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Le baccalauréat: Un rite de passage dans une société moderne occidentale comme la France ?

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par Abdou Khadre LO
Université de Caen Basse-Normandie - Maîtrise de Sociologie 2000
  

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Université de Caen Basse-Normandie

Maîtrise de sociologie

Session de juin 2000

Le baccalauréat :

Un rite de passage dans une société moderne occidentale comme la France ?

Sous la direction de Mme Lecestre-Rollier

LÔ Abdou

Université de Caen Basse-Normandie

Maîtrise de sociologie

Session de juin 2000

Le baccalauréat :

Un rite de passage dans une société moderne occidentale comme la France ?

Sous la direction de Mme Lecestre-Rollier

LÔ Abdou

REMERCIEMENTS

Je tiens à exprimer tous mes remerciements à madame Lecestre-Rollier, professeur de sociologie à l'université de Caen Basse-Normandie pour avoir accepté d'encadrer mon mémoire et pour le précieux soutien apporté à son élaboration.

Je remercie également les directions des lycées Jean Fresnel, Victor Hugo et Saint-Ursule pour m'avoir facilité l'accès à leur établissement.

Enfin je suis reconnaissant aux élèves de terminale de ces établissements ainsi qu'aux étudiants de l'université de Caen pour le temps qu'ils ont accepté de m'accorder et pour leurs témoignages.

SOMMAIRE

Introduction..............................................................................................9

PREMIERE PARTIE :

SUR LES RITES DE PASSAGE...................................................................13

Introduction................................................................................................15

A. Comment définir les rites ?...................................................16

1. De la définition du rite (en général) à son efficacité..............................................16

2. De la définition du rite de passage..................................................................17

B. La société française est - elle déritualisée ?...........................20

I. Du déclin des rites..................................................................22

1. le mariage..............................................................................................22

2. l'école...................................................................................................23

3. le service militaire.....................................................................................25

II. De la multiplication des rites.....................................................26

1. le concert de Rock....................................................................................27

2. le Hip Hop..............................................................................................28

3. le match de Football...................................................................................29

Conclusion................................................................................................30

DEUXIEME PARTIE :

ETUDE DU BACCALAUREAT ET DE SES DIFFERENTES REFORMES............32

Introduction................................................................................................34

A. Du régime féodal à napoléon.................................................................35

1. les origines du baccalauréat..........................................................35

2. L'institution du baccalauréat.........................................................37

3. La consolidation du baccalauréat ...................................................40

B. Le premier siècle du baccalauréat : les réformes.....................................42

1. La réforme de V. Duruy..............................................................................42

2. Les réformes sous la 3ème République...............................................................43

3. La réforme de 1890....................................................................................46

4. La réforme de 1902....................................................................................51

C. La première moitié du 20ème siècle.........................................................57

D. La seconde moitié du 20ème siècle .........................................................60

1. La notion de « niveau baccalauréat »...............................................62

2. Les projets de réformes...............................................................64

- Le projet J. Fontanet....................................................................................64

- Le projet J - P Chevénement..........................................................................65

- Le projet R. Monory et A. Devaquet.................................................................66

- Le projet L. Jospin......................................................................................66

- Le projet J. Lang........................................................................................67

- Le projet F. Bayrou.....................................................................................68

Conclusion................................................................................................70

TROISIEME PARTIE :

LE BACCALAUREAT : UN RITE DE PASSAGE.............................71

Introduction...............................................................................................73

A. Les premiers rites de passage scolaires.................................................74

1. La maternelle...........................................................................................74

2. L'entrée à la « petite école ».........................................................................75

B. Le baccalauréat : baromètre de l'enseignement secondaire......................77

I. L'efficacité sociale et symbolique du baccalauréat...................................80

I. L'efficacité sociale du baccalauréat.................................................81

II. L'efficacité symbolique du baccalauréat..........................................84

II. Trois raisons de passer le baccalauréat..................................................88

II.1.1 Le baccalauréat pour continuer les études et acquérir une culture générale...............88

II.1.2 Le baccalauréat pour bénéficier de plus de liberté............................................91

II.1.3 Le baccalauréat pour trouver un emploi.......................................................94

II.1.3.1 Le baccalauréat facteur d'ascension sociale.......................................................................98

D. Les trois stades successifs du rite.......................................................101

1. La séparation (la classe de terminale )............................................................101

2. La marge (du passage des épreuves à la publication des résultats)...........................104

3. L'agrégation (l'inscription dans un établissement supérieur).................................105

conclusion ............................................................................................108

Annexes................................................................................................111

Bibliographie.........................................................................................114

INTRODUCTION

Dans des sociétés qui aujourd'hui semblent irrémédiablement portées vers la techno-science et font de la rationalité et du progrès leurs chevaux de bataille, parler de faits tels que le rite de passage au sein de ces sociétés même, ne pourrait-il pas être une inadéquation et un non-sens caractérisé ? Telle est la première question que nous nous sommes posée, à la réflexion de notre sujet de mémoire.

En effet, les sociétés modernes occidentales n'ont-elles pas fait pour la plupart le deuil de beaucoup de leurs pratiques ancestrales, pour ne pas dire la totalité ?

Ces mêmes sociétés n'ont-elles pas fait le pari de la modernité et de la rationalisation en enterrant depuis le siècle des lumières beaucoup d'us et coutumes, avec tout ce qui était classé dans le registre de l'obscurantisme et du mysticisme ?

Mai 1968 n'a-t-il pas été pour les jeunes générations - dans une certaine mesure - le dernier coup de pied donné dans la fourmilière des moeurs, donc de l'autorité des plus âgés sur les plus jeunes c'est-à-dire de ceux qui savent sur ceux qui ne savent pas? Les rites de passages font-ils toujours sens dans les sociétés modernes occidentales ? D'ailleurs, existe -il encore, tout simplement des rites de passage dans ces sociétés ? Si oui, le baccalauréat qui nous intéresse ici, en fait -il partie ?

Assurément nous ne pouvons pas répondre, d'entrée, par l'affirmative à toutes ces questions qui sont assez complexes. D'ailleurs avons nous affaire, ici, à des questionnements ethnologiques ou sociologiques ? Une problématique que nous nous proposons d'évacuer hic et nunc.

En effet, notre démarche se veut d'être prudente si nous nous inscrivons dans la linéarité qui fait que l'objet d'une ethnologie, considérée naguère comme « exotique » devient à un moment donné de l'histoire, objet d'une sociologie moderne. Ce qui était exclusivement du domaine de l'extérieur, du lointain, de

l'exotique ou du « primitif » peut relever désormais aussi de l'immédiat, du proche et du moderne. L'ouverture de l'ethnologie aux sociétés modernes et la multiplication des terrains d'études ont permis d'explorer des aspects de la vie moderne et de les mettre en parallèle avec des phénomènes observables dans les sociétés traditionnelle.

Ainsi le concept de rite a quitté le domaine des sociétés «  primitives » et exotiques pour devenir un « analyseur du contemporain » pour parler comme Martine SEGALEN1(*).

II y a aujourd'hui un élargissement du champ d'étude de l'ethnologie ou plus exactement de l'Anthropo-sociologie.

La grille qui permettait de lire les sociétés traditionnelles est loin d'être obsolète pour la compréhension des sociétés modernes. Des notions comme celle de rite de passage, qui jusqu'à l'époque du structuralisme straussien renvoyaient à l'immobilisme et à la répétition dans les sociétés traditionnelles sont aujourd'hui légitimement utilisables dans les sociétés modernes contemporaines à mobilité fréquente et statut transitoire.

C'est dans cette optique que nous nous demandons si à l'instar des sociétés

traditionnelles, où la vie de l'individu est marquée de forte empreinte et de manière consensuelle par les différents rites de passage qui font de l'enfant un adolescent puis un adulte, l `école de Jules Ferry1(*) ne constitue pas une échelle dont l'ascension n'est possible à l'étudiant (terme générique que nous employons indistinctement pour déterminer tous les apprenants du système scolaire) qu'à condition de franchir au fur et à mesure les différents passages que sont les examens. Les examens qui marquent la fin d'un cycle d'étude.

En effet il semble évident que la progression de l'étudiant dans le système

scolaire nécessite le passage des différents examens tels que le Brevet, le

Baccalauréat, le Mémoire (de maîtrise par exemple) ou la Thèse.

Aussi, notre interrogation s'articule autour de l'idée selon laquelle ces examens

constituent ou peuvent constituer des rites de passage. Notre étude s'intéresse ici particulièrement au baccalauréat.

Notre but est d'essayer de voir, avec précision, en quoi le baccalauréat avec toute la symbolique et la représentation qu'en ont les français, marque l'entrée du lycéen dans un monde autre. Autrement dit : En quoi le baccalauréat constitue t- il un rite de passage ? Cette question ne faisant sens que si nous sommes d'accord sur la définition du rite de passage.

L'intérêt d'une telle étude est aussi de souligner les significations que revêt le passage de l'examen tant auprès de l'examiné(e) que des autres : les examinateurs et les spectateurs que sont les proches parents de l'étudiant.

L'apprenant n'est plus tout à fait le même selon qu'il est en préparation du

baccalauréat ou selon qu'il a passé l'épreuve. II y a un avant et un après l'examen. Il y a une ritualisation très forte du baccalauréat. Mais la ne sommes nous pas déjà entrés dans le vif du sujet ?

Précisons d'abord que dans notre étude, nous avons préféré recourir à l'entretien qui aujourd'hui est de plus en plus utilisé dans les sciences sociales. En effet, depuis une cinquantaine d'années, différentes disciplines des sciences sociales ont constamment recouru à l'entretien pour étudier des faits dont la parole est le vecteur principal. Même si nous savons que l'entretien dans les sciences sociales est un outil irrecevable du point de vue de l'idéal scientifique ( chère à la « science sociale appliquée » et à « l'ergonomie » ( human engineering ) , il s'avère être irremplaçable pour accéder à des connaissances dont l'intérêt scientifique est manifeste.

Ainsi, pour avoir le point de vue des lycéens, nous avons voulu utiliser l'outil que Alain Blanchet 1(*) considérait comme étant « le plus évident ». Nous avons préféré le qualificatif au quantitatif dans une étude où la subjectivité des interviewés est inévitablement mise à contribution. L'emploi de l'entretien (semi-directif) nous paraît plus judicieux dans le cas présent - nous traitons de rite de passage - que toute méthode quantitative.

En effet, utiliser les méthodes quantitatives reviendrait, pour nous, à faire le choix du « Eklären » (expliquer) au détriment du « Verstehen » (comprendre) ; or nous ne pouvons pas traiter l'objet de notre étude comme une chose. Ce serait mettre la sociologie ou l'anthropo - sociologie dans les « Naturwissenschaften », c'est-à-dire les sciences de la nature ou sciences nomothémiques et écarter les « geisteswissenschaften » ou sciences de l'esprit, sciences idiographiques. Aussi préférons-nous ne pas céder à « l'inhibition méthodologique » dont parle C. Wright - Mills.

Notre terrain d'étude a été le milieu scolaire, où bien entendu la question du baccalauréat est omniprésente. Plus précisément, nous nous sommes rendus dans les lycées Victor Hugo, Jean Fresnel et Saint-Ursule (Toutes ces écoles étant situées dans le calvados) sans oublier l'Université de Caen - Basse Normandie.

A Victor HUGO, établissement public, nous espérions pouvoir interviewer des élèves de différentes séries : L, ES, S... Finalement la direction ne nous a autorisé à prendre rendez-vous qu'avec les élèves de terminale littéraire ( L). Nous ne nous expliquons toujours pas à ce jour, les raisons de cette restriction. Est-il moins « préjudiciable » de prendre un peu du temps des littéraires que des scientifiques, par exemples ? Pour notre part, nous considérons que c'est une population très intéressante dans la mesure où nous pensons que pour les élèves de la série L, le rapport au baccalauréat est particulier. Nous développerons ce point plus tard.

Jean FRESNEL est aussi un lycée public où nous avons pu interroger - grâce à

la précieuse collaboration de la direction - des élèves venant de différentes

terminales et des étudiants en brevet technologique et scientifique (BTS).

Au lycée catholique privé Saint Ursule, nous avons pu compléter la liste de nos interlocuteurs. Des élèves de terminale et des étudiants (BTS) nous ont consacré un peu de leur temps.

Des étudiants de l'université de Caen ont répondu avec assez

de spontanéité à nos sollicitations et nous ont apporté de précieux renseignements.

Au total, nous avons pu interroger quatre vingt quatre ( 84) personnes ; ces entretiens servant surtout à étayer la troisième partie de notre travail. Nous articulons notre étude autour de trois axes.

Pour ne pas traiter du baccalauréat comme d'un rite de passage, a priori, nous nous proposons d'inverser la taxinomie de la phrase le baccalauréat, un rite de passage en : un rite de passage, le baccalauréat.

Ainsi, nous pouvons définir dans un premier temps ce qu'est un rite de passage, pour analyser dans notre seconde partie le baccalauréat à travers son histoire, avant de redonner dans une ultime étape à la phrase sa forme initiale : le baccalauréat, un rite de passage.

PREMIERE PARTIE :

SUR LES RITES DE PASSAGE

PLAN

Introduction................................................................................................15

A. Comment définir les rites ?...................................................16

1. De la définition du rite (en général) à son efficacité..............................................16

2. De la définition du rite de passage..................................................................17

B. La société française est - elle déritualisée ?...........................20

I. Du déclin des rites..................................................................22

1. le mariage..............................................................................................22

2. l'école...................................................................................................23

3. le service militaire.....................................................................................25

II. De la multiplication des rites.....................................................26

1. le concert de Rock....................................................................................27

2. le Hip Hop..............................................................................................28

3. le match de Football...................................................................................29

Conclusion................................................................................................30

Introduction

Il nous faut ici, avant toute analyse, effectuer un rituel d'usage dans la démarche

sociologique : la définition des notions. Quelle définition donner au rite en général et au rite de passage en particulier?

II est en effet très difficile de trouver une définition du rite en générale, qui soit

unanimement adoptée par les différentes écoles anthropologiques. Le terme de rite paraît très vaste.

Comme l'écrit M. Ségalen « une des caractéristiques majeurs du rite est sa plasticité,

sa capacité à être polysémique, à s'accommoder du changement social. De sorte que les divers auteurs qui se sont emparés du sujet ont donné leur définition du rite en le tirant vers leur champs de recherche de prédilection. »1(*)

Durkheim, par exemple, associe le rite à la religion2(*). Pour lui, rite et religion sont indissociables dans la mesure où cette dernière se définit par la foi et la pratique.

La religion prend corps dans la croyance des humains et la pratique qu'ils en ont par les rites. Précisons que cette pensée n'est pas nouvelle. Elle avait déjà été développée par Blaise Pascal. En effet, le philosophe considérait que la foi religieuse se nourrissait par la pratique. Nous pouvons dire cependant que ce que le sociologue introduit de nouveau, c'est la notion de rite.

Au départ, pour Durkheim, les rites servent à exprimer, en actes concrets, ce que la croyance garde à l'intérieur. Ainsi, pour lui, les rites sont « des manières d'agir qui ne prennent naissance qu'au sein des groupes assemblés et qui sont destinés à susciter, à entretenir où à faire renaître certains états mentaux de ces groupes » 3(*).

Mais imperceptiblement on passe dans la théorie durkheimienne de la définition

du rite à sa fonction.

Ce glissement semble être inévitable dans la mesure où la rite, qu'il soit de passage ou non, se confond avec son rôle. Alors le meilleur moyen de parler des rites dans la société française n'est- il pas de voir s'ils y ont encore un rôle ou pas ? Cela nous conduisant à considérer le débat d'école sur le déclin ou la multiplication des rites en France.

Mais avant, revenons encore sur la distance entre la définition du rite et son efficacité à travers quelques auteurs dont nous ne pouvons faire l'économie.

A. COMMENT DEFINIR LES RITES?

« (...) Le terme de rite est souvent un terme que nous appliquons à la réalité vécue par les autres et que nous surinvestissons de commentaires. » Marc Augé 1(*)

1. De la définition du rite (en général) à son efficacité.

Les rites serviraient selon Emile Durkheim à dicter à l'individu sa relation au sacré, se faisant ils l'intègrent à la communauté. Ce qui est essentiel, pour le sociologue c'est que : des individus soient réunis, que des sentiments communs soient ressentis et qu'ils s'expriment en actes communs.

Tout nous ramène donc à la même idée : c'est que les rites sont, avant tout, les moyens par lesquels le groupe social se réaffirme périodiquement.

Durkheim souligne ce lien social que tisse le rite car pour lui « la fonction réelle d'un rite consiste non dans les effets particuliers et définis qu'il paraît viser, et par lesquels on le caractérise d'ordinaire, mais d'une action générale qui, tout en restant toujours et partout semblable à elle-même est cependant susceptible de prendre des formes différentes suivant les circonstances ». 2(*)

Dans le même ordre d'idée, Marcel Mauss (cité par Ségalen) pense que « les actes sont, par essence, capables de produire autre chose que des conventions, ils sont éminemment efficaces ; ils sont créateurs ; ils font » et « les gestes rituels sont réputés avoir une efficacité toute spéciale, différente de leur efficacité mécanique ». II y a ce que Mauss appelle une « efficacité sui generis ». Cette efficacité se distingue de l'efficacité pratique de n'importe quelle autre action matérielle. C'est une efficacité qui est comme mystique venant de « forces spéciales ».

L'efficacité du rite se situe donc en « définitive dans l'acte de croire à son effet, à travers des pratiques de symbolisation » pour reprendre les termes de M. Ségalen 3(*).

Claude Levi-strauss corrobore ce point de vue lorsqu'il définit l'efficacité du rite comme quelque chose de purement symbolique. Le rite agit selon lui comme un placebo. L'exemple le plus fameux qu'il en donne est celui du chaman. Ce dernier par ses incantations arrive à guérir des malades ( en l'occurrence ici une femme qui met au monde un enfant). II écrit « le chant constitue une manipulation psychique de l'organe malade et c'est de cette manipulation que la guérison est attendue » 4(*).

En fin décompte peu importe le fait qu'un lien scientifique ne soit pas établi entre

l'action du chaman et la guérison du malade. Et la question de l'efficacité réelle se pose d'autant moins dans cette société qu'il y a une adhésion totale à la magie du chaman. Pour Levi-strauss ce qu'il faut noter surtout et avant tout c'est le fait que le soigné y croit et qu'il appartienne à une société qui y croit.

Les auteurs les plus récents ne diront pas autre chose ,ou bien s'il le font

partent néanmoins (même si c'est pour s'en écarter ensuite) de cette idée qui

ramène le rite à son efficacité symbolique.

Ainsi Pierre Bourdieu réaffirmera-t-il que c'est la croyance en cette efficacité

du rite qui justement le rend efficace. C'est cette croyance de tous, préexistant au rite, qui est selon lui la condition sine qua non de l'efficacité du rituel. « On ne prêche que des convertis, écrit-il, et le miracle de l'efficacité symbolique disparaît si l'on voit que la magie des mots ne fait que déclencher des ressorts - les dispositions -préalablement montés »1(*).

De même pour François Isambert 2(*) ou Jean - louis Christinat, l'action symbolique quelque soit la forme qu'elle revêt, se dessine toujours sur le fond d'un consensus qui la rend opérante, efficace. Le rite est « générateur de liens sociaux »3(*)

Mais tous ces auteurs traitent jusqu'ici, du rite en général, ou plus précisément de l'efficacité symbolique (parfois effective) de celui-ci. Aucune de ces théories qui d'ailleurs se recoupent toutes, ne donne une définition réellement formelle du rite de passage.

2. De la définition du rite de passage

Martine Ségalen est assez proche de la définition du rite de passage lorsqu'elle définit le rite comme étant non seulement « un ensemble d'actes formalisés, expressifs, porteurs d'une dimension symbolique » mais aussi et surtout comme étant « caractérisé par une configuration spatio-temporelle spécifique, par le recours à une série d'objets, par des systèmes de comportements et de langages spécifiques, par des signes emblématiques dont le sens codé constitue l'un des biens communs d'un groupe ». 4(*)

L'une des propriétés que la sociologue donne à sa définition est que celle-ci reconnaît que ces manifestations ont un champ spécifique, qui est de marquer des ruptures et des discontinuités ou encore des moments critiques (passage) dans les temps individuels comme dans les temps sociaux.

Ségalen parle de rupture, de discontinuités ou encore de moments critiques tel que le passage dans les temps tant individuels que collectifs. En cela elle a une approche assez asymptotique de la notion de rite de passage. Du moins telle que le définit Arnold Van Gennep.

Le folkloriste et ethnologue français est celui qui jusqu'à aujourd'hui a donné une des définitions les plus abouties, et l'approche la plus complète du rite de passage. II a formalisé le rite de passage en lui donnant un schéma qui aujourd'hui encore reste très actuel.

Van Gennep a su opérer une révolution . II a réussi à étudier les faits dans leur séquence de consécution et non en les isolant dans le désordre apparent des coutumes ; cela lui vaut l'hommage de tous ceux qui se sont intéressés au sujet. Ségalen dit à son propos : « il a su passer au crible de l'analyse toutes les séquences d'un même cérémoniel (... ) si sa thèse insiste sur l'ethnographie des formes , elle n'en fait pas une base classificatoire (...) Van Gennep se refuse à prédéfinir des fonctions (...) les sociétés sont caractérisées par leur discontinuité, et le rite de passage cherche à recomposer l'ordre social qui est mis en jeu lors de chaque nouvelle étape du cycle biologique de l'homme »1(*).

Il faut rappeler que pour Van Gennep les rites de passages sont intrinsèques à la vie car, selon le folkloriste, « c'est le fait même de vivre qui nécessite les passages successifs d'une société spéciale à une autre et d'une situation sociale à une autre : en sorte que la vie individuelle consiste en une succession d'étapes dont les fins et commencements forment des ensembles de même ordre : naissance, puberté sociale, mariage, paternité, progression de classe, spécialisation d'occupation, mort. Et à chacun de ces ensembles se rapportent des cérémonies dont l'objet est identique : faire passer l'individu d'une situation déterminée à une autre situation tout aussi déterminée (...) En outre ni l'individu, ni la société ne sont indépendants de la nature, de l'univers, lequel est lui aussi soumis à des rythmes qui ont leur contre- coup sur la vie humaine. Dans l'univers aussi, il y a des étapes et des moments de passage, de marche en avant et des stades d'arrêt relatif, de suspension. Aussi doit-on rattacher aux cérémonies de passage humaines, celles qui se rapportent aux passages cosmiques : d'un mois à l'autre (cérémonie de la pleine lune, par exemple) d'une saison à l'autre (jour de l'an, etc.) »2(*)

Autrement dit, les rites de passages sont tous les rites qui accompagnent des changements de lieu, d'état, d'occupation, de situation sociale, de statut, d'âge etc. Ils rythment la vie de l'individu « du berceau à la tombe ». Et puisque cette vie humaine s'inscrit dans une périodicité naturelle, d'autres rites marquent les passages cosmiques.

La grande découverte de Van Gennep, la grande nouveauté qu'il introduit dans l'étude des rites de passage est que ces derniers comportent toujours et partout trois stades successifs : de séparation, de marge et d'agrégation, ou encore pré-liminaire, liminaire et post-liminaire.

Si on considère donc, avec lui, que la vie individuelle quel que soit le type de

société, consiste à passer successivement d'un âge à un autre, d'une situation à une autre avec toujours les trois étapes qu'il décrit ; alors l'examen du baccalauréat peut être considéré comme une forme de rite de passage pour deux principales raisons :

D'abord nous pensons que le baccalauréat est un examen qui reste mythique, théâtralisé et plein de significations parce que permettant d'accéder à l'ultime étape de la vie scolaire, l'étape des études supérieures et la réussite à cet examen représente l'agrégation à un monde de statut élevé. Ensuite parce que les trois étapes nécessaires à un rite de passage sont observables dans le baccalauréat.

Nous développerons ces propos dans la troisième partie de notre étude.

Néanmoins la question de l'existence même de rites de passage dans les sociétés développées reste pertinente. Les rites de passage ne sont-ils réservés qu'aux sociétés traditionnelles? Font-ils encore aujourd'hui sens dans la société française (puisque c'est d'elle qu'il s'agit ici) ou bien cette société est - elle tout simplement déritualisée ? Si tel était le cas, comment parler alors du baccalauréat - ou d'une quelconque manifestation d'ailleurs - comme d'un rite de passage ?

B. LA SOCIETE FRANCAISE EST ELLE DERITUALISEE ?

Nous n'inventons rien en soulignant que cette fin de vingtième siècle voit l'écroulement de bien des mythes et croyances collectives ( la dernière de ces grandes croyances pouvant être le communisme). Cet effondrement des croyances collectives se constate tant dans le domaine du religieux que dans celui du politique ou du familial. Les fêtes comme les deuils collectifs à grande échelle s'effacent au profit d'un repli sur l'intime. Notre vie moderne semble obéir implacablement à une loi d'individualisation et de privatisation. C'est de la vie privée qui prend le dessus sur la vie publique dont il s'agit ici.

Nous semblons privilégier la sociabilité primaire sur notre sociabilité secondaire.

Nous sommes plus sensibles à ce qui surgit ici et là, même marginalement, dans les petites communautés ; les faits presque ordinaires, les condensations qui ne durent pas, la « joie par spasmes » et la « douleur par hoquets » des groupes éphémères dont parlait déjà Jules Romain dans un texte de 1911.

A ces considérations anthropo-sociologiques nous ajoutons un constat purement sociologique. En effet, la logique marchande, à son tour, offre à la société contemporaine sa rationalité économique qui aujourd'hui paraît inéluctable.

Le développement accru des sciences et des techniques accompagné de la progression des savoirs et de l'explosion des télécommunications viennent renforcer les croyances en l'efficacité de la rationalité et l'utilitarisme. Un utilitarisme pratique et surtout scientifique. On veut établir la relation de cause à effet, et ce de manière scientifique.

Le médecin moderne a déchu le chaman de Levi-Stauss car le citoyen consommateur accorde sa foi à l'efficacité matérielle plutôt qu'à l'efficacité symbolique. Pourtant ,nous le rappelons, la ritualité est essentiellement affaire de symbolisme.

Le chaman n'est plus efficace, sa potion semble ne plus faire d'effet et surtout trouve moins de demandeurs. Cela parce qu'aujourd'hui, l'homme occidental arrive au monde dans une mise en scène scientifique et rationnelle ou bien pour emprunter la métaphore de Pierre Legendre, « il naît dans un théâtre chirurgical » 1(*).

