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Le Discours fondateur des droits de l'homme dans l'anthropologie politique de John LOCKE : essai de compréhension de l'apport lockien dans la Déclaration universelle des droits de l'homme

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par Sédard-Roméo NGAKOSSO-OKO
Université de Yaoundé I - Maîtrise en Philosophie 2001
  

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REPUBLIQUE DU CAMEROUN

Paix - Travail - Patrie

REPUBLIC OF CAMEROON

Peace - Work- Fatherland

UNIVERSITE DE YAOUNDE I THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I

FACULTE DES ARTS, LETTRES ET FACULTY OF ARTS, LETTERS AND

SCIENCES HUMAINES SOCIAL SCIENCES

DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

Department of philosophy

 
 
 

LE DISCOURS FONDATEUR DES DROITS DE L'HOMME
DANS L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE : ESSAI DE
COMPREHENSION DE L'APPORT LOCKIEN DANS LA DECLARATION
UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME.

 

Mémoire présenté en vue de l'obtention du diplôme de maîtrise en philosophie
Par

Sédard-Roméo NGAKOSSO-OKO
Licencié en philosophie

Option : Philosophie Morale et Politique

Avec

Sous la direction du l'encadrement du

Professeur Guillaume BWELE, Docteur Lucien AYISSI,

Maître de conférences, Chargé de cours.
Chef du Département de Philosophie.

ANNEE ACADEMIQUE 2001 -2002
Academic year 2001-2002

 
 

II

SOMMAIRE

SOMMAIRE III

DEDICACE IV

REMERCIEMENTS V

ABREVIATIONS VI

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE : INFRASTRUCTURES THEORIQUES DE L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE 6

Introduction 7

Chapitre I. Les fondements de l'anthropologie politique de J. LOCKE 8

Chapitre II. L'anthropologie politique de J. LOCKE 19

Chapitre III. Une nouvelle perspective éthique et politique 36

Conclusion 48

DEUXIEME PARTIE : DE L'IDEE D'UNE PHILOSOPHIE DES DROITS DE L'HOMME DANS L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE 49

Introduction 50

Chapitre IV. La philosophie contemporaine des droits de l'homme 51

Chapitre V. Sur la pensée libérale de J. LOCKE 59

Chapitre VI. L'intuition lockienne d'une théorie des droits de l'homme 69

Conclusion 79

TROISIEMME PARTIE : L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE ET LA DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME 80

Introduction 81

Chapitre VII. Identité, analogie ou homologie ? 82

Chapitre VIII. J. LOCKE et la Déclaration universelle des droits de l'homme 87

Chapitre IX. Les droits de l'homme, un long processus historique 92

Conclusion 108

CONCLUSION GENERALE 109

RAPPORT DE SOUTENANCE 117

I. Allocution de soutenance 118

I. 1. Problématique et objectifs l'étude 118

I. 2. Résumé de l'étude 120

I. 3. Résultats de l'étude 121

II. Le jury de la soutenance 126

II. Remarques du jury / Observations of jury 126

BIBLIOGRAPHIE GENERALE 127

TABLE DES MATIERES 135

DEDICACE

A la mémoire du Pr. C. PAIRAULT, Sj. et de notre frère Alain KINKIELELE

REMERCIEMENTS

Nous remercions vivement nos encadreurs : le professeur Guillaume BWELE et le docteur Lucien AYISSI. Non seulement ils ont bien voulu diriger et codiriger cette présente étude, mais aussi, ils nous ont maintes fois encouragé et incité à persévérer sur les sentiers tortueux de la recherche scientifique. Qu'ils voient ici le témoignage de notre reconnaissance très vive pour la vigilance critique et les suggestions toujours fécondes. A ces deux précédents, nous associons tous les membres du corps professoral du Département de Philosophie de l'U.Y.I., pour nous avoir suivi ces deux dernières années.

Nous exprimons également notre gratitude à nos bienfaiteurs : le professeur Dieudonné KINKIELELE et le professeur Claude PAIRAULT, Sj., (décédé peu avant le second tirage de ce mémoire ; une occasion pour nous de lui rendre hommage), qui en outre avait bien voulu relire notre manuscrit. Qu'ils trouvent ici la preuve de notre gratitude pour le soutient et les encouragements.

Ce travail doit énormément à Mme Suzanne BIWOLE-SIDA pour ses pertinentes observations, à l'équipe de la bibliothèque de l'A.P.D.H.A.C. et à celle de l'U.C.A.C.-I.C.Y. pour la collaboration particulière. Nous ne saurions clore ces remerciements sans témoigner notre gratitude vis-à-vis de nos parents : monsieur et madame NGAKOSSO-OKO ; à nos amis : Marquise-Flore TIENCTHEU KAMENI, Christian-Philippe KANGA, Casimir Servais ESSOMBA et à tous nos camarades de philo. IV 2000-200 1 pour l'ambiance et la compagnie. Enfin, à tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation du présent travail et dont les noms ne figurent pas ici.

Cette étude a fondamentalement été soutenue par une allocation du Programme de Petites Subventions pour la Rédaction de Mémoires et de Thèses initiée par le Conseil pour le Développement de la Recherche en Science Sociales en Afrique (CODESRIA).

Sédard-Roméo NGAKOSSO-OKO.

ABREVIATIONS

A. I. : Amnesty International. Créé en 1961, Amnesty International est un mouvement de défense des droits de l'homme. Ses activités sont centrées sur les prisonniers (détenus d'opinions) et la liberté de la presse. Le mouvement se veut indépendant des gouvernements, factions politiques, idéologies ou religions. Il a reçu le prix Nobel de la paix en 1977. Cette organisation a donné une remarquable réédition de la D.U.D.H. en 1988 en l'occasion du quarantième anniversaire dudit document.

A.P.D.H.A.C. : Association pour la Promotion des Droits de l'Homme en Afrique Centrale C.A.D.P. : Charte Africaine des Droits des Peuples à Disposer d'eux-mêmes, 1981.

C.C.T.A.P.T.C.I. : Convention Contre la Torture et Autres Peines ou Traitements cruels Inhumains, 1984.

C.E.T.F.D.E.F. : Convention sur l'Elimination de Toutes Formes de Discrimination à l'Egard des Femmes, 1980.

C.E.D.H. : Convention Européenne des Droits de l'Homme, 1950. C.I.D.H. : Charte Internationale des Droits de l'Homme.

D.A.D.H. : Déclaration Américaine des Droits de l'Homme, 1948. D.D.E. : Déclaration des Droits de l'Enfant, 1959.

D.U.D.H. : Déclaration Universel des Droits de l'Homme, instrument international de protection des droits de l'homme promulgué par l'O.N.U. le 10 décembre 1948.

E.P.C.E.H. : Essai Philosophique Concernant l'Entendement Humain, ouvrage de J. LOCKE. GREENPEACE : Association écologique de défense et de promotion des droits de l'homme. L.T. : Lettre sur la tolérance, ouvrage de J. LOCKE.

O.N.U. : Organisation des Nations Unies.

O.U.A. : Organisation de l'Unité Africaine

P.R.D.C.P. : Pacte Relatif aux Droits Civils et Politiques, 1966.

P.R.D.S.E.C. : Pacte Relatif aux Droits Sociaux Economiques et Culturels, 1966. T.G.C. : Traité du gouvernement civil, ouvrage de J. LOCKE.

U.C.A.C.-I.C.Y. : Université Catholique d'Afrique Centrale, Institut Catholique de Yaoundé

U.N.I.C.E.F. : United Nations International Children's Emergency Fund, un organe des Nations Unies spécialisé dans les questions relatives à l'enfance.

U.Y.I. : Université de Yaoundé I.

« Le bien public et l'avantage de la société étant la véritable fin du gouvernement, je demande s'il est plus expédient que le peuple soit exposé sans cesse à la volonté sans bornes de la tyrannie ; ou, que ceux qui tiennent les rênes du gouvernement trouvent de l'opposition et de la résistance, quand ils abusent excessivement de leur pouvoir, et ne s'en servent que pour la destruction, non pour la conservation des choses qui appartiennent en propre au peuple ? »1.

1 J. LOCKE, T.G.C, trad. D. MAZEL, GF-Flammarion, 1992, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 229, p. 313.

INTRODUCTION GENERALE

Il y a plus d'un demi-siècle, choquée par les atrocités du second grand conflit mondial, l'humanité, à la recherche d'une nouvelle éthique internationale, faisait adopter le 10 décembre 1948 par l'Assemblée Générale de l'O.N.U., la

2

D.U.D.H.. L'objectif étant de faire la promotion de la justice, de l'égalité, de la paix ainsi que de la dignité inhérente à la personne humaine, en vue de réprimer la tendance naturelle de l'homme vers le mal. Tendance à l'absolutisme, à l'esclavage et à l'exploitation de l'autre-moi. Depuis, cette vision est devenue la pierre angulaire d'une dynamique d'envergure internationale en faveur des droits de l'homme.

Historiquement, la dynamique internationale dans le cadre de laquelle il y a aujourd'hui l'inflation du concept des droits de l'homme a réellement connu son essor avec la Philosophie des Lumières. Cette dernière a défini les canons de la légitimité institutionnelle devant protéger les droits de l'homme et du citoyen. En dépit de la différence qui peut opposer les problématiques des théoriciens de ce mouvement, celles-ci se recoupent toutes sur la nécessité de substituer à l'ordre socio-politique existant, aberrant et tyrannique, un ordre politique fondé en raison.

L'anthropologie politique de J. LOCKE (1632-1704), n'échappe pas à ce contexte historique. Fondée sur la distinction « état de nature/état civil », elle est une minutieuse réflexion philosophique sur l'origine, l'étendue et la finalité propres de l'autorité politique. Elle reste toute entière dominée par le rejet de l'absolutisme qui, des STUART et de CROMWELL, en Angleterre, à LOUIS XIV en passant par RICHELIEU, en France, constituait le problème commun des citoyens de cette époque. Ce rejet de la monarchie absolue, associé à celui de l'arbitraire et des dogmatismes caractéristiques du XVIIème siècle3, a conduit LOCKE à réfuter la théorie de droit divin des rois ou de l'imperium paternale (pouvoir ou empire des pères), soutenu par BOSSUET (1627-1704) à la suite de R. FILMER (1588-1653). C'est pour cette raison, avions-nous constaté, qu'il est conceptuellement en rupture vis-à-vis de la tradition

2A.I. en a donné une remarquable réédition en 1988 à l'occasion du quarantième anniversaire dudit document.

Nous soulignons cependant que cette organisation n'est pas l'auteure de la D. U.D.H. Elle est l'oeuvre d'une

Commission Internationale mandatée par l'O.N.U., dont l'Assemblée Générale entérina l'adoption. 3J. LOCKE fustigent ces dogmatisme, E.P.C.E.H., Vrin, 1998, Livre IV ; Chapitre XVI, § 04, pp. 550-551.

politico-religieuse de son époque, dont il sait parfaitement qu'elle est encore active. Son ouvrage fondamental, le T.G.C. (1690), véritable plaidoyer pour la liberté humaine, donne une nouvelle tonalité à la philosophie politique. C'est la défense raisonnée des droits des peuples.

La nouvelle philosophie politique que J. LOCKE promeut se fonde sur son optimisme anthropologique. Notamment à travers des concepts comme celui de trust (confiance). Avec cette idée de trust, le T.G.C. introduit simultanément une foi nouvelle en l'homme, une nouvelle conception de l'autorité politique, et véhicule toute une théorie de la citoyenneté ou du peuple raisonnable qui a ouvert la voie à la pensée politique des Lumières.

Avec cette théorie en effet, les idées de raison, de droit naturel, de tolérance préparent leur triomphe, et, à leur suite, se forgent en philosophie politique les concepts opératoires de contrat, d'individualisme, de volontarisme, de consensualisme et de constitutionalisme, socle de la promotion des libertés fondamentales comme le soulignaient déjà GROTIUS (1583-1645) et PUFENDORF (1632-1677). Ainsi, se trouvent théoriquement définies les bases d'une politique nouvelle : un nouveau sens du concept de légitimité politique et une «reconception» de la personne humaine comme sujet de droit devant devenir la valeur et la norme fondamentale de gestion des sociétés civilisées. C'est l'émancipation de la conscience politique :

« Les hommes, ainsi qu'il a été dit, étant tous naturellement libres, égaux et indépendants, nul ne peut être tiré de cet état, et être soumis au pouvoir «politique» d'autrui, sans son propre consentement, par lequel il peut convenir, avec d'autres hommes, de «se joindre» et de s'unir en société pour leur conservation, pour leur sûreté mutuelle, pour la tranquillité de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur appartient en propre, et être mieux à l'abri des insultes de ceux qui voudraient leur nuire et leur faire du mal »4.

Désormais, la politique n'a plus à se fonder sur la transcendance. Elle est enfin descendue sur la terre et s'impose comme un devoir à assumer. Ce devoir correspond à la promotion du peuple, reconnu comme réalité juridique et comme

4J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992, Chap. VII : De la société politique ou civile, § 95, pp. 214-215.

sujet de droit5. Il dépend des hommes d'entendre les commandements de la loi de la nature et d'en accomplir la téléologie immanente. La liberté est synonyme d'obéissance aux lois ; et l'égalité se comprend selon ce principe que les mêmes lois s'appliquent à la fois, et à tous les citoyens, et au souverain. Enfin, que nul des deux n'est supposé être au-dessus de celles-ci.

Ceci, non seulement, montre l'appartenance de J. LOCKE à ce vaste concert de revendications politiques des Lumières, dont l'objectif est de réaliser le renouveau institutionnel et politique, mais aussi, érige son système en paradigme politique dans le cadre de la défense raisonnée des libertés fondamentales des êtres humains. C'est de cette nouvelle éthique politique que l'humanité contemporaine se réclame à travers les notions de droits de l'homme, de démocratie, de bonne gouvernance et de transparence. Dans cette optique, la D. U.D.H. promulguée par l'O.N.U., est très significative. On peut affirmer que ce document, sur lequel, sont non seulement fondées et gouvernées, mais aussi et surtout, justifiées et légitimées nos sociétés contemporaines, a été construit sur le modèle de l'anthropologie politique de J. LOCKE, en reprenant les grandes lignes de ce système à son propre compte. D'où la nécessité de nous interroger sur la part des idées lockiennes dans l'élaboration dudit document. Ceci est une piste de recherche, notre intention est exactement de poser des jalons de réflexion.

Aujourd'hui, plus de trois cents ans nous séparent de J. LOCKE, et cinquante environ, de la D. U.D.H. Mais la frappante proximité entre ces deux systèmes dans la reconnaissance et la promotion des droits fondamentaux de l'homme suscite des interrogations et nous interpelle. En effet, nous demandons- nous, un acte de l'envergure de la D.U.D.H., ne trouve-t-il sa source que dans l'unique prise de conscience des hommes devant les atrocités de la deuxième guerre mondiale, quand en fait, l'histoire des idées politiques vécues au quotidien par les hommes nous révèle d'autres paradigmes d'énonciations et de défenses des libertés fondamentales --telle l'anthropologie politique de J. LOCKE-- pouvant aussi bien

5F. TINLAND, «Le sujet de droit dans la philosophie politique de T. HOBBES, J. LOCKE et de J.J. ROUSSEAU», in Archives de la philosophie du droit, T. 34 : Le sujet de droit, Sirey, 1989, pp. 51-60.

conduire à une réalisation analogue au chef-d'oeuvre onusien ?

Fondamentalement, notre contribution est une analyse philosophique dont la fin est de déterminer les incidences de l'anthropologie politique de J. LOCKE sur la D.U.D.H.. Pour cela, trois grands moments constitueront l'ossature de cette contribution. Le premier moment nous conduira avant de dégager les grandes orientations conceptuelles, à examiner les fondements théoriques de l'anthropologie politique de J. LOCKE. Puis, après avoir analysé le document onusien, nous donnerons notre point de vue sur les conditions de possibilité d'une philosophie des droits de l'homme dans cette anthropologie politique. Ce qui nous autorisera dans la troisième et dernière partie de notre analyse, à nous prononcer sur la possibilité d'incidence de l'intuition lockienne de défense et de promotion des libertés fondamentales de l'homme sur la dynamique contemporaine des droits de l'homme en oeuvre dans la D. U.D.H. Enfin, une conclusion générale clôturera ce travail.

PREMIERE PARTIE : INFRASTRUCTURES THEORIQUES DE
L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE

Introduction

Rechercher les infrastructures théoriques de l'anthropologie politique de J. LOCKE est une attitude qui consiste à se poser des questions sur ce qui soutient cette conception de l'homme. Autrement dit, c'est rechercher les fondements de ce système de pensée. En effet, c'est là une façon de procéder très chère à notre discipline, la philosophie. Toute son histoire, de l'antiquité grecque (SOCRATE vers 470-399 av. J.-C.) jusqu'à notre époque (HEIDEGGER 1889-1976 ; HUSSERL 1859- 1938), en est marquée. A la lumière de cette histoire, ce concept désigne « ce qui sert de base ». C'est le principe de stabilité servant de base à un système, à une entreprise. Ainsi parle-t-on des fondements de l'Etat, de la société civile, d'une doctrine. Dans cette première grande section de notre étude, nous allons renouer avec cette exigence majeure de notre discipline en appliquant cette recherche des fondements à l'anthropologie politique de J. LOCKE

En effet, c'est cette anthropologie politique, qui, pour l'une des premières fois dans l'histoire des idées, a essayé de modéliser la solution aux préoccupations classiques de la philosophie politique (quel doit être le souverain légitime, et à qui doit revenir légitimement le pouvoir politique) en termes de souveraineté populaire. C'est également à partir d'elle que la philosophie politique a su relancer sa propre histoire en déplaçant désormais ses interrogations. Ainsi donc, à la question du souverain légitime, ce sont ajoutées d'autres plus techniques. Comme quelles doivent être les relations entre l'Etat et la société ? Quelles sont les limites, s'il doit y en avoir, du pouvoir de l'Etat, y compris lorsqu'il s'agit d'un Etat démocratique ?

Comme nous pouvons le voir, la recherche des fondements équivaut ici à ce qui soutient ce système philosophico-politique. Elle présente un double avantage. D'une part, elle nous permet d'accéder aux principes fondateurs de ce système philosophico-politique. D'autre part, elle nous prédispose à l'appréhension et à la compréhension des grandes orientations conceptuelles de ce paradigme philosophique d'interprétation du fait politique et juridique. Ce double avantage constitue l'objet principal de notre première partie.

Chapitre I. Les fondements de l'anthropologie politique de J. LOCKE

I.1. Les fondements historiques

I.1.1. Situation socio-politique de l'Angleterre à l'époque de J. LOCKE

La vie6 de J. LOCKE coïncide avec un chapitre important de l'histoire d'Angleterre. Son oeuvre exprime une double évolution : historique et idéologique. Historiquement, il est lié à GUILLAUME III d'Orange (1650-1702) et à la Glorious revolution de 1688/89. Celle qui fait date dans l'histoire de la liberté des peuples. Idéologiquement, il assiste à la mise en place d'une monarchie constitutionnelle dont il est non seulement l'admirateur, mais aussi le théoricien en plaidant pour le pluralisme confessionnel et politique. A cette époque, la réflexion sociale et politique n'est pas homogène. Cette diversité est la traduction des besoins politiques, éthiques et religieux et est dominée par l'opposition significative de deux grandes tendances : la tendance des Tories et celle des Whigs.

I.1.2. La tendance Tory

Les Tories sont favorables à l'Eglise anglicane, élevée au rang de religion officielle d'Etat par l'Acte de Suprématie7, et à la Couronne dans sa version absolutiste monarchique, creuset de l'arbitraire et des injustices. C'est la tendance aristocratique. Elle représente l'idéologie dominante. Soutenue dans une moindre mesure par T. HOBBES (1588-1679), dans son oeuvre monumentale, le Léviathan, 1650. Mais son défenseur le plus zélé reste R. FILMER, avec son maître ouvrage, Patriarcha or natural power of kings, 1680 (Patriarche ou pouvoir naturel des rois).

Patriarcha or natural power of kings est un essai sur l'obligation politique et l'origine historique du pouvoir qui légitimait l'autorité de Charles Ier STUART (1600-1649) sous sa forme la plus absolue au nom du droit divin des rois,

6Sur cette vie dont nous faisons ici l'économie, nous renvoyons aux ouvrages suivants : P. KING, Life of John LOCKE, 2 volumes, 1829 et 1830 ; H. R. FOX BOURNE, The life of John LOCKE, 1876, 2 volumes, et enfin, M. CRANSTON, John LOCKE, a biography, 1957.

7L'Acte de Suprématie scella la rupture entre l'Eglise d'Angleterre et l'Eglise catholique romaine en proclamant la primauté de la première sur la seconde. Il fut signé en 1534. Nous renvoyons sur ce sujet à R. MARX, Religion et société en Angleterre de la réforme à nos jours, P.U.F., 1978, p. 13 & p. 34.

 

8

8Jacques VI d'Ecosse, cité par R. MARX, Op. Cit., pp. 16-17.

9Jacques II STUART, Instructions à son fils, 1692, cité par R. MARX, Idem, p. 17.

fondé sur la puissance paternelle et la primogéniture. Il met l'accent sur l'ordre social, et, le sanctifiant, ordonne une identique soumission aux lois de Dieu et à celles des hommes. Dans cette optique, toute une somme d'institutions et de coutumes rappellent aux Anglais que pour être de bons sujets, ils doivent accomplir leurs devoirs religieux, et que cela exige leur soumission à l'ordre établi. Cette sacralisation de l'Etat et des institutions s'opère à travers la personnalité même du prince. Voici la quintessence de cette sacralisation que résume Jacques VI d'Ecosse :

« Les rois ne sont pas seulement les lieutenants de Dieu sur la terre, assis sur le trône divin lui-même, mais, bien plus, Dieu en personne les a dénommés dieux [...] Les rois sont la tête du microcosme humain [...] De même qu'il est blasphématoire de mettre en question un acte de Dieu, de même il serait séditieux pour des sujets de critiquer ce qu'un roi accomplit dans la plénitude de son pouvoir »8.

De même, Jacques II STUART (1633-1701), après avoir été privé de son trône par la révolution de 1688/89, a lui aussi un discours analogue quand il dit à son fils que « les rois ne sont comptables d'aucune de leurs actions que devant Dieu et eux-mêmes »9. Il apparaît clairement que l'ordre politique est déterminé par le respect même de la loi divine ; et à la sacralisation des institutions politiques correspond celle de l'ordre social. Rébellion et péché ici sont indissolublement liés. Dans la mesure où le conformisme religieux apparaît à la fois comme une pente naturelle sur laquelle il faut se laisser glisser, tout comme il est un comportement imposé par la loi sous peine de sanctions graves. L'autorité civile est requise pour prêter main forte à l'exécution des ordonnances ecclésiastiques.

C'est dans cette optique que, sous ELIZABETH Ière (1553-1603), une Cour de Haute Commission fut mise sur pied pour statuer sur les cas marginaux. A partir de 1660-1678, d'autres raisons confirmèrent de cette orthodoxie : 1661, le Corporation Act excluait des fonctions municipales toute personne ne communiant pas dans l'Eglise officielle d'Angleterre ; 1673, le Test Act étendait ces dispositions à l'ensemble des fonctions civiles et militaires. Enfin, en 1678, le Second Test Act lui aussi, excluait du parlement, toute personne qui ne pouvait pas faire preuve de

10Sur ces exclusions et répressions, cf. R. MARX, Idem, pp. 30-80. Egalement VOLTAIRE, Lettres philosophiques, Lettre sur la religion anglicane, GF-Flammarion, 1964, pp. 42-44.

11 Connue sous le nom de la Déclaration des droits des citoyens. Elle fut lue et approuvée au parlement le, 13 février 1689 devant la nouvelle reine, Marie STUART et le nouveau roi, GUILLAUME III d'Orange. Ce texte est donné en Appendice de : J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992, pp. 359-360. Voir ci-dessous pp.57-58.

12S. E. BARKER, La Monarchie constitutionnelle anglaise, Fosh & Cross Ltd, 1950, p. 05.

son orthodoxie. Dans ce dernier cas, l'administration adoptait de plus en plus une législation soupçonneuse et répressive. La fin étant de faire prendre conscience aux personnes concernées de leur indignité, et les persuader de renoncer à leurs errements10. De tels principes n'ont pas manqué d'être remis en question au temps des deux grandes révolutions du XVIIème siècle. C'est l'oeuvre des Whigs.

I.1.3. La tendance Whig

S'appuyant sur les arguments des monarchomaques réfugiés aux Pays- Bas, les Whigs prennent le contre-pied des Tories. C'est ainsi qu'ils n'ont pas hésité à justifier les guerres et les révolutions, respectivement sous Charles Ier STUART et Jacques II STUART. Leur message est celui de la tolérance, du pluralisme confessionnel et politique. Pour eux, la tolérance apparaît comme un droit naturel au même titre que la liberté individuelle et la propriété. J. LOCKE, dans ses différentes L.T. de 1664 à 1689 et dans son T.G.C., se fait tout à la fois l'écho et le guide de cette tendance contestataire. A côté de lui, se trouvent d'autres auteurs comme : S. ALGERNON (1622-1683), le poète MILTON (1608-1674), E. COKE (1552-1634), etc.

Ces auteurs ont exercé une profonde influence sur la maturation de l'opinion anglaise en matière politique. Les Anglais ont effectivement revendiqué et exercé le droit de juger face à l'arbitraire de ses monarques au XVIIème siècle. Il y eut une rébellion contre Charles Ier STUART en 1642 et une révolution contre Jacques II STUART en 1688/89. La dernière particulièrement changea même les normes de succession au trône, en adoptant une importante loi11 qui limitait les pouvoirs du roi. C'est à cette loi que S. E. BARKER fait allusion quand il dit :

« Une loi fut également votée, loi particulièrement importante et connue sous le nom de Déclaration des droits des citoyens, qui limitait les pouvoirs du roi. La monarchie était dorénavant une monarchie limitée. Et, étant donné que ces limites étaient déterminées par un document constitutionnel, nous pouvons lui donner le nom de monarchie constitutionnelle »12.

Une telle tendance est essentiellement républicaine et démocratique. Elle prône la liberté par la loi promulguée et connue de tous, et l'idée de la balance des forces au sein du corps politique. Elle est également favorable à la politique de la représentativité du peuple au parlement par les élus locaux, à travers laquelle ses promoteurs voient un moyen pour le peuple de s'autogérer. Comme nous pouvons le voir, de cette pensée, il se dégage des thèses constitutionnalistes, qui expriment un contexte doctrinal qui est déjà celui des démocraties occidentales modernes, et même contemporaines.

Le summum de cette réflexion est incarné par G. SAVILLE (1633-1685), marquis de Halifax (Lord) et par J. TYRELL, avocat, deux auteurs qui ont exercé une profonde influence sur la pensée politique de J. LOCKE. Le T.G.C. en porte des marques. Lord Halifax, est l'auteur de The character of a trimmer (1688). Dans cet ouvrage, l'auteur retrouve l'intuition aristotélicienne du « juste milieu » en assimilant l'action du gouvernement civil à celle du capitaine de navire, le trimmer, qui en agissant sur le gouvernail, maintient le navire en équilibre. C'est-à-dire en excluant les extrêmes : ni trop à bâbord, ni trop à tribord. Donc ni républicanisme démocratique que risque de gangrener l'intérêt et la passion, ni absolutisme monarchique parce que tenté par l'arbitraire. Le trimmer symbolise le gouvernement mixte où se conjuguent l'autorité du prince et la liberté des sujets.

Quant à lui, J. TYRELL est l'auteur de The Patriarcha unmonarched (1681), une réplique à l'ouvrage de R. FILMER plus haut indiqué (page 8). L'ouvrage de J. TYRELL trace déjà le contexte doctrinal dans lequel s'inscrira le traité politique de J. LOCKE qui, non seulement combat l'absolutisme dans toutes ses manifestations, mais aussi, conceptualise un plaidoyer pour la monarchie constitutionnelle.

Enfin, il convient de mentionner qu'à côté de ces deux grandes tendances, figuraient également d'autres mouvements protestataires difficilement catégorisables. Ces mouvements étaient plus ou moins associés à certaines «Eglises dissidentes». C'est le cas des Levellers (niveleurs), Diggers (bêcheurs), Seeckers (chercheurs), Ranters (divagateurs) qui, malgré des procédés et objectifs divers, se

rejoignaient tous dans un unique dessein : subvertir le statu quo, la société aristocratique et les croyances établies.

I.2. Les fondements philosophiques

I.2.1. L'anthropologie des doctrines du contrat social

L'idée de « contrat social » s'oppose à la thèse naturaliste de l'origine des sociétés civiles et de l'autorité politique. Elle est la pierre angulaire de la réflexion philosophico-politique. Son origine est très controversée13. Certains la situent dans la Bible, qui a considérablement influencé J. LOCKE14. Ils y trouvent une relation scellée par un engagement indissoluble dans la distinction des partenaires qu'elle relie : Dieu et l'homme. D'abord avec NOE après le Déluge15, ensuite avec ABRAHAM16 et enfin avec MOÏSE et le peuple rassemblé au pied du mont Sinaï17. D'autres dans l'illustre civilisation égypto-mésopotamienne avec le très célèbre Code d'HAMOURABI (XVIIIème siècle av. J.-C.)18. D'autres encore dans l'antiquité grecque. Essayons de remonter aux sources de cette intuition. Nous allons voir ce qu'il en est chez les païens grecs, ensuite la métamorphose dans l'Occident chrétien médiéval, et enfin, son paroxysme dans la renaissance et la modernité occidentales avec des possibilités d'en évoquer les persistances de nos jours.

I.2.2. La pensée grecque païenne

Au Vème siècle avant JESUS-Christ les Grecs19 s'interrogeaient déjà sur le fondement du fait politique et juridique : l'existence des lois et des constitutions, la jurisprudence et les tribunaux, etc. Avec le mouvement philosophique initié par SOCRATE (vers 470-3 99 av. J.-C.) et celui des sophistes, pareille réflexion connue son

13Sur cette controverse, voir l'excellent ouvrage de S. GOYARD-FABRE, L'Interminable querelle du contrat social, Edition de l'Université d'Ottawa, 1983.

14Rappelons de mémoire que, LOCKE a été destiné par ses parents à la cléricature. A Christ Church, il a suivi une formation à cet effet, avant de se réorienter en médecine. Dans ses traités politiques de 1690, il cite abondamment les Saintes Ecritures.

15E.B.J., Genèse IX, Cerf/Verbum Bible, 1988.

16Idem, Genèse, XV, 17.

17 Idem, Exode, XXIV.

18Nous renvoyons à F. DUMAS, La Civilisation de l'Egypte pharaonique, Arthaud, 1965, p. 190. Egalement S. GOYARD-FABRE, Op. Cit., Introduction, p. 22.

19SOPHOCLE dans ces tragédies, Antigone par exemple, s'interroge sur la nature des lois. Lorsque par exemple CREON condamne ANTIGONE pour avoir inhumé son frère en dehors des prescriptions édictées par la loi, celle-ci lui répond qu'elle a agit conformément aux lois immuables qui émanent du Ciel.

 

12

20ARISTOTE, La Politique, T I, Livre I, 1253a 2, Vrin, 1962, pp. 28-29.

21Idem, Livre I, 1253a 2p. 30.

22PLATON, La République, Livre II, 359a, GF-Flammarion, 1966, pp. 108-109.

23PLATON, Protagoras, 337a-338b in Protagoras, Euthydème, Gorgias, Menexène, Menon, Cratyle, GFFlammarion, 1990, pp. 68-69.

apogée et, certainement aussi, son plus haut point de systématisation. Deux écoles s'affrontent : les tenants du naturalisme et ceux du conventionnalisme.

Selon les promoteurs de la première école, HESIODE (vers la fin du VIIIème siècle av. J.-C.) et HERACLITE (vers le VIème siècle av. J.-C.) par exemple, les lois ont une origine divine. ZEUS en est l'auteur tout comme la société. Dans cette même optique, la constitution que donna LYCURGUE (entre le XIème et le IXème siècle av. J.- C.) à Sparte lui fut dictée par Dieu. ARISTOTE (3 84-322 av. J.-C.) d'ailleurs ne s'en démarquera pas, selon la tonalité de ce passage de La Politique20 où, reprenant l'intuition présocratique, il s'oppose aux sophistes, partisans du conventionnalisme. La famille, les normes et la cité estime-t-il, sont au nombre des réalités qui existent naturellement. Voilà pourquoi « l'homme est un animal raisonnable » par nature. Ainsi, l'homme sans cité est soit un apatride, soit un être dégénéré, soit encore au- dessus de l'humanité. La cité ne résulte pas d'une convention qui s'opposerait à la nature. Les citoyens ne sont pas, comme le pensait GORGIAS (vers 487-vers 380 av. J.-C.), fabriqués en séries par l'Etat comme les artisans fabriquent les vases21.

Les sophistes, en lesquels nous avons reconnu le courant opposé, avaient établi une antithèse entre la nature et la loi. Celle-ci signifie clairement que tout ce qui est coutume, loi ou convention, ne fait pas partie de l'ordre naturel des choses, et n'existe qu'en vertu de l'opinion convenue entre les hommes, dont il n'y a pas de traces dans les choses naturelles22. A cet artifice de la loi, se joint une explication génétique de la société civile. D'où, vivre selon la nature est une hérésie. La nature est violente, désordonnée et imparfaite, il faut corriger ses imperfections afin de bien vivre23. L'existence et l'ordre dans la cité reposent sur une opposition à cette dernière. De façon génétique, structurelle et institutionnelle, la cité est le résultat d'un pacte. Les institutions ne s'imposent qu'en vertu d'un commun accord passé entre les hommes. Nous voici ici sur une piste qui nous amène à assimiler les sophistes aux pionniers de l'idée de « contrat social ».

24PLATON, OEuvres, T I, Criton, 51 a, b, c & e, les Belles Lettres, 1920, pp. 227-229. Le citoyen (SOCRATE) est lié à la cité par un pacte tacite, le pacte civil. Il s'est mis en accord avec les lois pour faire ce qu'elles ordonnent. D'où la tentative d'évasion de prison proposée par CRITON est rejetée par celui-ci, parce que considérée comme un acte incivique.

25S. GOYARD-FABRE, L'Interminable querelle du contrat social, Edition de l'Université d'Ottawa, 1983, p. 39. 26TITE-LIVE, Histoire romaine, cité par PUFENDORF, Droit de la nature et des gens, « B.P.P.J. » du Centre de philosophie politique et juridique de l'Université de Caen, 1987, Livre VII, Chapitre III, § 01.

Certes, ce sont les sophistes qui ont le plus marqué le conventionnalisme antique. Mais il n'en demeure pas moins que l'on retrouve également cette même idée dans certains dialogues de PLATON24 (428-348 av. J.-C), chez les Epicuriens25 et même chez certains auteurs romains de l'époque impériale comme l'atteste ce passage : « L'autorité ne tire son origine que du consentement de ceux qui s'y soumettent »26.

Comme nous pouvons le constater, s'il est possible de parler des origines grecques de l'idée de « contrat social », il faut le dire, c'est une attitude qu'il faudra adopter avec beaucoup de circonspection. Car, il y a encore des écueils dans cette conception. Elle n'échappe pas à l'antithèse nature/loi et à l'ontologie que ces concepts supposent. Aussi, est-elle davantage développée comme une éthique politique que comme une science du politique. Enfin, il manque encore la thématique qui pose l'individu et l'Etat comme deux extrêmes, entre lesquels il faut établir un lien. Ce qui n'empêche pas que les deux thèmes de conventionnalisme et d'individualisme qui domineront la doctrine du contrat social à l'époque moderne puissent se réclamer d'un lointain enracinement dans la philosophie grecque.

I.2.3. La pensée chrétienne médiévale

Préoccupés par un souci d'ordre apologétique imprégné d'une volonté de prédication et par le problème des relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, les penseurs chrétiens du Moyen Age n'ont pas vraiment proposé de théorie du contrat social. C'est l'opinion qu'il est possible de se faire, à l'examen des travaux de saint AUGUSTIN (354-430) et de saint THOMAS d'Aquin (1225-1274). Avec eux, la philosophie est plutôt animée par une immense espérance eschatologique. Si bien que l'organisation de la cité humaine vise à exprimer le mieux qu'il est possible la beauté de la Cité de Dieu, qui a valeur de paradigme ontologique éthique et politique. Comparée à cette thèse, l'idée de « contrat social », dont le ressort réside

dans l'initiative des individus et suppose l'indépendance des volontés et des personnes est nulle. Elle manque de consubstantialité à l'Etre et est beaucoup trop fragile, pour s'insérer dans le cosmos chrétien où d'ailleurs elle sonne faux. Cette idée, génératrice de souveraineté voue les hommes au pluralisme politique et à la relativité des ordres de droit positif.

