1.2.2.2 Le Zimbabwe: le développement rural
lié au Projet CAMPFIRE
Le Zimbabwe est sans doute l'un des Etats promoteurs de la
politique participative de gestion de la faune sauvage en Afrique. Cette bonne
initiative est l'oeuvre de deux chercheurs américains (Massman et
Dassmann) qui, dès les années 60, démontrèrent
qu'une utilisation bien réfléchie des espèces animales
(encore abondantes à cette époque) était plus rentable que
l'élevage des bovins dans le pays.
Cette logique sera vite comprise puisque quelques
années plus tard, en 1975, le pays s'est doté d'une
législation en faveur du commerce des produits dérivés de
la faune sauvage. Dès lors, cette nouvelle activité est devenue
le point d'attraction de tous les investisseurs zimbabwéens (surtout les
Blancs) qui avaient les moyens suffisants pour s'acheter un permis de chasse
alors que les populations autochtones (dépourvues d'argent) se livraient
de temps en temps aux activités de braconnage. Cette commercialisation a
eu dans la suite deux conséquences dans le pays: d'abord l'abandon de
l'élevage dans le milieu rural, puis le développement du
réseau des trafiquants de l'ivoire, d'où une diminution
épouvantable du nombre d'éléphants entre 1975 et 1986.
Cependant, l'année la plus connue de ce pays dans le
domaine de gestion participative de la faune sauvage reste 1987 (sept ans
après l'indépendance obtenue en 1980) au moment où les
populations locales accèdent, elles aussi, aux ressources du pays.
Dès cette époque, la faune sauvage est devenue une ressource
à part entière pour le développement des populations
locales suite aux avantages socio-économiques engendrés par la
ressource en question. A l'échelle nationale, l'utilisation de cette
ressource est devenue une industrie de premier plan pour l'économie du
pays grâce aux exportations de la viande animale et autres produits issus
de la faune sauvage. Sur ce, les économistes zimbabwéens abondent
dans le même sens en affirmant qu'entre 1986 et 1996, cette industrie a
rapporté environ trois fois plus que les exportations de viande bovine (
Sournia G., op. cit.; Rodary E., op. cit.).
Mais le plus grand succès en matière de
conservation participative est que les autorités du pays ont pu
expliquer le concept d'utilisation rationnelle de la faune sauvage dans les
zones communales en le considérant comme un choix potentiel et utile
pour le développement de ces zones rurales. Ce qui nous pousse à
étudier en long et en large l'origine, les succès et les
échecs du Projet CAMPFIRE (Communal Areas Management Program for
Indigenous Ressources) dans ce pays.
Comme nous l'avons vu dans les paragraphes
précédents, le Projet CAMPFIRE constitue un cas d'école en
matière de conservation participative au Zimbabwe depuis les
années 1980, même si d'autres projets tels que l' «
Opération WINDFALL: Wildlife Industries for All »
existaient depuis 1978. Il faut souligner que ladite opération est le
résultat d'une action extraordinaire qui date de 1964 dans la
région de Chérisa (Nord-Ouest du Zimbabwe) là où la
viande produite à la suite de l'abattage d'animaux sauvages pour les
besoins du contrôle et de l'étude de la mouche
tsé-tsé était distribuée aux populations locales.
S'inspirant de ses résultats satisfaisants dans la région, cette
action a pris, dès 1978, une forme plus organisée connue sous le
nom de l'opération WINDFALL. Quelques années plus tard, en 1981,
l'opération WINDFALL sera à son tour, le point de départ
de la mise en place du projet CAMPFIRE.
Par ailleurs, tel que nous le connaissons actuellement, ce
projet est l'oeuvre du ministère zimbabwéen ayant la gestion des
ressources naturelles dans ses attributions qui a voulu agrandir le principe de
la libre utilisation des ressources naturelles aux terres communales marginales
à faible potentiel agricole. Il faisait allusion ici aux terres de la
vallée du Zambèze qui étaient envahies par les mouches
tsé-tsé, et où la gestion de la faune sauvage apparaissait
comme l'une des meilleures solutions possibles d'utilisation des sols (Ballan
C., 1998).