En même temps cette modernité tant prônée se révèle créatrice de désordres, détruisant les liens sociaux qui se sont historiquement constitués. Et la rationalité, l'efficacité, l'utilitarisme masquent des phénomènes qui parfois surgissent brutalement de façon irrationnelle et explosive. Cette rationalité, qui donc a relégué le religieux dans le domaine du privé, a du mal à contenir quelques spasmes d'irrationalité. Sans insister sur cela, nous voulons pour exemple la prolifération des sectes sataniques ou autres.

Nous sommes ici pleinement dans le domaine du désenchantement du monde, cher à Max Weber.

Autrefois, Bergson a pu parler d'une frénésie industrielle et technicienne où la société risque de se clore sur ses oeuvres. Mais ses oeuvres ne tuent pas la société d'inventer, de rêver mais surtout de croire. Et la grande nouveauté aujourd'hui est que l'individu a quitté les certitudes d'antan, les ordres hiérarchiques figés et la représentation fixe pour des convictions moins figées, beaucoup plus flexibles ( pour rester dans le thème de la modernité ).

En effet, des mythes apparaissent et disparaissent et de nouveaux comportements et des conduites rituelles porteuses de significations sont perceptibles dans la vie de tous les jours des français.

La société française s'est peut-être détachée, dans une grande partie (qui est essentiellement celle des jeunes), de toute divinité transcendante ; elle refuse toute sorte de dépendance irrationnelle à un ou des êtres supérieurs, mais ne s'est pas

départie pour autant de toute forme de ritualité, surtout s'il s'agit de rites profanes.

Les rites profanes étant dépourvus de signification religieuse et échappant aux dimensions du sacré.

Un rite profane peut aussi se définir comme étant un rite qui travaille, selon Claude Rivière1(*), « sur les relations sociales davantage que le rite religieux, lequel est plus rigide et se fonde d'abord sur le rapport à des puissances sacrées ». Dans le rite profane donc, le rapport au mythe initial ( tel qu'il est développé par Durkheim et Mauss) peut être remplacé par un rapport à des valeurs qui énoncent un ordre social plutôt qu'un ordre religieux.

Mais le terme de rite profane ne doit pas être utiliser inconsidérément et dans

un sens peu ou mal défini. Pour qu'il y ait rite nous pensons, comme Rivière, qu'une mise en scène instituée à signification symbolique, renvoyant à des valeurs, ayant l'aspect de communication codée, respectant un ordre précis et donnant lieu à des comportements répétés est nécessaire. En est-il ainsi de la scolarité de l'enfant ? En est-il, surtout, ainsi du passage du baccalauréat ? Nous le verrons un peu plus loin.

Pour en revenir à la question de la déritualisation de la société française, il faut préciser que deux schémas s'opposent. En effet pour parler de rite de passage dans une société moderne comme la France, deux idées toutes aussi réductionniste l'une que l'autre s'offre à nous : soit conforter l'idée selon laquelle, il y a une déperdition des rituels en France ; soit au contraire en voir partout. Nous essaierons, autant que faire se peut, d'éviter ces deux écueils.

II faut d'abord rappeler qu'historiquement, autant que les faits de parenté, les faits portant sur le rite ont été au coeur des analyses des premiers anthropologues, qui cherchaient à retrouver les formes primitives de la famille ou de la religion dans les mondes lointains qu'on découvrait alors systématiquement dans la seconde moitié du vingtième siècle.

En effet, parce pue la société moderne occidentale a spécifié et trié en domaines

distincts et séparés, parce qu'elle a dénoué l'intrication des faits sociaux, les rites étaient conçus comme centraux pour ces sociétés dites lointaines2(*). Ces rites étaient centraux, dans la mesure où ils organisaient la vie individuelle - par des cérémonies telles que la cérémonie d'initiation - et la vie collective par une assignation des formes de pouvoirs qui sont politiques, religieux etc.

C'est donc ce retrait du rite en tant qu'organisateur central de la vie qui a amené certains auteurs à voir dans les sociétés modernes un lieu où les rites profanes ont fortement décliné.

I. Du déclin des rites.

Il faut souligner le fait qu'il semble plus aisé de parler du déclin des rites de passage dans les sociétés modernes occidentales que d'évoquer leur prolifération.

Pour des auteurs tels que Max Gluckman, les rites ( qu'ils soient de passage ou autres) n'existent que dans les sociétés primitives, il n'y en a pas dans les sociétés civilisées contemporaines. Ce qui ressemble au rituel dans ces sociétés, il l'appelle

« cérémonie » parce que les « civilisés contemporains » ne croient pas à l'efficacité magique du rite ni aux forces surnaturelles qu'il vise à apaiser. Gluckman reste de ce fait fidèle à une vieille tradition : la tradition de Taylor pour qui le rituel était à opposer à la rationalité et devait de ce fait disparaître dans la société civilisée, chassée par le progrès de la raison.

Cela nous ramène toujours à une question standard : Avec un processus de

sécularisation toujours plus rapide et un désenchantement du monde qui semble avoir atteint un point culminant, comment penser la ritualité qui est rejetée du coté du magique alors que la modernité a résolument opté pour le rationnel? Les rites semblent avoir épuisé leur sens dans la société techno - scientifique.

Pour parler du déclin des rites de passage dans les sociétés modernes, deux exemples classiques sont souvent donnés par les auteurs : l'exemple du mariage et celui de l'école et ses cérémonies. Deux exemples auxquels nous pouvons ajouter celui du service militaire.

1. Le mariage

II y aurait aujourd'hui une désaffection pour le mariage ou plus exactement pour tout le cérémonial qu'il comprend. Quelle signification cela revêt-il? La cérémonie est aujourd'hui voulue plus simple, moins religieuse. De telles manifestations sont, en effet assimilées, selon Ségalen, aux mariages encore arrangés de la génération précédente. Aujourd'hui à l'apparence sociale on préfère la vérité de l'amour tout en privilégiant l'individu sur le collectif. Ainsi, « en ne se mariant pas, c'est à un engagement public et social que l'on renonce volontairement »1(*)pense la sociologue.

Le mariage n'est donc plus le passage obligé avant la vie de couple. « Le mariage des jeunes fait de moins en moins figure d'établissement ; ce n'est plus une coupure, un rite de passage qui fait accéder à l'âge adulte, surtout lorsqu'il y a eu cohabitation prénuptiale »2(*).

Si nous approuvons Ségalen dans son analyse lorsqu'elle soutient que le mariage perd de sa force par la presque disparition du cérémonial qui l'accompagnait, nous ne la suivons plus lorsqu'elle cesse d'y voir un rite de passage.

En effet, indéniablement, les cérémonies religieuses sont moins marquantes si elles n'ont pas simplement disparu de beaucoup de mariage. Cela semble s'inscrire assez logiquement dans le recul du religieux et du transcendant en général. Mais ne considérer le mariage que sous son angle religieux, cérémoniel, c'est le réduire considérablement. Le mariage a, en effet, la particularité de pouvoir être célébré doublement : religieusement et civilement. Donc il peut être considéré autant comme un rite religieux, sacré qu'un rite profane ou toute signification divine a disparu. Le déclin de la première célébration entraîne t- il la chute de la seconde ? Rien n'est moins sûr.

Par ailleurs lorsqu'elle considère que le mariage des jeunes n'est plus une coupure, un rite de passage surtout lorsqu'il y a eu cohabitation, nous sommes en partie d'accord. En effet, pour ceux qui ne se marient pas parce qu'ils veulent rester en concubinage, le mariage ne constitue évidemment pas un passage obligé. Par contre, pour ceux qui décident de « franchir le pas », de s'unir, le passage est réel et symbolique. Même s'ils ont cohabité auparavant, le fait de s'unir prouve que les époux ne renoncent pas à l'engagement « public et social » dont parle la sociologue. Il y' aura pour eux : un avant et un après le mariage. Il y' aura un changement de statut.

Pour ne pas trop nous focaliser sur ce sujet qui n'est pas celui qui nous mobilise en particulier, nous dirons qu'il y a incontestablement, déclin des mariages ( le nombre de mariage allant en décroissant) mais que l'acte du mariage reste toujours un rite de passage pour ceux qui l'accomplissent. Nous pouvons y noter aisément les trois étapes du rite de passage qui une fois franchies changent leur statut.

Aujourd'hui les mariages se font moins nombreux. Cela signifie que les rites liés au mariage décroissent, donc déclinent ; mais d'autre part, l'efficacité symbolique de cette forme d'union reste intacte pour ceux qui la choisissent.

2. L'école.

Le déclin de la ritualité se manifesterait aussi au sein de l'école. S'il y a un lieu où la ritualité semble avoir perdu beaucoup de terrain, c'est bien l'école. D'ailleurs lorsque nous avons fait part, aux directions des établissements cités plus haut, de notre projet de mémoire, nous avons noté le plus souvent des réactions de surprise. C'est essentiellement le personnel enseignant qui nous disait que la ritualité avait beaucoup décliné sinon totalement au sein de l'école.

Il est peut être utile de préciser ici la procédure qui nous a permis d'interroger les élèves. Une fois que nous avions trouvé l'accord du proviseur nous permettant de mener notre enquête, il fallait trouver les emplois du temps des différentes classes de terminale ou de première année de BTS. Aussi nous intervenions au début du cours pour exposer brièvement au professeur et aux élèves notre projet. A la suite de cela, nous distribuons de petits formulaires qui servaient à ceux qui voulaient bien nous aider dans notre recherche d'y mentionner leurs coordonnées et leur numéro de téléphone. A la fin du cours nous récupérions les formulaires. Ce qui nous permettait de pouvoir les contacter plus tard pour trouver un horaire d'entretien.

C'est pendant ces séances de prise de contact que certains professeurs nous ont fait part, assez brièvement, de leur sentiment. Il faut souligner que les enseignants étaient assez peu disponibles pour nous accorder des entretiens. Un professeur de philosophie au lycée Jean Fresnel nous disait ainsi : « C'est sûr que s'il y a encore un rite, à l'école, dans les lycées je veux dire, c'est bien le baccalauréat. On est tous là pour ça ». Nous reviendrons sur l'importance de ce « on est tous là pour ça » dans notre chapitre « Efficacité sociale et symbolique du baccalauréat ». Pour le moment qu'en est - il des rites dans l'école ?

Des auteurs comme Maisonneuve notent une tendance considérable à la baisse voire même une disparition (du moins en France) des cérémonies scolaires telles que les remises de prix, les remises de diplômes, les symboles vestimentaires et emblématiques, les cérémonies de promotion et des solennités d'examens. Mais cela signifie - t- il pour autant que toute forme de ritualité a disparu au sein de l'école française ? Rien n'est moins sur.

A partir de ces deux exemples (et de beaucoup d'autres, bien entendu, une tendance pessimiste s'est dégagée chez certains auteurs pour analyser le déclin des rites de passage aujourd'hui. Ainsi le diagnostic est très cinglant et n'accepte d'être mis en doute : « les rites de passage perdent de leur force symbolique et de leur pouvoir de scansion » pour reprendre les termes de Olivier Galland dans sa Sociologie de la jeunesse.

Deux Tentative d'explication de ce déclin sont avancées.

- La première reprend l'idée de G. Balandier 1(*) selon laquelle les sociétés traditionnelles ont un fonctionnement basé sur le principe de hiérarchie. Une hiérarchie des genres : l'homme se trouve au-dessus de la femme, et une hiérarchie des âges, l'enfant obéit à l'adolescent qui lui-même obéit à l'adulte. Le droit d'aînesse et la séniorité ont tous leur pouvoir dans ces sociétés. La hiérarchie est établie et

respectée. Elle fait du père, parce qu'il a engendré, le modèle de supériorité et de l'autorité naturelle. Elle fait du contrôle des femmes l'instrument privilégié des inégalités sociales.

Dans les sociétés modernes par contre, ce principe de séniorité ne semble plus être de mise. Comme le dit le dicton, la valeur n'y attend point le nombre des années. Et le mâle adulte n'y est plus le référent, il n'y a plus le prestige qu'il pouvait avoir autrefois. II semble lui-même être plus animé par le désir de rester jeune et actif que par tout autre statut que confère un âge avancé gage de respect et de considération à priori.

Donc le déclin des rites qui marquent normalement le passage de la jeunesse à l'âge adulte pourrait en partie être lié à la perte de prestige du mâle adulte qui est  moins unanimement respecté qu'autrefois selon O. Galland.

Nous pouvons ajouter à cette explication, qu'on peut qualifier de psychologique, une autre raison : celle de l'émergence et l'imposition de l'individualisme comme valeur suprême. La société moderne est une société où le « Nous » ne prime plus sur le « Je ». On y encourage l'initiative individuelle et le choix personnel. L'homme occidental a une existence subjectivée ; il est reconnu en tant que personne privée pouvant exprimer son individualité avant toute appartenance collective. L'affirmation : « maman c'est ma vie, j'en fais ce que je veux » est, pour nous africain, typique de l'homme moderne occidental.

En plus de toute considération, il faut prendre en compte - comme le suggère Ségalen pour expliquer l'effacement des rites - le fait que le rite nécessite un espace et un temps distincts. Or cette distinction est difficilement repérable dans la société française car « s'est opérée une disjonction des lieus où se font les passages religieux, scolaire, professionnel, sportif ou civique, alors que ces champs sont conjoints dans les sociétés qui ont servi de référent à l'élaboration des théories sur le rituel, qu'il s'agisse des rites religieux ou des rites de passage »1(*).

- La seconde tentative d'explication du déclin des rites de passage est liée encore une fois à la scolarité. En effet l'école est perçue dans cette optique comme un cadre d'uniformisation qui fixe pour tous ceux qui y évoluent, plus ou moins , le même cheminement à suivre, les différentes étapes de la vie. L'école serait aussi quelque part responsable de l'allongement des modes d'accès à l'âge adulte, les jeunes poursuivant des études de plus en plus longues.

Nous contestons ce reproche fait à l'école car nous ne confondons pas accès à la vie active, professionnelle et accès à l'âge adulte. Est-ce que le fait, par exemple, qu'un étudiant en troisième cycle (âgé de 26 ans et non salarié, ) soit toujours à « l'école » fait de lui une personne n'ayant pas accédé à l'âge adulte? Nous répondons évidemment par la négative. Nous pensons qu'il n'est effectivement pas dans le monde des actifs, au sens où l'entend l'INSEE, mais qu'il n'en est pas moins adulte. A moins qu'on assimile, sans mesure, le statut d'adulte à celui d'actif ou d'ancien actif. Nous verrons plus loin que les élèves ont une idée très différente de celle-ci lorsqu'il s'agit d'être adulte. Pour le moment considérons le déclin d'un autre rite de passage très particulier : le service militaire.

3. Le service militaire.

Au travers de nos recherches, le service militaire n'a pas été mentionné dans la liste des rites déclinants. Les auteurs sont peu expressifs à son sujet. Il faut dire que les changements intervenus depuis la décision de Jacques Chirac de supprimer le service militaire obligatoire sont trop récents pour pouvoir en tirer toutes les conclusions sociologiques nécessaires.

Selon certains auteurs comme Chamboredon, l'allongement de la jeunesse, l'indétermination plus marquée des frontières pratiques qui l'encadrent et surtout la déconnexion des différents seuils d'accès à la maturité font perdre de leur efficacité à des rites de passage qui ne sanctionnent plus qu'un accès partiel et peut-être provisoire à l'âge adulte. Quid du service militaire? Il était sans aucun doute un rite de passage.

La fin du service militaire obligatoire constitue un véritable événement pour tous ceux qui s'intéressent aux rites de passages.

En effet, autrefois le service était très marqué et représentait, du moins dans les classes populaires, un seuil important parce qu'il était suivi du départ de chez les parents, d'une entrée au travail et souvent du mariage. Aujourd'hui, un tel déroulement est tout à fait aléatoire et la fin du service ne signifie plus l'accès à l'âge adulte. Mais aussi et surtout, le fait majeur est que le service militaire ne concerne plus tous les garçons ayant atteint la majorité.

Depuis une décision présidentielle (de Jacques Chirac), ceux qui sont nés après le 1er janvier 1981 ne sont plus concernés par le service, dans son ancienne formule. les appelés sous les drapeaux doivent désormais accomplir « la journée citoyenne » en lieu et place du service qui durait dix mois. Un autre fait nouveau est l'égale entrée des filles et des garçons dans les différents corps de l'armée. La génération intermédiaire, c'est-à-dire celle qui est née avant cette date du 1er janvier 1981 constituera la dernière à vivre le « véritable » service militaire. Cela soulève d'ailleurs un certain nombre de problèmes. En effet, des jeunes de cette génération se sont constitués en collectif intitulé « Sans Nous ». L'argument majeur que ces hommes opposent à leur incorporation est qu'ils ont un travail bien rémunéré. Quelques-uns uns occupant des postes de responsabilité qu'ils ne sont pas sûrs de retrouver à la fin de leur service. Ils ne veulent pas faire « leur » service militaire parce qu'ils jugent qu'en s'y soumettant, ils risquent pour la plupart de changer radicalement leur vie. Il y a bien un avant et un après le service dont ils sont conscients. Donc en cela, il y a bien pour ces derniers, un rite de passage. Il y avait pour les garçons une coupure radicale entre l'avant et l'après service militaire ; il en sera de même, pour d'autres raisons certes, pour les derniers appelés.

II. De la multiplication des rites.

A l'opposé de cette première position qui veut voir, dans les sociétés modernes occidentales, un déclin des rites de passage, existe une autre plus optimiste. En effet d'autres auteurs voient dans la société française une floraison de rituels même si les puristes risquent de crier au dévergondage conceptuel.

Ce sont pour l'essentiel des rites profanes, c'est-à-dire des rites qui n'ont pas à voir avec le sacré ou le religieux. Nous l'avons déjà souligné. Marie Douglas observe l'étroitesse qui existe dans la définition donnée au terme de rite. Une définition qui finit par l'assimiler et exclusivement au champs religieux. Ce constat l'amène à appeler à un élargissement considérable de la notion de rite.

L'anthropologue pense en effet, que nous ne devons pas chercher le rituel que du côté du religieux. Mais la recherche doit être menée partout où il y a du sens. La question du sens est primordiale. « Existe-t-il du sens sans rite » est la question qu'elle se pose. Aristote définissait l'homme comme un animal politique, M. Douglas est convaincue que l'homme est avant tout un « animal social » ; « l'homme est animal rituel, écrit elle, supprimez une forme de rite et il apparaît sous une autre forme, avec d'autant plus de vigueur que l'interaction sociale est intense. II n'y a pas d'amitié sans rite d'amitié. Les rites sociaux créent une réalité qui, sans eux, ne seraient rien (...) il n'y a pas de rapports sociaux sans actes symboliques »1(*)

En fin de compte nous ne pouvons pas parler de déclin des rites de passage et à fortiori de leur fin. Ce qui peut être noté comme un déclin des rites ne signifierait pas en fait, leur disparition à terme mais plutôt leur transformation. Ils resurgissent sous

d'autres formes.

Rivière pense de son côté que par rapport aux sociétés dites traditionnelles, dans les sociétés modernes, il y a émiettement de la majorité ; qu'elle soit sexuelle, sociale, scolaire, juridique, professionnelle etc. En même temps il note une vitalité des comportements compensatoires d'appartenance à des groupes, des bandes et des sous cultures produisant des contre rites ou plutôt des rites spécifiquement construits par des jeunes et pour des jeunes.

Par ailleurs d'autres auteurs observent des rites dans les comportements de

certains groupes d'adultes. En fin de compte des rites sont observables aussi bien chez les jeunes que chez les adultes.

1. Le concert de Rock

Chez les jeunes d'abord, des comportements qualifiés de rituels ont été observés, par exemple, dans les concerts de Rock'n Roll tout au long des années 1950-1970. J-M Séca note une identification des fans à leurs idoles vestes en cuir noir, chaînettes de vélos, la coupe en banane etc.

Les groupes de Rock ainsi que leur public sont essentiellement masculins. II y a un langage ésotérique compris par les seuls initiés, une complicité entre les rockeurs et

leurs fans qui traduisent une ritualité selon Séca. II pense que c'est dans un projet rituel « et plus largement par le détour de l'activité musicale que les minorités rock radicalisent une anxiété qui semblerait atteindre un plus grand nombre d'individus que l'on ne croit, dans les sociétés fortement fragmentées comme les nôtres » 2(*).

Comme tout rite alors, l'espace musical a sa fonction dans la mesure où il «  favorise la résolution des conflits intérieurs, satisfait les désirs d'accomplissement personnel, de construction, de création, et structure chaque individu en le plaçant dans un projet de constitution d'une culture à soi ». Donc comme nous le suggère Séca, le Rock n'est pas réductible à un refus de se placer sur le terrain de l'apprentissage car il faut se demander, selon lui si cette musique n'a pas favorisé chez beaucoup de personnes l'apprentissage des normes et de l'effort, ou encore, « si la constance du courant rock à travers ses variétés : hard cord, funky, jazz rock, rock progression..., n'indique pas un mode d'être juvénile, repérable dans toutes les époques, même celle du jazz de Boris Vian, qui consiste à fêter rituellement et parfois longuement le cap de l'entrée dans la vie adulte. » 1(*). Cette efficacité du rock en fait-elle, néanmoins un rite de passage? L'efficacité symbolique et sociale est une condition nécessaire pour classer un fait un rite mais elle n'est pas suffisante.

Nous avons aussi, l'exemple du Rap et du Tag qui appartiennent tous les deux à la culture Hip Hop.

2. Le Hip Hop

Le Rap a une signification particulière pour le rappeur. On y entre « comme en religion, par initiation aux «  mystères » (... ) il s'agit non seulement d'une identité de style artistique, mais d'un genre structuré comme un rite avec formulation orale poétique. La virtuosité langagière obéit à des règles strictes de rythme et de rime, de soutien sonore mixé, de frénésie argotique sur une thématique de clameurs sociales, de jectance et parfois de militante politique » « tout comme le preaching des églises baptistes et pentecôtistes, qui est improvisation vocale avec réponses cadencées, à visée poétique et émotive, l'improvisation rap fait parti du rite et pousse à la transe.

Le rite comporte un constat festif avec le public dans la rue comme dans les salles

de spectacle. Chacun y a son rôle. Le MC, maître de cérémonie, est le grand

organisateur des déchaînements(...) »2(*).

Quant au Tag, il exprime la violence de l'indéchiffrable pour le profane, mais pour l'initié, il entre dans la héraldique identitaire d'une tribu qui marque ainsi son territoire et le défend par des représailles contre ceux qui le recouvriraient de productions adverses. Le chef se voit consacré lorsque s'agrège autour de sa griffe une nuée de tags de fidèles. Du rite le tag présente les caractères et signes, d'ésotérisme des messages énoncés, de régulation codée, de théâtralisation d'une présence au monde, d'efficacité symbolique.

L'activité conjugatoire de type magique est ritualisée quant au temps nocturne du bombage, quant aux espaces et parois barbouillées, quant au message de revendication de territoire et de place au soleil, quant aux codes, symboles, valeurs de groupes de taggueurs.

Par le geste qui fait trace, l'adolescent se donne une existence sociale. En prenant langue, il s'émancipe, mais intégré à un micro-groupe d'âge.

Cependant, ces rituels modernes ne sont pas réservés aux jeunes. D'autres phénomènes ont été observés, chez les adultes, par des ethnologues tels que Christian Bromberger1(*). Ce dernier met en lumière des faits qui peuvent être analysés comme des rituels dans le déroulement d'un match de football.

3. Le match de football

Pour Bromberger, une certaine dimension rituelle est présente dans le match de football. Par exemple « la répartition du public dans l'enceinte du stade » revêt une importance. Cela évoque pour lui, par bien des aspects, « la distribution rigoureuse des différents groupes sociaux lors des grandes cérémonies religieuses » avec « la présence obligatoire et ostentatoire des détenteurs du pouvoir politique dans la tribune officielle »2(*). Autant le calendrier suivi pour les compétitions, la préparation du match de football que le comportement des supporters peuvent révéler une certaine dimension rituelle.

Nous ajouterons qu'une des premières choses que nous remarquons en pénétrant dans un stade de football à quelques minutes du coup d'envoi c'est les supporters couverts des couleurs de leur équipe favorite s'invectivant et s'identifiant pour les plus passionnés à des groupes tels que les Warriors ou les Yankees pour Marseille, les Bad Gones pour Lyon ou encore le kop Boulogne pour le Paris Saint-Germain pour ne citer que ceux-là.

II est intéressant de remarquer les revendications d'antériorité des termes ou des slogans quant le match oppose deux équipes assez proches de quelque façon que ce soit (proximité géographique, homonymique etc.). Nous avons l'exemple des supporters lyonnais brandissant une banderole sur laquelle est inscrite « il n'y a qu'un seul Olympique : l'Olympique lyonnais » à des marseillais qui debouts à la

tribune d'en face exhibent fièrement la leur sur laquelle on peut lire : « le vrai

Olympique : l'Olympique de Marseille ».

Avant le coup d'envoi, il y a le rituel de la présentation des deux équipes suivi du tirage au sort pour le choix d'un camp. Immuablement dans tous les stades du monde pour tout match officiel, l'arbitre lance la pièce en présence de ses assistants et du capitaine de chaque équipe. Seulement alors le match peut commencer et on y utilise un langage certes codifié mais guerrier et vengeur qui a à voir avec le genre

féminin. On parle de « surface de réparation » pour corriger une faute commise par un joueur dans son camp, de « cage inviolée » ou encore de « score nul et vierge » pour signifier qu'il n'y a pas de but inscrit dans la partie.

Même s'il y a de plus en plus de licenciées (donc des « footballeuses » dans les fédérations et une augmentation constante de « supportrices » dans les stades, le football reste pour beaucoup une activité d'hommes.

Conclusion

Nous pouvons dire, en résumé que la notion de ritualité reste complexe du moins dans sa définition. En effet, toutes les tentatives de définition se heurtent, quelque part, à la plasticité de la notion. Comment satisfaire à l'exigence méthodologique de la définition des notions, fondamentale à toute entreprise sociologique, dans le cas présent? S'il est délicat de trouver une définition qui sied à tout le monde, cela est peut être dû, d'une part, à la nature de la discipline sociologique en tant que geisteswissenschaften, d'autre part, nous l'avons souligné, à la polysémie de la notion de rite.

