II.2.2. Polémique vis-à-vis de R. FILMER
Sir R. FILMER est un auteur peu connu. Mais son oeuvre n'est
pas des moindres. Patriarcha or natural power of kings, 1680, est son
ouvrage principal dans lequel est développé l'essentiel de sa
doctrine politique50. Le traité politique de J. LOCKE en est
une réfutation systématique, qui a suscité à P.
CARRIVE la déclaration suivante :
« La démocratie moderne trouve dans la
pensée de LOCKE une de ses sources les plus importantes, et que LOCKE
l'a élaborée en partie pour répondre à
l'écho que suscita encore pendant plus d'un quart de siècle
après la parution de la Patriarcha, la théorie absolutiste de R.
FILMER »51.
S'appuyant sur les Saintes Ecritures, en particulier
sur les paroles de l'Apôtre des Nations : « Celui qui
résiste à l'autorité, résiste à l'ordre que
Dieu a établi »52, R. FILMER s'emploie à
démontrer que le pouvoir royal dérive du pouvoir paternel. Ce
pouvoir fut confié au seul ADAM par Dieu, dès le commencement.
Ainsi, tel Dieu trône sur l'univers, tel ADAM doit lui aussi
régner sur toutes les créatures qui lui sont subordonnées
ainsi que sur sa propre famille. C'est pour cette raison que, « aucun
de ses descendants ne pourrait faire valoir quelque droit que ce fût sur
une chose, sauf à l'avoir reçu de lui en donation, à s'en
être saisi par sa permission ou le tenir de lui par héritage
»53. Cette thèse de R. FILMER, déjà
défendue par saint AUGUSTIN et reprise par BOSSUET, n'est autre que la
théorie du droit divin des rois, également position officielle de
l'Eglise catholique romaine en matière politique à cette
époque. R. FILMER entendait ainsi ruiner les thèses
désespérantes des monarchomaques : BUCHANAN G. (1506-1582), J.
KNOX (1505-
1572), et même de T. HOBBES et de BARCLAY pourtant
grands défenseurs de la monarchie absolue, pour avoir soutenu qu'un
contrat était générateur de souveraineté. Selon R.
FILMER, il ressort que la société est une vaste famille. La
société politique étant aussi naturelle que la
société familiale, le rapport du prince à ses sujets soit
le même que celui du père à ses enfants. C'est un rapport
de commandement à obéissance qui ne peut tolérer ni
réserves, ni exceptions. L'obligation politique se ramène
à une allégeance totale envers l'autorité patriarcale du
prince :
« ADAM était père, roi et seigneur de
sa famille ; un fils, un sujet, un serviteur, un esclave, étaient,
à l'origine, une seule et même chose. Le père pouvait
disposer de ses enfants comme de ses serviteurs, il pouvait les vendre.
Lorsqu'il est question, dans les Ecritures, du premier recensement des biens,
les serviteurs et les servants sont dénombrés parmi les
possessions et patrimoine du propriétaire, comme étant ses biens
»54.
R. FILMER justifie ainsi l'absolutisme monarchique comme
héritage direct de l'empire paternel d'ADAM et l'obéissance
passive des sujets nécessairement subordonnés et assujettis.
L'idée de la liberté naturelle est ici vide de sens. C'est cette
théorie que J. LOCKE va entreprendre de réfuter
méthodiquement en désavouant les principes. Le sous-titre du
traité politique de 1690 est révélateur de cette
polémique : « The falses principles and foundations of sir R.
FILMER and his followers are detected and overthrown ». Le
patriarcalisme de R. FILMER est un mythe moins intelligible d'autant que la
nature des choses le rejette55. Dès lors que sont
démontés les faux principes du gouvernement selon R. FILMER, il
convient de préciser l'origine et l'étendue véritables du
gouvernement civil. Telle est la tâche entreprise par J. LOCKE dans son
traité politique. Logiquement, celui-ci est la réfutation de R.
FILMER et poursuit le combat pour la liberté contre l'absolutisme
à travers une réflexion philosophique scientifiquement
programmée.
La signification profonde du contractualisme de J. LOCKE et de
sa polémique nourrie vis-à-vis de T. HOBBES et de R. FILMER, est,
en fait, le rejet de l'absolutisme. Ainsi, il élabore une théorie
du droit de résistance contre
l'oppression. Dans cette voie, du reste, il a
été précédé par les
monarchomaques56 ; certains auteurs de notre époque
d'ailleurs continuent de penser la même chose sur ce chapitre
57.
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