d'assurer une grande
liberté individuelle. L'interaction entre les dirigeants dynamiques et
des citoyens attentifs, est le meilleur espoir de survie de la
communauté politique. Le respect des droits économiques, sociaux
et autres, en fournissent la clé du fonctionnement des
mécanismes. Aux yeux de J. LOCKE, la protection de ce que l'individu
possède en propre, revêt une importance capitale.
Permettre à l'homme d'atteindre un niveau de vie
décent, c'est faire valoir un droit fondamental : le droit à la
« vie », à l'affranchissement du besoin qui
représente le souci essentiel de toute l'humanité. Le droit et
l'ordre visent la valorisation de la dignité humaine tout comme ils
visent également le plein épanouissement de la
personnalité dans la collectivité. Ainsi, avec la disparition de
la faim, de la nudité, de la peur et de l'intolérance ou de la
tyrannie, l'on arrive à ce que l'on désigne communément
sous le concept générique de «libre épanouissement de
la personnalité humaine». En un sens, ces libertés sont
illimitées, car elles reflètent essentiellement une conception de
la dignité humaine. Comme nous le voyons, il se dégage clairement
une philosophie des droits de l'homme dans cet aspect de l'anthropologie
politique de J. LOCKE. Une philosophie des droits de l'homme se trouve
là véhiculée. Mais comment s'articule-t-elle ?
127J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992,
Chapitre III : De l'état de guerre, §17, p. 155.
128Idem, Chapitre II : De l'état de nature, §
10, p. 148.
129J. TULLY, Op. Cit., pp. 104-116.
130J. LOCKE, Op. Cit., Chapitre V : De la
propriété des choses, §§ : 27-28, pp. 163-164.
131Idem, Chapitre V : De la propriété des
choses § 32, p. 166-167.
132J. LOCKE, Op. Cit., § 86, p. 205 ; J.
TULLY, Op. Cit., pp. 78-79.
133Dans ce dernier aspect, nous relevons encore la
similitude du propos lockien avec celui du docteur angélique, saint
THOMAS d'Aquin, Op. Cit., I, II, 93,1.
134J. LOCKE, T. G.C., GF-Flammarion, Chapitre
V : De la propriété des choses, § 39, pp. 173-174.
135J. LOCKE, Op. Cit., Chapitre V : De la
propriété des choses § 45, pp. 176-178.
136Idem, Chapitre V : De la propriété des
choses § 51, pp.180-181.
Chapitre VI. L'intuition lockienne d'une théorie
des droits de l'homme
VI.1. La mutation des obligations naturelles en droits
fondamentaux
Selon J. LOCKE, nous l'avons vu, l'exégèse
biblique et la loi naturelle appuient les deux propositions suivantes.
Premièrement, Dieu a fait don aux hommes du monde et de tout ce qu'il
renferme en qualité de propriété commune à tous.
Deuxièmement, la raison naturelle que ce dernier ait placée en
eux, leur fait connaître leurs droits d'user des biens du monde en vue de
leur subsistance et de leur confort. Ces propositions signifient, d'une part,
que le monde et ses biens appartiennent sous le même rapport à
tous les hommes. D'autre part, que chaque homme, en vertu du devoir naturel
à se conserver en vie et en bonne santé, est fondé
à garantir sa subsistance, en accédant aux moyens
nécessaires à cet effet. Dans l'esprit de J. LOCKE, ce droit
inclusif n'a d'autre finalité que la conservation du genre humain. La
propriété commune originelle est ainsi finalisée. C'est
cette finalité que nous retrouvons dans la lettre même du livre de
la Genèse cité par J. LOCKE pour conférer une
caution à sa thèse (cf. page 62, note 121 où nous avons
déjà cité ce passage).
L'auto-conservation et la conservation de l'humanité
dans son ensemble visent la réalisation du décret divin.
Autrement dit, elles visent la liberté de l'homme par rapport à
tout pouvoir terrestre. Cette liberté conditionne tout. J. LOCKE y
trouve l'essence même de la vie. Ainsi, celui qui s'attaque à la
liberté d'autrui, est capable de s'attaquer à la vie de ce
dernier127. A cet égard, la liberté et la vie sont des
attributs inaliénables. Aucun homme n'a le droit de se faire esclave,
moins encore de se donner la mort. La vie et la liberté doivent
être défendues contre toutes sortes d'agressions. Voilà
pourquoi dans l'état de nature, en l'absence d'un pouvoir
supérieur commis à cette tâche, chacun peut se faire le
garant de l'orthodoxie naturelle128. Dans l'état civil, ce
pouvoir de défendre la légalité naturelle, jadis
détenu par tous en commun est confié à un magistrat
public. J. LOCKE nous apprend que, l'on est en droit de se défendre
contre toutes sortes d'agressions. Même contre
celles venant d'un gouvernement que les hommes ont
eux-mêmes institué. L'obligation naturelle des hommes à
l'auto-conservation et l'obligation à la conservation du genre humain se
mutent en droits naturels à la conservation. Ainsi se justifient le
droit naturel à la vie, le droit naturel à la liberté, le
droit naturel à lutter contre toutes les formes d'oppression :
l'esclavage, l'exploitation, la torture, etc. Les hommes sont donc
fondés naturellement, et c'est aussi un devoir positif de se conserver,
de conserver l'humanité et enfin de protéger la liberté de
l'humanité dans son ensemble.
La conservation de la vie et la protection de la
liberté qui sont des droits naturels, passent selon J. LOCKE par la
subsistance. Donc par la propriété. Ce problème est
étudié dans le cinquième chapitre du T.G.C. Nous
souscrivons ici à l'interprétation de J. TULLY129 qui
respecte la lettre même du texte de J. LOCKE. Car, sensible à
l'ensemble hétéroclite couvert par le terme «
propriété » sous la plume de J. LOCKE, laquelle
n'annule pas la définition que nous avons déjà
donnée à cette notion (page 30, note 58, et page 62, note 121),
et que nous réitérons ici : « les actions, les
possessions, et la personne ». Autrement dit, ce qui appartient en
propre à un individu et auquel nul autre que lui-même n'a
accès. C'est un droit que l'on possède sur quelque chose et sur
soi même qu'on ne peut vous enlever sans votre consentement.
C'est ainsi que les actions d'un agent libre sur l'«
indivis originaire » lui appartiennent et constituent sa
propriété. Parmi ces actions, le travail. C'est par lui que se
réalise le devoir de conservation dans ce sens qu'il produit les biens
nécessaires à la subsistance. C'est lui également qui
introduit la différence entre cet « indivis originaire
», et ce qui n'est plus commun à tous :
« Tout ce qu'il (l'homme) a tiré de
l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui
seul : car cette peine et cette industrie étant sa peine et son
industrie propre et seule, personne ne saurait avoir droit sur ce qui a
été acquis par cette peine et cette industrie, surtout, s'il
reste assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes f...] Je demande
donc quand est-ce ces choses qu'il mange commencent à lui appartenir en
propre
? [...] Le travail qui est mien mettant ces choses hors de
l'état commun où
elles étaient, les a fixées et me les a
appropriées »130.
L'appropriation privée de cet « indivis
» par le travail commence dès l'état de nature.
L'entrée en communauté politique ne l'annule pas. Au contraire,
en son sein, elle se complexifie avec l'invention et l'adoption de la monnaie.
Avec l'usage de la monnaie qui lève la limitation à toute
appropriation privée des biens de la nature, certains y ont vu la
montée de l'individualisme possessif. En d'autres termes, les
débuts et l'apologie du capitalisme. C'est méconnaître la
signification de la pensée politique profonde de J. LOCKE. Car
notons-le, à cette appropriation privée illimitée, LOCKE a
toujours assigné des limites de deux ordres131.
Primo, il faut qu'il y ait des biens en quantité suffisante et
de bonne qualité pour les autres qui sont restés en dehors du
processus d'accumulation. Pour que celle-ci ne crée pas de situation de
pénurie. Et secundo, il faut que chacun soit en mesure de
consommer toute sa production et que rien ne se corrompt. Car ce sera
enfreindre à la loi de nature. Ce qui n'est pas sans sanctions
naturelles et positives. Le créateur n'a pas fait don du monde à
l'homme pour que celui-ci le détruise inutilement.
On reconnaît ici le droit de chaque homme à
accéder aux moyens indispensables à sa survie. Et pour ceux qui
sont dépourvus, de réclamer à la société
leur part de biens pour leur survie et l'épanouissement de leur
personnalité. A travers cette théorie de la
propriété, il est question pour J. LOCKE de déterminer les
droits de l'individu en matière de possession. Il est également
question de définir les rapports entre propriété commune
originelle du monde et appropriation privée des biens du monde d'une
part, et de déterminer le droit individuel en matière
d'autodétermination de chacun sur sa propre personne d'autre part.
Au-delà, c'est une spécification du statut des biens des citoyens
et du citoyen face au magistrat civil.
A partir des simples obligations naturelles au départ,
nous voici arrivé aux droits naturels qui sont également valables
dans la communauté politique. L'entrée des hommes en
communauté politique ne contredit pas les droits naturels.
Bien au contraire, c'est pour permettre qu'ils soient
davantage respectés. Ils y acquièrent en dernier ressort, le
statut de droits. Dorénavant, il est possible de les défendre et
de les réclamer quand on en est privé. Pour J. LOCKE, ils
représentent les droits fondamentaux, dont l'absence ou la privation
font que l'homme vive en deçà de l'humanité. Mais comment
se faire reconnaître et attribuer ces droits ?
VI.2. Reconnaissance et attribution des droits
fondamentaux
Le processus de reconnaissance et d'attribution de ces droits
s'inscrit dans le cadre du rejet des dogmatismes et de l'absolutisme dont les
XVIème et XVIIème siècle
étaient porteurs. J. LOCKE vise ici HOBBES, et plus directement FILMER
avec son maître ouvrage, Patriarcha, or natural power of kings,
composé depuis longtemps mais publié seulement en 1680, en
pleine Crise d'exclusion (1679-1681).
La riposte de J. LOCKE se fonde sur les Ecritures.
Cette même source dont R. FILMER prétend tirer la caution de ses
thèses. Non seulement nous découvrons en J. LOCKE un excellent
exégète, mais aussi nous apprenons sous sa plume que Dieu n'a pas
donné le monde à ADAM comme propriété privée
exclusive. En d'autres termes, le monde a été donné par
Dieu à la fois à ADAM et à toute sa descendance. Donc
à tous les hommes, afin qu'ils le mettent en valeur pour leur survie.
Aussi, cette même propriété commune est
régie par la loi naturelle. Elle veut que tous les hommes y aient
accès. Tout homme a droit aux créatures inférieures de la
création au même titre qu'ADAM, par le simple fait d'être
homme. En vertu de ce fait également, les propriétés de
chacun ne retournent pas à la communauté. Chacun protège
ce qu'il a acquis par son industrie, et ses héritiers partagent cette
acquisition. La propriété est destinée à la
subsistance des hommes. En tant qu'homme, on a le droit d'accéder aux
moyens nécessaires à sa conservation et à sa subsistance ;
parce que l'on est homme, on a le droit à la vie, le droit de
protéger l'humanité et le droit de lutter contre l'oppression,
etc.
Ce processus d'acquisition se fonde dans la loi naturelle. Il
peut être révélé par les Ecritures comme il
peut être découvert par la raison naturelle et il est aussi un
principe de droit positif que la morale ne contredit pas. Comme nous
pouvons le constater, le critère de reconnaissance et
d'attribution des droits naturels et civils est la « dignité
anthropologique ». Dès lors qu'il est clairement établi
que l'on est homme, automatiquement l'on en est pourvu. Il s'ensuit
l'obligation de jouir de tous les avantages qui en découlent. Ceci dans
l'indifférence des singularités de type racial, religieux,
ethnique, des handicaps, etc.
Les droits naturels et civils sont inhérents à
notre densité ontologique, donc antérieurs à toute
législation positive. Quand une législation positive les
méprise ou les méconnaît, nous sommes en droit de les
réclamer. Quand elle persiste, nous sommes en droit de lui opposer la
force. Du reste, une législation positive qui les méprise ou les
méconnaît porte en elle-même les germes de sa propre
destruction. Conformément à son dessein de voir l'homme vivre,
séjourner et durer sur la terre, Dieu a mis dans le monde toutes les
choses qui sont nécessaires à la vie, c'est-à-dire
susceptibles d'assurer les besoins en nourriture, boisson,
vêtements132, etc. La conservation de la vie, et
l'accès aux moyens y relatifs ne doivent pas se comprendre comme
répondant à des fins humaines subjectives, mais doivent
être pensées comme l'expression du projet divin pour
l'humanité tout entière133.
VI.1.2. Taxinomie des droits fondamentaux
Les hommes entrent en société afin de
protéger leur vie, leur liberté et leurs biens. Toute atteinte
à ces attributs équivaut à la fois à une remise en
question, et des fins de la communauté politique, et de la
communauté politique elle-même. Ce comportement conduit les
individus, selon J. LOCKE, à assurer eux-mêmes leur liberté
et leur sécurité. La position de J. LOCKE ici est radicale, dans
ce sens qu'elle le place au sommet d'un anarchisme qui ne dit pas son nom :
quiconque s'estime lésé dans ses droits naturels, donc
fondamentaux (la vie, la liberté et les biens), est autorisé
à résister. La vie, la liberté et les biens correspondent
à la propriété. Ils sont inaliénables, inviolables.
Ce qui nous amène à admettre que la théorie lockienne des
droits n'est rien d'autre que sa théorie de la propriété.
A l'issue de l'examen de cette
théorie de la propriété, il est possible
de faire le constat suivant. J. LOCKE rassemble tous les droits au sein d'une
grande catégorie : « les droits fondamentaux » que
nous subdivisons en deux sous-ensembles afin d'en permettre une meilleure
appréhension.
VI.1.3. Les droits inclusifs
Le chapitre V du T.G.C. s'ouvre sur
l'énumération du premier sous- ensemble des droits fondamentaux,
c'est-à-dire celui que nous nommons «les droits inclusifs». Ce
premier sous-ensemble se fonde sur les Ecritures qui nous
révèle, repetons-le, que Dieu a fait don du monde et de ses biens
aux hommes à titre de propriété commune, selon ce passage
du livre de la Genèse (ci-dessus cité page 62, note
121). Le monde est donc la propriété commune au sens d'un droit
naturel subjectif possédé par tous les hommes. Cette donation
divine inclut la terre, les animaux autrement dit, les espèces
inférieures de la création, nécessaires à la
conservation des hommes134. De cette commune propriété
découle le droit pour chaque homme d'user des biens du monde selon le
décret divin, c'est-à-dire, en vue de la conservation de chaque
homme. C'est un droit d'usage inclusif dévolu à tous les hommes,
afin d'accéder aux conditions matérielles, morales et
intellectuelles nécessaires à la subsistance. Nous pouvons ici
reconnaître, dans ce premier sous- ensemble juridique, le droit à
la nourriture, au travail, au logement, etc. Bref tous les droits qui
permettent à l'homme de vivre, de bien vivre et de lui assurer un
épanouissement digne de son humanité. Ce sont ces droits que les
rédacteurs de la D. U.D.H. ont désignés par
l'expression générique « droits économiques,
sociaux et culturels », détaillés dans ledit document
(articles XXIII-XXVII, voir ci-dessus, pages 53-54). Ils correspondent à
la deuxième génération des droits fondamentaux.
Nous disons que ces droits sont inclusifs parce qu'ils
supposent que nul homme ne peut être exclu de leur exercice, et que
chacun a le droit d'être inclus parmi ceux qui peuvent
légitimement prétendre à l'objet auquel se
réfèrent ces droits. De semblable, nous sommes aussi
fondés à dire que cette propriété commune
originelle, qu'est le monde et ses biens, est inclusive au genre humain dans
son
ensemble. Dans ce sens qu'elle appartient par un privilège
spécial (don de Dieu), à toute la grande famille des hommes.
VI.1.4. Les droits exclusifs
Quant au second sous-ensemble des droits composé de ce
que nous désignons par le terme « droits exclusifs »,
c'est aussi le chapitre V du T.G.C. de LOCKE qui en fournit la
matière et la formulation. Plus haut, nous avons vu que la
propriété commune ou le droit de posséder en commun les
biens du monde par tous les hommes trouve son origine dans la loi naturelle.
Ainsi, cette propriété commune donne à son tour naissance
au droit de posséder privativement (et toujours selon les fins
dictées par la loi de nature), les biens du monde.
Toujours dans ce même chapitre V, LOCKE s'efforce
d'établir pourquoi et à quelles fins les hommes acquièrent
la propriété exclusive sur certaines choses de la nature. Nous
avons vu que cette acquisition est possible dès l'état de nature
avec le travail, elle se poursuit dans la communauté politique où
elle est subordonnée à la fois à la loi naturelle,
à la règle consensuelle et aux artifices institutionnels :
« Ils (les hommes) ont donc institué dans leur rapports
mutuels, par une convention positive, un droit de propriété qui
porte sur des parties et des parcelles distinctes du monde
»135. Avant d'affirmer plus loin :
« Je pense donc qu'il est facile à
présent de concevoir comment le travail a pu donner, dans le
commencement du monde, un droit de propriété sur les choses
communes de la nature ; et comment l'usage que les nécessités de
la vie obligeaient d'en faire, réglait et limitait ce droit là :
en sorte qu'alors il ne pouvait y avoir aucun sujet de dispute par rapport aux
possessions. Le droit et la commodité allaient toujours de pair
»136.
Nous remarquons que pour J. LOCKE, le travail sur l'«
indivis originel » confère à son agent un droit de
propriété exclusive sur les fruits de son effort. A cette
propriété exclusive introduite par le travail, J. LOCKE admet
également que chacun se joint un droit analogue sur son corps, sa
liberté et sa vie. Autrement dit, chaque homme possède des droits
exclusifs sur son corps, sa liberté et sa vie. Ce droit exclusif a la
particularité d'exclure quiconque à user du fruit de mon
travail,
de mon corps, de ma liberté et de ma vie sans mon
consentement préalable. On peut ici reconnaître le droit à
la vie, le droit de disposer librement de sa personne ou l'auto
détermination, le droit au mouvement, le droit à l'expression, le
droit à la liberté, le droit, etc. Les rédacteurs de
la D. U.D.H. verraient dans ce dernier sous- ensemble de droits, la
première génération des droits fondamentaux : les
libertés civiques et politiques qui sont énumérés
dans ledit document par les articles : IV-XXI (ci-dessus page 53).