A la suite d'ARISTOTE, saint THOMAS pense que l'Etat est une communauté naturelle qui se réalise en vertu de la sociabilité que Dieu a inscrite dans l'ontologie même de l'homme. L'autorité du prince ne se comprend dans cette optique qu'en rapport avec Dieu, qui seul, peut la déléguer. L'idée de « contrat social », qu'il soit un contrat de société ou de souveraineté, apparaît ici comme complètement inutile. L'autorité politique légitime, fondée en Dieu, doit être guidée par la Foi et s'exercer sous l'égide de l'Eglise. La notion d'Etat est effacée en tant qu'entité juridique, même en tant que réalité politique. Il ne reste que l'Institution Pontificale. C'est un avatar27 de la théorie du contrat social. L'intuition contractualiste dont les sophistes avaient pourtant compris qu'elle traduisait la maîtrise de l'homme dans la construction de sa propre cité, ne peut plus au Moyen Age trouver de place. Elle se dilue dans le non-sens. Saint AUGUSTIN et saint THOMAS, sans s'y appesantir, laissent clairement entendre que les exigences de leurs philosophies sont ailleurs, que toute convention humaine est frappée de finitude et marquée du sceau de la négation. Simone GOYARD-FABRE souligne dans cette optique :

« A cette époque, la vie politique n'est pas comprise dans l'horizontalité d'une théorie contractualiste demeurant au niveau de la «terra humana» qui porte l'empreinte de la faillibilité de l'homme ; elle a besoin d'une relation verticale, d'une relation de transcendance qui l'unisse à l'au-delà et à l'absolu »28.

I.2.4. Les Temps Modernes

Non seulement, la pensée contractualiste culmine à l'époque moderne, mais ce moment représente un tournant décisif dans l'histoire de son élaboration. Cette époque est divisible en deux grandes phases. D'un côté, nous avons la période classique, le XVIIème siècle, avec les auteurs comme : T. HOBBES (1588-1679), H. GROTIUS (1583-1645), S. PUFENDORF (1632-1694), B. SPINOZA (1632-1677) et J. LOCKE

27S. GOYARD-FABRE, Op. Cit., p. 49.

(1632-1704), avec des ouvrages hautement significatifs. Respectivement le Léviathan (1650), le Droit de la guerre et de la paix (1727), le Droit de la nature et des gens (1672), le Traité théologico-politique (1670), et le Traité du gouvernement civil (1690). De l'autre côté, il y a le XVIIIème siècle, les Lumières, où nous avons remarqué l'apport considérable de J.J. ROUSSEAU (1712-1718) avec son Du contrat social ou principe du droit politique (1762), et E. KANT (1724-1804) avec ses Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine et de son Traité de paix perpétuelle (1795).

Ces penseurs ont donné une nouvelle configuration conceptuelle à la notion et à la doctrine du contrat social. Mais, leurs différentes conceptions y relatives restent protéiformes et très controversées. Dès qu'on les confronte, on ne sait plus exactement : le contrat social est-il l'acte par lequel se forme la société ou se fonde le gouvernement, est-il conclu entre les particuliers ou entre ces derniers et le souverain ? Résout-il un problème de fondement ou d'origine, de genèse ou de structure, de constitution sociale ou de légitimité politique ? Enfin, le contrat est-il un acte unique ou se décompose-t-il en deux ou trois actes différents, ces actes sont- ils successifs ou simultanés ?

Ce qui est certain, c'est que ces inquiétudes traduisent une évidence. L'idée de « contrat social » est devenue une plate-forme de la philosophie politique et s'est chargée des équivoques au point de rendre sa nature difficile à cerner. C'est dans cette optique qu'il faudra comprendre les premières critiques qui lui étaient adressées. Nous pensons ici à celles de SHAFTESBURY (1617-1713)29, de MONTESQUIEU (1689-1755)30, surtout à celle de D. HUME (171 1-1776)31, la plus virulente de toutes.

Au-delà de cette controverse constatée entre ces théoriciens, leurs

28Idem, p. 73.

29Il s'agit d'A. ASHLEY COOPER III, 3ème comte de Shaftesbury, petit-fils de l'ami de LOCKE, dans son ouvrage intitulé, les Characteristics.

31D. HUME, Essai sur le contrat primitif, Vrin, 1972, p. 136. Egalement S. GOYARD-FABRE, Op. Cit., pp. 204- 210.

30MONTESQUIEU, 44ème Lettre persane. L. ALTHUSSER en a donné un remarquable résumé : MONTESQUIEU, la
politique et l'histoire
, P.U.F., 1985, p. 21 & pp. 26-29. Egalement S. GOYARD-FABRE, Op. Cit., pp. 203-204.

32J. RAWLS, Théorie de la justice, Seuil, 1987, p. 91 : « En premier lieu : chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de liberté de base égale pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres. Deuxièmement : que les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, (a) l'on puisse raisonnablement s'attendre à ce qu'elles soient à l'avantage de chacun et (b) qu'elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous ».

différentes conceptions se recoupent dans son organisation en trois moments. A l'origine, l'état de nature. Ensuite le contrat ou le pacte social. Enfin, l'état civil ou la communauté politique. Ce paradigme du contrat montre qu'on ne fait plus appel à une légitimité de type religieux ou transcendant pour approuver l'autorité politique. Et que la base de l'autorité n'est rien d'autre qu'un contrat volontaire, passé tacitement entre l'ensemble des individus ayant consenti à vivre en communauté politique les uns avec les autres. Ceci, en vue de leur épanouissement, de leur bonheur et de leur sécurité.

Même à notre époque, l'intuition contractualiste de l'origine de la société est loin d'être parvenue au terme de son parcours. Elle est présente dans la monumentale Theory of justice (1971) de J. RAWLS. Ce livre est une tentative de redéfinition de l'idée de la justice distributive. C'est-à-dire : du principe d'allocation et de redistribution des richesses économiques, sociales et symboliques dans le contexte des sociétés contemporaines traversées par le « fait du pluralisme » et de son corollaire d'inégalités. RAWLS soutient que, dans une société bien organisée, l'accord sur « Deux principes de justice »32 devraient fonder l'adhésion des populations aux institutions démocratiques.

D'un côté, le premier principe reconnaît à tous les individus des libertés égales. D'un autre côté, et à condition que le premier principe soit respecté et conçu comme prioritaire, il faut que tous les membres de la société puissent se représenter la répartition des biens et des richesses comme équitable au sens où ils ne puissent imaginer une autre répartition plus « juste ». Ainsi, même les plus défavorisés devront considérer que les inégalités existantes sont à leur avantage. Pour une démocratie, RAWLS estime qu'il ne s'agit pas de supprimer toutes les injustices. Mais de s'interroger sur celles qui sont compatibles avec le respect des libertés fondamentales, de la dignité anthropologique et sur celles qui ne le sont pas, et qui doivent être réformées.

Pour réaliser cette entreprise, RAWLS recourt à une fiction méthodologique qui place les individus dans une situation idéale afin de choisir les meilleurs principes de justice sociale acceptables par tous. Cette situation idéale ou « position originelle » correspond au « voile d'ignorance »33. Là dedans, les individus ignorent la place qu'ils occuperont et les conditions du monde dans lequel ils vivront une fois le contrat passé. Cette « position originelle » dans laquelle les hommes adoptent les normes de leur société future est l'équivalent «post-moderne» de l'idée de « contrat social ».

Comme nous pouvons le voir, la réflexion philosophico-politique n'a pas fait fortune égale entre la thèse naturaliste et la thèse conventionnaliste de l'origine de la société. On dénote la prépondérance de la dernière sur la première, dont elle démontre l'incohérence en raison et anéantit la perspicacité. Après avoir traversée le monde païen et le monde chrétien, cette idée de « contrat social » est devenue avec les Modernes, une manière communément admise de penser le problème de l'origine des sociétés civiles et de l'autorité politique. En d'autres termes, un lieu commun de la philosophie politique classique. Elle est une «re-conception» de l'homme ayant atteint majorité et autonomie, arraché aux superstitions éthiques et au pluralisme politique dont s'était encombrée son histoire au Moyen Age. De cette «re-conception» de l'homme, est née une nouvelle manière de voir, la silhouette d'un homme nouveau, séduisante, riche et pleine d'espérance. C'est ce message d'optimisme politique que J. LOCKE véhicule dans son anthropologie politique.

33J. RAWLS, Op. Cit.,pp. 168-169.

34J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992, Chapitre II : De l'état de nature, § 04, p. 143.

Chapitre II. L'anthropologie politique de J. LOCKE

II.1. Les trois moments du contrat social

II.1.1. L'état de nature

Cet extrait du T.G.C. décrit les caractéristiques et la logique du fonctionnement de l'état de nature :

« [...] un état de parfaite «liberté», un état dans lequel, sans demander la permission à personne, et sans dépendre de la volonté d'aucun autre homme, ils (les hommes) peuvent faire ce qu'il leur plaît, et disposer de ce qu'ils possèdent et de leurs personnes, comme ils jugent

à propos, «pourvu qu'ils se tiennent dans les bornes de la loi de nature» »34.

Dans cet état, Dieu a originellement mis les hommes et prescrit la loi naturelle. Celle-ci inspire la paix et la bienveillance réciproques entre eux. Bien que l'état de nature indique aux hommes les desseins moraux de l'humanité, il ne comporte pas cependant les moyens d'en assurer avec certitude l'accomplissement. Car, la nature humaine étant fragile, chacun peut céder à la passion, à l'intérêt, à la corruption et à la vengeance ; se détournant ainsi, de cette loi d'obligation qu'est la loi de nature voulue par Dieu. Alors, les différends éclatent entre les individus, et il n'y a aucun juge commun pour trancher. Le droit naturel de chacun est dépourvu de toute dimension juridique.

Voilà pourquoi LOCKE, contrairement à HOBBES, refuse d'assimiler l'état de nature à un état de guerre. Il admet tout de même que les individus y sont exposés à beaucoup d'inconvénients et d'incertitudes. C'est pour cette raison qu'ils aspirent à un autre état qui puisse leur donner la sécurité et les garanties que réclame une raison raisonnable. Autrement dit, les hommes ont besoin d'une société civile, dans laquelle une législation et un système judiciaire et juridique communs, protègent leurs « personnes », leurs « libertés » et leurs « biens ». Au besoin, en sanctionnant ceux qui violent la loi universelle de nature sur la base des normes stables et connues de tous.

35J. LOCKE Op. Cit., Chapitre XI : De l'étendue du pouvoir législatif, §§: 124, 125 & 126, pp. 237-238.

Il ressort donc sous la plume de LOCKE que, l'état de nature n'est pas essentiellement conflictuel. Il est dynamique. C'est ce dynamisme qui prédispose les hommes à la bienveillance réciproque. Mais, avec l'apparition de la propriété privée, doublée du manque d'arbitre et des règles du jeu approuvées par tous, cette bienveillance naturelle observable entre les individus est susceptible d'être niée et contredite. Ce qui peut, en dernier ressort, générer des conflits entre les particuliers. Au bout du compte, l'état de nature apparaît comme conflictuel. Il apparaît clairement que c'est un état défectueux. D'où le recours à l'artifice des hommes afin de corriger ses défauts qui sont : le manque des lois établies connues, reçues et approuvées d'un commun consentement, c'est-à-dire, de règles fixant la nature des châtiments proportionnels à la nature des délits ou crimes commis ; l'absence d'un juge commun, lequel est chargé par la communauté d'évaluer les transgressions et de prononcer les châtiments, enfin, une force publique, capable de faire que la sentence du juge et l'intention de la loi deviennent réalité effective. Cet autre extrait du T.G.C. condense non seulement l'idée de cette défection de l'état de nature, mais aussi, énonce une perspective pouvant conduire à son amélioration :

« C'est pourquoi, la plus grande et la principale fin que se proposent les hommes, lorsqu'ils s'unissent en communauté et se soumettent à un gouvernement, c'est de «conserver leurs propriétés», pour la conservation desquelles bien des choses manquent dans «l'état de nature». «Premièrement», il y manque des lois établies, connues, reçues et approuvées d'un commun consentement, qui soient comme l'étendard du droit et du tort, de la justice et de l'injustice, et comme une commune mesure capable de terminer les différends qui s'élèveraient [...] «En second lieu, dans l'état de nature», il manque un juge reconnu, qui ne soit pas partial, et qui ait autorité de terminer tous les différends, conformément aux lois établies [...] «En troisième lieu, dans l'état de nature» il manque ordinairement un pouvoir qui soit capable d'appuyer et de soutenir une sentence donnée, et de l'exécuter »35.

II.1.2. Le contrat ou la convention

En même temps que J. LOCKE entend ruiner les thèses de R. FILMER qui, à l'instar de BOSSUET, s'était fait le défenseur à la fois, de la monarchie absolue et de l'identification du pouvoir politique à l'imperium paternale, en même temps, il expose la théorie du bouleversement constitutionnel anglais qui a évincée Jacques II

37Idem, Chapitre VIII : Du commencement des sociétés politiques, §§ : 98-99, pp. 216-217.

STUART, et instituée sous GUILLAUME III d'Orange, un régime parlementaire. Cette théorie définit un nouveau type de contrat politique entre la nation et le souverain. Ainsi, bien que naturellement sociable, l'homme doit au moyen de conventions, construire la société civile. Cette construction va de pair avec le choix du régime politique. Elle requiert simultanément un contrat (compact) et un trust, qui, en mettant fin à l'état de nature, forment un corps politique entre les hommes. La caractéristique essentielle de ce corps est de faire prévaloir la règle majoritaire, à défaut de l'unanimité impossible au monde des hommes en raison des passions ou carences psychologiques et morales :

« Car «si le consentement du plus grand nombre» ne peut raisonnablement être reçu comme un «acte de tous», et obliger chaque individu à s'y soumettre, rien autre chose que le consentement de chaque individu ne sera capable de faire regarder un arrêt et une délibération, comme un arrêt et une délibération de tout le corps [...] Car où «le plus grand nombre» ne peut conclure et obliger le reste à se soumettre à ses décrets ; là on ne saurait se résoudre et exécuter la moindre chose, là ne saurait se remarquer nul acte, nul mouvement d'un corps ; et par conséquent, cette espèce de corps de «société» se dissoudrait d'abord » 36.

Dans le compact, il ne s'agit pas d'assembler les individus que la nature a enfermés dans une insularité, telle qu'ils redoutent devant la présence d'autrui, les conflits et la mort. Le contrat originaire (originary compact) n'est pas un pacte d'association. Puisque par nature, les hommes appartiennent à cette vaste famille qu'est l'humanité, (mankind). Il est plutôt un pacte de spécification qui détermine à l'intérieur de la société originaire, des ensembles qui seront susceptibles de former sous un gouvernement et des lois, une unité politique37. Dès lors, le passage de la société naturelle à la société civile dit J. LOCKE, se produit chaque fois que des hommes en nombre quelconque, entrent en société civile. C'est-à-dire : dès qu'ils

36Idem, Chapitre VII : De la société politique ou civile, § 98, pp. 216-217. La traduction de B. GILSON est plus concise pour illustrer cet aspect de la pensée de J. LOCKE. Il est possible de lire : « La majorité a le droit de faire agir le reste et de décider pour lui [...] ; Il faut que chaque individu accepte le consentement de la majorité comme l'équivalent rationnel de la décision de l'ensemble et s'y soumette [...] Quand la majorité ne peut pas décider pour le reste, les gens ne peuvent pas agir comme un seul corps et cela entraîne la dissolution immédiate du corps politique », J. LOCKE, Deuxième traité du gouvernement civil, Vrin, 1985, § 98.

38Idem, Chapitre VII : De la société politique ou civile § 89, p. 208. 39Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 241, p. 325.

constituent dorénavant un même peuple, un corps politique unique sous un seul gouvernement suprême38.

Ce compact qui assurément exige un accord (agreement) entre les individus, ne suffit pas encore à la constitution de la société politique. Il la rend seulement possible plus tard. Ce qui nous conduit à réaliser que, chez LOCKE, la communauté politique se forme par deux actes spécifiques. D'une part, l'originary compact forme par le consentement unanime des membres, la volonté unique qui sera confiée au corps politique. Cette volonté s'exprime par le pouvoir législatif qu'exerce au nom de la majorité, ceux que la communauté a investis à cette fin. D'autre part, c'est dans ce second acte, le trust, que réside le ressort essentiel du politique. C'est-à-dire, que c'est lui qui détermine le pouvoir d'établir les lois fondamentales, positives et permanentes de l'Etat (Commonwealth). A travers lui, une mission spéciale est confiée par le peuple au gouvernement : toujours oeuvrer pour le bien public.

Le gouvernement, en vertu de la loi de la nature et dans les limites qu'elle lui impose, est tenu de remplir cette mission39. Les citoyens, sous peine d'incohérence, sont tenus d'obéir aux lois, qu'ils ont eux-mêmes contribuées à édicter. L'originalité de ce contrat est d'être une obligation sans contrainte, à la fois pour le gouvernement et pour les citoyens. Le trust est une obligation morale. A travers ce paradigme de trust, les hommes libres sont en train de transformer, par leur consentement, la forme de leur liberté, ce qui revient au même, la forme de leurs droits. Comme nous le voyons, pour la première fois dans l'histoire des hommes et des idées, un libéralisme politique est défini. Dans cette définition, le consentement des individus à la vie civile prend une force en consacrant l'idée du droit à la propriété et à la liberté. C'est cette force qui joua en faveur des révolutionnaires orangistes contre Jacques II STUART en 1688/89. C'est encore elle qui influença les révolutionnaires sécessionnistes américains de 1776. Elle n'a pas laissé indifférents les constituants français de 1789.

40MONTESQUIEU en souligne gravement le vertige sémantique : De l'Esprit des lois, T. I, GF-Flammarion, 1993, Livre XI, Chap. 2 & 3 : « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ».

Le contrat social provoque, selon J. LOCKE, la métamorphose de la liberté qui n'est plus une liberté selon la nature, mais une liberté selon la loi40. Le droit naturel à la liberté est désormais garanti par une constitution. Il tire sa réalité juridique du contrat qui définit la mission du gouvernement. L'optimisme libéral est là tout entier et la légitimité n'est plus à chercher du côté du pouvoir du monarque. Son principe réside dans la volonté des individus membres de la communauté politique.

II.1.3. La société civile ou communauté politique

La société politique se forme, dit J. LOCKE, lorsque les hommes se dessaisissent du pouvoir de juger et de châtier qu'ils tiennent tous de la nature, et le confient à un magistrat commun. Il revient à ce dernier d'en assurer la gestion en vue du bien commun seulement : « protéger les citoyens et ce qu'ils ont en propre ». La société civile repose donc sur l'union des hommes, décidés à former un seul corps, dans lequel il y ait un système juridique et judiciaire commun auquel ils peuvent recourir. Ce système a compétence pour trancher les différends qui s'élèveront entre eux et punir les délinquants. La sanction repose sur la détermination des lois permanentes dont la violation entraîne l'application d'un châtiment proportionné.

C'est donc pour assurer le respect des droits que chacun tient de la nature, et pour éviter que l'effort de chacun pour s'assurer la disposition de sa personne et de ses biens conduise à l'état de guerre, que tous renoncent au droit de se faire justice selon leur propre volonté. Ils donnent alors mandat à l'autorité pour assumer cette charge. Tout en lui reconnaissant la possibilité de requérir leur propre force à l'occasion d'une action publique. Ce propos de J. LOCKE est significatif :

« Ceux qui composent un seul et même corps, qui ont des lois communes établies et des juges auxquels ils peuvent appeler, et qui ont l'autorité de terminer les disputes et les procès qui peuvent être parmi eux et de punir ceux qui font tort aux autres et commettent quelques crimes : ceux-là sont en «société civile» les uns avec les autres ; mais ceux qui ne peuvent pas appeler de même à aucun tribunal sur la terre, ni à aucunes «lois positives», sont toujours dans «l'état de nature», où il n'y a point

41J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992, Chapitre VII : De la société politique ou civile § 87, pp. 206-207. 42Idem, § 98, p. 216.

d'autre juge, étant juge et exécuteur soi-même, ce qui est, comme je l'ai

montré auparavant, le véritable et parfait «état de nature» »41.

J. LOCKE assimile le pouvoir confié au magistrat par un artifice des hommes à un pouvoir suprême. Mais, cette suprématie se distingue de l'absolutisme, et ne se comprend qu'exclusivement dans son association avec la notion de trust. En d'autres termes, ce pouvoir n'est suprême que dans le contexte de la mission qui lui est dévolue. Il ne saurait être arbitraire sur le bien du peuple, d'autant plus que la propriété doit toujours être à l'abri. Par conséquent, le pouvoir suprême est conditionnel, pas absolu. Cette suprématie n'est légitime qu'à condition que ce pouvoir s'acquitte de sa mission : assurer la paix et la sécurité, sauvegarder, les personnes, les libertés et les biens. Le pouvoir suprême ne saurait se concevoir en contradiction avec sa mission. Si, les responsables à qui est dévolue sa gestion négligent leur mission ou l'assument mal, il revient nécessairement, aux mains du peuple, garant de la légitimité en dernier ressort. La communauté politique est le véritable juge ; à elle de trancher selon le « principe de la majorité » si le magistrat doit rester ou partir. Elle demeure donc le pouvoir suprême. Chez J. LOCKE la loi fondamentale est la loi de la propriété.

II.2. L'aspect polémique des traités politiques de J. LOCKE

II.2.1. Polémique vis-à-vis de T. HOBBES

Très souvent J. LOCKE est présenté comme un critique de T. HOBBES. Le raisonnement est sommaire jusqu'à l'erreur. Il convient ici de lever l'équivoque. Il est malaisé de constater d'emblée que le nom de l'auteur du Léviathan, n'apparaît nulle part dans le traité politique de J. LOCKE. Sauf son livre, Léviathan, qui y est mentionné une fois42.

Aussi, la pensée politique de J. LOCKE n'a pas toujours été encline au libéralisme comme cela se dit. En d'autres termes, J. LOCKE a lui aussi connu une période absolutiste. C'est précisément quand il était jeune. En effet, le jeune LOCKE

est l'auteur de quatre textes inédits. Les deux premiers, des poèmes43 sont une louange en l'honneur de O. CROMWELL (1599-1658), un usurpateur-tyran. Les deux derniers, des essais44, dans lesquels répondant à un libellé de son ami étudiant, E. BAGSHAWE, J. LOCKE se réjouit successivement de la restauration de Charles Ier STUART et défend avec fougue l'autorité des rois et l'obéissance des sujets. Comme nous le relevons, à cette époque, la pensée de J. LOCKE exprime une nette proximité avec la philosophie politique de T. HOBBES. C'est d'ailleurs l'avis de S. GOYARD-FABRE et de plusieurs autres commentateurs de la pensée politique de J. LOCKE :

« Il (J. LOCKE) a donc bien traversé une époque anti-libérale, et lors même qu'il récusait l'étiquette de «hobbiste» et se défendit toute sa vie d'en avoir subi l'influence, l'ombre de HOBBES planait à cette époque sur sa réflexion politique »45.

Le dépassement de la tentation hobbienne se fait sentir dès 1664 avec les Essays on the law of nature et se précise dans l'Essai sur la tolérance de 1666 avant de prendre sa formulation définitive dans le traité politique de 1690. Non sans avoir emprunté à T. HOBBES l'idée selon laquelle c'est le contrat qui est non seulement, l'acte générateur de la souveraineté, mais aussi, l'acte fondateur de la société civile. Au reste, J. LOCKE lui sait aussi gré d'avoir su distinguer un état où les hommes sont hostiles les uns vis-à-vis des autres, l'état de nature, et un autre état, l'état civil, où les hommes sont régis par des lois publiques (Common law). Il ressort clairement que le système de J. LOCKE est bien tributaire de la pensée politique de T. HOBBES.

43Composé en 1653-1654 : l'un en vers anglais et l'autre en vers latin. Pendant cette période, CROMWELL était devenu le personnage le plus important de la République. Sur ces deux poèmes, voir C. BASTIDE, J. LOCKE, ses théories politiques et leurs influences en Angleterre, Leroux, 1906, p. 13.

44Composé en 1660 : l'un en anglais, Wether the civilis magistrtate may lawfully imposes and determines the use of indifferents things in reference to religious worship. L'autre en vers latin, An magistratus civilis possit res adiaphoras in divini cultus ritus asciscere, eosque populo imponere ? Sur ces deux textes, cf. R. POLIN, «Locke et le libéralisme», Appendice de La Politique morale de J. LOCKE, P.U.F, 1960, pp. 237-250 ; et dans l'introduction à la L.T., P.U.F., 1993, pp. LXVII-LXXXIII.

45 S. GOYARD-FABRE, Introduction au Traité du gouvernement civil de J. LOCKE, GF-Flammarion, 1992, p. 19. C'est aussi l'avis de R. POLIN, «J. LOCKE et le libéralisme», Appendice de La Politique morale de J. LOCKE, P.U.F, 1960, pp. 237-250. Egalement, Y. MICHAUD, LOCKE, Bordas, 1986, pp. 14-17. De Richard ASHCRAFT, La Politique révolutionnaire et les deux traités du gouvernement de John LOCKE, P.U.F. 1999, p. 82, nous lisons : « Ces manuscrits établissent clairement qu'un nombre considérable d'éléments que nous identifierons comme le noyau de la pensée politique de LOCKE sont absents de ses écrits politiques antérieurs à 1667. C'est-à-dire que, au début des années 1660, LOCKE est prêt à accorder au magistrat civil un pouvoir absolu et arbitraire sur les actions des individus à l'intérieur de la société ; il ne souscrit pas à une théorie des droits naturels ; il est opposé à la tolérance de la dissidence religieuse ; il ne croit pas que la primauté du parlement soit une concrétisation du pouvoir législatif de la société ; il n'expose pas dans ses écrits une théorie de la propriété ou de son importance dans les origines de la société civile. Enfin, il rejette l'idée que le peuple ait le droit de résister à ses gouvernants ».

46T. HOBBES, Léviathan, Partie I, Chapitre XIV : Des deux premières lois naturelles et des contrats, Sirey, 1983, p.129.

Cependant, l'oeuvre de J. LOCKE, par certains côtés, entretient une polémique par rapport à celle de T. HOBBES. Cette polémique se situe en terrain purement philosophique, et se développe à deux niveaux. Premièrement, en ce qui concerne la conception de l'état de nature (ci-dessus pages : 19-20) d'une part, en ce qui concerne celle de l'acte générateur de la société civile et instituteur de l'autorité politique (ci-dessus pages : 20-23) d'autre part. Deuxièmement en ce qui concerne la conception et la compréhension de l'autorité politique elle-même (ci-dessus pages 3-4 et dessous pages : 26-47). En outre, pareille polémique ne signifie nullement une opposition, ni même une critique, mais plutôt un dépassement.

Chez l'auteur du Léviathan, l'acte fondant et instituant la communauté et l'autorité politiques est le résultat d'un calcul de la raison, qui, tournée vers l'avenir, détermine les conditions nécessaires à la sauvegarde des hommes. La raison ici procède par mathématiques et technique. De la simple sommation arithmétique des entités insulaires que sont les individus, elle parvient à la mise sur pied d'un homme artificiel, en qui résidera l'essence de la république. Par un ensemble de lois civiles qu'il édictera, il substituera la paix à la guerre, et, par la contrainte, il effacera la crainte. Voici la quintessence de ce calcul téléologique d'intérêts :

« De cette loi fondamentale de nature, par laquelle il est ordonné aux hommes de s'efforcer à la paix, dérive la seconde loi : que l'on consente, quand les autres y consentent aussi, à se dessaisir, dans la mesure où l'on pensera que cela est nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit que l'on a sur toute chose ; et qu'on se contente d'autant de liberté à l'égard des autres qu'on en concéderait aux autres à l'égard de soi-même. Car, aussi longtemps que chacun conserve ce droit de faire tout ce qui lui plaît, tous les hommes sont dans l'état de guerre. Mais si les autres hommes ne veulent pas se dessaisir de leur droit aussi bien que lui-même, nul homme n'a de raison de se dépouiller du sien, car ce sera là s'exposer à la violence (ce à quoi nul n'est tenu) plutôt que de se disposer à la paix »46.

Les conséquences suivantes s'imposent. L'autorité publique, pourtant issue du pacte social, n'est pas partie prenante de ce pacte. Sa puissance, il la tient de l'accumulation de tous les droits que les individus ont abdiqués. Cette formidable puissance, c'est ce qu'on appelle l'état (Commonwealth), qui se caractérise par son

empire. En cette dimension superlative, il est puissance souveraine telle qu'il n'y a pas plus grande qu'elle. C'est cette supériorité qui fait la souveraineté de l'Etatléviathan, lequel peut aussi bien s'incarner dans une Assemblée que dans un homme. L 'Etat-léviathan se distingue aussi par sa proximité avec l'autorité ecclésiastique. Sa finalité est de mettre fin par la contrainte, aux violences de l'état de nature. Le souverain, issue de ce contrat n'est pas lui-même obligé par la loi, tandis qu'avec J. LOCKE, c'est tout le contraire (pages 3-4 ; 20-23 ; 26-47). En définitive, T. HOBBES apparaît comme enclin à l'absolutisme. C'est le point de démarcation avec le vieux J. LOCKE, désormais tourné vers le libéralisme politique. Contrairement à T. HOBBES, il plaide pour la séparation des pouvoirs spirituel et temporel. La L.T. en fait foi :

« Mais afin que personne ne donne pour prétexte à une persécution et à une cruauté peu chrétienne le souci de l'Etat et le respect des lois ; et afin, au contraire, que d'autres, sous le couvert de la religion, ne cherchent pas la licence des moeurs et l'impunité de leurs crimes ; afin, dis-je que personne, soit comme sujet fidèle du prince, soit comme croyant sincère, n'en impose, ni à lui-même, ni aux autres ; j'estime qu'il faut avant tout distinguer entre les affaires de la cité et celles de la religion et que de justes limites doivent être définies entre l'Eglise et l'Etat »47.

Aussi, méthodologiquement et stylistiquement, la démarche de T. HOBBES est distincte de celle de J. LOCKE. A proprement parler, cette distinction, repetons-le, moins une opposition, qu'un dépassement. S. GOYARD-FABRE l'a si bien caractérisée quand elle dit, en substance, que T. HOBBES, en effet, élabore en termes généraux et abstraits une science politique. Sa démarche est logique et déductive48. Cette démarche est en grande partie tributaire de son pessimisme anthropologique, selon lequel la nature humaine est fondamentalement méchante et stable. La même auteure estime, par ailleurs que J. LOCKE ne croit pas en une science du politique. Car les mots dans leur fixité ont une sémantique arbitraire49 et la démarche rationnelle et déductive ne rend pas compte de la complexité des situations humaines (la nature humaine est complexe, dynamique). Le souci de J. LOCKE est de

47J. LOCKE, L.T., P.U.F., 1993, pp. 9-11.

48S. GOYARD-FABRE, Introduction au De cive, GF-Flammarion, 1982. Egalement dans, Le droit et la loi dans la philosophie de T. HOBBES, Klincksieck, 1975.

49J. LOCKE, E.P.C.E.H., Vrin, 1998, Livre III, chapitre II : De la signification des mots, § 08, p. 327 ; Chapitre IX : De l'imperfection des mots §§ : 21, 22, & 23, pp. 395-397, enfin, l'intégralité du chapitre X : De l'abus des mots, pp. 397-413.

 

27

50Sur cette doctrine politique cf., P. CARRIVE, La Philosophie anglaise. Passions, pouvoirs et liberté : de HOOKER à HUME, P.U.F., 1994, pp. 37-72 ; S. GOYARD-FABRE, introduction au T.G.C. de J. LOCKE, GFFlammarion, 1992, pp. 47-58 ; P. LASLET, Introduction et notes , in R. FILMER Patriarcha or natural power of kings, Edition LASLET, 1949. P. LASLET y a adjoint d'autres livres de l'auteur. Enfin, l'excellent ouvrage de F. LESSAY, Le Débat Locke FILMER, P.U.F., 1998.

51P. CARRIVE, Op. Cit., pp. 33-34.

52E.B.J., Romain, XII, 2.

53R. FILMER, cité par J. TULLY, LOCKE droit naturel et propriété, P.U.F., 1991, p. 92.

54Ibid., p. 91.

55J.LOCKE, T. G.C., Flammarion, 1992 : Chapitre V : De la propriété des choses, § § : 52-76.

58

J. LOCKE, Op. Cit., chapitre IX : Des fins de la société politique et des gouvernements, § 123, pp. 236-237 ; L. T., P.U.F., 1993, p. 11. Il en ressort que la propriété n'est pas seulement le droit que l'on a sur ses possessions, mais c'est aussi et surtout, le droit qu'on a sur sa vie, sa liberté, son corps. La même préoccupation est présente chez PUFENDORF, Op. Cit., Livre IX, § 03 : «Le bien du peuple est la souveraine loi. C'est aussi la maxime générale que les puissances doivent avoir nécessairement devant les yeux, puisqu'on ne leur a confié l'autorité suprême qu'afin qu'elles s'en servent pour procurer et maintenir le bien public, qui est le but naturel de l'établissement des sociétés civiles ». En un mot, ce sont toutes sortes de droits ; c'est d'ailleurs l'usage que le XVIIème siècle faisait de cette notion.

59J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 216, p. 302. 60Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements § 211, pp. 298-299.

61Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements § 212, pp. 299-301. 62Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements § 221, p. 305.

63C. BECKER, La Déclaration d'indépendance, Nouveaux Horizons, 1970, pp. 261-262. Nous avons d'ailleurs consacré un petit commentaire à ce document ( pages 57-58).

64On pourrait ici reconnaître la similitude avec LA BOETIE, Discours sur la servitude volontaire, GFFlammarion, 1978, pp. 176-178.

65Article 38c, fixant les violations des principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées.

donner une explication positive du fait gouvernemental. Dans cette optique, il émancipe le politique des a priori de la raison spéculative. Mais la polémique la plus virulente fut celle qu'il a développée envers l'ouvrage de R. FILMER (cité en page 8). Examinons à présent la substance de cette polémique.

II.2.2. Polémique vis-à-vis de R. FILMER

Sir R. FILMER est un auteur peu connu. Mais son oeuvre n'est pas des moindres. Patriarcha or natural power of kings, 1680, est son ouvrage principal dans lequel est développé l'essentiel de sa doctrine politique50. Le traité politique de J. LOCKE en est une réfutation systématique, qui a suscité à P. CARRIVE la déclaration suivante :

« La démocratie moderne trouve dans la pensée de LOCKE une de ses sources les plus importantes, et que LOCKE l'a élaborée en partie pour répondre à l'écho que suscita encore pendant plus d'un quart de siècle après la parution de la Patriarcha, la théorie absolutiste de R. FILMER »51.

S'appuyant sur les Saintes Ecritures, en particulier sur les paroles de l'Apôtre des Nations : « Celui qui résiste à l'autorité, résiste à l'ordre que Dieu a établi »52, R. FILMER s'emploie à démontrer que le pouvoir royal dérive du pouvoir paternel. Ce pouvoir fut confié au seul ADAM par Dieu, dès le commencement. Ainsi, tel Dieu trône sur l'univers, tel ADAM doit lui aussi régner sur toutes les créatures qui lui sont subordonnées ainsi que sur sa propre famille. C'est pour cette raison que, « aucun de ses descendants ne pourrait faire valoir quelque droit que ce fût sur une chose, sauf à l'avoir reçu de lui en donation, à s'en être saisi par sa permission ou le tenir de lui par héritage »53. Cette thèse de R. FILMER, déjà défendue par saint AUGUSTIN et reprise par BOSSUET, n'est autre que la théorie du droit divin des rois, également position officielle de l'Eglise catholique romaine en matière politique à cette époque. R. FILMER entendait ainsi ruiner les thèses désespérantes des monarchomaques : BUCHANAN G. (1506-1582), J. KNOX (1505-

1572), et même de T. HOBBES et de BARCLAY pourtant grands défenseurs de la monarchie absolue, pour avoir soutenu qu'un contrat était générateur de souveraineté. Selon R. FILMER, il ressort que la société est une vaste famille. La société politique étant aussi naturelle que la société familiale, le rapport du prince à ses sujets soit le même que celui du père à ses enfants. C'est un rapport de commandement à obéissance qui ne peut tolérer ni réserves, ni exceptions. L'obligation politique se ramène à une allégeance totale envers l'autorité patriarcale du prince :

« ADAM était père, roi et seigneur de sa famille ; un fils, un sujet, un serviteur, un esclave, étaient, à l'origine, une seule et même chose. Le père pouvait disposer de ses enfants comme de ses serviteurs, il pouvait les vendre. Lorsqu'il est question, dans les Ecritures, du premier recensement des biens, les serviteurs et les servants sont dénombrés parmi les possessions et patrimoine du propriétaire, comme étant ses biens »54.

