IX.2.1. L'expérience de l'Orient
La vocation principielle des civilisations de l'Orient,
c'est-à-dire : de l'Egypte et de la Mésopotamie d'une part, et de
l'Inde et de la Chine d'autre part, c'est qu'elles conjuguent harmonieusement
la réflexion sur les sources de l'expérience et de la
méditation sur le tout de la réalité. Autrement dit, dans
l'élucidation des grands mystères de la condition humaine et la
quête du salut. Cette vocation est de nature à présenter
quelque intérêt pour nous, dans le sens que
l'Orient apparaît à la fois comme le laboratoire
et le musée de l'aventure humaine. Autrement dit, d'une manière
de concevoir et de vivre la condition humaine. Il a fait preuve dans les
différents domaines de la pensée philosophique,
esthétique, littéraire, comme aussi dans le domaine des modes
d'organisation de la vie sociale et des diverses techniques de la civilisation
matérielle, d'une originalité puissante. De sorte qu'il n'est pas
une branche de la philosophie et de l'épistémologie ou un domaine
des sciences humaines, telles que nous les concevons aujourd'hui, qui puissent
se dispenser de la manière dont les orientaux ont envisagé leur
problématique.
L'économie de l'Extrême Orient
faite168, nous constatons de façon récurrente que dans
la littérature grecque, il est question de l'Egypte. C'est d'un
séjour de PLATON y relatif, selon le Banquet qu'est né
le Protagoras : un des débats les plus passionnés sur
les rapports entre l'idée de justice, celle de la conscience et de
l'éternité. Cette même Egypte eut également une
influence considérable sur Israël, son voisin de
l'Est169. A l'instar de toutes les autres cultures, les
préceptes relatifs au respect de la personne humaine et aux droits de
l'homme ne sont pas étrangers à son peuple.
C'est à partir du Moyen Empire (2000 av. J.C.),
qu'apparaissent les premiers indices formels relatifs aux droits de l'homme.
Notamment avec le développement du culte d'OSIRIS qui, signifions-le,
présente une valeur indéniable sur le plan éthique. Ce
culte affirme la nécessité de pratiquer la justice pendant la vie
terrestre pour mériter l'au-delà. le Livre des morts
précise cette conception en l'assimilant au jugement du coeur du
défunt, qui tient lieu de déclaration d'innocence : durant ma vie
terrestre « je n 'ai pas porté main sur l'homme de petite
condition, je n 'ai pas fait de mal, je n 'ai pas fait pleurer, je n 'ai pas
tué, je n 'ai pas affamé, etc. ».
Comme nous le voyons, en dénonçant, tout
écart à l'esprit de sainteté,
de fraternité et de solidarité vis-à-vis
du prochain, du faible, de la veuve, de l'orphelin, etc., les Egyptiens
introduisent au coeur de l'histoire un principe de jugement et
d'évaluation. Par-là même, ils montrent le chemin possible
d'un redressement rédempteur. Si bien que le salut annoncé oblige
l'homme à pratiquer la justice préalablement. C'est ici un
message qui censure toute atteinte à la dignité de l'homme et de
DIEU. Cette espérance en l'au-delà contraint l'homme au respect
de son semblable et à ne pas le malmener. En d'autres termes, elle
contraint l'homme à reconnaître dans son semblable, un autre
lui-même qu'il doit soigner. Nous pouvons déjà ici
reconnaître les prémisses de l'énonciation du principe de
la dignité humaine et de tous les mécanismes de sa protection.
Donc, l'Egypte ancienne n'est pas restée en marge du mouvement. Elle a
développé une conception du respect de la personne humaine,
fut-elle certes, pas très bien élaborée. Mais de cette
conception, il est possible de dériver une philosophie des droits
subjectifs.
Cet enseignement de l'Egypte eu un retentissement très
fort en Mésopotamie. Il s'y est mué en goût de la vie
intérieure, du silence, de la retraite, de l'amour du prochain et de la
transcendance à l'issue de ses rencontres successives avec le
judaïsme ancien, la pensée grecque et avec le christianisme.
L'oeuvre de PHILON d'Alexandrie (20 av. J.-C. 50 ap. J.-C.) par exemple,
représente cette synthèse méthodique entre
l'hellénisme, en beaucoup d'aspects débiteur de cette
pensée orientale et la révélation biblique. Elle met en
perspective la condition de l'homme face à l'absolu dont il
procède, face à autrui qu'il doit respecter et soigner, face
à l'histoire et face à la nature que celui-ci ne doit pas adorer,
mais dominer dans le respect et par le travail.
Dans le domaine du droit et de la réflexion morale, les
Babyloniens se sont rapprochés de la spéculation rationnelle. Les
codes juridiques, dont celui d'HAMOURABI, en font foi. Ce dernier
prétend faire régner une justice et un ordre voulus par les
dieux. Mais ce sont les chrétiens qui sont naturellement les plus grands
héritiers de cette sagesse originaire de l'Orient avant que celle-ci ne
devienne le patrimoine culturel commun de tout l'Occident. Certes, l'Orient n'a
pas opéré le passage du mythe à la rationalité.
Donc la philosophie comme discipline rationnelle
y est restée inconnue. Quoi qu'on puisse dire, cela est
une évidence ; mais est-ce là un mobile raisonnable pour l'en
exclure ?
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