1.2 L'émergence des politiques
différentes en Afrique orientale ex-anglaise
A l'instar de beaucoup d'autres fonctionnements politiques et
sociaux de l'Afrique orientale ex-anglaise, la politique de conservation est
aussi profondément marquée par le leg colonial et elle s'est
élaborée en continuité avec cet héritage.
Tout commence assez vite au lendemain de l'indépendance
de trois Etats au moment où les Britanniques parvenaient à
redynamiser leur Communauté Economique Est-africaine faute de pouvoir
créer, en raison des protestations africaines, une
fédération politique qu'auraient voulu dominer les Anglais du
Kenya. Il est normal que grâce à celle-ci, la machine anglaise
continuait à marcher sans beaucoup de difficultés.
Cependant, ce poids des Anglais ne sera malheureusement que de
courte durée car, au début des années 70, on verra monter
l'influence des partis nationalistes, et surtout les divergences politiques
entre le Kenya libéral, la Tanzanie socialiste, plus orientée
vers la ligne de front australe contre l'Apartheid, et l'Ouganda en
proie à l'anarchie depuis la venue au pouvoir du dictateur Idi Amin
Dada; ce qui a entraîné la disparition de la communauté en
1977 et par voie de conséquence de la quasi-disparition de l'influence
anglaise sur certains Etats. Mais parallèlement à ce changement
politique, l'influence environnementale liée à la théorie
de la tragédie des communaux gagnaient de plus en plus le terrain.
1.2.1 Opposition entre la politique libérale kenyane
et le socialisme tanzanien
Si de sérieuses oppositions caractérisent les
politiques kenyanes et tanzaniennes de conservation dès le début
des années 70 suite aux idéologies politiques assez
différentes, il faut noter cependant que l'héritage colonial
caractérisé par la création des aires
protégées en excluant les populations autochtones a
été bien assumé dans les deux pays. Signalons en effet que
cette opposition résidait à la volonté de Nyerere de
centrer le développement sur la paysannerie tanzanienne tout en se
débarrassant de toute ingérence idéologique de l'occident,
alors que les autorités kenyanes, elles, avaient ouvert leur
développement vers l'économie de marché, ce qui signifie
qu'elles pouvaient bénéficier des investissements de
l'occident.
Coté kenyan, la politique de conservation au lendemain
de l'indépendance a été caractérisée par le
durcissement des projets d'exclusion des peuples Maasai suite aux
différentes décisions prises par le gouvernement kenyan au
détriment de leurs droits fonciers. Ceci commence dans les années
1970 (et même avant) au moment où l'Etat décida
d'étendre les parcs nationaux d'une part, puis de créer des
proriétés privées sous forme de « group
ranches » sur les zones de parcours de Maasai d'autre part.
Cette réforme foncière a permis au gouvernement
en place de définir en sa faveur une gestion des espaces
protégés du pays tout en excluant les populations locales. Ceci
parce que dans la nouvelle loi (en rapport avec la mise en place des
Group-Ranches) « on ne mentionnait nulle part la relation qui devait
unir les pasteurs, les animaux sauvages et les zones protégées.
» (Péron X., 1995) Ce qui voulait dire que les autochtones
étaient déjà exclus de ces terres nouvellement
conservées. En plus, en ce qui concerne les rapports
rédigés sur la mise en place de ces Group-Ranches, les experts
nationaux1 insistaient, eux aussi, sur la nécessité de
généraliser le concept de parc national en réclamant
même leur agrandissement au détriment des populations locales.
C'est ainsi que la mise en pratique de cette loi des Group-Ranches
entraîna la nouvelle expulsion des Maasai autour de la Réserve de
Maasai- Mara, ce qui a permis dans la suite d'agrandir sa superficie.
Dans le même ordre d'idées et en vue d'affaiblir
leur résistance, la réserve d'Amboseli est devenue parc national
en 1977. Il faut noter que d'autres espaces protégés avaient
été créés dans des circonstances similaires
à l'instar de « Ruma National Park » en1966, le
« Lake Nakuru National Park » en 1970, et
dernièrement en 1995 le « Longonot national Park »
(Dufour, C., 2001).
