V.2. La loi naturelle et le fondement de la
propriété
Nous venons de voir selon J. LOCKE que, l'homme a
été créé par Dieu dans le but de le glorifier par
l'usage raisonnable de ses facultés, sous les auspices de la loi
naturelle. Il apparaît donc qu'il ne peut user légitimement de ses
facultés en contredisant cette fin qui lui enjoint notamment
l'auto-conservation et la conservation du genre humain dans son ensemble. La
propriété intervient ici pour renforcer cette prescription
naturelle. Elle est soumise aux impératifs de solidarité et de
protection de l'humanité que l'instauration de la société
civile n'abolit pas. La propriété ne se réduit pas
à la simple appropriation des biens. Par ce terme, il faut sous-entendre
un ensemble plus large, dans le sens de ce qui appartient en propre
aux humains. Cet ensemble plus large renvoie à la
« vie, la liberté, le corps et les biens ». La
propriété renvoie ainsi à tout ce qui est
nécessaire à la subsistance et à la réalisation de
la vocation et des potentialités propres aux hommes, comme le
créateur le désire. Autrement dit, c'est ce sans quoi les hommes
ne peuvent vivre selon que leur nature le désire.
Ainsi, le droit de propriété désigne
cette obligation à la quelle chaque être humain se doit de
satisfaire à tout ce qui est nécessaire à sa subsistance.
La propriété est un don de Dieu fait à tous les hommes,
les Ecritures sont d'ailleurs de cet avis. C'est un de ses passages
qui est mis à contribution et qui sert de point d'appui à J.
LOCKE :
« Dieu dit : «Faisons l'homme à
notre image, comme notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la
mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et
toutes les bestioles qui rampent sur la terre [... Dieu dit :
«Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre et
soumettez là ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel
et tous les animaux qui rampent sur la terre »121.
Chaque homme est fondé naturellement à
revendiquer ou à défendre ces droits qui sont un don de Dieu,
donc antérieurs à toute législation ; même en
s'opposant par la force à un gouvernement fondé sur la confiance
des gouvernés, en vertu d'un contrat initial établissant l'Etat.
La pierre angulaire de cette doctrine de la propriété, c'est
précisément la loi de nature, que J. LOCKE s'est efforcé
de faire apparaître avec évidence. La propriété
désigne tout ce qui appartient en propre à un individu, et qui ne
peut lui être amputé sans son consentement.
L'objectif de LOCKE dans cette doctrine de la
propriété est de confondre les partisans de la monarchie absolue.
Tel le chevalier R. FILMER, dont les écrits sont fort populaires
à cette époque, et contre lesquels, J. LOCKE monte une attaque en
règle. Il oppose à R. FILMER une théorie
constitutionnaliste radicale de la souveraineté, doublée d'une
défense individualiste du droit de résistance au nom de la
propriété. La commune possession du monde à tout le genre
humain s'oppose ici à l'idée filmerienne de
propriété privée exclusive à ADAM, premier prince
de
l'humanité. Le vocable
«propriété» chez J. LOCKE est synonyme de
«droits». Ces droits sont dévolus à tous les
êtres humains : « droits communs à tous
»122, et se traduit par cette emprise qu'a le genre humain
sur les espèces inférieures de la création. Cette emprise
se manifeste par le travail. Et c'est exactement ce dernier qui apparaît
comme le fondement réel de l'appropriation privée des biens selon
la loi de nature, c'est-à-dire, dans les strictes limites
assignées à la conservation de l'individu.
Toutefois, il n'en demeure pas moins que dès
l'état de nature, toute restriction à l'appropriation
privée illimitée des biens soit levée. Ceci est possible
avec l'invention et l'adoption de la monnaie. Car, elle permet d'accumuler
autant de biens de la nature sans les dénaturer. Cela ne va pas sans
soulever quelques séries de problèmes, notamment deux,
liés avec la fonction du gouvernement.
La première série est consécutive
à la possibilité de s'approprier indéfiniment les biens de
la nature. Elle n'est pas sans incidences et préjudices sur les autres
membres de la communauté qui sont en dehors du processus d'accumulation,
et qui, conformément à la loi naturelle, sont obligés de
se conserver. Dans ce cas, estime J. LOCKE, c'est au gouvernement civil de
maintenir et de rétablir les exigences de la loi naturelle en
protégeant les droits de ceux qui sont restés en dehors de ce
processus d'accumulation. La seconde série concerne le sens historique
des revendications défendues par le T.G.C. Elle légitime
l'exclusion de l'Etat du domaine du marché et vise à limiter son
pouvoir. Néanmoins, elle autorise une certaine régulation
publique de l'économie, sous réserve du « consentement
» des propriétaires, dont la décision majoritaire des
représentants est supposée être l'équivalent. Le
capitalisme qui va connaître son essor au XIXème
siècle sera le grand héritier de cette théorie de la
propriété de J. LOCKE. Certains y ont vu une entreprise de
défense et de légitimation du capitalisme. Nous y reviendrons
(ci-dessous page 71), pour l'heure, posons-nous d'abord la question relative
à la finalité du paradigme lockien de libéralisme.
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