V.3.2. Le plaidoyer pour la liberté et la
tolérance
J. LOCKE est un fervent croyant. La foi en un Dieu
parfaitement sage et puissant commande l'ensemble de son système. Avant
la L.T., il avait déjà composé plusieurs
écrits sur la tolérance religieuse. Il pense principalement que
la tâche du magistrat est de maintenir l'ordre public. Chaque homme est
libre d'adorer Dieu selon que sa conscience le lui recommande, à
condition de ne pas troubler l'ordre public. Car, nulle part dans la
Bible, il est écrit que les hérétiques doivent
être réprimés par la force. Cette séparation
radicale des fonctions de l'Eglise et de l'Etat est son argument le plus fort,
sur lequel repose toute sa doctrine sur la tolérance. On est conduit
à penser que, chez J. LOCKE, l'Etat et l'Eglise sont sans point commun
l'un avec l'autre. Ou encore, qu'ils ne devraient avoir aucun point commun, si
chacun se tenait strictement dans son domaine. Ce monde-ci seul, et ses biens,
concernent l'Etat qui n'a le droit d'agir que sur eux et le droit de ne
s'occuper que d'eux. Seul, le salut éternel des hommes et le soin des
âmes concernent l'Eglise. Celle-ci ne peut agir que sur les âmes,
et elle n'a que le droit de s'occuper d'elles.
Cette séparation de l'autorité publique du
pouvoir ecclésiastique est l'argument principal sur lequel J. LOCKE
bâtit toute sa L.T.. Cet argument fonde la tolérance non
plus sur la liberté de conscience, mais sur la défense de la
liberté essentielle à l'homme en vue de sauvegarder la paix dans
l'Etat. Cette tolérance s'applique à l'exercice de la
liberté, qui n'est pas la licence de faire ce que l'on veut, mais le
droit d'obéir à l'obligation essentielle pour chaque homme
d'accomplir sa nature humaine. La liberté de l'homme n'a de sens que par
rapport à la loi de sa nature, qui est une loi raisonnable :
« Monsieur, puisque vous me demandez mon opinion sur
la tolérance réciproque entre les chrétiens, je vous
répondrai en peu de mots que c'est, à mon avis, le principal
critère de la véritable Eglise. Les uns ont beau se vanter de
l'antiquité des lieux et des titres de leur culte ou de sa splendeur,
les autres de la réforme de leur discipline, et tous en
général de l'orthodoxie de leur foi (Car chacun est orthodoxe
à ses propres yeux) ; tout cela et toutes les choses du même genre
sont plutôt les signes de la lutte des hommes pour le pouvoir et
l'autorité plutôt que les signes de l'Eglise du Christ
»125.
Aucune Eglise ne saurait se concevoir si elle ne pratique pas
la tolérance. La tolérance entre les religions est un devoir
naturel, conforme à la raison et à l'évangile. Toutes
doivent la pratiquer les unes à l'égard des autres. La vraie
religion naît de la vie des hommes selon les règles de la
piété et de la vertu. Elle ne se fonde pas sur les apparences de
la foi. Non plus que sur la domination ecclésiastique. Elle n'exige pas
de persécuter tous ceux qui ont une opinion divergente de soi dans cette
discipline. Le fondement théorique et pratique de la tolérance
repose sur les compétences propres du gouvernement civil (magistrat) et
sur celles de la société religieuse (Eglise) qui sont distinctes,
et que l'on doit nécessairement séparer.
JESUS-Christ lui-même, ne recommandait-il pas
déjà cette attitude à ses contemporains ? En effet,
lorsque les Zélotes (secte qui prône l'action et
revendique l'autonomie face à l'occupant romain) veulent occuper la
place temporelle, vacante, de « roi des juifs », JESUS,
témoignant dans l'ordre politique d'une perspicacité
extrême, s'enflamme contre eux leur demandant de « rendre
à CESAR ce qui est à CESAR et à Dieu, ce qui est à
Dieu »126. Par cet acte, il dissocie les ordres
temporel
et théologique. Ce que ses contemporains n'ont pas
compris, car habitués à l'intrication du théologique et du
politique. Voilà pourquoi, dans une atmosphère de fin du monde,
il oppose un autre royaume à l'empire terrestre d'Israël dont il
sait parfaitement qu'il ne reviendra plus. Ce royaume de JESUS est celui de
l'intériorité spirituelle où la souveraineté
appartient à celui qu'Israël nomme le « Roi des rois
».
Le gouvernement civil se rapporte à l'homme et à
des biens en ce monde. L'Eglise se rapporte à l'homme en tant qu'il a
une âme immortelle, susceptible d'un salut futur éternel.
Guidé par sa conception de la liberté de jugement essentielle
à tout être humain, J. LOCKE estime qu'aucun Etat n'a le droit
d'imposer la foi religieuse, et qu'aucune Eglise, définie comme une
association libre et volontaire, ne doit persécuter les adhérents
des autres confessions, ni non plus s'occuper des hommes en tant qu'ils ont des
biens civils à promouvoir et à conserver. Les deux institutions
sont strictement et rigoureusement limitées l'une par rapport à
l'autre. Ces limites sont immobiles et infranchissables. Ceci au nom du droit
de l'homme à la liberté.
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