R. FILMER justifie ainsi l'absolutisme monarchique comme héritage direct de l'empire paternel d'ADAM et l'obéissance passive des sujets nécessairement subordonnés et assujettis. L'idée de la liberté naturelle est ici vide de sens. C'est cette théorie que J. LOCKE va entreprendre de réfuter méthodiquement en désavouant les principes. Le sous-titre du traité politique de 1690 est révélateur de cette polémique : « The falses principles and foundations of sir R. FILMER and his followers are detected and overthrown ». Le patriarcalisme de R. FILMER est un mythe moins intelligible d'autant que la nature des choses le rejette55. Dès lors que sont démontés les faux principes du gouvernement selon R. FILMER, il convient de préciser l'origine et l'étendue véritables du gouvernement civil. Telle est la tâche entreprise par J. LOCKE dans son traité politique. Logiquement, celui-ci est la réfutation de R. FILMER et poursuit le combat pour la liberté contre l'absolutisme à travers une réflexion philosophique scientifiquement programmée.

La signification profonde du contractualisme de J. LOCKE et de sa polémique nourrie vis-à-vis de T. HOBBES et de R. FILMER, est, en fait, le rejet de l'absolutisme. Ainsi, il élabore une théorie du droit de résistance contre

l'oppression. Dans cette voie, du reste, il a été précédé par les monarchomaques56 ; certains auteurs de notre époque d'ailleurs continuent de penser la même chose sur ce chapitre 57.

II.3. Les circonstances exceptionnelles de résistance au souverain

Ici, la question qui se pose est de savoir si les citoyens ont le droit de se révolter, d'abolir ou de changer le gouvernement, au cas où celui-ci ne remplirait pas ses devoirs légitimes. C'est-à-dire, s'il viole la propriété58 ou les libertés fondamentales des citoyens qu'il est censé protéger. Comme nous nous le voyons, ce problème renvoie aux obligations ou aux devoirs des citoyens, d'après les fonctions du gouvernement. Dans la mesure où ce dernier a besoin de la coopération des citoyens pour s'acquitter de son rôle, chaque citoyen peut se considérer comme obligé. Les devoirs des citoyens découlent donc des besoins du gouvernement. Dans l'abstrait, il n'existe pas d'obligation typique du citoyen envers le gouvernement. Les gouvernements sont établis pour aider les hommes à atteindre leur objectif de bonheur le plus grand et de plein épanouissement de leur personnalité.

J. LOCKE estime que, lorsque le gouvernement cesse d'agir dans cette direction, il revient de droit au peuple, garant de la légalité et de la souveraineté, de le « modifier » ou de « l'abolir ». La propriété de l'individu revêt une importance capitale dans la communauté politique. Elle constitue le fondement de l'action politique. Il ne peut y avoir d'atteinte plus grave au droit, qu'une violation de la propriété de l'individu. Lorsqu'un gouvernement va à l'encontre du but pour lequel il a été institué, c'est-à-dire, viole la propriété des particuliers, les citoyens ont toute la latitude de le changer ou de le renverser.

56S. GOYARD-FABRE, «Le peuple et le droit d'opposition», in Cahier de philosophie politique et juridique n° 02, 1982.

57Il s'agit de H. D. THOREAU, J. HABERMAS, J. RAWLS et H. ARENDT. Une synthèse de leur doctrine sur le droit de résistance est proposée par Y. SINTOMER, «Aux limites du pouvoir démocratique : Désobéissance civile et droit à la résistance», in Actuel Marx n°24 : HABERMAS, une politique délibérative, 1998, pp. 85-104.

En d'autres termes, le peuple possède le droit de porter au pouvoir un autre gouvernement pour remplacer celui qui ne remplit pas ses fonctions. Le droit à la résistance est donc bien affirmé. Le peuple doit se rebeller contre le gouvernement qui viole les droits fondamentaux des citoyens. Il a ainsi le droit de s'opposer à l'autorité du gouvernement et de désobéir aux lois qui ne représentent pas un exercice légitime du pouvoir. Ces cas d'exercices illégitimes sont clairement définis par J. LOCKE.

C'est par exemple lorsque règne l'arbitraire ou si ceux qui font les lois n'ont pas été dûment mandatées à cet effet par le peuple59. Il en va de même quand le pays est conquis par un autre Etat. Ce fait supprime le devoir d'obéissance à l'ordre légal en vigueur. Car un contrat ne peut lier que s'il est passé librement, et l'invasion constitue par conséquent, une cause de dissolution de la société politique60. La rébellion est aussi justifiée, lorsque le pouvoir législatif se trouve altéré par suite de certains abus du pouvoir exécutif qui l'empêchent d'assumer les tâches qui lui sont dévolues61. De même la désobéissance civile devient légitime quand ces deux pouvoirs rompent le trust que le peuple a placé en eux. Par exemple, en utilisant les moyens puissants dont ils disposent pour satisfaire d'autres intérêts que le Bien Commun62.

Les lois et règlements imposés par les gouvernements en violation des droits fondamentaux de l'homme et des libertés civiques n'ont pas force obligatoire. Pour présenter ce caractère, la loi doit être juste. Les lois injustes sont tyranniques, et l'on se doit, à juste titre, de s'opposer à la tyrannie. Le droit à la résistance inclut le droit à la révolution : « abolir » un gouvernement. Il peut entraîner la mise à mort du tyran (tyrannicide), comme ce fut le cas pour Charles Ier STUART, prince indigne, bien que cet acte soit difficilement justifiable par des considérations éthiques.

Cependant, pour la stabilité de la communauté politique, J. LOCKE admet qu'il est dangereux que les citoyens décident qu'une loi ou un gouvernement est injuste. Ou encore, qu'un gouvernement rende des comptes au peuple. Voilà

pourquoi, il exige que les menaces planant sur la propriété doivent être substantielles et sérieuses. Une violation occasionnelle, si lamentable qu'elle soit, ne constitue pas une menace écrasante ni un danger évident pour le peuple. Le droit à la révolution doit donc être bien établi, et les violations du droit par les autorités gouvernementales absolument manifestes, comme ce fut le cas pour les révolutionnaires sécessionnistes américains de 1776 vis-à-vis de la GrandeBretagne63.

Le droit à la résistance est donc ancré dans une tradition humaine qui touche aux principes mêmes de l'existence de l'homme. Partout où il se trouve, l'homme doit reconnaître de telles violations comme d'odieuses atteintes à sa dignité et à sa liberté de choix. On ne peut attendre de lui qu'il vive sous de telles conditions. Le droit à la résistance devient indispensable à sa survie, en qualité d'être humain. Autrement, ce serait accepter volontairement la forme d'esclavage la plus basse. Se faire le complice de tels actes, est une attitude criminelle64, laquelle est également condamnée par la Cour Internationale de Justice dans son statut fondateur65.

II.4. Le problème de la légitimité institutionnelle

La théorie politique développée dans le T.G.C. conduit à faire du souverain la condition d'une optimisation dans la jouissance par les hommes de leurs droits naturels, sur la base d'une aliénation minimale à ce qui est légitime en condition naturelle. Cette renonciation aux prérogatives naturelles présuppose un état dit de nature, tel que nous l'avons vu plus haut (pages : 20-23). Ladite renonciation se limite à ce qui est requis pour qu'un arbitrage supérieur aux volontés individuelles empêche les différends entre particuliers de générer la violence et la mort. Ainsi tous les hommes apprennent qu'ils sont égaux et indépendants, nul ne doit léser autrui dans sa vie, sa santé, sa liberté et ses biens. Ainsi, chaque homme est tenu, non seulement de se conserver lui-même, mais aussi,

toutes les fois que sa propre conservation n'est pas en jeu, de veiller à celle du reste de l'humanité.

Il apparaît qu'il n'est pas possible de compter sur la seule rationalité des hommes pour que soit assuré à chacun, le respect de ses droits par les autres. Il importe de reconnaître aussi que chacun a le droit naturel de sanctionner les violations de la loi de nature ; laquelle serait vaine si personne dans l'état civil, n'avait le pouvoir d'en assurer l'exécution. Il y a donc un usage légitime de la violence pour prévenir ou obtenir réparation d'un dommage subi en violation de la loi naturelle, par soi ou par d'autres. Car, cela va permettre à tout homme d'invoquer de ce chef le droit de préserver le règne humain en général.

L'état civil naît donc d'une renonciation des individus à l'exercice du droit originaire à exécuter et à faire respecter la loi naturelle. C'est-à-dire : à préserver les droits que chacun détient par nature. Cette aliénation se présente comme un transfert, plus précisément, comme une élévation à la puissance communautaire du pouvoir légitime de sanctionner les manquements à la loi. L'autorité ici ne saurait ériger son pouvoir comme absolu, au-dessus des lois, où il n'y aurait aucun recours contre ses actes ou décisions. C'est précisément l'existence d'un recours contre toute décision ou action susceptible d'empiéter sur ce qui est perçu comme droits par les particuliers, qui définit l'établissement du corps politique. Ce corps politique présuppose des principes et des modes de régulation qui s'imposent à toute la société. Ces principes résident dans les lois et dans les modalités de leur mise en oeuvre, expression du pouvoir législatif. Ils ne peuvent résider ailleurs que dans les organes collectifs, auxquels nul ne peut se soustraire, même le prince, détenteur du pouvoir exécutif.

Les citoyens sont assujettis au pouvoir sous un double rapport. Premièrement, pour autant que la puissance publique s'exerce dans le cadre institutionnel établi par une volonté communautaire s'imposant à la magistrature suprême elle-même. Deuxièmement, parce que le pouvoir de la cité sur ses membres a pour finalité de protéger les individus en tant que sujet support de ces droits. Il s'ensuit que le pouvoir politique doit son existence au consentement du

peuple. Autrement dit, à l'ensemble des individus qui a adhéré à la vie civile. L'autorité politique ne naît ni du droit divin, ni de la puissance paternelle. Elle ne naît pas non plus de la force qui ne conduit qu'à la conquête ou à l'usurpation. L'essence du gouvernement civil réside dans la «juridicité» qu'expriment le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Ces pouvoirs impliquent une souveraineté dont l'assise est le peuple.

La liberté selon J. LOCKE, est la grande conquête des hommes en train de devenir maîtres de leur destinée sur la terre. Loin d'être un privilège définitivement acquis, elle se présente comme un programme à réaliser. Le gouvernement civil vise l'autonomie, le refus d'inféoder la politique à la théologie. Il signifie désormais que la politique n'a rien à demander à la transcendance, qu'elle est enfin descendue sur la terre et qu'elle s'impose comme un devoir à assumer. Ce devoir correspond à la promotion du peuple, reconnu comme réalité juridique et sujet de droit. Il dépend des hommes d'entendre les commandements de la loi de la nature et d'en accomplir la téléologie immanente. Elle est synonyme d'obéissance aux lois mises en oeuvre pendant le contrat. L'égalité se comprend ici selon le principe que la même loi s'applique à la fois et à tous les contractants et au souverain. Nul des deux n'est tenu ou supposé être au-dessus de celle-ci.

J. LOCKE inaugure une nouvelle perspective éthique et politique que nous nous proposons d'analyser immédiatement. Non avant d'avoir dit que, par opposition à cette dernière, T. HOBBES du Léviathan, verrait dans la reconnaissance par J. LOCKE, de la possibilité de dénonciation d'un abus de pouvoir, le ferment de la dégénérescence du corps politique, qui conduira tôt ou tard à la guerre civile.

Car, selon lui, au sens strict, il ne peut y avoir d'abus de pouvoir, le souverain étant le seul juge des limites dans lesquelles il maintient l'exercice de son droit naturel. La condition première de la paix civile réside alors dans une volonté souveraine incontestable, c'est-à-dire dans le représentant unique du peuple dont tous les sujets en même temps autorisent l'action et sont sans pouvoir d'exercer un recours contre elle. Ce représentant, « souverain », dit la loi, qui est telle par décision sans appel de celui qui est, en outre, juge de son application, comme des

conditions de la sanction et de sa transgression. Ainsi, la loi selon T. HOBBES, tire sa légitimité d'un pouvoir dont l'absolutisme conditionne la paix civile et la sécurité des sujets ; dont les droits imprescriptibles se limitent aux moyens d'une protection immédiate de la vie contre toute espèce de menace.

66J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992, Chapitre X : Des diverses formes de sociétés politique, §§ : 132-133, pp. 240-241.

67Idem, Chapitre IX : Des fins de la société politique et du gouvernement, §§: 124, 125 et 126, pp. 236-238. 68Idem, Chapitre X : Des diverses formes de sociétés politique § 132, pp. 240-241.

69Idem, Chapitre X : Des diverses formes de sociétés politique § 133, p. 241.

70Idem, Chapitre IX : Des fins de la société politique et du gouvernement, § 127, p. 238.

71Idem, Chapitre XI : De l'étendue du pouvoir législatif, § 134, pp. 242-243.

72Idem, Chapitre XI : De l'étendue du pouvoir législatif § 134, pp. 242-243 et chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 212, pp. 299-301.

73Idem, chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 212, pp. 299-301.

74Ibidem.

75Idem, chapitre XI : De l'étendue du pouvoir législatif, § 135 et chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, §§ : 243-244, pp. 326-327.

76Idem, chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 241, p. 325.

77Idem, chapitre XII : Du pouvoir législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, § 144, p. 251.

78Idem, Chapitre XIV : De la prérogative, § 160, pp. 263-264.

79Idem, Chapitre XIV : De la prérogative, § 164, p. 266.

80Idem, Chapitre XIV : De la prérogative, §§ : 164 & 166, pp. 266 & 267-268.

81Idem, Chapitre. XII: Du pouvoir législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, § 145, pp. 251-252.
82Idem, Chapitre. XII: Du pouvoir législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, § 145, pp. 251-252.

83Idem, Chapitre XII : Du pouvoir législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, § 148, pp. 252-253.

84J.-J. ROUSSEAU, Du Contrat social, Livre IV, Chapitre I, GF-Flammarion, 2001, p. 143.

85J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992, chapitre XVIII : De la tyrannie, § 199, p. 290.

92Idem, chapitre II : De l'état de nature, § 06, pp. 144-146 et chap. III : De l'état de guerre, § 16, pp. 154-155.

93Pierre COSTE, Eloge à feu monsieur LOCKE, contenu dans sa lettre à Pierre BAYLE en l'occasion de la mort de LOCKE et publié dans Les Nouvelles de la république des lettres, février 1705, p.154. On peut également trouver cet éloge en Appendice de J. LOCKE, Op. Cit., pp. 341à 355 et dans l'Avis aux lecteurs de J. LOCKE, E.P.C.E.H., Vrin, 1998, pp. XX à XXVII.

94S. GOYARD-FABRE, introduction, in J. LOCKE, Op. Cit., p. 126.

Chapitre III. Une nouvelle perspective éthique et politique

III.1. Forme et organisation du gouvernement civil

Le problème fondamental ici est d'examiner l'épineuse question de la forme et de l'organisation de ce corps politique commun, que nous qualifions aujourd'hui de droit public. Pour J. LOCKE, deux questions fondamentales doivent être posées à cet effet. La première, d'ordre politique, concerne le type du régime gouvernemental66, tandis que la seconde, plus technique et structurelle, est relative à son aménagement institutionnel67.

La naissance de la société civile se place sous le signe de la « règle de la majorité » (rule of majority). C'est pourquoi nous disons que chez J. LOCKE, originairement, la « majorité » s'est unie, à la fois pour donner des lois ou un système juridique à la communauté politique, et pour nommer les magistrats de leur choix afin de faire appliquer ce système. Ce qui nous conduit à dire que chez LOCKE, la communauté politique n'a pas une forme prédéterminée. C'est ainsi qu'elle peut être « une parfaite démocratie », notamment quand le pouvoir d'édicter, d'exécuter et de faire respecter les lois appartient à la majorité des citoyens, c'est-à- dire : le « plus grand nombre »68. Elle peut être aussi une oligarchie. C'est quand le pouvoir de légiférer est placé entre les mains d'un petit nombre. Enfin, ce pouvoir peut être placé entre les mains d'un seul homme. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une monarchie qui est soit héréditaire, soit élective. Mais du moment où c'est la manière de légiférer qui détermine la forme de la société civile, J. LOCKE admet la possibilité d'envisager des régimes mixtes, comme la monarchie constitutionnelle pour laquelle il éprouve beaucoup d'admiration.

Le souci de J. LOCKE ici n'est pas de faire une nomenclature des régimes politiques. Moins encore de répondre à la question classique, de la meilleure forme de gouvernement. D'où, « par communauté ou un Etat, il ne faut donc point entendre, ni une démocratie, ni aucune autre forme précise de gouvernement, mais

bien en général une société indépendante, que les Latins ont très bien désignée par le mot «civitas», et qu'aucun mot de notre langue ne saurait mieux exprimer que celui d'Etat »69. La préoccupation de J. LOCKE ici est fondamentalement éthique. Que le régime politique soit une monarchie, une parfaite démocratie ou encore une oligarchie, l'essentiel est qu'il soit légitime70. C'est-à-dire, qu'il procède de « la majorité du peuple » souverain et qu'il garantisse la « paix sociale et protège la propriété » des membres du corps politique. Ce qu'il dénonce ici, ce sont les vices, les abus de pouvoir qui, dans tous les cas sont une menace sérieuse pour la liberté civile.

III.1.1. L'aménagement des institutions de la république

Selon J. LOCKE, l'organisation du corps politique est destinée à pallier les carences de la condition naturelle de l'état de nature (voir plus haut p. 19-20). C'est pour pallier ces trois défaillances naturelles qu'il distingue trois pouvoirs au sein du Commonwealth. Le premier, c'est le pouvoir législatif, le deuxième, le pouvoir exécutif et enfin un troisième pouvoir assorti des deux premiers qu'il désigne par le terme « pouvoir fédératif ». Chacun d'eux possède des caractéristiques propres. Leurs fonctions respectives sont désignées par leurs finalités. L'important est qu'ils s'inscrivent, tous, dans une hiérarchie dont la structure et le fonctionnement rendent compte des visées constitutionnalistes. C'est-à-dire : garantir de façon simultanée la « paix sociale » et « mettre à l'abri la propriété », conformément aux prescriptions de la loi naturelle.

III.1.2. Le pouvoir législatif

C'est le pouvoir suprême de la république71. Il tire sa raison d'être du pouvoir constituant du peuple avec lequel il se confond. Il constitue non seulement la première loi positive de toute société civile72, mais aussi et surtout, il a un caractère « inaltérable et sacré » ; il est l'« âme » qui donne à la république « sa vie

et son unité »73. Le pouvoir législatif manifeste le choix du peuple désignant ses gouvernants et les habilitant à faire les lois qui le régiront74. Il existe en permanence ou de manière intermittente75. Aucune autre possibilité de légiférer n'est envisageable en dehors de lui. C'est le peuple qui l'institue via la majorité, afin de remédier à la condition naturelle. De ce fait, il est doté d'une puissance pour exprimer et manifester ses sentences. Le pouvoir législatif ne peut habiliter qui que ce soit d'autre à légiférer. Et nul législateur ne peut transmettre, ni aliéner ce qu'il a reçu du peuple souverain76.

III.1.3. Le pouvoir exécutif

L'office du pouvoir exécutif consiste selon J.LOCKE, à aider sans discontinuité les membres de la communauté politique à accomplir leur devoirs dans le cadre établi par les lois77. C'est lui qui procède à l'application des règles législatives en transformant leur caractère obligatoire en effectivité. Car, une loi que l'on n'applique pas est vaine et inutile. Sur ce chapitre, J. LOCKE est plus percutant que T. HOBBES, qui place le souverain ex-lege (en dehors ou au-dessus des lois). Pour J. LOCKE, le caractère obligatoire de la loi ne connaît pas d'exception. Aucun magistrat, puisque tous font partie intégrante du corps politique, n'est ex-lege. Tous, à quelque niveau qu'ils se situent dans la hiérarchie, sont obligés par la loi. Ce qui fait de cette dernière un rempart contre l'arbitraire.

Toutefois, J. LOCKE estime aussi que l'exécutif n'apparaît pas seulement comme un simple exécutant des ordres du législatif. Car, il possède dans des contextes exceptionnels « le pouvoir d'agir avec discrétion pour le bien public, lorsque les lois n'ont rien prescrit sur certains cas qui se présentent, ou quand même elles auraient prescrit ce qui doit se faire en ces sortes de cas, mais qu'on ne peut exécuter dans certaines conjonctures sans nuire à l'Etat : ce pouvoir, dis-je, est ce qu'on appelle prérogative, et il est établi fort judicieusement »78 . Ce pouvoir,

c'est la prérogative. Il est légalement défini, et vient combler les lacunes et les silences de la loi79. Son caractère discrétionnaire ne s'apparente en rien à l'arbitraire. Il répond chez le prince, au souci de « faire le bien ». Il est soumis aux prescriptions de la loi naturelle, et oblige le prince à la droite raison. L'action déraisonnable d'un prince ou d'un magistrat suprême ne peut en aucune façon se prévaloir de la prérogative80.

III.1.3. Le pouvoir fédératif

D'après J. LOCKE, le pouvoir fédératif (federative power)81est le troisième pouvoir de la communauté politique. Ce pouvoir gère ce que dans le langage moderne nous nommons « les relations extérieures ». Sa compétence est de déclarer la guerre, de conclure des ligues ou alliances, de signer des traités de paix, d'adopter des conventions à usage inter étatique en matière de monnaie, de communication ou de commerce, etc. J. LOCKE estime que ce pouvoir est « naturel », parce qu'il ne s'exerce pas comme les deux précédents, c'est-à-dire, dans le cadre des lois positives du Commonwealth. Car, le droit public du Commonwealth est exclusivement interne. Ainsi, le corps de la république demeure t-il toujours « dans l'état de nature par rapport à tous les autres Etats »82 ou par rapport à toutes les autres personnes qui lui sont extérieures.

Il n'existe pas de règles positives de droit international, public ou privé, aptes à régir les relations des différentes républiques entre elles ou les rapports de leurs ressortissants avec le Commonwealth. Lorsque surgissent des différends, il faut qu'interviennent les pouvoirs publics pour les trancher pour que le juste ne soit pas méconnu et bafoué. Ces pouvoirs publics interviennent par l'entremise du pouvoir fédératif. L'originalité de ce « pouvoir est d'être une fonction », plutôt que la puissance (power) d'un organe spécifique. Cette fonction ne s'explique pas par rapport à une disposition législative positive, mais relativement par l'obligation à la loi de nature. Elle est la traduction du devoir de la droite raison.

Quelques observations s'imposent. Chez J. LOCKE il est question d'une distinction et d'une hiérarchisation des pouvoirs qui sont la condition juridique de l'anti-absolutisme et l'axiome principal de son libéralisme politique. Ceci, pour deux raisons fondamentales. D'une part, la conception que J. LOCKE se fait de ces différents pouvoirs, à savoir : les pouvoirs législatif, exécutif et fédératif est plus fonctionnelle qu'organique. Et l'office qu'il leur assigne est aux confins du juridique et de l'éthique. Ainsi, l'obligation à la loi de nature s'impose en chacun d'eux au point de les situer toujours dans l'orbe de la raison droite et raisonnable. D'autre part, et du point de vue de la technique juridique, ces pouvoirs ne sont point séparés les uns des autres. L'exécutif et le législatif sont liés nécessairement, l'un à l'autre parce que l'un veille à l'application des règles édictées par l'autre. Et si le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif diffèrent entre eux par leur vocation qui les voue aux affaires internes et externes de l'Etat, ils se retrouvent en fait confiés aux même magistrats. Car, soumettre à des commandements différents la force publique dont ces magistrats font usage, est synonyme d'exposer la république au désordre et à la ruine83. Donc au lieu de « séparation des pouvoirs », il y a dans l'organisation du Commonwealth chez J. LOCKE, « distinction », mais liaison des différents pouvoirs. Cette liaison se traduit par leur convergence vers la sauvegarde du bien de la communauté.

III.2. Du gouvernement civil et de ses finalités

Dans les temps les plus reculés, estime LOCKE, un homme pouvait directement traiter avec un autre homme pour résoudre les difficultés qui surgissaient entre eux. C'est ainsi qu'en Grèce antique par exemple, les choses se passaient d'une manière directe. Chaque citoyen pouvait faire connaître sa volonté au sein d'une assemblée. Mais, l'avènement et la croissance des collectivités modifia cette procédure, en exigeant une certaine forme d'organisation sociale pour le règlement des différends. Les citoyens durent déléguer à leurs représentants la gestion des affaires communales. De nos jours, la plupart des nations sont régies par l'une de ces formes quelconques de système représentatif. C'est le degré de représentativité qui, selon J. LOCKE, fait la différence entre les régimes autoritaires et

les régimes démocratiques. C'est également cette politique de représentativité qui est la raison d'être des autorités ou du gouvernement civil.

On comprend que le rôle du gouvernement civil consiste à représenter les citoyens dans leurs relations avec la communauté. Sur un plan idéal, le gouvernement devrait représenter la volonté de chaque membre de la communauté. Ainsi, les divergences seraient aplanies par une liberté de choix individuel maximale. Il est cependant évident que les relations au sein de la communauté politique imposent l'octroi d'une priorité à certaines prétentions par rapport à d'autres. Les règles utilisées pour déterminer les priorités reflètent la structure profonde de la société, ici le principe de majorité. A la suite de J. LOCKE, J. J. ROUSSEAU dans son article l'Economie politique (1754), s'exprimera lui aussi de la même façon sur ce chapitre. Notamment quand il assimile le corps politique à un être moral qui a une volonté. Celle-ci tend toujours vers la conservation et le bien être du tout et de chaque partie. Elle est la source des lois, et se présente pour tous les membres de l'Etat et par rapport à l'Etat lui-même, comme la règle du juste et de l'injustice. Mais c'est dans un autre texte que le propos de J. J. ROUSSEAU paraît plus intéressant. Il convient de lui laisser la parole :

« Tant que plusieurs hommes réunis se considèrent comme un seul corps, ils n'ont qu'une seule volonté, qui se rapporte à la commune conservation, et au bien-être général. Alors tous les ressorts de l'Etat sont vigoureux et simples, ses maximes sont claires et lumineuses, il n'a point d'intérêts embrouillés, contradictoires, le bien commun se montre partout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour être aperçu. La paix l'union l'égalité sont ennemies des subtilités politiques »84.

Le gouvernement civil doit exprimer la volonté du peuple sur la terre, car, tout homme et tout groupe d'hommes possèdent le droit à l'autodétermination. Les personnes l'exercent par leur volonté individuelle, les groupes de personnes par leur majorité. La loi de la majorité apparaît ici comme la loi naturelle de toute société civile. Le gouvernement est un instrument au service, uniquement, de la communauté et chargé d'assurer sa protection. C'est l'objet en vue duquel il a été établi. En aucun cas, il ne doit être la négation de l'objet même en vue duquel il a été institué. Le véritable rôle du gouvernement est d'aplanir les divergences entre les

hommes de manière à permettre le maximum de libertés et de bien-être au sein de la communauté politique. Cela sous-entend aussi bien la protection de celle-ci contre les attaques qui nuiraient à l'ordre social que la création de certains services pouvant faciliter les relations en son sein, afin d'atténuer les dangers du mauvais fonctionnement des mécanismes sociaux.

En s'appuyant sur un examen minutieux des faits historiques, J. LOCKE pense qu'il est nécessaire de soumettre le gouvernement à un contrôle, pour veiller à ce que qu'il reste fidèle à son objectif initial. Le gouvernement est investi de la fonction légitime de diriger les différents groupes de la société. Les personnes doivent être protégées contre toute atteinte à leur droits. Tant de la part des groupes de particuliers qui menacent l'ordre public, que de la part du gouvernement lui- même. La règle de la majorité, en tenant compte des droits des minorités et des individus, doit tendre à garantir un respect accru de la volonté d'un plus grand nombre de citoyens, que la dictature d'un groupe ou d'un seul homme.

Le but du gouvernement doit être compris en fonction des intérêts de chaque citoyen pris individuellement. Ainsi, il est un instrument de régulation soumis aux même garanties que les groupes qu'il cherche à régir. En d'autres termes, les membres du gouvernement sont soumis à un même contrôle que les autres citoyens. Le gouvernement n'est pas au-dessus de la loi, il est placé au même pied d'égalité que les autres groupes. La décision finale reste ainsi entre les mains des citoyens. Dans le même sens, il incombe à chaque citoyen de décider si le gouvernement remplit ses obligations ou non.

Le rôle du gouvernement consiste donc à aider chaque citoyen, pris individuellement, à mieux réaliser toutes les possibilités de sa personnalité. Il dispose de puissants moyens pour réduire les souffrances humaines et aider les hommes dans leur recherche du bonheur. Sa structure doit permettre aux individus de faire l'expérience des différentes normes à cette fin. Il ne doit en aucun cas s'arroger le droit de les leur imposer quand il s'agit de l'épanouissement de leur personnalité. Les dirigeants du Commonwealth peuvent faire des recommandations, mais, en dernière analyse, il revient à l'individu de décider de concert avec les

autres, en toute conscience, de la voie à suivre pour y parvenir. Ceux qui doutent de l'aptitude des divers membres de la communauté politique à faire un choix personnel raisonnable, n'ont pas encore compris que le gouvernement qui porte atteinte aux droits fondamentaux de la personne, porte en lui-même le germe de sa propre destruction. Ainsi, quels que soient selon J. LOCKE, les désastres que peuvent causer les excès individuels, ils ne pourront jamais être aussi graves que les atrocités provoquées par les dictatures.

III.3. Les bornes du gouvernement civil

En dépit du court épisode absolutiste de sa jeunesse, l'hostilité de J. LOCKE pour toutes les formes d'absolutisme ne faisait plus mystère pour personne. Son amitié pour A. ASHLEY COOPER, Ier Compte de Shaftesbury, sa proximité ou sa préférence pour le parti Whig en sont des signes révélateurs. Le titre du second traité lève officiellement le voile (voir ci-dessus pp.28-30). En effet, J. LOCKE ne s'attarde plus seulement sur la question devenue classique de l'origine et des fins du gouvernement civil. Il se prononce aussi sur celle beaucoup plus complexe et polémique, de son étendue. Il souscrit à la thèse selon laquelle, le pouvoir politique n'est pas illimité.

La nature essentielle du gouvernement civil dit J. LOCKE, exige qu'il tire son origine du consentement populaire de ceux qui ont consenti à vivre en communauté. En d'autres termes, le gouvernement civil n'a pas un autre fondement que le consentement de la majorité à la vie civile. Ce fait est un acte de confiance des citoyens envers les représentants qu'ils ont choisis afin d'assurer le Bien Commun. Il comporte également des restrictions, c'est le plus important, puisqu'il exclut toute origine de l'autorité politique que le pacte social, et toute autre fin de cette dernière que la sauvegarde des vies, des libertés, des biens et de la cohésion sociale.

L'autorité politique ne doit s'exercer, uniquement, que dans un cadre légitime et authentique85, au-delà des limites duquel commence la tyrannie avec son cortège d'illégalités, d'offenses et d'injustices. Limiter l'autorité politique obéit à

l'exigence d'hygiène ou d'éthique politique. C'est adopter des mesures préventives afin d'orienter l'action gouvernementale vers un but préalablement voulu. Lequel but est salutaire pour tous ceux qui ont consenti à la vie civile. Ainsi, seront évitées l'hypertrophie pathologique ou les dérives du pouvoir politique. Nous retrouvons chez J. LOCKE, la survivance de l'idée de mesure et modération en ce qu'elle a de fondamentalement moral. A ce propos, nous aimerions faire quelques observations.

Cette idée de mesure et de modération traverse toute sa pensée politique. A travers elle, nous découvrons que J. LOCKE assigne au gouvernement civil des racines méta-juridiques. En d'autres termes, il faut comprendre que le fait politique ne révèle plus exclusivement du droit, mais aussi de la morale. J. LOCKE trouve dans la morale le fondement du droit et de la politique. C'est l'interdépendance du fait politique et de la morale. Aussi, cette idée de mesure et modération se mue en un éloge de la monarchie mixte qui exprime selon J. LOCKE, la nature essentielle du gouvernement civil légitime. Car, celle-ci requiert des gouvernants comme des gouvernés, une conduite raisonnée, leurs droits étant la contrepartie de leurs devoirs.

L'obligation politique est une manière d'assurer et d'assumer la confiance reçue ou accordée. Elle incombe à ceux qui gouvernent comme à ceux qui sont gouvernés. Elle exclut de part et d'autre, tout excès et toute défaillance. La monarchie mixte, par sa mesure et sa modération, est le modèle du pouvoir légitime dont l'action ne franchit pas les bornes que lui impose son essence. L'harmonie dans la communauté politique, ne résulte pas selon J. LOCKE, d'un jeu d'équilibre dans la distribution des puissances que se partagent les compétences étatiques. Mais elle réside dans la déontologie propre au trust, confiance oblige. Le pouvoir civil n'a vocation à légiférer qu'au nom du peuple et pour lui, tout le reste est forfaiture ou imposture.

III.4. Le gouvernement civil et la communauté ecclésiastique

C'est dans Le pouvoir civil et ecclésiastique (1673-1674) que J. LOCKE traite de cette question. Il compare les deux types de société et les fins qui leur sont respectivement assignées. Il pense que « la fin de la société civile est la jouissance

présente de tout ce que recèle ce monde-ci ; la fin de la communauté ecclésiale est l'espérance future de ce qui nous est destiné dans un autre monde »86. Ainsi, les biens qu'a pour mission de gérer la société politique relèvent fondamentalement de la propriété indivise, allouée à tous, tandis que ceux de la communauté ecclésiastique sont, par définition, des biens privés. Car dans la société politique, les biens de chacun sont liés à ceux de tous les autres et en dépendent toujours en quelque manière. Alors que du point de vue de la communauté religieuse, les affaires de chacun sont séparées et chaque individu subit, seul, les conséquences fâcheuses de ses actions, ses propres péchés. Poursuivant son argumentation, il estime que la plupart des hommes sont un jour ou l'autre, appelés à expérimenter l'une ou l'autre société.

Mais, c'est la L.T. qui constitue sa contribution la plus significative à cette question de la praxis politique et de la praxis religieuse. En distinguant le gouvernement civil de la communauté ecclésiale, J. LOCKE ne nie pas l'existence de Dieu. Bien au contraire, et à juste titre, il est convaincu qu'il existe un Législateur Suprême, créateur de l'univers, auquel tous les hommes sont soumis, et qui a édicté des lois au respect desquelles doivent satisfaire les entreprises de toutes ses créatures, dont l'homme. J. LOCKE recourt ici à l'argument du dessein de Dieu ou de la loi de nature développé dans l'Essai sur la loi de nature (1664) et le T.G.C. On retrouve une excellente présentation de cet argument chez James J. TULLY87. La distinction du gouvernement civil de la communauté ecclésiale répond fondamentalement à une raison éthique et des compétences propres que se partagent le magistrat et le ministre du culte : « afin de ne pas justifier la politique par la religion et vice versa » (ci-dessus page 27 note 47 et la sous-section suivante).

III.5. Originalité de la nouvelle perspective éthique et politique

J. LOCKE développe une anthropologie dont la force singulière sert l'émancipation politique de l'homme. Non seulement elle marque la naissance des sociétés civiles et de l'Etat moderne, mais aussi et surtout, à travers elle, son auteur inaugure une nouvelle tradition éthique et politique. L'Etat est nécessairement un

86J. LOCKE, Le Pouvoir civil et ecclésiastique, 1830, livre II, p. 111, cité par James TULLY, LOCKE droit naturel et propriété, P.U.F., 1991, p. 246.

Etat séculier, indépendant de l'autorité théologique. Il a pour origine la volonté libre d'hommes raisonnables que Dieu lui-même a faits capables d'autonomie et obligés à leur propre bonheur. Nous trouvons ainsi, dans la pensée de J. LOCKE, les premières ébauches de la théorie de l'autorisation et celle du peuple raisonnable où tout est à la gloire de l'homme. Non plus de l'homme métaphysique ou universel comme le concevait DESCARTES (1596-1650), mais de l'homme concret, qui par la vigilance de sa raison, est responsable, sur cette terre, de son propre gouvernement. Toutes les conditions du libéralisme se trouvent là rassemblées.

Toutefois, l'établissement du gouvernement civil, alors même qu'il n'est pas consacré par un texte constitutionnel, doit correspondre à la téléologie immanente de la loi naturelle88. Et, l'idée même de gouvernement implique la nécessité des lois fixes et écrites, connues de tous par leur promulgation89 ; lois dont l'application est scrupuleusement observée90 et qui obligent aussi bien les gouvernants que les gouvernés. C'est donc par la médiation des lois civiles que peuvent s'accomplir les prescriptions de la loi naturelle. Autrement dit, c'est la loi qui prescrit à chaque objet la forme, le mode et l'étendue de son action. L'aspect limitatif de la loi ne doit plus dans cette optique, être perçu comme une contrainte, mais accepté comme ce qui protège inévitablement des marécages et précipices de ce monde. Le droit bien compris consiste moins à restreindre un agent libre et intelligent, qu'à le guider au mieux de ses intérêts, et ne commande qu'en vue du Bien Commun91.