Aujourd'hui, les aires protégées kenyanes sont
divisées en trois parties: d'abord les Parcs Nationaux (
réservés au seul usage touristique) qui couvrent 25.624
km2 dont 21.000
1 A majorité d'ethnie Kikuyu au pouvoir et qui
s'opposaient à la vie pastorale des Maasai
Carte n° 6: Parcs et réserves du
Kenya
km2 pour le seul Parc National de Tsavo (Est et
Ouest); ensuite les Réserves Nationales (National Reserves), espaces
pouvant faire objet d'une exploitation par l'homme à condition qu'elle
ne mette pas en péril l'équilibre écologique. Elles
couvrent 17.221km2 de la superficie nationale. Enfin, les
Réserves de la biosphère (Biosphere Reserve), qui s'appliquent
à 7.965 km2 de la superficie nationale incluant parfois parc
ou réserve. Il s'agit en général des sites à grand
intérêt scientifique placés sous l'égide de
l'UNESCO.
Tous statuts confondus, ces espaces couvrent 44.359
km2, soit 7,6 % de la superficie totale du pays (Grignon, F. et
Prunier G., op. cit.). Ils sont sous le contrôle du Ministère
ayant l'Environnement et les Ressources Naturelles dans ses attributions et
sont gérés soit par le « Kenya Wildlife Service:
KWS », un organisme para-étatique semi-autonome
créé en 1989 et qui s'occupe de tout ce qui est parc national
plus quelques réserves, soit par les « Conseils
Régionaux (County Council) » pour la plupart des
réserves. Il faut noter que le KWS est surveillé de près
par une multitude d'associations de protection de la nature, comme le W.W.F.,
l'UICN et autres, qui ont en général leur bureau régional
à Nairobi.
Cependant, malgré ce potentiel touristique
énorme, certains analystes font constater que la « manne
» que procure le tourisme du pays est mal répartie entre les
différents acteurs de la conservation. En effet, les
bénéfices de cette activité ne sont pas bien
utilisés « comme en témoignent l'état des pistes
à l'intérieur des zones protégées ou bien la
difficile survie des communautés vivant en bordure des sanctuaires.
» (Dufour C., op. cit.) C'est ainsi que la politique de gestion de ces
espaces a pris une autre orientation, depuis 1993, en se dirigeant, comme nous
le verrons dans les chapitres suivants, vers les intérêts du
développement local.
Comme nous l'avons déjà expliqué, cette
politique de protection de la nature au détriment des
intérêts de la population locale constitue pour le gouvernement
kenyan un enjeu qui est à la fois économique et politique. D'une
part l'entrée des devises dans la caisse de l'Etat lui permet de
résoudre certains problèmes financiers qui ne manquent pas dans
les pays du Sud, et d'autre part, le contrôle de l'espace habité
par les Maasai en créant les espaces protégés est une
bonne stratégie car il permet de diminuer le nombre de leur
bétail et par voie de conséquence de réduire à
néant leur principale source de résistance.
En ce qui concerne la politique post-coloniale de protection
de la nature en Tanzanie, il faut dire que le gouvernement de Julius Nyerere,
qui avait affiché au début un programme anticonservationniste
dans le pays, a finalement bien suivi la politique laissée par les
Britanniques, « se montrant même, à bien des
égards plus royaliste que le roi, moins par démagogie qu'au nom
des chiffres: la Tanzanie est une nation pauvre et l'indépendance
politique et économique souhaitée par le Président passe
par la rentabilisation des rares atouts qu'elle possède; on attend du
tourisme qu'il finance le développement. » Baroin C.;
Constantin F., op. cit.)
