Deuxième partie
AIRES PROTEGEES EN AFRIQUE DE L'EST: TERRITOIRES
PROTEGES, TERRITOIRES CONVOITES
Lors de l'époque des indépendances en Afrique
orientale, les populations victimes de la politique coloniale de conservation
croyaient avoir trouvé une grosse occasion de récupérer
leurs anciens territoires ou du moins de bénéficier un certain
nombre d'avantages à l'intérieur des espaces
protégés. Mais comme nous allons le voir dans les paragraphes
suivants, la période d'après les indépendances aura
été plus difficile que la précédente.
Chapitre I
LE DEVELOPPEMENT DE LA CONSERVATION DANS LES ETATS
NOUVELLEMENT INDEPENDANTS: L'HERITAGE COLONIAL BIEN ASSUME
Le passage du pouvoir entre l'administration coloniale belge
ou britannique aux nouvelles autorités des Etats indépendants de
l'Afrique de l'Est n'a rien changé en faveur des populations locales.
Par contre, l'héritage colonial a été bien assumé
soit en renforçant des mesures de protection laissées par les
colonisateurs, soit en créant de nouvelles aires protégées
au détriment de ces populations. C'est ce qu'affirme d'ailleurs E. Fall
( repris par
G. Sournia, op. cit.) en ces mots: « L 'Etat post-
colonial a simplement hérité des attributs du pouvoir
précédent. Les populations continuent à le percevoir comme
elles percevaient hier la puissance coloniale. »
Ce qu'il faut constater, comme nous allons le voir, c'est que
la mise en oeuvre de ces nouvelles mesures de conservation est
différente selon les politiques environnementales de chaque Etat
indépendant et surtout de celles de leurs anciens maîtres.
1.1 Le renforcement de la législation en
matière de conservation: le cas du Rwanda et du Burundi
Au regard de leurs superficies nationales très petites,
26.336Km2 et 27.834 Km2, respectivement pour le Rwanda et
le Burundi, et surtout de leurs densités moyennes de populations ( 230
habitants/Km2 en 1995 pour le Burundi et 307 en 1997 pour le Rwanda)
qui étaient déjà considérées comme
élevées au début des années 60, on aurait dû
penser que les autorités de deux Etats nouvellement indépendants
auraient pu envisager la suppression de toutes les aires
protégées créées par les colonisateurs en vue
d'installer les populations en quête de nouvelles terres. Par contre,
elles ont procédé au renforcement des mesures de leur
protection.
1.1.1 Juin 1973: date de création de l'Office
Rwandais du Tourisme et des Parcs Nationaux (ORTPN)
Avec l'avènement de l'indépendance rwandaise,
les acteurs locaux, espéraient enfin obtenir l'accès libre aux
forêts. Cependant, ils furent surpris par l'acte honteux d'expulsion des
Batwa dans les réserves forestières de Gishwati et de Nyungwe
où ils ont pourtant vécu pendant de milliers d'années.
Dès lors, leur situation se dégrada à tel point que le
décideur de cet acte lui-même, le Président de la
République à cette époque, en fut ému (Mbuzehose,
J.B., 1999).
En effet, il est clair que cette expulsion des Batwa
forestiers coïncide bien avec le succès de la théorie de la
« Tragédie des communaux » (The Tragedy of the
Commons) dans tous les milieux politiques et centres des bailleurs de fonds
comme nous l'avons vu dans les paragraphes précédents. Il
s'ensuit que voulant sans doute des fonds nécessaires pour la mise en
oeuvre de leur plan de développement, les autorités rwandaises
avaient répondu favorablement aux exigences des bailleurs de fonds tout
en négligeant sciemment de considérer la pertinence du mode de
vie des acteurs locaux. De ce fait, ce n'est pas surprenant de constater que la
loi du 26 avril 1974 abonde dans le sens du lobby international au
détriment des Batwa. Ainsi, la décision en
matière de gestion de l'environnement fut prise sous l'influence de
l'extérieur.