La loi n'a point pour fin d'abolir la liberté, mais de l'accroître et de la conserver toujours. Elle est déduite de l'ordre naturel des choses par la raison que Dieu a donnée aux hommes. Elle prescrit à l'humanité le souci de sa conservation92 et marque par son dispositif les limites que l'autorité politique ne peut franchir sans déchoir. Les sécessionnistes américains de 1776 et les constituants français de 1789 ont su tirer parti de cette «re-fondation» institutionnelle. Il en est de même des

87James TULLY, Op. Cit., pp. 69-76

88J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992, chapitre XIV : De la prérogative, § 168, pp. 268-269.

89Idem, Chapitre IX : Des fins des sociétés politiques et des gouvernements, § 131, p. 239 ; Chapitre X : Des diverses formes des sociétés politiques, § 136, pp. 244-245 et § 137, pp. 245-246.

90Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 219, pp. 303-304.

91Idem, Chapitre VI : Du pouvoir paternel, § 57, pp. 184-185.

visées représentatives et constitutionalistes dont se réclament la plupart de nos démocraties actuelles.

Autrement dit, dans le message de J. LOCKE, il y a tant de promesses, d'horizon heureux ! Avant nous, le XVIIIème siècle l'avait déjà compris en faisant de son T.G.C., la Bible politique du siècle nouveau. Le régime constitutionnel qui s'installait en Angleterre en 1688/89, se réclame de ses idées. Il en est de même pour la France des Lumières et les Anglais de l'autre côté de l'Atlantique. Pierre COSTE n'a pas eu tort de présenter LOCKE comme le « maître à penser des temps nouveaux »93 . L'influence de J. LOCKE sur J.J. ROUSSEAU, MONTESQUIEU, E. KANT, A. SMITH et même K. MARX sera considérable. Dorénavant, il est entré dans l'histoire mondiale. Pour reprendre ce propos de Simone S. GOYARD-FABRE, « la politique de LOCKE a beau porter la marque de son siècle, elle recèle une actualité qui dépasse le temps »94.

Conclusion

Nous allons conclure cette première grande section consacrée à l'étude de notre problématique générale en nous permettant quelques observations. L'oeuvre philosophico-politique de J. LOCKE est d'abord une conception de l'homme dans son environnement. La finalité de ces rapports entre l'homme et son environnement c'est la liberté, l'épanouissement et le bonheur. Chez LOCKE, cette quête de la liberté est fondée sur des bases, nous l'avons vu, historiques, théologiques et naturalistes.

Cette conception de l'homme peut être aussi interprétée comme un effort constant d'autolimitation des prétentions de l'artificialisme politique moderne. Autrement dit, LOCKE essaie de normer l'action de l'autorité publique. Là, non seulement il envisage le renouveau de la philosophie politique, mais aussi, énonce une théorie de la citoyenneté et de la protection des individus contre tout abus de pouvoir. Comme nous pouvons le voir, cette nouvelle conception de l'homme n'est pas loin de celle que nous qualifions aujourd'hui par la dynamique contemporaine des droits de l'homme.

C'est dans ce sens que nous avons dit que l'anthropologie politique de J. LOCKE rompt avec la tradition éthique et politique de son époque. De ce fait, elle inaugure une nouvelle vision du politique, de la politique et de l'homme. Dans l'histoire des hommes et des idées, elle énonce l'une des premières formes du libéralisme politique. Dans cette optique, elle présente une étonnante proximité avec les différentes chartes relatives à la promotion et à la défense des droits de l'homme. Notamment, avec la D. U.D.H. de l'O.N.U., qui est la plus importante d'entre elles. D'où se formule l'interrogation suivante : l'anthropologie politique de J. LOCKE, a-t-elle eu une incidence dans la conception du document onusien ? La nécessité de rechercher ce lien s'impose désormais. Mais auparavant, il apparaît judicieux, de répondre à deux autres questions. En quoi consiste la philosophie des droits de l'homme ? Et dans quelle mesure sommes-nous autorisés à parler d'une philosophie lockienne des droits de l'homme ? La deuxième partie de notre étude examine une telle problématique.

DEUXIEME PARTIE : DE L'IDEE D'UNE PHILOSOPHIE DES
DROITS DE L'HOMME DANS L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE
J. LOCKE

Introduction

Dans la première partie consacrée au traitement de la problématique générale de notre étude, nous avons ancré nos efforts dans la recherche des infrastructures théoriques du système philosophico-politique de LOCKE. A cet effet, nous avons axé notre investigation dans deux principales directions. Tour à tour, nous avons analysé les fondements et essayé de forcer à la lumière de ces fondements, non seulement un accès à l'intelligibilité de ce système, mais aussi, d'en dégager les différentes interprétations possibles.

Fort de cela, la section suivante tentera de rechercher l'intuition d'une philosophie des droits de l'homme dans cette anthropologie politique. Cette intuition des droits de l'homme, nous l'avons vu, y est déjà présente. Notamment dans la théorie lockienne de la propriété. A la fois, cette théorie se trouve à la base du renouvellement politique et institutionnel et annonce le libéralisme politique des temps modernes. Aussi, à cette époque, elle véhiculait déjà une conception de la personne humaine comme un sujet de droit. En d'autres termes, une idéologie des droits de l'homme se dégage déjà à partir du paradigme lockien de la propriété.

A l'entrée de cette seconde grande section que nous vouons de nouveau au traitement de notre problématique, nous estimons qu'il sied d'inaugurer une réflexion qui puisse nous permettre la compréhension de cette théorie. Ainsi, nous nous posons les interrogations suivantes. Qu'est-ce que la théorie lockienne de la propriété ? Véhicule t-elle réellement l'idée d'une philosophie des droits de l'homme ? A-t-elle eu une incidence sur la mise en oeuvre de la dynamique contemporaine des droits de l'homme en oeuvre dans la D.U.D.H. ? Dans les lignes qui suivent, nous allons essayer d'apporter quelques éléments de réponse à ces interrogations. Mais, avant d'y arriver, il convient d'abord d'expliciter ce qu'on entend par philosophie contemporaine des droits de l'homme.

95Artiste Peintre né à Bruxelles en 1934. Auteur d'aquarelles, de gravures et de décors de théâtres, titulaire du grand prix de la XIIème Biennale de Sao Polo, 1973. Ses ouvrages publiés : La Mort d'un arbre ; Le Regard du témoin ; Lettres à Georgio, etc. Il a illustré les oeuvres de KAFKA, BORGES, VIAN, MAUPASSANT, APPOLINAIRE, BRADBURY et toute celle de PREVERT. Il a travaillé pour l'U.N.I.C.E.F., pour GREENPEACE et pour A. I.

Chapitre IV. La philosophie contemporaine des droits de l'homme

IVi. La Déclaration universelle des droits de l'homme

La dynamique dans laquelle s'inscrit le mouvement contemporain des droits de l'homme est l'oeuvre de la D. U.D.H. C'est un document de l'Assemblée Générale de l'O.N.U., que nous avons déjà présenté (ci-dessus page 2). L'édition de 1988 (par AMNESTY INTERNATIONAL) a la particularité de proposer le même texte dans plusieurs langues entrelacées : le français, l'arabe, l'espagnol, le chinois l'anglais et le russe, et est illustrée d'images, très expressives, de Jean-Michel FOLON95. Ces images évoquent et traduisent les qualités de justice, de paix et d'égalité entre les hommes.

Selon ce document, les droits de l'homme sont des valeurs inhérentes à la densité ontologique de l'homme. Ils sont sacrés, inaliénables, distinguent les hommes des autres êtres vivants avec lesquels ils ont la terre en commun et sont antérieurs à toutes les législations positives. Ils s'expriment par les besoins de connaissance, de spiritualité et d'expression artistique. Priver un être humain des moyens pour satisfaire ces besoins fondamentaux, c'est l'empêcher d'être un humain à part entière. La D. U.D.H. élève ces besoins fondamentaux de l'homme au rang de droits. Nulle législation positive, ou individualité, sous quelque prétexte que ce soit, n'est habilitée à priver autrui des moyens nécessaires pour satisfaire à ses droits fondamentaux. Ce sont des aspirations légitimes auxquelles chaque homme est moralement et juridiquement en droit de prétendre. Afin d'accéder au message véhiculé par ce document, nous l'avons subdivisé en deux parties. L'avant-propos et les deux préfaces d'un côté, et le préambule suivi des trente articles de l'autre.

IV.1.1. Analyse de la Déclaration universelle des droits de l'homme IV.1.2. L'avant-propos et les préfaces de l'édition de 1988

Ils sont respectivement signés par Jean-Michel FOLON, FRANCA SCIUTI96 et par J. P. de CUELLAR97. L'avant-propos définit la nature et l'origine des images qui ont illustré l'ouvrage. Il marque un accent particulier sur l'universalité des droits de l'homme, avant de souligner vigoureusement l'objectif à atteindre, à long terme par ce document : « l'éradication progressive du mal dans l'homme ».

La première préface mentionne l'importance unique que revêt ce texte historique pour l'humanité avant d'affirmer l'appartenance de cette dernière à une seule et même famille, « le genre humain ». Dans cette mesure tous les hommes ont les mêmes droits fondamentaux, malgré les disparités qui peuvent exister entre eux. Aussi, précise-t-elle le contexte de l'élaboration, de l'adoption de la D.U.D.H. par l'Assemblée Générale de l'O.N.U., et de sa ratification par les Etats membres de cette institution98. Enfin, elle dresse un bilan de la dynamique, désormais mondiale, des droits de l'homme en quarante ans de parcours, exhortant tous les hommes au respect, à la promotion et à la protection de ces qualités qui sont valables, à la fois pour soi-même et pour autrui99.

La seconde préface souligne les efforts consentis par les rédacteurs de la D.U.D.H., lesquels ont pour la première fois défini la notion de droits de l'homme. Aussi, prescrit-elle aux gouvernements les objectifs à atteindre dans le domaine, avant d'esquisser-elle aussi, à son tour, un bilan des quarante ans de parcours. Ce bilan est jonché de multiples violations des droits de l'homme, à côté desquelles on peut lire l'effort, en droit international, pour codifier les concepts développés dans la D. U.D.H.. Celle-ci se rapporte aux constitutions de certains Etats et à de multiples pactes internationaux : le P.R.D.C.P., (1966), le P.R.D.S.E.C., (1960), la D.D.E., (1959), la C.E.F.D.E.F., (1980), la C.C.T.A.P.T.C.I., (1984), etc., et d'autre part, à des pactes

96Présidente de A.I. au moment de la publication de cette édition de la D. U.D.H..

97Secrétaire Général de l'O.N.U. au moment de la publication de cette édition de la D.U.D.H.

98Sur ce contexte, voir également : J. GLEN & J. SIMONIDE, La Déclaration universelle des droits de l'homme, UNESCO/l'Harmattan, 1991, pp. 21-33.

99A.I., D.U.D.H., Article XXVIII, Folio, 1988, p. 114.

100A. I., Op. Cit., Article I, p. 26. 101Idem, Article III, p. 34.

102Idem, Article XXII, 1988, p. 98.

purement régionaux comme la C.E.D.H., (1950), la C.A.D.P., (1981) et la D.A.D.H., (1948).

IV.1.3. Le préambule et les trente articles

Il s'agit maintenant de la D. U.D.H. proprement dite, telle qu'elle a été publiée pour la première fois en 1948. Elle comprend le Préambule construit en sept points, les fameux « considérant » sur lesquels repose l'origine des droits de l'homme : « la dignité anthropologique », point d'ancrage de la philosophie politique générale de la D. U.D.H. En réalité, cette philosophie politique est une théorie du gouvernement. Venant à la suite du préambule, les trente Articles sont une spécification des modalités des différents droits de l'homme en cause.

Le principe fondamental sur lequel repose la D. U.D.H. est affirmé dans son article premier :

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité »100.

Sur ce fondement, les rédacteurs de la D. U.D.H. ont défini deux catégories de droits que l'on désigne aussi sous le vocable de droits fondamentaux. La première catégorie se trouve libellée dans son article III : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne »101. Ces droits ne sont autre que les libertés civiques et politiques énumérés dans les articles IV à XXI. Ces droits sont : la « vie », la « liberté » et la « sûreté de sa personne ». A son tour, la seconde catégorie des droits repose sur l'article XXII. Cet article stipule :

« Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre épanouissement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays »102.

Les articles XXIII à XXVII, dérivés du précédent, détaillent ces droits qui sont dits économiques, sociaux et culturels. Dans cette catégorie, figurent

notamment le « droit au travail », le « droit à l'éducation » et le « droit de participer aux activités culturelles de sa communauté ». De nos jours, l'usage rassemble ces deux catégories de droits (c'est-à-dire les droits civiques et politiques d'un côté, et sociaux, économiques et culturels de l'autre) respectivement sous la dénomination de droits de la première et de la deuxième génération.

De plus en plus, l'on parle aussi d'une troisième génération des droits103. Elle regroupe principalement le « droit au développement » et le « droit à un environnement sain ». Cette dernière génération des droits est également désignée par l'expression « droits de solidarité ». C'est une aspiration aux conditions d'existence raisonnables et conformes à la dignité de la personne humaine. Comme les deux premières générations, celle-ci s'estime, elle aussi, fondée sur la dignité humaine, quand bien même elle n'est pas explicitement garantie par la D. U.D.H. de 1948. Signalons tout de même que cette troisième génération des droits est au centre d'une véritable confrontation idéologique, politique et juridique. Son évacuation de l'espace réservé aux droits de l'homme en général, et aux droits fondamentaux en particulier, semble de moins en moins envisageable.

IV.2. Originalité et philosophie politique de la D.U.D.H.

La D. U.D.H. institue un nouveau pacte moral entre les hommes. Ce pacte est fondé sur le respect mutuel, la sécurité, l'égalité et la dignité inhérents à la nature de la personne. Dans ce sens, elle constitue un jalon dans l'histoire de l'humanité. Elle classe, pour la première fois, la seconde catégorie des droits parmi les droits humains les plus fondamentaux. Pour la première fois aussi, elle définit dans un document international, l'expression «droits de l'homme» jusque là laissée à la discrétion des philosophes et de certains Etats seulement. Ainsi, nous apprenons

103Sur ces droits de la troisième génération, voir H. de DECKER, «Droits de l'homme et droits au développement, concurrence ou complémentarité», in Droits de l'homme en Afrique centrale, dir., D. MAUGENEST & P.-G. POUGOUE, U.C.A.C./KARTHALA, 1995, p. 208. Egalement, A. ABDELFATAH, «Droits de l'homme au développement», in COLLECTIF, Effectivité des droits fondamentaux dans la communauté francophone, A.U.P.E.L.F.-U.R.E.F., Bruylant, 1994, p. 109. Egalement, CONSEIL PONTIFICAL JUSTICE ET PAIX, Le droit au développement, Librairie édition Vaticane, 1991, p. 11. Egalement, K. MBAYE, «Droits de l'homme et pays en développement», in Humanité et droit international, Mélanges Réné-Jean DUPUY, édition A. PEDONE, 1991, p. 220. Enfin, B. R. GUIMBO (sic), «Droit au développement et dignité humaine», in dir., Y-J. MORIN, Les droits fondamentaux : Actes des 1ères journées scientifiques du réseau droits fondamentaux de l'AUPELFUREF, Tunis, 9-12 octobre 1996, Bruylant, 1997, pp. 73-89.

 

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104Sur ce statut de la D.U.D.H., cf. : J. GLEN & J. SIMONIDE, Op. Cit., pp. 129-141.

105B.-B. GHALI, «Discours inaugural de la conférence mondiale sur les droits de l'homme», 1993, cité par A. ABDELFATAH, «Rapport introductif», in (dir.), Y-J. MORIN, Op. Cit., p. 37.

que peu importe que nous soyons homme, femme ou enfant, notre langue, religion, opinion politique, etc., nous jouissons des même droits.

Depuis son adoption, la D. U.D.H. a été traduite dans plus de deux cent langues, intégrée dans la C.I.D.H. et arrimée aux constitutions de nombreux pays. Ce qui lui confère valeur de loi sur le plan juridique, en dehors de la simple fonction morale qu'elle avait au début104. De plus en plus, un mouvement dynamique, d'envergure internationale, en faveur des droits de l'homme gagne du terrain. Ce mouvement incite au changement des mentalités, à la culture de la paix, au respect de l'autre moi et à la pratique de la tolérance. Sa finalité est la réalisation d'un monde apaisé, l'affirmation du progrès de l'humanité vers une véritable société des personnes et la foi dans un idéal de justice.

Une certaine doctrine sur les droits de l'homme va plus loin. Elle recourt à la notion de « droit d'ingérence » ou de « devoir d'ingérence » ; elle présuppose une conception des droits de l'homme en rapport avec le principe de la souveraineté des Etats. Pareille conception en appelle à l'établissement de nouvelles constructions juridiques. Les droits de l'homme, estime-t-elle, abolissent la distinction traditionnelle entre l'ordre interne et l'ordre international, et sont créateurs d'une perméabilité juridique nouvelle. Il s'agit donc de ne les considérer ni sous l'angle de la souveraineté absolue, ni sous celui de l'ingérence politique. Au contraire, il faut les comprendre comme impliquant la collaboration, la coordination des Etats et des organisations internationales. L'Etat est ainsi non seulement le meilleur garant des droits de l'homme, mais c'est aussi à lui que la communauté internationale a, à titre principal, délégué les soins de la protection des individus, et peut réclamer des comptes à cet effet :

« La question de l'action internationale doit se poser lorsque les Etats se révèlent «indignes» de cette mission, lorsqu'ils contreviennent aux principes fondamentaux de la Charte et lorsque, loin d'être les protecteurs de la personne humaine, ils en deviennent les bourreaux »105.

106H. PALLARD, «Personne, culture et droits», in dir., Y-J. MORIN, Op. Cit., p. 125.

107J.-S. ZA'ABE, Fondements philosophiques des droits de l'homme, Presses de l'U.C.A.C., 2000, p. 08.

Le fondement des droits de l'homme repose incontestablement sur un principe existentiel : « vivre au moindre mal possible »106. Ce qui caractérise l'existence humaine c'est la recherche du bonheur et du plaisir, la fuite de la souffrance. A partir de ce principe, la D. U.D.H. entend fonder la liberté, l'égalité et le droit à la vie. Elle démontre que certaines pratiques comme l'excision, les scarifications, etc., sont contraires au principe du « vivre au moindre mal possible », donc condamnables.

Dans la même optique, devant l'altérité et la diversité de ses manifestations, J.-S. ZA'ABE107 retrouve-lui aussi dans ce concept des droits de l'homme, une normativité susceptible de réprimer l'agressivité humaine. Cette normativité institue un nouvel ordre social et juridique fondé sur le respect de la personne, et traduit le désir légitime d'un minimum d'éthique pouvant être universalisé. L'éthique ne tolère pas que l'on fasse souffrir de façon arbitraire et inhumaine des êtres humains. Devant la souffrance, nous voyons apparaître un sentiment spontané d'indignation qui est la manifestation d'une pulsion morale élémentaire transformable en une position éthique. C'est ce minimum d'éthique que nous retrouvons dans les droits de l'homme. La théorie des droits de l'homme suppose une nature humaine, elle suppose connaissable l'essence de l'homme. Enfin que cette nature est siège de valeurs, que l'on puisse en inférer des normes.

Il faut, par ailleurs, signaler que la D. U.D.H. n'est pas le seul document en son genre qui parle des droits de l'homme. Il existe plusieurs autres traités analogues qui l'ont précédé, en dépit de leur portée uniquement nationale. La section suivante essaie de les énumérer. Toutefois, la D. U.D.H. reste le traité le plus important et le plus décisif en la matière, dans la mesure où, elle mobilise toute la communauté humaine.

108 C. BECKER, La Déclaration d'indépendance, Nouveaux Horizons, 1992, pp. 261-262.

IV.4. Quelques Déclarations des droits de l'homme dans l'histoire

IV.4.1. La Déclaration des droits des citoyens (Bill of rights, 1689)

Adoptée par le parlement restauré à la suite de la Glorious revolution de 1688/89, la Déclaration des droits des citoyens fut lue en présence de la nouvelle reine Marie STUART et du nouveau roi GUILLAUME III d'Orange. Elle est le summum d'une vieille tradition parlementaire anglaise établie par la Magna Carta de 1215, une charte solennelle des libertés d'après laquelle l'autorité du souverain se limite à la protection de la propriété.

La Déclaration des droits des citoyens renforce les principes déjà contenus dans cette charte et renferme ceux du nouveau régime, la monarchie constitutionnelle qui s'installe. Elle ne crée pas une nouvelle représentation nationale, car le parlement existait depuis des siècles, et avait été tout simplement écarté par les STUART et par O. CROMWELL. Moins encore, elle ne prive pas le roi de ses pouvoirs traditionnels. Il est simplement question d'organiser la monarchie, de la modifier et de régler définitivement l'équilibre des forces politiques et sociales au sein du Commonwealth.

IV.4.2. La Déclaration d'indépendance (1776)

Elle a été adopté le 4 juillet 1776 par les « représentants des treize Etats- Unis d'Amérique réunis en congrès plénier ». Son objet est énoncé dans le premier paragraphe où, en une phrase remarquable, la simplicité de l'expression s'unit à une élégante solennité du style :

« Lorsque dans le cours des événements humains, un peuple se voit dans l'obligation de rompre les liens politiques qui l'unissent à un autre, et de prendre, parmi les puissances de la terre le rang égal et distinct auquel les lois de la nature et du DIEU de la nature lui donnent droit, un juste respect de l'opinion exige qu'il déclare les causes qui l'ont poussé à cette séparation »108.

Le but avoué est d'exposer devant la conscience mondiale, les causes qui contraignaient les colonies à se séparer de la Couronne britannique. Dans la suite du document, sont listés les griefs contre le gouvernement et le roi de Grande Bretagne.

109On pourra ici noter la similitude avec J. LOCKE, « mettre à l'abri les citoyens et leurs propriétés », J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992, Chapitre IX : Des fins de la société politique, § 123, pp. 236-237 ; Chapitre XI : De l'étendue du pouvoir législatif, § 134, pp. 242-243. Avec les révolutionnaires- sécessionnistes américains de 1776 : C. BECKER, Op. Cit., p. 263. C'est également la conviction des révolutionnaires orangistes anglais de 1688/89. C'est enfin l'expression de la pensée profonde de H. ARENDT, Essai sur la révolution, Gallimard, 1963, p.1 57.

Ces griefs doivent s'interpréter comme une volonté manifeste et délibérée de ce dernier d'imposer une tyrannie absolue aux colonies. Ils laissent entendre que le gouvernement et le roi de Grande Bretagne étaient particulièrement animé par une intention malsaine. C'est un mobile condamnable, contre lequel il n'existait plus d'autre possibilité que l'affranchissement de la tutelle de l'empire britannique et du roi de cette nation.

IV.4.3. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1789)

Son préambule signale l'acteur de l'énonciation des droits : « les représentants du peuple français, constitués en Assemblée Nationale ». Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté de sa personne et la résistance à l'oppression. Ils fixent les frontières légitimes du gouvernement par rapport aux individus.

Autrement dit, l'objet même du gouvernement est de manifester la finalité de l'exercice légitime du pouvoir109. Elle énonce les principes fondateurs d'un nouvel ordre social et politique, point d'ancrage du système démocratique moderne. Les droits de l'homme y sont conçus comme des valeurs opposables à l'hypertrophie de l'Etat totalitaire et de son contrôle des individus. Ils retrouvent la puissance effective d'une norme qui ne se dissout pas dans l'historicité parce qu'elle est historiquement antérieure et logiquement supérieure au droit positif.

Une telle vision les sacralise en leur accordant le statut d'une sorte de définition du nouvel humanisme politique. Mais dans quelle mesure cette philosophie contemporaine, dite des droits de l'homme, dont nous venons de dégager les grandes orientations conceptuelles, se réclame-t-elle de la pensée politique de J. LOCKE ?

Chapitre V. Sur la pensée libérale de J. LOCKE

V.1. Les fondements de la politique libérale

V.1.1. La loi naturelle et ses différentes obligations

La pensée libérale de J. LOCKE prend ses racines dans la théorie de la loi naturelle. A l'instar de ses pairs110 qu'il cite abondamment, J. LOCKE dans ses Essais sur la loi de nature (1664) et dans son T.G.C., admet l'existence de la loi naturelle. A la différence de ces derniers, il va plus loin en donnant à celle-ci, sa construction théorique définitive, certainement aussi, la plus systématisée.

La loi naturelle est fondamentalement une norme éthique, c'est-à-dire, une détermination du bien et du mal. Elle nous est donnée par Dieu, créateur de l'univers et des hommes111. A travers elle, Dieu a prescrit aux unes et aux autres espèces de la nature, son oeuvre, une téléologie appropriée à la nature de chacun. Ainsi, la loi de nature propre à l'homme s'insère-t-elle aussi dans l'ordre logique, téléologique du monde créé par Dieu, et revêt du même coup cette signification naturelle. On peut ici, reconnaître l'influence de la tradition judéo-chrétienne, dont saint THOMAS se présente comme l'illustre légataire au Moyen Age, et de celui que J. LOCKE nomme le « Judicieux HOOKER ».

Pour J. LOCKE, la loi naturelle est la volonté de Dieu appliquée à l'humanité et inscrite dans l'ordre téléologique de son oeuvre112. Elle s'impose sous la forme d'une obligation convenable aux êtres humains, c'est-à-dire, aux êtres doués de raison, afin de parfaire la volonté du créateur selon laquelle « toute son oeuvre doit être conservée et soignée suivant son bon plaisir ». Cette loi est ici assimilée à la loi divine. Elle est la mesure du bien en général du genre humain mankind113. Parce que cette loi existe, désormais il est possible au genre

110Il s'agit de GROTIUS et de PUFENDORF.

111J. LOCKE, T.G.C., Chapitre II : De l'état de nature, § 12, p. 150.

112Idem, Chapitre II : De l'état de nature § 06, pp. 144-146 ; Chapitre V : De la propriété de choses, § 26, p. 163, § 29, pp. 164-165 ; Chapitre VI : Du pouvoir paternel, § 56, pp. 183-184 ; enfin, Chapitre VII : De la société politique ou civile, § 77, p. 200.

113J. LOCKE, E.P.C.E.H., Livre II : Des idées, Chapitre 28 : De quelques autres relations, et surtout des relations morales, Vrin, 1998, pp. 277-288.

 

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114On peut noter la similitude avec saint THOMAS d'Aquin, Somme théologique, II, II, 94-2, Edition de la revue des jeunes, 1935.

115J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992, Chapitre II : De l'état de nature, § 06, pp. 144-145.

116Idem, Chapitre II : De l'état de nature, § 06, pp. 144-145. Chapitre III : De l'état de guerre, § 16, pp. 154-155. Enfin, Chapitre XI : De l'étendu du pouvoir législatif, § 135, pp. 243-244.

117Idem, Chapitre II : De l'état de nature, § 04, p. 143.

118Idem, Chapitre II : De l'état de nature § 07, p. 146.

119Idem, chapitre XI : De l'étendue du pouvoir législatif, §§ : 134-135, pp. 242-243. Chapitre XVI : Du pouvoir paternel, du pouvoir politique et du pouvoir despotique considérés ensemble, § 195, p. 287.

120R. POLIN, La Politique morale de J. LOCKE, P.U.F., 1960 p.1 14.

121E.B.J., Op. Cit., Genèse I. 26 & 28 ; J. LOCKE cite ce passage Op. Cit., Chapitre V : De la propriété des choses, § 25, p. 162. On peut également noter la similitude avec saint THOMAS d'Aquin, Op. Cit., II, II, 66-1 ; II, II, 66-2 et II, II, 66-5. C'est nous qui soulignons.

122C'est aussi l'avis de BARBEYRAC en marge du texte de PUFENDORF, Droit de la nature et des gens, Livre IV, Chapitre IV, 3n, cité par J. TULLY, Op. Cit., p. 96.

123J. LOCKE, E.P.C.E.H., Vrin, 1998, Livre IV : De la Connoissance, Chapitre XII : Des Moyens d'augmenter notre connoissance, § 11, pp. 533-541. (C'est la traduction de P. COSTE, 1700 ; donc l'ancien français).

124J. TULLY, Op. Cit., pp. 89-90.

125J. LOCKE, L.T., P.U.F., 1993, p. 03. 126E.B.J., Op. Cit., Luc XX, 25.

humain de comprendre les jugements d'innocence et de culpabilité que chacun, en son âme et conscience est en mesure de porter sur lui-même ou sur les autres. Sans elle, il n'y aurait ni vice, ni vertu, ni récompense, ni châtiment. Et la loi positive, qui représente la loi en vigueur dans les sociétés civiles particulières, n'est déduite qu'en fonction d'elle ; et n'est dite bonne ou mauvaise qu'en se mesurant à elle. Enfin, la connaissance du bien et du mal immanente à tout homme, est la grande preuve de son existence.

Telle que présentée par J. LOCKE, la loi naturelle exprime d'abord une nature humaine. C'est-à-dire, un pouvoir parfaitement libre. Ensuite, et par voie de conséquence, les limites appropriées à la conservation de cette nature humaine. Enfin, ces limites qui sont traduites en forme de lois, visent la « parfaite égalité » et la « parfaite liberté », attitudes impossibles en dehors de la loi. Exception faite de l'obligation classique qui consiste pour les créatures de louer leur créateur, LOCKE adjoint trois autres prescriptions114 à ces limites.

La première prescription divine invite tous hommes à glorifier et à agir selon les règles de Dieu, leur créateur. En d'autres termes, elle invite tous ces derniers à reconnaître Dieu comme étant leur créateur, à le glorifier et à contempler sa majesté à travers l'ensemble de son oeuvre dans toute sa splendeur, témoignage de sa puissance et de sa sagesse incommensurables115. Les hommes étant l'oeuvre de ce créateur infiniment puissant et sage, ils ont été crée pour le servir et sont sa propriété. Voilà pourquoi leurs vies ne leur appartiennent pas. Ils sont donc obligés à ne pas porter atteinte volontairement à celles-ci.

La seconde prescription, équivaut à la fois à l'obligation pour chaque homme de pourvoir à sa propre conservation, et à celle de veiller à la conservation de l'espèce humaine dans son ensemble116. Ce dernier aspect montre que, les hommes appartiennent à une même famille, mankind et sont doués des mêmes

facultés, la raison particulièrement. C'est pour cette raison qu'aucun d'eux, n'est fondé à posséder (les biens du monde) plus que les autres. Tous les pouvoirs dont dispose chacun sont identiques à ceux détenus par tous les autres, et tous vivent dans un état de « parfaite liberté » et de « parfaite égalité »1 17.

Les hommes faits à la gloire de Dieu, sont ici des êtres égaux, soumis à une loi de conservation personnelle et collective. Ils sont fondés à sauvegarder mutuellement « leurs personnes, leurs biens, leurs libertés et leurs vies ». Cet énoncé propre de la loi de nature les oblige également à vivre dans un état social de paix et de sécurité118. La formation et la conservation de celui-ci sont subordonnées à cette loi de nature. C'est d'ici que découle la troisième et dernière obligation naturelle, intimant aux hommes l'ordre de respecter et de perpétuer la vie sociale. Dans cette optique, J. LOCKE pense à juste titre, et ceci, à la suite d'ARISTOTE que, l'usage de la parole et du langage, prédisposent les hommes à la vie civile119. La vie en société, est une obligation de la loi de nature, les hommes disposent des potentialités à cet effet. Ils ont le devoir de respecter la vie humaine. Pour nous résumer, la loi de nature chez J. LOCKE renferme l'ensemble des devoirs de l'homme envers Dieu, envers lui-même et envers les autres120.

V.2. La loi naturelle et le fondement de la propriété

Nous venons de voir selon J. LOCKE que, l'homme a été créé par Dieu dans le but de le glorifier par l'usage raisonnable de ses facultés, sous les auspices de la loi naturelle. Il apparaît donc qu'il ne peut user légitimement de ses facultés en contredisant cette fin qui lui enjoint notamment l'auto-conservation et la conservation du genre humain dans son ensemble. La propriété intervient ici pour renforcer cette prescription naturelle. Elle est soumise aux impératifs de solidarité et de protection de l'humanité que l'instauration de la société civile n'abolit pas. La propriété ne se réduit pas à la simple appropriation des biens. Par ce terme, il faut sous-entendre un ensemble plus large, dans le sens de ce qui appartient en propre

aux humains. Cet ensemble plus large renvoie à la « vie, la liberté, le corps et les biens ». La propriété renvoie ainsi à tout ce qui est nécessaire à la subsistance et à la réalisation de la vocation et des potentialités propres aux hommes, comme le créateur le désire. Autrement dit, c'est ce sans quoi les hommes ne peuvent vivre selon que leur nature le désire.

Ainsi, le droit de propriété désigne cette obligation à la quelle chaque être humain se doit de satisfaire à tout ce qui est nécessaire à sa subsistance. La propriété est un don de Dieu fait à tous les hommes, les Ecritures sont d'ailleurs de cet avis. C'est un de ses passages qui est mis à contribution et qui sert de point d'appui à J. LOCKE :

« Dieu dit : «Faisons l'homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre [... Dieu dit : «Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et soumettez là ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre »121.

Chaque homme est fondé naturellement à revendiquer ou à défendre ces droits qui sont un don de Dieu, donc antérieurs à toute législation ; même en s'opposant par la force à un gouvernement fondé sur la confiance des gouvernés, en vertu d'un contrat initial établissant l'Etat. La pierre angulaire de cette doctrine de la propriété, c'est précisément la loi de nature, que J. LOCKE s'est efforcé de faire apparaître avec évidence. La propriété désigne tout ce qui appartient en propre à un individu, et qui ne peut lui être amputé sans son consentement.

L'objectif de LOCKE dans cette doctrine de la propriété est de confondre les partisans de la monarchie absolue. Tel le chevalier R. FILMER, dont les écrits sont fort populaires à cette époque, et contre lesquels, J. LOCKE monte une attaque en règle. Il oppose à R. FILMER une théorie constitutionnaliste radicale de la souveraineté, doublée d'une défense individualiste du droit de résistance au nom de la propriété. La commune possession du monde à tout le genre humain s'oppose ici à l'idée filmerienne de propriété privée exclusive à ADAM, premier prince de

l'humanité. Le vocable «propriété» chez J. LOCKE est synonyme de «droits». Ces droits sont dévolus à tous les êtres humains : « droits communs à tous »122, et se traduit par cette emprise qu'a le genre humain sur les espèces inférieures de la création. Cette emprise se manifeste par le travail. Et c'est exactement ce dernier qui apparaît comme le fondement réel de l'appropriation privée des biens selon la loi de nature, c'est-à-dire, dans les strictes limites assignées à la conservation de l'individu.

Toutefois, il n'en demeure pas moins que dès l'état de nature, toute restriction à l'appropriation privée illimitée des biens soit levée. Ceci est possible avec l'invention et l'adoption de la monnaie. Car, elle permet d'accumuler autant de biens de la nature sans les dénaturer. Cela ne va pas sans soulever quelques séries de problèmes, notamment deux, liés avec la fonction du gouvernement.

La première série est consécutive à la possibilité de s'approprier indéfiniment les biens de la nature. Elle n'est pas sans incidences et préjudices sur les autres membres de la communauté qui sont en dehors du processus d'accumulation, et qui, conformément à la loi naturelle, sont obligés de se conserver. Dans ce cas, estime J. LOCKE, c'est au gouvernement civil de maintenir et de rétablir les exigences de la loi naturelle en protégeant les droits de ceux qui sont restés en dehors de ce processus d'accumulation. La seconde série concerne le sens historique des revendications défendues par le T.G.C. Elle légitime l'exclusion de l'Etat du domaine du marché et vise à limiter son pouvoir. Néanmoins, elle autorise une certaine régulation publique de l'économie, sous réserve du « consentement » des propriétaires, dont la décision majoritaire des représentants est supposée être l'équivalent. Le capitalisme qui va connaître son essor au XIXème siècle sera le grand héritier de cette théorie de la propriété de J. LOCKE. Certains y ont vu une entreprise de défense et de légitimation du capitalisme. Nous y reviendrons (ci-dessous page 71), pour l'heure, posons-nous d'abord la question relative à la finalité du paradigme lockien de libéralisme.