En définitive, aborder la notion de rite de passage semble être plus aisé, dans la mesure où nous en avons une définition formelle depuis Arnold Van Gennep. Les rites de passage sont intrinsèques, selon le folkloriste, à la vie. Ainsi la vie individuelle quel que soit le type de société, consiste à passer successivement d'un âge à un autre, d'une situation à une autre. Et les rites de passage qui ponctuent cette vie se remarquent, à tout instant et à tout lieu, par la succession des trois stades que sont la séparation, la marge et l'agrégation. Par ailleurs, toutes les définitions (ou tentatives de définition) des rites se confondent avec leur fonction.

Alors, explorer les rites de passage, revient à analyser leur fonction et leur efficacité. Voir si la société française est encore ritualisée, c'est chercher à y trouver des rites et les rôles qu'ils peuvent y tenir.

Certains auteurs soutiennent que les rites s'y font rare à défaut d'y avoir disparu. Cela est d'autant plus compréhensible, de ce point de vue, que les rites ne peuvent faire sens, dans un occident au processus de sécularisation très avancé. D'autres, s'inscrivent en porte à faux avec cette analyse. L'argument avancé étant qu'il ne peut y avoir de rapports sociaux sans actes symboliques, donc sans rites.

Où nous positionner pour justifier notre étude du baccalauréat comme rite de passage? A priori (et seulement à priori), le second courant semble être le plus adapté à notre démarche. Cependant, les deux positions sont à la fois défendables et contestables.

En effet, comment ne pas voir une problématique dans l'existence de rites de passage dans une société « aseptisée », débarrassée de beaucoup de croyances et où l'efficacité pratique prime sur l'efficacité symbolique? En même temps, peut-on soutenir que les rites de passages prolifèrent dans la société moderne (en l'occurrence la société française)? Nous pensons qu'une telle position entraîne le dévergondage conceptuel du rite de passage, c'est-à-dire en voir partout alors que les rites de passage sont différents des rituels en général. Il sont aussi plus exigeants que les cérémonies - même si elles ont des relents de ritualité - telles que le hip hop ou le concert de rock.

Les rites de passage sont d'un autre ordre puisqu'ils ont pour fonction essentielle de manipuler symboliquement le temps de toutes les façons imaginables. Ils ont pour fonction « de le retarder, de l'avancer, de le rendre plus rapide ou plus lent, de l'atomiser ou de le synthétiser, d'anticiper pour mieux revenir en arrière, ou de revenir en arrière pour mieux anticiper. et la manipulation symbolique du temps donne ainsi l'illusion qu'on le maîtrise, qu'on ne le subit plus dans l'impuissance ».1(*)

DEUXIEME PARTIE :

ETUDE DU BACCALAUREAT ET DE SES DIFFERENTES REFORMES

PLAN

Introduction................................................................................................34

A. Du régime féodal à napoléon.................................................................35

1. les origines du baccalauréat..........................................................35

2. L'institution du baccalauréat.........................................................37

3. La consolidation du baccalauréat ...................................................40

B. Le premier siècle du baccalauréat : les réformes.....................................42

1. La réforme de V. Duruy..............................................................................42

2. Les réformes sous la 3ème République...............................................................43

3. La réforme de 1890....................................................................................46

4. La réforme de 1902....................................................................................51

C. La première moitié du 20ème siècle.........................................................57

D. La seconde moitié du 20ème siècle .........................................................60

1. La notion de « niveau baccalauréat »...............................................62

2. Les projets de réformes...............................................................64

- Le projet J. Fontanet....................................................................................64

- Le projet J - P Chevénement..........................................................................65

- Le projet R. Monory et A. Devaquet.................................................................66

- Le projet L. Jospin......................................................................................66

- Le projet J. Lang........................................................................................67

- Le projet F. Bayrou.....................................................................................68

Conclusion................................................................................................70

Introduction

Le baccalauréat constitue le second terme important dans la définition des notions. Mais plus qu'une définition, il s'agira surtout dans cette partie d'essayer de cerner l'examen et le diplôme. Le baccalauréat étant tout à la fois la sanction des études secondaires et le passeport pour l'entrée dans l'enseignement supérieur, nous nous efforcerons de voir comment il s'est constitué à travers le temps.

En effet, nous ne pouvons étudier cet examen particulier, sans parcourir la distance qui nous sépare de sa création. Comment le baccalauréat a t-il réussi à être, toujours, l'objet d'une valorisation symbolique et sociale extrêmement lourde ? Il est, aujourd'hui tout à la fois, la reconnaissance de l'accès à la culture et la clef d'accès à l'université, c'est-à-dire l'accès au lieu de production et de reconnaissance de la culture ( pour utiliser un langage bourdieusien). Le baccalauréat occupe une place particulière dans le système éducatif français et les représentations individuelles et collectives. Il semble, au sens normatif du terme, présenter des caractéristiques propres qui le rendent indiscutable. Il est le modèle de toute certification scolaire ou du moins tend à l'être. Mais quelle est l'histoire du baccalauréat ? Pourquoi l'histoire de l'enseignement secondaire se confond t-elle avec la vie de l'examen ?

Dans cette seconde partie, nous nous servirons de l'historiographie du baccalauréat pour éclairer le chemin parcouru. Cette partie de notre étude nous en apprend autant, sinon plus sur l'importance de l'examen que les entretiens réalisés avec les élèves.

Nous verrons ici que le baccalauréat prend racine dans le moyen âge et dans l'aristocratie ancienne pour s'instituer en France après la révolution, par souci d'égalité.

Ensuite, la consolidation de l'examen s'est faite, d'une part, grâce à la conviction que c'était le meilleur moyen pour entrer dans la vie professionnelle, d'autre part à son statut de premier grade universitaire.

Le premier siècle du baccalauréat nous renseignera sur les différentes réformes qui ont entraîné multiplications et réunifications des diplômes ainsi que la polémique autour du rôle social de cet examen.

Quant au vingtième siècle qui correspond au bicentenaire du baccalauréat, il se divise en deux. Sa première moitié évoque l'augmentation des séries et des épreuves écrites (pour diverses raisons) ainsi que l'harmonisation de l'enseignement et de l'examen. Nous y évoquerons également la condition des filles et leur entrée massive dans l'enseignement secondaire et les salles d'examen ainsi que les conséquences du « boom » démographique d'après guerre.

Enfin la seconde moitié du vingtième siècle nous révélera surtout la frilosité des différents réformateurs et l'intangibilité du baccalauréat.

A. DU REGIME FEODAL A NAPOLEON

1. Les origines du baccalauréat

Aujourd'hui un bachelier c'est un étudiant détenteur du diplôme intitulé le baccalauréat. Ce titre lui permet, en droit, d'accéder aux études supérieures. Alors qu'autrefois le bachelier ou baccalarius, correspondait d'abord à celui qui tenait une baccalaria, c'est-à-dire une sorte de métairie.

Sous le régime féodal, le bachelier indiquait en période de guerre un servant qui aspirait à être chevalier et tenait rang entre le chevalier et l'écuyer tandis qu'en temps de paix, dans la vie civile, le bachelier était un apprenti, un homme pas encore classé. Ce nom désignait aussi, par extension le célibataire (bachelor en anglais), c'est-à-dire celui qui n'avait ni famille ni maison et dont on ne faisait pas état.

Cependant si l'origine probable du mot est relativement facile à établir, il en est tout autrement du diplôme - Le baccalauréat - qui nous intéresse ici.

En effet, l'histoire du diplôme universitaire est bien complexe et son évolution pédagogique s'est faite de façon assez lente. Dans son développement, la procédure administrative de l'examen à l'issue duquel, le candidat reconnu apte obtient le grade de bachelier ( le premier dans la hiérarchie des grades universitaires délivrés par l'Etat) est plus compliquée.

Soulignons d'emblée que le baccalauréat est certainement l'un des examens sinon l'examen le plus critiqué en France en même temps qu'il est souvent considéré comme le plus symbolique. Très souvent critiqué, quelques fois enchéri ou les deux à la fois, le baccalauréat reste néanmoins sujet à de multiples polémiques et d'innombrables réformes ministérielles. Nous allons voir cet aspect de l'examen par la suite.

Il est utile de rappeler à ce stade que peu de choses ont été écrites sur le baccalauréat. Il est en effet très difficile de trouver des travaux consacrés au sujet depuis l'ouvrage de Piobetta1(*). Des études sur l'enseignement en France ou le système éducatif français s'y sont intéressées sans pour autant en faire leur centre d'intérêt.2(*)

Maintenant l'examen du baccalauréat, proprement dit, s'intitulait dans sa forme première : la déterminance.

L'origine de la déterminance remonte à l'université de Paris où le chancelier de Notre Dame était le seul à décerner le titre de maître c'est-à-dire habilité à enseigner.

Les maîtres de la faculté des arts s'opposèrent à ce monopole du chancelier et leur corporation imposa une nouvelle règle : les candidats devaient désormais se soumettre à une série d'examen dont le premier était nommé déterminance (de determinare qui signifiait poser des thèses).

L'épreuve devint rapidement obligatoire pour tous les candidats à la licence. Ce diplôme menant à son tour à la maîtrise ès arts.

Mais voyons d'abord brièvement comment et par quelle organisation l'élève était-il amené à disputer la déterminance.

Selon Decaunes1(*), avant la révolution française ce qui devrait être nommé éducation secondaire était dispensée dans les collèges des ordres religieux chez les jésuites et les oratoriens en particulier.

Les cours étaient dispensés aux garçons ayant préalablement appris à lire et à écrire et qui maîtrisaient les fondamentaux de l'arithmétique et du latin.

Pour les filles (nous reviendrons sur leur cas un peu plus loin), une forme d'éducation secondaire était aussi dispensée dans les couvents.

Donc lorsqu'on naissait garçon, on entrait dans les collèges à dix ans et on en ressortait six à huit années plus tard. Les matières principalement enseignées dans ces collèges étant le latin et le grec même si certains de ces ordres religieux enseignaient en plus les mathématiques et l'histoire. L'instruction et les pratiques religieuses y tenaient naturellement une part importante.

Quant à l'examen de déterminance, proprement parlé, il prend origine dans le 13ème siècle lorsque la Sorbonne accueillait des adolescents (âgés de quatorze ans) qui sous la férue des maîtres (nous l'avons déjà souligné) concouraient pour prouver leur aptitude à suivre un enseignement supérieur. Mais ce n'est qu'à la fin du 14ème siècle que la déterminance prit le nom de baccalauréat. Le baccalauréat devint ainsi le premier échelon des diplômes universitaires et elle ouvrait la porte qui menait aux autres diplômes ; Licence et Maîtrise notamment.

L'examen formalisé par un décret royal en 1598 était laissé à la libre organisation des universités. Chaque université pouvant, à sa façon, organiser son baccalauréat. Cette liberté accordée aux universités dans l'organisation de leur baccalauréat eut cour jusqu'à ce que Napoléon Bonaparte décide d'harmoniser tous les baccalauréats, au début du 19ème siècle.

A partir de cette date, le titre de bachelier ne devait plus être décerné qu'à ceux qui se destinaient à l'enseignement de la théologie ou de la médecine.

Les choses devaient par la suite évoluer grâce notamment à la révolution française. Cette révolution, a indéniablement modifié à jamais le paysage politique français, ce qui est d'ailleurs son aspect le plus spectaculaire ; mais elle a aussi changé la donne en matière d'éducation scolaire, et c'est ce qui nous intéresse ici.

2. L'institution du baccalauréat

Après la révolution de 1789, la république par souci d'égalité ramena l'éducation, en générale, sous la responsabilité de l'autorité publique.

Ainsi le décret du 17 novembre 1794 1(*) stipulait que l'école primaire, au moins, devait être ouverte à tous les enfants garçons comme filles âgés de six ans. Le pari étant d'ériger une école pour chaque millier d'habitants.

Si la majorité des élèves au terme de l'école primaire entraient dans la vie active ( dans l'agriculture ou dans l'industrie en particulier ) les autres continuaient leur cursus dans ce qui était appelé à l'époque « l'école centrale ». Ecole centrale parce que chacune de ces écoles regroupait les élèves issus de plusieurs écoles alentours2(*). Ils y apprenaient jusqu'à l'âge de dix sept ou dix huit ans, les mathématiques, la physique chimie, les sciences naturelles, la grammaire etc.

Toutefois, le décret du 25 octobre 1795 3(*) apportera quelques modifications substantielles au système éducatif. Des écoles spéciales pour l'enseignement des arts vétérinaires, de la mécanique, des sciences politiques, de la peinture, d'économie rurale, d'antiquité furent ouvertes. Les grandes écoles, pour leur part connurent leur véritable essor avec le maintien et la spécialisation des écoles d'ingénierie civile et politique, ou d'artillerie et service naval.

Ainsi, en 1798, quatre vingt dix sept (97) écoles centrales remplacèrent les cinq cent soixante deux (562) collèges qui dispensaient l'éducation secondaire avant la révolution 4(*). Cependant les écoles centrales furent à leur tour long feu. Elles furent supprimées parce qu'elles étaient jugées trop peu efficaces et pas assez organisées. En effet, les parents préféraient encore envoyer leurs enfants dans des écoles privées car à leurs yeux les écoles centrales prenaient beaucoup plus en compte l'âge comme facteur d'admission que le mérite. En somme la sélection dans ces écoles n'était pas assez sévère.

De ce fait, la loi du 1er mai 1802 5(*) supprimait les écoles centrales pour les remplacer progressivement par les lycées napoléoniens. Ce fut en quelque sorte un retour aux collèges d'avant la révolution.

Cependant on ne peut pas dire que toutes ces réformes de l'organisation du système scolaire, du moins de l'éducation secondaire créèrent le baccalauréat tel que nous le connaissons aujourd'hui ou même quelque chose d'analogique à cet examen.

En effet, il n'y a rien dans la loi du 1er mai 1802 qui faisait mention d'un quelconque lien entre le lycée et l'enseignement supérieur.

Cette absence de lien entre les deux niveaux peut s'expliquer selon certains auteurs comme Piobetta par le fait que la tâche du lycée était non de produire de futurs étudiants mais simplement de futurs fonctionnaires et des soldats1(*). Le lycée ne délivrait pas de diplômes garantissant l'accès à l'enseignement supérieur.

Tous les élèves quittaient le lycée à dix huit ans et l'Etat offrait alors, soit une bourse aux meilleurs élèves pour qu'ils intègrent les écoles spéciales soit un emploi dans le service public. Il y avait certes les examens pour décrocher ces bourses ou ces emplois mais ceux qui échouaient se voyaient néanmoins accordés un certificat prouvant leurs capacités intellectuelles.

Cependant, malgré les efforts de l'Etat, les lycées ne se multipliaient pas comme l'espéraient les dirigeants politiques de l'époque. En 1806, par exemple, seulement vingt deux mille (22.000) élèves étaient dénombrés dans trois cent soixante dix (370) établissements secondaires publics contre vingt sept mille (27.000) élèves dispersés dans trois cent soixante dix sept (377) établissements privés2(*). La raison principale de cette désaffection étant que la majorité des parents d'élèves préféraient envoyer leur progéniture dans les établissements privés où elle recevait encore une éducation supposée de meilleure qualité mais aussi et surtout une éducation religieuse.

Pour Napoléon, cette situation était bien entendu insoutenable dans la mesure où elle ne favorisait pas l'unité spirituelle nécessaire à une stabilité politique. Elle ne correspondait pas à ses ambitions. L'idée de retourner aux collèges pré-révolutionnaires revenait ainsi à l'ordre du jour. Mais celle de créer une institution fondée sur une cohésion, un esprit et des traditions séculaires était encore beaucoup plus séduisante pour l'empereur.

Les familles bourgeoises multipliaient les manifestations de désaccord à ce projet. Ils clamaient la supériorité des établissements privés catholiques sur les lycées de l'Etat.

Ainsi la loi du 10 mai 1806 qui créa la fondation de l'Université impériale fut un véritable tour de force de Napoléon. En effet, par cette loi, l'empereur obligea la bourgeoisie à lui confier ses enfants bon gré mal gré.

Cette loi stipulait :

- D'abord, il sera formé sous le nom d'Université impériale, un corps chargé exclusivement de l'enseignement et de l'éducation publics dans tout l'Empire.

- Ensuite, les membres du corps enseignant contracteront des obligations civiles, spéciales et temporaires.

- Enfin, l'organisation du corps enseignant sera présentée, en forme de loi, au corps législatif, à la session de 1810.

Mais bien avant cette date, un autre décret impérial, celui du 17 mars 1808 1(*), instituait l'université ainsi que le diplôme qui sanctionnerait la fin du cycle secondaire.

C'est à partir de ce décret selon Willam Gagen2(*) que s'est développée l'organisation du baccalauréat tel qu'on le connaît aujourd'hui, c'est-à-dire en tant que diplôme mais aussi en tant qu'examen.

Le baccalauréat sera désormais le couronnement et la sanction des études secondaires. L'examen portera, selon le décret du 17 mars 1808 rapporté par Piobetta3(*), sur « tout ce qu'on enseigne dans les hautes classes des lycées ».

Ce décret disait :

art16-  les grades dans chaque faculté seront au nombre de trois, savoir le baccalauréat, la licence et le doctorat ;

art17- les grades seront conférés par les facultés à la suite d'examens et d'actes publics ;

art19- pour être admis à subir l'examen du baccalauréat dans les facultés des lettres, il faudra : primo être âgé au moins de seize ans, secondo répondre sur tout ce que l'on enseigne dans les hautes classes des lycées ;

art22- on ne sera reçu bachelier dans la faculté des sciences qu'après avoir obtenu le même grade dans celle des lettres et qu'en répondant sur l'arithmétique, la géométrie, la trigonométrie rectiligne, l'algèbre et son application à la géométrie.

Aussi, tout le monde s'accorde aujourd'hui à attribuer à Napoléon la paternité du baccalauréat même si sa conception de l'éducation était bien loin de celle des révolutionnaires. Ces derniers envisageaient, rappelons le, l'éducation publique comme un devoir de l'Etat envers ses citoyens alors que Napoléon y voyait un moyen de fidélisation des français à l'empereur et à la monarchie impériale4(*). Néanmoins, c'est l'institution de l'université impériale qui assit le modèle de l'éducation nationale française pour le siècle et demi suivant.

Napoléon voulait que l'université impériale, plus que les grandes écoles, soit un lieu de culture et de recherches. L'élément fondamental de cette université étant le lycée, il fallait donc le consolider et rehausser le caractère du baccalauréat qui constituait la passerelle entre université et lycée.

3. La consolidation du baccalauréat

Le décret du 17 mars 1808 et le statut organique du 16 février 1810 1(*) n'avaient fait du baccalauréat que le premier grade universitaire. Mais une circulaire interprétative du statut daté du 10 février 1810 laissait entrevoir l'intention de conférer au baccalauréat des prérogatives encore plus étendues que celles de donner simplement accès à la faculté de droit, à celle de médecine ou aux fonctions d'enseignement.

Ainsi, le statut du 17 mars 1808 cité par Piobetta 2(*) met en avant, dans son article 31, trois mesures :

« 1°, les emplois de maîtres d'études et de pension ne pourront être occupés que par des individus qui auront obtenu le grade de bachelier dans la faculté des lettres ;

2°, il faudrait être bachelier dans les deux facultés des lettres et des sciences pour devenir chef d'institution ;

3°, Les principaux et régents des collèges, les agrégés et professeurs des sixième et cinquième, des quatrième et troisième classes des lycées devront avoir le grade de bachelier dans les facultés des lettres ou de sciences, suivant qu'ils enseigneront les langues ou les mathématiques.»

Donc le baccalauréat était le grade nécessaire pour toutes ces fonctions d'enseignement. Quant à l'article 187 du décret du 15 novembre 1811, il demandait au Conseil de l'Instruction publique de «  préparer le projet indiquant les professions auxquelles il conviendrait d'imposer l'obligation de prendre des grades » 3(*).

Ainsi le baccalauréat devint la condition première de toutes les carrières libérales et une véritable institution, solide et capable de résister à toutes les attaques et de survivre à toutes les réformes.

Toute une série de circulaires aboutit à celle du 19 septembre 1820 qui déclarait : « le grade de bachelier va ouvrir l'entrée à toutes les professions, et devenir, par conséquent, pour la société, une garantie essentielle de la capacité de ceux qu'elle admettra à la servir » 4(*).

Entre 1820 et 1850 Piobetta dénombre, outre les discussions des années 1832, 1837 et 1844 à la chambre des pairs et à la chambre des députés, plus de soixante dix (70) ordonnances, décrets, statuts, arrêtés, décisions, circulaires, dont le baccalauréat était l'unique objet. Ces textes étaient, pour la plupart, selon ce dernier, de pressantes recommandations à la sévérité, des prescriptions minutieuses sur les formalités à remplir par les candidats et par les commissions d'examen, des précisions sur les programmes et la durée des épreuves.

De tous ces documents officiels se dégageait l'impression que le baccalauréat, en devenant la norme et la mesure des études secondaires et la clef de toutes les positions, a cessé d'être le diplôme uniquement recherché par un petit nombre d'étudiants et obtenu sans beaucoup de peine à la sortie du lycée. Tous ceux qui aspiraient aux fonctions de l'Etat ou aux professions libérales voulaient obtenir ce diplôme qui seul pouvait leur en ouvrir les portes.

Il faut souligner aussi que le monopôle complet de la préparation de l'examen du baccalauréat par les établissements publics était loin d'être effectif. En effet, si le principe du monopôle était, dans les textes fermement maintenus, dans la pratique il en été autrement.

B. LE PREMIER SIECLE DU BACCALAUREAT : LES REFORMES

1. La réforme de Victor DURUY

L'objectif de V. Duruy, arrivé au Ministère de l'Instruction Publique ( l'ancien nom du ministère de l'Education Nationale) le 24 juin 1863, était selon ses propres termes « de fortifier par un enseignement scientifique mieux coordonné et plus solide de la culture intellectuelle des élèves de la section des lettres ; fortifier et mûrir par l'enseignement littéraire d'une première année d'humanités, combiné avec celui des principes mathématiques, la culture intellectuelle de la section des sciences. »1(*).

Duruy admettait mal que les études secondaires, si elles voulaient vraiment justifier le nom d'humanités qu'on leur donne puisse être exclusivement littéraires ou exclusivement scientifiques ( humanités parce qu'elles permettaient d'apprendre à penser et à faire des hommes), cela même si la sanction des études secondaires se traduisait ou bien par le baccalauréat ès lettres ou bien par le baccalauréat ès sciences.

Le plan d'études de Victor Duruy avait donc pour ambition de constituer « le cours normal des humanités avec plus de sciences que par le passé, afin que l'esprit des élèves fut fortifié par les méthodes scientifiques en même temps qu'étendu par les disciplines littéraires »2(*)

Pour le ministre, le rôle du lycéen était moins d'amasser des connaissances que d'apprendre à étudier, et le diplôme qui sanctionnait ses études, au lieu d'attester un « savoir hâtif qui ne résiste pas à quelques mois de loisir » devait être la preuve d'aptitudes réelles à raisonner, à écrire et à parler. Il devait sanctionnait « des connaissances solides acquises grâce au contact des grandes oeuvres de l'esprit humain et des méthodes de la science ». Les études secondaires et l'examen qui les concluait pouvaient enfin être organisés l'un en fonction de l'autre.

Duruy apportera au baccalauréat une autre touche non moins importante. En effet, Le 24 octobre 1863 3(*), il imposa à tous les candidats des épreuves identiques et introduisit ainsi l'unification des examens du baccalauréat.

C'est à cette date, selon Piobetta, que Duruy avertit les recteurs qu'une fois au moins dans chacune des sessions du baccalauréat, et pour chacune des compositions prescrites par les règlements, soit pour le baccalauréat ès lettres, soit pour le baccalauréat ès sciences, le ministère de l'Instruction Publique adressera à toutes les Académies un même sujet. Un sujet destiné à être traité, le même jour et à la même heure, dans toutes les facultés, par la série de candidats appelés ce jour-la d'après leur rang d'inscription à prendre part à l'épreuve.

2. Les réformes sous la troisième république

La troisième république est établie le 4 septembre 1870 après la chute de Sedan dans la guerre contre les Prussiens.

La défaite française dans cette guerre a accentué la lutte entre l'Etat et l'Eglise sur les questions scolaires. Pour les républicains la cause principale de la défaite était à chercher dans le niveau insuffisant d'éducation de la population en général et des soldats en particulier. Ainsi jugeaient-ils que l'éducation devait être gratuite pour tous les enfants. Pour les catholiques, par contre, la France a été défaite parce qu'elle a tourné le dos au christianisme. De ce fait considéraient-ils que l'éducation catholique était plus que jamais nécessaire.

Le désastre de 1870, en montrant combien les classes dirigeantes s'étaient révélées inférieures à leur tâche, avait fait surgir des critiques très vives contres l'enseignement qu `elles avaient reçu. Pour beaucoup de français le véritable artisan de la victoire allemande était l'instituteur prussien. « Le grand public, dit M. Weill, indifférente à la pédagogie, ne songeait qu'aux résultats visibles et tangibles. Il avait constaté que les officiers allemands savaient le français, que les officiers français ne savaient pas l'allemand : on devait apprendre les langues vivantes. Ces formules simplistes obligeaient le gouvernement à faire quelque chose... »1(*).

Ainsi l'occasion était trop belle pour les détracteurs de l'enseignement étatique.

En effet, les catholiques militants, bien que les officiers qui avaient perdu la bataille de Sedan n'eussent pas tous, loin de la, été éduqués dans les lycées, trouvèrent dans un tel état d'esprit un nouveau prétexte pour reprendre leur vieille campagne contre l'enseignement de l'Etat. Leurs critiques portèrent cependant leurs fruits, du moins dans la nouvelle organisation du baccalauréat. Il fallait maintenant introduire dans l'enseignement terminal ainsi que dans l'examen, les langues vivantes.

Les décrets des 9 avril et 25 juillet 1874 scindèrent ainsi le baccalauréat ès lettres en deux séries d'épreuves : la première série ayant lieu à la fin de la classe de rhétorique et la seconde une année plus tard à la fin de la classe de philosophie.

Nous avons ainsi le schéma suivant :

1ère partie

Ecrit :

Composition de latin

Traduction de latin

Oral :

Grec,

Latin et français,

Rhétorique,

Histoire-géographie.

