ABREVIATIONS
A. I. : Amnesty International.
Créé en 1961, Amnesty International est un mouvement de
défense des droits de l'homme. Ses activités sont centrées
sur les prisonniers (détenus d'opinions) et la liberté de la
presse. Le mouvement se veut indépendant des gouvernements, factions
politiques, idéologies ou religions. Il a reçu le prix Nobel de
la paix en 1977. Cette organisation a donné une remarquable
réédition de la D.U.D.H. en 1988 en l'occasion du
quarantième anniversaire dudit document.
A.P.D.H.A.C. : Association pour la Promotion des
Droits de l'Homme en Afrique Centrale C.A.D.P. : Charte
Africaine des Droits des Peuples à Disposer d'eux-mêmes,
1981.
C.C.T.A.P.T.C.I. : Convention Contre la
Torture et Autres Peines ou Traitements cruels Inhumains, 1984.
C.E.T.F.D.E.F. : Convention sur
l'Elimination de Toutes Formes de Discrimination à l'Egard des
Femmes, 1980.
C.E.D.H. : Convention Européenne des
Droits de l'Homme, 1950. C.I.D.H. : Charte
Internationale des Droits de l'Homme.
D.A.D.H. : Déclaration
Américaine des Droits de l'Homme, 1948. D.D.E. :
Déclaration des Droits de l'Enfant, 1959.
D.U.D.H. : Déclaration Universel des
Droits de l'Homme, instrument international de protection des droits de
l'homme promulgué par l'O.N.U. le 10 décembre 1948.
E.P.C.E.H. : Essai Philosophique
Concernant l'Entendement Humain, ouvrage de J. LOCKE.
GREENPEACE : Association écologique de défense
et de promotion des droits de l'homme. L.T. : Lettre sur
la tolérance, ouvrage de J. LOCKE.
O.N.U. : Organisation des Nations Unies.
O.U.A. : Organisation de l'Unité
Africaine
P.R.D.C.P. : Pacte Relatif aux Droits Civils
et Politiques, 1966.
P.R.D.S.E.C. : Pacte Relatif aux Droits
Sociaux Economiques et Culturels, 1966. T.G.C. :
Traité du gouvernement civil, ouvrage de J. LOCKE.
U.C.A.C.-I.C.Y. : Université Catholique
d'Afrique Centrale, Institut Catholique de Yaoundé
U.N.I.C.E.F. : United Nations International
Children's Emergency Fund, un organe des Nations Unies
spécialisé dans les questions relatives à l'enfance.
U.Y.I. : Université de Yaoundé
I.
« Le bien public et l'avantage de la
société étant la véritable fin du gouvernement, je
demande s'il est plus expédient que le peuple soit exposé sans
cesse à la volonté sans bornes de la tyrannie ; ou, que ceux qui
tiennent les rênes du gouvernement trouvent de l'opposition et de la
résistance, quand ils abusent excessivement de leur pouvoir, et ne s'en
servent que pour la destruction, non pour la conservation des choses qui
appartiennent en propre au peuple ?
»1.
1 J. LOCKE, T.G.C, trad. D. MAZEL, GF-Flammarion, 1992,
Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements, § 229, p. 313.
Il y a plus d'un demi-siècle, choquée par les
atrocités du second grand conflit mondial, l'humanité, à
la recherche d'une nouvelle éthique internationale, faisait adopter le
10 décembre 1948 par l'Assemblée Générale de
l'O.N.U., la
2
D.U.D.H.. L'objectif étant de faire la
promotion de la justice, de l'égalité, de la paix ainsi que de la
dignité inhérente à la personne humaine, en vue de
réprimer la tendance naturelle de l'homme vers le mal. Tendance à
l'absolutisme, à l'esclavage et à l'exploitation de l'autre-moi.
Depuis, cette vision est devenue la pierre angulaire d'une dynamique
d'envergure internationale en faveur des droits de l'homme.
Historiquement, la dynamique internationale dans le cadre de
laquelle il y a aujourd'hui l'inflation du concept des droits de l'homme a
réellement connu son essor avec la Philosophie des
Lumières. Cette dernière a défini les canons de
la légitimité institutionnelle devant protéger les droits
de l'homme et du citoyen. En dépit de la différence qui peut
opposer les problématiques des théoriciens de ce mouvement,
celles-ci se recoupent toutes sur la nécessité de substituer
à l'ordre socio-politique existant, aberrant et tyrannique, un ordre
politique fondé en raison.
L'anthropologie politique de J. LOCKE (1632-1704),
n'échappe pas à ce contexte historique. Fondée sur la
distinction « état de nature/état civil »,
elle est une minutieuse réflexion philosophique sur l'origine,
l'étendue et la finalité propres de l'autorité politique.