A ce niveau de notre étude, une remarque s'impose. Chez
J. LOCKE, les deux sous-ensembles de droits, c'est-à-dire, les inclusifs
et les exclusifs souffrent d'un manque de systématisation et de
spécification rigoureuses. Ils sont tous englobés dans des
catégories générales, comme le droit à la
conservation où il y a le droit à la liberté, droit
à la vie, etc. Nous en traiterons plus longuement (ci-dessous pages :
89-9 1). La conclusion qui s'impose pour l'instant, c'est que : J. LOCKE dans
sa théorie de la propriété ou théorie des droits,
ne présente pas encore une systématisation et une
spécification bien ferme des droits subjectifs en cause. Quand il essaie
de le faire, son approche est encore vague et implicite. Cependant, nous lui
reconnaissons le mérite d'avoir perçu et posé l'existence
des droits, qu'il estime non seulement fondamentaux, mais qu'il présente
également comme une obligation à l'humanité. Ces droits
s'enracinent dans la nature de l'homme, ils sont antérieurs à
toute législation positive. C'est dans ce sens qu'il faudra chercher le
lien de cette théorie de la propriété avec la philosophie
contemporaine des droits de l'homme, consécutive à la D.
U.D.H.
VI.3. Du paradigme lockien des droits de l'homme à
la philosophie contemporaine des droits de l'homme
L'anthropologie politique de J. LOCKE présente la
personne humaine dans la société civile comme la valeur
fondamentale. Le pouvoir et le droit sont à son service. Les droits
fondamentaux assignent à l'action de l'Etat tout à la fois ses
limites et ses fins. Comme limite, l'Etat se doit de ne rien entreprendre
contre eux. Comme fin, il se doit de les faire respecter par l'ensemble de la
société, et d'en assurer l'exercice effectif en créant les
conditions favorables à l'épanouissement de
la personne, laquelle apparaît comme
nécessairement posée devant l'autre, devant la communauté,
et exige de celui-là ou de celle-ci, la reconnaissance et le respect de
ses droits.
Cette pratique est en passe de devenir constitutive de notre
être-actuelau-monde. Nous sommes ici dans une philosophie bien
particulière, celle du « je », caractéristique
de la civilisation occidentale moderne. Cette philosophie du sujet dans
laquelle autrui, personne ou communauté, apparaît comme une menace
pour moi, comme celui qui me veut mort, qui me vole mon monde et dont le regard
me chosifie (SARTRE 1905-1980). D'où l'exigence de reconnaissance et de
respect de mes droits et de ceux d'autrui. Ainsi, le droit subjectif, qui
signifie les droits au pluriel : les droits de l'homme et du citoyen, les
droits des peuples, des groupes, etc. Il s'agit là des justifications
reconnues aux individus, aux groupes, aux peuples, etc., pour agir, pour
revendiquer, tandis qu'il est strictement interdit à d'autres d'y faire
obstruction. Ces droits reviennent aux hommes tout simplement en vertu de leur
humanité.
C'est là un trait particulier des philosophies du
sujet. Celle là même qu'on peut, à juste titre,
considérée comme une justification a priori, de la
réduction ontologique pratiquée arbitrairement par les cultures
dites «évoluées» sur les cultures
«primitives» ; ou encore, qui a été mise à
contribution pour légitimer la supériorité de certains
peuples sur d'autres. Comme nous le voyons, cela constitue un fond sur lequel
il est possible de soutenir que les Chartes relatives aux droits de l'homme en
général, et particulièrement celle de l'Assemblée
Générale des Nations Unies de l'après deuxième
guerre mondiale, n'a pas émergé ex-nihilo. Moins encore,
qu'elle n'est que la résultante de la répression et de la
prévention des conflits analogues à l'avenir. Les chartes des
droits de l'homme s'enracinent dans une tradition philosophique,
éthique, politique et juridique déjà apprêtée
par la société occidentale moderne. Cette base est l'ultime
protection de l'individu et de sa liberté. Dans cette optique, le lien
de l'anthropologie politique de J. LOCKE avec la nouvelle philosophie de la
liberté est grand. Mais quelle est exactement la nature de ce lien ?
Nous allons y arriver.
Entre temps, disons que chez J. LOCKE comme chez les
promoteurs contemporains de la philosophie des droits de l'homme, il est
possible de remarquer que, c'est à travers les événements
de la vie quotidienne que l'homme conçoit l'exercice de ses droits et de
ses devoirs. Cela sur le plan social, économique, politique,
philosophique et religieux. Il appartient cependant à l'Etat de mettre
en oeuvre des structures adéquates pour l'épanouissement des
libertés individuelles et collectives. A cette même
communauté politique, l'obligation incombe également de
créer et de favoriser l'éclosion des institutions scientifiques,
consentir pour cela un généreux investissement en personnel et en
moyens financiers, de manière à aider la communauté
à promouvoir une réflexion hardie sur les problèmes que
pose la vie en société. Ceci, en vue d'apporter des solutions
valables, tant pour le bien des individus que pour celui de la
communauté.
Conclusion
L'anthropologie politique de J. LOCKE est un cadre favorable
pour comprendre le sens du développement du libéralisme
politique. Elle situe ce développement dans son origine véritable
: très en deçà de sa polémique tardive avec les
socialismes, où il évoque le projet de constituer contre l'Ancien
Régime, un ordre politique délivré du pouvoir de la
religion, où l'homme est l'auteur conscient de ses conditions de vie.
L'idée centrale de ce libéralisme politique,
tout comme de cette anthropologie politique, est nous le savons, celle de
l'individu. Non pas l'individu comme cet être de chair et d'os, moins
encore comme Pierre distinct de Paul, mais comme cet être qui parce qu'il
est homme, est naturellement titulaire des droits dont on peut dresser la liste
et qu'on peut revendiquer. Ces droits lui sont attachés
indépendamment de sa fonction, de sa race, de sa religion, de son
opinion politique, etc., et font de lui l'égal de tout autre homme. Ces
droits sont tout simplement inhérents à l'ontologie même de
tous et de chaque homme.
Le libéralisme politique s'identifie ici à
l'anthropologie politique de J. LOCKE. Et la philosophie contemporaine des
droits de l'homme comme nous l'avons vu, peut apparaître comme le
prolongement de cette doctrine. Ainsi, nous retrouvons notre question de
départ, à savoir, ce libéralisme politique originaire, en
bien des points tributaire des idées politiques de J. LOCKE, a-t-il eu
une incidence sur la dynamique contemporaine des droits de l'homme ? Cette
question nous permet d'amorcer la troisième et dernière partie de
notre étude, à savoir celle que nous avons intitulée :
l'anthropologie politique de J. LOCKE et la D. U.D.H..
TROISIEME PARTIE : L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE ET LA DECLARATION
UNIVERSELLE DES DROITS
DE L'HOMME
|
Introduction
Les chapitres antérieurs ont montré que cette
permanence existe. En effet, le paradigme lockien de la communauté
politique comme la D. U.D.H. enveloppent toute une théorie de
la citoyenneté. Par le consentement à la vie civile et par la
confiance qu'il accorde au pouvoir public, l'individu se transforme en citoyen.
Ce qui constitue une mutation et une promotion ; et en s'incorporant librement
au corps public, chacun participe désormais à sa propre gestion
en accédant à la dignité politique. Nous nous retrouvant
ici en face de l'un des axiomes de base du libéralisme politique, qui
est présente aussi bien dans l'anthropologie politique de J. LCOKE que
dans la D.U.D.H. Les droits du citoyen sont une obligation à la
citoyenneté. Quiconque n'assume pas ce devoir, n'accomplit pas son
humanité. L'autorité et tous les moyens mise à sa
disposition, ne sauraient ériger son pouvoir au-dessus des normes de la
république. Ainsi, nous retrouvons la question centrale de notre
recherche. A savoir : l'interrogation portant sur la nature véritable de
cette permanence constatée entre ces deux systèmes. L'enjeu ici
est d'établir le rapport véritable qui existe entre
l'anthropologie politique de J. LOCKE et la D. U.D.H., matrice de la
conscience contemporaine des droits de l'homme.
Nous allons tenter d'accéder à
l'intelligibilité de cette permanence en trois niveau.
Premièrement, au niveau des origines ; deuxièmement, au niveau
doctrinal et conceptuel et troisièmement enfin, au niveau des
finalités. A cet effet notre concept s'articulera en deux temps
où seront successivement examinés deux aspects du même. Le
premier aspect correspond à l'ordre dans lequel ranger cette permanence
; autrement dit, cette permanence est-elle de l'ordre de l'analogie, de
l'homologie ou de l'identité. Tandis que le second aspect essayera de
montrer qu'une telle approche de la question est non seulement susceptible de
porter un coup sérieux à la légitimité de la
dynamique des droits de l'homme et à leur tendance à
l'universalité, mais aussi ignore la signification profonde de
l'histoire des idées. Nous présenterons les conséquences
qui découlent d'une telle attitude, avant de proposer ce que nous osons
appeler : «une position prudente et constructive».
Chapitre VII. Identité, analogie ou homologie
?
VII.1. Analogie ?
M. FOUCAULT (1968-1984), classe l'analogie parmi les quatre
formes de ressemblances qui sont à la base de la culture
occidentale137. Simple métaphore ou expression authentique
d'un rapport entre les êtres (phénomènes, choses,
réalités), elle renvoie à un mode de connaissance. Certes,
ce mode n'a pas la certitude de la démonstration, mais il n'est pas non
plus, contraint à l'étroitesse des domaines d'application.
L'alchimie, la théologie, la biologie, la physique, etc., sont autant de
domaines où il a permis l'extension du savoir. Il permet de
procéder du connu à l'inconnu dans l'exploration de la nature, et
d'outrepasser les limites de notre expérience.
En recourant à procédé, nous voulons tout
simplement rendre compte des similitudes perçues dans les sections
précédentes de notre étude, entre l'anthropologie
politique de J. LOCKE et la philosophie contemporaine des droits de l'homme. En
d'autres termes, ce procédé nous aidera à rendre compte de
la possibilité objective d'une mise en liaison entre ces deux
systèmes qui pensent la condition sociale et politique de l'homme.
Théoriquement et originairement, les droits de l'homme
se rattachent à une vieille tradition. Ce sont les droits naturels
d'origine divine qui avaient déjà été
affirmés par les Pères de l'Eglise, confirmés ensuite par
le mouvement philosophique des Lumières sous la houlette de J.
LOCKE. Les Déclarations anglaise
de 1689
|
(ci-dessus page 59),
|
américaine de 1776
|
(ci-dessus pages 59-60)
|
et
|
137M. FOUCAULT, Les Mots et les choses, une
archéologie des sciences humaines, Gallimard, 1966, p. 38.
française de 1789
|
(cf. pages : 60-6 1),
|
représentent le plus haut degré de leur
|
idéalisation à cette époque.
De nos jours, l'O.N.U. a, non seulement facilité la
promotion et la défense de ces droits, mais aussi, elle les a
systématisés en droits civils et politiques, économiques,
sociaux et culturels et les a codifiés en un système juridique
international. La D. U.D.H. fut de très près suivie
d'autres conventions analogues tant internationales que régionales en
vue de la renforcer (voir pages : ). Les
138A. I., D. U.D.H., Préambule,
1er Considérant, p. 18. 139Idem.,
Article I, déjà cité dans cette étude p. 55.
protocoles additionnels de 1966 : P.R.D.C.P. et le
P.R.D.S.E.C. d'une part et la C.E.D.H. 1950. Les Africains
la C.A.D.P. promulguée par le Conseil des Ministres de
l'O.U.A., le 27 janvier 1981 à Banjul (Gambie), d'autre part,
s'inscrivent dans cette optique. A côté de tels documents il
existe bien d'autres chartes encore.
Somme toute, la D. U.D.H. nous reporte ces
mêmes droits jadis considérés comme «naturels».
Cette fois-ci, ils sont non seulement très bien élaborés
et bien spécifiés sur le plan politique, juridique,
économique et social, mais aussi, présentés dans un
système qui oblige toute l'humanité, expression d'une
déclaration universelle. Rappelons-nous de l'objectif visé par
la D. U.D.H., instaurer au lendemain du chaos social et politique
inauguré par le nazisme et les fascismes au milieu de
XXème siècle, un nouvel ordre mondial, fondé
sur les valeurs de respect de la personne, de respect de la dignité
humaine138. Autrement dit son idéal est de parvenir à
l'éradication progressive du mal dans l'homme, de réaliser un
monde apaisé, dans lequel l'ombre du totalitarisme et des injustices
sociales sera quasi- absente. La théorie des droits naturels sert de
base de justification rationnelle à cette dynamique, désormais
internationale et mondiale139.
De la même façon que J. LOCKE entendait combattre
l'absolutisme et les despotismes de son époque, de cette même
façon, la D. U.D.H. estime réaliser et instaurer des
relations plus humaines, un idéal d'équité. La monarchie
constitutionnelle qui fait l'objet d'une apologie chez J. LOCKE,
représente l'incarnation de ce paradigme d'un ordre politique,
économique et social plus humain. Bien que situés en contextes
historiques très différents, les deux productions ont en commun
une seule et même préoccupation, le destin de l'homme et les
mêmes visées : éradiquer la violence, la tyrannie,
l'intolérance, etc. Il se trouve aussi que le fondement et la
justification rationnelle de l'entreprise lockienne passent par la
théorie des droits naturels d'origine divine.
Le contexte historique de l'apparition de ces droits au sens
moderne, c'est d'abord une volonté de protéger la liberté
de l'homme par rapport à l'Etat. Cette genèse historique fait
d'eux l'expression des intérêts de certains groupes sociaux
à partir des conditions politiques et socio-économiques
concrètes. C'est en fonction d'une telle constellation historique unique
que les acteurs sociaux ont instauré ce nouveau modèle du
politique. Bien qu'ayant une genèse socio-historique concrète,
ils réclament en outre et partout, une validité qui va
au-delà de ce contexte concret de leur apparition (nous allons revenir
sur cet aspect, cf. page : 91). Aujourd'hui, les droits de l'homme prennent une
autre ampleur : ils entraînent des obligations positives aussi bien de la
part des particuliers que de celle des Etats.
Cependant, du point de vue doctrinal et conceptuel, on
relève quelque discordance. J. LOCKE en ultime recours, autorise les
citoyens à fomenter la dissolution d'un gouvernement en lui opposant la
force. Dans les cas limites, il va jusqu'à préconiser la mise
à mort de l'autorité qui au lieu de remplir correctement la
mission qui lui est dévolue, secrète une incompétence
notoire, et s'érige en véritable ennemi du peuple et de la
communauté politique (cf. pages : 31-36 ; 4 1-49),. Sur ce chapitre,
la D. U.D.H. préconise une attitude très
modérée, qui recommande de procéder pacifiquement. Car, la
force n'est pas le moyen le mieux indiqué pour résoudre les
problèmes140. A ceci, nous ajouterons bientôt d'autres
remarques (ci- dessous pages : 91-114). Ce sont là des
éléments qui nous empêchent de conclure à une
analogie parfaite entre les deux systèmes analysés.
VII.2. Homologie ?
L'homologie désigne la similitude morphologique entre
deux ou plusieurs êtres. Nous recourons à l'homologie pour
établir le rapport de la parenté entre l'aspect doctrinal et
conceptuel de l'anthropologie politique de J. LOCKE, et la D. U.D.H.
Cependant, peut-on dire du système politique lockien qu'il est homologue
à celui promulgué par la D. U.D.H. ?
Il est manifeste que l'anthropologie politique de J. LOCKE est
un modèle d'humanisme. Ce modèle évoque
déjà, en fait, tous les droits de l'homme tel que nous les
connaissons aujourd'hui : les droits individuels et collectifs ; le droit
à
140A. I., Op. Cit. Préambule,
2ème Considérant, p.18.
l'intégrité physique et morale ; les droits et
les devoirs de l'Etat ; les droits des communautés ; les droits des
groupes d'individus ; les droits économiques, sociaux, culturels, etc.
Dans cette perspective, nous estimons que ce modèle d'humanisme est
prêt à rejoindre celui incarné par la D.U.D.H.
Dans ce sens, il est possible de parler d'homologie.
Mais, il importe aussi de remarquer que chez l'auteur du
T.G.C., ces droits ne sont pas clairement spécifiés, et
ne font pas l'objet d'une taxinomie et d'une systématisation
rigoureuses, comme cela est le cas dans la D. U.D.H. Ils sont
englobés dans des catégories ou concepts généraux
(ci-dessous pages : 94-97). Mais à partir du paradigme politique
lockien, nous le soulignons, il est déjà possible de parvenir
à une représentation des droits de l'homme.
Il convient aussi de noter que la théorie politique
lockienne n'a pas la même valeur que le document onusien. Il faut, en
effet, le souligner, ce dernier de plus en plus se présente comme ayant
force de loi. Actuellement, il est possible de demander des comptes à
tout contrevenant aux droits de l'homme : Etats, institutions, personnes
privées, etc. Voici autant d'éléments qui recommandent la
prudence dans l'application du qualificatif «homologue» aux deux
systèmes. Reconnaissons qu'il y a homologie, mais celle-ci n'est pas
rigoureuse.
VII.3. Identité ?
L'origine de ce mot (du latin idem : ce qui est le
même), le situe d'emblée au sein de la dialectique du même
et de l'autre ; au pôle du semblable, opposé alors à ce qui
est différent ou divers. Il signifie soit l'identité essentielle
d'un être à lui- même à travers des figures
différentes qu'il est susceptible de revêtir au cour de son
évolution, soit l'égalité de deux êtres en parfaite
réduplication de forme et de grandeur ou des qualifications
conceptuelles marquant pour des objets divers un semblable rapport au vrai.