V.3. Finalité du paradigme lockien du libéralisme

La théorie des droits ou de la propriété représente le summum de l'anthropologie politique de J. LOCKE. Elle a une finalité double, et à travers elle, son auteur se bat sur deux fronts. Il lutte aussi bien contre l'absolutisme que contre les dogmatismes qui s'imposent par voie d'autorité. C'est-à-dire, le scepticisme et l'autoritarisme dont étaient réputés le XVIIème , son époque, et contre lesquels il formule un plaidoyer en bonne et dû forme, en faveur de la liberté et de la tolérance.

V.3.1. Le rejet des dogmatismes et de l'absolutisme

J. LOCKE estime qu'il faut permettre à l'homme de concentrer tous ses pouvoirs sur la découverte des vérités nécessaires à son existence et qui se trouvent celles qu'il peut effectivement atteindre. L'homme n'a pas à se plaindre de l'étroitesse de son entendement, puisqu'il est adapté aux fins qu'il a à poursuivre et à atteindre123. Etant donné les facultés que Dieu a données aux hommes, il est raisonnable de les appliquer aux fins auxquelles elles sont le mieux proportionnées. Notre compétence ici bas, n'est pas de reconnaître toute chose, mais celles-là seulement, qui concernent notre conduite.

La morale est donc la propre science et la propre affaire de l'humanité en général, et non de quelques individus susceptibles d'imposer leurs opinions aux autres. Le parallélisme avec E. KANT ici est important. Ce dernier en abolissant le savoir, pour laisser libre court à la croyance, condamnait les prétentions de la raison spéculative à atteindre les vérités situées au-delà de la pensée. Il s'attaquait aussi bien aux préjugés insoutenables d'une métaphysique dogmatique, qu'à l'incrédulité et aux tendances sceptiques préjudiciables à la moralité, qui ne paraissaient pas suivre le triomphe de l'Aufklärung.

Le T.G.C. de J. LOCKE est une réflexion rigoureuse sur les limites de l'action politique légitime, fondée sur la connaissance de la loi naturelle. Ainsi, il

combat les Tories qui soutenaient l'action politique de la Cour (entendue la Cour des STUARTS), et qui légitimaient son inspiration idéologique dans les termes même de R. FILMER. Dans cette perspective, toute autorité légitime, qu'elle s'exerce sur les hommes ou sur les biens, est conçue comme une propriété privée. Elle confère droits d'user, de mésuser ou d'aliéner. De la même manière que tout propriétaire légitime possède sur toute sa maison un pouvoir de droit divin et absolu, ainsi en est-il du souverain sur l'ensemble de ses sujets et sur sa famille.

C'est en réalité contre cette position de R. FILMER que J. LOCKE dirigeait sa critique. Il se propose de fonder en théorie la légitimité du droit de résistance, pierre angulaire du programme Whig. Dans cette même critique en termes de la loi naturelle, il visait également H. GROTIUS et S. PUFENDORF, qui venaient d'utiliser le concept normatif de droit naturel pour défendre et illustrer l'absolutisme124, le même absolutisme précédemment légitimé par MACHIAVEL (1469-1527, Le Prince, 1513).

V.3.2. Le plaidoyer pour la liberté et la tolérance

J. LOCKE est un fervent croyant. La foi en un Dieu parfaitement sage et puissant commande l'ensemble de son système. Avant la L.T., il avait déjà composé plusieurs écrits sur la tolérance religieuse. Il pense principalement que la tâche du magistrat est de maintenir l'ordre public. Chaque homme est libre d'adorer Dieu selon que sa conscience le lui recommande, à condition de ne pas troubler l'ordre public. Car, nulle part dans la Bible, il est écrit que les hérétiques doivent être réprimés par la force. Cette séparation radicale des fonctions de l'Eglise et de l'Etat est son argument le plus fort, sur lequel repose toute sa doctrine sur la tolérance. On est conduit à penser que, chez J. LOCKE, l'Etat et l'Eglise sont sans point commun l'un avec l'autre. Ou encore, qu'ils ne devraient avoir aucun point commun, si chacun se tenait strictement dans son domaine. Ce monde-ci seul, et ses biens, concernent l'Etat qui n'a le droit d'agir que sur eux et le droit de ne s'occuper que d'eux. Seul, le salut éternel des hommes et le soin des âmes concernent l'Eglise. Celle-ci ne peut agir que sur les âmes, et elle n'a que le droit de s'occuper d'elles.

Cette séparation de l'autorité publique du pouvoir ecclésiastique est l'argument principal sur lequel J. LOCKE bâtit toute sa L.T.. Cet argument fonde la tolérance non plus sur la liberté de conscience, mais sur la défense de la liberté essentielle à l'homme en vue de sauvegarder la paix dans l'Etat. Cette tolérance s'applique à l'exercice de la liberté, qui n'est pas la licence de faire ce que l'on veut, mais le droit d'obéir à l'obligation essentielle pour chaque homme d'accomplir sa nature humaine. La liberté de l'homme n'a de sens que par rapport à la loi de sa nature, qui est une loi raisonnable :

« Monsieur, puisque vous me demandez mon opinion sur la tolérance réciproque entre les chrétiens, je vous répondrai en peu de mots que c'est, à mon avis, le principal critère de la véritable Eglise. Les uns ont beau se vanter de l'antiquité des lieux et des titres de leur culte ou de sa splendeur, les autres de la réforme de leur discipline, et tous en général de l'orthodoxie de leur foi (Car chacun est orthodoxe à ses propres yeux) ; tout cela et toutes les choses du même genre sont plutôt les signes de la lutte des hommes pour le pouvoir et l'autorité plutôt que les signes de l'Eglise du Christ »125.

Aucune Eglise ne saurait se concevoir si elle ne pratique pas la tolérance. La tolérance entre les religions est un devoir naturel, conforme à la raison et à l'évangile. Toutes doivent la pratiquer les unes à l'égard des autres. La vraie religion naît de la vie des hommes selon les règles de la piété et de la vertu. Elle ne se fonde pas sur les apparences de la foi. Non plus que sur la domination ecclésiastique. Elle n'exige pas de persécuter tous ceux qui ont une opinion divergente de soi dans cette discipline. Le fondement théorique et pratique de la tolérance repose sur les compétences propres du gouvernement civil (magistrat) et sur celles de la société religieuse (Eglise) qui sont distinctes, et que l'on doit nécessairement séparer.

JESUS-Christ lui-même, ne recommandait-il pas déjà cette attitude à ses contemporains ? En effet, lorsque les Zélotes (secte qui prône l'action et revendique l'autonomie face à l'occupant romain) veulent occuper la place temporelle, vacante, de « roi des juifs », JESUS, témoignant dans l'ordre politique d'une perspicacité extrême, s'enflamme contre eux leur demandant de « rendre à CESAR ce qui est à CESAR et à Dieu, ce qui est à Dieu »126. Par cet acte, il dissocie les ordres temporel

et théologique. Ce que ses contemporains n'ont pas compris, car habitués à l'intrication du théologique et du politique. Voilà pourquoi, dans une atmosphère de fin du monde, il oppose un autre royaume à l'empire terrestre d'Israël dont il sait parfaitement qu'il ne reviendra plus. Ce royaume de JESUS est celui de l'intériorité spirituelle où la souveraineté appartient à celui qu'Israël nomme le « Roi des rois ».

Le gouvernement civil se rapporte à l'homme et à des biens en ce monde. L'Eglise se rapporte à l'homme en tant qu'il a une âme immortelle, susceptible d'un salut futur éternel. Guidé par sa conception de la liberté de jugement essentielle à tout être humain, J. LOCKE estime qu'aucun Etat n'a le droit d'imposer la foi religieuse, et qu'aucune Eglise, définie comme une association libre et volontaire, ne doit persécuter les adhérents des autres confessions, ni non plus s'occuper des hommes en tant qu'ils ont des biens civils à promouvoir et à conserver. Les deux institutions sont strictement et rigoureusement limitées l'une par rapport à l'autre. Ces limites sont immobiles et infranchissables. Ceci au nom du droit de l'homme à la liberté.

V.4. Les conditions de l'Etat de droit

Le rôle du gouvernement consiste à aider la communauté politique dans sa recherche du bonheur, conformément à ses options. C'est-à-dire, matérialiser le plein épanouissement des potentialités et des personnalités des différents membres. Notamment sur le plan culturel, spirituel, économique, politique et social. Le gouvernement dispose de puissants moyens lui permettant de réaliser ces objectifs. Dans chaque communauté politique, c'est le peuple qui est le détenteur du pouvoir suprême. Les particuliers qui constituent le corps politique, ont la latitude de choisir leurs gouvernants.

Les régimes économiques et sociaux peuvent varier. Mais le peuple doit toujours décider en dernier ressort des systèmes économiques ou sociaux qui doivent le régir. En ce sens, les droits de tous les citoyens doivent être respectés. C'est une erreur, que de séparer la survie économique considérée comme un droit, des autres droits tels que la conservation. Il n'y a pas de contradiction entre les

efforts pour atteindre un niveau de vie élevé et les efforts pour satisfaire les besoins fondamentaux dans le domaine économique et social.

L'être humain doit être traité comme une entité. Sa personne physique fait tout autant partie de lui que ses facultés mentales, spirituelles et ses biens. Cela signifie qu'un droit quelconque ne peut pas prendre le pas sur les autres. La distinction et la limitation des pouvoirs ne sont en fait, rien d'autre qu'un moyen de spécifier les fonctions du gouvernement, afin d'assurer une grande liberté individuelle. L'interaction entre les dirigeants dynamiques et des citoyens attentifs, est le meilleur espoir de survie de la communauté politique. Le respect des droits économiques, sociaux et autres, en fournissent la clé du fonctionnement des mécanismes. Aux yeux de J. LOCKE, la protection de ce que l'individu possède en propre, revêt une importance capitale.

Permettre à l'homme d'atteindre un niveau de vie décent, c'est faire valoir un droit fondamental : le droit à la « vie », à l'affranchissement du besoin qui représente le souci essentiel de toute l'humanité. Le droit et l'ordre visent la valorisation de la dignité humaine tout comme ils visent également le plein épanouissement de la personnalité dans la collectivité. Ainsi, avec la disparition de la faim, de la nudité, de la peur et de l'intolérance ou de la tyrannie, l'on arrive à ce que l'on désigne communément sous le concept générique de «libre épanouissement de la personnalité humaine». En un sens, ces libertés sont illimitées, car elles reflètent essentiellement une conception de la dignité humaine. Comme nous le voyons, il se dégage clairement une philosophie des droits de l'homme dans cet aspect de l'anthropologie politique de J. LOCKE. Une philosophie des droits de l'homme se trouve là véhiculée. Mais comment s'articule-t-elle ?

127J. LOCKE, T.G.C., GF-Flammarion, 1992, Chapitre III : De l'état de guerre, §17, p. 155. 128Idem, Chapitre II : De l'état de nature, § 10, p. 148.

129J. TULLY, Op. Cit., pp. 104-116.

130J. LOCKE, Op. Cit., Chapitre V : De la propriété des choses, §§ : 27-28, pp. 163-164. 131Idem, Chapitre V : De la propriété des choses § 32, p. 166-167.

132J. LOCKE, Op. Cit., § 86, p. 205 ; J. TULLY, Op. Cit., pp. 78-79.

133Dans ce dernier aspect, nous relevons encore la similitude du propos lockien avec celui du docteur angélique, saint THOMAS d'Aquin, Op. Cit., I, II, 93,1.

134J. LOCKE, T. G.C., GF-Flammarion, Chapitre V : De la propriété des choses, § 39, pp. 173-174.

135J. LOCKE, Op. Cit., Chapitre V : De la propriété des choses § 45, pp. 176-178. 136Idem, Chapitre V : De la propriété des choses § 51, pp.180-181.

Chapitre VI. L'intuition lockienne d'une théorie des droits de l'homme

VI.1. La mutation des obligations naturelles en droits fondamentaux

Selon J. LOCKE, nous l'avons vu, l'exégèse biblique et la loi naturelle appuient les deux propositions suivantes. Premièrement, Dieu a fait don aux hommes du monde et de tout ce qu'il renferme en qualité de propriété commune à tous. Deuxièmement, la raison naturelle que ce dernier ait placée en eux, leur fait connaître leurs droits d'user des biens du monde en vue de leur subsistance et de leur confort. Ces propositions signifient, d'une part, que le monde et ses biens appartiennent sous le même rapport à tous les hommes. D'autre part, que chaque homme, en vertu du devoir naturel à se conserver en vie et en bonne santé, est fondé à garantir sa subsistance, en accédant aux moyens nécessaires à cet effet. Dans l'esprit de J. LOCKE, ce droit inclusif n'a d'autre finalité que la conservation du genre humain. La propriété commune originelle est ainsi finalisée. C'est cette finalité que nous retrouvons dans la lettre même du livre de la Genèse cité par J. LOCKE pour conférer une caution à sa thèse (cf. page 62, note 121 où nous avons déjà cité ce passage).

L'auto-conservation et la conservation de l'humanité dans son ensemble visent la réalisation du décret divin. Autrement dit, elles visent la liberté de l'homme par rapport à tout pouvoir terrestre. Cette liberté conditionne tout. J. LOCKE y trouve l'essence même de la vie. Ainsi, celui qui s'attaque à la liberté d'autrui, est capable de s'attaquer à la vie de ce dernier127. A cet égard, la liberté et la vie sont des attributs inaliénables. Aucun homme n'a le droit de se faire esclave, moins encore de se donner la mort. La vie et la liberté doivent être défendues contre toutes sortes d'agressions. Voilà pourquoi dans l'état de nature, en l'absence d'un pouvoir supérieur commis à cette tâche, chacun peut se faire le garant de l'orthodoxie naturelle128. Dans l'état civil, ce pouvoir de défendre la légalité naturelle, jadis détenu par tous en commun est confié à un magistrat public. J. LOCKE nous apprend que, l'on est en droit de se défendre contre toutes sortes d'agressions. Même contre

celles venant d'un gouvernement que les hommes ont eux-mêmes institué. L'obligation naturelle des hommes à l'auto-conservation et l'obligation à la conservation du genre humain se mutent en droits naturels à la conservation. Ainsi se justifient le droit naturel à la vie, le droit naturel à la liberté, le droit naturel à lutter contre toutes les formes d'oppression : l'esclavage, l'exploitation, la torture, etc. Les hommes sont donc fondés naturellement, et c'est aussi un devoir positif de se conserver, de conserver l'humanité et enfin de protéger la liberté de l'humanité dans son ensemble.

La conservation de la vie et la protection de la liberté qui sont des droits naturels, passent selon J. LOCKE par la subsistance. Donc par la propriété. Ce problème est étudié dans le cinquième chapitre du T.G.C. Nous souscrivons ici à l'interprétation de J. TULLY129 qui respecte la lettre même du texte de J. LOCKE. Car, sensible à l'ensemble hétéroclite couvert par le terme « propriété » sous la plume de J. LOCKE, laquelle n'annule pas la définition que nous avons déjà donnée à cette notion (page 30, note 58, et page 62, note 121), et que nous réitérons ici : « les actions, les possessions, et la personne ». Autrement dit, ce qui appartient en propre à un individu et auquel nul autre que lui-même n'a accès. C'est un droit que l'on possède sur quelque chose et sur soi même qu'on ne peut vous enlever sans votre consentement.

C'est ainsi que les actions d'un agent libre sur l'« indivis originaire » lui appartiennent et constituent sa propriété. Parmi ces actions, le travail. C'est par lui que se réalise le devoir de conservation dans ce sens qu'il produit les biens nécessaires à la subsistance. C'est lui également qui introduit la différence entre cet « indivis originaire », et ce qui n'est plus commun à tous :

« Tout ce qu'il (l'homme) a tiré de l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul : car cette peine et cette industrie étant sa peine et son industrie propre et seule, personne ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie, surtout, s'il reste assez de semblables et d'aussi bonnes choses communes f...] Je demande donc quand est-ce ces choses qu'il mange commencent à lui appartenir en propre

? [...] Le travail qui est mien mettant ces choses hors de l'état commun où

elles étaient, les a fixées et me les a appropriées »130.

L'appropriation privée de cet « indivis » par le travail commence dès l'état de nature. L'entrée en communauté politique ne l'annule pas. Au contraire, en son sein, elle se complexifie avec l'invention et l'adoption de la monnaie. Avec l'usage de la monnaie qui lève la limitation à toute appropriation privée des biens de la nature, certains y ont vu la montée de l'individualisme possessif. En d'autres termes, les débuts et l'apologie du capitalisme. C'est méconnaître la signification de la pensée politique profonde de J. LOCKE. Car notons-le, à cette appropriation privée illimitée, LOCKE a toujours assigné des limites de deux ordres131. Primo, il faut qu'il y ait des biens en quantité suffisante et de bonne qualité pour les autres qui sont restés en dehors du processus d'accumulation. Pour que celle-ci ne crée pas de situation de pénurie. Et secundo, il faut que chacun soit en mesure de consommer toute sa production et que rien ne se corrompt. Car ce sera enfreindre à la loi de nature. Ce qui n'est pas sans sanctions naturelles et positives. Le créateur n'a pas fait don du monde à l'homme pour que celui-ci le détruise inutilement.

On reconnaît ici le droit de chaque homme à accéder aux moyens indispensables à sa survie. Et pour ceux qui sont dépourvus, de réclamer à la société leur part de biens pour leur survie et l'épanouissement de leur personnalité. A travers cette théorie de la propriété, il est question pour J. LOCKE de déterminer les droits de l'individu en matière de possession. Il est également question de définir les rapports entre propriété commune originelle du monde et appropriation privée des biens du monde d'une part, et de déterminer le droit individuel en matière d'autodétermination de chacun sur sa propre personne d'autre part. Au-delà, c'est une spécification du statut des biens des citoyens et du citoyen face au magistrat civil.

A partir des simples obligations naturelles au départ, nous voici arrivé aux droits naturels qui sont également valables dans la communauté politique. L'entrée des hommes en communauté politique ne contredit pas les droits naturels.

Bien au contraire, c'est pour permettre qu'ils soient davantage respectés. Ils y acquièrent en dernier ressort, le statut de droits. Dorénavant, il est possible de les défendre et de les réclamer quand on en est privé. Pour J. LOCKE, ils représentent les droits fondamentaux, dont l'absence ou la privation font que l'homme vive en deçà de l'humanité. Mais comment se faire reconnaître et attribuer ces droits ?

VI.2. Reconnaissance et attribution des droits fondamentaux

Le processus de reconnaissance et d'attribution de ces droits s'inscrit dans le cadre du rejet des dogmatismes et de l'absolutisme dont les XVIème et XVIIème siècle étaient porteurs. J. LOCKE vise ici HOBBES, et plus directement FILMER avec son maître ouvrage, Patriarcha, or natural power of kings, composé depuis longtemps mais publié seulement en 1680, en pleine Crise d'exclusion (1679-1681).

La riposte de J. LOCKE se fonde sur les Ecritures. Cette même source dont R. FILMER prétend tirer la caution de ses thèses. Non seulement nous découvrons en J. LOCKE un excellent exégète, mais aussi nous apprenons sous sa plume que Dieu n'a pas donné le monde à ADAM comme propriété privée exclusive. En d'autres termes, le monde a été donné par Dieu à la fois à ADAM et à toute sa descendance. Donc à tous les hommes, afin qu'ils le mettent en valeur pour leur survie.

Aussi, cette même propriété commune est régie par la loi naturelle. Elle veut que tous les hommes y aient accès. Tout homme a droit aux créatures inférieures de la création au même titre qu'ADAM, par le simple fait d'être homme. En vertu de ce fait également, les propriétés de chacun ne retournent pas à la communauté. Chacun protège ce qu'il a acquis par son industrie, et ses héritiers partagent cette acquisition. La propriété est destinée à la subsistance des hommes. En tant qu'homme, on a le droit d'accéder aux moyens nécessaires à sa conservation et à sa subsistance ; parce que l'on est homme, on a le droit à la vie, le droit de protéger l'humanité et le droit de lutter contre l'oppression, etc.

Ce processus d'acquisition se fonde dans la loi naturelle. Il peut être révélé par les Ecritures comme il peut être découvert par la raison naturelle et il est aussi un principe de droit positif que la morale ne contredit pas. Comme nous

pouvons le constater, le critère de reconnaissance et d'attribution des droits naturels et civils est la « dignité anthropologique ». Dès lors qu'il est clairement établi que l'on est homme, automatiquement l'on en est pourvu. Il s'ensuit l'obligation de jouir de tous les avantages qui en découlent. Ceci dans l'indifférence des singularités de type racial, religieux, ethnique, des handicaps, etc.

Les droits naturels et civils sont inhérents à notre densité ontologique, donc antérieurs à toute législation positive. Quand une législation positive les méprise ou les méconnaît, nous sommes en droit de les réclamer. Quand elle persiste, nous sommes en droit de lui opposer la force. Du reste, une législation positive qui les méprise ou les méconnaît porte en elle-même les germes de sa propre destruction. Conformément à son dessein de voir l'homme vivre, séjourner et durer sur la terre, Dieu a mis dans le monde toutes les choses qui sont nécessaires à la vie, c'est-à-dire susceptibles d'assurer les besoins en nourriture, boisson, vêtements132, etc. La conservation de la vie, et l'accès aux moyens y relatifs ne doivent pas se comprendre comme répondant à des fins humaines subjectives, mais doivent être pensées comme l'expression du projet divin pour l'humanité tout entière133.

VI.1.2. Taxinomie des droits fondamentaux

Les hommes entrent en société afin de protéger leur vie, leur liberté et leurs biens. Toute atteinte à ces attributs équivaut à la fois à une remise en question, et des fins de la communauté politique, et de la communauté politique elle-même. Ce comportement conduit les individus, selon J. LOCKE, à assurer eux-mêmes leur liberté et leur sécurité. La position de J. LOCKE ici est radicale, dans ce sens qu'elle le place au sommet d'un anarchisme qui ne dit pas son nom : quiconque s'estime lésé dans ses droits naturels, donc fondamentaux (la vie, la liberté et les biens), est autorisé à résister. La vie, la liberté et les biens correspondent à la propriété. Ils sont inaliénables, inviolables. Ce qui nous amène à admettre que la théorie lockienne des droits n'est rien d'autre que sa théorie de la propriété. A l'issue de l'examen de cette

théorie de la propriété, il est possible de faire le constat suivant. J. LOCKE rassemble tous les droits au sein d'une grande catégorie : « les droits fondamentaux » que nous subdivisons en deux sous-ensembles afin d'en permettre une meilleure appréhension.

VI.1.3. Les droits inclusifs

Le chapitre V du T.G.C. s'ouvre sur l'énumération du premier sous- ensemble des droits fondamentaux, c'est-à-dire celui que nous nommons «les droits inclusifs». Ce premier sous-ensemble se fonde sur les Ecritures qui nous révèle, repetons-le, que Dieu a fait don du monde et de ses biens aux hommes à titre de propriété commune, selon ce passage du livre de la Genèse (ci-dessus cité page 62, note 121). Le monde est donc la propriété commune au sens d'un droit naturel subjectif possédé par tous les hommes. Cette donation divine inclut la terre, les animaux autrement dit, les espèces inférieures de la création, nécessaires à la conservation des hommes134. De cette commune propriété découle le droit pour chaque homme d'user des biens du monde selon le décret divin, c'est-à-dire, en vue de la conservation de chaque homme. C'est un droit d'usage inclusif dévolu à tous les hommes, afin d'accéder aux conditions matérielles, morales et intellectuelles nécessaires à la subsistance. Nous pouvons ici reconnaître, dans ce premier sous- ensemble juridique, le droit à la nourriture, au travail, au logement, etc. Bref tous les droits qui permettent à l'homme de vivre, de bien vivre et de lui assurer un épanouissement digne de son humanité. Ce sont ces droits que les rédacteurs de la D. U.D.H. ont désignés par l'expression générique « droits économiques, sociaux et culturels », détaillés dans ledit document (articles XXIII-XXVII, voir ci-dessus, pages 53-54). Ils correspondent à la deuxième génération des droits fondamentaux.

Nous disons que ces droits sont inclusifs parce qu'ils supposent que nul homme ne peut être exclu de leur exercice, et que chacun a le droit d'être inclus parmi ceux qui peuvent légitimement prétendre à l'objet auquel se réfèrent ces droits. De semblable, nous sommes aussi fondés à dire que cette propriété commune originelle, qu'est le monde et ses biens, est inclusive au genre humain dans son

ensemble. Dans ce sens qu'elle appartient par un privilège spécial (don de Dieu), à toute la grande famille des hommes.

VI.1.4. Les droits exclusifs

Quant au second sous-ensemble des droits composé de ce que nous désignons par le terme « droits exclusifs », c'est aussi le chapitre V du T.G.C. de LOCKE qui en fournit la matière et la formulation. Plus haut, nous avons vu que la propriété commune ou le droit de posséder en commun les biens du monde par tous les hommes trouve son origine dans la loi naturelle. Ainsi, cette propriété commune donne à son tour naissance au droit de posséder privativement (et toujours selon les fins dictées par la loi de nature), les biens du monde.

Toujours dans ce même chapitre V, LOCKE s'efforce d'établir pourquoi et à quelles fins les hommes acquièrent la propriété exclusive sur certaines choses de la nature. Nous avons vu que cette acquisition est possible dès l'état de nature avec le travail, elle se poursuit dans la communauté politique où elle est subordonnée à la fois à la loi naturelle, à la règle consensuelle et aux artifices institutionnels : « Ils (les hommes) ont donc institué dans leur rapports mutuels, par une convention positive, un droit de propriété qui porte sur des parties et des parcelles distinctes du monde »135. Avant d'affirmer plus loin :

« Je pense donc qu'il est facile à présent de concevoir comment le travail a pu donner, dans le commencement du monde, un droit de propriété sur les choses communes de la nature ; et comment l'usage que les nécessités de la vie obligeaient d'en faire, réglait et limitait ce droit là : en sorte qu'alors il ne pouvait y avoir aucun sujet de dispute par rapport aux possessions. Le droit et la commodité allaient toujours de pair »136.

Nous remarquons que pour J. LOCKE, le travail sur l'« indivis originel » confère à son agent un droit de propriété exclusive sur les fruits de son effort. A cette propriété exclusive introduite par le travail, J. LOCKE admet également que chacun se joint un droit analogue sur son corps, sa liberté et sa vie. Autrement dit, chaque homme possède des droits exclusifs sur son corps, sa liberté et sa vie. Ce droit exclusif a la particularité d'exclure quiconque à user du fruit de mon travail,

de mon corps, de ma liberté et de ma vie sans mon consentement préalable. On peut ici reconnaître le droit à la vie, le droit de disposer librement de sa personne ou l'auto détermination, le droit au mouvement, le droit à l'expression, le droit à la liberté, le droit, etc. Les rédacteurs de la D. U.D.H. verraient dans ce dernier sous- ensemble de droits, la première génération des droits fondamentaux : les libertés civiques et politiques qui sont énumérés dans ledit document par les articles : IV-XXI (ci-dessus page 53).

A ce niveau de notre étude, une remarque s'impose. Chez J. LOCKE, les deux sous-ensembles de droits, c'est-à-dire, les inclusifs et les exclusifs souffrent d'un manque de systématisation et de spécification rigoureuses. Ils sont tous englobés dans des catégories générales, comme le droit à la conservation où il y a le droit à la liberté, droit à la vie, etc. Nous en traiterons plus longuement (ci-dessous pages : 89-9 1). La conclusion qui s'impose pour l'instant, c'est que : J. LOCKE dans sa théorie de la propriété ou théorie des droits, ne présente pas encore une systématisation et une spécification bien ferme des droits subjectifs en cause. Quand il essaie de le faire, son approche est encore vague et implicite. Cependant, nous lui reconnaissons le mérite d'avoir perçu et posé l'existence des droits, qu'il estime non seulement fondamentaux, mais qu'il présente également comme une obligation à l'humanité. Ces droits s'enracinent dans la nature de l'homme, ils sont antérieurs à toute législation positive. C'est dans ce sens qu'il faudra chercher le lien de cette théorie de la propriété avec la philosophie contemporaine des droits de l'homme, consécutive à la D. U.D.H.

VI.3. Du paradigme lockien des droits de l'homme à la philosophie contemporaine des droits de l'homme

L'anthropologie politique de J. LOCKE présente la personne humaine dans la société civile comme la valeur fondamentale. Le pouvoir et le droit sont à son service. Les droits fondamentaux assignent à l'action de l'Etat tout à la fois ses limites et ses fins. Comme limite, l'Etat se doit de ne rien entreprendre contre eux. Comme fin, il se doit de les faire respecter par l'ensemble de la société, et d'en assurer l'exercice effectif en créant les conditions favorables à l'épanouissement de

la personne, laquelle apparaît comme nécessairement posée devant l'autre, devant la communauté, et exige de celui-là ou de celle-ci, la reconnaissance et le respect de ses droits.

Cette pratique est en passe de devenir constitutive de notre être-actuelau-monde. Nous sommes ici dans une philosophie bien particulière, celle du « je », caractéristique de la civilisation occidentale moderne. Cette philosophie du sujet dans laquelle autrui, personne ou communauté, apparaît comme une menace pour moi, comme celui qui me veut mort, qui me vole mon monde et dont le regard me chosifie (SARTRE 1905-1980). D'où l'exigence de reconnaissance et de respect de mes droits et de ceux d'autrui. Ainsi, le droit subjectif, qui signifie les droits au pluriel : les droits de l'homme et du citoyen, les droits des peuples, des groupes, etc. Il s'agit là des justifications reconnues aux individus, aux groupes, aux peuples, etc., pour agir, pour revendiquer, tandis qu'il est strictement interdit à d'autres d'y faire obstruction. Ces droits reviennent aux hommes tout simplement en vertu de leur humanité.

C'est là un trait particulier des philosophies du sujet. Celle là même qu'on peut, à juste titre, considérée comme une justification a priori, de la réduction ontologique pratiquée arbitrairement par les cultures dites «évoluées» sur les cultures «primitives» ; ou encore, qui a été mise à contribution pour légitimer la supériorité de certains peuples sur d'autres. Comme nous le voyons, cela constitue un fond sur lequel il est possible de soutenir que les Chartes relatives aux droits de l'homme en général, et particulièrement celle de l'Assemblée Générale des Nations Unies de l'après deuxième guerre mondiale, n'a pas émergé ex-nihilo. Moins encore, qu'elle n'est que la résultante de la répression et de la prévention des conflits analogues à l'avenir. Les chartes des droits de l'homme s'enracinent dans une tradition philosophique, éthique, politique et juridique déjà apprêtée par la société occidentale moderne. Cette base est l'ultime protection de l'individu et de sa liberté. Dans cette optique, le lien de l'anthropologie politique de J. LOCKE avec la nouvelle philosophie de la liberté est grand. Mais quelle est exactement la nature de ce lien ? Nous allons y arriver.

Entre temps, disons que chez J. LOCKE comme chez les promoteurs contemporains de la philosophie des droits de l'homme, il est possible de remarquer que, c'est à travers les événements de la vie quotidienne que l'homme conçoit l'exercice de ses droits et de ses devoirs. Cela sur le plan social, économique, politique, philosophique et religieux. Il appartient cependant à l'Etat de mettre en oeuvre des structures adéquates pour l'épanouissement des libertés individuelles et collectives. A cette même communauté politique, l'obligation incombe également de créer et de favoriser l'éclosion des institutions scientifiques, consentir pour cela un généreux investissement en personnel et en moyens financiers, de manière à aider la communauté à promouvoir une réflexion hardie sur les problèmes que pose la vie en société. Ceci, en vue d'apporter des solutions valables, tant pour le bien des individus que pour celui de la communauté.

Conclusion

L'anthropologie politique de J. LOCKE est un cadre favorable pour comprendre le sens du développement du libéralisme politique. Elle situe ce développement dans son origine véritable : très en deçà de sa polémique tardive avec les socialismes, où il évoque le projet de constituer contre l'Ancien Régime, un ordre politique délivré du pouvoir de la religion, où l'homme est l'auteur conscient de ses conditions de vie.

L'idée centrale de ce libéralisme politique, tout comme de cette anthropologie politique, est nous le savons, celle de l'individu. Non pas l'individu comme cet être de chair et d'os, moins encore comme Pierre distinct de Paul, mais comme cet être qui parce qu'il est homme, est naturellement titulaire des droits dont on peut dresser la liste et qu'on peut revendiquer. Ces droits lui sont attachés indépendamment de sa fonction, de sa race, de sa religion, de son opinion politique, etc., et font de lui l'égal de tout autre homme. Ces droits sont tout simplement inhérents à l'ontologie même de tous et de chaque homme.

Le libéralisme politique s'identifie ici à l'anthropologie politique de J. LOCKE. Et la philosophie contemporaine des droits de l'homme comme nous l'avons vu, peut apparaître comme le prolongement de cette doctrine. Ainsi, nous retrouvons notre question de départ, à savoir, ce libéralisme politique originaire, en bien des points tributaire des idées politiques de J. LOCKE, a-t-il eu une incidence sur la dynamique contemporaine des droits de l'homme ? Cette question nous permet d'amorcer la troisième et dernière partie de notre étude, à savoir celle que nous avons intitulée : l'anthropologie politique de J. LOCKE et la D. U.D.H..

TROISIEME PARTIE : L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE ET LA DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS
DE L'HOMME

Introduction

Les chapitres antérieurs ont montré que cette permanence existe. En effet, le paradigme lockien de la communauté politique comme la D. U.D.H. enveloppent toute une théorie de la citoyenneté. Par le consentement à la vie civile et par la confiance qu'il accorde au pouvoir public, l'individu se transforme en citoyen. Ce qui constitue une mutation et une promotion ; et en s'incorporant librement au corps public, chacun participe désormais à sa propre gestion en accédant à la dignité politique. Nous nous retrouvant ici en face de l'un des axiomes de base du libéralisme politique, qui est présente aussi bien dans l'anthropologie politique de J. LCOKE que dans la D.U.D.H. Les droits du citoyen sont une obligation à la citoyenneté. Quiconque n'assume pas ce devoir, n'accomplit pas son humanité. L'autorité et tous les moyens mise à sa disposition, ne sauraient ériger son pouvoir au-dessus des normes de la république. Ainsi, nous retrouvons la question centrale de notre recherche. A savoir : l'interrogation portant sur la nature véritable de cette permanence constatée entre ces deux systèmes. L'enjeu ici est d'établir le rapport véritable qui existe entre l'anthropologie politique de J. LOCKE et la D. U.D.H., matrice de la conscience contemporaine des droits de l'homme.

Nous allons tenter d'accéder à l'intelligibilité de cette permanence en trois niveau. Premièrement, au niveau des origines ; deuxièmement, au niveau doctrinal et conceptuel et troisièmement enfin, au niveau des finalités. A cet effet notre concept s'articulera en deux temps où seront successivement examinés deux aspects du même. Le premier aspect correspond à l'ordre dans lequel ranger cette permanence ; autrement dit, cette permanence est-elle de l'ordre de l'analogie, de l'homologie ou de l'identité. Tandis que le second aspect essayera de montrer qu'une telle approche de la question est non seulement susceptible de porter un coup sérieux à la légitimité de la dynamique des droits de l'homme et à leur tendance à l'universalité, mais aussi ignore la signification profonde de l'histoire des idées. Nous présenterons les conséquences qui découlent d'une telle attitude, avant de proposer ce que nous osons appeler : «une position prudente et constructive».

Chapitre VII. Identité, analogie ou homologie ?

VII.1. Analogie ?

M. FOUCAULT (1968-1984), classe l'analogie parmi les quatre formes de ressemblances qui sont à la base de la culture occidentale137. Simple métaphore ou expression authentique d'un rapport entre les êtres (phénomènes, choses, réalités), elle renvoie à un mode de connaissance. Certes, ce mode n'a pas la certitude de la démonstration, mais il n'est pas non plus, contraint à l'étroitesse des domaines d'application. L'alchimie, la théologie, la biologie, la physique, etc., sont autant de domaines où il a permis l'extension du savoir. Il permet de procéder du connu à l'inconnu dans l'exploration de la nature, et d'outrepasser les limites de notre expérience.

En recourant à procédé, nous voulons tout simplement rendre compte des similitudes perçues dans les sections précédentes de notre étude, entre l'anthropologie politique de J. LOCKE et la philosophie contemporaine des droits de l'homme. En d'autres termes, ce procédé nous aidera à rendre compte de la possibilité objective d'une mise en liaison entre ces deux systèmes qui pensent la condition sociale et politique de l'homme.

Théoriquement et originairement, les droits de l'homme se rattachent à une vieille tradition. Ce sont les droits naturels d'origine divine qui avaient déjà été affirmés par les Pères de l'Eglise, confirmés ensuite par le mouvement philosophique des Lumières sous la houlette de J. LOCKE. Les Déclarations anglaise

de 1689

(ci-dessus page 59),

américaine de 1776

(ci-dessus pages 59-60)

et

137M. FOUCAULT, Les Mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, Gallimard, 1966, p. 38.

française de 1789

 

(cf. pages : 60-6 1),

représentent le plus haut degré de leur

idéalisation à cette époque.