2ème partie

Ecrit :

Philosophie

Langue vivante (anglais ou allemand)

Oral :

Philosophie

Histoire de la philosophie

Mathématiques

Physique

Langues vivantes

Histoire et géographie

Cependant cette nouvelle organisation ne donnait aux sciences qu'une place moindre. Elle mettait à mal les efforts de Duruy de combiner littérature et science pour la culture de l'élève.

C'est donc l'arrivée de Jules Ferry, le 4 février 1879 qui remit à l'ordre du jour les méthodes pédagogiques préconisées par Duruy ou d'autres comme Jules Simon 1(*).

Ferry eut à coeur, selon Piobetta, de « créer entre les lettres et les sciences cet accord étroit que Duruy avait essayé de leur donner, et d'instituer une « éducation harmonique », c'est-à-dire l'éducation portant sur l'universalité des connaissances et reposant sur l'égale culture de toutes les facultés. »

Avec son projet de réforme du plan d'études, Ferry avait soumis à l'approbation du conseil supérieur de l'Instruction publique un projet de décret relatif au baccalauréat ès lettres. Il avait pour but de mettre l'examen « en harmonie avec l'esprit de la réforme du plan d'études et d'y introduire toutes les améliorations propres à faire du baccalauréat une constatation d'études équitable et sincère » 2(*).

Le principe du baccalauréat scindé, établi par le décret du 9 avril 1874 et mis en pratique par celui du 25 juillet 1874 étant admis, la commission se trouva d'accord avec le projet du ministre pour reconnaître la nécessité de porter à trois le nombre des épreuves écrites de la première partie de l'examen. Mais cela n'était pas l'essentiel.

Des modifications plus importantes furent apportées au baccalauréat ès lettres en 1880.Mais ce qui caractérise véritablement l'administration de Jules Ferry, c'est la création, le 28 juillet 1882 d'un nouveau baccalauréat. Le baccalauréat de l'enseignement secondaire spécial.

Victor Duruy en instituant l'enseignement secondaire spécial avait spécifié que cet enseignement serait sanctionné par la délivrance d'un diplôme de fin d'études.

En fait, Duruy escomptait de cet examen un double effet :

- premièrement engager les élèves et leurs familles à conduire jusqu'à leur terme, des études formant un ensemble bien déterminé ;

- deuxièmement amener promptement l'opinion publique à attacher une sérieuse importance à un brevet qui, pour certaines administrations publiques ou particulières, pour des chefs d'usine ou de grandes fermes ou encore pour des patrons de maisons de commerce offriraient plus de garanties d'aptitude immédiate que le grade de bachelier.

L'administration de Jules Ferry créa aussi une commission dirigée par Duruy. Et cette commission substitua au système des « cercles concentriques » une répartition nouvelle.

Le système des « cercles concentriques » permettait aux élèves de quitter le collège à la fin de telle ou telle classe, en emportant avec eux, selon la durée de la scolarité, un bagage de connaissances plus ou moins élémentaires, et ce de façon encyclopédique.

La nouvelle organisation comprenait outre un cours élémentaire exactement semblable à la division correspondante de l'enseignement classique, un cours moyen et un cours supérieur. Le cours moyen se formant de trois années tandis que le supérieur se compose de deux années.

Ainsi la commission décida qu'il y avait lieu de créer, comme sanction des études du cours supérieur, un diplôme spécial. Le certificat étant pour les uns le seul titre recherché, pour les autres la condition même de leur passage dans le cours supérieur, devait être délivré, conformément à l'article 4 de la loi du 21 juin 1865. Quant au diplôme final, ambitionné par l'élite des élèves, la commission proposa de lui donner le nom de baccalauréat de l'enseignement secondaire spécial.

Cependant cette résolution ne fut pas adoptée sans débat.

Selon Piobetta, quelques membres de la commission voulaient que ce titre soit réservé aux diplômes de l'enseignement secondaire classique autant par égard pour une tradition consacrée que pour récompenser par un privilège légitime des études plus longues et plus difficiles. Ces conservateurs, détracteurs du nouveau baccalauréat raisonnaient en ces termes : « le baccalauréat constate au moins la connaissance de l'antiquité latine dont nous sommes les héritiers les plus directs, qui a marqué d'une empreinte si forte notre langue et notre civilisation ; c'est là un élément de supériorité intellectuelle ; et il n'est que juste de la caractériser par un signe à part ». Ils considéraient que prodiguer le diplôme de bachelier, c'était le déprécier ; c'était en même temps pour eux lui enlever, par une confusion regrettable, le sens précis qu'on lui attribuait . (Nous reviendrons plus tard sur cet aspect respectueux du baccalauréat).

Tous redoutaient en fait que l'enseignement classique ne fut délaissé, si l'on ouvrait aux élèves un chemin plus court et moins pénible qui les conduisait au même but. Il faut dire qu'aujourd'hui encore, les mêmes questions surgissent concernant les baccalauréats technologiques et professionnels. Si à la fin du 19ème siècle d'aucuns redoutaient que le baccalauréat classique soit délaissé au profit du baccalauréat secondaire spécial, comparativement, à l'orée du troisième millénaire, le baccalauréat général ne concerne plus que 53,6% de l'ensemble des bacheliers. Les 46,4 restant se répartissent dans les baccalauréats technologiques et professionnels.

3. La réforme de 1890

La société pour l'étude des questions d'enseignement secondaire qui, en 1881, avait approuvé et soutenu le projet de Jules ferry portant création d'un baccalauréat de l'enseignement spécial, vit dans la promotion de ce baccalauréat spécial, une menace pour l'enseignement classique et un danger pour les baccalauréats ès lettres et ès sciences.

Piobetta nous rappelle que le nouvel enseignement avait les ambitions et les ardeurs de la jeunesse en trouvant sa situation trop modeste et son mérite méconnu. En effet, faute d'avoir eu dès son institution, des prérogatives clairement définies et un rang nettement marqué dans la hiérarchie des grades universitaires, le brevet dont Victor Duruy lui avait octroyé la délivrance et auquel Jules Ferry avait donné le nom de baccalauréat, fut amené en voulant obtenir ce qu'on avait oublié de mettre dans son berceau, à se poser en rival et en héritier présomptif du baccalauréat de l'enseignement classique.

Dès lors la lutte entre partisans et adversaires de l'enseignement gréco-latin qui, depuis la disparition des écoles centrales, n'avait passionné que quelques esprits et ne s'était traduite, jusqu'en 1865, que par des discussions théoriques et par des timides tentatives de réforme comme celle de la création de cours spéciaux dans les lycées et collèges, prit une ampleur considérable.

C'est donc les conflits mettant aux prises ceux qui voulaient un baccalauréat classique français égal en dignité au baccalauréat gréco-latin et ceux qui prétendaient qu'on pourrait à la fois faire vivre le gréco-latin, le classique français et le diplôme crée par Duruy qui amenèrent le réforme de 1890. Le décret du 8 avril 1890 substituait aux baccalauréats ès lettres et ès sciences restreints, un baccalauréat unique appelé baccalauréat de l'enseignement secondaire classique.

Ce qui caractérise la réforme de 1890 c'est donc le désir d'assurer, d'une part, à tous les élèves de l'enseignement classique une même culture générale sans nuire à la préparation des carrières spéciales où ils pouvaient s'engager ensuite, de sauvegarder, d'autre part, les intérêts légitimes des candidats en tenant compte de leur travail dans les trois dernières années d'études. Et la circulaire ministérielle datée du 1er juin 1891 proclamait : « désormais, il n'y aura plus qu'un baccalauréat de l'enseignement secondaire classique. L'enseignement secondaire classique est un ; le baccalauréat auquel il aboutit doit l'être également. »1(*)

On avait ainsi un diplôme unique, mais avec deux mentions : celle de lettres - philosophie et celle de lettres - mathématiques.

Au sortir de la réforme de la réforme de 1890, les deux baccalauréats désormais existants se schématisaient comme suit 1(*) :

Baccalauréat de l'enseignement secondaire spécial.

Ecrit :

Mathématiques

Physique et sciences naturelles

Composition française

Prose de langue vivante (Anglais ou Allemand)

Oral :

Explication de texte (auteurs français)

Littérature française

Education morale

Histoire et Géographie

Mathématiques, physique et chimie

Comptabilité, législation politique et économique.

Baccalauréat de l'enseignement secondaire classique.

Ce baccalauréat était composé de deux parties réparties sur deux années consécutives.

1ère partie :

Ecrit :

Traduction latine

Composition française

Oral :

Grec

Latin

Français

Anglais ou Allemand

Histoire et Géographie

Mathématiques

2ème partie :

Lettres - philosophie

Ecrit :

Philosophie

Oral :

Philosophie

Histoire moderne

Physique, chimie, biologie

Lettres - mathématiques

Ecrit :

Mathématiques et physique

Oral :

Mathématiques

Chimie

Histoire moderne

Philosophie

En plus de cette distinction entre baccalauréat spéciale et baccalauréat classique, l'article 6 du décret du 8 août 1890 innovait. Il permettait aux candidats de produire, en se faisant inscrire, un livret scolaire contenant toutes les indications susceptibles de renseigner le jury sur leur valeur. Ces indications étant essentiellement faites de notes et places obtenues dans les différentes compositions en classe de troisième, en seconde, en rhétorique, en philosophie, en mathématiques élémentaires, de prix et accessits, de nominations au concours général, de distinctions spéciales, d'appréciation des professeurs etc.

Mais très vite, un projet de décret transformant l'enseignement spécial en enseignement secondaire moderne et créant un baccalauréat qui prenait le nom de baccalauréat de l'enseignement secondaire fut soumis au conseil de l'enseignement supérieur.

C'est la réforme du baccalauréat classique qui a fait apparaître la nécessité de réorganiser l'enseignement spécial.

Le 4 juin 1891 un décret décidait que l'enseignement secondaire moderne et, le lendemain un autre décret portant création et organisation du baccalauréat de l'enseignement secondaire moderne étaient promulgués.

Comme pour le baccalauréat de l'enseignement secondaire classique, les épreuves du nouveau baccalauréat se répartissaient en deux parties, à un an d'intervalle. Et les candidats avaient aussi la faculté de présenter leur livret scolaire.

La réforme du baccalauréat classique votée l'année d'avant, donne naissance en 1891 au baccalauréat de l'enseignement moderne.

Le baccalauréat de l'enseignement moderne

1ère partie :

Ecrit :

Prose anglaise et traduction allemande ou prose allemande et anglaise

Traduction d'espagnol ou d'italien.

Composition française.

Oral :

Français

Allemand

Anglais, italien ou espagnol (l'explication de texte était suivie d'une conversation)

Histoire et Géographie

Mathématiques

Physique et Chimie.

Cette première partie de l'examen était basée sur le programme de seconde de l'enseignement secondaire moderne.

2ème partie :

Le candidat avait le choix entre les trois séries suivantes :

Lettres - Philosophie

Ecrit :

Dissertation philosophique.

Oral :

Philosophie

Histoire moderne

Géographie

Littérature

Histoire naturelle.

Cet examen était basé sur le programme de la classe de Première (lettres) de l'enseignement secondaire moderne.

Lettres - Sciences

Ecrit :

Mathématiques et physique.

Oral :

Mathématiques

Physique, chimie, histoire naturelle

Histoire moderne

Philosophie

Géographie.

Cet examen était basé sur le programme de la classe de Première (sciences) de l'enseignement secondaire moderne.

Lettres - Mathématiques

Ecrit :

Mathématiques.

Oral :

Physique

Chimie

Histoire moderne

Philosophie.

Cet examen était basé sur le programme de la classe de mathématiques élémentaires dans les classes.

4. La réforme de 1902

Cette nouvelle dichotomie entre le baccalauréat classique et le baccalauréat moderne ne fit qu'accentuer la polémique sur les deux enseignements.

A tous, cette réforme apparaissait comme insuffisante et inutile, voire dangereuse : aux uns, parce qu'ils ne voyaient dans le baccalauréat de l'enseignement moderne qu'une caricature du baccalauréat classique, aux autres, parce que le programme trop littéraire du nouveau baccalauréat leur semblait en diminuer la valeur scientifique. Quant aux prérogatives qu'on avait conférées au baccalauréat de l'enseignement secondaire moderne, si elles avaient irrité les classiques, elles n'avaient pas satisfait ceux qui voulaient lui ouvrir l'entrée de toutes les carrières libérales. Ainsi les facultés de médecine et de droit refusaient d'assimiler les deux diplômes. Elles ne consentaient à admettre les élèves de l'enseignement moderne qu'après dispense demandée et examinée pour chaque cas.

Ainsi, l'enseignement moderne était reconnu capable de mener ses élèves au baccalauréat de l'enseignement secondaire, il était même avantagé puisque les études y duraient une année de moins que dans l'enseignement classique ; mais l'équivalence des diplômes était contestée et les bacheliers modernes se trouvaient écartés de l'enseignement supérieur dont le baccalauréat restait le premier certificat.

Par définition, l'enseignement secondaire, considéré comme l'enseignement des généralités, devait former la transition entre les éléments appris à l'école primaire et les spécialités de l'enseignement supérieur. Malheureusement les études classiques, socialement réservée à la vieille bourgeoisie, ouvrant l'accès aux carrières libérales et fonctions publiques de direction, n'avaient pas répondu à l'attente d'une nouvelle bourgeoisie industrielle et commerçante, ni à l'avènement d'une démocratie utilitariste.

Par ailleurs, l'enseignement moderne, frappé de discrédit, ne se développait pas à la mesure que la nouvelle clientèle des études secondaires exigeait pour ses besoins une culture moins littéraire et plus scientifique.

Une solution proposée pour le problème à ce moment était d'organiser deux enseignements parallèles et doués des mêmes prérogatives, l'une fondée essentiellement sur les lettres anciennes mais avec une certaine culture scientifique ; l'autre fondée essentiellement sur les sciences, mais avec une certaine culture littéraire moderne.

Mais quoiqu'on ait dit sur l'éducation secondaire, ce n'est rien en comparaison des critiques venant de toute part dont le baccalauréat a été l'objet.

L'une des principales critiques est adressée à la contradiction intrinsèque au baccalauréat, à sa création en 1808.

Le décret du 17 mars stipulait d'une part que l'examen traiterait de tout ce qui était enseigné dans les dernières années du lycée, d'autre part que son organisation revenait aux facultés.

C'est cette contradiction qui, pour Emile Combes, ministre de l'Instruction publique, est à la base du malaise et le régime scolaire n'a pas, depuis lors, cessé d'en souffrir. Le ministre Combes dans son préambule de proposition de réforme du baccalauréat en 1896 fustigeait l'examen en ces termes : « Non seulement le baccalauréat est une gène et même une cause de trouble pour les études, qui sont forcées de se plier à ses origines, mais il donne prise aux critiques les mieux fondées, par le caractère hasardeux, souvent injuste, on peut même dire immoral, de ses résultats » 1(*). IL soulignait aussi l'inadéquation de l'examen aux cours.

En fin de compte, le ministre ne blâmait, ni les professeurs du supérieur ni ceux du secondaire, il condamnait le système qui accordait au baccalauréat une trop grande importance au détriment des études et de leur contenus.

En définitif, l'obtention du baccalauréat était l'unique obsession autant pour les élèves et leurs parents que pour les enseignants. Nous verrons plus loin que cette perception du diplôme n'a pas beaucoup évolué. En effet, pour les principaux concernés, les élèves de terminale, le baccalauréat rythme en grande partie leur vie en cette année charnière. Ils organisent toutes les autres activités annexes en fonction de l'échéance.

Pour en revenir à Combes, il continuait à critiquer le baccalauréat en considèrant qu'il y avait malentendu « étant donné d'une part, que de l'organisation même du baccalauréat résulte une divergence inévitable entre l'enseignement, tel qu'il doit être selon l'esprit et la lettre du plan d'études et la nature réelle de l'épreuve, étant donnée d'autre part que, que le baccalauréat, en raison de la valeur légale et de la valeur d'opinion attachée, à son diplôme prime fatalement dans l'esprit des élèves toute préoccupation, il s'en suit que le baccalauréat, tout au moins dans les classes qui y préparent, gouverne despotiquement les études et n'a d'action sur elles que pour les jeter hors de leur voie et les altérer profondément dans leur objet, leur méthode et leur esprit »2(*).

Des critiques encore plus profondes reprochaient au baccalauréat d'être un moyen de démarcation sociale, surtout le baccalauréat classique qui était considéré comme le produit le plus honorable de l'enseignement secondaire.

L'enseignement moderne était à la mode dans la petite et très petite bourgeoisie tandis que l'enseignement classique restait l'apanage de la moyenne et haute bourgeoisie. L'éducation classique était le signe extérieur d'une certaine aristocratie mondaine.

Ainsi ne manquait-on pas de souligner que la révolution a eu lieu un siècle auparavant pour abolir les castes et les privilèges ; or le baccalauréat a rétabli l'équivalent en divisant la nation en deux classes : une qui a des parchemins, l'autre qui n'en a pas, l'une qui a seule entrée dans les carrières libérales, l'autre qui est rejetée et confinée dans les anciennes professions roturières : commerce et industrie.

Et la division se faisait vers l'âge de dix huit ans avec un départ net et clair : on appartient ou on appartient pas à la classe privilégiée et c'est le baccalauréat qui décide.

Telles étaient donc les principales critiques dont le baccalauréat était l'objet dans la dernière décade du 19ème siècle. La plupart de ces critiques étaient fondées selon W. Gagen et appelait à une abolition du baccalauréat. Mais la pierre d'achoppement de toutes ces critiques est qu'elles ne proposaient pas et de manière consensuelle une alternative au baccalauréat.

En décembre 1898, une enquête parlementaire fut menée pour reconsidérer non seulement le futur du baccalauréat mais aussi les modifications à apporter au système de l'éducation secondaire. Le rôle social joué par le baccalauréat était in- contestablement admis aussi bien chez les défenseurs du baccalauréat classique que chez ceux qui voulaient promouvoir le baccalauréat moderne. Chaque camp voulait influer sur la réforme de 1902 et l'opinion publique y avait un rôle considérable à jouer.

Mais cette enquête nationale, apportera peu d'informations nouvelles. La plus part des arguments avancés, pour ou contre l'abolition du baccalauréat sont les mêmes que ceux des années précédentes. Cependant ce qui ressortait de l'enquête, c'est la reconnaissance unanime de l'égalité des deux baccalauréats, au moins en droit.

Deux années s'écoulèrent avant que le conseil supérieur de l'Instruction par le biais de Leygues, alors ministre de l'instruction, en 1902, ne puisse déposer devant le parlement son projet de réforme. Le projet était accompagné d'une lettre adressée au président de la commission, rendue publique. Leygues y rendait pleinement hommage, d'une part, aux études classiques qu'il s'offrait à protéger contre toute atteinte et à fortifier comme partie intégrante du patrimoine national, à l'enseignement moderne, d'autre part, qu'il considérait comme indispensable aux nouveaux besoins du pays.

Sur l'égalité des sections, Leygues affirmait : « Entre deux cours d'études désormais égaux et des épreuves équivalentes, dans lesquelles la connaissance du grec et du latin sera remplacée par une connaissance approfondie des sciences et des langues vivantes, je ne peux plus de raisons d'établir une inégalité au point de vue des sanctions. Tous les diplômes secondaires doivent conférer les mêmes droits. Il est clair, d'ailleurs que certaines études resteront interdites à certains bacheliers, en raison même de leur genre d'études secondaires...Ceci admis, une nouvelle conséquence s'impose : tous les diplômes de bacheliers étant équivalents et conférant les mêmes prérogatives, il n' y a plus qu'un baccalauréat unique, un seul diplôme portant, à titre de renseignement, des mentions différentes suivant l'option du candidat. »1(*)Cinq mois d'intenses débats furent nécessaires avant l'institution de la nouvelle réforme le 31 mai 1902 2(*).

Le constat qui s'impose après cela est que le baccalauréat a survécu, même s'il a du changer de forme pour cela. Un certain équilibre a été atteint et cela durera tout le long du premier quart du 20ème siècle.

La réforme de 1902 est considérée comme étant une étape importante du développement du baccalauréat. William Gagen donne à ce propos quelques statistiques1(*) concernant le nombre de diplômes délivrés à l'époque. Ce qui nous donne le tableau suivant :

En considérant bien entendu que la période 1853-1892 correspond à la période où le baccalauréat ès sciences était complètement indépendant du baccalauréat ès lettres. Et la période 1892-1905 est caractérisée par l'existence du baccalauréat de l'enseignement secondaire moderne parallèlement au baccalauréat de l'enseignement secondaire classique. 1905 étant la première année du baccalauréat de l'enseignement secondaire né de la réforme de 1902 2(*).

BACCALAUREAT

Année ès lettres ès sciences Total

1852 3264 101 3365

1855 2055 2123 4178

1860 2505 1906 4411

1865 4797 1763 5860

1870 3975 1701 5676

1875 4333 2111 6444

1880 3907 2278 6185

1885 3901 2860 6761

1890 4076 2689 6765

1892 - 2127 212

Enseignement classique

Année Lettres-philo Lettres-maths Total

1892 2560 473 3033

1895 4329 941 5270

1900 4447 1197 5694

1905 2072 485 2557

Enseignement moderne
Année Philosophie Sciences Maths Total

1892 - - - -

1895 322 394 460 1176

1900 505 271 894 1670

1905* 530 106 563 1199

Enseignement secondaire

Philosophie Mathématiques Total

1905(*) 2387 1186 3573

Le nombre de bacheliers donné dans le tableau ci-dessus entre dans la perspective du tableau ci-dessous qui nous montre le pourcentage de la génération de jeunes en âge de passer l'examen (15 - 19 ans) qui réussissent.

Pourcentage de bacheliers par génération1(*)

Année Candidats ès lettres/philo ès sciences/maths Total

1851 629600 0,48 0,14 0,62

1856 613200 0,34 0,27 0,61

1861 649400 0,44 0,36 0,80

1866 646200 0,46 0,33 0,79

1871 609600 0,72 0,41 1,13

1876 633200 0,52 0,44 0,96

1881 648800 0,61 0,44 1,05

1886 642600 0,58 0,53 1,11

1891 668000 0,65 0,57 1,22

1896 670800 0,71 0,37 1,08

1901 653400 0,68 0,18 0,86

Ces statistiques montrent que dans la seconde moitié du 19ème siècle le nombre de candidats par génération se stabilisait autour de 650000. Le pourcentage de bacheliers par génération n'atteindra les 5% qu'au début des années 1950. En 1980, il dépassera les 25%.

C. LA PREMIERE MOITIE DU 20ème SIECLE

La réforme de 1902 a dans l'étude de l'histoire du baccalauréat, une grande importance dans la mesure où elle a donné à l'examen l'ossature sur laquelle elle se fonde aujourd'hui encore. Le baccalauréat, unique souci d'égalité de standing pour tous les bacheliers, sans distinction de disciplines était considéré comme un acquis fondamental.

Ainsi malgré des critiques récurrentes le baccalauréat unique fut maintenu en l'état.

En 1913, une commission parlementaire s'intéressait au bien fondé des différentes séries du baccalauréat A ( latin, grec), B ( latin, langues vivantes), C (latin, sciences) et D ( sciences, langues vivantes) et au maintien ou non du baccalauréat classique lorsqu'elle fut interrompue dans ses travaux par la première guerre mondiale.

Ce n'est qu'en 1922 que le débat parlementaire reprit ses droits 1(*).

Pendant la guerre, « les compagnons de l'Université nouvelle », un groupe de jeunes enseignants s'agitaient pour une totale réorganisation du système éducatif. Ils proposaient un système qui offre plus de choix de formation aux élèves. Ils voulaient qu'après un tronc commun élémentaire, les élèves puissent s'orienter selon leurs besoins et leurs capacités.

Ainsi en 1923, une nouvelle réforme établissait trois nouvelles sections au lycée. Des séries contenant toutes, le même programme en sciences dans les classes de seconde et de première. Les principales matières pour chaque série étaient :

A : français, latin, grec, mathématiques, sciences.

A' : français, latin, une langue vivante, mathématiques, sciences.

B : français, deux langues vivantes, mathématiques, sciences.

Le but était d'éviter la spécialisation précoce des élèves et de leur apporter une éducation à la fois scientifique et littéraire avec nombre de matières communes : français, mathématiques, sciences, histoire et géographie.

Le 7 août 1927, Herriot, ministre de l'éducation de l'époque présentait un projet de réforme visant à harmoniser les programmes scolaires et l'examen du baccalauréat. Le ministre proposait d'abord une augmentation du nombre d'épreuves écrites. Ces épreuves constituant pour lui le meilleur moyen de juger du niveau réel des élèves. Ensuite, il réorganisait la première partie du baccalauréat qui a eu lieu en fin de classe de première. Cette première partie devait refléter l'équilibre existant entre les trois sections qui correspondaient à trois types de « culture générale » équivalents.

La seconde partie de l'examen ayant lieu à la fin de la terminale, les épreuves écrites de philosophie, de physique et de sciences naturelles étaient devenues obligatoires aussi bien au baccalauréat philosophie qu'au baccalauréat mathématiques.

Après cette réforme, il s'en suivit une longue période de relative tranquillité jusqu'à la seconde guerre mondiale.

Mais avant d'aller plus loin, il serait opportun de revenir sur la situation des filles dans l'enseignement secondaire.

La première tentative pour fonder un enseignement secondaire des jeunes filles fut entreprise par Victor Duruy et elle suscita la farouche opposition de l'église catholique. L'initiative était pourtant modeste. Duruy ne voulait nullement créer des établissements spéciaux pour lesquels les crédits auraient manqué. Il demandait seulement aux municipalités « d'instituer dans des locaux dépendant d'elles des cours publics payants auxquels, les mères pourraient conduire leurs filles, et où des professeurs des lycées de garçons donneraient des conférences plutôt que de vraies leçons »1(*). Mais l'église opposa, par la voix de Mgr Dupanloup, le sexe des professeurs à celui des élèves, et le caractère public des cours à la vocation privée des femmes.

Pour Prost, l'hostilité de l'épiscopat s'expliquait par la crainte d'une concurrence qui pourrait menacer les institutions religieuses dans leur monopôle de fait. Et l'entreprise de V. Duruy n'eut qu'un succès limité. Une quarantaine de cours publics s'ouvrirent, on en comptera 101 avec 4206 élèves en 1881. De plus, il fut impossible d'organiser un cycle régulier d'études, sur trois ou quatre années comme l'avait pensé Duruy. Cependant, l'enseignement secondaire féminin progressait.