Nous allons nous attarder sur le premier sens.
Nous sommes fondés à parler d'identité
dans un certain sens pendant que dans un autre le rapport n'est pas concluant.
Nous remarquons qu'il y a identité en ce qui concerne les origines :
l'anthropologie politique de J. LOCKE et la D. U.D.H.,
s'enracinent dans la théorie des droits naturels
d'origine divine. Donc originairement, les deux documents ressortissent
à un seul et même système ; le second étant la
représentation d'une étape plus évoluée du premier.
Il est ici question d'une identité essentielle : il y a une
parenté génétique entre le modèle lockien
d'humanisme politique et celui de la D. U.D.H.
Notre étude a conduit à admettre qu'il est
également possible de parler d'identité dans le sens des
objectifs visés par les deux systèmes (pages : 86-88). Ceux-ci
sont animés par une prétention ou une préoccupation
commune. Dans la mesure où ils se consacrent au problème de la
destinée de la grande famille humaine : l'espèce humaine. Dans le
même ordre d'idées, ils tentent de fonder une véritable
société reposant sur des valeurs d'équité, de
justice, de paix, d'égalité et de progrès. Dans une telle
société, la tyrannie, l'absolutisme, le totalitarisme, les
injustices, les guerres, etc., n'ont pas droit de cité.
Enfin, au niveau doctrinal, plus précisément
dans la consécration des droits attribués à l'homme. Chez
J. LOCKE comme chez les rédacteurs de la D.U.D.H., ce
critère reste l'égalité et la liberté à la
naissance, la conscience et la raison; autrement dit, la dignité
humaine. Ce sont ces qualités qui fondent la fraternité entre les
hommes (ci-dessus page 3, note 4 ; page 55, note 108 et page 56, note 109).
Il va s'en dire que dans son système J. LOCKE a
perçu certains droits qui sont les mêmes (ou ont un correspondant)
que ceux consacrés par le document onusien. Ce lien tient à la
fois entre l'analogie, l'homologie et l'identité. Cependant la
classification et le fonctionnement de ces droits n'obéissent pas
à un même schéma. A ce niveau de notre analyse, une
question se formule : dans quelle mesure exactement il est possible de soutenir
que LOCKE est le père de la D. U.D.H.?
Chapitre VIII. J. LOCKE et la Déclaration
universelle des droits de l'homme
VIII.1. J. LOCKE, un ancêtre droits de
l'homme
Le contexte historique d'apparition des droits de l'homme les
présente comme garantie conférée à une
minorité religieuse (les puritains ou la bourgeoisie en pleine
expansion) pour se protéger de l'emprise étatique aux mains de la
majorité religieuse. Les puritains sont des dissidents de l'Eglise
anglicane et de la politique de l'empire britannique des STUART. Le
T.G.C. de LOCKE a beaucoup influencé leur position, tout comme
il peut aussi être la justification a posteriori de la
Glorious revolution, leur mouvement. Les Déclarations
américaine et française des droits de l'homme ne peuvent se
comprendre et s'expliquer, qu'en se rattachant à cet ouvrage de LOCKE.
L'élan contestataire véhiculé par cet ouvrage s'enracine
dans la philosophie du droit naturel, et se présente essentiellement
comme une entreprise de rationalisation des revendications provenant de ces
minorités.
La D. U.D.H. de 1948 est aussi une oeuvre de
réaction. Elle n'est plus une réaction contre les aristocrates,
mais contre les atrocités du nazisme et des fascismes. L'objectif
qu'elle poursuit est de déterminer une sphère d'autonomie
à l'intérieur de laquelle l'Etat ne puisse s'immiscer. Au profit
de la liberté et de l'autonomie, elle entend mettre des barrières
juridiques à l'action de l'Etat. Elle a étendu les droits
individuels, reconnu et proclamé les droits des Etats et des peuples.
Elle a même fait les droits de la troisième
génération comme : les droits de solidarité, le droit au
développement, le droit à la paix, le droit à un
environnement sain, etc. Donc, historiquement, le système politique de
LOCKE et la D. U.D.H. sont d'abord deux réalités
différentes qu'il ne faut pas confondre.
Par ailleurs, après une phénoménologie
respective de ces deux systèmes, il est possible de relever des
similitudes. Cela est une évidence. Ainsi, à la suite de
l'anthropologie politique de J. LOCKE, la charte de 1948 considère
d'emblée que l'ordre politique est au service des personnes, et non le
contraire. Cet ordre doit être élaboré en fonction des
personnes et non le contraire ; parce qu'il n'existe pas de
sociétés qui précèdent celles que les personnes ont
instituées. Nous remarquons une insistance radicale sur la
priorité de la personne, priorité qui nous rappelle les
sophistes. 87
La société n'existe que par les personnes et
pour les personnes, et celles- ci ne la constituent qu'en vue de leur seule
promotion. En aucune façon, la société n'a de valeur ou de
consistance par elle-même. Autrement dit, la société est
loin d'être une réalité antérieure aux personnes qui
la constituent. De ce point de vue, le lien entre l'anthropologie politique de
J. LOCKE et la D. U.D.H. est saisissant. Ce ne serait pas commettre un
contresens ni divaguer que de regarder l'anthropologie politique de LOCKE comme
l'une des sources de la dynamique mondiale contemporaine des droits de
l'homme.
VIII.2. L'aspect théorique des traités
politiques de J. LOCKE
L'oeuvre politique de J. LOCKE, dont la plus grande partie est
exposée dans la L.T. et le T.G.C., constitue un
ensemble d'essais de philosophie politique. C'est là, ce qui nous
autorise à affirmer qu'elle est un simple modèle d'analyse et
d'interprétation philosophique du fait politique et juridique. Cette
anthropologie politique et la théorie des droits qui en découle
présente une valeur d'ordre épistémologique, en
enrichissant la connaissance spéculative.
S'inspirant de la réalité politique et juridique
de son époque, irrationnelle, J. LOCKE s'en démarque et essaie
d'en projeter une autre, qui augure de meilleurs lendemains pour
l'espèce humaine. Il conçoit qu'il est absurde pour des
êtres doués de raison, c'est-à-dire pour l'humanité
et pour des Etats, de continuer à vivre dans un monde où leurs
relations réciproques ne sont pas régies par un système
juridique dans lequel, les droits des citoyens sont conçus comme la
contrepartie de leurs devoirs vis-à-vis de l'Etat. Ceci, pour le bien de
tous et de chacun, pour la survie de la communauté politique et la
continuité de l'Etat.
J. LOCKE essaie de donner à l'humanité un
nouveau dessein moral. Son système n'a aucune valeur, au sens strict,
sur le plan juridique. Autrement dit, il n'a aucune valeur contraignante, il
n'a pas force de loi. Les résolutions qui y sont indiquées
n'obligent pas les hommes et les Etats. Elles sont une contribution
théorique, à l'amendement de la condition politique et juridique
de l'humanité. Les contributions de LOCKE ont eu non seulement une
influence considérable sur la
141J. LOCKE, T.G.C., chapitre V : De la
propriété des choses, § 41, p. 174. 142 Cf., ci-dessus,
pages : 54-55 ; pages : 57-59.
renaissance du droit au milieu du XXème
siècle, mais aussi sur la formalisation juridique des droits de l'homme,
y compris dans le droit international.
VIII.3. Manque de taxinomie des droits dans les
traités de J. LOCKE
Répétons que la théorie lockienne des
droits ne présente pas une systématisation et une
spécification des droits de l'homme qu'elle énonce. Elle les
englobe tous, sans toutefois les spécifier, dans des concepts
génériques « moyens nécessaires à la
conservation » ou à la « subsistance », ou
encore « droits fondamentaux ». Rares sont les moments
où elle essaie d'être un peu plus explicite. Quand cet effort est
fait, l'indication reste sommaire et vague : « un droit d'user des
biens du monde dont il (Dieu) les a doté si
généreusement pourvu pour qu'ils en tirent leur nourriture, leurs
vêtements et tout ce qui sert de confort à la vie
»141. Les droits sont énoncés de
façon lacunaire et approximative, comme des principes
généraux, ils sont d'une tonalité hautement
philosophique.
Faute de taxinomie et de systématisation hautement
élaborées, les droits de l'homme dans la théorie des
droits de LOCKE sont encore embrigadés dans des catégories
conceptuelles génériques. Il revient au lecteur de déduire
à l'issue d'un effort personnel, quels sont les droits de l'homme
correspondants ou quels sont leurs répondants dans la philosophie
contemporaine des droits de l'homme. Peut-être, à travers cet
acte, LOCKE veut-il nous faire croire qu'une liste exhaustive des droits de
l'homme n'est pas de mise. C'est donc peine perdue, que de vouloir en dresser
une à tout prix. La D. U.D.H. elle-même semble consacrer
cet aspect. N'est-elle pas sans cesse complétée par de multiples
pactes régionaux et internationaux142 ?
Néanmoins, la théorie lockienne à un
mérite : elle a non seulement su poser ces droits comme fondamentaux,
mais aussi, elle a su les présenter comme une obligation à
l'humanité. Dans ce sens, les idées de J. LOCKE ont
été à l'origine de
Du reste, le silence sur l'origine sémitique,
bouddhiste, hindouiste de la spiritualité chrétienne, matrice des
valeurs qui ont façonné l'Occident, comme les droits de l'homme,
et qui sont en train de façonner le monde, nous paraît suspect. Il
est grand temps de réhabiliter la mémoire de ces pensées
fondatrices qui ont posé
la Déclaration anglaise des droits de 1689, en
marge de la Glorious Revolution et à la base de celle à
partir de laquelle les Américains se constituèrent peuple en
1776. C'est encore elle qui sous-tend la Déclaration
française des droits de 1789 ; aussi, la philosophie des droits de
l'homme, telle que nous la connaissons aujourd'hui, y est plus ou moins
explicitement formulée.
Comme nous pouvons le constater, la pensée politique de
J. LOCKE est à l'avant-garde de tous les mouvements des droits de
l'homme, depuis la fin du XVIIème siècle et durant
tout le XVIIIème siècle. Elle a su tracer
l'épure des régimes démocratiques modernes, dont nous
sommes aujourd'hui les plus grands héritiers. Elle est le terreau sur
lequel la plupart des démocraties contemporaines trouvent inspiration et
se formalisent. Elle pose le régime démocratique comme le
meilleur, en comparaison de tous les autres régimes politiques. C'est le
seul, selon J. LOCKE, qui puisse, sans se contredire conjuguer
simultanément la liberté des membres de la communauté
politique et l'autorité des gouvernants. On ne se trompe pas en
soutenant, que c'est la pensée de LOCKE que l'on retrouve dans les
présupposés c'est- à-dire, les sous-entendus, de la D.
U.D.H. C'est dans ce sens qu'il est un ancêtre lointain de la
dynamique contemporaine des droits de l'homme, dont il serait cependant peu
raisonnable de lui attribuer la paternité exclusive.
Cette attitude pécherai par l'ignorance de l'histoire
des idées, car il n'existe pas de pensée sans mémoire, et
l'anthropologie politique de J. LOCKE ne sort pas de ce cadre. Elle est
tributaire de la morale judéo-chrétienne et de la pensée
grecque classique, lesquelles s'étaient alliées en Occident
à un riche développement spéculatif ultérieur venu
de l'Orient. Ainsi de la même manière que saint THOMAS s'incline
devant PLATON et ARISTOTE comme pères de la pensée et
légataires universels de ses instruments formels, de même, il
apparaît sensé de soutenir que la pensée de J. LOCKE
s'enracine aussi dans un fond culturel préalable venu de l'Inde, de la
Chine et de l'Egypte.
les jalons et tracé la voie de la réflexion
philosophico-scientifique dont le génie occidental a su tirer parti pour
son propre compte. Ce silence risque de véhiculer une idéologie
qui évoque en philosophie un débat devenu classique : la
suprématie de la culture occidentale, l'inutilité ou
l'infériorité de toutes les autres cultures qui
n'intègrent pas ce modèle.
Affirmer le rattachement exclusif du mouvement contemporain
des droits de l'homme à l'anthropologie politique de J. LOCKE,
équivaudrait d'ailleurs à concevoir les droits de l'homme comme
fondamentalement au service d'une catégorie bien précise
d'individus, les puritains ou la bourgeoisie (cf., ci-dessous page 91). Enfin,
pareille attitude tendrait à légitimer les droits de l'homme sur
le seul versant de la rationalité de l'homme. De là, peuvent de
sérieuses atteintes au mouvement des droits de l'homme qui, de nos
jours, se veut mondial. L'enjeu ici est que cette attitude empêche tous
les individus ne se réclamant pas de la culture occidentale de se
reconnaître dans les valeurs incarnées par le paradigme des droits
de l'homme. Ces valeurs ne représentant aucun idéal social
sérieux pour eux. Ou encore pour ceux qui s'y reconnaissent, une
occasion d'exclure tout ceux qui ne s'y reconnaissent pas. Enfin, pour cette
catégorie bien précise d'individus dont nous parlions plus haut,
la bourgeoisie montante, d'exclure tous ceux qui ne font pas partie de leur
caste de l'exercice et des avantages réels résultants de ce
paradigme.
Par ailleurs, cette attitude fonde également les droits
de l'homme sur la rationalité humaine. Donc tous les hommes devraient
non seulement les reconnaître, mais aussi, les respecter automatiquement.
Or, la vie quotidienne dément formellement cette thèse, car les
droits de l'homme sont partout bafoués. En dernière analyse,
l'anthropologie politique de J. LOCKE présente quelque difficulté
à fonder de façon apodictique la D. U.D.H. et la
nécessité à l'universalité des droits fondamentaux.
Il faut ici reconnaître sa contingence. A cet effet, nous estimons qu'il
apparaît beaucoup plus judicieux de soutenir que les droits de l'homme ne
sont pas du seul ressort de l'anthropologie politique de J. LOCKE. Il convient
donc de chercher d'autres anthropologies.
143E. B. J., Op. Cit., Genèse I,
26-27. 144Idem, Jean I. 12-13.
145Idem, Ephésiens IV, 23-24.
146Idem, Galates III, 28.
Chapitre IX. Les droits de l'homme, un long processus
historique
La D.U.D.H., n'est pas une invention abrupte,
c'est-à-dire une création ex- nihilo. Elle est une
formulation systématisée et formalisée d'un acquis par
processus de la conscience historique. Nous allons essayer d'en faire
l'histoire. Celle-ci remonte aux périodes historiques les plus
lointaines : textes des grandes religions judéo-chrétiens et
arabo-musulman ; textes babyloniens d'HAMOURABI et égyptiens ; textes
gréco-latins. Même chez les peuples sans écriture, les
principes relatifs au respect des personnes sont présents dans les
traditions de pensées, de religions, des arrêts de tribunaux
coutumiers, etc. Essayons d'examiner la quintessence de ces cultures en
matière des droits de l'homme.
IX.1. L'expérience des grandes religions
IX.1.1. Le message judéo-chrétien
La finalité de la D. U.D.H., coïncide
avec le précepte judéo-chrétien du respect de la personne
et de « l'amour du prochain ». Cette doctrine, les
éléments historiques nous le montrent, est formulée
dès le premier livre de l'Ancien Testament, la
Genèse, qui déclare l'homme fait à l'image de
Dieu 143 . D'où sa participation au projet
général de ce dernier. Ce rattachement et cette participation (de
l'homme) au projet général de Dieu, est le fondement de la
dignité inhérente à l'homme, et la source des droits de
l'homme.
Le Nouveau Testament ne s'éloigne pas de cette
vision : « JESUS Christ est venu sur terre pour l'homme, pour
réaliser son salut ». En effet, devenu le principe universel
de salut, il obtient pour chaque homme de devenir fils de Dieu 144. En
d'autres termes, chaque homme est devenu une nouvelle créature,
née par le Saint-Esprit. Tous ceux qui adhèrent à
lui par la foi et le baptême, constituent la famille de Dieu. Dans cette
famille, il n'y a « ni juif, ni grec, ni femme, ni homme, ni esclave,
ni homme libre ; tous ne font qu'un dans le Christ JESUS
»145. Tout homme est l'image du DIEU invisible et, le
frère du Christ146.
Ainsi, le juif, le chrétien trouvent en chaque homme
Dieu lui-même, avec son exigence absolue de justice et d'amour. Le
précepte de « l'amour du prochain » trouve ici toute
sa signification et se traduit aussi bien en commandement de Dieu qu'en celui
de l'Eglise. Sur le plan des rapports inter humains, il inspire le principe de
l'existence en l'homme, du droit au respect. C'est sur cet aspect qu'à
la suite de l'Ancien Testament, le christianisme fonde la
reconnaissance, le respect de la dignité humaine et tout ce qui en
découle. C'est également sur ce même principe que les
rédacteurs de la Déclaration américaine des
droits de 1776 s'appuyèrent pour justifier leur entreprise de
sécession vis-à-vis de l'empire britannique et du roi de
Grande-Bretagne : « Nous tenons ces vérités pour
évidentes par elles-mêmes que tous les hommes naissent
égaux, que leur créateur les a dotés de certains droits
inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche
du bonheur »147 . Enfin, nous remarquons que, c'est sur ce
même aspect que l'Eglise Catholique, une spécificité du
Christianisme, fonde sa doctrine sur les droits de l'homme148.
C'est en reprenant à son propre compte
l'expérience de la Bible, des Pères de l'Eglise, des
membres de l'Ecole juridique et de l'école théologique espagnoles
du XVIème siècle (VITORIA, SUAREZ, LAS CASAS), que
l'Eglise catholique fonde sa doctrine actuelle en matière des droits de
l'homme. Habituellement, celle-ci admet le fondement des droits de l'homme
déjà dans la loi naturelle. Ses prémisses : l'ordre social
est orienté vers le bien des personnes, chaque personne est dotée
de l'intelligence et de liberté, la personne humaine est et doit
être le sujet, le principe et la fin de toutes institutions sociales.