De nos jours, l'O.N.U. a, non seulement facilité la promotion et la défense de ces droits, mais aussi, elle les a systématisés en droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels et les a codifiés en un système juridique international. La D. U.D.H. fut de très près suivie d'autres conventions analogues tant internationales que régionales en vue de la renforcer (voir pages : ). Les

138A. I., D. U.D.H., Préambule, 1er Considérant, p. 18.
139Idem., Article I, déjà cité dans cette étude p. 55.

protocoles additionnels de 1966 : P.R.D.C.P. et le P.R.D.S.E.C. d'une part et la C.E.D.H. 1950. Les Africains la C.A.D.P. promulguée par le Conseil des Ministres de l'O.U.A., le 27 janvier 1981 à Banjul (Gambie), d'autre part, s'inscrivent dans cette optique. A côté de tels documents il existe bien d'autres chartes encore.

Somme toute, la D. U.D.H. nous reporte ces mêmes droits jadis considérés comme «naturels». Cette fois-ci, ils sont non seulement très bien élaborés et bien spécifiés sur le plan politique, juridique, économique et social, mais aussi, présentés dans un système qui oblige toute l'humanité, expression d'une déclaration universelle. Rappelons-nous de l'objectif visé par la D. U.D.H., instaurer au lendemain du chaos social et politique inauguré par le nazisme et les fascismes au milieu de XXème siècle, un nouvel ordre mondial, fondé sur les valeurs de respect de la personne, de respect de la dignité humaine138. Autrement dit son idéal est de parvenir à l'éradication progressive du mal dans l'homme, de réaliser un monde apaisé, dans lequel l'ombre du totalitarisme et des injustices sociales sera quasi- absente. La théorie des droits naturels sert de base de justification rationnelle à cette dynamique, désormais internationale et mondiale139.

De la même façon que J. LOCKE entendait combattre l'absolutisme et les despotismes de son époque, de cette même façon, la D. U.D.H. estime réaliser et instaurer des relations plus humaines, un idéal d'équité. La monarchie constitutionnelle qui fait l'objet d'une apologie chez J. LOCKE, représente l'incarnation de ce paradigme d'un ordre politique, économique et social plus humain. Bien que situés en contextes historiques très différents, les deux productions ont en commun une seule et même préoccupation, le destin de l'homme et les mêmes visées : éradiquer la violence, la tyrannie, l'intolérance, etc. Il se trouve aussi que le fondement et la justification rationnelle de l'entreprise lockienne passent par la théorie des droits naturels d'origine divine.

Le contexte historique de l'apparition de ces droits au sens moderne, c'est d'abord une volonté de protéger la liberté de l'homme par rapport à l'Etat. Cette genèse historique fait d'eux l'expression des intérêts de certains groupes sociaux à partir des conditions politiques et socio-économiques concrètes. C'est en fonction d'une telle constellation historique unique que les acteurs sociaux ont instauré ce nouveau modèle du politique. Bien qu'ayant une genèse socio-historique concrète, ils réclament en outre et partout, une validité qui va au-delà de ce contexte concret de leur apparition (nous allons revenir sur cet aspect, cf. page : 91). Aujourd'hui, les droits de l'homme prennent une autre ampleur : ils entraînent des obligations positives aussi bien de la part des particuliers que de celle des Etats.

Cependant, du point de vue doctrinal et conceptuel, on relève quelque discordance. J. LOCKE en ultime recours, autorise les citoyens à fomenter la dissolution d'un gouvernement en lui opposant la force. Dans les cas limites, il va jusqu'à préconiser la mise à mort de l'autorité qui au lieu de remplir correctement la mission qui lui est dévolue, secrète une incompétence notoire, et s'érige en véritable ennemi du peuple et de la communauté politique (cf. pages : 31-36 ; 4 1-49),. Sur ce chapitre, la D. U.D.H. préconise une attitude très modérée, qui recommande de procéder pacifiquement. Car, la force n'est pas le moyen le mieux indiqué pour résoudre les problèmes140. A ceci, nous ajouterons bientôt d'autres remarques (ci- dessous pages : 91-114). Ce sont là des éléments qui nous empêchent de conclure à une analogie parfaite entre les deux systèmes analysés.

VII.2. Homologie ?

L'homologie désigne la similitude morphologique entre deux ou plusieurs êtres. Nous recourons à l'homologie pour établir le rapport de la parenté entre l'aspect doctrinal et conceptuel de l'anthropologie politique de J. LOCKE, et la D. U.D.H. Cependant, peut-on dire du système politique lockien qu'il est homologue à celui promulgué par la D. U.D.H. ?

Il est manifeste que l'anthropologie politique de J. LOCKE est un modèle d'humanisme. Ce modèle évoque déjà, en fait, tous les droits de l'homme tel que nous les connaissons aujourd'hui : les droits individuels et collectifs ; le droit à

140A. I., Op. Cit. Préambule, 2ème Considérant, p.18.

l'intégrité physique et morale ; les droits et les devoirs de l'Etat ; les droits des communautés ; les droits des groupes d'individus ; les droits économiques, sociaux, culturels, etc. Dans cette perspective, nous estimons que ce modèle d'humanisme est prêt à rejoindre celui incarné par la D.U.D.H. Dans ce sens, il est possible de parler d'homologie.

Mais, il importe aussi de remarquer que chez l'auteur du T.G.C., ces droits ne sont pas clairement spécifiés, et ne font pas l'objet d'une taxinomie et d'une systématisation rigoureuses, comme cela est le cas dans la D. U.D.H. Ils sont englobés dans des catégories ou concepts généraux (ci-dessous pages : 94-97). Mais à partir du paradigme politique lockien, nous le soulignons, il est déjà possible de parvenir à une représentation des droits de l'homme.

Il convient aussi de noter que la théorie politique lockienne n'a pas la même valeur que le document onusien. Il faut, en effet, le souligner, ce dernier de plus en plus se présente comme ayant force de loi. Actuellement, il est possible de demander des comptes à tout contrevenant aux droits de l'homme : Etats, institutions, personnes privées, etc. Voici autant d'éléments qui recommandent la prudence dans l'application du qualificatif «homologue» aux deux systèmes. Reconnaissons qu'il y a homologie, mais celle-ci n'est pas rigoureuse.

VII.3. Identité ?

L'origine de ce mot (du latin idem : ce qui est le même), le situe d'emblée au sein de la dialectique du même et de l'autre ; au pôle du semblable, opposé alors à ce qui est différent ou divers. Il signifie soit l'identité essentielle d'un être à lui- même à travers des figures différentes qu'il est susceptible de revêtir au cour de son évolution, soit l'égalité de deux êtres en parfaite réduplication de forme et de grandeur ou des qualifications conceptuelles marquant pour des objets divers un semblable rapport au vrai. Nous allons nous attarder sur le premier sens.

Nous sommes fondés à parler d'identité dans un certain sens pendant que dans un autre le rapport n'est pas concluant. Nous remarquons qu'il y a identité en ce qui concerne les origines : l'anthropologie politique de J. LOCKE et la D. U.D.H.,

s'enracinent dans la théorie des droits naturels d'origine divine. Donc originairement, les deux documents ressortissent à un seul et même système ; le second étant la représentation d'une étape plus évoluée du premier. Il est ici question d'une identité essentielle : il y a une parenté génétique entre le modèle lockien d'humanisme politique et celui de la D. U.D.H.

Notre étude a conduit à admettre qu'il est également possible de parler d'identité dans le sens des objectifs visés par les deux systèmes (pages : 86-88). Ceux-ci sont animés par une prétention ou une préoccupation commune. Dans la mesure où ils se consacrent au problème de la destinée de la grande famille humaine : l'espèce humaine. Dans le même ordre d'idées, ils tentent de fonder une véritable société reposant sur des valeurs d'équité, de justice, de paix, d'égalité et de progrès. Dans une telle société, la tyrannie, l'absolutisme, le totalitarisme, les injustices, les guerres, etc., n'ont pas droit de cité.

Enfin, au niveau doctrinal, plus précisément dans la consécration des droits attribués à l'homme. Chez J. LOCKE comme chez les rédacteurs de la D.U.D.H., ce critère reste l'égalité et la liberté à la naissance, la conscience et la raison; autrement dit, la dignité humaine. Ce sont ces qualités qui fondent la fraternité entre les hommes (ci-dessus page 3, note 4 ; page 55, note 108 et page 56, note 109).

Il va s'en dire que dans son système J. LOCKE a perçu certains droits qui sont les mêmes (ou ont un correspondant) que ceux consacrés par le document onusien. Ce lien tient à la fois entre l'analogie, l'homologie et l'identité. Cependant la classification et le fonctionnement de ces droits n'obéissent pas à un même schéma. A ce niveau de notre analyse, une question se formule : dans quelle mesure exactement il est possible de soutenir que LOCKE est le père de la D. U.D.H.?

Chapitre VIII. J. LOCKE et la Déclaration universelle des droits de l'homme

VIII.1. J. LOCKE, un ancêtre droits de l'homme

Le contexte historique d'apparition des droits de l'homme les présente comme garantie conférée à une minorité religieuse (les puritains ou la bourgeoisie en pleine expansion) pour se protéger de l'emprise étatique aux mains de la majorité religieuse. Les puritains sont des dissidents de l'Eglise anglicane et de la politique de l'empire britannique des STUART. Le T.G.C. de LOCKE a beaucoup influencé leur position, tout comme il peut aussi être la justification a posteriori de la Glorious revolution, leur mouvement. Les Déclarations américaine et française des droits de l'homme ne peuvent se comprendre et s'expliquer, qu'en se rattachant à cet ouvrage de LOCKE. L'élan contestataire véhiculé par cet ouvrage s'enracine dans la philosophie du droit naturel, et se présente essentiellement comme une entreprise de rationalisation des revendications provenant de ces minorités.

La D. U.D.H. de 1948 est aussi une oeuvre de réaction. Elle n'est plus une réaction contre les aristocrates, mais contre les atrocités du nazisme et des fascismes. L'objectif qu'elle poursuit est de déterminer une sphère d'autonomie à l'intérieur de laquelle l'Etat ne puisse s'immiscer. Au profit de la liberté et de l'autonomie, elle entend mettre des barrières juridiques à l'action de l'Etat. Elle a étendu les droits individuels, reconnu et proclamé les droits des Etats et des peuples. Elle a même fait les droits de la troisième génération comme : les droits de solidarité, le droit au développement, le droit à la paix, le droit à un environnement sain, etc. Donc, historiquement, le système politique de LOCKE et la D. U.D.H. sont d'abord deux réalités différentes qu'il ne faut pas confondre.

Par ailleurs, après une phénoménologie respective de ces deux systèmes, il est possible de relever des similitudes. Cela est une évidence. Ainsi, à la suite de l'anthropologie politique de J. LOCKE, la charte de 1948 considère d'emblée que l'ordre politique est au service des personnes, et non le contraire. Cet ordre doit être élaboré en fonction des personnes et non le contraire ; parce qu'il n'existe pas de sociétés qui précèdent celles que les personnes ont instituées. Nous remarquons une insistance radicale sur la priorité de la personne, priorité qui nous rappelle les sophistes. 87

La société n'existe que par les personnes et pour les personnes, et celles- ci ne la constituent qu'en vue de leur seule promotion. En aucune façon, la société n'a de valeur ou de consistance par elle-même. Autrement dit, la société est loin d'être une réalité antérieure aux personnes qui la constituent. De ce point de vue, le lien entre l'anthropologie politique de J. LOCKE et la D. U.D.H. est saisissant. Ce ne serait pas commettre un contresens ni divaguer que de regarder l'anthropologie politique de LOCKE comme l'une des sources de la dynamique mondiale contemporaine des droits de l'homme.

VIII.2. L'aspect théorique des traités politiques de J. LOCKE

L'oeuvre politique de J. LOCKE, dont la plus grande partie est exposée dans la L.T. et le T.G.C., constitue un ensemble d'essais de philosophie politique. C'est là, ce qui nous autorise à affirmer qu'elle est un simple modèle d'analyse et d'interprétation philosophique du fait politique et juridique. Cette anthropologie politique et la théorie des droits qui en découle présente une valeur d'ordre épistémologique, en enrichissant la connaissance spéculative.

S'inspirant de la réalité politique et juridique de son époque, irrationnelle, J. LOCKE s'en démarque et essaie d'en projeter une autre, qui augure de meilleurs lendemains pour l'espèce humaine. Il conçoit qu'il est absurde pour des êtres doués de raison, c'est-à-dire pour l'humanité et pour des Etats, de continuer à vivre dans un monde où leurs relations réciproques ne sont pas régies par un système juridique dans lequel, les droits des citoyens sont conçus comme la contrepartie de leurs devoirs vis-à-vis de l'Etat. Ceci, pour le bien de tous et de chacun, pour la survie de la communauté politique et la continuité de l'Etat.

J. LOCKE essaie de donner à l'humanité un nouveau dessein moral. Son système n'a aucune valeur, au sens strict, sur le plan juridique. Autrement dit, il n'a aucune valeur contraignante, il n'a pas force de loi. Les résolutions qui y sont indiquées n'obligent pas les hommes et les Etats. Elles sont une contribution théorique, à l'amendement de la condition politique et juridique de l'humanité. Les contributions de LOCKE ont eu non seulement une influence considérable sur la

141J. LOCKE, T.G.C., chapitre V : De la propriété des choses, § 41, p. 174. 142 Cf., ci-dessus, pages : 54-55 ; pages : 57-59.

renaissance du droit au milieu du XXème siècle, mais aussi sur la formalisation juridique des droits de l'homme, y compris dans le droit international.

VIII.3. Manque de taxinomie des droits dans les traités de J. LOCKE

Répétons que la théorie lockienne des droits ne présente pas une systématisation et une spécification des droits de l'homme qu'elle énonce. Elle les englobe tous, sans toutefois les spécifier, dans des concepts génériques « moyens nécessaires à la conservation » ou à la « subsistance », ou encore « droits fondamentaux ». Rares sont les moments où elle essaie d'être un peu plus explicite. Quand cet effort est fait, l'indication reste sommaire et vague : « un droit d'user des biens du monde dont il (Dieu) les a doté si généreusement pourvu pour qu'ils en tirent leur nourriture, leurs vêtements et tout ce qui sert de confort à la vie »141. Les droits sont énoncés de façon lacunaire et approximative, comme des principes généraux, ils sont d'une tonalité hautement philosophique.

Faute de taxinomie et de systématisation hautement élaborées, les droits de l'homme dans la théorie des droits de LOCKE sont encore embrigadés dans des catégories conceptuelles génériques. Il revient au lecteur de déduire à l'issue d'un effort personnel, quels sont les droits de l'homme correspondants ou quels sont leurs répondants dans la philosophie contemporaine des droits de l'homme. Peut-être, à travers cet acte, LOCKE veut-il nous faire croire qu'une liste exhaustive des droits de l'homme n'est pas de mise. C'est donc peine perdue, que de vouloir en dresser une à tout prix. La D. U.D.H. elle-même semble consacrer cet aspect. N'est-elle pas sans cesse complétée par de multiples pactes régionaux et internationaux142 ?

Néanmoins, la théorie lockienne à un mérite : elle a non seulement su poser ces droits comme fondamentaux, mais aussi, elle a su les présenter comme une obligation à l'humanité. Dans ce sens, les idées de J. LOCKE ont été à l'origine de

Du reste, le silence sur l'origine sémitique, bouddhiste, hindouiste de la spiritualité chrétienne, matrice des valeurs qui ont façonné l'Occident, comme les droits de l'homme, et qui sont en train de façonner le monde, nous paraît suspect. Il est grand temps de réhabiliter la mémoire de ces pensées fondatrices qui ont posé

la Déclaration anglaise des droits de 1689, en marge de la Glorious Revolution et à la base de celle à partir de laquelle les Américains se constituèrent peuple en 1776. C'est encore elle qui sous-tend la Déclaration française des droits de 1789 ; aussi, la philosophie des droits de l'homme, telle que nous la connaissons aujourd'hui, y est plus ou moins explicitement formulée.

Comme nous pouvons le constater, la pensée politique de J. LOCKE est à l'avant-garde de tous les mouvements des droits de l'homme, depuis la fin du XVIIème siècle et durant tout le XVIIIème siècle. Elle a su tracer l'épure des régimes démocratiques modernes, dont nous sommes aujourd'hui les plus grands héritiers. Elle est le terreau sur lequel la plupart des démocraties contemporaines trouvent inspiration et se formalisent. Elle pose le régime démocratique comme le meilleur, en comparaison de tous les autres régimes politiques. C'est le seul, selon J. LOCKE, qui puisse, sans se contredire conjuguer simultanément la liberté des membres de la communauté politique et l'autorité des gouvernants. On ne se trompe pas en soutenant, que c'est la pensée de LOCKE que l'on retrouve dans les présupposés c'est- à-dire, les sous-entendus, de la D. U.D.H. C'est dans ce sens qu'il est un ancêtre lointain de la dynamique contemporaine des droits de l'homme, dont il serait cependant peu raisonnable de lui attribuer la paternité exclusive.

Cette attitude pécherai par l'ignorance de l'histoire des idées, car il n'existe pas de pensée sans mémoire, et l'anthropologie politique de J. LOCKE ne sort pas de ce cadre. Elle est tributaire de la morale judéo-chrétienne et de la pensée grecque classique, lesquelles s'étaient alliées en Occident à un riche développement spéculatif ultérieur venu de l'Orient. Ainsi de la même manière que saint THOMAS s'incline devant PLATON et ARISTOTE comme pères de la pensée et légataires universels de ses instruments formels, de même, il apparaît sensé de soutenir que la pensée de J. LOCKE s'enracine aussi dans un fond culturel préalable venu de l'Inde, de la Chine et de l'Egypte.

les jalons et tracé la voie de la réflexion philosophico-scientifique dont le génie occidental a su tirer parti pour son propre compte. Ce silence risque de véhiculer une idéologie qui évoque en philosophie un débat devenu classique : la suprématie de la culture occidentale, l'inutilité ou l'infériorité de toutes les autres cultures qui n'intègrent pas ce modèle.

Affirmer le rattachement exclusif du mouvement contemporain des droits de l'homme à l'anthropologie politique de J. LOCKE, équivaudrait d'ailleurs à concevoir les droits de l'homme comme fondamentalement au service d'une catégorie bien précise d'individus, les puritains ou la bourgeoisie (cf., ci-dessous page 91). Enfin, pareille attitude tendrait à légitimer les droits de l'homme sur le seul versant de la rationalité de l'homme. De là, peuvent de sérieuses atteintes au mouvement des droits de l'homme qui, de nos jours, se veut mondial. L'enjeu ici est que cette attitude empêche tous les individus ne se réclamant pas de la culture occidentale de se reconnaître dans les valeurs incarnées par le paradigme des droits de l'homme. Ces valeurs ne représentant aucun idéal social sérieux pour eux. Ou encore pour ceux qui s'y reconnaissent, une occasion d'exclure tout ceux qui ne s'y reconnaissent pas. Enfin, pour cette catégorie bien précise d'individus dont nous parlions plus haut, la bourgeoisie montante, d'exclure tous ceux qui ne font pas partie de leur caste de l'exercice et des avantages réels résultants de ce paradigme.

Par ailleurs, cette attitude fonde également les droits de l'homme sur la rationalité humaine. Donc tous les hommes devraient non seulement les reconnaître, mais aussi, les respecter automatiquement. Or, la vie quotidienne dément formellement cette thèse, car les droits de l'homme sont partout bafoués. En dernière analyse, l'anthropologie politique de J. LOCKE présente quelque difficulté à fonder de façon apodictique la D. U.D.H. et la nécessité à l'universalité des droits fondamentaux. Il faut ici reconnaître sa contingence. A cet effet, nous estimons qu'il apparaît beaucoup plus judicieux de soutenir que les droits de l'homme ne sont pas du seul ressort de l'anthropologie politique de J. LOCKE. Il convient donc de chercher d'autres anthropologies.

143E. B. J., Op. Cit., Genèse I, 26-27. 144Idem, Jean I. 12-13.

145Idem, Ephésiens IV, 23-24.

146Idem, Galates III, 28.

Chapitre IX. Les droits de l'homme, un long processus historique

La D.U.D.H., n'est pas une invention abrupte, c'est-à-dire une création ex- nihilo. Elle est une formulation systématisée et formalisée d'un acquis par processus de la conscience historique. Nous allons essayer d'en faire l'histoire. Celle-ci remonte aux périodes historiques les plus lointaines : textes des grandes religions judéo-chrétiens et arabo-musulman ; textes babyloniens d'HAMOURABI et égyptiens ; textes gréco-latins. Même chez les peuples sans écriture, les principes relatifs au respect des personnes sont présents dans les traditions de pensées, de religions, des arrêts de tribunaux coutumiers, etc. Essayons d'examiner la quintessence de ces cultures en matière des droits de l'homme.

IX.1. L'expérience des grandes religions

IX.1.1. Le message judéo-chrétien

La finalité de la D. U.D.H., coïncide avec le précepte judéo-chrétien du respect de la personne et de « l'amour du prochain ». Cette doctrine, les éléments historiques nous le montrent, est formulée dès le premier livre de l'Ancien Testament, la Genèse, qui déclare l'homme fait à l'image de Dieu 143 . D'où sa participation au projet général de ce dernier. Ce rattachement et cette participation (de l'homme) au projet général de Dieu, est le fondement de la dignité inhérente à l'homme, et la source des droits de l'homme.

Le Nouveau Testament ne s'éloigne pas de cette vision : « JESUS Christ est venu sur terre pour l'homme, pour réaliser son salut ». En effet, devenu le principe universel de salut, il obtient pour chaque homme de devenir fils de Dieu 144. En d'autres termes, chaque homme est devenu une nouvelle créature, née par le Saint-Esprit. Tous ceux qui adhèrent à lui par la foi et le baptême, constituent la famille de Dieu. Dans cette famille, il n'y a « ni juif, ni grec, ni femme, ni homme, ni esclave, ni homme libre ; tous ne font qu'un dans le Christ JESUS »145. Tout homme est l'image du DIEU invisible et, le frère du Christ146.

Ainsi, le juif, le chrétien trouvent en chaque homme Dieu lui-même, avec son exigence absolue de justice et d'amour. Le précepte de « l'amour du prochain » trouve ici toute sa signification et se traduit aussi bien en commandement de Dieu qu'en celui de l'Eglise. Sur le plan des rapports inter humains, il inspire le principe de l'existence en l'homme, du droit au respect. C'est sur cet aspect qu'à la suite de l'Ancien Testament, le christianisme fonde la reconnaissance, le respect de la dignité humaine et tout ce qui en découle. C'est également sur ce même principe que les rédacteurs de la Déclaration américaine des droits de 1776 s'appuyèrent pour justifier leur entreprise de sécession vis-à-vis de l'empire britannique et du roi de Grande-Bretagne : « Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes naissent égaux, que leur créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche du bonheur »147 . Enfin, nous remarquons que, c'est sur ce même aspect que l'Eglise Catholique, une spécificité du Christianisme, fonde sa doctrine sur les droits de l'homme148.

C'est en reprenant à son propre compte l'expérience de la Bible, des Pères de l'Eglise, des membres de l'Ecole juridique et de l'école théologique espagnoles du XVIème siècle (VITORIA, SUAREZ, LAS CASAS), que l'Eglise catholique fonde sa doctrine actuelle en matière des droits de l'homme. Habituellement, celle-ci admet le fondement des droits de l'homme déjà dans la loi naturelle. Ses prémisses : l'ordre social est orienté vers le bien des personnes, chaque personne est dotée de l'intelligence et de liberté, la personne humaine est et doit être le sujet, le principe et la fin de toutes institutions sociales.

Sur ces prémisses, le magistère fonde et affirme les grandes libertés et droits fondamentaux149 : égalité, dignité en nature sans distinction de race, de

147C. BECKER, Op. cit., p. 263. Presque toutes les déclarations des droits de l'homme proclament les droits sous les auspices de l'Être Suprême. Cf. Les préambules de la Déclaration française de 1789, de la constitution américaine de 1791 et même de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

148La doctrine de l'Eglise catholique sur les droits de l'homme est résumée dans COMMISSION PONTIFICALE JUSTICE ET PAIX, L'Eglise et les droits de l'homme document de travail n°1, Librairie Editrice Vaticane, 1975. Sur le même chapitre, nous renvoyons aux excellentes contributions de monseigneur TSHIBANGOU THISHIKU, «L'Eglise et les droits de l'homme», in Philosophie et droits de l'homme, Actes de la 5ème semaine philosophique de Kinshasa, du 26 avril au 1er mai 1981, pp. 17-31 et de G. THILIS, «Droits de l'homme et théologie catholique», in Revue théologique de Louvain, 1980, n° 03, pp. 352-361.

149Une liste exhaustive des grandes libertés et droits fondamentaux est dressée dans COMMISSION PONTIFICALE JUSTICE ET PAIX, L'Eglise et les droits de l'homme, document de travail n°1, Librairie Editrice Vaticane, 1975, pp. 22-24.

 

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150 Idem. pp. 24-28.

151Comme la déclaration Dignitas humanae personae sur la liberté religieuse et Gaudium et spes, sur l'Eglise dans le monde contemporain.

152 Sur cette polémique, nous renvoyons à S. LAGHMANI, «Pensées musulmanes et théorie des droits de l'homme», in Y-J. MORIN (dir.), Op. Cit., pp. 147-149. Du même auteur, «Islam et droits de l'homme», in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Islam et droits de l'homme, Economica, 1994, pp. :42-46. Egalement, P. TAVERNIER, «Les Etats arabes, l'O.N.U. et les droits de l'homme. La déclaration universelle des droits de l'homme et les pactes de 1966», in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., p. 57, Note 1. Egalement S. DIOP, «Islam et droits de l'homme, une problématique actuelle, un impacte certain», in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., pp. 73-83. Enfin, Y. BEN ACHOUR, «Nature, raison et révélation dans la philosophie du droit des auteurs sunnites», in Y-J. MORIN (dir.), Op. Cit., pp.1 59-160.

153S. LAGHMANI, «Islam et droits de l'homme» in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., pp. 51-52; Y. BEN ACHOUR, Article cité, in Y-J. MORIN (dir.), Op., Cit., pp.1 66-167.

154Cf., ci-dessous pages : 111-113.

155Sourate des Croyants, 115; Sourate Sâd, 17 ; Sourate de la Fumée, 38,39.

religion ; droit à la vie, intégrité physique et morale, etc. Le magistère a également mis en lumière plusieurs libertés ou droits fondamentaux150, notamment dans le domaine des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels qui ont pour objet : l'association, le mariage, la famille, la participation à la vie politique de son pays, le travail, la propriété privée, la liberté dans le choix de son état vie, l'éducation, la liberté de mouvement et de résidence à l'intérieur du pays où l'on est résident, etc., qui tous, constituent des secteurs clés de toutes activités individuelles ou collectives.

Un moment décisif, dans l'élaboration de cette doctrine est l'oeuvre du pape LEON XIII. Trois grandes encycliques sont à mettre en exergue : Immortale dei, Sapientia christianae et Libertas praestantissima. Dans ces encycliques, ce pape traite des constitutions des Etats modernes et de leurs relations avec l'Eglise. Il reconnaît à celle-ci une perfection propre dans son ordre et une indépendance légitime dans son domaine. En même temps, il y affirme les droits fondamentaux de l'homme, en particulier celui des citoyens dans la vie politique des Etats. Par ailleurs, il situe le rôle du jugement normatif que l'Eglise a le droit d'exercer vis-à- vis des Etats. Sur le plan social, la célèbre encyclique Rerum novarum, 1891 (Les choses nouvelles) traite des droits de l'homme dans le domaine social. Elle appelle les Etats et les employeurs à reconnaître le droit des travailleurs à la justice, précisément dans les relations travailleurs/employeurs. Un accent particulier est mis sur la rémunération, qui doit être en mesure de couvrir les besoins du travailleur.

Au XXème siècle, les différents papes de PIE XI à JEAN PAUL II, ainsi que certaines déclarations151 du Concile Vatican II et du Synode Episcopal de 1971 relatif à la paix dans le monde, soulignent la signification et la portée des droits de l'homme. Par exemple, PIE XI (1922-1939) dans Quadragesimo anno (1931), urge les exigences générales du bien commun et le devoir de l'autorité publique de veiller à l'établissement des conditions économiques et sociales indispensables à l'exercice concret des droits au travail. Dans Divini redemptoris (1937), il oppose la doctrine des droits de la personne aux principes et à la pratique du totalitarisme communiste

(LENINE) avant de s'enflammer dans d'autres textes analogues contre les fascismes et le nazisme.

Dans le Synode Episcopale de 1971, les Évêques déclarent « le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde ». Ce combat apparaît comme une dimension constitutive de la prédication de l'Evangile, laquelle est la mission de l'Eglise pour la rédemption de l'humanité et sa libération de toute situation oppressive. Dorénavant, la défense des droits de la personne humaine est poursuivie par les conférences épiscopales ou par les évêques individuellement et par toute la communauté chrétienne. Elle est étudiée et animée par les commissions nationales Justice et Paix, elles-mêmes, calquées sur la grande Commission Pontificale du Saint Office.

IX.1.3. Le message coranique

D'entrée de jeu, il convient de rappeler que le rapport de l'islam aux droits de l'homme constitue un véritable problème. Nous faisons l'économie de cette polémique et de l'idéologie qu'elle sous-entend152. Nous nous contentons de rechercher dans l'islam les conditions théoriques de possibilité d'une philosophie des droits de l'homme. C'est-à-dire la reconnaissance, l'exacte nature des choses et de l'homme, puis l'aptitude de la raison humaine à la découvrir, et enfin, la possibilité d'en inférer des normes. En d'autres termes, nous interrogeons l'islam sur le statut de l'homme, sur la place, le rang qu'il lui accorde, afin de conclure s'il intègre ou non la théorie des droits de l'homme. Nous nous limitons pour ce faire, à la pensée sunnite, qui nous est familière.

Sur le statut de l'homme, le point de vue sunnite n'est plus un mystère pour personne depuis le IXème siècle ap. J.-C. (IIIème siècle de l'Hégire). Il est le couronnement d'une controverse qui oppose deux courants sur l'herméneutique coranique. Nous citons l'interprétation rationaliste, ta 'wil, qui s'identifie au mu'

tazilisme et l'interprétation littérale hassiyya, la position orthodoxe qui est en passe de devenir la position officielle de l'islam en matière des droits de l'homme. Consécutives à cette controverse, des disciplines virent même le jour. Respectivement le 'ilm al-kalâm et le 'ilm al-hadith. Mais, ce sont plus les thèses développées par le premier courant qui nous intéressent.

Le mu 'tazilisme soutient les thèses de la rationalité de Dieu et celle de la liberté de l'homme153. Ces thèses expriment leur second principe, relatif à la justice divine : adl. Ce principe conduit à concevoir Dieu comme l'Etre Suprême, nécessairement juste, et qui agit toujours en vue d'une fin ultime, le al-aslah : le meilleur et le plus utile épanouissement de l'homme. Comme nous le voyons, il existe chez les sunnites, une loi qui gouverne et anime l'univers. C'est cette même loi que saint THOMAS d'Aquin découvrira et désignera au XIIIème siècle ap. J.-C. (VIIème siècle de l'Hégire) par la lex aeterna. Celle là même que les Stoïciens, plusieurs siècles avant, assimilaient à une tension qui parcourait l'univers et l'orientait vers une fin154.

Il ressort que Dieu ne peut agir que justement et les hommes peuvent choisir entre le bien et le mal, leur libre arbitre, la condition de leur responsabilité. Or, tout choix présuppose l'aptitude à le réaliser ; ce qui nous conduit à admettre que l'homme peut qualifier les êtres, les actions de beaux/laids ou bonnes/mauvaises. Donc, en elles-mêmes, les êtres contiennent de la valeur que la raison humaine est à même de découvrir. Les décrets divins ne sont donc pas la cause de la valeur des êtres, ils sanctionnent plutôt une valeur des choses déjà là. C'est-à-dire, antérieure à la révélation dans la nature des êtres ou des choses.

Il y a donc une nature des choses, une loi naturelle médiatisée par les êtres eux-mêmes, et qui est accessible à l'homme par sa raison et son intelligence. Cette thèse, qui est en fait le point de vue des théologiens rationalistes, les mu 'tazilites, est communément admise par les sunnites puisqu'elle tire ses origines du Coran lui-même155. De telles prémisses, il est possible de déduire une théorie des

156S. LAGHMANI, Article cité, in G. COGNAC & A. ABDELFATAH (dir.), Op. Cit., p. 55.

157Idem, pp. 52-54. Egalement, Y. B. ACHOUR, Article cité, in Y-J. MORIN (dir.), Op. Cit., pp. 164-166

droits de l'homme. Ces prémisses auraient été à cette théorie, ce que la pensée de saint THOMAS a été à la philosophie moderne occidentale. C'est à dire, sa condition théorique de possibilité. Ceci est l'islam que rien ne sépare de la théorie des droits de l'homme, l'islam humaniste :

« Le «ta 'will», le retour au sens cher aux «mu 'tazilites», n'est possible que parce qu'ils considèrent que le Coran ne crée pas la valeur mais qu'il se limite à la consacrer, qu'il ne crée pas la vérité mais qu'il se limite à la dire. L'homme peut poser la question du pourquoi et du comment. Répondant au pourquoi, l'homme découvre la fin de la règle et la fin de la règle est supposée être la meilleure pour l'homme «al-aslah». Il peut dire que le Coran ne pouvait au Ier siècle de l'Hégire interdire l'esclavage mais il y tendait, il peut dire que l'égalité est la fin de l'établissement des statuts de l'homme et de la femme et que le moyen peut être transformé [...] En tout cela, le «mu 'tazilite» se référera à la nature des choses et mettra en oeuvre sa raison pour atteindre ce qu'il suppose être la fin ultime de l'Islam : le mieux pour l'homme »156.

Au lieu de bénéficier d'un sort plus noble, les mu 'tazilites furent taxés d'apostats, et leur rationalisme assimilé à l'athéisme. D'où les persécutions au profit de la première tendance, au pouvoir et s'érige en orthodoxie157. Celle-ci est un strict volontarisme divin, le dogme de l'absolue liberté de Dieu, de la totale soumission de l'homme à cette volonté et de la totale incompétence de la raison et de l'intelligence humaines dans l'intellection du dogme.

L'homme n'est pas le référent des normes qui s'appliquent à lui, il n'en est que l'objet. Ce n'est pas en raison de sa nature que de telles règles sont posées, mais uniquement par la volonté de Dieu. C'est la position de l'islam traditionnel, donc officiel qui ne considère l'homme que comme l'esclave d'une volonté divine absolument libre. De cet islam, aucune théorie des droits de l'homme n'est possible, pour la simple raison que l'homme y est absent. La volonté divine étant absolument libre, aucune lex aeterna n'est concevable, moins encore une lex naturalis. La lex naturalis et la lex aeterna constituent des limites à la sacro-sainte puissance d'ALLAH. La nature des choses n'existe pas ; l'homme ne peut pas la découvrir. Un droit de la nature paraît absurde :

« En somme, la théologie islamique orthodoxe n'admet pas l'existence d'un droit naturel, soit d'un droit issu de la nature et la raison, et comme tel

158CHAFIK CHEHATA, cité par Y. B. ACHOUR, Article cité, in Y-J. MORIN (dir.), Op., Cit., p. 166.

indépendant de la révélation et des dogmes religieux. Si DIEU l'avait voulu,
répètent à satiété les théologiens, il aurait inspiré à son Prophète une loi toute

différente qui serait tout autant juste que celle qui est prescrite »158.

C'est cette orthodoxie qu'aujourd'hui on identifie à l'islam, alors qu'elle n'en a été en réalité qu'une lecture. Elle est antinomique à la théorie des droits de l'homme, donc, des droits naturels. L'homme n'a pas de droits, de sa nature on ne peut inférer aucune norme, une théorie des droits de l'homme est impossible. Dans cette perspective, il n'est possible de concevoir des droits de l'homme que, comme des droits attribués par la bonté d'un Etre Suprême, mais non en raison de la nature humaine.

L'homme au sens stricte, n'est pas sujet de droit. La seule science en l'honneur désormais c'est le Fiqh : connaissance des jugements divins concernant les actions des humains. Le Fiqh est connaissance de la Shari'a, c'est-à-dire, la voie du salut que Dieu a révélée aux hommes, elle comprend et dépasse le droit dans son sens moderne, c'est une sorte de théologie pratique. Il est donc impérativement interdit de se donner des libertés vis-à-vis des droits de l'homme consacrés par Dieu ; on ne peut ni ajouter, ni adapter. On s'interdit également de les historiciser. Les règles et mécanismes de leur protection ne peuvent pas être soumises à la loi de l'évolution.