Dans les cours privés prospères, le niveau des études s'élevait. Faute de diplôme particulier sanctionnant ces études, le brevet supérieur se voyait recherché par des jeunes filles qui ne se destinaient nullement aux fonctions d'institutrices. Mais très vite lycées et collèges de jeunes filles s'organisèrent : on comptait 23 établissements en 1883 et 138 en 1913 selon Antoine Prost.

Il rajoute que « l'enseignement féminin ressemblait beaucoup à l'enseignement spécial, mais peu avant la guerre de 1914, des cours facultatifs de latin, puis de grec, s'introduisent clandestinement. Le diplôme terminal n'avait jamais été très privé : au lieu du brevet supérieur, on commence à songer au baccalauréat. »2(*)

Par la mutation de la condition féminine qu'elle provoque, la guerre de 1914 accélère la transformation de l'enseignement féminin.

De 1922 à 1924, dans six lycées de la région parisienne, 583 élèves obtiennent la première partie du baccalauréat, 232 le diplôme final.

Le décret du 25 mars 1924 assimile l'enseignement féminin à l'enseignement masculin et les classes prennent les mêmes dénominations. Les programmes et les horaires deviennent identiques (arrêté du juillet 1925) tandis que la section de préparation au diplôme constitue une voie marginale ; bientôt même, elle s'aligne sur les autres, et la scolarité s'y étend à sept années (décret du 15 mars 1928). Quant aux agrégations féminines, elles sont réformées en 1927. Ainsi apparaissent des agrégations de philosophie et de sciences naturelles dont les concours sont communs aux professeurs des deux sexes.

En 1930 enfin, le concours général s'ouvre aux élèves des lycées de jeunes filles : rien désormais, sauf quelques heures de couture, ne distingue plus l'enseignement féminin de l'enseignement masculin 1(*).

Cette assimilation était maintenant inscrite dans les moeurs. Pendant la guerre, les femmes avaient assumé des responsabilités qu'on considérait jusque-là comme typiquement masculines ; plusieurs exerçaient des professions libérales, sans que leur ménage s'en trouvait pour autant ruiné.

Dans les années 1930, d'autres réformes intervinrent. Elles concernaient entre autre l'abolition des frais de scolarité dans les secteurs secondaire et technique de l'enseignement public et la scolarisation obligatoire jusqu'à quatorze ans en 1936 (loi du 9 août).

L'arrivée massive dans l'enseignement secondaire des enfants nés après la première guerre mondiale obligea les politologues à trouver une voie de sélection plus acceptable que la sélection financière. En effet, les législations du 1er septembre 1933 et du 13 février 1934 instituèrent l'examen d'entrée en sixième2(*).

Pendant la seconde guerre mondiale, le gouvernement de Vichy fit quelques réformes mineures : ré-instauration des frais de scolarisation, rétablissement de la suprématie de l'enseignement classique sur l'enseignement moderne etc. A la libération, la plupart de ces réformes furent abolies.

D. LA SECONDE MOITIE DU 20ème SIECLE.

L'histoire du baccalauréat et de l'enseignement, en général, de la seconde moitié du 20ème est indiscutablement marquée par le décret N° 59-57 du 6 janvier 1959 dont l'exposé des motifs précise que « l'immense mouvement, à la fois démographique, économique et humain, qui bouleverse actuellement les perspectives traditionnelles de la vie nationale impose, entre autres exigences, une réforme de l'enseignement » 1(*).

Commencée au début des années soixante, cette réforme s'achève en 1966. Elle touche l'école primaire, le premier cycle du second degré ( les actuels collèges), le second cycle court de l'époque (les collèges d'enseignement technique devenus lycées professionnels), le second cycle long (les lycées) et le baccalauréat.

Ainsi cette réforme s'inscrit dans les évolutions démographiques et économiques. Et comme pour la première guerre (1914-11918), il est nécessaire de rappeler que la fin des années soixante est marquée par l'arrivée massive d'enfants nés après - guerre et en âge d'être scolarisés au collège. Les effectifs scolaires connaissent alors une explosion. Et il appartient au monde politique de la gérer. Le décret de réforme du 12 septembre 1960 prend en compte cette dimension lorsqu'il stipule : « le présent décret a pour but d'adapter le régime du baccalauréat aux impératifs de notre époque. Il faut tenir compte en effet de l'accroissement considérable des candidats ( 40000 environ en 1939 et 200000 environ en 1960). » 2(*)

En 1960 malgré toutes les réformes dans beaucoup de domaines (social et économique notamment) destinées à répondre aux évolutions du tissu socio - économique, la fonction du baccalauréat est restée inchangée : le baccalauréat est la sanction de l'ensemble des études secondaires en même temps qu'il est le premier grade universitaire. Il s'organise toujours en deux parties : l'une à la fin de la classe de première, l'autre à la fin de la classe de terminale. Mais le décret fondateur des réformes est publié le 29 septembre 1962.

Ainsi la première partie du baccalauréat, d'abord transformée en examen probatoire en 1963, est finalement supprimée pour la session de juin 1965. Le baccalauréat devient tout simplement l'examen terminal des lycées. C'est Christian Fouchet ministre de l'éducation nationale de l'époque qui donne au lycée et au baccalauréat cette structure générale qui est toujours actuelle.

Le 29 octobre 1964, il déclare devant l'assemblée nationale : « Dans un monde où toutes les structures de l'éducation nationale ont éclaté, où pendant des années les locaux ont été submergés, les maîtres débordés, où les matières enseignées doivent être profondément remaniées, il faut conserver l'essentiel et ce qui y est bon dans l'héritage du passé, choisir hardiment les voies de l'avenir. Car si nous ne choisissons pas, le choix s'effectuera sans nous, je veux dire contre l'intérêt suprême dont nous avons la charge, l'intérêt de la France et des français. »1(*)

Aussi l'enseignement au lycée se diversifiera autant que la population y était plus nombreuse et plus variée.

La classe de seconde est dans un premier temps divisée en trois sections :

- la seconde A , littéraire,

- la seconde C, scientifique,

- la seconde T, technologique.

Et les cinq baccalauréats précédents sont reconduits avec :

- Philosophie A,

- Sciences économiques et sociales B,

- Mathématiques et sciences physiques C,

- Mathématiques et techniques T (futur E).

Cette architecture du baccalauréat de l'enseignement général durera jusqu'en 1995.

Les baccalauréats de techniciens devaient initialement présenter une double particularité. Ils devaient permettre :

- Soit la poursuite des études, essentiellement en vue du brevet de technicien supérieur ( BTS) préparé au lycée, ou du diplôme universitaire de technologie ( DUT) en institut universitaire de technologie ( IUT))

- Soit l'entrée directe dans la vie active au niveau d'un technicien.

Cependant les flux de sortie montre que tous les bacheliers généraux et 80% des bacheliers technologiques poursuivent des études.

A la fin des années soixante dix, la classe de seconde connaît presque autant de séries qu'il y a de baccalauréats. Il existe alors vingt sept séries de baccalauréat du second degré et de techniciens.

Et en fonction des langues anciennes et vivantes, ou des options choisies, on ne dénombre pas moins de :

- Sept (7) classes de seconde A différentes conduisant au baccalauréat philosophie lettres.

- Trois (3) classes de seconde AB conduisant au baccalauréat économique et aux baccalauréats de techniciens G1, G2, G3.

- Une classe de seconde scientifique C se diversifiant en séries C et D en classe de première.

- Trois (3) classes de secondes technologiques T conduisant au baccalauréat E et aux baccalauréats de techniciens industriels F (au nombre de dix).

Il existe par ailleurs des classes de seconde « spécifique » conduisant, par exemple, aux baccalauréats de techniciens de l'hôtellerie, de la musique, de la danse etc.

L'entrée en classe de seconde détermine ainsi le parcours ultérieur de l'élève qui peut très difficilement changer d'orientation sans redoubler en seconde. Cette rigidité provoquera, comme le rappelle Solaux, le mouvement inverse d'unification des parcours. Et on se trouve ici en face de deux conceptions opposées des études secondaires.

Pour les uns, la diversité des élèves doit s'accompagner de la diversité des structures pédagogiques. Pour les autres, la diversité des structures s'accompagne d'une hiérarchie qui renforce les différences entre les élèves et il faut donc limiter la diversification des structures pour promouvoir la souplesse et l'égalité des chances.

Ainsi les anciennes classes de seconde sont ramenées à une seule structure à côté de laquelle figure une formation professionnelle. Celle-ci acquiert ainsi réglementairement le même statut que la classe de seconde, celui d'une voie d'orientation en vue d'une poursuite d'études.

Pour ce qui concerne spécifiquement le baccalauréat, les séries de baccalauréat sont ramenées à sept (7), abstraction faite des options spécialisées des baccalauréats technologiques ainsi que des spécialités du baccalauréat professionnel.

1. La notion de niveau de « niveau baccalauréat »

La diversification des filières entreprise au milieu des années soixante semble avoir provoqué une modification du sens du baccalauréat qu'attesterait le glissement progressif dans les représentations de la notion de « baccalauréat » vers celle de « niveau baccalauréat ». Le mot « baccalauréat » n'évoquait avant 1969 que le baccalauréat général. A compter de cette date, il inclut la dimension technicienne avec le baccalauréat de technicien et le brevet de technicien.

En fait, le baccalauréat n'est plus seulement la sanction d'un niveau de connaissances atteint, il devient un certificat d'entrée dans la vie active avec la reconnaissance d'un niveau de qualification. Ce dernier est situé par l'INSEE à partir de 1967 au niveau IV.

Le « niveau baccalauréat » correspond donc au niveau IV sur l'échelle de signification des niveaux de formation et de qualification.

Les autres niveaux en sont :

- Niveau VI : sorties du collège avant l'année terminale.

- Niveau V : sorties du collège en année terminale (classe de troisième) ou du lycée professionnel avant l'année terminale.

- Niveau V bis : correspondant aux travailleurs qualifiés : sorties du lycée professionnel à la fin de la préparation du CAP ou du BEP, ou encore du lycée général et technologique avant l'année terminale.

-Niveau IV : sorties au niveau d'un baccalauréat acquis ou non.

- Niveau III : pour les techniciens supérieurs : sorties avec un diplôme de l'enseignement supérieur du premier cycle ( deux ans après le baccalauréat)

- Niveau II : sorties avec un diplôme de l'enseignement supérieur demandant au moins cinq ans d'études (ingénieur, docteurs...)

En 1985, le baccalauréat professionnel vient enrichir la diversification. Il a alors trois particularités :

- Une reconnaissance d'acquisition de connaissances ;

-Un sésame pour entrer à l'Université ;

- Un moyen d'entrer dans la vie active.

Cette triple particularité serait liée à l'événement de la notion de « niveau baccalauréat » développée en 1985 par jean - Pierre Chevènement.

La notion de « niveau » évoque pour beaucoup, l'incertitude liée à la multiplicité des voies et moyens qui permettent d'atteindre un diplôme devenu pluriel. Cette notion de « niveau » constitue peut-être le moyen d'unifier un diplôme devenu tellement divers dans ses spécialités et ses débouchés qu'il n'est plus possible de l'évoquer sans utiliser une terminologie qui mette du semblable là où il n'y a que du dissemble.

La notion de « niveau baccalauréat » signifie également « élève parvenu en classe de terminale ». Cette dimension trouve partiellement son origine dans les réponses apportées aux critiques des détracteurs de l'accroissement de l'accès au baccalauréat qui voyaient une baisse de niveau de l'examen et une diminution concomitante de la valeur du diplôme.

Dès lors, l'ambition politique affichée est de mener « 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat » (formule de Jean-Pierre Chevènement sous-entendant les baccalauréats général, technologique ou professionnel ). Cela ne signifie plus 80% de bacheliers dans lesquels 75 à 80% d'entre eux obtiendraient le diplôme. Cette conception ramènerait le taux d'accès au baccalauréat proprement dit à 80% des 80% de la classe d'âge atteignant la terminale, soit 64% de la génération.

Pourtant, face à cet objectif, la distance à parcourir reste importante, puisque, en 1996, 68% d'une génération atteint ce niveau, avec même un certain tassement par rapport à l'année précédente.

2. Les projets de réforme

Si les lycées et le baccalauréat ont fait dans la seconde moitié du 20ème l'objet de plusieurs réformes, les projets de réformes qu'ils ont fait naître sont encore plus conséquents. Depuis, Joseph Fontanet, les projets ont été particulièrement discutés.

- Le projet Joseph Fontanet

En 1974, Joseph Fontanet initie un projet de réforme général et global du système éducatif. Le projet est approuvé par le conseil des ministres du 16 janvier 1974 qui constate que « l'organisation actuelle du second cycle caractérisée par de nombreuses séries de baccalauréats, préparées par de nombreuses filières distinctes dès l'entrée en seconde, a de graves inconvénients : elle oblige les jeunes, prématurément, à une spécialisation poussée d'autant plus paradoxale que par la suite le premier cycle universitaire revient à une certaine pluridisciplinarité » 1(*).

L'ambition de ce projet était multiple :

- Permettre une meilleure orientation des jeunes et les responsabiliser dans ce projet ;

- Introduire une initiation technologique et économique pour tous ;

- Engager une réduction massive du nombre des séries du baccalauréat, limitées à cinq :

- A : philosophie, lettre ;

- B : sciences humaines, économiques et sociales ;

- C : sciences mathématiques et expérimentales ;

- D : Technologie industrielle ;

- E : technologie économique.

Mais le projet Fontanet connut son point d'achoppement lorsqu'il voulut introduire une refonte de l'organisation du baccalauréat et la mise en place d'un palier d'orientation entre la classe terminale et l'université.

En effet le baccalauréat est et reste un grand tabou intouchable et Fontanet s'y heurtera. Mais son projet préfigure les réformes entreprises par Christian Beullac puis par Alain savary au début des années 1980.

Au milieu des années 1980, les projets concernant les lycées provoqueront d'importants mouvements sociaux.

Jean - Pierre Chevènement exprime l'objectif d'atteindre 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat en l'an 2000, et crée le baccalauréat professionnel, présenté par les détracteurs comme un sous-produit indigne de la qualité de bachelier.

- Le projet J-P Chevénement

Chevènement est nommé successeur de Alain Savary « démissionné » par le président de la République le 12 juillet 1984, après le mouvement de protestation sans précédent qu'a provoqué le projet de modifier les relations entre l'enseignement public et l'enseignement privé. Il se donne pour objectif de rendre au climat scolaire la sérénité voulue en se limitant à des « mesures simples et pratiques ».

Au-delà des problèmes de l'enseignement privé, Jean-Pierre Chevènement fonde sa politique sur un retour aux contenus d'enseignement au détriment des « méthodes » sur lesquels avait insisté son prédécesseur : « la république et son école ont l'obligation de garantir à tous les jeunes un enseignement de qualité. Cela signifie d'abord, assurer le plutôt possible l'acquisition des savoirs fondamentaux » 1(*).

Le recentrage sur les savoirs n'est pas sans conséquence sur la conception du second cycle du second degré ou sur la sanction des études.

Le brevet attribué en fin de troisième est rétabli tandis qu'une réforme des lycées est projetée sur la base d'une conception disciplinaire de la transmission des savoirs. La classe de seconde connaissait un début d'unification depuis 1980, une expérimentation de classe de seconde à « options » est projetée pour la rentrée 1987.

Les champs disciplinaires déterminent donc à nouveau la structure pédagogique des classes de première et terminale dont le nombre de séries doit augmenter :

- A1 lettres humanités,

- A2 lettres communication,

- A3 lettres arts,

- B1 sciences humaines et sociales,

- B2 mathématiques économie,

- Les filières sciences composées de C1 physique, C2 biologie, C3 technologie.

Chevènement propose donc huit séries en classe de première contre les six existantes en divisant les classes de premières S et B en deux séries chacune.

Cette nouvelle organisation est publiée dans un arrêté du 13 février 1986.

- Le projet R. Monory et A. Devaquet

Le 24 avril 1986, René Monory successeur de Chevènement déclare nulle et non avenue la réforme Chevènement. Il annonce aussi l'annulation de la loi dite « Savary » de 1984 sur l'enseignement supérieur.

Le projet de Monory peut se résumer en ces points :

- Réduction des horaires élèves.

- Organisation d'un enseignement composé d'un noyau central autour duquel les régions pourraient organiser des enseignements optionnels,

- Introduction d'une part de contrôle continu au baccalauréat et liaison plus ferme entre les séries du lycée et les spécialités de l'enseignement supérieur ; l'orientation deviendrait ainsi moins « fluide » entre le lycée et l'université.

- Augmentation très sensible des droits d'inscription dans l'enseignement supérieur.

- Le projet de Lionel Jospin

Succédant à René Monory en 1988, Lionel Jospin propose une réduction du nombre des séries afin d'en réduire la hiérarchisation, et la domination des filières scientifiques. Son projet veut rendre plus lisible le système proposé aux élèves.

Il refuse de ce fait les propositions du Conseil National des Programmes (CNP) sur l'introduction d'un enseignement totalement modulaire calqué sur le modèle anglo-saxon. L'enseignement modulaire signifiant la liberté laissée aux élèves de choisir parmi un ensemble de modules.

Le ministre pense qu'une conception totalement modulaire de l'enseignement entraînerait des inégalités entre les établissements mais surtout entre les élèves. « Nous savons bien - c'est une loi sociologique - que plus les parcours sont libres, plus il est difficile, pour ceux qui ne sont pas des familiers de l'institution, de faire des choix pertinents »1(*).

Parmi les mesures de Jospin, on peut souligner, essentiellement le remplacement des anciennes séries A1, A2, A3, B, C, D et E par seulement trois séries :

- (L) littéraire ;

- (ES) économique et sociale ;

- (S) scientifique.

Cette limitation du nombre de séries se traduit par une identification plus nette de chaque série. La série S par exemple se caractérisant par les mathématiques, la physique-chimie et la biologie-géologie. Cependant le projet veille bien à ce que soient enseignées, les matières complémentaires de formation générale qui appartiennent à l'ensemble des disciplines dites fondamentales mais non spécifiques de la série considérée comme la philosophie, l'histoire-géographie et les langues vivantes.

Ces disciplines sont présentées comme la part de culture supplémentaire et complémentaire à la spécialisation introduite par la série pour faire toujours du baccalauréat un diplôme sanctionnant un niveau culturel équilibré.

Jospin limite aussi singulièrement le nombre d'options auxquelles les élèves peuvent prétendre : deux options en L, une en ES et en S. Il va même plus loin, puisque aucune option n'est obligatoire, et le candidat peut présenter au baccalauréat « option zéro ».

L'idée est que les options en nombre limité peuvent apporter des ouvertures intéressantes à des élèves qu'elles ne surchargent pas. Sans option au baccalauréat, leur note est validée avec le coefficient 1 ; jusqu'alors, parmi les points obtenus en option facultative, n'étaient retenus dans le décompte de l'examen que ceux qui étaient supérieurs à 10.

Quant à la limitation du nombre de séries, elle est combattue par le Syndicat National de l'Enseignement Secondaire (SNES), de même que la répartition des matières en ensembles dominants, complémentaires ou optionnels et la réduction du nombre d'options accessibles par les élèves. La publication du SNES, l'Université Syndicaliste (US), précise les positions du syndicat dès les mois de mai et juillet 1991 : Le SNES accepte mal la hiérarchie introduite entre les disciplines dites dominantes et les autres, il refuse l'abandon des options obligatoires et la limitation des options facultatives à une ou deux.

- Le projet Jack Lang

Lorsqu'il remplace Jospin au printemps 1992, Jack Lang se montre sensible aux arguments développés par ceux qui voient dans la « réforme Jospin » une limitation de la liberté par la limitation des nombres des options. Son intervention se manifeste de deux façons : l'augmentation du nombre d'options offertes et la réintroduction de la liberté du nombre d'options « arts » de quatre heures dans toutes les séries, comprenant arts plastiques, cinéma, audiovisuel, musique et théâtre.

Le ministre divise ensuite l'ensemble des options en deux sous-ensembles dits de premier groupe et de second groupe.

L'élève peut choisir une option de premier groupe et autant d'options du second qu'il le souhaite. Selon le principe retenu par Jospin, les options de premier groupe sont destinées à donner un profil à l'élève, comme biologie-géologie, ou physique-chimie, ou mathématiques en série S. Ces options de premier groupe, qui ne sont pas obligatoires, sont coefficientées 2 ou plus au baccalauréat.

Les options de second groupe, également facultatives sont coefficientées 1.

Le baccalauréat « option zéro » est donc toujours possible et le tourisme « optionnel » d'élèves qui s'inscrivent en options et ne les suivant pas et /ou ne les présentant pas au baccalauréat n'est plus possible dans la mesure où l'inscription en option en début de classe terminale vaut inscription de l'option au baccalauréat.

Les options étant coefficientées, les ministres Jospin et Lang espèrent ainsi responsabiliser les élèves dans leurs choix et augmenter l'efficacité économique et pédagogique d'un système considéré comme très coûteux.

- Le projet François Bayrou

Après avoir pris connaissance des conclusions du rapport qu'il avait commandé à l'inspecteur général Septours, françois Bayrou présente ses propositions de modification de la RPL au Conseil Supérieur de l'Education (CSE) du 1er juillet 1993.

Du système prévu par Lionel Jospin et Jack Lang, François Bayrou conserve la limitation du nombre de séries à trois, il abandonne la répartition des disciplines en « dominantes » et revient à la simple distinction « enseignements optionnels facultatifs ». Le ministre modifie le système des modules, qui est limité en classe de première à une discipline et éliminé du dispositif de la classe terminale. Il retient aussi l'idée de « profiler » les séries, mais en rendant cette fois obligatoire une option en classe de première, en introduisant un enseignement dit « de spécialité » (cousin germain de l'option obligatoire) en classe terminale et en multipliant les choix possibles d'options facultatives.

Le module est en réalité un temps laissé à l'initiative des professeurs pour aider les élèves à construire leurs connaissances. Il ne s'agit pas d'un cours complémentaire, mais d'une période d'aide méthodologique, de consolidation des « technologies intellectuelles » (Pierre Bourdieu).

Dans le cadre de l'enseignement modulaire, le professeur n'est plus seulement le médiateur entre l'élève et la connaissance, mais il devient un aide personnel, un conseiller, un guide.

Claude Allègre a multiplié les réformes et projets pendant qu'il était en fonction. Cependant aussi spectaculaires que furent ses projets de réformes, ils épargnaient relativement le baccalauréat. L'idée d'introduire une dose de contrôle continu à l'examen a été emportée avec le ministre.

CARACTERISTIQUES ESSENTIELLELLES

DES DIFFERENTES REFORMES DU CYCLE TERMINAL

Réformes

Nombre de séries

Structure pédagogique

Modules

1980

6

Tronc commun

1 option obligatoire

options facultatives à souhait

limitées à 2 à l'examen

Pas de modules, mais possibilité d'assouplissements horaires dans les disciplines fondamentales, peu utilisée dans la pratique

Lionel

Jospin

3

Tronc commun

Options facultatives limitées à 1 sauf en L où elles sont portées à 2 (coeff. 1 au bac)

Modules en classe de première et de terminale de 3 heures

Jack

Lang

3

Tronc commun

1 Option facultative de premier groupe (coeff.2 au bac)

Options facultatives de second groupe à souhait (coeff.1 au bac)

Modules de 2 heures ½ en première et de 1 heure ½ en terminale

François

Bayrou

3

Tronc commun

1 enseignement de spécialité sur la discipline dominante et obligatoire en terminale (équivalent de l'option obligatoire)

Options facultatives à souhait ; point sup, à la moyenne au bac

Première : module d'1 heure sur la discipline dominante et 1 heure à la disposition du chef d'établissement, Terminale : pas de module

Conclusion

Ces différentes réformes ou projets de réforme des ministres des deux dernières décennies montrent le perpétuel mouvement s'effectuant autour du baccalauréat. Chaque ministre a essayé d'apporter sa touche à l'édifice scolaire, de façon à modifier ou à améliorer sensiblement l'examen sanctionnant la fin du cycle secondaire. Certains d'entre eux y ayant joué leur carrière politique.

Le baccalauréat, en tant qu'examen et en tant que diplôme est aujourd'hui une véritable institution. Il puise son assise et son organisation dans des temps immémoriaux. Pourtant, nous l'avons souligné, de ses origines à aujourd'hui, le baccalauréat n'a jamais été épargné par les modifications par décrets, arrêtés et lois.

De la politique impériale qui l'a soutendu à sa naissance aux dernières réformes et projets de réformes, le baccalauréat est devenu un véritable objet d'intérêt politique. Les gouvernements successifs se font le devoir de s'y intéresser sous peine d'être taxés d'immobilisme. Aussi, le baccalauréat apparaît comme un monument en perpétuels travaux.

Si l'examen a soulevé de vives polémiques et beaucoup de velléités de suppression, surtout à ses débuts, aujourd'hui, il semble avoir trouvé un encrage définitif. Il n y a plus de Napoléon Bonaparte ni de Victor Duruy, encore moins de Jules Ferry pour veiller sur la pérennité de l'examen. Cependant, il semble avoir trouvé une autonomie, une vie propre lui permettant de résister à toutes les attaques. D'ailleurs oserait -on encore polémiquer sur la noblesse du baccalauréat ou sur le rôle social qu'il est sensé joué en l'opposant à un idéal révolutionnaire ? Aujourd'hui, le débat est ailleurs puisqu'il s'agit essentiellement de savoir si cet examen n'occupe pas trop de place par rapport à ce qu'il est devenu.

Le baccalauréat souffrirait d'un déficit de crédibilité lié à une perte de prestige due à une trop grande « démocratisation » du diplôme. Cependant, l'histoire du baccalauréat nous montre que c'est à travers une longue maturation qu'il a atteint toute la signification que lui accorde la société française dans son ensemble.

TROISIEME PARTIE :

LE BACCALAUREAT : UN RITE DE PASSAGE.