Depuis 1981, le projet possède une structure
administrative chargée d'assurer la bonne marche de la conservation et
de l'exploitation rationnelle des ressources naturelles au sein des
différents districts. Cette structure est composée par les
principaux acteurs de la politique de la conservation dans le pays. D'abord les
ONG de protection de la nature (considérées comme des acteurs
internationaux) qui sont représentées sur le terrain par les
experts dans le domaine de développement rural, de socio-économie
et de gestion de la faune sauvage. Le rôle de ces ONG est de donner des
conseils utiles, de financer certains projets et surtout de veiller à ce
qu'i n'y ait pas l'utilisation exagérée des ressources
disponibles. Ensuite vient l'acteur-Etat, représenté par le
Département des Parcs nationaux. Opérant à
l'échelle nationale, son rôle primordial est de faire respecter la
loi selon les schémas de gestion en vigueur. Enfin viennent les acteurs
locaux, représentés par le Conseil de District et les
autorités des différentes circonscriptions dudit district.
De 1981 à 1987, l'objectif principal de CAMPFIRE
était essentiellement fondé la valorisation de la grande faune
sauvage en zones rurales mais les populations autochtones des zones rurales
n'avaient pas le droit d'exploiter directement cette ressource. Depuis 1987,
ces populations sont désormais autorisées d'exploiter les
ressources à l'intérieur de leurs districts mais selon les quotas
de prélèvement établis par le Conseil du district et le
Département des Parcs dans la région. Pour éviter qu'il y
ait excès d'exploitation, le Département des Parcs organise
chaque année des comptages d'animaux sauvages sur les zones communales
et établit des quotas d'exploitation en consultation avec les
populations rurales et leurs représentants (Kleitz G., 1998)
Au cours de ces dernières années, les
principales activités du Projet CAMPFIRE se résument en quatre
principales suivantes. Il y a d'abord la chasse pratiquée par les
populations locales de chaque Canton (Ward). Dans ce contexte, les chasseurs
locaux, regroupés souvent en association, doivent avoir un permis de
chasse accordé par les responsables du District local. Ensuite il y a le
prélèvement d'animaux sauvages pour la production de viande. Les
quotas de prélèvement sont fixés ici pour certaines
espèces encore en abondance comme l'impala, le buffle ou
l'éléphant. L'objectif de ce prélèvement est de
permettre aux paysans
d'avoir de la viande à bas prix. Il faut noter que les
opérations de prélèvement se font aux moyens modernes,
d'où elles restent le monopole des grandes sociétés qui
assurent la chasse sportive. Les restes des animaux abattus (carcasses, peaux,
têtes, etc.) sont mis en valeur selon les méthodes qui ont
été mises en place (Murombedzi J.C., 1994; Sournia G., op.
cit.).
La troisième activité est en rapport avec la
chasse sportive ou tout simplement le « tourisme
cynégétique. » Elle reste le monopole des grandes
sociétés de safaris qui opèrent chaque fois dans plusieurs
pays de l'Afrique australe. Les quotas de chasse sont fixés par le
Département des Parcs nationaux et 30 % des recettes plus les taxes
d'abattage reviennent au District local. Enfin, l'autre activité qui
préoccupe le Projet CAMPFIRE est celle de contrôler des animaux
qui occasionnent des dégâts importants aux cultures des
villageois. Les animaux concernés sont les éléphants et
les buffles qui, dans certains villages, détruisent plus du quart des
récoltes annuelles des foyers comme c'est le cas dans le District de
Guruve située dans la vallée du Zambèze (Kleitz G.,
1998).
Pour ce qui est des résultats de ce projet, ils sont en
général satisfaisants même si les statistiques sont
différentes selon les auteurs et les zones étudiées. En
faisant une étude sur le District de Guruve, G. Kleitz (1998) a
constaté que les revenus des paysans sont faibles par rapport à
ce que gagnent les compagnies de chasse sportive. En plus, les recettes
dépendent entièrement de la qualité des cantons comme
territoire de chasse, c'est-à-dire de la présence ou non de la
faune abondante. Sur une moyenne de 8 ans, il a trouvé par exemple que
le revenu varie entre 10 000 FF (1 530 euros) pour 3 000 familles à 300
000 FF (46 530 euros)1 pour 160 familles, ainsi que 26 Kg de viande
(de buffles ou d'éléphants) par famille. Ce qui n'est pas du tout
beaucoup au regard des dégâts causés par ces animaux. Par
ailleurs, le même auteur affirme que ce déficit est
compensé par la chasse illégale. En effet, les productions de
viande de brousse procurent aux populations locales un revenu annuel par
famille variant entre 288 FF (44,3 euros) et 520 FF (80 euros). De
surcroît, cette chasse illégale contribue à la ration
individuelle de protéines animales pour ces populations.
Sur le plan écologique, tous les auteurs qui ont
travaillé sur le projet CAMPFIRE affirment que les résultats sont
excellents. Les raisons de ce succès sont attribuées aux
changements d'attitudes des populations locales vis-à-vis de la faune
sauvage. Considérée avant les années 1980 comme une menace
de taille à leur développement à cause de leur expulsion
lors de la création des premiers sanctuaires d'animaux sauvages, cette
ressource est aujourd'hui perçue comme une propriété qu'il
faut gérer jalousement suite aux avantages socio-économiques
qu'elle procure, d'où elles se sentent de plus en plus responsables de
sa protection. Sur le terrain, cette prise de conscience se manifeste par les
accusations répétées contre les organisations des
braconniers et souvent par l'organisation des opérations contre ces
malfaiteurs.
En faisant un commentaire sur la situation écologique
du District de Guruve, G. Kleitz (idem) explique que la faune sauvage de sa
zone d'étude a connu une croissance de 20 % depuis le début des
années 1980. « Plus de 1700 éléphants, 6000
buffles, tous les grands prédateurs et des populations importantes de
grandes antilopes de l'Afrique australe vivent dans ces zones. »
L'auteur ne cache même pas ses émotions en disant que «
l'objectif de la biodiversité animale en dehors des zones
protégées est en voie d'être atteint » compte
tenu d'un nombre extraordinaire d'animaux recensés dans sa zone
d'étude.
1 10 FF= 6,5 euros (dans ce travail)
Malgré ces réalisations, des critiques à
l'égard des projets CAMPFIRE et ADMADE ne manquent pas. En effet,
certains disent que les programmes de ce genre (conservation participative)
profitent encore principalement à certains professionnels de la
conservation, c'est-à-dire les chasseurs internationaux et les agences
de safaris. Sur les revenus tirés de la faune par exemple, ils disent
que seuls 40 % sont destinés aux programmes CAMPFIRE et ADMADE, le reste
étant gardé par ces compagnies. En abondant dans le même
sens, G. Kleitz (op. cit.) ajoute que les bénéfices
économiques importants du Projet CAMPFIRE reviennent à ceux qui
mettent en oeuvre le programme dans le pays et qui, par conséquent, ont
la parole. Il s'agit ici des opérateurs de safaris, les gouvernements
locaux qui vendent les admonitions, les élus et chefs locaux. En outre,
l'auteur signale que ce programme permet aux ONG de conservation de la nature
de capter des financements internationaux grâce aux discours qui sont
souvent accompagnés par des résultats mitigés.
Face à ces critiques, certains auteurs craignent que la
politique de la conservation dans les deux pays puisse être remise en
cause. Ce qui n'est pas le cas puisque, accompagnée d'un argument
socio-économique au profit des populations autochtones, cette nouvelle
approche renforce au contraire le mouvement conservationniste. En plus, cette
approche va plus loin parce qu'elle « se place comme un
élément indispensable dans son acceptation la plus aboutie
», c'est-à-dire le développement durable; un concept
à la une, car il touche l'intérêt mondialiste là
où «l'intégration des questions environnementales dans
la problématique de développement oblige à concilier la
sphère économique avec la sphère du vivant. »
(Rodary E., op. cit.)
C'est d'ailleurs par cette réussite dans le domaine de
la conservation participative que l'Afrique australe est aujourd'hui
considérée comme précurseur et spécialiste
compétent dans les politiques de gestion durable de la faune sauvage
à l'échelle continentale. S'inspirant de ces expériences,
les autres pays de l'Afrique sont entrain d'adopter ce système
grâce aux appuis financiers des grandes organisations de protection de la
nature et autres instances internationales dans ce domaine. Ce qui nous pousse
à étudier l'état d'avancement de ce processus dans les
pays de l'Afrique de l'Est.
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