Sur ces prémisses, le magistère fonde et affirme
les grandes libertés et droits fondamentaux149 :
égalité, dignité en nature sans distinction de race, de
147C. BECKER, Op. cit., p. 263. Presque
toutes les déclarations des droits de l'homme proclament les droits sous
les auspices de l'Être Suprême. Cf. Les préambules de la
Déclaration française de 1789, de la constitution
américaine de 1791 et même de la Déclaration
universelle des droits de l'homme de 1948.
148La doctrine de l'Eglise catholique sur les
droits de l'homme est résumée dans COMMISSION PONTIFICALE JUSTICE
ET PAIX, L'Eglise et les droits de l'homme document de travail
n°1, Librairie Editrice Vaticane, 1975. Sur le même chapitre,
nous renvoyons aux excellentes contributions de monseigneur TSHIBANGOU
THISHIKU, «L'Eglise et les droits de l'homme», in
Philosophie et droits de l'homme, Actes de la 5ème semaine
philosophique de Kinshasa, du 26 avril au 1er mai 1981, pp. 17-31 et
de G. THILIS, «Droits de l'homme et théologie catholique», in
Revue théologique de Louvain, 1980, n° 03, pp. 352-361.
149Une liste exhaustive des grandes libertés
et droits fondamentaux est dressée dans COMMISSION PONTIFICALE JUSTICE
ET PAIX, L'Eglise et les droits de l'homme, document de travail
n°1, Librairie Editrice Vaticane, 1975, pp. 22-24.
|
|
93
|
150 Idem. pp. 24-28.
151Comme la déclaration Dignitas humanae
personae sur la liberté religieuse et Gaudium et spes, sur
l'Eglise dans le monde contemporain.
152 Sur cette polémique, nous renvoyons à S.
LAGHMANI, «Pensées musulmanes et théorie des droits de
l'homme», in Y-J. MORIN (dir.), Op. Cit., pp. 147-149. Du
même auteur, «Islam et droits de l'homme», in G. COGNAC &
A. ABDELFATAH (dir.), Islam et droits de l'homme, Economica, 1994, pp.
:42-46. Egalement, P. TAVERNIER, «Les Etats arabes, l'O.N.U. et les droits
de l'homme. La déclaration universelle des droits de l'homme et les
pactes de 1966», in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Op.
Cit., p. 57, Note 1. Egalement S. DIOP, «Islam et droits de l'homme,
une problématique actuelle, un impacte certain», in G. COGNAC &
A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., pp. 73-83. Enfin, Y. BEN ACHOUR,
«Nature, raison et révélation dans la philosophie du droit
des auteurs sunnites», in Y-J. MORIN (dir.), Op. Cit., pp.1
59-160.
153S. LAGHMANI, «Islam et droits de l'homme»
in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., pp. 51-52; Y. BEN
ACHOUR, Article cité, in Y-J. MORIN (dir.), Op., Cit., pp.1
66-167.
154Cf., ci-dessous pages : 111-113.
155Sourate des Croyants, 115; Sourate Sâd, 17 ;
Sourate de la Fumée, 38,39.
religion ; droit à la vie, intégrité
physique et morale, etc. Le magistère a également mis en
lumière plusieurs libertés ou droits fondamentaux150,
notamment dans le domaine des droits civils, politiques, économiques,
sociaux et culturels qui ont pour objet : l'association, le mariage, la
famille, la participation à la vie politique de son pays, le travail, la
propriété privée, la liberté dans le choix de son
état vie, l'éducation, la liberté de mouvement et de
résidence à l'intérieur du pays où l'on est
résident, etc., qui tous, constituent des secteurs clés de toutes
activités individuelles ou collectives.
Un moment décisif, dans l'élaboration de cette
doctrine est l'oeuvre du pape LEON XIII. Trois grandes encycliques sont
à mettre en exergue : Immortale dei, Sapientia
christianae et Libertas praestantissima. Dans ces encycliques, ce
pape traite des constitutions des Etats modernes et de leurs relations avec
l'Eglise. Il reconnaît à celle-ci une perfection propre dans son
ordre et une indépendance légitime dans son domaine. En
même temps, il y affirme les droits fondamentaux de l'homme, en
particulier celui des citoyens dans la vie politique des Etats. Par ailleurs,
il situe le rôle du jugement normatif que l'Eglise a le droit d'exercer
vis-à- vis des Etats. Sur le plan social, la célèbre
encyclique Rerum novarum, 1891 (Les choses nouvelles) traite
des droits de l'homme dans le domaine social. Elle appelle les Etats et les
employeurs à reconnaître le droit des travailleurs à la
justice, précisément dans les relations travailleurs/employeurs.
Un accent particulier est mis sur la rémunération, qui doit
être en mesure de couvrir les besoins du travailleur.
Au XXème siècle, les
différents papes de PIE XI à JEAN PAUL II, ainsi que certaines
déclarations151 du Concile Vatican II et du Synode Episcopal
de 1971 relatif à la paix dans le monde, soulignent la signification et
la portée des droits de l'homme. Par exemple, PIE XI (1922-1939) dans
Quadragesimo anno (1931), urge les exigences générales
du bien commun et le devoir de l'autorité publique de veiller à
l'établissement des conditions économiques et sociales
indispensables à l'exercice concret des droits au travail. Dans
Divini redemptoris (1937), il oppose la doctrine des droits de la
personne aux principes et à la pratique du totalitarisme communiste
(LENINE) avant de s'enflammer dans d'autres textes analogues
contre les fascismes et le nazisme.
Dans le Synode Episcopale de 1971, les Évêques
déclarent « le combat pour la justice et la participation
à la transformation du monde ». Ce combat apparaît comme
une dimension constitutive de la prédication de l'Evangile,
laquelle est la mission de l'Eglise pour la rédemption de
l'humanité et sa libération de toute situation oppressive.
Dorénavant, la défense des droits de la personne humaine est
poursuivie par les conférences épiscopales ou par les
évêques individuellement et par toute la communauté
chrétienne. Elle est étudiée et animée par les
commissions nationales Justice et Paix, elles-mêmes, calquées sur
la grande Commission Pontificale du Saint Office.
IX.1.3. Le message coranique
D'entrée de jeu, il convient de rappeler que le rapport
de l'islam aux droits de l'homme constitue un véritable problème.
Nous faisons l'économie de cette polémique et de
l'idéologie qu'elle sous-entend152. Nous nous contentons de
rechercher dans l'islam les conditions théoriques de possibilité
d'une philosophie des droits de l'homme. C'est-à-dire la reconnaissance,
l'exacte nature des choses et de l'homme, puis l'aptitude de la raison humaine
à la découvrir, et enfin, la possibilité d'en
inférer des normes. En d'autres termes, nous interrogeons l'islam sur le
statut de l'homme, sur la place, le rang qu'il lui accorde, afin de conclure
s'il intègre ou non la théorie des droits de l'homme. Nous nous
limitons pour ce faire, à la pensée sunnite, qui nous est
familière.
Sur le statut de l'homme, le point de vue sunnite n'est plus
un mystère pour personne depuis le IXème siècle
ap. J.-C. (IIIème siècle de l'Hégire). Il est
le couronnement d'une controverse qui oppose deux courants sur
l'herméneutique coranique. Nous citons l'interprétation
rationaliste, ta 'wil, qui s'identifie au mu'
tazilisme et l'interprétation littérale
hassiyya, la position orthodoxe qui est en passe de devenir la
position officielle de l'islam en matière des droits de l'homme.
Consécutives à cette controverse, des disciplines virent
même le jour. Respectivement le 'ilm al-kalâm et le
'ilm al-hadith. Mais, ce sont plus les thèses
développées par le premier courant qui nous
intéressent.
Le mu 'tazilisme soutient les thèses de la
rationalité de Dieu et celle de la liberté de
l'homme153. Ces thèses expriment leur second principe,
relatif à la justice divine : adl. Ce principe conduit à
concevoir Dieu comme l'Etre Suprême, nécessairement juste, et qui
agit toujours en vue d'une fin ultime, le al-aslah : le meilleur et le
plus utile épanouissement de l'homme. Comme nous le voyons, il existe
chez les sunnites, une loi qui gouverne et anime l'univers. C'est cette
même loi que saint THOMAS d'Aquin découvrira et désignera
au XIIIème siècle ap. J.-C. (VIIème
siècle de l'Hégire) par la lex aeterna. Celle là
même que les Stoïciens, plusieurs siècles avant, assimilaient
à une tension qui parcourait l'univers et l'orientait vers une
fin154.
Il ressort que Dieu ne peut agir que justement et les hommes
peuvent choisir entre le bien et le mal, leur libre arbitre, la condition de
leur responsabilité. Or, tout choix présuppose l'aptitude
à le réaliser ; ce qui nous conduit à admettre que l'homme
peut qualifier les êtres, les actions de beaux/laids ou bonnes/mauvaises.
Donc, en elles-mêmes, les êtres contiennent de la valeur que la
raison humaine est à même de découvrir. Les décrets
divins ne sont donc pas la cause de la valeur des êtres, ils sanctionnent
plutôt une valeur des choses déjà là.
C'est-à-dire, antérieure à la révélation
dans la nature des êtres ou des choses.
Il y a donc une nature des choses, une loi naturelle
médiatisée par les êtres eux-mêmes, et qui est
accessible à l'homme par sa raison et son intelligence. Cette
thèse, qui est en fait le point de vue des théologiens
rationalistes, les mu 'tazilites, est communément admise par
les sunnites puisqu'elle tire ses origines du Coran
lui-même155. De telles prémisses, il est possible de
déduire une théorie des
156S. LAGHMANI, Article cité, in G. COGNAC
& A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., p. 55.
157Idem, pp. 52-54. Egalement, Y. B. ACHOUR,
Article cité, in Y-J. MORIN (dir.), Op. Cit., pp. 164-166
droits de l'homme. Ces prémisses auraient
été à cette théorie, ce que la pensée de
saint THOMAS a été à la philosophie moderne occidentale.
C'est à dire, sa condition théorique de possibilité. Ceci
est l'islam que rien ne sépare de la théorie des droits de
l'homme, l'islam humaniste :
« Le «ta 'will», le
retour au sens cher aux «mu 'tazilites», n'est possible que
parce qu'ils considèrent que le Coran ne crée pas la valeur mais
qu'il se limite à la consacrer, qu'il ne crée pas la
vérité mais qu'il se limite à la dire. L'homme peut poser
la question du pourquoi et du comment. Répondant au pourquoi, l'homme
découvre la fin de la règle et la fin de la règle est
supposée être la meilleure pour l'homme «al-aslah».
Il peut dire que le Coran ne pouvait au Ier siècle de
l'Hégire interdire l'esclavage mais il y tendait, il peut dire que
l'égalité est la fin de l'établissement des statuts de
l'homme et de la femme et que le moyen peut être transformé [...]
En tout cela, le «mu 'tazilite» se
référera à la nature des choses et mettra en oeuvre sa
raison pour atteindre ce qu'il suppose être la fin ultime de l'Islam : le
mieux pour l'homme »156.
Au lieu de bénéficier d'un sort plus noble, les
mu 'tazilites furent taxés d'apostats, et leur rationalisme
assimilé à l'athéisme. D'où les persécutions
au profit de la première tendance, au pouvoir et s'érige en
orthodoxie157. Celle-ci est un strict volontarisme divin, le dogme
de l'absolue liberté de Dieu, de la totale soumission de l'homme
à cette volonté et de la totale incompétence de la raison
et de l'intelligence humaines dans l'intellection du dogme.
L'homme n'est pas le référent des normes qui
s'appliquent à lui, il n'en est que l'objet. Ce n'est pas en raison de
sa nature que de telles règles sont posées, mais uniquement par
la volonté de Dieu. C'est la position de l'islam traditionnel, donc
officiel qui ne considère l'homme que comme l'esclave d'une
volonté divine absolument libre. De cet islam, aucune théorie des
droits de l'homme n'est possible, pour la simple raison que l'homme y est
absent. La volonté divine étant absolument libre, aucune lex
aeterna n'est concevable, moins encore une lex naturalis. La
lex naturalis et la lex aeterna constituent des limites
à la sacro-sainte puissance d'ALLAH. La nature des choses n'existe pas ;
l'homme ne peut pas la découvrir. Un droit de la nature paraît
absurde :
« En somme, la théologie islamique orthodoxe
n'admet pas l'existence d'un droit naturel, soit d'un droit issu de la nature
et la raison, et comme tel
158CHAFIK CHEHATA, cité par Y. B. ACHOUR,
Article cité, in Y-J. MORIN (dir.), Op., Cit., p. 166.
indépendant de la révélation et des
dogmes religieux. Si DIEU l'avait voulu, répètent à
satiété les théologiens, il aurait inspiré à
son Prophète une loi toute
différente qui serait tout autant juste que celle qui
est prescrite »158.
C'est cette orthodoxie qu'aujourd'hui on identifie à
l'islam, alors qu'elle n'en a été en réalité qu'une
lecture. Elle est antinomique à la théorie des droits de l'homme,
donc, des droits naturels. L'homme n'a pas de droits, de sa nature on ne peut
inférer aucune norme, une théorie des droits de l'homme est
impossible. Dans cette perspective, il n'est possible de concevoir des droits
de l'homme que, comme des droits attribués par la bonté d'un Etre
Suprême, mais non en raison de la nature humaine.
L'homme au sens stricte, n'est pas sujet de droit. La seule
science en l'honneur désormais c'est le Fiqh : connaissance des
jugements divins concernant les actions des humains. Le Fiqh est
connaissance de la Shari'a, c'est-à-dire, la voie du salut que
Dieu a révélée aux hommes, elle comprend et dépasse
le droit dans son sens moderne, c'est une sorte de théologie pratique.
Il est donc impérativement interdit de se donner des libertés
vis-à-vis des droits de l'homme consacrés par Dieu ; on ne peut
ni ajouter, ni adapter. On s'interdit également de les historiciser. Les
règles et mécanismes de leur protection ne peuvent pas être
soumises à la loi de l'évolution.
Comme nous pouvons le constater, dans les deux cas,
c'est-à-dire, dans celui des théologiens rationalistes aussi bien
que dans celui des théologiens fidéistes de l'islam, l'on arrive
aux droits de l'homme. Soit, ce sont des droits que l'on détient par
nature, soit ce sont des droits attribués par le canal de la
volonté divine, le Créateur Suprême.
IX.2. L'expérience des cultures non
occidentales
IX.2.1. Les cultures africaines
Partout où ils existent, les hommes sont mus par des
postulats philosophiques qui orientent leurs actions dans toutes les
sphères de la vie. C'est aussi le cas de l'Afrique pré coloniale.
Ces peuples avaient des conceptions de valeurs sur lesquels reposaient leurs
systèmes juridiques positifs à partir desquels il
est possible de dériver une théorie des droits
de l'homme. Certes, c'est un fait que la connaissance de ces systèmes
juridiques reste problématique. Il n'existe que des études
fragmentaires ou enquêtes plus ou moins contestables à ce sujet.
Les chercheurs ayant consacré leurs temps à d'autres aspects de
la réalité sociale. Voilà pourquoi ces systèmes ne
sont pas connu ou encore sont très mal connu, tant sur le plan
théorique que sur celui des droits de l'homme qu'ils consacrent.
Mais il n'en demeure pas moins que les ancêtres
africains ont formulé des normes juridiques dans des systèmes
cohérents, pour la plupart oraux. C'est le constat qu'il est possible de
faire à l'examen de certains aspects constitutifs de l'anthropologie
négro-africaine. Par exemple, le cas des arrêts de justice rendus
par les tribunaux coutumiers et aussi de la terminologie des traditions de ces
différents peuples. Ce sont là, de précieuses indications
qu'il importe d'analyser, afin de voir dans quelle mesure les traditions orales
africaines, annoncent certains droits fondamentaux de la personne,
implicitement ou explicitement reconnus159. Les
contributions160 de TSHIAMALENGA NTUMBA, de S.
MBONYINKEBE et de MUKENGENDIBU qui nous paraissent très significatives
à cet effet.
Dans l'anthropologie Luba par exemple, ce que l'on
appelle «l'autre je» qui s'oppose à «moi» n'est pas
vu sous le signe de l'altérité, mais sous celui de la
communication originaire entre tous les hommes161.
C'est-à-dire que l'homme qui se manifeste à «moi»,
n'est pas autrui, altérité, «un autre moi», mais bien
plutôt, un muntunanyi, c'est-à-dire
«l'homme-avec-moi''162. C'est un être engagé
originairement à être mon partenaire et mon allié. Dans ce
sens, il correspond à tout homme en tant qu'il est mon égal,
qu'il est de la même origine que moi ; en tant que
159Nous sommes conscients du fait que quelques
lexèmes, aphorismes et les arrêts de tribunaux
épinglés dans une culture, à défaut des textes
suffisamment élaborés sur une question philosophique ne suffisent
pas en eux-mêmes pour restituer une philosophie qui serait commune
à cette culture. Conscients de ce fait, nous soulignons que notre
préoccupation n'est pas de restituer une philosophie africaine des
droits de l'homme, mais, un essai de construction de celle-ci.
160TSHIAMALENGA NTUMBA, «Les droits de l'homme
dans la tradition éthico-anthropologique «Luba». Essai de
construction analytique», pp. 301-311 ; de S. MBONYINKEBE, «Jalons
pour une véritable promotion de la personne en Afrique» pp. 329-337
et de MUKENGE-NDIBU, «Droits de l'homme et philosophie dans l'Afrique
traditionnelle et actuelle», pp. 245-261 ; Toutes, dans COLLECTIF,
Philosophie et droits de l'homme, les actes de la
5ème semaine philosophique de Kinshasa, du 26 avril au
1er mai 1981, Faculté Théologique de Kinshasa,
1982.
161Les Luba : peuple (ethnie) du Congo
Démocratique, ex-Zaïre.
162TSHIAMALENGA NTUMBA, Article cité, p.
307.
|
|
99
|
163Idem, p. 309.
164S. MBONYINKEBE, Article cité, p.
331. 165MUKENGE-NDIBU, Article cité, p. 249.
166TEMPELS, Lettre, in Aspects de la
culture Noire, n° 24, cité par MUKENGE-NDIBU Article
cité, p. 249. 167 TSHIAMALENGA NTUMBA, Article cité, pp.309-31
0.