PLAN

Introduction...............................................................................................73

A. Les premiers rites de passage scolaires.................................................74

1. La maternelle...........................................................................................74

2. L'entrée à la « petite école ».........................................................................75

B. Le baccalauréat : baromètre de l'enseignement secondaire......................77

I. L'efficacité sociale et symbolique du baccalauréat....................................80

I. L'efficacité sociale du baccalauréat.................................................81

II. L'efficacité symbolique du baccalauréat..........................................84

II. Trois raisons de passer le baccalauréat..................................................88

II.1.1 Le baccalauréat pour continuer les études et acquérir une culture générale...............88

II.1.2 Le baccalauréat pour bénéficier de plus de liberté............................................91

II.1.3 Le baccalauréat pour trouver un emploi.......................................................94

II.1.3.1 Le baccalauréat facteur d'ascension sociale.......................................................................98

D. Les trois stades successifs du rite.......................................................101

1. La séparation (la classe de terminale )............................................................101

2. La marge (du passage des épreuves à la publication des résultats)...........................104

3. L'agrégation (l'inscription dans un établissement supérieur).................................105

conclusion ............................................................................................108

Introduction

Après avoir déparé les deux notions de « rite de passage » et de « baccalauréat » dans les deux premiers moments de notre analyse, dans cette dernière partie nous rétablirons la syntaxe « Le baccalauréat un rite de passage ? ».

Cela signifie que nous établirons ici la corrélation entre les deux termes car , l'objet de notre étude est de voir en quoi le baccalauréat constitue un rite de passage. Nous avons essayé de déterminer ce qu'est un rite de passage et la charge symbolique qu'il porte, pour parcourir ensuite l'histoire du baccalauréat afin de mieux le cerner, il s'agit donc ici de « joindre les deux bouts».

Nous allons ainsi, pour mieux nous imprégner des ritualités pouvant exister dans le système scolaire français, pénétrer brièvement dans la maternelle et la « petite école ».

Ensuite nous entrerons directement dans la considération du baccalauréat pour constater qu'il est la mesure et le de l'éducation en France, du moins de l'enseignement secondaire. Mais cette position centrale et prépondérante du baccalauréat se justifie, en grande partie, voire même entièrement par la représentation qu'en ont les individus.

Comme tout rite de passage, le baccalauréat trouve son essence dans sa signification auprès de ses acteurs. Cela nous amènera à considérer d'une part, l'efficacité sociale de l'examen et du diplôme (le baccalauréat a un rôle social concret  ), d'autre part, son efficacité symbolique. L'examen, en plus de l'efficacité mécanique qu'il revêt, se dessine en fait sur le fond d'un consensus qui le rend opérant. Il est vécu par les élèves comme un véritable rite de passage. Le baccalauréat permet de passer d'un monde à un autre, du monde de la « contrainte » et de l'obéissance à celui de la culture, de la liberté et en dernier lieu de l'emploi.

Mais pour être décrit totalement comme un rite de passage, le baccalauréat doit respecter les trois étapes fondamentales et observables dans tout rite qui se veut de passage. Aussi nous nous efforcerons en dernier lieu de noter les moments de séparation, de marge et d'agrégation dans le passage du baccalauréat.

A. LES PREMIERS RITES DE PASSAGE SCOLAIRES

1. La maternelle 

Pour beaucoup de sociologues, en passant de la petite enfance à l'enfance, on accède simultanément, après la phase de reconnaissance mutuelle, à celle de discrimination du bien et du mal.

La notion de loi morale s'élabore dans la ritualisation de l'approbation et de la réprobation des actions de l'enfant. Apprentissage moral et apprentissage de la sociabilité sont conjoints.

Pour les sociologues, l'enfant avant trois ans est incapable d'attention prolongée et de jeu réellement organisé, saisi qu'il est par l'emportement ludique, forme d'excitation désordonnée.

Vers quatre ans les activités parallèles ou solitaires de l'enfant commencent à être remplacées par des activités associatives qui font intervenir le rite de reconnaissance des échelles de dominance et de leadership.

Et comme le pense Claude Rivière1(*), on ne saurait assez souligner ce que l'on sait portant banal : la propension des enfants au ritualisme : ils aiment la régularité, les gestes répétitifs et les habitudes de la vie quotidienne.

Les enfants n'aiment pas la fantaisie ; ce qui peut faire déraper l'expression totale et complète d'un rite amorcé.

Et dans le contexte européen (et plus précisément français ) actuel, on ne saurait nier le rôle du développement des jardins d'enfants et des écoles maternelles qui sont comme l'écrit Rivière « des sanctuaires de ritualité, dans le processus de socialisation de l'enfant »2(*)

La maternelle est donc en quelque sorte, le premier lieu d'intériorisation des normes et valeurs de la société environnante. L'enfant y est soumis à un code établi, structuré par des normes qui sont de véritables schèmes (E. Kant) de perception et d'action et qui intériorisées peu à peu, forment un « habitus primaire » pour parler comme Bourdieu. Un habitus nécessaire à l'enfant pour la suite de sa scolarité.

2. L'entrée à « la petite école ».

Des chercheurs comme Piaget soulignent que ne s'instaurent pas avant six ou sept ans des relations véritablement réciproques, fondées sur des comportements socialisés.

A cet âge, les capacités mentales et émotionnelles rendent possibles une discipline et un perfectionnement des schèmes moteurs.

C'est pourquoi, pense Rivière, on envoie les enfants à l'école où la ritualisation à caractère d'exécution devient plus formelle tout en engageant la coopération entre instituteurs, enfants et pairs de la classe.

En effet, avec le début de l'obligation de la scolarité, s'opère un passage du niveau enfantin au premier degré de l'enseignement, un passage aussi de l'oral à l'écrit.

Autrefois, le passage de la culture orale à la culture écrite relevait du domaine religieux et des clercs, en ce que l'apprentissage de la lecture s'opérait par confrontation aux « écritures ».

Nous avons vu que depuis la révolution française, il ne reste rien de cette coloration religieuse initiale.

Par ailleurs, l'accès à l'école n'est pas une nouveauté pour l'enfant, la plupart ayant fréquenté la maternelle et appris quelques rudiments de lecture.

En fait ce que les sociologues analysent ici, comme une procédure de différenciation sociale, les ethnologues le saisissent comme un rite de passage.

Très souvent, pour ne pas dire toujours, on dira à l'enfant : « tu n'es plus un bébé, tu es entré à la grande école ».

Donc il s'agit bien d'un point de passage décisif entre un avant : le monde des petits, et un après : le monde des grands. On fait passer l'individu d'une situation à une autre tout aussi déterminée. C'est en cela qu'il y a passage, car on introduit l'idée selon laquelle on quitte un état pour accéder à un autre, l'idée étant, pour parler comme Arnold Van Gennep1(*), qu'on sort d'un monde antérieur pour entrer dans un monde nouveau. Ici le monde antérieur est le monde de la non scolarité ou le monde de l'enfance.

Donc la lecture et l'écriture consacrent une différence. L'enfant a une identité autre et un nouveau rapport au monde issu de la maîtrise des mots et de l'écriture. L'école devient un sanctuaire. En effet, franchir le seuil de l'école et a fortiori de la classe, comporte une dimension quasi irréversible, du moins jusqu'au prochain son de cloche. Durant un temps précis, les enfants sont dépendants de cet espace sanctuaire.

Françoise Pujol 2(*), étudiante en licence d'anthropologie sociale écrit à ce propos « seules de petites excursions courtes et individuelles à l'extérieur de la classe sont permises et ceci comme des parenthèses ne devant jamais prendre le dessus sur la soumission à l'espace-classe. De plus, les passages qui se font d'un espace à un autre, ou d'un temps à autre, à l'intérieur même de l'ensemble scolaire, sont marqués par des rituels.

Ainsi le son de la cloche marque t-il le passage de l'espace et du temps studieux à l'espèce et au temps de la récréation et inversement. Ces distinctions entre divers temps espaces scolaires sont d'ailleurs plus marquées au cours préparatoire qu'à la maternelle.

A la maternelle, les règles sont souvent moins strictes et l'entrée en classe par exemple se fait à l'appel des enfants dans la cour, sans nécessité de constituer des rangs. En outre la différence entre maternelle entre classe et cour est plus une différence de degré que de nature : les activités que l'on fait en classe correspondent souvent à ce qu'on appelle des « jeux éducatifs ».

L'entrée en cours préparatoire, elle semble correspondre à l'apprentissage de la distinction entre « travail et jeu ».

Ainsi de l'école primaire va partir une scolarité que C. Rivière considérera comme fortement ritualisée car obligatoire, sélective et théâtralisée. Le but étant à chaque nouvelle année scolaire de passer dans la classe supérieure.

Donc tout le cursus scolaire sera ponctué par la sélection par les examens, les tests, les travaux écrits, les notes, les moyennes avec éventuellement un dispositif de repêchage qui pour parler comme Rivière entrent comme éléments du « rite de passage final que constitue la promotion en classe supérieure ».

Cette sélection est cependant vécue différemment une fois que l'élève doit passer le baccalauréat qui est un examen beaucoup plus théâtralisé.

B. LE BACCALAUREAT : BAROMETRE DE L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

Le baccalauréat est la mesure et le baromètre de l'enseignement secondaire. En effet, sa valorisation s'exerce fortement au sein du système éducatif par l'action modélisante des épreuves de l'examen sur l'acte pédagogique.

Les coefficients attribués aux différentes disciplines traduisent l'importance de chacune d'elles dans la série. La nature de l'épreuve (par écrit ou par oral) détermine la façon d'enseigner et les modalités d'évaluation dans la classe.

Par exemple, lorsqu'en 1977 l'histoire-géographie est passée du statut de discipline évaluée à l'oral à celui de discipline évaluée à l'écrit du baccalauréat, l'ensemble des enseignants de la discipline a dû revoir sa manière d'enseigner et consacrer une part non négligeable de l'horaire hebdomadaire aux techniques de rédaction de la dissertation historique. Un autre exemple pleut être donné avec l'évaluation du français au baccalauréat lorsque fut introduite la synthèse de texte.

Aussi, les consignes données aux jurys jouent aussi un effet récurrent sur les méthodes pédagogiques et la valeur culturelle attachée à telle ou telle compétence.

Le baccalauréat exerce ainsi un effet normatif sur les pratiques quotidiennes de la classe, il constitue une espèce de guide pédagogique pour les enseignants par l'intermédiaire des instructions données aux jurys. Ces dernières présentent en effet les éléments à partir desquels les correcteurs doivent fonder leur notation, c'est-à- dire les points auxquels les enseignants doivent nécessairement apporter une attention particulière s'ils souhaitent que les élèves aient quelque chance de réussite.

Nous emprunterons ici à Solaux les extraits suivants qui traitant de l'orthographe et des épreuves orales, illustrent cette proposition :

- Deux circulaires montrent l'aspect normatif, mais aussi l'aspect relatif de l'impact de l'orthographe à l'examen et de l'effet retour que cet impact exerce sur les pratiques pédagogiques.

La première circulaire date du 10 mars 1944 1(*) et présente l'orthographe dans son aspect le plus normatif : « Pour montrer par un exemple, sur le terrain même de la composition française, le rudiment d'instruction qu'il faut à tout le moins exiger de tous les candidats, j'indiquerai la connaissance de l'orthographe ; il est impossible de ne pas considérer cette ignorance particulière comme le signe révélateur d'une ignorance générale, et le candidat qui avoue ainsi son infériorité doit être noté en conséquence. »

La seconde circulaire, du 10 juin 1964, précise de façon plus nuancée que « s'il est légitime de tenir compte de l'orthographe et de la présentation des copies dans la notation des épreuves écrites, il convient d'éviter des écarts trop sensibles dans l'importance attribuée à ces considérations par les divers examinateurs. A cet effet, vous voudrez bien inviter chaque correcteur à limiter à deux points sur vingt, au maximum, les pénalités qu'il serait amené à infliger pour les motifs précédents ».

Entre 1944 et 1964 les points de vue changent, le premier très contraignant incite les enseignants à se montrer intransigeants en classe sur les lacunes orthographiques de leurs élèves. Le second rappelle l'importance à accorder à cette dimension de la connaissance en limitant l'impact des carences éventuelles des élèves sur la performance. Les enseignants sont donc invités à se montrer vigilants, mais beaucoup moins intransigeants que pendant la période précédente. Les instructions données aux jurys du baccalauréat sur l'orthographe constituent une synthèse des valeurs autour desquelles l'enseignement écrit doit être organisé au lycée.

- Les instructions concernant les interrogations orales au baccalauréat peuvent de leur côté déterminer les attitudes des enseignants lors d'interrogations orales en classe. La circulaire du 23 mai 1966 est présentée comme une analyse socio-psychologique de la situation d'entretien : « les examinateurs tiendront compte du fait qu'un examen écrit (...). Par l'aménité de son accueil, l'examinateur atténuera de son mieux le heurt du premier contact qui peut inhiber le candidat pour toute son épreuve et même le traumatiser pour les examens qui jalonneront son avenir d'étudiant ; il saura déceler ces premières minutes d'émoi où le candidat se tait alors qu'il sait (...). Il gardera à l'esprit que le candidat est plus souvent maladroit qu'il n'est sot ou ignorant. »

Une circulaire du 5 mai 1970 va dans le même sens : « L'interrogation elle-même sera conduite avec le souci de bien distinguer ce qui est ignorance ou sottise inexcusable de ce qui est inhibition, étourderie, maladresse ; on se gardera aussi bien de désarçonner le candidat par une intervention trop vive, ou ironique, que de le laisser s'enferrer. »

L'enseignant, contrairement à la situation décrite précédemment, n'est pas ici présenté comme un censeur mais comme une personne capable de développer une attitude compréhensive, comme un spécialiste des techniques d'entretiens, de face-à-face. Alors que l'erreur est présentée comme inadmissible et relevant de l'ignorance dans la circulaire de 1944 traitant de l'orthographe, elle est présentée ici comme pouvant relever de l'inhibition.

Les deux textes impliquent des comportements pédagogiques radicalement différents. Le premier traite l'erreur par la sanction, le second propose de la comprendre. Les instructions données aux jurys sont régulièrement publiées et constituent de véritables références en matière d'instruction pédagogique.

La place du baccalauréat semble donc centrale dans le dispositif de l'enseignement de second degré français, qui à la fois présente les caractéristiques attendues de ce que doit être un véritable examen et modélise les comportements des enseignants.

Modifier l'organisation du baccalauréat, c'est en réalité dire aux détenteurs de la culture dominante que sont les enseignants que les principes autour desquels ils ont construit leur identité culturelle doivent être revus. Vouloir réformer le baccalauréat, c'est s'attacher à entreprendre la révision de l'identité culturelle du corps enseignant et des détenteurs de la culture. Les enjeux sont donc considérables et l'on peut s'attendre à des résistances qui dépassent celles que nous avons analysées jusqu'ici. C'est sans doute pour cette raison que les ministres successifs ont tardé dans la mise en oeuvre de cette réforme et complètement disjoint le calendrier de la rénovation des structures pédagogiques du calendrier de réflexion sur l'examen.

Le déroulement des opérations qui ont conduit à la Rénovation Pédagogique des Lycées (R.P.L) s'est effectué selon le calendrier suivant :

- La classe de seconde est définie par arrêté en janvier 1992.

- Les textes déterminant la structure du cycle terminal paraissent le 10 juillet 1992 et sont modifiés par François Bayrou le 15 septembre 1993.

En ce qui concerne le baccalauréat, on peut noter que :

- Lionel Jospin se limite à quelques pistes de réflexion en avril et juin 1991, sans aller au-delà, et sans faire paraître quelque texte que ce soit sur le sujet ;

- Jack Lang fait des propositions de répartition des coefficients et quelques propositions de modification lors d'une conférence de presse le 15 décembre 1992, et fait paraître un texte en mars 1993 1(*),

- François Bayrou modifie le texte de Jack Lang, arrête les coefficients au baccalauréat le 15 septembre 1993, et la nature des épreuves le 17 mars 1994.

Ce ministre, arrivé rue de Grenelle alors que la R.P.L est déjà bien engagée, n'a pu éviter que son nom soit associé, qu'il l'ait voulu ou non, au baccalauréat 1995, année où la rénovation pédagogique des lycées atteint la classe terminale.

La disjonction observée entre le calendrier de définition des structures pédagogiques et celui de la sanction des études montre à quel point le sujet est socialement et politiquement difficile à gérer. Le baccalauréat lui-même est traité de façon parcellaire : d'abord les coefficients, ensuite la nature des épreuves. Cette démarche au coup par coup montre que le projet n'est pas conduit selon des objectifs clairement annoncés dès le départ, mais plutôt selon des approximations successives qui sont fondées sur les rapports de force existant au sein du système éducatif.

Cette méthode est difficile à gérer pour les enseignants qui doivent fonder en partie le contenu de leurs cours sur l'organisation de l'examen. Sans définition préalable de l'examen, ils éprouvent quelques difficultés pour définir les exigences auxquelles seront soumis leurs élèves et par-là même pour situer leur enseignement.

C. L'EFFICACITE SOCIALE ET SYMBOLIQUE DU BACCALAUREAT

« Le baccalauréat, c'est la fin d'un cycle d'étude. Tous les bacs, au-delà de ce bac, quel qu'il soit, c'est autre chose. C'est dans l'autre chose que se situe la différence. L'autre chose, ça peut être vers la vie active, même si elle est au départ inactive, ça peut être une poursuite d'étude. Mais le point de départ est le même, c'est une sanction d'un cycle d'étude. Quand on a fini le bac, quand on a passé le bac, on a terminé, pour faire vite, l'adolescence. »1(*)

Le corps social a besoin de points de repère et d'invariants pour marquer la continuité de son existence, le baccalauréat fait partie de ceux-ci. L'élève de terminale est plus ou moins proche de la majorité (dix huit ans) et se trouve très souvent en situation d'entrée dans un monde autre, le monde des adultes avec tout ce que cela comporte comme valeur juridique (la pleine responsabilité de ses actes) et signification anthropo-sociologique (il appartient au groupe des adultes).

Mais outre cette proximité de la majorité civile, donc de la reconnaissance d'un statut nouveau qui est celui d'adulte, c'est l'importance et la signification de la réussite au baccalauréat en tant qu'étape nécessaire à l'entrée dans un autre monde, celui « des étudiants » pour reprendre le terme des lycéens, qui importe ici. En d'autres termes, c'est de l'efficacité sociale et symbolique du baccalauréat dont il s'agit ici. Les élèves ont d'ailleurs très bien intégré cette dimension sociale et symbolique. Gwenael (18 ans, élève de terminale S au lycée Fresnel) parle de « barre de passage ». « Quand on a pas le bac, nous dit-il, on a quasiment pas de place dans la société et puis une fois qu'on a le bac, ça marche déjà mieux.. On est un peu plus reconnu ; c'est vraiment la première barre. On est plus reconnu que si on l'a pas ». Pauline (17 ans, terminale ES) pense la même chose lorsqu'elle nous dit que « le bac ça veut dire qu'on a franchi un pas, qu'on arrive dans les études supérieures et puis... ».

Parce que le baccalauréat est tout à la fois la reconnaissance de l'accès à la culture et la clef d'accès à l'université, c'est-à-dire l'accès au lieu de production et de reconnaissance de la culture, il occupe une place particulière dans les représentations. Il doit, au sens normatif du terme, présenter des caractéristiques propres qui le rendent indiscutable, juste, et équitable. Il doit apparaître Antoine Prost comme le modèle de toute certification scolaire. Du même coup, toute tentative pour le remettre radicalement en cause paraît d'avance vouée à l'échec. Même les formules, pourtant modestes, d'adaptation ou de correction du baccalauréat qui ont été proposées depuis un quart de siècle n'ont pas pu grand chose contre la logique propre de l'examen.

Un rapport de l'Inspection Générale de l'Education Nationale (IGEN) sur les examens en Europe se conclut sur un constat proche de celui effectuée par Antoine Prost : « Rite de passage quasiment initiatique, le baccalauréat devient un mythe, un thème médiatique entre tous, associé souvent aux réflexions exaltés ou moroses sur la montée ou la baisse de niveau (...) si bien qu'il est peut être, pour les responsables de l'éducation, beaucoup plus difficile de faire accepter une réforme de l'examen qu'une réforme de l'enseignement dont il est le point final »1(*).

I. L'efficacité sociale du baccalauréat

C'est une gageure de dire que la société française accorde une immense importance sociale et culturelle au baccalauréat en tant qu'examen et en tant que diplôme. Cette représentation est très notable au sein des institutions étatiques.

La cour des comptes, par exemple, considère que chaque année et depuis quelques temps, les diagnostics les plus sombres sont désormais formulés sur cet examen.

Ainsi, le diplôme délivré à un nombre croissant de candidats aurait perdu de sa valeur passée ; son caractère national dissimulerait mal une grande diversité de situations, voire des inégalités profondes entre les candidats. Bien plus, son avenir même serait douteux, moins parce que sa fonction serait contestée que parce qu'il serait de plus en plus malaisé d'en assurer le bon déroulement matériel.

Le thème du « baccalauréat n'aura pas lieu » semble ainsi à la frange du constat objectif et de l'hypothèse de « science-fiction administrative.» Le baccalauréat suscite toujours d'énormes interrogations pour les administrateurs. En somme, il jouit dans les représentations administratives et des pouvoirs publics en général, dans celles du public et des enseignants, d'un statut de « clef de voûte de l'enseignement français ».

Le baccalauréat est le diplôme sans lequel l'avenir professionnel et social de chacun semble incertain, voir compromis. En tout cas, les élèves que nous avons interrogés en sont convaincus. « Le baccalauréat va me permettre de faire mes études et de pouvoir travailler après » dit Delphine ( 19 ans, de terminale S). Tous les autres interviewés abondent dans son sens. Ainsi Stéphanie, (18 ans, terminale S) considère que « c'est un examen qui compte beaucoup pour les parents et qui permet de poursuivre des études supérieures. Sans le bac pas de débouché ». Nous reviendrons plus bas sur cette représentation du baccalauréat chez les élèves qui nous ont accordé un entretien.

Pour en revenir donc, à la notion de « clef de voûte de l'enseignement français », il est bien connu que la clef de voûte soutient l'édifice et que la supprimer revient à décider de sa démolition.

Le baccalauréat représente ainsi le gage de l'existence de l'éducation et de son sérieux. Il est à la fois la preuve tangible du bon fonctionnement du système et le socle à partir duquel les jeunes construiront leur avenir et celui du pays. Les dirigeants politiques se plaisent de le rappeler assez souvent.

C'est par exemple en ces termes que s'exprimait Jean-Pierre Chevènement le 8 octobre 1985 devant l'assemblée nationale, lors de la présentation de la loi sur l'enseignement général et technologique qui créait le baccalauréat professionnel : « C'est à tous les jeunes qu'il faut donner les moyens d'être des acteurs inventifs de la construction du monde industriel et du monde économique (...). Les pays téchnologiquement plus performants que le nôtre ont tous des systèmes éducatifs qui offrent à leur jeunesse une grande possibilité d'arriver à un niveau supérieur de formation. Le Japon, les Etats-Unis, l'Allemagne ont pratiquement déjà réalisé la scolarisation à dix huit ans et conduisent près de 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat (...). Avoir plus de bacheliers, c'est la seule façon en effet d'avoir plus de chercheurs, d'ingénieurs, de techniciens, d'ouvriers qualifiés». Le baccalauréat est donc vecteur de développement et indicateur du niveau de développement d'un pays, si on traduit les propos du ministre.

Aussi condition des progrès collectifs et individuels, le baccalauréat justifie qu'on lui donne une telle importance dans la vie de l'école et de la nation tout entière. Et les médias, prompts à traiter en priorité les problèmes les plus visibles de l'école, ceux qui interpellent le plus l'opinion, traduisent bien cette efficacité (sociale).

En effet, un des meilleurs outils pour mesurer cette efficacité est la presse. Elle se saisit de toute annonce de réforme des modalités d'examen qui ne fait pas l'unanimité. Ainsi lorsque Jack Lang proposa en décembre 1992 l'introduction du contrôle en cours de formation et la possibilité de conserver le bénéfice des notes supérieures à la moyenne pendant cinq ans. Le Quotidien de Paris du 16 décembre titre : « le bac à cinq temps, nouveau tube de Jack Lang », La Tribune : « Un baccalauréat capitalisable en cinq ans » et Libération : « Le baccalauréat rénové en douceur pour 1995».

La tonalité générale des articles est plutôt informative, la liste des propositions est rapportée et les commentaires à chaud sont relativement prudents.

IL faut attendre le lendemain, 17 décembre pour voir les oppositions syndicales et politiques se déchaîner littéralement contre les deux innovations introduites dans les modalités de passation. Tandis que les propositions relatives aux coefficients sont oubliées, Le Quotidien de Paris titre : « Des couacs dans le bac à cinq temps », il annonce des propositions ministérielles que viennent abondamment commenter des personnages porteurs de discours opposés. La Société des agrégés dénonce « la mise en oeuvre rampante d'une sorte de pseudo-baccalauréat».

Du coté de l'opposition politique, certains porte-parole protestent. Ainsi, Armel Pécheul, secrétaire national du RPR, dénonce « la grande braderie avant la fermeture». En fait, il est reproché à Jack Lang une introduction massive du contrôle en cours de formation dans des épreuves où il ne s'impose pas. Ses détracteurs jugent sa réforme condamnable et allant à l'encontre du baccalauréat.

Cette même annonce du ministre inspire au Figaro le titre : « Haro sur le bac en cinq ans... la réforme de l'examen présentée par Jack Lang suscite une série de réactions négatives» ; Le Monde parle de « réactions divergentes à la rénovation du baccalauréat ».

Cet ensemble de réactions montre la mobilisation affective que suscite toute référence au diplôme. Mais les réactions sont généralement organisées autour de la défense d'un examen académique et anonyme, ces deux qualificatifs étant censés garantir la valeur du diplôme. Mais ce qui apparaît le plus clairement, ce sont les oppositions irréductibles qui séparent les défenseurs de l'existant des partisans de la rénovation.

Le baccalauréat met, ici, les divisions du corps social au jour, et attise des réactions violentes. Cette violence verbale manifeste que le baccalauréat cristallise l'ensemble des oppositions relatives aux conceptions de l'éducation.

Tout se passe comme s'il s'agissait réellement d'une clef de voûte : certains voudraient la maintenir à tout prix, afin de conserver en l'état la totalité de l'édifice qu'elle soutient, d'autres tenteraient de la supprimer en vue de modifier et de faire évoluer l'architecture de l'ensemble. Le baccalauréat représente dans ces conditions un symbole voué à l'immobilisme. Mais cela n'est-il pas justement une caractéristique de son efficacité sociale ? On peut le concevoir dans la mesure où comme le précisait Antoine Prost dans son rapport de 1983 sur les lycées, « toute tentative pour le remettre radicalement en cause paraît vouée à l'échec ».