Elle reste toute entière dominée par le rejet de l'absolutisme
qui, des STUART et de CROMWELL, en Angleterre, à LOUIS XIV en passant
par RICHELIEU, en France, constituait le problème commun des citoyens de
cette époque. Ce rejet de la monarchie absolue, associé à
celui de l'arbitraire et des dogmatismes caractéristiques du
XVIIème siècle3, a conduit LOCKE à
réfuter la théorie de droit divin des rois ou de l'imperium
paternale (pouvoir ou empire des pères), soutenu
par BOSSUET (1627-1704) à la suite de R. FILMER (1588-1653). C'est pour
cette raison, avions-nous constaté, qu'il est conceptuellement en
rupture vis-à-vis de la tradition
2A.I. en a donné une remarquable
réédition en 1988 à l'occasion du quarantième
anniversaire dudit document.
Nous soulignons cependant que cette organisation n'est pas
l'auteure de la D. U.D.H. Elle est l'oeuvre d'une
Commission Internationale mandatée par l'O.N.U., dont
l'Assemblée Générale entérina l'adoption.
3J. LOCKE fustigent ces dogmatisme, E.P.C.E.H., Vrin, 1998,
Livre IV ; Chapitre XVI, § 04, pp. 550-551.
politico-religieuse de son époque, dont il sait
parfaitement qu'elle est encore active. Son ouvrage fondamental, le
T.G.C. (1690), véritable plaidoyer pour la liberté
humaine, donne une nouvelle tonalité à la philosophie politique.
C'est la défense raisonnée des droits des peuples.
La nouvelle philosophie politique que J. LOCKE promeut se
fonde sur son optimisme anthropologique. Notamment à travers des
concepts comme celui de trust (confiance). Avec cette idée de
trust, le T.G.C. introduit simultanément une foi
nouvelle en l'homme, une nouvelle conception de l'autorité politique, et
véhicule toute une théorie de la citoyenneté ou du peuple
raisonnable qui a ouvert la voie à la pensée politique des
Lumières.
Avec cette théorie en effet, les idées de
raison, de droit naturel, de tolérance préparent leur triomphe,
et, à leur suite, se forgent en philosophie politique les concepts
opératoires de contrat, d'individualisme, de volontarisme, de
consensualisme et de constitutionalisme, socle de la promotion des
libertés fondamentales comme le soulignaient déjà GROTIUS
(1583-1645) et PUFENDORF (1632-1677). Ainsi, se trouvent théoriquement
définies les bases d'une politique nouvelle : un nouveau sens du concept
de légitimité politique et une «reconception» de la
personne humaine comme sujet de droit devant devenir la valeur et la norme
fondamentale de gestion des sociétés civilisées. C'est
l'émancipation de la conscience politique :
« Les hommes, ainsi qu'il a été dit,
étant tous naturellement libres, égaux et indépendants,
nul ne peut être tiré de cet état, et être soumis au
pouvoir «politique» d'autrui, sans son propre
consentement, par lequel il peut convenir, avec d'autres hommes, de
«se joindre» et de s'unir en société
pour leur conservation, pour leur sûreté mutuelle, pour la
tranquillité de leur vie, pour jouir paisiblement de ce qui leur
appartient en propre, et être mieux à l'abri des insultes de ceux
qui voudraient leur nuire et leur faire du mal »4.
Désormais, la politique n'a plus à se fonder sur
la transcendance. Elle est enfin descendue sur la terre et s'impose comme un
devoir à assumer. Ce devoir correspond à la promotion du peuple,
reconnu comme réalité juridique et comme
4J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992, Chap.
VII : De la société politique ou civile, § 95, pp.
214-215.
sujet de droit5. Il dépend des hommes
d'entendre les commandements de la loi de la nature et d'en accomplir la
téléologie immanente. La liberté est synonyme
d'obéissance aux lois ; et l'égalité se comprend selon ce
principe que les mêmes lois s'appliquent à la fois, et à
tous les citoyens, et au souverain. Enfin, que nul des deux n'est
supposé être au-dessus de celles-ci.
Ceci, non seulement, montre l'appartenance de J. LOCKE
à ce vaste concert de revendications politiques des
Lumières, dont l'objectif est de réaliser le renouveau
institutionnel et politique, mais aussi, érige son système en
paradigme politique dans le cadre de la défense raisonnée des
libertés fondamentales des êtres humains. C'est de cette nouvelle
éthique politique que l'humanité contemporaine se réclame
à travers les notions de droits de l'homme, de démocratie, de
bonne gouvernance et de transparence. Dans cette optique, la D. U.D.H.
promulguée par l'O.N.U., est très significative. On peut affirmer
que ce document, sur lequel, sont non seulement fondées et
gouvernées, mais aussi et surtout, justifiées et
légitimées nos sociétés contemporaines, a
été construit sur le modèle de l'anthropologie politique
de J. LOCKE, en reprenant les grandes lignes de ce système à son
propre compte. D'où la nécessité de nous interroger sur la
part des idées lockiennes dans l'élaboration dudit document. Ceci
est une piste de recherche, notre intention est exactement de poser des jalons
de réflexion.