168Nous faisons l'économie de la
pensée développée dans ces localités en raison de
l'indisponibilité des sources. Ceci ne signifie nullement que ces
peuples n'ont développé aucune pensée en rapport avec les
droits de l'homme. Toutes fois nous renvoyons le lecteur à BHIKSU SHIH
TAO-AN, «La doctrine de BOUDHA et les droits de l'homme», in
Revue des droits de l'homme n°10, 1977, pp.: 5-13.
169D'abord avec MOÏSE, ensuite avec SALOMON,
qui pour organiser le nouvel Etat y fit venir les scribes dont les
méthodes administratives, et les enseignements d'AMENOPE
inspirèrent le livre des proverbes. Le Christ lui- même, s'y
était réfugié afin d'éviter le châtiment
mortel que lui réservait HERODE.
170EPICTETE, Entretiens, Textes choisis par
J. RUSS, Les Chemins de la pensée, A. COLIN, 1988, p. 99.
171Idem, cité par G. R. LEWIS, La Morale
stoïcienne, P.U.F., 1978, p. 130.
172Nous souscrivons à la thèse de J.-S.
ZA'ABE, Ouvrage cité, p. 08. (Ci-dessus page 59 note 114).
je partage avec lui une origine et un destin identiques :
c'est donc un partenaire, un allié originaire.
Ce principe est une matrice fondamentale à partir de
laquelle on peut faire découler les affirmations
d'égalité, de fraternité et de liberté entre les
hommes. Il implique le rejet de tout ce qui discrimine le muntunanyi
(l'homme-avec-moi) : l'esclavage, le racisme, le tribalisme, le nationalisme,
l'esprit de bloc, bref, toutes sortes d'exclusionismes et
d'égoïsmes. De ce principe fondamental, découlent
également les préceptes majeurs de l'éthique et du droit.
Ils tendent non seulement à garantir la vie et l'intégrité
corporelle de tout homme, mais aussi, à régler les relations
quotidiennes interpersonnelles dans la vie quotidienne163.
S. MBONYINKEBE parvient lui aussi à une construction
analogue à travers l'examen du concept bont'okaka (homme
d'autrui) chez les Mongo, un autre peuple du Congo
Démocratique164. Il constate que ce concept est
utilisé pour désigner. a)-le parent qui vient de loin, par
opposition à celui qui habite avec nous ; b)-le parent par alliance, par
opposition à celui par le sang ; c)-l'esclave par opposition au fils du
village, et enfin d)-l'étranger. Une exégèse
poussée de ce concept montre que toutes ces catégories de
personnes méritent égards et considérations au titre de
leur statut spécifique d'«homme d'autrui». Nous pouvons voir
à travers ce statut, la désignation d'une sphère des
droits inaliénables : droit à la sécurité, à
l'intégrité physique et morale, au respect, etc.
Dans ces sociétés traditionnelles, le droit
n'est pas seulement un acte des vivants. Imprégné du
sacré, il est l'héritage des ancêtres. Les paroles de ces
derniers fixent les règles de vie dont la violation est impensable. Ce
fondement transcendant de l'impératif juridique lui confère une
autorité présentée comme l'expression de la volonté
de telle ou telle divinité. On peut dire à juste titre que les
droits de l'homme concédés par les préceptes ci-dessus
indiqués sont dans un tel système, considérés comme
sacrés165. L'appareil juridique comme l'ensemble des autres
institutions est conçu et appliqué au service de l'homme. Tout
comme le monde visible et invisible
doivent agir dans l'intérêt de l'homme. Le
premier droit pour ces sociétés correspond à la vie. Une
vie pleine, intense, totale et abondante166. C'est en fonction
d'elle, le droit de l'homme par excellence, que les conflits, les
problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels sont
résolus. C'est toujours en fonction d'elle que sont conçus et
concrètement garantis de façon efficace et permanente, les droits
de l'homme dans toutes les autres sphères de l'existence. La vie
correspond au droit d'appartenir à une communauté, d'y vivre et
d'y agir sans être gêné par autrui ou une autorité
arbitraire et tyrannique. Elle correspond également au droit de vivre
dans le strict respect des droits légitimes de tout un chacun et de la
communauté. Ces droits de l'homme, TSHIAMALENGA NTUMBA en résume
ainsi l'inventaire :
« Le droit de tout homme à la vie et à
l'intégrité corporelle contre toute agression physique et contre
toute agression morale ; le droit de tout homme au foyer d'exercer la fonction
sexuelle à l'exclusion de tiers des deux sexes, le droit à la
sécurité, à la justice sociale dans toute son
étendue, etc. »167.
Ces éléments juridiques et linguistiques,
constitutifs de l'anthropologie négro-africaine, nous paraissent
particulièrement annonciateurs de la direction dans laquelle peut se
développer une «philosophie des droits de l'homme» dans
l'Afrique pré-coloniale, voir dans l'Afrique actuelle. Ils
entretiennent, en qualité de matrice, tous les droits de l'homme
présent et à venir. Il n'est pas douteux qu'il existe plusieurs
voies d'accès à ce que sont les droits de l'homme dans ces
cultures. Certes, ils ne se présentent pas avec la finesse des droits
modernes, mais on y trouve, en germe, tous les développements possibles
des droits fondamentaux autour des idées de liberté,
égalité et fraternité, chères à la
révolution française.
IX.2.1. L'expérience de l'Orient
La vocation principielle des civilisations de l'Orient,
c'est-à-dire : de l'Egypte et de la Mésopotamie d'une part, et de
l'Inde et de la Chine d'autre part, c'est qu'elles conjuguent harmonieusement
la réflexion sur les sources de l'expérience et de la
méditation sur le tout de la réalité. Autrement dit, dans
l'élucidation des grands mystères de la condition humaine et la
quête du salut. Cette vocation est de nature à présenter
quelque intérêt pour nous, dans le sens que
l'Orient apparaît à la fois comme le laboratoire
et le musée de l'aventure humaine. Autrement dit, d'une manière
de concevoir et de vivre la condition humaine. Il a fait preuve dans les
différents domaines de la pensée philosophique,
esthétique, littéraire, comme aussi dans le domaine des modes
d'organisation de la vie sociale et des diverses techniques de la civilisation
matérielle, d'une originalité puissante. De sorte qu'il n'est pas
une branche de la philosophie et de l'épistémologie ou un domaine
des sciences humaines, telles que nous les concevons aujourd'hui, qui puissent
se dispenser de la manière dont les orientaux ont envisagé leur
problématique.
L'économie de l'Extrême Orient
faite168, nous constatons de façon récurrente que dans
la littérature grecque, il est question de l'Egypte. C'est d'un
séjour de PLATON y relatif, selon le Banquet qu'est né
le Protagoras : un des débats les plus passionnés sur
les rapports entre l'idée de justice, celle de la conscience et de
l'éternité. Cette même Egypte eut également une
influence considérable sur Israël, son voisin de
l'Est169. A l'instar de toutes les autres cultures, les
préceptes relatifs au respect de la personne humaine et aux droits de
l'homme ne sont pas étrangers à son peuple.
C'est à partir du Moyen Empire (2000 av. J.C.),
qu'apparaissent les premiers indices formels relatifs aux droits de l'homme.
Notamment avec le développement du culte d'OSIRIS qui, signifions-le,
présente une valeur indéniable sur le plan éthique. Ce
culte affirme la nécessité de pratiquer la justice pendant la vie
terrestre pour mériter l'au-delà. le Livre des morts
précise cette conception en l'assimilant au jugement du coeur du
défunt, qui tient lieu de déclaration d'innocence : durant ma vie
terrestre « je n 'ai pas porté main sur l'homme de petite
condition, je n 'ai pas fait de mal, je n 'ai pas fait pleurer, je n 'ai pas
tué, je n 'ai pas affamé, etc. ».
Comme nous le voyons, en dénonçant, tout
écart à l'esprit de sainteté,
de fraternité et de solidarité vis-à-vis
du prochain, du faible, de la veuve, de l'orphelin, etc., les Egyptiens
introduisent au coeur de l'histoire un principe de jugement et
d'évaluation. Par-là même, ils montrent le chemin possible
d'un redressement rédempteur. Si bien que le salut annoncé oblige
l'homme à pratiquer la justice préalablement. C'est ici un
message qui censure toute atteinte à la dignité de l'homme et de
DIEU. Cette espérance en l'au-delà contraint l'homme au respect
de son semblable et à ne pas le malmener. En d'autres termes, elle
contraint l'homme à reconnaître dans son semblable, un autre
lui-même qu'il doit soigner. Nous pouvons déjà ici
reconnaître les prémisses de l'énonciation du principe de
la dignité humaine et de tous les mécanismes de sa protection.
Donc, l'Egypte ancienne n'est pas restée en marge du mouvement. Elle a
développé une conception du respect de la personne humaine,
fut-elle certes, pas très bien élaborée. Mais de cette
conception, il est possible de dériver une philosophie des droits
subjectifs.
Cet enseignement de l'Egypte eu un retentissement très
fort en Mésopotamie. Il s'y est mué en goût de la vie
intérieure, du silence, de la retraite, de l'amour du prochain et de la
transcendance à l'issue de ses rencontres successives avec le
judaïsme ancien, la pensée grecque et avec le christianisme.
L'oeuvre de PHILON d'Alexandrie (20 av. J.-C. 50 ap. J.-C.) par exemple,
représente cette synthèse méthodique entre
l'hellénisme, en beaucoup d'aspects débiteur de cette
pensée orientale et la révélation biblique. Elle met en
perspective la condition de l'homme face à l'absolu dont il
procède, face à autrui qu'il doit respecter et soigner, face
à l'histoire et face à la nature que celui-ci ne doit pas adorer,
mais dominer dans le respect et par le travail.
Dans le domaine du droit et de la réflexion morale, les
Babyloniens se sont rapprochés de la spéculation rationnelle. Les
codes juridiques, dont celui d'HAMOURABI, en font foi. Ce dernier
prétend faire régner une justice et un ordre voulus par les
dieux. Mais ce sont les chrétiens qui sont naturellement les plus grands
héritiers de cette sagesse originaire de l'Orient avant que celle-ci ne
devienne le patrimoine culturel commun de tout l'Occident. Certes, l'Orient n'a
pas opéré le passage du mythe à la rationalité.
Donc la philosophie comme discipline rationnelle
y est restée inconnue. Quoi qu'on puisse dire, cela est
une évidence ; mais est-ce là un mobile raisonnable pour l'en
exclure ?
IX.3. L'expérience exceptionnelle de la culture
occidentale
L'idéologie des droits de la personne est tributaire du
mouvement philosophique qui voit le jour à l'age de la Raison. Elle se
fonde sur l'idée que tous les êtres humains possèdent une
nature universelle qui est conforme à cette Raison. Dans sa
première expression (XVIIème siècle à la
première moitié du XXème siècle), cette
théorie a beaucoup plus été marqué par l'apport de
la civilisation judéo- chrétienne et par la philosophie politique
et juridique occidentales. C'est dans ce sens qu'il paraît raisonnable
d'affirmer que, telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui, la
philosophie des droits de l'homme s'ancre dans l'humanisme de la renaissance.
LOCKE, ROUSSEAU... en lesquels on voit généralement les
pères des droits de l'homme n'ont fait en réalité que
prolonger les raisonnements de GROTIUS, HOBBES, et de PUFENDORF, les illustres
représentants de l'Ecole moderne du droit naturel.
C'est avec ces derniers qu'est apparue l'idée que
l'homme naît avec des droits. Qu'il les tient de sa propre nature, de sa
complexion propre et qu'il ne les doit ni à une volonté divine,
ni à une volonté humaine. La théorie des droits de l'homme
n'est donc que le prolongement de la théorie des droits subjectifs. Elle
est née dans le sillage de ce qu'on appelle la théorie moderne du
droit. Les droits de l'homme dont elle fait la promotion se donnent à
voir comme non dérivés et non attribués ; ils sont
attachés à l'ontologie de l'homme. Leur irréductible
spécificité réside dans leur indépendance à
l'égard de tout pouvoir et leur transcendance à toute
volonté. Ils sont antérieurs au pouvoir et au droit positif.
Celui-ci ne les crée pas, il ne peut que les constater, les
déclarer ou les violer. Mais à les violer, il perd son fondement
et sa légitimité.
Cette théorie des droits de l'homme s'accompagne de la
laïcisation du droit, et est en rupture avec le legs théologique du
Moyen Age. Plus précisément la rupture consiste en un
dépassement. La théologie a été la condition
théorique de possibilité de l'humanisme de la renaissance et de
la théorie des droits de l'homme.
Sans la pensée de saint THOMAS, qui elle-même
s'enracine dans la philosophie grecque, une telle théorie n'eut peut
être pas été possible.
Un pareil modèle d'humanisme était
déjà présent chez les sophistes, ces champions des droits
de l'homme. En décrétant que « l'homme est la mesure de
toutes choses », les Sophistes l'ont pour la première fois
placé au coeur de la réflexion philosophique, sociale,
économique, culturel, éthique et politique. Tous les
mécanismes sociaux doivent s'associer et converger pour réaliser
son épanouissement intégral. En dépit de leur
précieux apport, les plus belles pages de cet humanisme sont l'oeuvre
des tenants du stoïcisme.
Le stoïcisme est un courant de pensée fort ancien
qui s'est développé au temps d'EPICURE (341-270 av. i-C.). Ses
promoteurs : ZENON de Citium (335-264 av. i-C.) et CHRYSIPPE (280-206 av.
J.-C.) ont développé une conception globale de la morale, de la
nature, de la connaissance et une logique très moderne que l'on
redécouvrit au XXème siècle (1935). De ce
stoïcisme, il ne reste plus que des fragments qui décrivent notre
univers parcouru par une tension divine qui donne la fin à
l'enchaînement rationnel des causes ou destin. La sagesse selon eux,
consiste à s'accorder à la nature, en donnant son libre
assentiment à cette tension. L'on retrouve ainsi l'unité de soi
et du monde. La raison logos est un principe d'ordre des choses. Elle
se retrouve dans le monde et chez l'homme. Et Dieu est conçu comme
raison pénétrant et unifiant le monde auquel cette
dernière est immanente.
C'est à cette conception propre du stoïcisme en
général que EPICTETE (vers 50-vers 125-130 ap. i-C.), un des
représentants de cette école à l'époque
impériale, ajoute la notion d'un Dieu, Père des hommes. Cette
parenté est établie par la Raison. Ainsi, tous les hommes sont
raisonnables La raison s'identifie en même temps à la
faculté de juger et à un principe divin qui anime, ordonne et
gouverne l'univers. Tous les hommes sont liés par le logos, la
raison du monde, et ainsi rattachés à Dieu. Ils appartiennent
d'autant plus au monde et à Dieu qu'ils ont la raison. Les hommes sont
du monde, ils sont des êtres raisonnables, ils sont des citoyens d'un
même monde et fils d'un même père, Dieu :
« Si ce que les philosophes ont dit de la parenté
de Dieu et des
hommes est vraie, que nous reste-t-il quand on nous
demande, de quel pays
est-tu ? Si ce n'est de répondre non pas je suis
d'Athènes ou de Corinthe, mais, comme SOCRATE, je suis du monde.
Pourquoi dirais-tu, en effet, que tu es d'Athènes et non du petit coin
seulement où ton misérable corps a été jeté
quand il est né ? N'est-il pas clair que, si tu t'appelles
athénien ou corinthien, c'est que tu tires ton nom d'un milieu plus
important, qui contient non seulement ce petit coin et toute ta maison, mais
encore cet espace plus large d'où est sortie toute ta famille
jusqu'à toi ? Pourquoi donc celui qui comprend tout gouvernement du
monde, celui qui sait que, de toutes les familles, il n 'en est point de plus
grande, de plus importante, de plus étendue que celle qui se compose des
hommes et de Dieu, et Dieu a laissé tomber »170.
Il se dégage un cosmopolitisme dans le stoïcisme.
Ce cosmopolitisme se comprend comme le refus d'appartenance au groupe social le
plus immédiat. L'homme est citoyen du monde, partout il est chez lui. Le
caractère raisonnable de tous les hommes et leur appartenance à
Dieu en qualité de fils, fondent l'égalité naturelle et
formelle entre eux. Une fraternité universelle. Par conséquent
les pratiques comme l'esclavage, l'exploitation, etc., sont pour les
Stoïciens, contraires à la Raison. Ce sont des traitements qu'un
homme ne doit pas administrer à un autre homme, son frère.
Les Stoïciens récusent formellement l'esclavage et
tous les autres traitements analogues. En aucun cas, un homme n'est
fondé à traiter son semblable comme un simple instrument pour sa
commodité en l'aliénant. On est esclave ni par nature, ni par
conquête. Voici comment EPICTETE interpelle un maître asservi
à ses passions qui s'irrite contre son esclave : « Esclave, ne
veux-tu pas supporter ton frère ? Comme toi, il est issu de DIEU
»171. Il montre qu'il est possible d'instaurer
entre eux, des relations d'homme à homme. L'égoïsme
naît de la passion, qui détourne à son profit la
solidarité naturelle des hommes.
Les Stoïciens, PLUTARQUE (vers 50-vers 125 ap. J.-C.)
l'avait déjà bien compris, ont écrit une ébauche
des principes d'une république très admirée. La maxime est
que, les hommes ne doivent pas se séparer en cités et en peuples
ayant chacun ses lois particulières. Tous les hommes sont des
concitoyens et des frères. Il y a pour eux une seule vie, un seul ordre
des choses (cosmos), comme un troupeau uni sous la règle commune. Ils
voulaient réunir comme un caractère tous les
peuples. Ils ont ordonné que tous considèrent la
terre comme patrie, tout le monde comme des parents et des frères.