Comme nous pouvons le constater, dans les deux cas, c'est-à-dire, dans celui des théologiens rationalistes aussi bien que dans celui des théologiens fidéistes de l'islam, l'on arrive aux droits de l'homme. Soit, ce sont des droits que l'on détient par nature, soit ce sont des droits attribués par le canal de la volonté divine, le Créateur Suprême.

IX.2. L'expérience des cultures non occidentales

IX.2.1. Les cultures africaines

Partout où ils existent, les hommes sont mus par des postulats philosophiques qui orientent leurs actions dans toutes les sphères de la vie. C'est aussi le cas de l'Afrique pré coloniale. Ces peuples avaient des conceptions de valeurs sur lesquels reposaient leurs systèmes juridiques positifs à partir desquels il

est possible de dériver une théorie des droits de l'homme. Certes, c'est un fait que la connaissance de ces systèmes juridiques reste problématique. Il n'existe que des études fragmentaires ou enquêtes plus ou moins contestables à ce sujet. Les chercheurs ayant consacré leurs temps à d'autres aspects de la réalité sociale. Voilà pourquoi ces systèmes ne sont pas connu ou encore sont très mal connu, tant sur le plan théorique que sur celui des droits de l'homme qu'ils consacrent.

Mais il n'en demeure pas moins que les ancêtres africains ont formulé des normes juridiques dans des systèmes cohérents, pour la plupart oraux. C'est le constat qu'il est possible de faire à l'examen de certains aspects constitutifs de l'anthropologie négro-africaine. Par exemple, le cas des arrêts de justice rendus par les tribunaux coutumiers et aussi de la terminologie des traditions de ces différents peuples. Ce sont là, de précieuses indications qu'il importe d'analyser, afin de voir dans quelle mesure les traditions orales africaines, annoncent certains droits fondamentaux de la personne, implicitement ou explicitement reconnus159. Les

contributions160 de TSHIAMALENGA NTUMBA, de S. MBONYINKEBE et de MUKENGENDIBU qui nous paraissent très significatives à cet effet.

Dans l'anthropologie Luba par exemple, ce que l'on appelle «l'autre je» qui s'oppose à «moi» n'est pas vu sous le signe de l'altérité, mais sous celui de la communication originaire entre tous les hommes161. C'est-à-dire que l'homme qui se manifeste à «moi», n'est pas autrui, altérité, «un autre moi», mais bien plutôt, un muntunanyi, c'est-à-dire «l'homme-avec-moi''162. C'est un être engagé originairement à être mon partenaire et mon allié. Dans ce sens, il correspond à tout homme en tant qu'il est mon égal, qu'il est de la même origine que moi ; en tant que

159Nous sommes conscients du fait que quelques lexèmes, aphorismes et les arrêts de tribunaux épinglés dans une culture, à défaut des textes suffisamment élaborés sur une question philosophique ne suffisent pas en eux-mêmes pour restituer une philosophie qui serait commune à cette culture. Conscients de ce fait, nous soulignons que notre préoccupation n'est pas de restituer une philosophie africaine des droits de l'homme, mais, un essai de construction de celle-ci.

160TSHIAMALENGA NTUMBA, «Les droits de l'homme dans la tradition éthico-anthropologique «Luba». Essai de construction analytique», pp. 301-311 ; de S. MBONYINKEBE, «Jalons pour une véritable promotion de la personne en Afrique» pp. 329-337 et de MUKENGE-NDIBU, «Droits de l'homme et philosophie dans l'Afrique traditionnelle et actuelle», pp. 245-261 ; Toutes, dans COLLECTIF, Philosophie et droits de l'homme, les actes de la 5ème semaine philosophique de Kinshasa, du 26 avril au 1er mai 1981, Faculté Théologique de Kinshasa, 1982.

161Les Luba : peuple (ethnie) du Congo Démocratique, ex-Zaïre.

162TSHIAMALENGA NTUMBA, Article cité, p. 307.

 

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163Idem, p. 309.

164S. MBONYINKEBE, Article cité, p. 331.
165MUKENGE-NDIBU, Article cité, p. 249.

166TEMPELS, Lettre, in Aspects de la culture Noire, n° 24, cité par MUKENGE-NDIBU Article cité, p. 249. 167 TSHIAMALENGA NTUMBA, Article cité, pp.309-31 0.

168Nous faisons l'économie de la pensée développée dans ces localités en raison de l'indisponibilité des sources. Ceci ne signifie nullement que ces peuples n'ont développé aucune pensée en rapport avec les droits de l'homme. Toutes fois nous renvoyons le lecteur à BHIKSU SHIH TAO-AN, «La doctrine de BOUDHA et les droits de l'homme», in Revue des droits de l'homme n°10, 1977, pp.: 5-13.

169D'abord avec MOÏSE, ensuite avec SALOMON, qui pour organiser le nouvel Etat y fit venir les scribes dont les méthodes administratives, et les enseignements d'AMENOPE inspirèrent le livre des proverbes. Le Christ lui- même, s'y était réfugié afin d'éviter le châtiment mortel que lui réservait HERODE.

170EPICTETE, Entretiens, Textes choisis par J. RUSS, Les Chemins de la pensée, A. COLIN, 1988, p. 99. 171Idem, cité par G. R. LEWIS, La Morale stoïcienne, P.U.F., 1978, p. 130.

172Nous souscrivons à la thèse de J.-S. ZA'ABE, Ouvrage cité, p. 08. (Ci-dessus page 59 note 114).

je partage avec lui une origine et un destin identiques : c'est donc un partenaire, un allié originaire.

Ce principe est une matrice fondamentale à partir de laquelle on peut faire découler les affirmations d'égalité, de fraternité et de liberté entre les hommes. Il implique le rejet de tout ce qui discrimine le muntunanyi (l'homme-avec-moi) : l'esclavage, le racisme, le tribalisme, le nationalisme, l'esprit de bloc, bref, toutes sortes d'exclusionismes et d'égoïsmes. De ce principe fondamental, découlent également les préceptes majeurs de l'éthique et du droit. Ils tendent non seulement à garantir la vie et l'intégrité corporelle de tout homme, mais aussi, à régler les relations quotidiennes interpersonnelles dans la vie quotidienne163.

S. MBONYINKEBE parvient lui aussi à une construction analogue à travers l'examen du concept bont'okaka (homme d'autrui) chez les Mongo, un autre peuple du Congo Démocratique164. Il constate que ce concept est utilisé pour désigner. a)-le parent qui vient de loin, par opposition à celui qui habite avec nous ; b)-le parent par alliance, par opposition à celui par le sang ; c)-l'esclave par opposition au fils du village, et enfin d)-l'étranger. Une exégèse poussée de ce concept montre que toutes ces catégories de personnes méritent égards et considérations au titre de leur statut spécifique d'«homme d'autrui». Nous pouvons voir à travers ce statut, la désignation d'une sphère des droits inaliénables : droit à la sécurité, à l'intégrité physique et morale, au respect, etc.

Dans ces sociétés traditionnelles, le droit n'est pas seulement un acte des vivants. Imprégné du sacré, il est l'héritage des ancêtres. Les paroles de ces derniers fixent les règles de vie dont la violation est impensable. Ce fondement transcendant de l'impératif juridique lui confère une autorité présentée comme l'expression de la volonté de telle ou telle divinité. On peut dire à juste titre que les droits de l'homme concédés par les préceptes ci-dessus indiqués sont dans un tel système, considérés comme sacrés165. L'appareil juridique comme l'ensemble des autres institutions est conçu et appliqué au service de l'homme. Tout comme le monde visible et invisible

doivent agir dans l'intérêt de l'homme. Le premier droit pour ces sociétés correspond à la vie. Une vie pleine, intense, totale et abondante166. C'est en fonction d'elle, le droit de l'homme par excellence, que les conflits, les problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels sont résolus. C'est toujours en fonction d'elle que sont conçus et concrètement garantis de façon efficace et permanente, les droits de l'homme dans toutes les autres sphères de l'existence. La vie correspond au droit d'appartenir à une communauté, d'y vivre et d'y agir sans être gêné par autrui ou une autorité arbitraire et tyrannique. Elle correspond également au droit de vivre dans le strict respect des droits légitimes de tout un chacun et de la communauté. Ces droits de l'homme, TSHIAMALENGA NTUMBA en résume ainsi l'inventaire :

« Le droit de tout homme à la vie et à l'intégrité corporelle contre toute agression physique et contre toute agression morale ; le droit de tout homme au foyer d'exercer la fonction sexuelle à l'exclusion de tiers des deux sexes, le droit à la sécurité, à la justice sociale dans toute son étendue, etc. »167.

Ces éléments juridiques et linguistiques, constitutifs de l'anthropologie négro-africaine, nous paraissent particulièrement annonciateurs de la direction dans laquelle peut se développer une «philosophie des droits de l'homme» dans l'Afrique pré-coloniale, voir dans l'Afrique actuelle. Ils entretiennent, en qualité de matrice, tous les droits de l'homme présent et à venir. Il n'est pas douteux qu'il existe plusieurs voies d'accès à ce que sont les droits de l'homme dans ces cultures. Certes, ils ne se présentent pas avec la finesse des droits modernes, mais on y trouve, en germe, tous les développements possibles des droits fondamentaux autour des idées de liberté, égalité et fraternité, chères à la révolution française.

IX.2.1. L'expérience de l'Orient

La vocation principielle des civilisations de l'Orient, c'est-à-dire : de l'Egypte et de la Mésopotamie d'une part, et de l'Inde et de la Chine d'autre part, c'est qu'elles conjuguent harmonieusement la réflexion sur les sources de l'expérience et de la méditation sur le tout de la réalité. Autrement dit, dans l'élucidation des grands mystères de la condition humaine et la quête du salut. Cette vocation est de nature à présenter quelque intérêt pour nous, dans le sens que

l'Orient apparaît à la fois comme le laboratoire et le musée de l'aventure humaine. Autrement dit, d'une manière de concevoir et de vivre la condition humaine. Il a fait preuve dans les différents domaines de la pensée philosophique, esthétique, littéraire, comme aussi dans le domaine des modes d'organisation de la vie sociale et des diverses techniques de la civilisation matérielle, d'une originalité puissante. De sorte qu'il n'est pas une branche de la philosophie et de l'épistémologie ou un domaine des sciences humaines, telles que nous les concevons aujourd'hui, qui puissent se dispenser de la manière dont les orientaux ont envisagé leur problématique.

L'économie de l'Extrême Orient faite168, nous constatons de façon récurrente que dans la littérature grecque, il est question de l'Egypte. C'est d'un séjour de PLATON y relatif, selon le Banquet qu'est né le Protagoras : un des débats les plus passionnés sur les rapports entre l'idée de justice, celle de la conscience et de l'éternité. Cette même Egypte eut également une influence considérable sur Israël, son voisin de l'Est169. A l'instar de toutes les autres cultures, les préceptes relatifs au respect de la personne humaine et aux droits de l'homme ne sont pas étrangers à son peuple.

C'est à partir du Moyen Empire (2000 av. J.C.), qu'apparaissent les premiers indices formels relatifs aux droits de l'homme. Notamment avec le développement du culte d'OSIRIS qui, signifions-le, présente une valeur indéniable sur le plan éthique. Ce culte affirme la nécessité de pratiquer la justice pendant la vie terrestre pour mériter l'au-delà. le Livre des morts précise cette conception en l'assimilant au jugement du coeur du défunt, qui tient lieu de déclaration d'innocence : durant ma vie terrestre « je n 'ai pas porté main sur l'homme de petite condition, je n 'ai pas fait de mal, je n 'ai pas fait pleurer, je n 'ai pas tué, je n 'ai pas affamé, etc. ».

Comme nous le voyons, en dénonçant, tout écart à l'esprit de sainteté,

de fraternité et de solidarité vis-à-vis du prochain, du faible, de la veuve, de l'orphelin, etc., les Egyptiens introduisent au coeur de l'histoire un principe de jugement et d'évaluation. Par-là même, ils montrent le chemin possible d'un redressement rédempteur. Si bien que le salut annoncé oblige l'homme à pratiquer la justice préalablement. C'est ici un message qui censure toute atteinte à la dignité de l'homme et de DIEU. Cette espérance en l'au-delà contraint l'homme au respect de son semblable et à ne pas le malmener. En d'autres termes, elle contraint l'homme à reconnaître dans son semblable, un autre lui-même qu'il doit soigner. Nous pouvons déjà ici reconnaître les prémisses de l'énonciation du principe de la dignité humaine et de tous les mécanismes de sa protection. Donc, l'Egypte ancienne n'est pas restée en marge du mouvement. Elle a développé une conception du respect de la personne humaine, fut-elle certes, pas très bien élaborée. Mais de cette conception, il est possible de dériver une philosophie des droits subjectifs.

Cet enseignement de l'Egypte eu un retentissement très fort en Mésopotamie. Il s'y est mué en goût de la vie intérieure, du silence, de la retraite, de l'amour du prochain et de la transcendance à l'issue de ses rencontres successives avec le judaïsme ancien, la pensée grecque et avec le christianisme. L'oeuvre de PHILON d'Alexandrie (20 av. J.-C. 50 ap. J.-C.) par exemple, représente cette synthèse méthodique entre l'hellénisme, en beaucoup d'aspects débiteur de cette pensée orientale et la révélation biblique. Elle met en perspective la condition de l'homme face à l'absolu dont il procède, face à autrui qu'il doit respecter et soigner, face à l'histoire et face à la nature que celui-ci ne doit pas adorer, mais dominer dans le respect et par le travail.

Dans le domaine du droit et de la réflexion morale, les Babyloniens se sont rapprochés de la spéculation rationnelle. Les codes juridiques, dont celui d'HAMOURABI, en font foi. Ce dernier prétend faire régner une justice et un ordre voulus par les dieux. Mais ce sont les chrétiens qui sont naturellement les plus grands héritiers de cette sagesse originaire de l'Orient avant que celle-ci ne devienne le patrimoine culturel commun de tout l'Occident. Certes, l'Orient n'a pas opéré le passage du mythe à la rationalité. Donc la philosophie comme discipline rationnelle

y est restée inconnue. Quoi qu'on puisse dire, cela est une évidence ; mais est-ce là un mobile raisonnable pour l'en exclure ?

IX.3. L'expérience exceptionnelle de la culture occidentale

L'idéologie des droits de la personne est tributaire du mouvement philosophique qui voit le jour à l'age de la Raison. Elle se fonde sur l'idée que tous les êtres humains possèdent une nature universelle qui est conforme à cette Raison. Dans sa première expression (XVIIème siècle à la première moitié du XXème siècle), cette théorie a beaucoup plus été marqué par l'apport de la civilisation judéo- chrétienne et par la philosophie politique et juridique occidentales. C'est dans ce sens qu'il paraît raisonnable d'affirmer que, telle qu'elle nous est présentée aujourd'hui, la philosophie des droits de l'homme s'ancre dans l'humanisme de la renaissance. LOCKE, ROUSSEAU... en lesquels on voit généralement les pères des droits de l'homme n'ont fait en réalité que prolonger les raisonnements de GROTIUS, HOBBES, et de PUFENDORF, les illustres représentants de l'Ecole moderne du droit naturel.

C'est avec ces derniers qu'est apparue l'idée que l'homme naît avec des droits. Qu'il les tient de sa propre nature, de sa complexion propre et qu'il ne les doit ni à une volonté divine, ni à une volonté humaine. La théorie des droits de l'homme n'est donc que le prolongement de la théorie des droits subjectifs. Elle est née dans le sillage de ce qu'on appelle la théorie moderne du droit. Les droits de l'homme dont elle fait la promotion se donnent à voir comme non dérivés et non attribués ; ils sont attachés à l'ontologie de l'homme. Leur irréductible spécificité réside dans leur indépendance à l'égard de tout pouvoir et leur transcendance à toute volonté. Ils sont antérieurs au pouvoir et au droit positif. Celui-ci ne les crée pas, il ne peut que les constater, les déclarer ou les violer. Mais à les violer, il perd son fondement et sa légitimité.

Cette théorie des droits de l'homme s'accompagne de la laïcisation du droit, et est en rupture avec le legs théologique du Moyen Age. Plus précisément la rupture consiste en un dépassement. La théologie a été la condition théorique de possibilité de l'humanisme de la renaissance et de la théorie des droits de l'homme.

Sans la pensée de saint THOMAS, qui elle-même s'enracine dans la philosophie grecque, une telle théorie n'eut peut être pas été possible.

Un pareil modèle d'humanisme était déjà présent chez les sophistes, ces champions des droits de l'homme. En décrétant que « l'homme est la mesure de toutes choses », les Sophistes l'ont pour la première fois placé au coeur de la réflexion philosophique, sociale, économique, culturel, éthique et politique. Tous les mécanismes sociaux doivent s'associer et converger pour réaliser son épanouissement intégral. En dépit de leur précieux apport, les plus belles pages de cet humanisme sont l'oeuvre des tenants du stoïcisme.

Le stoïcisme est un courant de pensée fort ancien qui s'est développé au temps d'EPICURE (341-270 av. i-C.). Ses promoteurs : ZENON de Citium (335-264 av. i-C.) et CHRYSIPPE (280-206 av. J.-C.) ont développé une conception globale de la morale, de la nature, de la connaissance et une logique très moderne que l'on redécouvrit au XXème siècle (1935). De ce stoïcisme, il ne reste plus que des fragments qui décrivent notre univers parcouru par une tension divine qui donne la fin à l'enchaînement rationnel des causes ou destin. La sagesse selon eux, consiste à s'accorder à la nature, en donnant son libre assentiment à cette tension. L'on retrouve ainsi l'unité de soi et du monde. La raison logos est un principe d'ordre des choses. Elle se retrouve dans le monde et chez l'homme. Et Dieu est conçu comme raison pénétrant et unifiant le monde auquel cette dernière est immanente.

C'est à cette conception propre du stoïcisme en général que EPICTETE (vers 50-vers 125-130 ap. i-C.), un des représentants de cette école à l'époque impériale, ajoute la notion d'un Dieu, Père des hommes. Cette parenté est établie par la Raison. Ainsi, tous les hommes sont raisonnables La raison s'identifie en même temps à la faculté de juger et à un principe divin qui anime, ordonne et gouverne l'univers. Tous les hommes sont liés par le logos, la raison du monde, et ainsi rattachés à Dieu. Ils appartiennent d'autant plus au monde et à Dieu qu'ils ont la raison. Les hommes sont du monde, ils sont des êtres raisonnables, ils sont des citoyens d'un même monde et fils d'un même père, Dieu :

« Si ce que les philosophes ont dit de la parenté de Dieu et des

hommes est vraie, que nous reste-t-il quand on nous demande, de quel pays

est-tu ? Si ce n'est de répondre non pas je suis d'Athènes ou de Corinthe, mais, comme SOCRATE, je suis du monde. Pourquoi dirais-tu, en effet, que tu es d'Athènes et non du petit coin seulement où ton misérable corps a été jeté quand il est né ? N'est-il pas clair que, si tu t'appelles athénien ou corinthien, c'est que tu tires ton nom d'un milieu plus important, qui contient non seulement ce petit coin et toute ta maison, mais encore cet espace plus large d'où est sortie toute ta famille jusqu'à toi ? Pourquoi donc celui qui comprend tout gouvernement du monde, celui qui sait que, de toutes les familles, il n 'en est point de plus grande, de plus importante, de plus étendue que celle qui se compose des hommes et de Dieu, et Dieu a laissé tomber »170.

Il se dégage un cosmopolitisme dans le stoïcisme. Ce cosmopolitisme se comprend comme le refus d'appartenance au groupe social le plus immédiat. L'homme est citoyen du monde, partout il est chez lui. Le caractère raisonnable de tous les hommes et leur appartenance à Dieu en qualité de fils, fondent l'égalité naturelle et formelle entre eux. Une fraternité universelle. Par conséquent les pratiques comme l'esclavage, l'exploitation, etc., sont pour les Stoïciens, contraires à la Raison. Ce sont des traitements qu'un homme ne doit pas administrer à un autre homme, son frère.

Les Stoïciens récusent formellement l'esclavage et tous les autres traitements analogues. En aucun cas, un homme n'est fondé à traiter son semblable comme un simple instrument pour sa commodité en l'aliénant. On est esclave ni par nature, ni par conquête. Voici comment EPICTETE interpelle un maître asservi à ses passions qui s'irrite contre son esclave : « Esclave, ne veux-tu pas supporter ton frère ? Comme toi, il est issu de DIEU »171. Il montre qu'il est possible d'instaurer entre eux, des relations d'homme à homme. L'égoïsme naît de la passion, qui détourne à son profit la solidarité naturelle des hommes.

Les Stoïciens, PLUTARQUE (vers 50-vers 125 ap. J.-C.) l'avait déjà bien compris, ont écrit une ébauche des principes d'une république très admirée. La maxime est que, les hommes ne doivent pas se séparer en cités et en peuples ayant chacun ses lois particulières. Tous les hommes sont des concitoyens et des frères. Il y a pour eux une seule vie, un seul ordre des choses (cosmos), comme un troupeau uni sous la règle commune. Ils voulaient réunir comme un caractère tous les

peuples. Ils ont ordonné que tous considèrent la terre comme patrie, tout le monde comme des parents et des frères.

Avant de conclure cette section, permettons-nous de livrer quelques observations. La première qui se dégage est que touts ces textes relatifs aux différents peuples de la terre que nous venons d'évoquer et d'analyser, résument l'expérience de leurs différentes civilisations et cultures. Ces civilisations et cultures ont compris un fait, celui de la contingence, la vulnérabilité de l'existence de l'homme ; ou encore le rattachement de la vie de l'homme au Tout-Autre. D'où la nécessité de le protéger contre toute atteinte à sa personnalité, lesquelles atteintes avaient atteint un degré sans précédent au milieu du siècle dernier devant l'horreur

d'HITLER et de MUSSOLINI172.

En effet HITLER et MUSSOLINI avaient dévoilé la vulnérabilité de l'homme devant la conscience mondiale. Ils ont montré qu'il pouvait être détruit industriellement et qu'il était possible d'anéantir purement et simplement l'espèce humaine. Un tel comportement, qui révèle le refus manifeste de la reconnaissance de l'autre, ne pouvait pas ne pas laisser, la conscience de l'humanité indifférente. Il fallait trouver non seulement des mesures curatives, mais aussi des mesures préventives. C'est dans ce sens que, sous la mouvance des Occidentaux au lendemain du second grand conflit mondial, la mobilisation de l'humanité fut très importante. A travers cette mobilisation, elle se proposait aussi bien de lutter contre la tyrannie et ses corollaires, qu'elle préconisait prévenir d'autres horreurs analogues dans l'avenir. Les ressources dont elle disposait pour atteindre pareils objectifs : les expériences de tous les peuples du monde. Ces expériences incarnent la nécessité de la reconnaissance de l'autre. C'est ici qu'il convient de reconnaître le génie de la civilisation occidentale, dans cette mesure qu'elle a pu reprendre tout ce matériau et le réorganiser en un système qui puisse à la foi désamorcer et prévenir la violence, la tyrannie, la barbarie, les dogmatismes, etc.

Conclusion

Comme nous pouvons le voir, les similitudes observables entre l'anthropologie politique de J. LOCKE et la philosophie contemporaine des droits de l'homme sont nombreuses, et se présentent sur plusieurs points. Nous avons essayé d'accéder à l'intelligibilité de la nature réelle de cette filiation. Nous nous sommes rendu compte qu'elle tient à la fois, partiellement entre l'analogie, l'homologie et l'identité. Autrement dit, cette filiation est à cheval entre l'analogie, l'homologie et l'identité. Dans cette mesure, nous avons vu comment il est tentant de dire que LOCKE est le père des droits de l'homme.

Cependant, le contexte historique de l'élaboration de cette anthropologie politique, doublée de certains autres aspects liés à l'énonciation, à la classification, à la théorisation des droits d'une part, et la survivance de la morale judéo-chrétienne et de la philosophie grecque elle-même tributaire des pensées orientales d'autre part nous a conduit à relever quelques équivoques qui nous ont très vite rappelés à redoubler de vigilance à adopter une attitude raisonnable. Ces équivoques ne nous autorisent pas à attribuer la paternité exclusive du mouvement contemporain des droits de l'homme à J. LOCKE. Voilà pourquoi, nous nous sommes proposé de mettre sur pied, une autre anthropologie. Mais, quel est le bien fondé d'une telle approche ?

Il convient tout de même ici de rappeler le mérite du philosophe de Westminster. Ce dernier, redisons-le, a su tracer l'épure des régimes démocratiques modernes, dont nous sommes aujourd'hui les plus grands héritiers. Son système est le terreau sur lequel la plupart des démocraties contemporaines trouvent inspiration et se formalisent. Elle pose le régime démocratique comme le meilleur, en comparaison de tous les autres régimes politiques. C'est le seul, selon lui, qui puisse sans se contredire conjuguer simultanément la liberté des membres de la communauté politique et l'autorité des gouvernants. On ne se trompe pas en soutenant, que c'est la pensée de LOCKE que l'on retrouve dans les présupposés c'est- à-dire, les sous-entendus, de la D. U.D.H. C'est dans ce sens qu'il est un ancêtre lointain de la dynamique contemporaine des droits de l'homme, dont il serait cependant peu raisonnable de lui attribuer la paternité exclusive.

CONCLUSION GENERALE

Tout au long de cette étude, nous nous sommes proposé comme objectif principal de rechercher les prémisses de la conscience contemporaine de la philosophie des droits de l'homme dans l'anthropologie politique de J. LOCKE, et plus précisément dans sa théorie de la propriété, laquelle est également désignée par l'expression théorie des droits. Sans doute, bien des choses ont été dites et publiées d'ailleurs avec insistance sur l'anthropologie politique de J. LOCKE et sur la D.U.D.H., matrice de la philosophie contemporaine des droits de l'homme. Cependant, le thème conserve toujours son actualité, et méritait de nouveau d'être approfondit. Il est certain que ce thème, tel que formulé, renvoie inéluctablement aux concepts de civilisations, de traditions, d'habitude, de goûts, de destin de l'homme et de progrès. Entendu ici comme la transformation de la société elle-même par l'homme et pour l'homme.

Nous avons articulé le traitement de cette problématique générale en trois pôles. Cette subdivision nous a fournit la clef de l'intelligibilité de ce paradigme philosophique d'interprétation du fait politique et juridique qu'est l'anthropologie politique de J. LOCKE. En dernier ressort, nous avons remarqué que ce système philosophique consacre la démocratie libérale et l'Etat de droit. Il présuppose que les individus ont des droits, que les citoyens sont reconnus comme des acteurs sociaux et quand ils sont confrontés à des problèmes, à des conflits, ils peuvent parvenir à un consensus sur des stratégies d'action pour les résoudre. Le droit apparaît alors comme un mécanisme indispensable et irremplaçable qui garanti la coordination des actions des individus dans la société.

Ainsi, partout où l'on préfère la liberté au despotisme, le droit à la force, la démocratie à la dictature, les moyens pacifiques à la violence, on peut justifier les droits fondamentaux en tant que principes à institutionnaliser d'une manière effective pour la pratique sociale et la politique concrète. Comme nous pouvons l'admettre, l'anthropologie politique de J. LCOKE est un nouveau modèle de civilisation du monde. Il invite à de nouvelles valeurs qui n'existaient pas dans les modèles précédents. Telles, les institutions modernes de l'Etat, l'organisation

rationnelle de l'économie, la science, l'industrie, les valeurs nouvelles de la liberté, de la démocratie et des droits de l'homme.

C'est dans cet ordre d'idées que nous avons dans un premier volet de notre argumentation affirmé que les droits de l'homme dans leur formulation et dans leur expression actuelles sont tributaires de la pensée de LOCKE en particulier, et de celle des Lumières en générale. Cette conception des droits de l'homme trouve son origine dans la loi naturelle qui a d'abord été formulée par les Stoïciens. Ensuite, elle a été reprise par les chrétiens du Moyen Age où elle a reçu une expression classique dans la Somme théologique de saint THOMAS d'Aquin. Enfin, au XVème et XVIème siècle, elle a reçu une importance particulière en Espagne et en Allemagne, bien qu'elle ait aussi trouvée un interprète en la personne de l'Anglais T. HOOKER, dont les Laws of ecclesiastical polity (1593) avaient fortement influencé J. LOCKE. Et c'est ce dernier qui a donné à la théorie de la loi naturelle la formulation définitive, celle-là même qu'elle garde jusqu'à nos jours.

La parenté de ce dernier auteur avec la D. U.D.H. se traduit à la fois en un syncrétisme d'analogie, d'homologie et d'identité. J. LOCKE se présente incontestablement à la postérité comme l'un des pères instigateurs du mouvement des droits de l'homme. Sa pensée politique est à l'avant-garde de toutes les révolutions politiques de la seconde moitié du XVIIème et du XVIIIème siècle. Il apparaît d'emblée que la D. U.D.H. se situe dans la stricte continuité de ce mouvement. Voilà pourquoi, il est tentant de dire que cette déclaration est le couronnement des idées politiques lockiennes.

Cependant, de là à conclure radicalement, c'est-à-dire, purement et simplement que les droits de l'homme sont du ressort exclusif de l'anthropologie politique de J. LOCKE, nous avons trouvé dans cette attitude, non seulement une méconnaissance profonde du sens de l'histoire des idées, mais aussi des différents facteurs et civilisations en actes dans l'élaboration de cette histoire. Cette thèse est entachée d'un arrière-fond idéologique. Comme la problématique désormais classique en philosophie de l'occultation des civilisations non occidentales dans l'élaboration du patrimoine culturel, social, économique et politique de l'humanité.

Seule, la culture occidentale aurait été à la hauteur d'un tel exploit. C'est la thèse de la toute-puissante civilisation occidentale au détriment de toutes les autres. Doublée du contexte historique de l'émergence des droits de l'homme à l'époque moderne, cette thèse s'oppose à l'humanisme présent dans la dynamique des droits de l'homme. Poussée à l'extrême, elle débouche sur l'exclusion, la discrimination, l'oppression, l'assujettissement, etc., qui sont un contre-courant au mouvement que les droits de l'homme veulent imprimer. Puisque de nos jours, cette problématique des droits de l'homme se complexifie. Les droits de l'homme sont de plus en plus revendiqués par les populations comme des garanties juridiques. Leur tonalité philosophique perd du terrain au profit de leur législation ; ils se multiplient en tant que droits propres à la dignité de la personne humaine, et enfin, ils acquièrent un caractère politique qui est graduellement mis en évidence en les désignant comme droits démocratiques. Car, contrairement aux régimes totalitaires, la démocratie est respectueuse de l'intégrité de la personne. La violation des droits de l'homme est de plus en plus dénoncée en matière de crimes politiques. Ils se révèlent non seulement comme des pouvoirs subjectifs d'agir, mais encore comme les frontières d'action de l'autorité publique. En tant que droits constitutionnels, ils marquent le seuil situé entre le juste légal et l'illégalité. De plus, dans l'Etat «post-moderne» où la personne humaine se voit de plus en plus menacée par les idéologies utilitaristes agissant au niveau national, international, ces droits participent de la finalité et des aspirations étatiques.

Avec la permanence des conflits qui fragilise l'intégrité de la personne humaine, s'impose la nécessité de tenter l'universalisation de ces droits par les conventions internationales. Ces conventions font partie désormais d'un droit humanitaire cosmopolite, très souvent évoqué pour fustiger les atrocités de la guerre et pour traduire des criminels de guerre devant des tribunaux. Toute atteinte flagrante à la dignité humaine relève donc de ce droit humanitaire. C'est pourquoi on considère d'ordinaire qu'une action contre la dignité humaine constitue une violation des droits de l'homme, et en même temps du droit humanitaire. Cette violation représente une atteinte à l'ensemble des hommes, précisément à l'humanité

de l'homme entendue en son sens ontologique. Ainsi, chaque fois que cette humanité est blessée, la blessure est sentie comme une atteinte à la dignité humaine, la pierre angulaire des droits subjectifs.

En dépit des similitudes observées, cette dynamique contemporaine des droits de l'homme, telle que nous venons de la résumer, présente des incompatibilités avec l'anthropologie politique de J. LOCKE. Voilà pourquoi en dernière analyse, nous avons conclu que cette anthropologie politique ne suffit pas à fonder la nécessité à l'universalité des droits de l'homme. Ce qui nous a conduit à proposer une autre genèse des droits l'homme dans le traitement de notre problématique. Cependant, nous n'avons pas omis de souligner la place prépondérante de J. LOCKE dans ce processus. Ce moment européen a été très décisif, il a donné aux droits de l'homme la formulation et l'expression qu'ils ont plus ou moins gardées jusqu'à présent.

En dernier ressort, notre problématique a reçu comme ébauche de réponse l'apport de toutes les cultures. Autrement dit, la conscience contemporaine des droits de l'homme trouve son origine dans la notion de « dignité anthropologique », idée puisant à plusieurs sources. Nous avons essayé de les visiter : philosophie grecque, humanisme chrétien, textes latins et des traditions des cultures non occidentales, expérience des peuples ou des groupes humains libérés de l'oppression, donc ayant réalisé la nécessité de vivre dans un monde apaisé où ils se sentent respectés dans leur dignité d'homme.

Cette idée s'étend à des aspects aussi divers que le droit à la vie, à l'intégrité physique et morale, à la sécurité en cas de maladie, de veuvage, de vieillesse, de perte des parents, de chômage ; le droit au respect et à la bonne réputation, à la liberté intellectuelle, religieuse, au travail, à l'éducation, à la protection juridique de ses droits, etc. La formalisation de ce système contemporains des droits de l'homme est certes l'oeuvre des Occidentaux, mais ils n'ont fait que reprendre toute l'expérience des peuples y compris la leur propre pour protéger la vulnérabilité de l'existence humaine.

Donc il faut bien prendre conscience des multiples sources des droits de l'homme. Nous avons ici récusé toute attitude d'exclusion dogmatique, les droits de l'homme ne sont pas seulement du ressort de l'anthropologie politique de LOCKE ou de la culture occidentale. L'oubli de l'Orient, des Cultures de l'Oralité, des grandes religions marque tout un courant de pensée tenté de laisser dans l'ombre, les autres aspects fondateurs de notre civilisation contemporaine. Nous nous sommes efforcé d'éloigner cette amnésie fort ancienne, l'européocentrisme.

Car tout au plus, nous croyons de nos jours que ces autres pensées sont très révélatrices en matière des droits de l'homme et nous font parfois saisir par contraste les limitations auxquelles est exposée la culture occidentale sur ce chapitre. Dans les cultures de l'oralité, de la Chine, de l'Inde, etc., existent des pensées ou encore des doctrines qu'il importe de déchiffrer, afin de prendre en compte des points de vue différentiels et mieux accéder à cet universel concret de la raison véritable, en promotion dans la dynamique des droits de l'homme, et qui est en train d'élargir ses conquêtes à travers la cité des hommes.

Cette approche, nous l'avons trouvé prudent et constructeur. Car aujourd'hui, les droits de l'homme se réclament valeurs universelles de civilisation, donc ils se présentent comme un paradigme politique, économique, social et culturel de gestion des sociétés humaines, qui n'a pas de correspondant ni de concurrent. Ce raisonnement est concluant dans la réalisation de pareil idéal. Dans la mesure où il permet de négocier efficacement cette universalité. Il la négocie comme l'incarnation d'un modèle d'humanisme près à rejoindre tous les noyaux éthiques et mythiques de toutes les cultures connues.

Pour accroître son efficacité, cette négociation doit s'accompagner d'un dispositif politique et juridique de la protection des droits des individus qui sera couronné par l'éducation des citoyens aux nouvelles valeurs. L'adhésion à celles-ci ne poserait donc plus de problèmes, puisque tout le monde y reconnaît un peu du sien. Le même paradigme négocie également la rencontre pacifique des cultures,

des civilisations à l'échelle planétaire. Une telle négociation n'est pas seulement urgente à l'heure actuelle où l'humanité entière semble conquise par le désespoir vis- à-vis de la paix dans le monde, mais surtout reste l'a priori fondamental sans lequel les droits de l'homme ne dépasseront pas l'utopie d'un catéchisme.

Cette approche suppose un saut qualitatif qu'on ne saurait négliger. La relégation au second plan de la notion de conflit des civilisations et des cultures ou encore de leur contradiction et incompatibilité. Enfin, à travers le paradigme des droits de l'homme, il sera désormais possible d'envisager et de résoudre le problème du salut des cultures dans la civilisation universelle. Car ils trouvent leur véritable rôle au-delà des intérêts partisans de certaines nations et s'engagent avec réalisme dans l'interprétation des cultures nationales, afin de leur restituer le sens adéquat de la liberté sur tous les plans. Une telle restitution est la base des rapports internationaux non égocentriques.