En dehors des périodes de réformes, le baccalauréat fait également la « une » en fin d'année scolaire, lorsque les élèves de terminale deviennent au moins de juin des « candidats ». Tous les ans, en effet, au début du moins de juin, la passation des épreuves de philosophie, qui inaugurent le calendrier des épreuves du baccalauréat, donne lieu à des articles, des reportages et à diverses déclarations. Les sujets des différents groupements d'académies sont rapportés avec quelques commentaires.

Les caméras de télévision captent l'angoisse des candidats qui pénètrent dans les salles d'examen, les micros enregistrent leurs commentaires sur le degré de difficulté des épreuves. Certaines publications présentent quelques jours auparavant les régimes alimentaires les plus appropriés à la nécessaire mise en forme intellectuelle et physique des candidats qui souhaitent « mettre toutes les chances de leur coté ».

La presse diffuse ensuite les « bavures », fuites et fraudes connues, quelques anecdotes émaillant la passation des épreuves et enfin les résultats. Le ministère de l'Education nationale est complice de cette médiatisation : depuis quelques années, des conférences de presse sont systématiquement organisées en vue de commenter les résultats et les progressions observées d'une année à l'autre selon les séries.

Ces résultats sont exploités par les médias de deux manières. Certains journaux font état des différences observées entre les établissements, établissant ainsi une sorte de palmarès des lycées. D'autres enquêtes font, pour leur part, référence aux remarques des correcteurs et à « la baisse du niveau » des copies des élèves, donc à l'affaiblissement de la clef de voûte de système. Cela signifie t-il qu'il va s'écrouler ? Rien n'est moins sûr.

Utiles pour rendre plus transparent un système bien opaque, les informations données par les journaux n'embrassent cependant qu'une partie de la réalité.

Leurs publications parviennent à toucher un nombreux public en mettant certains aspects au premier plan.

Les comparaisons dans l'espace (entre les établissements) et dans le temps (la baisse du niveau par rapport à telle ou telle période) sont généralement structurées en vue de montrer la faiblesse de certains lieux (au regard de la force d'autres lieux et périodes). L'actuel, l'ici et maintenant sont alors ressentis comme ne permettant plus la construction de l'avenir individuel (« le baccalauréat ne vaut plus rien ») ou collectif (disposer de diplômés susceptibles de contribuer au développement économique du pays).

On joue ici sur le registre de l'angoisse, sur la genèse de l'anxiété, sur l'un des pôles fondamentaux des craintes individuelles et collectives, celui des incertitudes quant à l'avenir. Et cela marche très bien. Les élèves que nous avons interrogés imaginent mal l'avenir dont ils rêvent se dérouler sans l'obtention du baccalauréat. « Il me faut le baccalauréat » est une affirmation qu'ils ont tous martelée. Certains ajoutent même le terme « absolument ».

Le baccalauréat est une nécessité pour les élèves. Et cette obligation d'avoir le diplôme traduit très certainement le pouvoir social de celui-ci mais aussi autre chose d'au moins aussi fort : l'efficacité symbolique.

II. L'efficacité symbolique du baccalauréat

« En tant qu'action symbolique le rite agit sur la société et sur ses membres, non seulement en reproduisant un certain consensus autour des valeurs dominantes, mais également en offrant aux individus la possibilité d'utiliser le rite en vue d'une efiicacité sociale toute particulière : celle d'exprimer à la face de tous, à travers leurs comportements rituels, qu'ils détiennent désormais un certain pouvoir social qui leur permet de mieux maîtriser le fonctionnement symbolique de nos sociétés »1(*)

Les élèves considèrent le baccalauréat comme une obligation. Mais avant de voir dans quelle mesure et comment le baccalauréat représente une obligation pour nos interviewés, il importe de souligner que l'examen est aussi une immense obligation politique pour tout gouvernement en France.

En effet, nous pouvons dire sans risquer d'être démentis que le baccalauréat est une des obligations politiques sinon la principale d'un ministre de l'Education nationale. Nous pouvons effectivement nous demander ce qui se passerait, si le baccalauréat n'avait pas ou ne pouvait avoir lieu.

Prenons deux exemples permettant d'illustrer cette obligation de réussite. Ils sont tous les deux issus de moments historiques exceptionnels, la Seconde Guerre mondiale et l'année 1968.

D'abord le 4 juin 1943, le cabinet du ministre de l'éducation nationale publie une directive pour les examens qui, tout en demandant aux jurys de prendre en compte les particularités de l'époque, tente de conserver au baccalauréat son statut de « clef de voûte du système » : « Au moment où des examens vont conclure une année scolaire qui a été particulièrement gênée par des difficultés de toute espèce, je crois nécessaire de fixer, aussi bien pour les examinateurs que pour les candidats, dans quel esprit il convient d'aborder ces épreuves. D'une part il faut, malgré les circonstances où nous nous trouvons, faire en sorte qu'elles gardent une valeur réelle ; car prodiguer des diplômes qui ne voudraient rien dire, ce serait aller autant contre l'intérêt des candidats que contre celui de la nation tout entière. D'autre part, nous manquerions à la fois de sensibilité et d'intelligence si nous ne prenions pas en considération ces circonstances même où s'est trouvée la jeunesse de notre école (...). Mais l'esprit qui m'inspire c'est précisément, cette année, de demander moins aux examinés pour demander davantage aux examinateurs. Qu'ils pèsent à des balances plus fines le mérite des candidats... » (circulaire du 4 juin 1943)1(*).

Le second moment historique concerne les événements de 1968. Les mouvements de grève de mai 1968 ont paralysé les établissements scolaires et les services administratifs un mois et demi avant les dates de la session normale des épreuves du baccalauréat. Lorsque le mouvement s'essouffla, début juin, il ne semblait plus possible d'organiser les examens selon une procédure ordinaire. En effet, d'une part, l'année scolaire sérieusement amputée, n'avait pas permis de traiter l'ensemble des questions prévues par les programmes. Donc, il eût été jugé inéquitable de mesurer les élèves à l'aune de sujets conçus avant les événements, sur la base d'acquisitions prévues sur l'année entière. D'autre part, il n'était plus guère possible d'organiser un baccalauréat écrit dans le laps de temps qui séparait la reprise des cours du départ en vacances. La question était donc de savoir s'il était possible de reporter les épreuves en septembre.

Pour pallier ces difficultés, le ministère de l'Education nationale modifia par décret l'organisation de l'examen : l'ensemble des candidats fut évalué par oral dans l'ensemble des disciplines.

Donc en cette année 1968, il n'y eut pas d'écrit au baccalauréat, mais l'année scolaire était sauve car le baccalauréat avait eu lieu. C'était l'essentiel. Pour le reste quelques aménagements suffiraient. Aussi l'arrêté du 7 juin 1968 précisait les répartitions des coefficients par série et par discipline. Le même arrêté mettait en place des procédures de prise en compte de la dimension exceptionnelle : « les examinateurs auront à tenir compte du dossier scolaire des candidats, qui comportera, en sus des renseignements habituels :

- La liste des questions non traitées, visée par leurs professeurs et le chef d'établissement ;

- Une mention de l'avis global du conseil de classe visé réglementairement par le chef d'établissement » (article 3).2(*)

Le baccalauréat de 1968 ne répond ainsi en aucune manière aux canons de l'académisme traditionnellement défendu et promu par la majorité des acteurs sociaux. L'écrit anonyme est absent des modalités d'évaluation, et la prise en compte systématique des conditions locales d'enseignement par un livret scolaire « étoffé » fait penser à l'introduction du contrôle en cours de formation dans l'évaluation terminale. Même si les taux de réussite furent nettement plus élevés que les années précédentes et suivantes, les titulaires de ce baccalauréat sont néanmoins comme légitimés par le social.

Ces deux extraits de textes réglementaires issus de périodes différentes attestent que le baccalauréat doit avoir lieu quoiqu'il arrive. Quelles raisons pouvons - nous invoquer pour expliquer cette nécessité d'organisation de l'examen ?

Dans les deux cas, qu'il s'agisse de 1943 ou de 1968, le passage des examens et celui du baccalauréat en particulier (et en ce qui nous concerne ici), sont le signe du maintien et du rétablissement d'un ordre social et symbolique que d'aucuns auraient pu oublier. L'organisation du baccalauréat symbolise une société qui fonctionne ou qui connaît le retour à la « normale ».

Donc le baccalauréat est aussi un rite de passage pour le ministre de l'Education Nationale. En effet si un ministre ne réussit pas l'examen de passage politique que constitue l'organisation du baccalauréat, il risque la remise en cause de sa capacité à gérer le quotidien dans la sérénité réclamée par des électeurs, plus soucieux d'être rassurés par ceux qui les gouvernent que d'être bousculés par l'abandon soudain de points de repère constitutifs de leur manière de penser. Le baccalauréat ne lasse pas : il rassure. C'est un élément de la permanence et de l'identité du corps social.

On peut même penser que ce phénomène est d'autant plus prégnant que

L'organisation du baccalauréat signifie également que l'année scolaire qui s'achève remplit les conditions académiques attendues. Cependant, le baccalauréat en tant qu'examen achève certes l'année, mais il représente aussi et surtout l'achèvement de la scolarité secondaire, et celui de statut d'élève pour marquer l'aboutissement par lequel, l'élève accède à un autre statut : celui d'étudiant.

Le point marquant, dans tous nos entretiens, est la perception du baccalauréat par les élèves, comme une nécessité. Certains parlant même spontanément de « passage obligé ». Ce qui interpelle ici c'est moins la notion de « passage » que celle de « obligé ». Ce terme se justifiant à plusieurs titres pour les élèves. Le passage du baccalauréat est tellement « obligé » qu'ils s'y préparent de leur mieux. Si au Sénégal, par exemple, les élèves se garantissent contre l'angoisse en invoquant le surnaturel par des prières, des promesses ou encore des procédés « magiques », il faut dire qu'en France, le passage est appréhendé autrement. Le passage même est moins appréhendé que ce vers quoi il mène.

Les interviewés entretiennent, à notre grande surprise, une relation très particulière avec l'examen. Ils appréhendent le baccalauréat non pas parce qu'il leur permet d'entrer dans le monde du savoir, de la connaissance ( l'université et l'enseignement supérieur en général ) ou de découvrir ce qui se cache derrière l'épreuve mais parce qu'il leur est « nécessaire » pour avoir plus tard du travail. C'est cette relation au travail futur qui justifie, pour l'essentiel, l'emploi du terme « obligé ».

On est loin ici des adolescents Sara dont nous parle Robert Jaulin dans son ouvrage éthnographique1(*). Les adolescents Sara rêvent d'être initiés pour pouvoir enfin passer de l'autre côté de la barrière, celui où les secrets sont dévoilés, celui où on apprend, bref le monde du symbolique, des significations tandis que « nos » lycéens ont quant à eux une vision beaucoup plus utilitariste de leur « passage » : le savoir soit, mais s'il donne ensuite accès à un travail.

En effet, ils soulignent régulièrement l'importance pédagogique de l'examen. Les élèves des terminales littéraires du lycée Victor Hugo (qui nous ont été autorisés à interroger) semblent être très convaincus par la fonction d'abord pédagogique ou scolaire du diplôme. Jeanne (19 ans) nous dit « je veux avoir le bac pour poursuivre mes études. Je veux l'avoir pour venir à la fac » alors que Hélène (18 ans) considère le baccalauréat comme «  le papier qui permet de faire une autre école ». Guillaume (19 ans) nous explique qu'il « faut le bac ; il faut l'avoir pour continuer ses études »

En fait, ils sont quelques-uns uns à privilégier le rôle de passerelle vers les études supérieures du diplôme. Le baccalauréat est normalement le maillon reliant l'enseignement secondaire à l'enseignement supérieur. Il faudrait donc, avant tout, lui restituer cette fonction de passeur d'un niveau scolaire à un autre. Julien (17ans), élève de ce même établissement, traduit bien cela lorsqu'il nous dit : « je veux avoir le bac pour d'abord poursuivre les études ». Lorsque nous demandons à Stéphanie (18 ans) ce que représente le baccalauréat pour elle, sa réponse est sans ambiguïté : « c'est une clé pour aller plus loin. En tout cas le bac général ».

Ce sont donc les littéraires qui ont fait le plus apparaître leur attachement au baccalauréat comme continuum dans la construction de l'édifice scolaire et faisant apparaître la notion de culture générale. Qu'est-ce que cela peut-il signifier ? Leur raisonnement traduit -il une certaine liaison entre les études littéraires et une culture dite intellectuelle qui privilégie la connaissance pour la connaissance à l'utilitarisme forcené ? Nous ne nous engagerons pas ici dans ce débat. Ces premières déclarations nous réconfortèrent, néanmoins, dans notre hypothèse selon laquelle le lycéen (de l'enseignement général sentant) ne peut envisager sa scolarité sans l'obtention du diplôme qui ouvre la porte aux études supérieures.

En effet, nous pensions que cet examen avait autant de significations parce qu'il permettait d'accéder à l'ultime étape de la scolarité, c'est-à-dire les études supérieures et que la réussite à l'examen représentait l'agrégation à ce monde de statut plus élevé ( par opposition à l'enseignement secondaire ). Cette hypothèse s'est confrontée à diverses formes d'expressions qui l'ont confirmée tout en introduisant des motivations de trois sortes.

II.1. Trois raisons de passer le baccalauréat

Pour « mesurer » l'importance du baccalauréat chez les élèves, nous leur avons demander sur quel événement entre « les dix huit ans», « le baccalauréat » et « le permis de conduire » se porterait leur choix s'ils avaient en à faire et pour quelles raisons. Le choix se porte, pour tous sans exception, sur le baccalauréat. Pour diverses raisons les interviewés jugent le diplôme plus important que le permis de conduire ou la majorité.

Dans un ordre qui n'est pas celui de l'importance, nous avons pu établir que les interviewés voient en leur probable arrivée à l'université :

- D'abord un moyen de continuer les études et d'acquérir une culture générale

- Ensuite de bénéficier de plus de liberté

- Enfin de pouvoir exercer plus tard une profession.

II.1.1 Le baccalauréat pour continuer les études et acquérir une culture générale..

Les élèves que nous avons interrogés mettent en avant « la nécessité » d'obtenir le diplôme intitulé baccalauréat parce qu'il leur permet de continuer les études et d'acquérir la culture générale que l'enseignement supérieur est sensé leur apporter. Le baccalauréat crée la distance entre le bachelier et le non-bachelier. C'est le diplôme qui permet à celui qui en est détenteur de continuer les études s'il le souhaite. C'est cela que transcrivent les propos de Pierre - Autrique : « la différence entre celui qui a le bac et celui qui l'a pas est simple. Celui qui a le bac, il peut entamer des études supérieures s'il le veut après. Celui qui l'a pas, il est obligé de passer par le bac sinon il peut rien faire. La différence c'est la barrière du diplôme ».

Le rôle du baccalauréat en tant que continuum du cursus scolaire est bien intégré par les élèves. Comme cela semble aller de soi, certains élèves n'insistent pas sur ce rôle, préférant évoquer l'importance du baccalauréat à long terme. Les autres (essentiellement les littéraires ) ne perdent pas de vue la place du baccalauréat dans l'édifice scolaire ; c'est un diplôme prépondérant et ils sont « obligés » de l'avoir. « Un bac c'est reconnu pour continuer les études, c'est pas reconnu pour trouver un boulot, en tout cas pas le bac général » (Marc, 18 ans, terminale ES). Louisiane (19 ans, terminale L) pense la même chose lorsqu'elle estime que « le bac est un passage obligé ; pour moi en tout cas puisque je suis dans une filière générale donc je suis obligée de l'avoir pour aller à la fac et continuer à apprendre ». Emmanuel (17 ans, terminale S) est encore plus catégorique lorsqu'il fait remarquer qu'il n'y a aucune différence entre un bachelier et un non-bachelier. Lorsque nous lui demandons alors pourquoi tenait -il « absolument » à avoir « son bac », il répond : « pour faire des études supérieures. Si jamais on s'arrête au bac ça sert pas à grand chose d'avoir été jusque là. Je pense que c'est plutôt une porte ouverte sur la faculté ».

Le baccalauréat est perçu par ces élèves comme le seul moyen de poursuivre leurs études. Ce qui est d'ailleurs vrai. Ce diplôme est le sésame qui permet la poursuite des études, dans le sens de la continuité bien entendu. En effet, on peut toujours, sans baccalauréat, s'inscrire dans une autre voie de formation ( professionnelle par exemple).

La notion de culture générale apparaît dans leurs discours, surtout, lorsqu'il s'agit de marquer une différence entre ceux qui ont le bac et ceux qui ne l'ont pas. En aucune manière les élèves n'établissent une hiérarchie de valeur entre les bacheliers de la société et les non-bacheliers. Ils font en revanche volontiers apparaître leur certitude quant à la différence de culture entre ces deux catégories de personnes.

En effet, lorsque nous leur posons la question de savoir s'il y aurait une différence entre ceux qui ont le bac et ceux qui ne l'ont pas, les réponses des élèves se rejoignent toutes. « Non. Enfin y'en a qui sont doués à l'école et d'autres qui sont doués ailleurs, qui sont manuels » fait remarquer Laurent (17 ans, terminale S) avant d'être repris par Paul (19 ans) [nous avons interrogé ces deux élèves en même temps]. Ce dernier précise sa pensée en ces termes : « ça dépend. Ceux qui sont arrêtés plutôt dans les études n'ont pas la culture que nous nous avons en terminale et que nous allons améliorer à la fac mais ils ont une plus grande culture dans leur domaine. S'ils sont musiciens, cuisiniers, menuisiers etc. » Laurent rajoutera que « ceux qui poursuivent leurs études ont une culture générale plus vaste ».

Comme certains de nos interrogés, ces deux élèves mettent en avant la culture générale que l'on acquiert dans le système scolaire français. Ce sont d'ailleurs les mêmes qui soulignent l'importance du baccalauréat en tant que passerelle entre le lycée et l'université qui parlent de ce diplôme comme d'un moyen d'acquérir une culture générale plus vaste à travers des études supérieures. « Quelqu'un qui a pas le bac, il a déjà une certaine forme d'intelligence par rapport à quelqu'un qui n'a pas fait d'études du tout parce que la terminale c'est une accumulation de connaissances, en tout cas pour moi. Alors celui qui est à l'université... C'est plus une capacité à raisonner, une différence de culture ». (Hélène, 19 ans, terminale L)

En fait même si le doute peut exister pour certains quant à la différence de niveau de culture générale, il est assez souvent écarté par d'autres « certitudes ». Cet état d'esprit est très bien symbolisé par les propos de Guy - Joël (18 ans, terminale S). Il nous fait remarquer (avec humour) que le baccalauréat est « en fait une excuse pour être sûr qu'on a la culture, qu'on puisse suivre les études après. Mais si ça se trouve on peut avoir le niveau sans le bac. Quoi que non, celui qui est à l'université est quand même plus cultivé que l'autre qui y est pas. Regarde toi et moi ».

La conviction qu'il existe une liaison entre le niveau d'étude et la culture générale est assez partagée chez les lycéens. Cela est d'autant plus marquant qu'ils emploient le même terme de « culture générale » pour spécifier une des différences entre le lycéen et le bachelier. Ils soulignent le rôle du baccalauréat comme moyen d'acquisition de cette culture dans l'enseignement supérieur. « Les études supérieures sont un mode d'accès à la culture. La différence entre les bacheliers et les non-bacheliers est une différence de culture, même si un non-bachelier peut être très cultivé » Jeanne (17 ans, terminale L).

Ainsi la réussite au baccalauréat peut être conçue (du moins pour beaucoup de lycéens) comme un moyen d'enter dans un monde de culture, le monde de ceux qui savent.

Même si les propos sont plus nuancés chez certains lycéens, le contenu du discours est le même. « Celui qui a le bac il peut aller à la fac alors que celui qui l'a pas ne peut pas. Mais il y a des copains à moi qui ont pris des B.E.P ou d'autres choses disons plus professionnels. Le bac ils l'ont pas mais ils ont une expérience professionnelle que moi j'ai pas. Donc ils auront peut être une plus grande chance de trouver du boulot plus vite que moi. Mais moi je serai..., comment dire ? Je serais plus intello, disons plus cultivée. Enfin tout est relatif » ( laure, 18 ans, terminale ES).

Ainsi, le baccalauréat apparaît, chez certains lycéens, comme un moyen d'enrichissement intellectuel. L'acquisition du diplôme est synonyme de démarcation avec le monde lycéen et d'intégration au monde étudiant, jugé plus cultivé. Jérôme (19 ans, terminale L) traduit bien cette marge entre le secondaire et le supérieur en ces termes : « La différence entre un lycéen et un étudiant c'est que l'étudiant sait les mêmes choses que le lycéen puisqu'il a été lui-même lycéen mais il en sait plus puisqu'il est dans un milieu où on apprend d'autres choses encore ».

Cette conviction qu'il existe une différence de niveau de culture générale entre l'étudiant et le lycéen est - comme nous l'avons souvent rappelé - assez partagée chez les lycéens. Cependant, faut -il voir dans cela une forme de complexe dû à leur position de lycéen par rapport à celle de l'étudiant dans la hiérarchie scolaire ?

Les étudiants que nous avons rencontrés parlent moins de « culture générale » que de « maturité » et /ou de « responsabilité ». Pour eux, la différence subsiste dans cette maturité due à un âge souvent plus avancé et à l'expérience acquise dans les études supérieures. L'enseignement supérieur met « l'étudiant devant ses responsabilités » selon Kelly (étudiante en BTS au lycée Fresnel ). Elle entend par-là le fait que les rapports avec le corps enseignant ne soient plus les mêmes. Une relation plus distante que souligne son camarade Guillaume lorsqu'il dit : « les professeurs savent que nous ne sommes plus des gamins, ils ne nous collent pas aux baskets. Ils savent que nous savons ce que nous devons faire et surtout ce que nous voulons ».

A l'université, les étudiants que nous avons rencontrés mettent encore plus en avant cette différence de maturité. Le monde universitaire ne semble rien à voir avec le lycée ; c'est un monde d'adulte où l'apprenant est laissé à son propre compte. En tout cas les interviewés en sont convaincus. Yannick, (étudiant en 1ère année de L.E.A ) considère que le baccalauréat est « bien sûr la rupture entre le lycée et l'université. Ce sont deux mondes totalement différents, nous dit -il, il faut être responsable pour réussir à la fac. Personne ne te pousse à travailler comme au lycée ; personne ne te dit ce qu'il faut faire, les profs c'est pas leur problème, alors si tu n'es pas mûr tu es mort ».

Des deux cotés de la barrière que constitue le baccalauréat, ceux qui vont passer l'examen et ceux qui l'ont déjà réussi, le constat est le même : l'étudiant est différent du lycéen soit parce qu'il a plus de culture générale ( selon les lycéens) soit parce qu'il est plus mûr (selon les étudiants).

II.1.2. Le baccalauréat pour bénéficier de plus de liberté.

La perspective d'une plus grande liberté est l'une des principales raisons pour lesquelles les lycéens veulent réussir l'examen du baccalauréat. Si les littéraires sont, comme nous l'avons déjà souligné, les plus nombreux à rappeler le rôle de liaison du diplôme entre le lycée et l'université, c'est dans leur globalité que les interrogés soulignent son rôle « émancipateur ». La réussite au baccalauréat est en effet pour tous les lycéens et étudiants des entretiens, synonyme d'emplois du temps plus « flexibles » et de gestion personnelle des cours. Il est évident que les études universitaires (ou supérieures en générale) ne ressemblent pas aux études secondaires ni sur l'organisation des cours ni sur leur contenu. De ce fait, le point sur lequel insistent beaucoup plus les élèves est la « grande marge de liberté » dont semble bénéficier l'étudiant.

Pour Guy -Joël (18 ans, terminale S), la liberté laissée à l'étudiant, pour gérer ses cours, par rapport au lycéen est indéniable : « Il y a quand même pas le même rythme de vie, nous dit -il, il y a moins d'heures de cours à la fac ; on se lève à midi etc. J'ai envie de vivre ça moi. J'aimerais bien pouvoir gérer mes cours tranquillement ». La gestion individuelle de ses cours ( choix des groupes de travaux dirigés) et la possibilité qu'il a de ne pas assister à un cours magistral, sans encourir la moindre sanction, fait de l'étudiant un apprenant au statut très enviable.

Yoann (19 ans, terminale S) soulève cette différence entre le « temps libre » des étudiants et les emplois de temps « surchargés » des lycéens : « Avant on était une bande de copains en première. Tous ceux qui étaient en série S, l'ont redoublé, les autres en L et ES sont passés à la fac et ils sont toujours dans les bars de la fac. Ca veut dire qu'on exige moins des étudiants parce que c'est comme ça. Je veux dire c'est pas une deuxième terminale. On fait moins de chose ».

L'envie de réussir l'examen du baccalauréat s'explique donc chez « nos » lycéens comme une envie de passer de l'autre coté de la barrière où ils pourront bénéficier de ces emplois du temps choisis. Mais « décrocher son bac », c'est aussi et surtout synonyme de liberté vis à vis des parents. En effet, ce qui motive à plus d'un titre la totalité des lycéens que nous avons interrogés c'est la reconsidération de leurs rapports avec les parents une fois l'examen réussi. « Ils me regarderont forcément autrement si j'ai le bac » est une affirmation qui revient souvent dans les entretiens. Mais d'où les lycéens tiennent -ils une telle certitude ? C'est l'expérience du grand frère ou de la grande soeur étudiant(e) qui leur permet d'affirmer avec autant d'assurance que l'obtention du baccalauréat va « obligatoirement » changer les relations dans la famille ; ils seront considérés comme des adultes.

Comme les initiés dans les sociétés traditionnelles, les lycéens considèrent que la réussite aux épreuves qu'ils doivent passer est gage de reconsidération due au changement de statut. En devenant étudiants, ils deviennent « adultes ». L'étudiant est considéré par les lycées comme un individu au statut à part avec beaucoup d'avantages. Pour Linda (17 ans, terminale ES), « un étudiant a plus de liberté et en plus de cela, il y a beaucoup de tarifs réduits pour les étudiants. Par exemple tu prends la maison de l'étudiant c'est rien que pour les étudiants et pas pour les lycéens. Ca c'est des trucs auxquels seul le bac peut permettre d'accéder ».