Avant de conclure cette section, permettons-nous de livrer
quelques observations. La première qui se dégage est que touts
ces textes relatifs aux différents peuples de la terre que nous venons
d'évoquer et d'analyser, résument l'expérience de leurs
différentes civilisations et cultures. Ces civilisations et cultures ont
compris un fait, celui de la contingence, la vulnérabilité de
l'existence de l'homme ; ou encore le rattachement de la vie de l'homme au
Tout-Autre. D'où la nécessité de le protéger contre
toute atteinte à sa personnalité, lesquelles atteintes avaient
atteint un degré sans précédent au milieu du siècle
dernier devant l'horreur
d'HITLER et de MUSSOLINI172.
En effet HITLER et MUSSOLINI avaient dévoilé la
vulnérabilité de l'homme devant la conscience mondiale. Ils ont
montré qu'il pouvait être détruit industriellement et qu'il
était possible d'anéantir purement et simplement l'espèce
humaine. Un tel comportement, qui révèle le refus manifeste de la
reconnaissance de l'autre, ne pouvait pas ne pas laisser, la conscience de
l'humanité indifférente. Il fallait trouver non seulement des
mesures curatives, mais aussi des mesures préventives. C'est dans ce
sens que, sous la mouvance des Occidentaux au lendemain du second grand conflit
mondial, la mobilisation de l'humanité fut très importante. A
travers cette mobilisation, elle se proposait aussi bien de lutter contre la
tyrannie et ses corollaires, qu'elle préconisait prévenir
d'autres horreurs analogues dans l'avenir. Les ressources dont elle disposait
pour atteindre pareils objectifs : les expériences de tous les peuples
du monde. Ces expériences incarnent la nécessité de la
reconnaissance de l'autre. C'est ici qu'il convient de reconnaître le
génie de la civilisation occidentale, dans cette mesure qu'elle a pu
reprendre tout ce matériau et le réorganiser en un système
qui puisse à la foi désamorcer et prévenir la violence, la
tyrannie, la barbarie, les dogmatismes, etc.
Conclusion
Comme nous pouvons le voir, les similitudes observables entre
l'anthropologie politique de J. LOCKE et la philosophie contemporaine des
droits de l'homme sont nombreuses, et se présentent sur plusieurs
points. Nous avons essayé d'accéder à
l'intelligibilité de la nature réelle de cette filiation. Nous
nous sommes rendu compte qu'elle tient à la fois, partiellement entre
l'analogie, l'homologie et l'identité. Autrement dit, cette filiation
est à cheval entre l'analogie, l'homologie et l'identité. Dans
cette mesure, nous avons vu comment il est tentant de dire que LOCKE est le
père des droits de l'homme.
Cependant, le contexte historique de l'élaboration de
cette anthropologie politique, doublée de certains autres aspects
liés à l'énonciation, à la classification, à
la théorisation des droits d'une part, et la survivance de la morale
judéo-chrétienne et de la philosophie grecque elle-même
tributaire des pensées orientales d'autre part nous a conduit à
relever quelques équivoques qui nous ont très vite
rappelés à redoubler de vigilance à adopter une attitude
raisonnable. Ces équivoques ne nous autorisent pas à attribuer la
paternité exclusive du mouvement contemporain des droits de l'homme
à J. LOCKE. Voilà pourquoi, nous nous sommes proposé de
mettre sur pied, une autre anthropologie. Mais, quel est le bien fondé
d'une telle approche ?
Il convient tout de même ici de rappeler le
mérite du philosophe de Westminster. Ce dernier, redisons-le, a su
tracer l'épure des régimes démocratiques modernes, dont
nous sommes aujourd'hui les plus grands héritiers. Son système
est le terreau sur lequel la plupart des démocraties contemporaines
trouvent inspiration et se formalisent. Elle pose le régime
démocratique comme le meilleur, en comparaison de tous les autres
régimes politiques. C'est le seul, selon lui, qui puisse sans se
contredire conjuguer simultanément la liberté des membres de la
communauté politique et l'autorité des gouvernants. On ne se
trompe pas en soutenant, que c'est la pensée de LOCKE que l'on retrouve
dans les présupposés c'est- à-dire, les sous-entendus, de
la D. U.D.H. C'est dans ce sens qu'il est un ancêtre lointain de
la dynamique contemporaine des droits de l'homme, dont il serait cependant peu
raisonnable de lui attribuer la paternité exclusive.
Tout au long de cette étude, nous nous sommes
proposé comme objectif principal de rechercher les prémisses de
la conscience contemporaine de la philosophie des droits de l'homme dans
l'anthropologie politique de J. LOCKE, et plus précisément dans
sa théorie de la propriété, laquelle est également
désignée par l'expression théorie des droits. Sans doute,
bien des choses ont été dites et publiées d'ailleurs avec
insistance sur l'anthropologie politique de J. LOCKE et sur la
D.U.D.H., matrice de la philosophie contemporaine des droits de
l'homme. Cependant, le thème conserve toujours son actualité, et
méritait de nouveau d'être approfondit. Il est certain que ce
thème, tel que formulé, renvoie inéluctablement aux
concepts de civilisations, de traditions, d'habitude, de goûts, de destin
de l'homme et de progrès. Entendu ici comme la transformation de la
société elle-même par l'homme et pour l'homme.
Nous avons articulé le traitement de cette
problématique générale en trois pôles. Cette
subdivision nous a fournit la clef de l'intelligibilité de ce paradigme
philosophique d'interprétation du fait politique et juridique qu'est
l'anthropologie politique de J. LOCKE. En dernier ressort, nous avons
remarqué que ce système philosophique consacre la
démocratie libérale et l'Etat de droit. Il présuppose que
les individus ont des droits, que les citoyens sont reconnus comme des acteurs
sociaux et quand ils sont confrontés à des problèmes,
à des conflits, ils peuvent parvenir à un consensus sur des
stratégies d'action pour les résoudre. Le droit apparaît
alors comme un mécanisme indispensable et irremplaçable qui
garanti la coordination des actions des individus dans la
société.
Ainsi, partout où l'on préfère la
liberté au despotisme, le droit à la force, la démocratie
à la dictature, les moyens pacifiques à la violence, on peut
justifier les droits fondamentaux en tant que principes à
institutionnaliser d'une manière effective pour la pratique sociale et
la politique concrète. Comme nous pouvons l'admettre, l'anthropologie
politique de J. LCOKE est un nouveau modèle de civilisation du monde. Il
invite à de nouvelles valeurs qui n'existaient pas dans les
modèles précédents. Telles, les institutions modernes de
l'Etat, l'organisation
rationnelle de l'économie, la science, l'industrie, les
valeurs nouvelles de la liberté, de la démocratie et des droits
de l'homme.
C'est dans cet ordre d'idées que nous avons dans un
premier volet de notre argumentation affirmé que les droits de l'homme
dans leur formulation et dans leur expression actuelles sont tributaires de la
pensée de LOCKE en particulier, et de celle des Lumières en
générale. Cette conception des droits de l'homme trouve son
origine dans la loi naturelle qui a d'abord été formulée
par les Stoïciens. Ensuite, elle a été reprise par les
chrétiens du Moyen Age où elle a reçu une expression
classique dans la Somme théologique de saint THOMAS d'Aquin.
Enfin, au XVème et XVIème siècle,
elle a reçu une importance particulière en Espagne et en
Allemagne, bien qu'elle ait aussi trouvée un interprète en la
personne de l'Anglais T. HOOKER, dont les Laws of ecclesiastical polity
(1593) avaient fortement influencé J. LOCKE. Et c'est ce dernier
qui a donné à la théorie de la loi naturelle la
formulation définitive, celle-là même qu'elle garde
jusqu'à nos jours.
La parenté de ce dernier auteur avec la D.
U.D.H. se traduit à la fois en un syncrétisme d'analogie,
d'homologie et d'identité. J. LOCKE se présente incontestablement
à la postérité comme l'un des pères instigateurs du
mouvement des droits de l'homme. Sa pensée politique est à
l'avant-garde de toutes les révolutions politiques de la seconde
moitié du XVIIème et du XVIIIème
siècle. Il apparaît d'emblée que la D. U.D.H. se
situe dans la stricte continuité de ce mouvement. Voilà pourquoi,
il est tentant de dire que cette déclaration est le couronnement des
idées politiques lockiennes.
Cependant, de là à conclure radicalement,
c'est-à-dire, purement et simplement que les droits de l'homme sont du
ressort exclusif de l'anthropologie politique de J. LOCKE, nous avons
trouvé dans cette attitude, non seulement une méconnaissance
profonde du sens de l'histoire des idées, mais aussi des
différents facteurs et civilisations en actes dans l'élaboration
de cette histoire. Cette thèse est entachée d'un
arrière-fond idéologique. Comme la problématique
désormais classique en philosophie de l'occultation des civilisations
non occidentales dans l'élaboration du patrimoine culturel, social,
économique et politique de l'humanité.
Seule, la culture occidentale aurait été
à la hauteur d'un tel exploit. C'est la thèse de la
toute-puissante civilisation occidentale au détriment de toutes les
autres. Doublée du contexte historique de l'émergence des droits
de l'homme à l'époque moderne, cette thèse s'oppose
à l'humanisme présent dans la dynamique des droits de l'homme.
Poussée à l'extrême, elle débouche sur l'exclusion,
la discrimination, l'oppression, l'assujettissement, etc., qui sont un
contre-courant au mouvement que les droits de l'homme veulent imprimer. Puisque
de nos jours, cette problématique des droits de l'homme se complexifie.
Les droits de l'homme sont de plus en plus revendiqués par les
populations comme des garanties juridiques. Leur tonalité philosophique
perd du terrain au profit de leur législation ; ils se multiplient en
tant que droits propres à la dignité de la personne humaine, et
enfin, ils acquièrent un caractère politique qui est
graduellement mis en évidence en les désignant comme droits
démocratiques. Car, contrairement aux régimes totalitaires, la
démocratie est respectueuse de l'intégrité de la personne.
La violation des droits de l'homme est de plus en plus dénoncée
en matière de crimes politiques. Ils se révèlent non
seulement comme des pouvoirs subjectifs d'agir, mais encore comme les
frontières d'action de l'autorité publique. En tant que droits
constitutionnels, ils marquent le seuil situé entre le juste
légal et l'illégalité. De plus, dans l'Etat
«post-moderne» où la personne humaine se voit de plus en plus
menacée par les idéologies utilitaristes agissant au niveau
national, international, ces droits participent de la finalité et des
aspirations étatiques.
Avec la permanence des conflits qui fragilise
l'intégrité de la personne humaine, s'impose la
nécessité de tenter l'universalisation de ces droits par les
conventions internationales. Ces conventions font partie désormais d'un
droit humanitaire cosmopolite, très souvent évoqué pour
fustiger les atrocités de la guerre et pour traduire des criminels de
guerre devant des tribunaux. Toute atteinte flagrante à la
dignité humaine relève donc de ce droit humanitaire. C'est
pourquoi on considère d'ordinaire qu'une action contre la dignité
humaine constitue une violation des droits de l'homme, et en même temps
du droit humanitaire. Cette violation représente une atteinte à
l'ensemble des hommes, précisément à l'humanité
de l'homme entendue en son sens ontologique. Ainsi, chaque
fois que cette humanité est blessée, la blessure est sentie comme
une atteinte à la dignité humaine, la pierre angulaire des droits
subjectifs.
En dépit des similitudes observées, cette
dynamique contemporaine des droits de l'homme, telle que nous venons de la
résumer, présente des incompatibilités avec
l'anthropologie politique de J. LOCKE. Voilà pourquoi en dernière
analyse, nous avons conclu que cette anthropologie politique ne suffit pas
à fonder la nécessité à l'universalité des
droits de l'homme. Ce qui nous a conduit à proposer une autre
genèse des droits l'homme dans le traitement de notre
problématique. Cependant, nous n'avons pas omis de souligner la place
prépondérante de J. LOCKE dans ce processus. Ce moment
européen a été très décisif, il a
donné aux droits de l'homme la formulation et l'expression qu'ils ont
plus ou moins gardées jusqu'à présent.
En dernier ressort, notre problématique a reçu
comme ébauche de réponse l'apport de toutes les cultures.
Autrement dit, la conscience contemporaine des droits de l'homme trouve son
origine dans la notion de « dignité anthropologique
», idée puisant à plusieurs sources. Nous avons
essayé de les visiter : philosophie grecque, humanisme chrétien,
textes latins et des traditions des cultures non occidentales,
expérience des peuples ou des groupes humains libérés de
l'oppression, donc ayant réalisé la nécessité de
vivre dans un monde apaisé où ils se sentent respectés
dans leur dignité d'homme.
Cette idée s'étend à des aspects aussi
divers que le droit à la vie, à l'intégrité
physique et morale, à la sécurité en cas de maladie, de
veuvage, de vieillesse, de perte des parents, de chômage ; le droit au
respect et à la bonne réputation, à la liberté
intellectuelle, religieuse, au travail, à l'éducation, à
la protection juridique de ses droits, etc. La formalisation de ce
système contemporains des droits de l'homme est certes l'oeuvre des
Occidentaux, mais ils n'ont fait que reprendre toute l'expérience des
peuples y compris la leur propre pour protéger la
vulnérabilité de l'existence humaine.
Donc il faut bien prendre conscience des multiples sources des
droits de l'homme. Nous avons ici récusé toute attitude
d'exclusion dogmatique, les droits de l'homme ne sont pas seulement du ressort
de l'anthropologie politique de LOCKE ou de la culture occidentale. L'oubli de
l'Orient, des Cultures de l'Oralité, des grandes religions marque tout
un courant de pensée tenté de laisser dans l'ombre, les autres
aspects fondateurs de notre civilisation contemporaine. Nous nous sommes
efforcé d'éloigner cette amnésie fort ancienne,
l'européocentrisme.
Car tout au plus, nous croyons de nos jours que ces autres
pensées sont très révélatrices en matière
des droits de l'homme et nous font parfois saisir par contraste les limitations
auxquelles est exposée la culture occidentale sur ce chapitre. Dans les
cultures de l'oralité, de la Chine, de l'Inde, etc., existent des
pensées ou encore des doctrines qu'il importe de déchiffrer, afin
de prendre en compte des points de vue différentiels et mieux
accéder à cet universel concret de la raison véritable, en
promotion dans la dynamique des droits de l'homme, et qui est en train
d'élargir ses conquêtes à travers la cité des
hommes.
Cette approche, nous l'avons trouvé prudent et
constructeur. Car aujourd'hui, les droits de l'homme se réclament
valeurs universelles de civilisation, donc ils se présentent comme un
paradigme politique, économique, social et culturel de gestion des
sociétés humaines, qui n'a pas de correspondant ni de concurrent.
Ce raisonnement est concluant dans la réalisation de pareil
idéal. Dans la mesure où il permet de négocier
efficacement cette universalité. Il la négocie comme
l'incarnation d'un modèle d'humanisme près à rejoindre
tous les noyaux éthiques et mythiques de toutes les cultures connues.
Pour accroître son efficacité, cette
négociation doit s'accompagner d'un dispositif politique et juridique de
la protection des droits des individus qui sera couronné par
l'éducation des citoyens aux nouvelles valeurs. L'adhésion
à celles-ci ne poserait donc plus de problèmes, puisque tout le
monde y reconnaît un peu du sien. Le même paradigme négocie
également la rencontre pacifique des cultures,
des civilisations à l'échelle planétaire.
Une telle négociation n'est pas seulement urgente à l'heure
actuelle où l'humanité entière semble conquise par le
désespoir vis- à-vis de la paix dans le monde, mais surtout reste
l'a priori fondamental sans lequel les droits de l'homme ne
dépasseront pas l'utopie d'un catéchisme.
Cette approche suppose un saut qualitatif qu'on ne saurait
négliger. La relégation au second plan de la notion de conflit
des civilisations et des cultures ou encore de leur contradiction et
incompatibilité. Enfin, à travers le paradigme des droits de
l'homme, il sera désormais possible d'envisager et de résoudre le
problème du salut des cultures dans la civilisation universelle. Car ils
trouvent leur véritable rôle au-delà des
intérêts partisans de certaines nations et s'engagent avec
réalisme dans l'interprétation des cultures nationales, afin de
leur restituer le sens adéquat de la liberté sur tous les plans.
Une telle restitution est la base des rapports internationaux non
égocentriques.
A ce niveau de notre analyse, nous nous demandons si
l'objectif visé au début de cette étude a
été atteint ? Nous réservons le soin de répondre
à cette interrogation à nos lecteurs, à la
postérité. Contentons-nous de nouveau quelques observations.
Depuis que les droits de l'homme ont été énoncés et
déclarés, est-ce l'unité entre les nations qui a
prévalu, comme on aurait pu s'y attendre en accordant à tous les
Etats, à tous les peuples le droit de disposer d'eux-mêmes ?
Surprise...
Ce n'est pas la disparition des guerres, des frontières
à quoi nous avons assisté, c'est plutôt à leur
multiplication et à leur radicalisation ou encore à leur
scientificisation. Les guerres, on les a aggravées, en les menant non
plus au nom du roi, mais au nom des droits fondamentaux. C'est le cas du
Kosovo. Par ailleurs, pendant que l'humanité combattait pour le respect
de ces mêmes droits au Kosovo, un peu plus tôt, la même
humanité avait refusé de défendre les mêmes valeurs
au Rwanda et un peu plus tard au Congo Démocratique. Quels paradoxe !
Que tous les hommes aient les mêmes droits, n'est
peut-être pas une si bonne nouvelle ; pour qu'elle soit vraiment bonne,
nous estimons qu'il faudrait que ces droits visent à la
réalisation du Bien et de l'Egalité. Dans la mesure où
c'est ce à
quoi tous les vivants aspirent. Ces droits visent-ils la
réalisation du Bien et de l'Egalité ? Il convient de
réfléchir à nouveau, non plus sur la parenté de
l'anthropologie politique de J. LOCKE avec la D. U.D.H., mais sur la
signification véritable de l'humanisme envisagé par ce paradigme
des droits de l'homme.
I. Allocution de soutenance
Merci de m'avoir accordé la parole. Monsieur le
Président du Jury, Honorables membres du Jury,
I. 1. Problématique et objectifs
l'étude
Au début de cette étude, un exposé.
