VI.1.3. Les droits inclusifs
Le chapitre V du T.G.C. s'ouvre sur
l'énumération du premier sous- ensemble des droits fondamentaux,
c'est-à-dire celui que nous nommons «les droits inclusifs». Ce
premier sous-ensemble se fonde sur les Ecritures qui nous
révèle, repetons-le, que Dieu a fait don du monde et de ses biens
aux hommes à titre de propriété commune, selon ce passage
du livre de la Genèse (ci-dessus cité page 62, note
121). Le monde est donc la propriété commune au sens d'un droit
naturel subjectif possédé par tous les hommes. Cette donation
divine inclut la terre, les animaux autrement dit, les espèces
inférieures de la création, nécessaires à la
conservation des hommes134. De cette commune propriété
découle le droit pour chaque homme d'user des biens du monde selon le
décret divin, c'est-à-dire, en vue de la conservation de chaque
homme. C'est un droit d'usage inclusif dévolu à tous les hommes,
afin d'accéder aux conditions matérielles, morales et
intellectuelles nécessaires à la subsistance. Nous pouvons ici
reconnaître, dans ce premier sous- ensemble juridique, le droit à
la nourriture, au travail, au logement, etc. Bref tous les droits qui
permettent à l'homme de vivre, de bien vivre et de lui assurer un
épanouissement digne de son humanité. Ce sont ces droits que les
rédacteurs de la D. U.D.H. ont désignés par
l'expression générique « droits économiques,
sociaux et culturels », détaillés dans ledit document
(articles XXIII-XXVII, voir ci-dessus, pages 53-54). Ils correspondent à
la deuxième génération des droits fondamentaux.
Nous disons que ces droits sont inclusifs parce qu'ils
supposent que nul homme ne peut être exclu de leur exercice, et que
chacun a le droit d'être inclus parmi ceux qui peuvent
légitimement prétendre à l'objet auquel se
réfèrent ces droits. De semblable, nous sommes aussi
fondés à dire que cette propriété commune
originelle, qu'est le monde et ses biens, est inclusive au genre humain dans
son
ensemble. Dans ce sens qu'elle appartient par un privilège
spécial (don de Dieu), à toute la grande famille des hommes.
VI.1.4. Les droits exclusifs
Quant au second sous-ensemble des droits composé de ce
que nous désignons par le terme « droits exclusifs »,
c'est aussi le chapitre V du T.G.C. de LOCKE qui en fournit la
matière et la formulation. Plus haut, nous avons vu que la
propriété commune ou le droit de posséder en commun les
biens du monde par tous les hommes trouve son origine dans la loi naturelle.
Ainsi, cette propriété commune donne à son tour naissance
au droit de posséder privativement (et toujours selon les fins
dictées par la loi de nature), les biens du monde.
Toujours dans ce même chapitre V, LOCKE s'efforce
d'établir pourquoi et à quelles fins les hommes acquièrent
la propriété exclusive sur certaines choses de la nature. Nous
avons vu que cette acquisition est possible dès l'état de nature
avec le travail, elle se poursuit dans la communauté politique où
elle est subordonnée à la fois à la loi naturelle,
à la règle consensuelle et aux artifices institutionnels :
« Ils (les hommes) ont donc institué dans leur rapports
mutuels, par une convention positive, un droit de propriété qui
porte sur des parties et des parcelles distinctes du monde
»135. Avant d'affirmer plus loin :
« Je pense donc qu'il est facile à
présent de concevoir comment le travail a pu donner, dans le
commencement du monde, un droit de propriété sur les choses
communes de la nature ; et comment l'usage que les nécessités de
la vie obligeaient d'en faire, réglait et limitait ce droit là :
en sorte qu'alors il ne pouvait y avoir aucun sujet de dispute par rapport aux
possessions. Le droit et la commodité allaient toujours de pair
»136.
Nous remarquons que pour J. LOCKE, le travail sur l'«
indivis originel » confère à son agent un droit de
propriété exclusive sur les fruits de son effort. A cette
propriété exclusive introduite par le travail, J. LOCKE admet
également que chacun se joint un droit analogue sur son corps, sa
liberté et sa vie. Autrement dit, chaque homme possède des droits
exclusifs sur son corps, sa liberté et sa vie. Ce droit exclusif a la
particularité d'exclure quiconque à user du fruit de mon
travail,
de mon corps, de ma liberté et de ma vie sans mon
consentement préalable. On peut ici reconnaître le droit à
la vie, le droit de disposer librement de sa personne ou l'auto
détermination, le droit au mouvement, le droit à l'expression, le
droit à la liberté, le droit, etc. Les rédacteurs de
la D. U.D.H. verraient dans ce dernier sous- ensemble de droits, la
première génération des droits fondamentaux : les
libertés civiques et politiques qui sont énumérés
dans ledit document par les articles : IV-XXI (ci-dessus page 53).
A ce niveau de notre étude, une remarque s'impose. Chez
J. LOCKE, les deux sous-ensembles de droits, c'est-à-dire, les inclusifs
et les exclusifs souffrent d'un manque de systématisation et de
spécification rigoureuses. Ils sont tous englobés dans des
catégories générales, comme le droit à la
conservation où il y a le droit à la liberté, droit
à la vie, etc. Nous en traiterons plus longuement (ci-dessous pages :
89-9 1). La conclusion qui s'impose pour l'instant, c'est que : J. LOCKE dans
sa théorie de la propriété ou théorie des droits,
ne présente pas encore une systématisation et une
spécification bien ferme des droits subjectifs en cause. Quand il essaie
de le faire, son approche est encore vague et implicite. Cependant, nous lui
reconnaissons le mérite d'avoir perçu et posé l'existence
des droits, qu'il estime non seulement fondamentaux, mais qu'il présente
également comme une obligation à l'humanité. Ces droits
s'enracinent dans la nature de l'homme, ils sont antérieurs à
toute législation positive. C'est dans ce sens qu'il faudra chercher le
lien de cette théorie de la propriété avec la philosophie
contemporaine des droits de l'homme, consécutive à la D.
U.D.H.
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