Pour mettre en pratique ce programme et afin surtout
d'éviter que la gestion des zones protégées soit aux mains
des seuls étrangers, à la différence du Kenya voisin, le
nouveau gouvernement a créé un collège de formation
spécialisée dans la conservation. Construit à Mweka, au
pied du Kilimandjaro, toit de l'Afrique et symbole de l'indépendance
tanzanienne « Uhuru », ce collège est devenu
désormais l'un des fers de lance de l'industrie touristique du pays.
créées durant l'époque coloniale. C'est
notamment la création des Parcs de Ruala et Mikumi en 1964, le Parc de
Gombe en 1968, celui de Tarangire en1 971, les Parcs de Kilimandjaro et de
Katavi respectivement en 1973 et en 1974 ou tout simplement le Parc national
d'Arusha créé sur des terres qui appartenaient depuis plusieurs
années aux communautés blanches avant l'indépendance.
Parallèlement, de nouvelles réserves de chasse sont
établies, comme la Réserve de Maswa au Sud-Ouest du grand
Serengeti, ou les réserves de Rungwa et de Kisigo en bordure du parc de
Rwaha, etc.
Pour ce qui est de la situation des Maasai, il faut dire
qu'elle n'est pas bonne parce que la perte de leurs territoires de parcours va
en s'aggravant, « avec d'abord la transformation de la réserve
de chasse de Tarangire en parc, puis en 1974, au sein du site de Ngorongoro
avec l'interdiction d'utiliser pâturages, salines et points d'eau dans
les cratères de Ngorongoro, d'Empakai, et d'Olmoti. » (Baroin
C. et Constantin F., op. cit.) A partir de là, le calvaire des Maasai
s'enchaîne puisqu'ils ont été contraints d'aller exploiter
des terres hostiles à leur activité pastorale ou de se contenter
de leurs petites parcelles situées au bord des aires
protégées.
En peu de mots, les autorités tanzaniennes ont tout
fait pour que les Maasai s'éloignent de bonnes terres du pays car leur
activité est en opposition au principal objectif du Président
Julius Nyerere, à savoir « centrer le développement du
pays » sur les activités agricoles et non sur l'élevage
traditionnel comme celui des Maasai, jugé par les autorités
tanzaniennes comme improductif. En vue d'écarter ces populations, le
gouvernement tanzanien a mis en place dès 1975 une politique de
création des villages permanents « livestock
development villages », ce qui a permis de privatiser toutes les
terres qui appartenaient aux Maasai en les transformant en group-ranches.
Face à cette nouvelle problématique, les
spécialistes de la conservation dans le pays affirment que cette
politique des autorités tanzaniennes est totalement différente de
celle de leurs anciens maîtres. En effet, « alors que les
Anglais avaient toléré la présence des pasteurs dans les
sanctuaires tant qu'ils demeuraient en leur état de '' sauvagerie
primitive'', comme survivance remarquable des temps
édéniques. », les nouvelles autorités
tanzaniennes ont, quant à elles, un projet de les «
civiliser » afin d'éviter qu'ils présentent aux
yeux des étrangers une mauvaise image d'un pays pauvre. Ce qui n'est pas
le cas au Kenya voisin, là où la civilisation des peuples Maasai
est une idée qui remonte du temps de la colonisation.
A l'heure actuelle, on remarque que le gouvernement tanzanien
commence à prendre au sérieux le problème des Maasai. En
effet, depuis les années 80, les projets d'expropriation
nécessitent désormais des compensations financières. En
outre, l'analyse de ce problème à l'échelle internationale
commence à attirer l'attention de beaucoup d'acteurs nationaux et
internationaux, d'où quelques tentatives des projets de conservation qui
font appel à la participation de ces populations longtemps exclues de
leurs terres ancestrales.
Tout en ignorant les problèmes de manque de terres de
la population expulsée lors de la création des aires
protégées, à majorité d'ethnie Maasai, la Tanzanie
compte aujourd'hui 39 espaces protégés, toutes catégories
confondues, soit 14,6% de la superficie nationale (World Bank, 2001) La gestion
de ces espaces et de la faune est centralisée au Secrétariat
d'Etat de la vie sauvage (Wildlife Division, Ministry of Lands, Natural
Ressources and Tourism) dont dépendent le TANAPA ( Tanzania National
Parks) qui gère plus spécialement les parcs et la NCAA(
Ngorongoro Conservation Area Authority) qui gère le site
protégé de Ngorongoro.
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