D'ailleurs, les articles 31, 42, 55 (voir annexe
n° 3) de ce décret-loi en expliquent davantage
puisqu'ils confèrent à l'Office Rwandais du Tourisme et des Parcs
Nationaux (O.R.T.P.N.) le droit d'interdiction de la chasse sur toute
l'étendue du territoire de la République Rwandaise. Ce qui
signifie que les Batwa forestiers sont devenus des victimes d'une logique
mondialiste là où les intérêts de l'Etat et ceux des
ONG de protection de la nature écrasent ceux des populations locales.
Pour ce qui est de la domination de l'Etat, il convient de
signaler que les zones des marges constituent un enjeu économique de
taille dans ce sens que plusieurs acteurs publics ont été
autorisés à valoriser ces régions grâce à
l'exploitation forestière. Le cas de la forêt naturelle de
Gishwati constitue un cas d'école depuis les années 1970. En
premier lieu, une grande partie de cette forêt a été
attribuée à l'O.R.T.P.N. et transformée en zones
touristiques. Grâce à ses projets touristiques, toute la faune, la
flore ainsi que les produits dérivés sont devenus
propriétés et patrimoine de l'Etat. En second lieu, le reste de
la forêt fut officiellement réservé, d'abord, pour
l'extension des zones de culture de rente de l'Office des Cultures
Industrielles au Rwanda (O.C.I.R.) et ses projets d'installation d'usines
à thé, par exemple les usines à thé de Rubaya et de
Nyabihu au Nord-Ouest en Préfecture de Gisenyi; puis, d'autres
activités du Ministère de l'agriculture, notamment les projets de
valorisation du bois dans les scieries de Kamatsira et de Wisumo. Enfin, le
défrichement de la forêt effectué à travers le
projet agro-sylvo-pastoral dans les régions de Giswati-Butare-Kigali
(G.B.K.) pour la mise en oeuvre de son programme de réserve naturelle
intégrale (tourisme), de reboisement, de « pâturages
coopératifs » et des zones de production de pommes de
terre.
En définitive, on peut dire qu'avec la mise en vigueur
de la loi du 26 Avril 1974 relative aux parcs nationaux et réserves
forestières, les intérêts de survie des Batwa
entrèrent en collision avec les intérêts économiques
de l'Etat. De là, la confiscation de la forêt, qui constitue un
acte officiel de légitimation de l'O.R.T.P.N., a acculé les
acteurs forestiers locaux dans une situation de double contrainte et de
risques. D'un coté, les Batwa sont implicitement contraints à
briser les règles formelles en pratiquant leurs activités
forestières pour survivre; et de l'autre côté, ils sont
contraints à respecter les lois forestières de l'O.R.T.P.N. mais
en acceptant de mourir de faim (Mbuzehose J.B., 1995).
En dehors de ces enjeux, le Rwanda a, depuis la
création de l'ORTPN, fourni des efforts appréciables de
valorisation des ressources touristiques. Les principales d'entre elles comme
le Parc National de l'Akagera, celui des Volcans, la forêt de Nyungwe
(devenue Parc National en avril 2001), les forêts de Gishwati et Bigogwe,
ont été aménagées pour attirer le plus grand nombre
de touristes. En outre, le pays s'est doté d'une infrastructure
d'hébergement qui totalisait 1370 lits fin 1988 dont 51% dans la seule
ville de Kigali (Nduwayezu J.D., 1990). Dans la même année, un
réseau routier permettait d'atteindre aisément depuis Kigali les
sites touristiques majeurs du pays.
Selon toujours J. D. Nduwayezu (idem), les recettes en droit
d'entrée dans les parcs nationaux s'élevaient à 93,2
millions francs rwandais en 1987 contre les dépenses de 49,5 millions
francs. Mais, si l'on soustraie la consommation interne, la valeur
ajoutée du tourisme représentait, à la même
époque, 0,5 % du PNB, ce qui était faible par rapport à la
situation des pays africains à vocation touristique ( Kenya 24%, Maroc
7%, Sénégal 4%).
Cependant, malgré ce succès dans le domaine
touristique des années 70 et 80, les espaces protégés du
Rwanda connaissaient beaucoup de menaces liées en général
à la pression démographique que connaît le pays depuis les
années 1950. En effet, la densité physiologique qui, en 1950,
était de 104 habitants/km2, est passée à 367 en
1988 (Nduwayezu J.D., op. cit.), ce qui a provoqué, au cours de cet
intervalle, un grignotage de certaines parties des aires
protégées du pays.
