2.2.2.2 Famine et misère liées à la
dépossession territoriale: cas des Iks du Nord de l'Ouganda
Comme nous l'avons vu précédemment le peuple
« Iks » est un petit groupe de chasseurs isolés dans
les hautes terres du Nord-Est de l'Ouganda, entre la chaîne de montagne
qui sépare ce pays du Kenya et le Mont Murungolé sur le flanc
oriental duquel se trouve le parc national de Kidepo où ils ont
été chassés par l'administration coloniale anglaise dans
les années 60 (Turnbull C, op. cit. ; Tamisier J C, op. cit.).
Avant leur expulsion, la vallée de Kidepo (au pied du
Morungolé), était leur principal territoire de chasse et de
cueillette, s'étendant sur quelques centaines de Km2 et
presque entièrement enclos par Morungolé au Sud et à
l'Est, les montagnes Didanga au Nord et les montagnes Niangéa à
l'Ouest. C. Turnbull (idem) précise que ces populations sont les
meilleurs conservateurs sachant exactement ce qu'ils peuvent consommer,
où, et à quel moment. Selon le même auteur, le chasseur
« Ik » pense peu au lendemain car il est toujours
assuré de trouver sa subsistance au jour le jour dans un territoire
qu'il connaît mieux que personne, et qu'il n'essaie pas de dominer. Pour
cette société, rappelons-le, le fait de tuer est toujours
considéré comme un crime, comme une sorte de péché
contre la loi de Dieu et ils ne le font qu'après avoir effectué
de longues distances de migrations afin que les troupeaux d'animaux puissent se
reconstituer.
Tout cela explique que l'environnement est invariablement
l'élément central qui lie les individus les uns aux autres au
sein de cette société, ce qui leur donne un sentiment
d'identité commune; c'est donc le pivot autour duquel tourne la vie de
tous. Ceci est vrai dans le sens que l'environnement fournit ce qui est
nécessaire pour ce peuple: nourriture, abri, vêtements; et
souvent, on lui attribue une espèce d'existence spirituelle.
Malheureusement cette harmonie n'a pas trop duré parce que
depuis 1962, à la veille
de l'indépendance ougandaise, les Iks se sont vus
privés de leur territoire d'approvisionnement en gibier, la
vallée de Kidepo, par la décision de création du parc
national qui porte le même nom. Dès lors, ils ont
été transformés en agriculteurs sédentaires mais
l'adaptation à ce nouveau mode de vie, dans un environnement de
sécheresses fréquentes, a été extrêmement
très précaire.
Cette déconnexion du milieu de vie a eu bien sûr
des conséquences graves sur l'organisation de la société
Iks parce que cette vallée était en même temps un
territoire où ils pouvaient trouver facilement de quoi manger mais aussi
celui sur lequel ils avaient construit leurs huttes, d'où
l'arrivée de la famine au sein de toute la société, de
telle sorte qu'en 1964, l'année où l'ethnologue anglais Colin
Turnbull les rencontra, ladite société lui paraissait en pleine
décomposition.
Dans son célèbre ouvrage «The mountain
People », publié en 1972 (traduit en français en 1987),
les Iks sont décrits « comme un peuple sans sentiments ni liens
sociaux, chez qui l'individualisme et la cruauté gratuite se sont
d'abord imposés comme moyen de survivre à la famille, puis sont
devenus un mode d'être habituel. »
Chez les Iks toujours, les enfants volent la nourriture jusque
dans la bouche de leurs vieux parents, et pire encore, les mères se
réjouissent de ce que leur enfant tombe entre les griffes d'un
léopard ! Tout ceci montre que cette société vivait (ou
vit) une situation matérielle, alimentaire et culturelle
exceptionnellement pénible.
Au regard de cette situation inexplicable, les
réactions de la part des Iks n'étaient pas nombreuses, sauf
quelques actions de braconnage, parce que le Parc de Kidepo était sous
la surveillance policière. Mais ce qui est sûr c'est que ce peuple
était mécontent de ce qui s'est passé, la preuve est la
photo prise par C. Turnbull selon laquelle un groupe d'hommes est assis
ensemble entrain de regarder leur ancien territoire, devenu parc national, et
selon l'auteur, ils se demandaient si réellement les animaux devaient
être préservés alors qu'il y a des hommes qui mouraient de
faim. Mais concrètement il faut penser aux différentes
réactions traduites par les actes de braconnage qu'ils opéraient
sur leur ancien territoire même si cela était en
général l'affaire des responsables du parc. Au fait, il
semblerait que les policiers sympathisaient assez souvent avec les Iks et
qu'ils leur arrivaient de profiter de leur braconnage comme c'est le cas dans
la plupart des espaces protégés de l'Afrique orientale.
Après l'étude de Colin Turnbull, il y a plus de
trente ans, la communauté internationale commence à
s'intéresser à leur mode de vie et surtout à leurs
problèmes de survie. C'est dans ce cadre qu'un projet de
biodiversité transfrontalier (financé par le PNUD) tente
aujourd'hui de les associer à certains travaux de gestion des
réserves forestières de la région. Un geste à louer
parce ce projet prévoit d'entamer quelques contrats sociaux que pourront
bénéficier ces populations (écoles, eau potable, etc.).
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