A ce niveau de notre analyse, nous nous demandons si l'objectif visé au début de cette étude a été atteint ? Nous réservons le soin de répondre à cette interrogation à nos lecteurs, à la postérité. Contentons-nous de nouveau quelques observations. Depuis que les droits de l'homme ont été énoncés et déclarés, est-ce l'unité entre les nations qui a prévalu, comme on aurait pu s'y attendre en accordant à tous les Etats, à tous les peuples le droit de disposer d'eux-mêmes ? Surprise...

Ce n'est pas la disparition des guerres, des frontières à quoi nous avons assisté, c'est plutôt à leur multiplication et à leur radicalisation ou encore à leur scientificisation. Les guerres, on les a aggravées, en les menant non plus au nom du roi, mais au nom des droits fondamentaux. C'est le cas du Kosovo. Par ailleurs, pendant que l'humanité combattait pour le respect de ces mêmes droits au Kosovo, un peu plus tôt, la même humanité avait refusé de défendre les mêmes valeurs au Rwanda et un peu plus tard au Congo Démocratique. Quels paradoxe !

Que tous les hommes aient les mêmes droits, n'est peut-être pas une si bonne nouvelle ; pour qu'elle soit vraiment bonne, nous estimons qu'il faudrait que ces droits visent à la réalisation du Bien et de l'Egalité. Dans la mesure où c'est ce à

quoi tous les vivants aspirent. Ces droits visent-ils la réalisation du Bien et de l'Egalité ? Il convient de réfléchir à nouveau, non plus sur la parenté de l'anthropologie politique de J. LOCKE avec la D. U.D.H., mais sur la signification véritable de l'humanisme envisagé par ce paradigme des droits de l'homme.

RAPPORT DE SOUTENANCE

I. Allocution de soutenance

Merci de m'avoir accordé la parole. Monsieur le Président du Jury, Honorables membres du Jury,

I. 1. Problématique et objectifs l'étude

Au début de cette étude, un exposé. C'était dans le cadre de l'Unité de Valeur intitulée PH 313, Philosophie morale et politique, dispensé par M. OKAHATENGA Pierre Paul, il y a deux ans et demi. Le thème de cet enseignement : le contrat social, histoire et doctrines ; notre intervention, axée sur J. LOCKE, nous a conduit à remarquer la permanence du modèle d'humanisme développé par J. LOCKE dans la D. U.D.H.. Et pourtant, cette dernière ne présente les droits de l'homme que comme l'expression de la reprise des hommes des atrocités du second grand conflit mondial. C'est cette problématique que nous avons reconduite dans cette étude afin de l'approfondir.

Dans cette investigation, notre objectif est double. D'une part, il est question de faire une lecture conceptuelle de la contribution du philosophe de Westminster dans la D. U.D.H, et d'autre part, c'est une tentative de se servir du paradigme politique de J. LOCKE afin d'accéder à l'intelligibilité d'une situation à la fois complexe et très chère à notre civilisation : les droits de l'homme.

En effet, fondée sur la loi de nature, qui correspond à la volonté de Dieu appliquée à l'humanité sous la forme des obligations naturelles en vue de la « parfaite liberté » et de la « parfaite égalité », la théorie politique de J. LOCKE consacre la démocratie libérale et l'Etat de droit. Voici ce que Paulette CARRIVE dit à propos :

« La démocratie moderne trouve dans la pensée de LOCKE une de ses sources les plus importantes, et que LOCKE l'a élaborée en partie pour répondre à l'écho que suscita encore pendant plus d'un quart de siècle après la parution de la Patriarcha, la théorie absolutiste de R. FILMER »173.

173P. CARRIVE, La Philosophie anglaise. Passions, pouvoirs et liberté de HOOKER à HUME, P.U.F., 1994, pp. 33- 34.

Cette théorie présuppose que les individus sont des citoyens, quand ils sont confrontés à des conflits, ils peuvent parvenir à un consensus sur des stratégies d'action pour les résoudre. Le droit apparaît comme un mécanisme indispensable qui garantit la coordination des actions des individus dans la société. L'on peut ici, justifier les droits fondamentaux en tant que des principes à institutionnaliser.

Le paradigme de la loi naturelle vise les partisans de l'absolutisme : FILMER et HOBBES, et propose une théorie constitutionnelle de la souveraineté populaire, doublée d'une défense individualiste du droit de résistance au nom de la propriété ou des droits fondamentaux. Valables dès l'état de nature, ces droits sont dévolus à tous les hommes ; l'entrée dans la communauté politique ne les supprime pas. Chacun est naturellement et civilement autorisé à les revendiquer ou à les défendre, même contre un gouvernement fondé sur la confiance des gouvernés. Il ressort que le système de J. LOCKE est un nouveau modèle de civilisation. Il invite à de nouvelles valeurs, telles : les institutions modernes de l'Etat ; l'organisation rationnelle de l'économie ; la science et l'industrie ; les valeurs nouvelles de la démocratie, des droits de l'homme et de la liberté.

La D. U.D.H. développe un modèle d'humanisme analogue. Cet humanisme institue un nouveau pacte moral entre les hommes ; lequel est fondé sur la dignité inhérente à l'ontologie de l'homme. Désormais, malgré les contingences qui existent entre les hommes, ils jouissent tous des même droits. Le mouvement qu'elle imprime incite au changement des mentalités, à la culture de la paix, au respect de l'autre moi et à la pratique de la tolérance. Sa finalité est de réaliser un monde apaisé, l'affirmation du progrès de l'humanité vers une véritable société des personnes et la foi dans un idéal de justice et d'équité.

Comme nous pouvons le remarquer, la similitude est considérable entre la pensée politique mise à jour par J. LOCKE, et la dynamique contemporaine des droits de l'homme, combien même celle-ci ne présente les droits de l'homme que comme la résultante de la reprise des hommes des atrocités de la deuxième guerre mondiale. Cependant, dans quelle mesure cette dynamique rejoint-elle la philosophie politique de J. LOCKE ? Pour ne pas nous éloigner de notre double

objectif, nous avons, de commun accord avec nos encadreurs, subdivisé le traitement de notre problématique en trois grandes parties.

I. 2. Résumé de l'étude

Dans la première partie, nous avons d'abord recherché l'infrastructure théorique de l'anthropologie politique de J. LOCKE. Nous avons principalement recensé deux séries de fondements. La première est liée à l'histoire de l'Europe au XVIIème en générale, et particulièrement à celle de la Grande-Bretagne ; la seconde est relative à la morale judéo-chrétienne et aux philosophies du contrat social. Nous avons montré comment la pensée politique de J. LOCKE est, non seulement inséparable, mais aussi incompréhensible sans ces aspects. Ensuite nous nous sommes proposés de dégager les grandes orientations conceptuelles de cette philosophie politique.

Dans la deuxième grande partie de notre investigation, nous avons articulé notre propos sur trois plans. C'est ainsi que nous nous sommes permis d'analyser la D. U.D.H., matrice de la philosophie contemporaine des droits de l'homme. Ensuite nous avons examiné la théorie lockienne de la propriété ou des droits qui n'est rien d'autre qu'une philosophie des droits de l'homme, après en avoir explicité la base : la loi naturelle et ses différentes obligations. C'est ici que nous avons constaté en dernière analyse, qu'il existe réellement une permanence considérable entre la pensée politique de J. LOCKE et la D. U.D.H.

Enfin, la dernière partie de notre étude a essayé d'accéder à l'exacte nature de cette permanence constatée. Après un examen approfondit, nous sommes parvenu à la conclusion que cette permanence tient à la fois entre l'analogie, l'homologie et l'identité. Autrement dit, l'analogie, l'homologie et l'identité observées ici, ne sont pas parfaites, mais nous autorisent à considérer J. LOCKE comme un ancêtre de la D. U.D.H. dont il serait cependant peu raisonnable de lui en attribuer la paternité exclusive. Deux séries de raisons justifient fondamentalement cette attitude.

I. 3. Résultats de l'étude

Premièrement, ce serait ignorer le sens véritable du développement de l'histoire des idées. Non seulement les différents acteurs en acte dans son élaboration, mais aussi, les différentes phases de son évolution. Aussi, l'anthropologie politique de J. LOCKE présente un caractère contingent ; les droits de l'homme sont des garanties conférées à une minorité religieuse, les puritains, pour se protéger de l'emprise étatique aux mains de la majorité religieuse, l'aristocratie. Ce qui est un mobile assez sérieux pour légitimer la marginalisation de certains autres groupes humains. Ce mobile en dernier ressort, peut générer un mouvement contraire à celui en promotion dans le paradigme des droits de l'homme.

Deuxièmement, l'oeuvre politique de J. LOCKE est un ensemble d'essais philosophiques qui ne présente qu'une valeur d'ordre épistémologique, en enrichissant la connaissance spéculative. Sa théorie des droits ne présente pas une taxinomie hautement élaborées, des droits qu'elle consacre. Ils sont encore embrigadés dans des catégories conceptuelles génériques :

« Moyens nécessaires à la conservation et à la subsistance ; les droits fondamentaux ; un droit d'user des biens du monde dont il (DIEU) les a dotés si généreusement pourvu pour qu'ils en tirent leur nourriture, leurs vêtements et tout ce qui sert de confort à la vie »174.

a. Sur le plan scientifique

Il est question de Montrer que les concepts de démocratie, droits de l'homme, bonne gouvernance, sujet de droit, état de droit, etc. qui fondent l'objet de notre investigation présente, et lesquels s'érigent en paradigme inégalé dans la gestion des sociétés civilisées, ont un inconscient philosophique.

Ainsi, le philosophe n'est pas en marge de la construction du patrimoine social, politique, économique et culturel contemporain. Essentiellement recherche du sens, la philosophie doit intervenir dans la résolution des grands problèmes de l'heure vis-à-vis desquels l'humanité est confrontée ; dans ce sens, elle a son concept dans l'édification du monde contemporain. La philosophie n'est pas cette activité

intellectuelle que l'on présente souvent comme inutile, très difficile et réservée à une catégorie déterminée de professionnels.

Nous montrerons aussi que dans la mesure où elle est essentiellement recherche du sens, la philosophie se préoccupe de la situation singulière de l'Afrique. Elle peut aider à clarifier les concepts de démocratie et de droits de l'homme, afin d'en favoriser une bonne réception. La philosophie contribuera à l'implantation véritables des valeurs et du discours démocratiques dans les «anciennes colonies».

b. Par rapport à la francophonie

Il est pour nous un postulat de la raison que la francophonie, à travers les différentes sommets France Afrique de 1989 à 1991, a joué un rôle majeur dans la démocratisation de l'Afrique, surtout les Etats ayant en commun l'usage de la langue française. Nous allons essayer d'accéder à l'évaluation de son apport.

Certes la francophonie a joué un rôle non négligeable dans l'édification de la démocratie en Afrique ; mais, ce rôle jusque là joué est-il suffisant ? Nous estimons que cette organisation qui rassemble tous les pays ayant la langue française en partage et en commun est capable de bien d'autres actions d'une grande importance, comme le désamorçage de la spirale de la violence, la corruption et la mauvaise gouvernance dans lesquels certains de ses membres africains ont trouvé refuge depuis une décennie environ. Mais dans quelle mesure cette attitude serait- elle possible ? Nous essaierons également de déterminer les conditions de possibilité d'une telle initiative en francophonie.

Enfin, ne peut-on pas faire en Afrique, à partir de l'institution de la francophonie, une histoire, un paradigme d'intelligibilité qui rende compte à la fois des bouleversements humains, économiques et politiques liés à cette institution ? Peut-on comprendre, surtout comment cette institution a pu activement générer un

174 J. LOCKE, T.G.C., chapitre V : De la propriété des choses, § 41, p. 174.

nouvel ordre social, culturel, économique et politique en Afrique ? Autrement dit, quelle est la place de la francophonie dans cette grandiose entreprise qu'est la démocratisation de l'Afrique ?

L'anthropologie politique de J. LOCKE présente quelques difficultés à fonder les droits de l'homme tels qu'ils sont présentés par la D. U.D.H. Voilà pourquoi nous avons proposé une autre approche, après avoir souligné avec insistance, les mérites du philosophe anglais.

Le mouvement contemporain des droits de l'homme trouve son origine dans la notion de « dignité humaine », idée puisant à plusieurs sources : philosophie grecque, humanisme chrétien, textes latins, et les traditions des cultures non occidentales, expérience des groupes humains libérés de l'oppression, et ayant réalisés la nécessité de vivre dans un monde où ils se sentent respectés dans leur dignité d'homme. Nous avons évoqué et analysé l'expérience de ces différentes civilisations qui ont compris les faits de la vulnérabilité de l'existence de l'homme et son rattachement au Tout-Autre.

Cette idée s'étend à des aspects aussi divers que le droit à la vie, à l'intégrité physique et morale, à la sécurité en cas de maladie, de veuvage, de vieillesse, de perte des parents ; le droit au respect et à la bonne réputation, le droit à la liberté intellectuelle, religieuse, au travail, à l'éducation, etc. D'où la nécessité de limiter les atteintes vis-à-vis de la personne ; lesquelles atteintes avaient atteint un degré sans précédent devant l'horreur d'HITLER et de MUSSOLINI. Un tel refus systématique de la reconnaissance de l'autre, ne pouvait pas, ne pas laisser la conscience de l'humanité indifférente. Voilà pourquoi, le lendemain du second grand conflit mondial, elle récusa énergiquement la tyrannie et ses corollaires. Les ressources dont elle disposait pour atteindre pareils objectifs : la somme des expériences de tous les peuples du monde, laquelle incarne la nécessité de la reconnaissance de l'autre. Il faut bien prendre conscience des multiples sources des droits de l'homme. L'oubli de l'Orient, des Cultures de l'Oralité, des grandes religions, marque tout un courant de pensée tenté de laisser dans l'ombre, les autres

aspects fondateurs de la civilisation contemporaine. Nous récusons toute attitude d'exclusion.

Cette approche négocie efficacement l'universalité des droits de l'homme comme modèle de gestion des sociétés civilisées. Elle la négocie comme l'incarnation d'un humanisme près à rejoindre tous les noyaux éthiques et mythiques de toutes les cultures, et s'accompagne d'un dispositif politique et juridique de la protection des droits, appuyé par l'éducation. L'adhésion des citoyens aux nouvelles valeurs ne poserait donc plus de problèmes, puisque chacun y reconnaîtrait un peu du sien.

Cette approche négocie également la rencontre pacifique des cultures et des civilisations. Elle relègue au second plan de la notion de leur lutte, de leur contradiction ou de leur incompatibilité. Elle trouve son véritable rôle au-delà des intérêts partisans, et s'engage avec réalisme à interpréter les cultures nationales, afin de leur restituer le sens adéquat de la liberté sur tous les plans. Une telle restitution n'est pas seulement urgente à l'heure actuelle où l'humanité entière semble conquise par le désespoir vis-à-vis de la paix dans le monde, mais surtout reste l'a priori fondamental sans lequel, les droits de l'homme ne dépasseront pas l'utopie d'un catéchisme.

Monsieur le Président du Jury, Honorables membres du Jury,

Comme toute oeuvre humaine, celle-ci n'est pas exempte d'imperfections et nous avons été en proie à mainte difficultés pour son élaboration. Nous en avons rencontré plusieurs ; notamment en ce qui concerne la documentation. Elles ont été résolue en nous référant aux bibliothèques de la place ; à nos encadreurs ; et nous avons même commandé des ouvrages dont certains, pour des raisons de tirage, sont jusqu'à alors attendus. Nous remercions aussi le Conseil pour le Développement de la Recherche en Science Sociales en Afrique (CODESRIA). Rappelons que cette étude a fondamentalement été soutenu par une allocation du Programme de Petites Subventions pour la Rédaction de Mémoires et de Thèses initiée par cette institution.

Nos derniers remerciements vont droit au jury. Respectivement pour avoir bien voulu accepter de collaborer dans cet auguste jury et pour l'attention que vous avez bien voulu accorder à notre exposé. Vos remarques, vos suggestions et questions nous aiderons, non seulement à améliorer notre vision de la question étudiée, mais aussi à rechercher la qualité technique dans les recherches à venir. Enfin, nous disons merci à nos encadreurs ; à nos bienfaiteurs, et à vous aussi mesdames et messieurs de l'assistance, pour avoir rehausser cette fête du savoir de votre présence.

Monsieur le Président du Jury, Honorables membres du Jury, Je vous en prie.

II. Le jury de la soutenance

Le Jury de cette soutenance est composé selon la correspondance du Doyen de F.A.L.S.H., réfé. N° 812/400/UYI/FALSH/CAB-D., du 25 avril 2002 à messieurs les Chefs des Départements de Philosophie, Psychologie et L.N.A., suite à leur correspondances sollicitant les soutenances de mémoires de maîtrise des étudiants : NGUEFACK Bertin (PH4) ; NGAKOSSO-OKO Sédard-Roméo (PH4) ; PAYNE Lilian Méchée (PS4) et NKEM Florence LEGEJUO BEZE (LNA4). Cette note fixe comme suit la composition du jury de soutenance de la soutenance de notre mémoire de maîtrise :

- Président : professeur Hubert MONO NDJANA, maître de conférences. - 1er rapporteur : professeur Guillaume BWELE, maître de conférences. - 2ème rapporteur : docteur Lucien AYISSI, chargé de cours.

- Examinateur principal : docteur Ernest MENYOMO, chargé de cours.

II. Remarques du jury / Observations of jury

Le sujet est d'actualité. Le candidat l'a traité suivant les exigences de la méthode philosophique. Il reste à faire des efforts dans la conception de la

bibliographie et la rédaction.

 

Note de lecture / Dissertation Writting mark :

108,5/140

Note de soutenance / Defence mark :

46,5/60

Total général / General total :

155/200

Moyenne générale /General average :

15,5/20

Mention /Grade obtained :

Bien

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

I. Ouvrages de J. LOCKE

LOCKE John, (1689), Epistola de tolerencia, Gouda, traduction française avec introduction et notes : Lettre sur la tolérance par R. POLIN, et R. KLINBANSKY, Paris, P.U.F., Coll. Quadrige, 2ème édition, 1993, 108 p.

--(1690) Two Treatises of Government, Awnsham churchill, Londres, traduction française : Deuxième traité du gouvernement civil, par B. GILSON Paris, Vrin, 1985, 256 p.

-- (1690), An Essay Concerning Human Understanding, traduction française : Essai Philosophique Concernant l'Entendement Humain, par P. COSTE 1700, Paris, Vrin, 5ème édition, 1998, 630 p.

-- (1690) Two Treatises of Government, Awnsham churchill, Londres, Traduction française : Traité du gouvernement civil, par D. MAZEL 1795, avec introduction chronologie et notes par S. GOYARD-FABRE, paris, GFFlammarion, 2ème édition, 1992, 384 p.

II. Quelques ouvrages sur J. LOCKE

ASHCRAFT Richard, (1999), La politique révolutionnaire et les deux traités du gouvernement de LOCKE, traduction J.-F. BAILLON, Paris, P.U.F., Coll. Léviathan, 1ère édition, 672.

BASTIDE Charles, (1906), John LOCKE : ses théories politiques et leurs influences en Angleterre, thèse de Lettres, Paris, Leroux.

BONNO Gabriel, (1955), Les Relations intellectuelles de LOCKE avec la France, Berkeley.

CRANSTON Maurice, (1957), John LOCKE, a biography, London.

DUNN John, (1991), La Pensée politique de J. LOCKE. Une présentation historique de la thèse exposée dans les deux traités du gouvernement, traduction J.-F. BAILLON, Paris, P.U.F., Coll. Léviathan, 1ère édition, 288 p.

FOX BOURNE Henri Richard, (1876), The life of John LOCKE, 2 volumes, London. GOYARD-FABRE Simone, (1986), John LOCKE et la raison raisonnable, Paris, Vrin. KING Peter (1829 et 1830), Life of John LOCKE, London, 2 volumes.

LESSAY Franck, (1998), Le Débat FILMER/LOCKE, Paris, P.U.F., Collection Léviathan, 1ère édition, 416 p.

MICHAUD Yves, (1986), J. LOCKE, Paris, Bordas, Collection Philosophie Présente, 190 p.

POLIN Raymond, (1960), Politique morale de J. LOCKE, Paris, P.U.F. Collection Bibliothèque de Philosophie Contemporaine, 320 p.

TULLY James, (1992), LOCKE droits naturels et propriété, traduction CHAÏM J. HUTNER, Paris, P.U.F., Coll. Léviathan, 1ère édition, 264 p.

III. Quelques ouvrages sur les droits de l'homme

AMNESTY INTERNATIONAL, (1989), Déclaration universelle des droits de l'homme, Paris, Folio, Coll. Texte Intégral, 128 p.

BECKER Carl, (1970), La Déclaration d'indépendance. Contribution à l'histoire des idées politiques traduction M.-F. BERTRAND & M. HOLDT, Manille, Nouveaux Horizons, 3ème édition, 282 p.

COMMISSION PONTIFICALE JUSTICE ET PAIX, (1975), L'Eglise et les droits de l'homme, document de travail n°1, Cité du Vatican, Librairie Editrice Vaticane.

COGNAC Georges. & ABDELFATTAH Amor (dir.), (1994), Islam et droits de l'homme, paris, Economica, 100 p.

FILIBECK Georges, (1992), Les Droits de l'homme dans l'enseignement de l'Eglise Catholique de JEAN XXIII à JEAN PAUL II, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 524 p.

GLEN John & SIMONIDE Jacques, (1991), La Déclaration universelle des droits de l'homme, Paris, UNESCO/l'Harmattan, 224 p.

LAQUEUR, Walter. & BARRY Rubin, (1989), Anthologie des droits de l'homme, traduction T. PIELAT, Manille, Nouveaux Horizons, 784 p.

MOURGEON Jacques, (1990), Les Droits de l'homme, Paris, P.U.F., Coll. Que sais-je ? , 7ème édition, 127 p.

VILLEY Michel, (1991), Culture chrétienne et droits de l'homme, Bruxelles, F.I.U.C.- Bruylant, 306 p.

-- (1998), Le Droit et les droits de l'homme, Paris, P.U.F., Collection Questions, 3ème édition, 176 p.

ZA'ABE Janvier-Sylver, (2000), Fondements philosophiques des droits de l'homme, Les Publications du Conseil Scientifique n° 34, Yaoundé, Presses de

l'U.C.A.C. 36 p.

IV. Ouvrages annexes

ALTHUSSER Louis, (1985), MONTESQUIEU la politique et l'histoire, Paris, P.U.F., Collection Quadrige, 6ème édition, 128 p.

ARENDT Hannah, (1963), Essai sur la révolution, traduction M. CRESTIEN, Paris, Gallimard, 325 p.

ARISTOTE, (1962), La politique T. I, nouvelle traduction, introduction et notes par J. TRICOT, Paris, Vrin, 388 p.

BARKER Sir Ernest, (1950), La Monarchie constitutionnelle anglaise, Londres, Fosh & Cross Ltd, 32 p.

BOETIE Etienne (de la), (1989), Le Discours sur la servitude volontaire, Paris, GFFlammarion, 220 p.

DUFOUR Alfred, (1993), Droits naturels, droits de l'homme et histoire, Paris, P.U.F., Collection Léviathan, 1ère édition, 1993, 288 p.

ECOLE BIBLIQUE DE JERUSALEM, (1988), La Bible de Jérusalem, Paris, Cerf/Verbum Bible, 1856 p.

FABRE Jean, (1954), Les Pères de la révolution, Paris, Plon.

FILMER Robert, (1949), Patriarcat and Others polical Works, édition Peter LASLETT, Oxford, Basil Blackwell.

FOUCAULT Michel, (1966), Les Mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 400 p.

GOYARD-FABRE Simone, (1983), L'Interminable querelle du contrat social, Ottawa, P.U.O., Coll. Philosophica, 372 p.

-- (1992), Les Fondements de l'ordre juridique, paris, P.U.F., Coll. l'Interrogation Philosophique, 1ère édition, 416 p.

GOYARD-FABRE Simone & SEVE René, (1993), Les Grandes questions de la philosophie du droit, Paris, P.U.F., Coll. Question, 2ème édition, 352 p.

GROTIUS Hugo, (1727), Droit de la guerre et de la paix, traduction BARBEYRAC,

édition d'Amsterdam, Paris, P.U.F., Coll. Léviathan, 1ère édition, 1999, 872

p.

HOBBES Thomas, (1983), Léviathan, traduction et notes par F. TRICAUD, Paris, Sirey,

782 p.

KANT Emmanuel, (1984), Les Fondements de la métaphysique des moeurs, traduction V. DELBOS, Paris, Delagrave, 218 p.

MACPHERSON, (1971), L'Individualisme possessif de HOBBES à LOCKE, Paris, Gallimard.

MONTESQUIEU Charles (de), (1993), De l'Esprit des lois, T. II, Paris, GF-Flammarion, 638 p.

-- (1994), De l'Esprit des lois, T. I, Paris, GF-Flammarion, 507 p.

PLATON, (1920), OEuvres complètes T. I, Introduction- Hippias-mineur-AlcibiadeApologie de Socrate-Euthyphron-Criton, traduction M. CROISET, Paris, les Belles Lettres, Coll. les Universités de France, 238 p.

PLATON, (1990), Protagoras, Euthydème, Gorgias, Menexène, Menon, Cratyle.

Traduction et notes par E. CHAMBRY, Paris, GF-Flammarion, 510 p. PLATON, (1966), La République, traduction, introduction et notes par R. BACCOU,

Paris, GF-Flammarion, 512 pages.

PUFENDORF Samuel, (1732), Du droit de la nature et des gens, traduction

BARBEYRAC reproduite dans la « B.P.P.J. » du Centre de philosophie

politique et juridique de l'Université de Caen, 1987.

RAWLS John, (1987), Théorie de la justice, traduction C. AULARD, Paris, Seuil, 668 p. ROUSSEAU Jean-Jacques, (2001), Du Contrat social, présentation, chronologie et notes par B. BERNARDI, Paris, GF-Flammarion, 258 p.

SPINOZA Baruch, (1999), Traité thélogico-politique, Paris, P.U.F., Coll. Epiméthée, 864 p.

STRAUSS Léo, (1954), Droit naturel et histoire, Paris, Plon.

THOMAS d'Aquin (saint), (1935), Somme théologique. La loi Ia-IIæ Question 90-97, traduction M.-J. LAVERSIN, O.P., Paris, Ed. de la revue des jeunes, 357 p.

ZARKA Yves-Charles, (1999), Aspects de la pensée médiévale dans la philosophie
politique moderne
, Paris, P.U.F., Coll. Essais, 1ère édition, 288 p.

V. Quelques ouvrages de philosophie générale

BREHIER Emile, (1994), Histoire de la philosophie III, Paris, Coll. Quadrige, P.U.F., 6ème édition, 1078 p.

-- (1996), Histoire de la philosophie II, Paris, Coll. Quadrige, P.U.F., 7ème édition, 516 p.

-- (1997), Histoire de la philosophie I, Paris, Coll. Quadrige, P.U.F., 8ème édition, 708 p.

BRIDOUX Alexandre, (1966), Le Stoïcisme et son influence, Paris, Vrin, 238 p. CARRIVE Paulette, (1994), La Philosophie anglaise. Passions, pouvoirs et liberté de HOOKER à HUME, Paris, P.U.F., 1ère édition, 424 p.

CHEVALIER Jacques, Histoire de la pensée I. La pensée antique, Paris, Ernest Flammarion, 1955, 761 p.

-- (1956), Histoire de la pensée II. La pensée chrétienne, Paris, Ernest Flammarion, 846 p.

-- (1961), Histoire de la pensée III. La pensée moderne de DECARTES à KANT, Paris, Flammarion éditeur, 778 p.

RODIS-LEWIS Geneviève, (1978), La Morale stoïcienne, Paris, P.U.F., Coll. Supérieure, 138 p.

VI. Quelques ouvrages d'histoire

HILL Christopher, (1964), Society and puritanism in pre-revolutionary England, London, C. Nicholls & Company Ltd, 512 p.

MARX Roland, (1979), Religion et société en Angleterre de la réforme à nos jours, Paris, P.U.F. Coll. l'Historien, 1ère édition, 208 p.

MINOIS Georges, (1993), Les STUARTS, Paris, P.U.F., Coll. Que sais-je ? 1ère édition, 126 p.

POUSSOU Jean-Paul, (1993), CROMWELL, la révolution d'Angleterre, la guerre civile, Paris, P.U.F., Coll. Que sais-je ? 1ère édition, 128 p.

VII. Quelques revues.

BIDET Jacques (dir.), (1999), Actuel Marx n° 24 : HABERMAS une politique délibérative, Paris, P.U.F., 224 p.

COLLECTIF, (1976), Archives de la philosophie du droit, T. 21, Genèse et déclin de l'Etat, Paris, Sirey, 306 p.

-- (1980), Archives de la philosophie du droit, T. 25, La loi, Paris, Sirey, 584 pages.

-- (1989), Archives de la philosophie du droit, T. 34, Le sujet de droit, Paris, Sirey, 436 p.

GOYARD-FABRE, Cahier de philosophie politique et juridique n° 02, Caen, 1982.

-- (1983), Cahier de philosophie politique et juridique n° 03, Caen, 1983. MEYER Michel, (1988), Revue Internationale de Philosophie n°165, LOCKE, Paris,

P.U.F., 592 p.

VIII. Quelques usuels

AUROUX Sylvain (dir.), (1998), Encyclopédie philosophique universelle, volume II, T. 1, les notions philosophiques, Paris, P.U.F., Coll. Encyclopédie Philosophique Universelle, 2ème édition, 2.032 p.

CANTO-SPERBER Monique, (1997), Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale,

Paris, P.U.F., 2ème édition, Coll. Grands Dictionnaires, 1.744 p.
HUYSMAN Denis (dir.), (1993), Dictionnaire des philosophes, Paris, P.U.F., 2ème

édition, Coll. Grands dictionnaires, 3.104 p.

LALANDE André, (1999), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, P.U.F., Coll. Quadrige, 5ème édition, 1.376 p.

LECOURT Dominique, (1999), Dictionnaire d'histoire et de philosophie des sciences, Paris, P.U.F., 1ère édition, Coll. Grands Dictionnaires, 1036 p.

Ix. Certains actes des colloques

COLLECTIF, (1982), Philosophie et droits de l'homme : Actes de la 5ème semaine philosophique de Kinshasa, du 26 avril au 1er mai 1981, Faculté Théologique de Kinshasa, 496 p.

MORIN Jacques-Yvan (dir.), (1997), Actualité scientifique Les droits fondamentaux :

Actes des 1ères journées scientifiques du réseau droits fondamentaux de

l'A.U.P.E.L.F.-U.R.E.F., Tunis, 9-12 octobre 1996, Bruxelles, Bruylant, 444 p. MORIN Jacques-Yvan (dir.), (2000), Actualité scientifique Les défis des droits

fondamentaux' : Actes des 2èmes journées scientifiques du réseau droits

fondamentaux de l'A.U.P.E.L.F.-U.R.E.F. Québec, octobre 1999, Bruxelles,

Bruylant.

TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE III

DEDICACE IV

REMERCIEMENTS V

ABREVIATIONS VI

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE : INFRASTRUCTURES THEORIQUES DE L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE 6

Introduction 7

Chapitre I. Les fondements de l'anthropologie politique de J. LOCKE 8

I.1. Les fondements historiques 8

I.1.1. Situation socio-politique de l'Angleterre à l'époque de J. LOCKE 8

I.1.2. La tendance Tory 8

I.1.3. La tendance Whig 10

I.2. Les fondements philosophiques 12

I.2.1. L'anthropologie des doctrines du contrat social 12

I.2.2. La pensée grecque païenne 12

I.2.3. La pensée chrétienne médiévale 14

I.2.4. Les Temps Modernes 15

Chapitre II. L'anthropologie politique de J. LOCKE 19

II.1. Les trois moments du contrat social 19

II.1.1. L'état de nature 19

II.1.2. Le contrat ou la convention 20

II.1.3. La société civile ou communauté politique 23

II.2. L'aspect polémique des traités politiques de J. LOCKE 24

II.2.1. Polémique vis-à-vis de T. HOBBES 24

II.2.2. Polémique vis-à-vis de R. FILMER 28

II.3. Les circonstances exceptionnelles de résistance au souverain 30

II.4. Le problème de la légitimité institutionnelle 32

Chapitre III. Une nouvelle perspective éthique et politique 36

III.1. Forme et organisation du gouvernement civil 36

III.1.1. L'aménagement des institutions de la république 37

III.1.2. Le pouvoir législatif 37

III.1.3. Le pouvoir exécutif 38

III.1.3. Le pouvoir fédératif 39

III.2. Du gouvernement civil et de ses finalités 40

III.3. Les bornes du gouvernement civil 43

III.4. Le gouvernement civil et la communauté ecclésiastique 44

III.5. Originalité de la nouvelle perspective éthique et politique 45

Conclusion 48

DEUXIEME PARTIE : DE L'IDEE D'UNE PHILOSOPHIE DES DROITS DE L'HOMME DANS L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE 49

Introduction 50

Chapitre IV. La philosophie contemporaine des droits de l'homme 51

IV. 1. La Déclaration universelle des droits de l'homme 51

IV. 1.1. Analyse de la Déclaration universelle des droits de l'homme 52

IV. 1.2. L'avant-propos et les préfaces de l'édition de 1988 52

IV. 1.3. Le préambule et les trente articles 53

IV.2. Originalité et philosophie politique de la D. U.D.H. 54

IV.4. Quelques Déclarations des droits de l'homme dans l'histoire 57

IV.4. 1. La Déclaration des droits des citoyens (Bill of rights, 1689) 57

IV.4.2. La Déclaration d'indépendance (1776) 57

IV.4.3. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1789) 58

Chapitre V. Sur la pensée libérale de J. LOCKE 59

V. 1. Les fondements de la politique libérale 59

V. 1.1. La loi naturelle et ses différentes obligations 59

V.2. La loi naturelle et le fondement de la propriété 61

V.3. Finalité du paradigme lockien du libéralisme 64

V.3.1. Le rejet des dogmatismes et de l'absolutisme 64

V.3.2. Le plaidoyer pour la liberté et la tolérance 65

V.4. Les conditions de l'Etat de droit 67

Chapitre VI. L'intuition lockienne d'une théorie des droits de l'homme 69

VI. 1. La mutation des obligations naturelles en droits fondamentaux 69

VI.2. Reconnaissance et attribution des droits fondamentaux 72

VI. 1.2. Taxinomie des droits fondamentaux 73

VI.1.3. Les droits inclusifs 74

VI.1.4. Les droits exclusifs 75

VI.3. Du paradigme lockien des droits de l'homme à la philosophie contemporaine des droits de l'homme 76

Conclusion 79

TROISIEMME PARTIE : L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE ET LA DECLARATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME 80

Introduction 81

Chapitre VII. Identité, analogie ou homologie ? 82

VII. 1. Analogie ? 82

VII.2. Homologie ? 84

VII.3. Identité ? 85

Chapitre VIII. J. LOCKE et la Déclaration universelle des droits de l'homme 87

VIII. 1. J. LOCKE, un ancêtre droits de l'homme 87

VIII.2. L'aspect théorique des traités politiques de J. LOCKE 88

VIII.3. Manque de taxinomie des droits dans les traités de J. LOCKE 89

Chapitre IX. Les droits de l'homme, un long processus historique 92

IX. 1. L'expérience des grandes religions 92

IX. 1.1. Le message judéo-chrétien 92

IX.1.3. Le message coranique 95

IX.2. L'expérience des cultures non occidentales 98

IX.2. 1. Les cultures africaines 98

IX.2.1. L'expérience de l'Orient 101

IX.3. L'expérience exceptionnelle de la culture occidentale 104

Conclusion 108

CONCLUSION GENERALE 109

RAPPORT DE SOUTENANCE 117

I. Allocution de soutenance 118

I. 1. Problématique et objectifs 118

I. 2. Résumé de l'étude 120

I. 3. Résultats de l'étude 121

II. Le jury de la soutenance 126

II. Remarques du jury / Observations of jury 126

BIBLIOGRAPHIE GENERALE 127

I. Ouvrages de J. LOCKE 128

II. Quelques ouvrages sur J. LOCKE 128

III. Quelques ouvrages sur les droits de l'homme 129

IV. Ouvrages annexes 130

V. Quelques ouvrages de philosophie générale 132

VI. Quelques ouvrages d'histoire 132

VII. Quelques revues. 133

VIII. Quelques usuels 133

IX. Certains actes des colloques 133

TABLE DES MATIERES 135

Revu et corrigé selon les observations
du Jury de soutenance.
(c) NGAKOSSO-OKO Sédard-Roméo
Yaoundé, février 2003.






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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault