II.4. Le problème de la légitimité
institutionnelle
La théorie politique développée dans
le T.G.C. conduit à faire du souverain la condition d'une
optimisation dans la jouissance par les hommes de leurs droits naturels, sur la
base d'une aliénation minimale à ce qui est légitime en
condition naturelle. Cette renonciation aux prérogatives naturelles
présuppose un état dit de nature, tel que nous l'avons vu plus
haut (pages : 20-23). Ladite renonciation se limite à ce qui est requis
pour qu'un arbitrage supérieur aux volontés individuelles
empêche les différends entre particuliers de générer
la violence et la mort. Ainsi tous les hommes apprennent qu'ils sont
égaux et indépendants, nul ne doit léser autrui dans sa
vie, sa santé, sa liberté et ses biens. Ainsi, chaque homme est
tenu, non seulement de se conserver lui-même, mais aussi,
toutes les fois que sa propre conservation n'est pas en jeu, de
veiller à celle du reste de l'humanité.
Il apparaît qu'il n'est pas possible de compter sur la
seule rationalité des hommes pour que soit assuré à
chacun, le respect de ses droits par les autres. Il importe de
reconnaître aussi que chacun a le droit naturel de sanctionner les
violations de la loi de nature ; laquelle serait vaine si personne dans
l'état civil, n'avait le pouvoir d'en assurer l'exécution. Il y a
donc un usage légitime de la violence pour prévenir ou obtenir
réparation d'un dommage subi en violation de la loi naturelle, par soi
ou par d'autres. Car, cela va permettre à tout homme d'invoquer de ce
chef le droit de préserver le règne humain en
général.
L'état civil naît donc d'une renonciation des
individus à l'exercice du droit originaire à exécuter et
à faire respecter la loi naturelle. C'est-à-dire : à
préserver les droits que chacun détient par nature. Cette
aliénation se présente comme un transfert, plus
précisément, comme une élévation à la
puissance communautaire du pouvoir légitime de sanctionner les
manquements à la loi. L'autorité ici ne saurait ériger son
pouvoir comme absolu, au-dessus des lois, où il n'y aurait aucun recours
contre ses actes ou décisions. C'est précisément
l'existence d'un recours contre toute décision ou action susceptible
d'empiéter sur ce qui est perçu comme droits par les
particuliers, qui définit l'établissement du corps politique. Ce
corps politique présuppose des principes et des modes de
régulation qui s'imposent à toute la société. Ces
principes résident dans les lois et dans les modalités de leur
mise en oeuvre, expression du pouvoir législatif. Ils ne peuvent
résider ailleurs que dans les organes collectifs, auxquels nul ne peut
se soustraire, même le prince, détenteur du pouvoir
exécutif.
Les citoyens sont assujettis au pouvoir sous un double
rapport. Premièrement, pour autant que la puissance publique s'exerce
dans le cadre institutionnel établi par une volonté communautaire
s'imposant à la magistrature suprême elle-même.
Deuxièmement, parce que le pouvoir de la cité sur ses membres a
pour finalité de protéger les individus en tant que sujet support
de ces droits. Il s'ensuit que le pouvoir politique doit son existence au
consentement du
peuple. Autrement dit, à l'ensemble des individus qui a
adhéré à la vie civile. L'autorité politique ne
naît ni du droit divin, ni de la puissance paternelle. Elle ne naît
pas non plus de la force qui ne conduit qu'à la conquête ou
à l'usurpation. L'essence du gouvernement civil réside dans la
«juridicité» qu'expriment le pouvoir législatif et le
pouvoir exécutif. Ces pouvoirs impliquent une souveraineté dont
l'assise est le peuple.
La liberté selon J. LOCKE, est la grande conquête
des hommes en train de devenir maîtres de leur destinée sur la
terre. Loin d'être un privilège définitivement acquis, elle
se présente comme un programme à réaliser. Le gouvernement
civil vise l'autonomie, le refus d'inféoder la politique à la
théologie. Il signifie désormais que la politique n'a rien
à demander à la transcendance, qu'elle est enfin descendue sur la
terre et qu'elle s'impose comme un devoir à assumer. Ce devoir
correspond à la promotion du peuple, reconnu comme réalité
juridique et sujet de droit. Il dépend des hommes d'entendre les
commandements de la loi de la nature et d'en accomplir la
téléologie immanente. Elle est synonyme d'obéissance aux
lois mises en oeuvre pendant le contrat. L'égalité se comprend
ici selon le principe que la même loi s'applique à la fois et
à tous les contractants et au souverain. Nul des deux n'est tenu ou
supposé être au-dessus de celle-ci.