C'était dans le cadre de l'Unité de Valeur intitulée PH
313, Philosophie morale et politique, dispensé par M. OKAHATENGA Pierre
Paul, il y a deux ans et demi. Le thème de cet enseignement : le contrat
social, histoire et doctrines ; notre intervention, axée sur J. LOCKE,
nous a conduit à remarquer la permanence du modèle d'humanisme
développé par J. LOCKE dans la D. U.D.H.. Et pourtant,
cette dernière ne présente les droits de l'homme que comme
l'expression de la reprise des hommes des atrocités du second grand
conflit mondial. C'est cette problématique que nous avons reconduite
dans cette étude afin de l'approfondir.
Dans cette investigation, notre objectif est double. D'une
part, il est question de faire une lecture conceptuelle de la contribution du
philosophe de Westminster dans la D. U.D.H, et d'autre part, c'est une
tentative de se servir du paradigme politique de J. LOCKE afin d'accéder
à l'intelligibilité d'une situation à la fois complexe et
très chère à notre civilisation : les droits de
l'homme.
En effet, fondée sur la loi de nature, qui correspond
à la volonté de Dieu appliquée à l'humanité
sous la forme des obligations naturelles en vue de la « parfaite
liberté » et de la « parfaite égalité
», la théorie politique de J. LOCKE consacre la
démocratie libérale et l'Etat de droit. Voici ce que Paulette
CARRIVE dit à propos :
« La démocratie moderne trouve dans la
pensée de LOCKE une de ses sources les plus importantes, et que LOCKE
l'a élaborée en partie pour répondre à
l'écho que suscita encore pendant plus d'un quart de siècle
après la parution de la Patriarcha, la théorie absolutiste de R.
FILMER »173.
173P. CARRIVE, La Philosophie anglaise. Passions,
pouvoirs et liberté de HOOKER à HUME, P.U.F., 1994, pp. 33-
34.
Cette théorie présuppose que les individus sont
des citoyens, quand ils sont confrontés à des conflits, ils
peuvent parvenir à un consensus sur des stratégies d'action pour
les résoudre. Le droit apparaît comme un mécanisme
indispensable qui garantit la coordination des actions des individus dans la
société. L'on peut ici, justifier les droits fondamentaux en tant
que des principes à institutionnaliser.
Le paradigme de la loi naturelle vise les partisans de
l'absolutisme : FILMER et HOBBES, et propose une théorie
constitutionnelle de la souveraineté populaire, doublée d'une
défense individualiste du droit de résistance au nom de la
propriété ou des droits fondamentaux. Valables dès
l'état de nature, ces droits sont dévolus à tous les
hommes ; l'entrée dans la communauté politique ne les supprime
pas. Chacun est naturellement et civilement autorisé à les
revendiquer ou à les défendre, même contre un gouvernement
fondé sur la confiance des gouvernés. Il ressort que le
système de J. LOCKE est un nouveau modèle de civilisation. Il
invite à de nouvelles valeurs, telles : les institutions modernes de
l'Etat ; l'organisation rationnelle de l'économie ; la science et
l'industrie ; les valeurs nouvelles de la démocratie, des droits de
l'homme et de la liberté.
La D. U.D.H. développe un modèle
d'humanisme analogue. Cet humanisme institue un nouveau pacte moral entre les
hommes ; lequel est fondé sur la dignité inhérente
à l'ontologie de l'homme. Désormais, malgré les
contingences qui existent entre les hommes, ils jouissent tous des même
droits. Le mouvement qu'elle imprime incite au changement des
mentalités, à la culture de la paix, au respect de l'autre moi et
à la pratique de la tolérance. Sa finalité est de
réaliser un monde apaisé, l'affirmation du progrès de
l'humanité vers une véritable société des personnes
et la foi dans un idéal de justice et d'équité.
Comme nous pouvons le remarquer, la similitude est
considérable entre la pensée politique mise à jour par J.
LOCKE, et la dynamique contemporaine des droits de l'homme, combien même
celle-ci ne présente les droits de l'homme que comme la
résultante de la reprise des hommes des atrocités de la
deuxième guerre mondiale. Cependant, dans quelle mesure cette dynamique
rejoint-elle la philosophie politique de J. LOCKE ? Pour ne pas nous
éloigner de notre double
objectif, nous avons, de commun accord avec nos encadreurs,
subdivisé le traitement de notre problématique en trois grandes
parties.
I. 2. Résumé de l'étude
Dans la première partie, nous avons d'abord
recherché l'infrastructure théorique de l'anthropologie politique
de J. LOCKE. Nous avons principalement recensé deux séries de
fondements. La première est liée à l'histoire de l'Europe
au XVIIème en générale, et
particulièrement à celle de la Grande-Bretagne ; la seconde est
relative à la morale judéo-chrétienne et aux philosophies
du contrat social. Nous avons montré comment la pensée politique
de J. LOCKE est, non seulement inséparable, mais aussi
incompréhensible sans ces aspects. Ensuite nous nous sommes
proposés de dégager les grandes orientations conceptuelles de
cette philosophie politique.
Dans la deuxième grande partie de notre investigation,
nous avons articulé notre propos sur trois plans. C'est ainsi que nous
nous sommes permis d'analyser la D. U.D.H., matrice de la philosophie
contemporaine des droits de l'homme. Ensuite nous avons examiné la
théorie lockienne de la propriété ou des droits qui n'est
rien d'autre qu'une philosophie des droits de l'homme, après en avoir
explicité la base : la loi naturelle et ses différentes
obligations. C'est ici que nous avons constaté en dernière
analyse, qu'il existe réellement une permanence considérable
entre la pensée politique de J. LOCKE et la D. U.D.H.
Enfin, la dernière partie de notre étude a
essayé d'accéder à l'exacte nature de cette permanence
constatée. Après un examen approfondit, nous sommes parvenu
à la conclusion que cette permanence tient à la fois entre
l'analogie, l'homologie et l'identité. Autrement dit, l'analogie,
l'homologie et l'identité observées ici, ne sont pas parfaites,
mais nous autorisent à considérer J. LOCKE comme un ancêtre
de la D. U.D.H. dont il serait cependant peu raisonnable de lui en
attribuer la paternité exclusive. Deux séries de raisons
justifient fondamentalement cette attitude.
I. 3. Résultats de l'étude
Premièrement, ce serait ignorer le sens
véritable du développement de l'histoire des idées. Non
seulement les différents acteurs en acte dans son élaboration,
mais aussi, les différentes phases de son évolution. Aussi,
l'anthropologie politique de J. LOCKE présente un caractère
contingent ; les droits de l'homme sont des garanties conférées
à une minorité religieuse, les puritains, pour se protéger
de l'emprise étatique aux mains de la majorité religieuse,
l'aristocratie. Ce qui est un mobile assez sérieux pour légitimer
la marginalisation de certains autres groupes humains. Ce mobile en dernier
ressort, peut générer un mouvement contraire à celui en
promotion dans le paradigme des droits de l'homme.
Deuxièmement, l'oeuvre politique de J. LOCKE est un
ensemble d'essais philosophiques qui ne présente qu'une valeur d'ordre
épistémologique, en enrichissant la connaissance
spéculative. Sa théorie des droits ne présente pas une
taxinomie hautement élaborées, des droits qu'elle consacre. Ils
sont encore embrigadés dans des catégories conceptuelles
génériques :
« Moyens nécessaires à la conservation
et à la subsistance ; les droits fondamentaux ; un droit d'user des
biens du monde dont il (DIEU) les a dotés si
généreusement pourvu pour qu'ils en tirent leur nourriture, leurs
vêtements et tout ce qui sert de confort à la vie
»174.
a. Sur le plan scientifique
Il est question de Montrer que les concepts de
démocratie, droits de l'homme, bonne gouvernance, sujet de droit,
état de droit, etc. qui fondent l'objet de notre investigation
présente, et lesquels s'érigent en paradigme
inégalé dans la gestion des sociétés
civilisées, ont un inconscient philosophique.
Ainsi, le philosophe n'est pas en marge de la construction du
patrimoine social, politique, économique et culturel contemporain.
Essentiellement recherche du sens, la philosophie doit intervenir dans la
résolution des grands problèmes de l'heure vis-à-vis
desquels l'humanité est confrontée ; dans ce sens, elle a son
concept dans l'édification du monde contemporain. La philosophie n'est
pas cette activité
intellectuelle que l'on présente souvent comme inutile,
très difficile et réservée à une catégorie
déterminée de professionnels.
Nous montrerons aussi que dans la mesure où elle est
essentiellement recherche du sens, la philosophie se préoccupe de la
situation singulière de l'Afrique. Elle peut aider à clarifier
les concepts de démocratie et de droits de l'homme, afin d'en favoriser
une bonne réception. La philosophie contribuera à l'implantation
véritables des valeurs et du discours démocratiques dans les
«anciennes colonies».
b. Par rapport à la francophonie
Il est pour nous un postulat de la raison que la francophonie,
à travers les différentes sommets France Afrique de 1989 à
1991, a joué un rôle majeur dans la démocratisation de
l'Afrique, surtout les Etats ayant en commun l'usage de la langue
française. Nous allons essayer d'accéder à
l'évaluation de son apport.
Certes la francophonie a joué un rôle non
négligeable dans l'édification de la démocratie en Afrique
; mais, ce rôle jusque là joué est-il suffisant ? Nous
estimons que cette organisation qui rassemble tous les pays ayant la langue
française en partage et en commun est capable de bien d'autres actions
d'une grande importance, comme le désamorçage de la spirale de la
violence, la corruption et la mauvaise gouvernance dans lesquels certains de
ses membres africains ont trouvé refuge depuis une décennie
environ. Mais dans quelle mesure cette attitude serait- elle possible ? Nous
essaierons également de déterminer les conditions de
possibilité d'une telle initiative en francophonie.
Enfin, ne peut-on pas faire en Afrique, à partir de
l'institution de la francophonie, une histoire, un paradigme
d'intelligibilité qui rende compte à la fois des bouleversements
humains, économiques et politiques liés à cette
institution ? Peut-on comprendre, surtout comment cette institution a pu
activement générer un
174 J. LOCKE, T.G.C., chapitre V : De la
propriété des choses, § 41, p. 174.
nouvel ordre social, culturel, économique et politique
en Afrique ? Autrement dit, quelle est la place de la francophonie dans cette
grandiose entreprise qu'est la démocratisation de l'Afrique ?
L'anthropologie politique de J. LOCKE présente quelques
difficultés à fonder les droits de l'homme tels qu'ils sont
présentés par la D. U.D.H. Voilà pourquoi nous
avons proposé une autre approche, après avoir souligné
avec insistance, les mérites du philosophe anglais.
Le mouvement contemporain des droits de l'homme trouve son
origine dans la notion de « dignité humaine »,
idée puisant à plusieurs sources : philosophie grecque, humanisme
chrétien, textes latins, et les traditions des cultures non
occidentales, expérience des groupes humains libérés de
l'oppression, et ayant réalisés la nécessité de
vivre dans un monde où ils se sentent respectés dans leur
dignité d'homme. Nous avons évoqué et analysé
l'expérience de ces différentes civilisations qui ont compris les
faits de la vulnérabilité de l'existence de l'homme et son
rattachement au Tout-Autre.
Cette idée s'étend à des aspects aussi
divers que le droit à la vie, à l'intégrité
physique et morale, à la sécurité en cas de maladie, de
veuvage, de vieillesse, de perte des parents ; le droit au respect et à
la bonne réputation, le droit à la liberté intellectuelle,
religieuse, au travail, à l'éducation, etc. D'où la
nécessité de limiter les atteintes vis-à-vis de la
personne ; lesquelles atteintes avaient atteint un degré sans
précédent devant l'horreur d'HITLER et de MUSSOLINI. Un tel refus
systématique de la reconnaissance de l'autre, ne pouvait pas, ne pas
laisser la conscience de l'humanité indifférente. Voilà
pourquoi, le lendemain du second grand conflit mondial, elle récusa
énergiquement la tyrannie et ses corollaires. Les ressources dont elle
disposait pour atteindre pareils objectifs : la somme des expériences de
tous les peuples du monde, laquelle incarne la nécessité de la
reconnaissance de l'autre. Il faut bien prendre conscience des multiples
sources des droits de l'homme. L'oubli de l'Orient, des Cultures de
l'Oralité, des grandes religions, marque tout un courant de
pensée tenté de laisser dans l'ombre, les autres
aspects fondateurs de la civilisation contemporaine. Nous
récusons toute attitude d'exclusion.
Cette approche négocie efficacement
l'universalité des droits de l'homme comme modèle de gestion des
sociétés civilisées. Elle la négocie comme
l'incarnation d'un humanisme près à rejoindre tous les noyaux
éthiques et mythiques de toutes les cultures, et s'accompagne d'un
dispositif politique et juridique de la protection des droits, appuyé
par l'éducation. L'adhésion des citoyens aux nouvelles valeurs ne
poserait donc plus de problèmes, puisque chacun y reconnaîtrait un
peu du sien.
Cette approche négocie également la rencontre
pacifique des cultures et des civilisations. Elle relègue au second plan
de la notion de leur lutte, de leur contradiction ou de leur
incompatibilité. Elle trouve son véritable rôle
au-delà des intérêts partisans, et s'engage avec
réalisme à interpréter les cultures nationales, afin de
leur restituer le sens adéquat de la liberté sur tous les plans.
Une telle restitution n'est pas seulement urgente à l'heure actuelle
où l'humanité entière semble conquise par le
désespoir vis-à-vis de la paix dans le monde, mais surtout reste
l'a priori fondamental sans lequel, les droits de l'homme ne
dépasseront pas l'utopie d'un catéchisme.
Monsieur le Président du Jury, Honorables membres du
Jury,
Comme toute oeuvre humaine, celle-ci n'est pas exempte
d'imperfections et nous avons été en proie à mainte
difficultés pour son élaboration. Nous en avons rencontré
plusieurs ; notamment en ce qui concerne la documentation. Elles ont
été résolue en nous référant aux
bibliothèques de la place ; à nos encadreurs ; et nous avons
même commandé des ouvrages dont certains, pour des raisons de
tirage, sont jusqu'à alors attendus. Nous remercions aussi le Conseil
pour le Développement de la Recherche en Science Sociales en Afrique
(CODESRIA). Rappelons que cette étude a fondamentalement
été soutenu par une allocation du Programme de Petites
Subventions pour la Rédaction de Mémoires et de
Thèses initiée par cette institution.
Nos derniers remerciements vont droit au jury. Respectivement
pour avoir bien voulu accepter de collaborer dans cet auguste jury et pour
l'attention que vous avez bien voulu accorder à notre exposé. Vos
remarques, vos suggestions et questions nous aiderons, non seulement à
améliorer notre vision de la question étudiée, mais aussi
à rechercher la qualité technique dans les recherches à
venir. Enfin, nous disons merci à nos encadreurs ; à nos
bienfaiteurs, et à vous aussi mesdames et messieurs de l'assistance,
pour avoir rehausser cette fête du savoir de votre présence.
Monsieur le Président du Jury, Honorables membres du
Jury, Je vous en prie.
II. Le jury de la soutenance
Le Jury de cette soutenance est composé selon la
correspondance du Doyen de F.A.L.S.H., réfé. N°
812/400/UYI/FALSH/CAB-D., du 25 avril 2002 à messieurs les Chefs
des Départements de Philosophie, Psychologie et L.N.A., suite à
leur correspondances sollicitant les soutenances de mémoires de
maîtrise des étudiants : NGUEFACK Bertin (PH4) ; NGAKOSSO-OKO
Sédard-Roméo (PH4) ; PAYNE Lilian Méchée (PS4) et
NKEM Florence LEGEJUO BEZE (LNA4). Cette note fixe comme suit la composition du
jury de soutenance de la soutenance de notre mémoire de maîtrise
:
- Président : professeur Hubert MONO NDJANA,
maître de conférences. - 1er rapporteur : professeur
Guillaume BWELE, maître de conférences. - 2ème
rapporteur : docteur Lucien AYISSI, chargé de cours.
- Examinateur principal : docteur Ernest MENYOMO, chargé
de cours.
II. Remarques du jury / Observations of
jury
Le sujet est d'actualité. Le candidat l'a traité
suivant les exigences de la méthode philosophique. Il reste à
faire des efforts dans la conception de la
bibliographie et la rédaction.
|
|
Note de lecture / Dissertation Writting mark :
|
108,5/140
|
Note de soutenance / Defence mark :
|
46,5/60
|
Total général / General total :
|
155/200
|
Moyenne générale /General average :
|
15,5/20
|
Mention /Grade obtained :
|
Bien
|
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
|
I. Ouvrages de J. LOCKE
LOCKE John, (1689), Epistola de tolerencia, Gouda,
traduction française avec introduction et notes : Lettre sur la
tolérance par R. POLIN, et R. KLINBANSKY, Paris, P.U.F., Coll.
Quadrige, 2ème édition, 1993, 108 p.
--(1690) Two Treatises of Government, Awnsham
churchill, Londres, traduction française : Deuxième
traité du gouvernement civil, par B. GILSON Paris, Vrin, 1985, 256
p.
-- (1690), An Essay Concerning Human Understanding,
traduction française : Essai Philosophique Concernant l'Entendement
Humain, par P. COSTE 1700, Paris, Vrin, 5ème
édition, 1998, 630 p.
-- (1690) Two Treatises of Government, Awnsham
churchill, Londres, Traduction française : Traité du
gouvernement civil, par D. MAZEL 1795, avec introduction chronologie et
notes par S. GOYARD-FABRE, paris, GFFlammarion, 2ème
édition, 1992, 384 p.
II. Quelques ouvrages sur J. LOCKE
ASHCRAFT Richard, (1999), La politique
révolutionnaire et les deux traités du gouvernement de
LOCKE, traduction J.-F. BAILLON, Paris, P.U.F., Coll. Léviathan,
1ère édition, 672.
BASTIDE Charles, (1906), John LOCKE : ses théories
politiques et leurs influences en Angleterre, thèse de Lettres,
Paris, Leroux.
BONNO Gabriel, (1955), Les Relations intellectuelles de LOCKE
avec la France, Berkeley.
CRANSTON Maurice, (1957), John LOCKE, a biography,
London.
