Troisième partie
L'AVENIR DES AIRES PROTEGEES EN AFRIQUE ORIENTALE: VERS
UNE POLITIQUE DE CONSERVATION COHERENTE
Depuis la création des parcs et réserves en
Afrique orientale au début du 20ème siècle, la
politique coloniale et post-coloniale dans ce domaine a été
caractérisée par le rejet de la société pour deux
principales raisons: d'une part c'est l'expulsion des populations locales qui
accompagne leur création, et d'autre part c'est que les
bénéfices que procure le tourisme n'atteignent pas ces
populations comme en témoigne la difficile survie des communautés
vivant en bordure de ces espaces.
Face à ce problème, les solutions
récentes convergent sur un même point: « trouver le moyen
de préserver la nature tout en s'assurant que cette dernière
contribue au bien-être des populations locales. » Nous allons
donc nous attacher dans cette partie à faire le point sur l'état
d'avancement et les réformes à faire afin que les aires
protégées de l'Afrique orientale puissent être à la
base du développement local.
Chapitre I
LA NOUVELLE POLITIQUE DE CONSERVATION COMME ELEMENT DE
L'EVOLUTION SOCIALE
Après plus d'un demi-siècle d'une politique
répressive au détriment des populations locales, les
professionnels de la conservation ont finalement pris conscience qu'une
meilleure politique dans ce domaine serait celle qui s'adapte à une
société en pleine évolution, c'est-àdire une
politique qui veille au respect des besoins et des droits des populations
vivant à l'intérieur ou aux alentours des aires
protégées. Bref, elle doit essayer de faire correspondre les
objectifs de conservation à ceux de développement de la
société.
1.1. Les principales approches de l'évolution de
la politique de Conservation
Pour passer de l'ancienne gestion des parcs et réserves
(inspirée en premier lieu par les concepts de l'écologie
classique) à la forme actuelle de gestion de ces espaces, nous allons
voir comment les conservationnistes se sont appuyés sur les sciences
sociales, y compris la géographie, en vue de faire entrer la «
valeur humaine » dans la nouvelle politique de conservation.
1.1.1 De l'écologie classique à la
considération de la valeur humaine
Depuis plusieurs années, l' «
écologie » a été considérée
comme une science qui pouvait justifier les principes occidentaux de «
séparation conceptuelle ancienne entre l'homme et la nature, entre
la civilisation et la nature à l'état sauvage. »
(Colchester M. (1996) A cette époque, les occidentaux
considéraient la nature sauvage comme un lieu habité par les
mauvais esprits et dont la conquête saisonnière (à travers
la chasse) était seule activité qui pouvait s'y faire. En dehors
de la chasse, cette nature sauvage était interdite à toute autre
activité humaine.
En s'inspirant de cette logique liée à la
culture occidentale traditionnelle, les scientifiques (surtout les
écologistes) d'alors ont constaté que « la meilleure
façon de protéger la nature consistait à séparer
encore plus nettement l'homme de la nature et donc de créer les espaces
naturels à l'état sauvage », un principe qui allait
totalement à l'encontre des intérêts des populations
locales puisque l'angle sous lequel ces écologistes envisagent la nature
faisait allusion à leur expulsion. Les exemples sont nombreux mais celui
de l'expulsion des Indiens Shoshone, Crow et Brackfoot, lors de la
création de Yellowstone, est le plus significatif car il marque le
début de l'élaboration des lois qui devaient dans la suite
définir les caractéristiques essentielles du premier parc moderne
au monde.
Depuis lors, la notion de « parc national »
s'est étendue dans tous les continents et, avec elle, le principe
préalable selon lequel, « pour être conservée, la
nature doit être écartée des actions de l'homme.
» Dans un document publié dans les années 1960 lors du
2ème congrès mondial des parcs nationaux, l'UICN
abondera dans le même sens en définissant un parc national comme
« une zone relativement étendue, où un ou plusieurs
écosystèmes n'ont pas
été sensiblement altérés par
l'exploitation de l'occupation humaine; où les espèces
végétales et animales, les sites géomorphologiques et les
habitats présentent un intérêt spécial du point de
vue de la science, de l'enseignement ou de la recréation; ou bien
où il existe un paysage de grande beauté. » (Colchester
M., 1994)
Pour faire respecter ces nouvelles règles, l'UICN a
fait appel aux plus hautes autorités des pays du Sud à adopter
des mesures visant à prévenir et à éliminer le plus
rapidement possible l'exploitation et l'occupation humaines et à imposer
le respect des caractéristiques écologiques et autres qui
déterminent une zone protégée. Ce qui a été
vite fait (ou refait) puisque grâce à des campagnes menées
par les associations de protection de la nature ou leurs interlocuteurs,
plusieurs lois ont été votées à l'encontre, non
seulement de la conception de la nature qu'ont bon nombre de populations
autochtones, mais aussi à l'encontre du droit international par exemple
les conventions 107 et 169 de l'Organisation Internationale du Travail.
Ces deux conventions stipulent en effet que les populations
autochtones ont des droits reconnus tels que le « droit à la
propriété collective de leurs terres ancestrales; à
l'aménagement de leurs ressources naturelles sur leurs territoires,
à l'exercice de leurs droits coutumiers et à être
représentés par leurs propres institutions. » En outre,
ces deux conventions ajoutent que ces populations ne peuvent pas être
expulsées de leurs terres sauf dans des situations convaincantes.