J. LOCKE inaugure une nouvelle perspective éthique et
politique que nous nous proposons d'analyser immédiatement. Non avant
d'avoir dit que, par opposition à cette dernière, T. HOBBES du
Léviathan, verrait dans la reconnaissance par J. LOCKE, de la
possibilité de dénonciation d'un abus de pouvoir, le ferment de
la dégénérescence du corps politique, qui conduira
tôt ou tard à la guerre civile.
Car, selon lui, au sens strict, il ne peut y avoir d'abus de
pouvoir, le souverain étant le seul juge des limites dans lesquelles il
maintient l'exercice de son droit naturel. La condition première de la
paix civile réside alors dans une volonté souveraine
incontestable, c'est-à-dire dans le représentant unique du peuple
dont tous les sujets en même temps autorisent l'action et sont sans
pouvoir d'exercer un recours contre elle. Ce représentant, «
souverain », dit la loi, qui est telle par décision sans appel
de celui qui est, en outre, juge de son application, comme des
conditions de la sanction et de sa transgression. Ainsi, la
loi selon T. HOBBES, tire sa légitimité d'un pouvoir dont
l'absolutisme conditionne la paix civile et la sécurité des
sujets ; dont les droits imprescriptibles se limitent aux moyens d'une
protection immédiate de la vie contre toute espèce de menace.
66J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992,
Chapitre X : Des diverses formes de sociétés politique,
§§ : 132-133, pp. 240-241.
67Idem, Chapitre IX : Des fins de la
société politique et du gouvernement, §§: 124, 125 et
126, pp. 236-238. 68Idem, Chapitre X : Des diverses formes
de sociétés politique § 132, pp. 240-241.
69Idem, Chapitre X : Des diverses formes de
sociétés politique § 133, p. 241.
70Idem, Chapitre IX : Des fins de la
société politique et du gouvernement, § 127, p. 238.
71Idem, Chapitre XI : De l'étendue du
pouvoir législatif, § 134, pp. 242-243.
72Idem, Chapitre XI : De l'étendue du
pouvoir législatif § 134, pp. 242-243 et chapitre XIX : De la
dissolution des gouvernements, § 212, pp. 299-301.
73Idem, chapitre XIX : De la dissolution des
gouvernements, § 212, pp. 299-301.
74Ibidem.
75Idem, chapitre XI : De l'étendue du
pouvoir législatif, § 135 et chapitre XIX : De la dissolution des
gouvernements, §§ : 243-244, pp. 326-327.
76Idem, chapitre XIX : De la dissolution des
gouvernements, § 241, p. 325.
77Idem, chapitre XII : Du pouvoir
législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, §
144, p. 251.
78Idem, Chapitre XIV : De la
prérogative, § 160, pp. 263-264.
79Idem, Chapitre XIV : De la
prérogative, § 164, p. 266.
80Idem, Chapitre XIV : De la
prérogative, §§ : 164 & 166, pp. 266 & 267-268.
81Idem, Chapitre. XII: Du pouvoir
législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, §
145, pp. 251-252. 82Idem, Chapitre. XII: Du pouvoir
législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, §
145, pp. 251-252.
83Idem, Chapitre XII : Du pouvoir
législatif, exécutif et fédératif d'un Etat, §
148, pp. 252-253.
84J.-J. ROUSSEAU, Du Contrat social, Livre
IV, Chapitre I, GF-Flammarion, 2001, p. 143.
85J. LOCKE, T.G.C, GF-Flammarion, 1992,
chapitre XVIII : De la tyrannie, § 199, p. 290.
92Idem, chapitre II : De l'état de
nature, § 06, pp. 144-146 et chap. III : De l'état de guerre,
§ 16, pp. 154-155.
93Pierre COSTE, Eloge à feu monsieur
LOCKE, contenu dans sa lettre à Pierre BAYLE en l'occasion de la
mort de LOCKE et publié dans Les Nouvelles de la république
des lettres, février 1705, p.154. On peut également trouver
cet éloge en Appendice de J. LOCKE, Op. Cit., pp. 341à
355 et dans l'Avis aux lecteurs de J. LOCKE, E.P.C.E.H.,
Vrin, 1998, pp. XX à XXVII.
94S. GOYARD-FABRE, introduction, in J. LOCKE, Op.
Cit., p. 126.
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