De 1990 à nos jours, les menaces de ce genre sont d'une
grande ampleur suite aux événements politico-sociaux qui se sont
succédés; il faut citer d'abord l'attaque du Front Patriotique
Rwandais (F.P.R) contre le gouvernement de Kigali au mois d'octobre 1990;
ensuite il faut penser au lancement du multipartisme au mois de Juin 1991, une
période qui a marqué le début des menaces de grande
envergure sur les superficies des aires protégées étant
donné que les militants de l'opposition se sentaient capables de violer
toute loi élaborée par le pouvoir en place. Enfin, la
période la plus difficile a commencé juste au lendemain du
Génocide rwandais d'avril-juillet 1994, au moment où un
laisser-aller assez généralisé a eu des
conséquences graves sur la quasi-totalité des aires
protégées du pays.
A l'heure actuelle, malgré quelques infiltrations
sporadiques localisées dans le Parc National des Birunga, au Nord-Ouest,
et dans le Parc National de Nyungwe (l'ex-Forêt Naturelle du même
nom), sans oublier bien sûr les 2/3 et la quasi-totalité des
superficies amputées, respectivement du Parc National de l'Akagera et de
la Forêt naturelle de Gishwati, le reste des aires
protégées du pays est bien contrôlé et les mesures
de protection très renforcées.
Tableau n° II: Situation actuelle des aires
protégées au Rwanda
Désignation
|
Superficie en Ha
|
Localisation
|
Objectif
|
Parc National de Nyungwe
|
97000
|
Sud-Ouest
|
Parc touristique
|
Forêt de Gishwati
|
2000
|
Nord-Ouest
|
Réserve forestière
|
Forêt de Mukura
|
2000
|
Ouest
|
Réserve forestière
|
Parc National de l'Akagera
|
90000
|
Est
|
Parc touristique
|
Parc National des Birunga
|
15000
|
Nord-Ouest
|
Parc touristique
|
TOTAL
|
206.000
|
|
|
Source: Nduwayezu J.D (1990); Imbs F.(1997), Nos
estimations
D'après ce tableau, on constate que la superficie totale
des aires protégées du pays est réduite de moitié,
206.000 ha en 2002 contre 402.000 ha en janvier 1994, ce qui pousse les
associations de protection de la nature à s'investir davantage dans le
pays afin que ces mesures soient rigoureusement respectées. Notons que
c'est grâce à leur pressing que les éleveurs du gros
bétail avaient quitté le Parc National de l'Akagera entre 1998 et
l'an 2000 et que le nom de ce dernier apparaît encore sur la carte
rwandaise.
Carte n° 5: Situation actuelle des aires
protégées au Rwanda
Tableau n°III: Les partenaires en
coopération avec les principaux parcs nationaux du Rwanda
Nom du parc
|
Partenaire en coopération
|
Parc National de l'Akagera
|
-Deutsche Gelleschaft Fur Technische
Zusammenarseit (G.T.Z.)
-World Wildlife Fund for nature
(W.W.F.)
- Coopération belge
|
Parc National des Volcans
|
- African Wildlife Cooperation (A.W.F) - W.W.F
- Fauna and Flora Preservation Society (F.F.P. S)
- United States Agency for the International Development (USAID)
- Dian Fossey Gorilla Fund
|
Parc National de Nyungwe
|
- Coopération suisse
- Banque Mondiale
- Union mondiale de la Nature (UICN) -
W.W.F.
- New York Zoological Society
- USAID
- Wildlife Conservation International (WCI)
|
Source: -Twarabemenye E.; Karibana, M. (op.
cit.) - Sournia G. (op. cit.)
A travers ce tableau, on constate que le Parc National des
Volcans et celui de Nyungwe ont plus de partenaires que celui de l'Akagera
suite sans doute aux intérêts scientifiques que
représentent les deux parcs. En effet, le premier abrite les derniers
spécimens des Gorilles des montagnes, tandis que l'autre est
considérée comme la plus vaste forêt primaire d'altitude de
toute l'Afrique.
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