II.1.2. Le contrat ou la convention
En même temps que J. LOCKE entend ruiner les
thèses de R. FILMER qui, à l'instar de BOSSUET, s'était
fait le défenseur à la fois, de la monarchie absolue et de
l'identification du pouvoir politique à l'imperium paternale,
en même temps, il expose la théorie du bouleversement
constitutionnel anglais qui a évincée Jacques II
37Idem, Chapitre VIII : Du commencement des
sociétés politiques, §§ : 98-99, pp. 216-217.
STUART, et instituée sous GUILLAUME III d'Orange, un
régime parlementaire. Cette théorie définit un nouveau
type de contrat politique entre la nation et le souverain. Ainsi, bien que
naturellement sociable, l'homme doit au moyen de conventions, construire la
société civile. Cette construction va de pair avec le choix du
régime politique. Elle requiert simultanément un contrat
(compact) et un trust, qui, en mettant fin à l'état
de nature, forment un corps politique entre les hommes. La
caractéristique essentielle de ce corps est de faire prévaloir la
règle majoritaire, à défaut de l'unanimité
impossible au monde des hommes en raison des passions ou carences
psychologiques et morales :
« Car «si le consentement du plus grand
nombre» ne peut raisonnablement être reçu comme un
«acte de tous», et obliger chaque individu à
s'y soumettre, rien autre chose que le consentement de chaque individu ne sera
capable de faire regarder un arrêt et une délibération,
comme un arrêt et une délibération de tout le corps [...]
Car où «le plus grand nombre» ne peut
conclure et obliger le reste à se soumettre à ses décrets
; là on ne saurait se résoudre et exécuter la moindre
chose, là ne saurait se remarquer nul acte, nul mouvement d'un corps ;
et par conséquent, cette espèce de corps de
«société» se dissoudrait d'abord
» 36.
Dans le compact, il ne s'agit pas d'assembler les
individus que la nature a enfermés dans une insularité, telle
qu'ils redoutent devant la présence d'autrui, les conflits et la mort.
Le contrat originaire (originary compact) n'est pas un pacte
d'association. Puisque par nature, les hommes appartiennent à cette
vaste famille qu'est l'humanité, (mankind). Il est plutôt
un pacte de spécification qui détermine à
l'intérieur de la société originaire, des ensembles qui
seront susceptibles de former sous un gouvernement et des lois, une
unité politique37. Dès lors, le passage de la
société naturelle à la société civile dit J.
LOCKE, se produit chaque fois que des hommes en nombre quelconque, entrent en
société civile. C'est-à-dire : dès qu'ils
36Idem, Chapitre VII : De la
société politique ou civile, § 98, pp. 216-217. La
traduction de B. GILSON est plus concise pour illustrer cet aspect de la
pensée de J. LOCKE. Il est possible de lire : « La majorité
a le droit de faire agir le reste et de décider pour lui [...] ; Il faut
que chaque individu accepte le consentement de la majorité comme
l'équivalent rationnel de la décision de l'ensemble et s'y
soumette [...] Quand la majorité ne peut pas décider pour le
reste, les gens ne peuvent pas agir comme un seul corps et cela entraîne
la dissolution immédiate du corps politique », J. LOCKE,
Deuxième traité du gouvernement civil, Vrin, 1985,
§ 98.
38Idem, Chapitre VII : De la
société politique ou civile § 89, p. 208.
39Idem, Chapitre XIX : De la dissolution des gouvernements,
§ 241, p. 325.
constituent dorénavant un même peuple, un corps
politique unique sous un seul gouvernement suprême38.
Ce compact qui assurément exige un accord
(agreement) entre les individus, ne suffit pas encore à la
constitution de la société politique. Il la rend seulement
possible plus tard. Ce qui nous conduit à réaliser que, chez
LOCKE, la communauté politique se forme par deux actes
spécifiques. D'une part, l'originary compact forme par
le consentement unanime des membres, la volonté unique qui sera
confiée au corps politique. Cette volonté s'exprime par le
pouvoir législatif qu'exerce au nom de la majorité, ceux
que la communauté a investis à cette fin. D'autre part, c'est
dans ce second acte, le trust, que réside le ressort essentiel
du politique. C'est-à-dire, que c'est lui qui détermine le
pouvoir d'établir les lois fondamentales, positives et permanentes de
l'Etat (Commonwealth). A travers lui, une mission spéciale est
confiée par le peuple au gouvernement : toujours oeuvrer pour le bien
public.
Le gouvernement, en vertu de la loi de la nature et dans les
limites qu'elle lui impose, est tenu de remplir cette mission39. Les
citoyens, sous peine d'incohérence, sont tenus d'obéir aux lois,
qu'ils ont eux-mêmes contribuées à édicter.
L'originalité de ce contrat est d'être une obligation sans
contrainte, à la fois pour le gouvernement et pour les citoyens. Le
trust est une obligation morale. A travers ce paradigme de
trust, les hommes libres sont en train de transformer, par leur
consentement, la forme de leur liberté, ce qui revient au même, la
forme de leurs droits. Comme nous le voyons, pour la première fois dans
l'histoire des hommes et des idées, un libéralisme politique est
défini. Dans cette définition, le consentement des individus
à la vie civile prend une force en consacrant l'idée du droit
à la propriété et à la liberté. C'est cette
force qui joua en faveur des révolutionnaires orangistes contre Jacques
II STUART en 1688/89. C'est encore elle qui influença les
révolutionnaires sécessionnistes américains de 1776. Elle
n'a pas laissé indifférents les constituants français de
1789.
40MONTESQUIEU en souligne gravement le vertige
sémantique : De l'Esprit des lois, T. I, GF-Flammarion, 1993,
Livre XI, Chap. 2 & 3 : « La liberté est le droit de faire tout
ce que les lois permettent ».
Le contrat social provoque, selon J. LOCKE, la
métamorphose de la liberté qui n'est plus une liberté
selon la nature, mais une liberté selon la loi40. Le droit
naturel à la liberté est désormais garanti par une
constitution. Il tire sa réalité juridique du contrat qui
définit la mission du gouvernement. L'optimisme libéral est
là tout entier et la légitimité n'est plus à
chercher du côté du pouvoir du monarque. Son principe
réside dans la volonté des individus membres de la
communauté politique.
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