Là aussi, elles précisent que les concernés doivent
être indemnisés en terres pour la perte de leurs territoires.
Cependant, il a été constaté que ces droits ont
été sérieusement négligés et violés
par les projets de protection de la nature et mis en oeuvre par les Etats
indépendants. Rappelons que ces derniers cèdent facilement, par
le biais de l'aide financière, aux pressions des conservationnistes, ce
qui a comme conséquence le refus systématique des droits fonciers
des peuples autochtones.
En Afrique de l'Est, il faut rappeler que deux cas de ce genre
de choses se sont produits, et restent des références de ce qui
se passe (ou s'est passé) dans cette région. Le premier concerne
l'expulsion des éleveurs autochtones Maasai dans le Parc national de
Serengeti, l'oeuvre du professeur Bernard Garzimek qui a réussi à
convaincre l'opinion internationale afin que cette dernière fasse
pression au gouvernement tanzanien. Dans ses déclarations, il affirme
qu'« parc national doit rester à l'état sauvage primitif
pour être efficace. Aucun humain, pas même les populations locales,
ne doit vivre dans ses limites. » Aujourd'hui, cette expulsion a
entraîné de graves difficultés au sein de ces populations
puisque ces derniers ont vu leurs droits d'accès aux ressources
limités.
L'autre exemple est celui du calvaire des Batwa forestiers du
Rwanda qui, en dehors de la loi du 26 avril 1974 relative aux modalités
de leur expulsion dans les zones de marges du pays, ont subi, dès le
début des années 1980, des effets de la campagne menée
contre eux par la naturaliste américaine Dian Fossey dans le Parc
National des Volcans. C'est d'ailleurs ce qu'affirme elle-même dans son
ouvrage paru en 1984: « dans le Parc des Volcans, je découvris
des Batwa... C'était des chasseurs... Ils récoltaient le miel
sauvage. Leurs méfaits devaient avoir par la suite des
répercussions notables sur mes activités. » (Fossey D.,
1984; cité par J.B. Mbuzehose, 1999)
Par la suite, les Batwa furent exclus du parc pour laisser la
liberté à ce chercheur. Après avoir contribué
à la mise hors jeu des usagers locaux de la forêt, D. Fossey ne
s'inquiétait d'ailleurs pas de l'avenir des Batwa qui ont vécu
depuis des milliers d'années et qui étaient poussés dans
la galère à cause des principes de l'écologie classique.
Cependant, il
sied de signaler qu'il existe des autres exemples où
des conservationnistes ou naturalistes sont sympathiques auprès des
populations locales. C'est l'exemple de Jane Goodall de «Fundation
Roots and Shoots » qui organise, de temps en temps, des
journées de reforestation avec les écoliers tanzaniens dans la
Réserve de Gombe en Tanzanie et leur explique l'importance de son
travail et la pertinence de la conservation de la biodiversité (Baroin
C., Constantin F., op. cit.).
Grâce à ces deux exemples, on constate que l'
« approche écologiste classique » a donc tendance
à renforcer les divisions existentes entre les communautés
autochtones et les autorités administratives en aggravant
l'aliénation et les conflits, au lieu d'envisager des solutions
durables. A partir de là, les inconvénients peuvent être
lourds pour la politique de conservation car la résistance des
populations locales aux espaces protégés imposés se
manifeste la plupart des fois par des actions ignobles telles que les feux de
brousse, l'abattage des animaux sauvages ou le défrichement des
forêts; d'où certains professionnels de la conservation se
demandent si, à long terme, cette approche dure de la conservation de la
nature atteint ses objectifs. Le plus souvent non, affirment les mêmes
experts.
Selon toujours ces derniers, elle finit au contraire par
renforcer un conflit social et politique qui entraîne, comme nous venons
de le voir, une dégradation de l'environnement sans toutefois atteindre
des objectifs des intérêts de la communauté internationale
pour la conservation. Néanmoins, affirment-ils, l'Etat ne saurait
être perdant étant donné que, même si les objectifs
de conservation ne sont pas atteints, il peut réussir à
accroître par la force sa capacité de gouverner, et par-là
de contrôler les populations de son territoire comme on l'a vu pour le
cas du Kenya.
Face à cette nouvelle problématique, les
spécialistes de la conservation essaient depuis peu de trouver des
approches plus appropriées qui prennent suffisamment en compte les
besoins et les intérêts des populations locales afin
d'éviter le pire. C'est ainsi que l'une des résolutions du
3ème congrès des parcs nationaux, à Bali
(Indonésie) en 1982, s'est penchée sur l'aide à apporter
aux populations locales concernées par la mise en place des aires
protégées. On pensait spécialement à des mesures
compensatoires fondées sur les pertes d'usage subies par ces populations
et la création, au niveau du pays, des projets à caractère
de développement local.
Dix ans plus tard, en 1992 à Caracas (Venezuela), le
4ème congrès des parcs nationaux abondait dans le
même sens en se penchant également sur cette nouvelle initiative
en matière de conservation. L'un des sujets abordés lors de ce
congrès consistait à chercher les voies et les moyens par
lesquels les espaces protégés peuvent satisfaire aux besoins des
populations locales. Il s'agissait de donner aux espaces protégés
un rôle imminent en matière de promotion de la
société. Pour y arriver, seule l'approche qui s'appuie sur la
meilleure connaissance des sociétés locales est jugée plus
efficace contrairement à la politique planifiée longtemps
menée par les experts venus de l'extérieur.
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