DUNN John, (1991), La Pensée politique de J.
LOCKE. Une présentation historique de la thèse
exposée dans les deux traités du gouvernement, traduction
J.-F. BAILLON, Paris, P.U.F., Coll. Léviathan, 1ère
édition, 288 p.
FOX BOURNE Henri Richard, (1876), The life of John
LOCKE, 2 volumes, London. GOYARD-FABRE Simone, (1986), John LOCKE et
la raison raisonnable, Paris, Vrin. KING Peter (1829 et 1830), Life of
John LOCKE, London, 2 volumes.
LESSAY Franck, (1998), Le Débat FILMER/LOCKE,
Paris, P.U.F., Collection Léviathan, 1ère édition, 416
p.
MICHAUD Yves, (1986), J. LOCKE, Paris, Bordas,
Collection Philosophie Présente, 190 p.
POLIN Raymond, (1960), Politique morale de J. LOCKE,
Paris, P.U.F. Collection Bibliothèque de Philosophie Contemporaine,
320 p.
TULLY James, (1992), LOCKE droits naturels et
propriété, traduction CHAÏM J. HUTNER, Paris, P.U.F.,
Coll. Léviathan, 1ère édition, 264 p.
III. Quelques ouvrages sur les droits de
l'homme
AMNESTY INTERNATIONAL, (1989), Déclaration universelle
des droits de l'homme, Paris, Folio, Coll. Texte Intégral, 128
p.
BECKER Carl, (1970), La Déclaration
d'indépendance. Contribution à l'histoire des idées
politiques traduction M.-F. BERTRAND & M. HOLDT, Manille,
Nouveaux Horizons, 3ème édition, 282 p.
COMMISSION PONTIFICALE JUSTICE ET PAIX, (1975), L'Eglise
et les droits de l'homme, document de travail n°1,
Cité du Vatican, Librairie Editrice Vaticane.
COGNAC Georges. & ABDELFATTAH Amor (dir.), (1994), Islam
et droits de l'homme, paris, Economica, 100 p.
FILIBECK Georges, (1992), Les Droits de l'homme dans
l'enseignement de l'Eglise Catholique de JEAN XXIII à JEAN PAUL II,
Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 524 p.
GLEN John & SIMONIDE Jacques, (1991), La
Déclaration universelle des droits de l'homme, Paris,
UNESCO/l'Harmattan, 224 p.
LAQUEUR, Walter. & BARRY Rubin, (1989), Anthologie des
droits de l'homme, traduction T. PIELAT, Manille, Nouveaux Horizons, 784
p.
MOURGEON Jacques, (1990), Les Droits de l'homme, Paris,
P.U.F., Coll. Que sais-je ? , 7ème édition, 127 p.
VILLEY Michel, (1991), Culture chrétienne et droits de
l'homme, Bruxelles, F.I.U.C.- Bruylant, 306 p.
-- (1998), Le Droit et les droits de l'homme, Paris,
P.U.F., Collection Questions, 3ème édition, 176 p.
ZA'ABE Janvier-Sylver, (2000), Fondements philosophiques des
droits de l'homme, Les Publications du Conseil Scientifique n°
34, Yaoundé, Presses de
l'U.C.A.C. 36 p.
IV. Ouvrages annexes
ALTHUSSER Louis, (1985), MONTESQUIEU la politique et
l'histoire, Paris, P.U.F., Collection Quadrige, 6ème
édition, 128 p.
ARENDT Hannah, (1963), Essai sur la révolution,
traduction M. CRESTIEN, Paris, Gallimard, 325 p.
ARISTOTE, (1962), La politique T. I, nouvelle
traduction, introduction et notes par J. TRICOT, Paris, Vrin, 388 p.
BARKER Sir Ernest, (1950), La Monarchie constitutionnelle
anglaise, Londres, Fosh & Cross Ltd, 32 p.
BOETIE Etienne (de la), (1989), Le Discours sur la servitude
volontaire, Paris, GFFlammarion, 220 p.
DUFOUR Alfred, (1993), Droits naturels, droits de l'homme et
histoire, Paris, P.U.F., Collection Léviathan,
1ère édition, 1993, 288 p.
ECOLE BIBLIQUE DE JERUSALEM, (1988), La Bible de
Jérusalem, Paris, Cerf/Verbum Bible, 1856 p.
FABRE Jean, (1954), Les Pères de la révolution,
Paris, Plon.
FILMER Robert, (1949), Patriarcat and Others polical Works,
édition Peter LASLETT, Oxford, Basil Blackwell.
FOUCAULT Michel, (1966), Les Mots et les choses, une
archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 400 p.
GOYARD-FABRE Simone, (1983), L'Interminable querelle du
contrat social, Ottawa, P.U.O., Coll. Philosophica, 372 p.
-- (1992), Les Fondements de l'ordre juridique, paris,
P.U.F., Coll. l'Interrogation Philosophique, 1ère
édition, 416 p.
GOYARD-FABRE Simone & SEVE René, (1993), Les
Grandes questions de la philosophie du droit, Paris, P.U.F., Coll.
Question, 2ème édition, 352 p.
GROTIUS Hugo, (1727), Droit de la guerre et de la paix,
traduction BARBEYRAC,
édition d'Amsterdam, Paris, P.U.F., Coll.
Léviathan, 1ère édition, 1999, 872
p.
HOBBES Thomas, (1983), Léviathan, traduction et
notes par F. TRICAUD, Paris, Sirey,
782 p.
KANT Emmanuel, (1984), Les Fondements de la
métaphysique des moeurs, traduction V. DELBOS, Paris, Delagrave,
218 p.
MACPHERSON, (1971), L'Individualisme possessif de HOBBES
à LOCKE, Paris, Gallimard.
MONTESQUIEU Charles (de), (1993), De l'Esprit des lois,
T. II, Paris, GF-Flammarion, 638 p.
-- (1994), De l'Esprit des lois, T. I, Paris,
GF-Flammarion, 507 p.
PLATON, (1920), OEuvres complètes T. I,
Introduction- Hippias-mineur-AlcibiadeApologie de
Socrate-Euthyphron-Criton, traduction M. CROISET, Paris, les Belles
Lettres, Coll. les Universités de France, 238 p.
PLATON, (1990), Protagoras, Euthydème, Gorgias,
Menexène, Menon, Cratyle.
Traduction et notes par E. CHAMBRY, Paris, GF-Flammarion, 510 p.
PLATON, (1966), La République, traduction, introduction et
notes par R. BACCOU,
Paris, GF-Flammarion, 512 pages.
PUFENDORF Samuel, (1732), Du droit de la nature et des
gens, traduction
BARBEYRAC reproduite dans la « B.P.P.J.
» du Centre de philosophie
politique et juridique de l'Université de Caen, 1987.
RAWLS John, (1987), Théorie de la justice,
traduction C. AULARD, Paris, Seuil, 668 p. ROUSSEAU Jean-Jacques, (2001),
Du Contrat social, présentation, chronologie et notes par B.
BERNARDI, Paris, GF-Flammarion, 258 p.
SPINOZA Baruch, (1999), Traité
thélogico-politique, Paris, P.U.F., Coll. Epiméthée,
864 p.
STRAUSS Léo, (1954), Droit naturel et histoire,
Paris, Plon.
THOMAS d'Aquin (saint), (1935), Somme théologique.
La loi Ia-IIæ Question 90-97, traduction M.-J. LAVERSIN,
O.P., Paris, Ed. de la revue des jeunes, 357 p.
ZARKA Yves-Charles, (1999), Aspects de la pensée
médiévale dans la philosophie politique moderne, Paris,
P.U.F., Coll. Essais, 1ère édition, 288 p.
V. Quelques ouvrages de philosophie
générale
BREHIER Emile, (1994), Histoire de la philosophie III,
Paris, Coll. Quadrige, P.U.F., 6ème édition, 1078 p.
-- (1996), Histoire de la philosophie II, Paris, Coll.
Quadrige, P.U.F., 7ème édition, 516 p.
-- (1997), Histoire de la philosophie I, Paris, Coll.
Quadrige, P.U.F., 8ème édition, 708 p.
BRIDOUX Alexandre, (1966), Le Stoïcisme et son
influence, Paris, Vrin, 238 p. CARRIVE Paulette, (1994), La
Philosophie anglaise. Passions, pouvoirs et liberté de HOOKER à
HUME, Paris, P.U.F., 1ère édition, 424
p.
CHEVALIER Jacques, Histoire de la pensée I.
La pensée antique, Paris, Ernest Flammarion, 1955, 761 p.
-- (1956), Histoire de la pensée II. La
pensée chrétienne, Paris, Ernest Flammarion, 846 p.
-- (1961), Histoire de la pensée III. La
pensée moderne de DECARTES à KANT, Paris, Flammarion
éditeur, 778 p.
RODIS-LEWIS Geneviève, (1978), La Morale
stoïcienne, Paris, P.U.F., Coll. Supérieure, 138 p.
VI. Quelques ouvrages d'histoire
HILL Christopher, (1964), Society and puritanism in
pre-revolutionary England, London, C. Nicholls & Company Ltd, 512
p.
MARX Roland, (1979), Religion et société en
Angleterre de la réforme à nos jours, Paris, P.U.F. Coll.
l'Historien, 1ère édition, 208 p.
MINOIS Georges, (1993), Les STUARTS, Paris, P.U.F.,
Coll. Que sais-je ? 1ère édition, 126 p.
POUSSOU Jean-Paul, (1993), CROMWELL, la révolution
d'Angleterre, la guerre civile, Paris, P.U.F., Coll. Que sais-je ?
1ère édition, 128 p.
VII. Quelques revues.
BIDET Jacques (dir.), (1999), Actuel Marx n° 24 :
HABERMAS une politique délibérative, Paris, P.U.F., 224
p.
COLLECTIF, (1976), Archives de la philosophie du
droit, T. 21, Genèse et déclin de l'Etat,
Paris, Sirey, 306 p.
-- (1980), Archives de la philosophie du droit, T. 25,
La loi, Paris, Sirey, 584 pages.
-- (1989), Archives de la philosophie du droit, T. 34,
Le sujet de droit, Paris, Sirey, 436 p.
GOYARD-FABRE, Cahier de philosophie politique et juridique
n° 02, Caen, 1982.
-- (1983), Cahier de philosophie politique et juridique n°
03, Caen, 1983. MEYER Michel, (1988), Revue Internationale de
Philosophie n°165, LOCKE, Paris,
P.U.F., 592 p.
VIII. Quelques usuels
AUROUX Sylvain (dir.), (1998), Encyclopédie
philosophique universelle, volume II, T. 1, les notions
philosophiques, Paris, P.U.F., Coll. Encyclopédie Philosophique
Universelle, 2ème édition, 2.032 p.
CANTO-SPERBER Monique, (1997), Dictionnaire d'éthique
et de philosophie morale,
Paris, P.U.F., 2ème édition, Coll.
Grands Dictionnaires, 1.744 p. HUYSMAN Denis (dir.), (1993),
Dictionnaire des philosophes, Paris, P.U.F., 2ème
édition, Coll. Grands dictionnaires, 3.104 p.
LALANDE André, (1999), Vocabulaire technique et
critique de la philosophie, Paris, P.U.F., Coll. Quadrige,
5ème édition, 1.376 p.
LECOURT Dominique, (1999), Dictionnaire d'histoire et de
philosophie des sciences, Paris, P.U.F., 1ère
édition, Coll. Grands Dictionnaires, 1036 p.
Ix. Certains actes des colloques
COLLECTIF, (1982), Philosophie et droits de
l'homme : Actes de la 5ème semaine philosophique de
Kinshasa, du 26 avril au 1er mai 1981, Faculté
Théologique de Kinshasa, 496 p.
MORIN Jacques-Yvan (dir.), (1997), Actualité
scientifique Les droits fondamentaux :
Actes des 1ères journées scientifiques
du réseau droits fondamentaux de
l'A.U.P.E.L.F.-U.R.E.F., Tunis, 9-12 octobre 1996, Bruxelles,
Bruylant, 444 p. MORIN Jacques-Yvan (dir.), (2000), Actualité
scientifique Les défis des droits
fondamentaux' : Actes des 2èmes
journées scientifiques du réseau droits
fondamentaux de l'A.U.P.E.L.F.-U.R.E.F. Québec, octobre
1999, Bruxelles,
Bruylant.
SOMMAIRE III
DEDICACE IV
REMERCIEMENTS V
ABREVIATIONS VI
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE : INFRASTRUCTURES THEORIQUES DE
L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE 6
Introduction 7
Chapitre I. Les fondements de l'anthropologie politique de J.
LOCKE 8
I.1. Les fondements historiques 8
I.1.1. Situation socio-politique de l'Angleterre à
l'époque de J. LOCKE 8
I.1.2. La tendance Tory 8
I.1.3. La tendance Whig 10
I.2. Les fondements philosophiques 12
I.2.1. L'anthropologie des doctrines du contrat social 12
I.2.2. La pensée grecque païenne 12
I.2.3. La pensée chrétienne médiévale
14
I.2.4. Les Temps Modernes 15
Chapitre II. L'anthropologie politique de J. LOCKE 19
II.1. Les trois moments du contrat social 19
II.1.1. L'état de nature 19
II.1.2. Le contrat ou la convention 20
II.1.3. La société civile ou communauté
politique 23
II.2. L'aspect polémique des traités politiques de
J. LOCKE 24
II.2.1. Polémique vis-à-vis de T. HOBBES 24
II.2.2. Polémique vis-à-vis de R. FILMER 28
II.3. Les circonstances exceptionnelles de résistance au
souverain 30
II.4. Le problème de la légitimité
institutionnelle 32
Chapitre III. Une nouvelle perspective éthique et
politique 36
III.1. Forme et organisation du gouvernement civil 36
III.1.1. L'aménagement des institutions de la
république 37
III.1.2. Le pouvoir législatif 37
III.1.3. Le pouvoir exécutif 38
III.1.3. Le pouvoir fédératif 39
III.2. Du gouvernement civil et de ses finalités 40
III.3. Les bornes du gouvernement civil 43
III.4. Le gouvernement civil et la communauté
ecclésiastique 44
III.5. Originalité de la nouvelle perspective
éthique et politique 45
Conclusion 48
DEUXIEME PARTIE : DE L'IDEE D'UNE PHILOSOPHIE DES DROITS
DE L'HOMME DANS L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE 49
Introduction 50
Chapitre IV. La philosophie contemporaine des droits de l'homme
51
IV. 1. La Déclaration universelle des droits de l'homme
51
IV. 1.1. Analyse de la Déclaration universelle des droits
de l'homme 52
IV. 1.2. L'avant-propos et les préfaces de
l'édition de 1988 52
IV. 1.3. Le préambule et les trente articles 53
IV.2. Originalité et philosophie politique de la D.
U.D.H. 54
IV.4. Quelques Déclarations des droits de l'homme dans
l'histoire 57
IV.4. 1. La Déclaration des droits des citoyens (Bill of
rights, 1689) 57
IV.4.2. La Déclaration d'indépendance (1776) 57
IV.4.3. La Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen (1789) 58
Chapitre V. Sur la pensée libérale de J. LOCKE
59
V. 1. Les fondements de la politique libérale 59
V. 1.1. La loi naturelle et ses différentes obligations
59
V.2. La loi naturelle et le fondement de la
propriété 61
V.3. Finalité du paradigme lockien du libéralisme
64
V.3.1. Le rejet des dogmatismes et de l'absolutisme 64
V.3.2. Le plaidoyer pour la liberté et la
tolérance 65
V.4. Les conditions de l'Etat de droit 67
Chapitre VI. L'intuition lockienne d'une théorie des
droits de l'homme 69
VI. 1. La mutation des obligations naturelles en droits
fondamentaux 69
VI.2. Reconnaissance et attribution des droits fondamentaux 72
VI. 1.2. Taxinomie des droits fondamentaux 73
VI.1.3. Les droits inclusifs 74
VI.1.4. Les droits exclusifs 75
VI.3. Du paradigme lockien des droits de l'homme à la
philosophie contemporaine des droits de l'homme 76
Conclusion 79
TROISIEMME PARTIE : L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE
ET LA DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME 80
Introduction 81
Chapitre VII. Identité, analogie ou homologie ? 82
VII. 1. Analogie ? 82
VII.2. Homologie ? 84
VII.3. Identité ? 85
Chapitre VIII. J. LOCKE et la Déclaration universelle des
droits de l'homme 87
VIII. 1. J. LOCKE, un ancêtre droits de l'homme 87
VIII.2. L'aspect théorique des traités politiques
de J. LOCKE 88
VIII.3. Manque de taxinomie des droits dans les traités de
J. LOCKE 89
Chapitre IX. Les droits de l'homme, un long processus historique
92
IX. 1. L'expérience des grandes religions 92
IX. 1.1. Le message judéo-chrétien 92
IX.1.3. Le message coranique 95
IX.2. L'expérience des cultures non occidentales 98
IX.2. 1. Les cultures africaines 98
IX.2.1. L'expérience de l'Orient 101
IX.3. L'expérience exceptionnelle de la culture
occidentale 104
Conclusion 108
CONCLUSION GENERALE 109
RAPPORT DE SOUTENANCE 117
I. Allocution de soutenance 118
I. 1. Problématique et objectifs 118
I. 2. Résumé de l'étude 120
I. 3. Résultats de l'étude 121
II. Le jury de la soutenance 126
II. Remarques du jury / Observations of jury 126
BIBLIOGRAPHIE GENERALE 127
I. Ouvrages de J. LOCKE 128
II. Quelques ouvrages sur J. LOCKE 128
III. Quelques ouvrages sur les droits de l'homme 129
IV. Ouvrages annexes 130
V. Quelques ouvrages de philosophie générale
132
VI. Quelques ouvrages d'histoire 132
VII. Quelques revues. 133
VIII. Quelques usuels 133
IX. Certains actes des colloques 133
TABLE DES MATIERES 135
Revu et corrigé selon les observations du
Jury de soutenance. (c) NGAKOSSO-OKO
Sédard-Roméo Yaoundé, février
2003.
|
|