Aujourd'hui, plus de trois cents ans nous séparent de
J. LOCKE, et cinquante environ, de la D. U.D.H. Mais la frappante
proximité entre ces deux systèmes dans la reconnaissance et la
promotion des droits fondamentaux de l'homme suscite des interrogations et nous
interpelle. En effet, nous demandons- nous, un acte de l'envergure de la
D.U.D.H., ne trouve-t-il sa source que dans l'unique prise de
conscience des hommes devant les atrocités de la deuxième guerre
mondiale, quand en fait, l'histoire des idées politiques vécues
au quotidien par les hommes nous révèle d'autres paradigmes
d'énonciations et de défenses des libertés fondamentales
--telle l'anthropologie politique de J. LOCKE-- pouvant aussi bien
5F. TINLAND, «Le sujet de droit dans la
philosophie politique de T. HOBBES, J. LOCKE et de J.J. ROUSSEAU», in
Archives de la philosophie du droit, T. 34 : Le sujet de droit,
Sirey, 1989, pp. 51-60.
conduire à une réalisation analogue au
chef-d'oeuvre onusien ?
Fondamentalement, notre contribution est une analyse
philosophique dont la fin est de déterminer les incidences de
l'anthropologie politique de J. LOCKE sur la D.U.D.H.. Pour cela,
trois grands moments constitueront l'ossature de cette contribution. Le premier
moment nous conduira avant de dégager les grandes orientations
conceptuelles, à examiner les fondements théoriques de
l'anthropologie politique de J. LOCKE. Puis, après avoir analysé
le document onusien, nous donnerons notre point de vue sur les conditions de
possibilité d'une philosophie des droits de l'homme dans cette
anthropologie politique. Ce qui nous autorisera dans la troisième et
dernière partie de notre analyse, à nous prononcer sur la
possibilité d'incidence de l'intuition lockienne de défense et de
promotion des libertés fondamentales de l'homme sur la dynamique
contemporaine des droits de l'homme en oeuvre dans la D. U.D.H. Enfin,
une conclusion générale clôturera ce travail.
PREMIERE PARTIE : INFRASTRUCTURES THEORIQUES
DE L'ANTHROPOLOGIE POLITIQUE DE J. LOCKE
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Introduction
Rechercher les infrastructures théoriques de
l'anthropologie politique de J. LOCKE est une attitude qui consiste à se
poser des questions sur ce qui soutient cette conception de l'homme. Autrement
dit, c'est rechercher les fondements de ce système de pensée. En
effet, c'est là une façon de procéder très
chère à notre discipline, la philosophie. Toute son histoire, de
l'antiquité grecque (SOCRATE vers 470-399 av. J.-C.) jusqu'à
notre époque (HEIDEGGER 1889-1976 ; HUSSERL 1859- 1938), en est
marquée. A la lumière de cette histoire, ce concept
désigne « ce qui sert de base ». C'est le principe de
stabilité servant de base à un système, à une
entreprise. Ainsi parle-t-on des fondements de l'Etat, de la
société civile, d'une doctrine. Dans cette première grande
section de notre étude, nous allons renouer avec cette exigence majeure
de notre discipline en appliquant cette recherche des fondements à
l'anthropologie politique de J. LOCKE
En effet, c'est cette anthropologie politique, qui, pour l'une
des premières fois dans l'histoire des idées, a essayé de
modéliser la solution aux préoccupations classiques de la
philosophie politique (quel doit être le souverain légitime, et
à qui doit revenir légitimement le pouvoir politique) en termes
de souveraineté populaire. C'est également à partir d'elle
que la philosophie politique a su relancer sa propre histoire en
déplaçant désormais ses interrogations. Ainsi donc,
à la question du souverain légitime, ce sont ajoutées
d'autres plus techniques. Comme quelles doivent être les relations entre
l'Etat et la société ? Quelles sont les limites, s'il doit y en
avoir, du pouvoir de l'Etat, y compris lorsqu'il s'agit d'un Etat
démocratique ?
Comme nous pouvons le voir, la recherche des fondements
équivaut ici à ce qui soutient ce système
philosophico-politique. Elle présente un double avantage. D'une part,
elle nous permet d'accéder aux principes fondateurs de ce système
philosophico-politique. D'autre part, elle nous prédispose à
l'appréhension et à la compréhension des grandes
orientations conceptuelles de ce paradigme philosophique
d'interprétation du fait politique et juridique. Ce double avantage
constitue l'objet principal de notre première partie.
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