« Le bac permet d'aller à la fac, d'être dans la cour des grands, il y a de la liberté à la fac et pas au lycée. Les parents surveillent moins quant on est à la fac. Les étudiants sortent quand ils veulent» (Héléne,19 ans, terminale L). Guillaume (18 ans, terminale L) va dans le même sens que ses camarades lorsqu'il souligne l'agacement du lycéen « pour qui les feuilles d'absence défilent alors que les étudiants sont plus libres, plus indépendants. »  

La force du baccalauréat réside dans la transformation qu'il semble introduire dans les rapports entre le bachelier et les autres. Devenu étudiant, l'élève est reconsidéré sous un autre angle, celui de la maturité ou du moins de la responsabilité. Il semble tout simplement être beaucoup plus libre de ses choix. Cette « liberté » et /ou « indépendance » dont parlent les lycéens semble être octroyée indépendamment de l'âge. Cela a moins à voir avec la majorité qu'avec le statut même d'étudiant. En effet selon eux, pour être responsabilisé par les parents et par conséquent être plus indépendant, il est préférable d'avoir son baccalauréat que d'avoir vingt ans et être toujours au lycée. « Avec le bac on est plus indépendant, nous dit Aurélie âgée de16 ans, j'aurais plus de liberté je crois vis à vis des parents, je serais carrément moins encadrée, exactement comme ma soeur qui est à la fac ».

En fin de compte le baccalauréat n'est ni mesurable ni comparable avec l'obtention du permis de conduire ou le passage à la majorité (dix huit ans). Il transforme le lycéen en étudiant ou bien « l'enfant que mes parents voient en moi en adulte responsable » pour reprendre les termes de Yamina (17 ans, terminale S). « Le bac est plus important pour moi, nous dit elle, parce qu'en fait le permis, la voiture de toute façon je l'aurais pas à 18 ans et les 18 ans, moi je pense pas que ça marque quelque chose. Parce qu'en fait ça va rien changer. C'est le bac en fait parce qu'après, on va faire des études plus sérieuses, plus spécialisées alors qu'avoir 18 ans c'est comme avoir 17 ans ».

La primauté du baccalauréat, comme critère émancipateur, sur les deux autres événements est nette chez les quatre vingt quatre interrogés. Lorsque nous leur demandons de nous donner les raisons pour lesquelles ils qualifient le baccalauréat « d'émancipateur », les explications avancées sont très proches. Il s'agit essentiellement d'une plus grande liberté liée à leur responsabilisation. Par exemple, pour Michelle (17 ans, terminale S), le baccalauréat est beaucoup plus important que les 18 ans « dans la mesure où chez moi les 18 ans c'est pas quelque chose qui donne plus de liberté, on a toujours été assez libre finalement. Donc les 18 ans ne vont pas changer grand chose. Le fait d'avoir 18 ans ne change rien parce que même à 40 ans je serais toujours leur petite fille. C'est pas l'âge, c'est vraiment le bac le truc important ». Bernard ( 18 ans, terminale ES) justifie son choix par les relations avec ses parents qui changeraient « forcément » parce qu'il deviendrait adulte. « Pour eux ça veut dire qu'on est plus responsable, qu'on peut gérer son avenir. Ca veut dire qu'on a une certaine maturité et que si on avait rien fait, on l'aurait pas notre bac alors qu'on peut avoir 18 ans et être un peu irresponsable. Avoir le bac ça veut dire qu'ils vont me lâcher un peu. Enfin, ils vont toujours me guider mais un peu moins qu'avant. Ils se mêleront pas toujours de mes affaires. Je sais mettre les limites donc ils m'interdisent pas trop quoi. Mais je sais que pour eux le bac ça fait passer à l'âge adulte ».

Les propos de Pierre ( 21 ans , terminale S, redoublant ) résument bien cette idée : « Si j'ai redoublé ma première et ma terminale, c'est que l'école c'est pas mon truc. La pression des parents « fais tes devoirs » « travail » et tout ça me gave. mais en même temps, si je n'ai pas mon bac, ce sera dur parce que dans cette position on reste en enfance. Quand on a 20 ans et qu'on a tous ses amis qui sont en fac avec la liberté, on a plus envie d'être considéré comme un enfant. C'est pourquoi je fais tout pour être un adulte et me détacher de l'enfance mais c'est dur au lycée ».

D'autres élèves mettent en avant la possibilité de quitter le domicile familial.  Dans un grand nombre d'entretiens cette idée revient de manière récurrente. La réussite au baccalauréat est un grand enjeu pour les lycéens puisqu'ils l'associent au passage à une vie beaucoup plus indépendante surtout lorsque cette réussite est suivie d'un départ du domaine parental. En effet, si le baccalauréat est synonyme de liberté et d'indépendance, la meilleure façon dont cela se traduit pour beaucoup de lycéens, c'est la vie en « solitaire dans son propre chez soi ». « De toute façon, admettons que si j'ai 18 ans l'année prochaine et que j'ai pas mon bac, ça changera rien. Je serais toujours chez les parents et sous leur autorité. Alors qu'avec le bac, j'aurais plus de liberté vu que je partirais ailleurs » (Jeremy, 17 ans terminale S). Lorsque je lui demande si vivre seul est synonyme de liberté, la réponse est : « oui ! bien sûr parce que si j'ai le bac je serais plus responsabilisé par ma mère que si j'avais 20 ans et toujours au lycée parce qu'elle est à fond dans le bac ».

Le baccalauréat est donc pour ces élèves, le passage « obligé » pour accéder à l'indépendance à laquelle ils aspirent comme le confirme Daphné (18 ans, terminale L) : « si j'ai le bac ça me permet de ne plus habiter avec les parents par exemple, alors qu'avant je ne peux pas. C'est vraiment la liberté parce que pour les parents on est quand même plus responsable. Ca veut dire qu'on a franchi un pas, qu'on arrive dans les études supérieures et puis». Le baccalauréat, précisons-le encore une fois, est dans l'esprit des lycéens le passage « obligé » pour acquérir une indépendance ou du moins une plus grande autonomie.

Passer du lycée à l'université c'est avoir la possibilité de se gérer tout seul en n'habitant déjà plus chez les parents. Pour Romuald (19 ans, terminale ES) avoir le baccalauréat c'est « ne plus être traité comme un bébé ». Il précise : « en fait les parents ne vont plus être tout le temps derrière moi si j'habite à la fac, donc je pourrais sortir le soir et faire tout ce que je veux ». Nous pouvons aussi évoquer le témoignage de Pauline (20 ans, terminale S) pour qui le baccalauréat est également l'échéance fixée par les parents pour pouvoir disposer d'elle-même. Elle considère que ses parents, du fait de leur âge avancé, sont les seuls à avoir ce rapport avec le baccalauréat. « Avec le bac, je peux partir habiter seule, les parents se diront c'est bon, elle a son bac. Parce qu'ils sont encore de la mentalité d'avant qui est passe ton bac d'abord, une fois que t'as ton bac ça va. Avoir le bac en poche c'est clair que c'est pour moi avoir plus de liberté. Je pense que mes parents seront soulagés de savoir que j'ai le bac, donc je pense que j'aurais plus de liberté. Je pourrais faire ce dont j'ai envie sans problème ».

Si certains élèves ne motivent pas leur volonté de partir du foyer parental par un conflit d'aucune sorte avec les parents, d'autres par contre voient dans le baccalauréat, un moyen d'apaiser les dissensions.

Nous ne prétendons pas que le baccalauréat ait des vertus thérapeutiques quelconques comme certains rites initiatiques ; en revanche nous pouvons noter l'importance de sa charge symbolique.

Le nouveau bachelier semble être plus responsable (ou en tout cas plus responsabilisé) qu'il ne l'a jamais été. Le baccalauréat peut donc être, pour les nouveaux bacheliers, le sésame qui ouvre les portes du dialogue. Obtenir son diplôme peut éventuellement changer les rapports. Nous prendrons parmi quinze entretiens qui illustrent cette hypothèse les propos de Pierre -Autrique qui sont très parlant. « Après le bac je pense que j'aurais beaucoup plus de liberté parce que les parents c'est « c'est nous qui décidons parce que c'est nous qui te nourrissons et te logeons ; si tu veux te barrer tu te barres et tu assumes. Pour le moment passe ton bac d'abord ». Donc pour le moment on ne s'entend pas trop bien mais bon, je suis sûr que si j'ai le bac, ça va s'arranger. C'est obligé parce que j'habiterais plus à la maison mais à Alençon, pour les études donc du fait qu'on ne se verra pas souvent, quand on va se revoir ça se passera mieux». Lui demandant pourquoi cela changerait les relations sa réponse est « parce que je te l'ai dit, on ne va pas se crier dessus les rares fois qu'on se verra, ensuite ils me verront différemment parce j'aurai mon bac que eux ils ont pas. Ca a été pareil pour ma grande soeur ».

Ce que confirment surtout les étudiants dans les entretiens (au nombre de vingt quatre) c'est l'indépendance dont ils jouissent, par rapport aux lycéens, depuis qu'ils ont « décroché » le diplôme. Ils parlent d'une autonomie que leur aurait conférée le baccalauréat en étant plus libres dans l'organisation de leurs études et de leurs loisirs. Ils insistent sur cette liberté qu'ils ont de n'aller en cours que s'ils le désirent et de sortir immodérément sans être réprimandés par les parents. C'est ce que Anthony, étudiant en première année de sociologie, exprime en ces termes : « C'est vraiment un grand changement pour moi d'avoir eu mon bac. C'est clair que là, je fais ce que je veux, enfin je m'organise comme je l'entends. Dès fois je me réveille, je le sens pas trop et puis je ne vais pas en cours alors qu'au lycée jamais je n'aurais pu faire ça d'abord parce que mes parents m'auraient tué, ensuite parce que les profs m'auraient pas loupé avec les feuilles d'absence ».

Marie, étudiante en première année d'A.E.S, souligne les sorties nocturnes avec les copains. «  Pour moi, dit -elle, la fac c'est génial parce que là je sors beaucoup, trois fois par semaine en moyenne, c'était inimaginable au lycée »

II.1.3. Le baccalauréat pour trouver un travail.

Nous avons la représentation, chez les lycéens, du baccalauréat comme passage qu'il faut franchir pour quitter le monde lycéen et entrer dans un autre monde, le monde des étudiants.

Si nous ne considérons que ces deux aspects que sont la quête d'une culture générale, du savoir et l'aspiration à une grande liberté ou une plus grande indépendance nous pouvons dire que le baccalauréat constitue effectivement ( et seulement ) un rite de passage dans le monde des étudiants

Mais les interviewés introduisent, et cela toujours de manière spontanée, l'aspect utilitaire du diplôme. En effet le troisième élément qu'ils associent au baccalauréat c'est son utilité. Au-delà des deux premiers aspects précédemment cités ( le baccalauréat pour continuer les études et le baccalauréat pour bénéficier de plus de liberté ) le diplôme est aussi pour les intéressés « une ouverture vers autre chose » : le travail professionnel, rémunéré. En dernière instance, les interviewés veulent le baccalauréat parce qu'il « donne un avenir certain ». Il signifie pour un grand nombre d'élèves interrogés la possibilité de trouver un emploi dans un avenir plus ou moins proche.

Il faut souligner que dans les sociétés modernes, la place qu'on occupe dans la division du travail est censée dépendre non de propriétés déterminées à la naissance ( milieu social, sexe ), mais de caractéristiques acquises, en particulier le niveau d'instruction. Donc, ce que les élèves mettent en avant, c'est la « rentabilité » du diplôme.

Autant les littéraires étaient les plus diserts quant il s'agissait de voir dans le baccalauréat un moyen de continuer les études autant les élèves des autres séries (S et E.S notamment ) établissent plus volontiers, l'équation baccalauréat = métier. « Aujourd'hui sans le bac, pense Félix (18 ans, terminale S), c'est pas jouable. Sans le bac pas de travail, on peut même pas pointer à l'A.N.P.E » (Agence Nationale Pour l'Emploi ). Mélanie (18 ans, terminale Es) pense le baccalauréat est obligatoire « parce que c'est très difficile maintenant de faire quelque chose sans le bac. Et même si mes désirs, mes orientations vont dans un sens où j'ai pas forcément besoin du bac, si je m'en sors pas j'aurais au moins le bac pour être caissière à Carrefour. Sérieusement, maintenant pour être caissière, il faut être titulaire du bac. Voilà pourquoi il me le faut». Même si ces camarades sont moins catégoriques, la plupart d'entre eux ( trente neuf lycéens sur soixante interrogés ) vont dans le même sens. Ils voient dans ce diplôme « la clef de l'intégration dans le monde professionnel ». Ce rôle intégrateur au monde du travail que les élèves donnent au baccalauréat est la troisième signification que nous pouvons donner à l'emploi du terme « passage obligé » prononcé dans les interviews.

Le diplôme intitulé baccalauréat est à leurs yeux « le » passage qui mène au travail. Ils n'envisagent pas d'arrêter leur scolarité à la classe de terminale, du moins s'ils devaient le faire, ce serait avec « le bac en poche ». Le diplôme semble être une sorte de garantie contre la hantise du non-emploi. Ainsi même Guillaume qui disait : « le bac ne représente rien pour moi, sinon pour me « casser » du lycée » admet que « le bac est un minimum pour chercher du boulot ».

Trouver un emploi passerait donc par l'obtention du baccalauréat. Pour les élèves ce n'est pas une vue de l'esprit mais une réelle conviction. En effet, le fait marquant qui sort de beaucoup d'entretiens est la certitude et la foi qu'ils ont au baccalauréat. Avant même d'entrer dans la vie active, ils ont une représentation du monde du travail qui se construit dans tous les cas de figures avec le baccalauréat.

Ces quelques extraits d'entretiens vont tous dans le même sens : « Pour s'en sortir dans la vie, le bac est indispensable c'est pour cela que je dois l'avoir absolument. » (Jonathan, 19 ans, terminale S). «Tu sais, le bac c'est le déclic qui permet d'aboutir dans le travail donc il faut que je l'ai » ( Céline, 18 ans, terminale L). « Le bac c'est quelque chose de très important, c'est vraiment l'examen à avoir pour le marché du travail. Il est par exemple beaucoup plus important à avoir que le brevet. Le brevet c'est plus comme une préparation au bac » ( Samia, 18 ans, terminale S ).

En fait, l'insertion s'inscrit dans un marché du travail. Il faut rappeler, ici, pour comprendre cette « obsession » du baccalauréat ou plutôt de sa « rentabilité » que le risque de chômage est d'autant plus faible que la scolarité a été longue. A l'inverse, chez les jeunes sans diplôme, ces taux apparaissent particulièrement élevés, et traduisent un chômage plus durable que chez les plus diplômés.

Rappelons encore, si besoin en était, qu'en outre, en France, le taux de chômage des jeunes est spécialement fort : si sur l'ensemble des 15 - 29 ans, 8% des jeunes sont chômeurs en 1996, on compte 25% de chômeurs dans la sous - population des jeunes non étudiants et présents sur le marché du travail, soit pratiquement le double que dans l'ensemble de la population. Cette relation entre niveau de formation et chômage est très nette, même si certaines distinctions fines sont à faire ; par exemple, les bacheliers professionnels s'insèrent sensiblement plus vite que les bacheliers « traditionnels ». On observe également ( à partir de 1996) que les taux de chômage des titulaires d'un diplôme de niveau « bac plus 2 ans » et des titulaires d'un diplôme supérieur sont quasiment identiques. Pour les lycéens (garçons et filles) le baccalauréat atteste, en quelque sorte, du niveau d'instruction minimum requis dans le marché du travail.

Cependant, il faut souligner que le sexe module cet effet du niveau d'instruction. En effet, les taux de chômage des filles sont, à niveau comparable, toujours plus élevés, sauf au-delà du baccalauréat ; les inégalités entre sexes sont donc d'autant plus faible que le niveau éducatif s'élève. Les filles ont donc encore plus intérêt à obtenir le baccalauréat et poursuivre des études que les garçons, l'absence totale de diplôme étant pour elles particulièrement pénalisante.

Le tableau ci dessous est, à ce propos, assez illustratif.

Taux de chômage des jeunes de 15 - 29 ans,

par sexe et niveau de diplôme en 1995 ( % )

Niveau de diplôme

Aucun diplôme

BEPC,CAP/ BEP

Baccalauréat

Etudes supérieures

Garçon

28,4

14,5

10,9

12,7

Fille

40,4

25,3

20,7

11,8

Total

68,8

39,8

31,6

24,5

Source : Enquête emploi INSEE

Cependant, malgré ce chiffre de 31,6% seulement de chômeurs chez les bacheliers, lorsque nous faisons remarquer, aux élèves interrogés, que beaucoup de travailleurs n'ont pas le baccalauréat, ils introduisent pour la plupart une nuance importante. Sans que cela ne remette en cause la centralité du diplôme par rapport au marché de l'emploi, ils apportent quelques rectifications. En effet, les lycéens nuancent plus leurs propos en relativisant l'équation baccalauréat = travail en considérant que « sans le bac, on a moins de chances de choisir son travail ».

Nous voulons pour exemple cet extrait d'un entretien avec un élève du lycée Victor Hugo :

- « C'est le diplôme qui décide quand même de l'avenir, sans le bac de toute façon t'as aucune chance. »

- Mais pourquoi penses -tu que sans le bac on ne peux pas trouver de travail ?

- « Bien sûr on peut en trouver, mais bon ce ne sera pas forcément le boulot que tu rêvais d'exercer. Moi je suis au lycée, je suis obligé d'avoir le bac pour continuer mes études et trouver le boulot qui me fasse réellement envie» 

Ainsi on passe, d'une radicalisation de l'équation sans bac = sans emploi, à sa relativisation car ils y introduisent la variante « choix ».

Donc, si quelques lycéens continuent à établir la première équation, les autres préfèrent dire que sans le baccalauréat, ils diminuent leurs chances d'exercer le métier de leur rêve. En fin de compte si le baccalauréat « est nécessaire pour entrer dans la vie active » (Jeanne, 18 ans, terminale L), il est aussi et surtout « indispensable pour pouvoir exercer plus tard le métier qu'on aura choisi » (Thomas, 19 ans, terminale ES).

Le baccalauréat élargirait, en fin de compte, le choix dans la grille de travail qui sera proposé au diplômé à la recherche d'un emploi. Ainsi l'examen du baccalauréat n'est plus seulement passé pour permettre la transition lycée / études supérieures ; mais dans l'imaginaire des lycéens, c'est aussi un passage obligé entre le monde des études et le monde du travail. Ici le baccalauréat devient véritablement un rite auquel ils se soumettent pour pouvoir passer de l'autre côté : le monde du travail, le travail choisi et désiré.

En fin de compte, c'est cette notion de « travail choisi » et non de travail par défaut ou par obligation que les élèves soulignent. Le baccalauréat offrirait un plus grand choix dans le marché du travail et par conséquent, pour certains, un moyen de se démarquer de la trajectoire professionnelle familiale.

Pour beaucoup, les parents, non diplômés, plus précisément non-bacheliers n'ont pas eu de choix professionnel. Ainsi espèrent -ils « vivre autre chose qu'eux ».

Lorsque, par exemple, nous faisons remarquer à Yamina que ses parents, s'ils n'ont pas le baccalauréat travaillent néanmoins, sa réponse est : « mais ça a évolué. Ils voient bien qu'avec la qualification qu'ils ont, aujourd'hui ils ne pourraient pas exercer le même métier. Ils ne font pas le boulot qu'ils rêveraient de faire. Ils auraient voulu faire autre chose, mais ils ne le peuvent pas. Moi j'aimerais pas être comme eux, ne pas faire ce que je veux faire ».

L'attention portée au baccalauréat est proportionnelle chez certains lycéens à l'espoir que les parents placent en eux, surtout si ces derniers n'ont pas eux même le diplôme. Ils sont de ce fait porteurs d'un projet familial, ce qui accentue encore plus « la pression et l'angoisse » qu'ils ressentent dans cette année de baccalauréat. Nous reviendrons sur cet aspect mais avant, illustrons ces propos par quelques phrases tirées des entretiens.

Pour Sophie (18 ans, terminale S) « ça compte beaucoup pour les parents le bac. Vous savez, mon père est ouvrier alors le bac c'est clair que c'est un examen qui permet de poursuivre des études supérieures, mais pour quoi faire ? C'est pour trouver du travail après. Sans le bac, pas de débouché. En règle générale, sans le bac on a rien ; ça je le sais bien et mes parents me le répètent assez souvent. »

Chez certains lycéens, la réussite au baccalauréat est sans doute, plus ressentie comme une obligation que chez d'autres, du moins c'est une impression qu'ils ont en écoutant le discours parental. « Mes parents, de toute façon n'envisagent pas une seconde que je l'ai pas, dit Nicolas dont le père est un ancien employé de Moulinex, Ils peuvent pas s'imaginer que je puisse vivre sans le bac. Mais c'est plus mon père. Ma mère est plus ouverte d'esprit. Mais pour eux de toute façon, le bac il faut que je l'ai, sinon ils ne voient pas ce je que je peux faire d'autre. Mais attention, c'est pour moi d'abord que le bac est important ».

Nicolas (19 ans, étudiant en première année de BTS ) traduit bien la représentation que ses parents ont du baccalauréat : c'est tout simplement une nécessité. « Regarde, mes parents ils ont pas le bac. Ils sont un peu dans la m... alors ils ont été ravis que je l'ai. Ils se disent que je m'en sortirai avec les études. Pour eux le bac c'est quelque chose de formidable. Enfin ils ne pensent pas que c'est formidable mais ils pensent que c'est nécessaire. J'aurai très certainement une meilleure situation qu'eux ».

Sans tomber dans les travers de la catégorisation et de la stigmatisation sociale, nous pouvons soulever le fait que les élèves issus de milieux modestes ( et qui le précisent ) soulignent le plus clairement l'aspect utilitariste du baccalauréat. Le baccalauréat c'est surtout pour trouver un emploi plus tard. Le diplôme est perçu donc par certains élèves et leurs parents comme un facteur d'ascension sociale. « Le bac c'est pour ne pas être dans la même galère que mes parents, plus tard. Déjà je vais sortir dans deux ans avec mon diplôme et ça va tout changer, par rapport à mes parents » ( Evelyne, 20 étudiante en B.T.S )

II.1.3.1. Le baccalauréat facteur d'ascension sociale

Le baccalauréat peut légitimement être considéré comme un facteur d'ascension sociale pour des élèves issus de milieux défavorisés. Cependant, les choses sont beaucoup moins évidentes en fait. Cette remarque nous oblige à élargir notre champs d'analyse à des considérations plus générales, à opérer une sorte de digression.

En effet, si malgré le poids du milieu familial, la formation reste le pivot autour duquel se structure l'insertion, on devrait s'attendre à voir l'école jouer un rôle clé en matière de mobilité sociale entre les générations. Officiellement, sa fonction n'est -elle pas de « redistribuer les cartes » d'une génération à la suivante, comme l'espèrent les élèves et leurs parents ?

Il semble logique qu'un jeune doté d'un niveau de formation supérieur à celui de son père connaisse une mobilité sociale ascendante, c'est-à-dire s'insère dans une position supérieure dans l'échelle sociale. Nicolas (ci-dessus cité) est en droit d'espérer une meilleure position sociale que son père, agent de maintenance à la municipalité de Caen ( le terme pudique pour désigner un éboueur).

En fait, la position d'un individu par rapport à son père s'avère assez peu liée au fait qu'il ait obtenu un diplôme plus ou moins élevé que ce dernier. C'est ce que les sociologues de la mobilité appellent le « paradoxe d'Anderson ».

Mais ce constat est-il véritablement paradoxal ? Pour éclairer cette question, il est intéressant de construire ici, un modèle ( ou plutôt un schéma simplifié ) du fonctionnement d'une société fictive, comme Boudon. R1(*), où trois mécanismes seraient à l'oeuvre.

Tout d'abord, le milieu d'origine des élèves exerce une influence sur leurs études ( c'est l'axiome d'inégalité des chances devant l'école ). Par ailleurs, les études influent sur la position sociale à laquelle on parvient ( c'est l'axiome de méritocratie ). Boudon précise en outre que les relations posées à travers ces deux premiers axiomes sont efficaces à hauteur de 80%. C'est dire que l'origine sociale fonctionne comme un « ticket de priorité », très efficace, mais laissant une marge de jeu de 20%. De même, le niveau de formation détermine dans des proportions très fortes (80%) l'accès aux emplois, mais avec là encore une dose d'indétermination.

Enfin un troisième axiome pose qu'il y a comme une inadaptation quantitative entre la structure sociale et la structure scolaire. Il y a, par exemple, davantage d'enfants issus de milieux aisés que de places dans l'enseignement supérieur, ou encore davantage de diplômés de l'université que de postes dans la classe dirigeante. Ce troisième axiome est capital dans le modèle construit par Boudon. Il lui donne en effet son caractère systémique, les relations entre formation et emploi ne pouvant pas s'expliquer seulement par les caractéristiques des individus, et devant nécessairement intégrer ces variables structurelles que sont les distributions des niveaux de formation, ou des emplois dans la société.

En y réfléchissant, ce poids des facteurs structurels sur l'articulation entre formation et emploi peut paraître évident, en fin de compte, puisque par exemple dans une société fictive où presque tous les individus auraient un niveau de formation identique, il y aurait forcément une relation extrêmement lâche entre le niveau de formation et l'emploi occupé. Toujours est-il que ce cadrage structurel est relativement original dans le contexte français. Par conséquent, c'est la thèse de Boudon, le paradoxe d'Anderson s'explique fort bien : dans une société où il y a forcément ( faute d'une planification stricte difficile à concevoir ) inadéquation entre les structures éducatives et les structures sociales, l'existence de relations étroites entre l'origine sociale et le niveau scolaire, et entre ce niveau scolaire et le statut social n'est pas incompatible avec une influence relativement lâche de l'origine sociale sur le statut social.

Faut-il le souligner, cette société fictive sur laquelle Boudon construit son modèle présente à l'évidence des ressemblances avec la société française.

Dans ce contexte, qu'en est - il plus précisément de ces phénomènes de transmission d'un statut social ? 1(*)

Aujourd'hui, c'est plutôt l'impression d'immobilité sociale qui domine. En effet, un peu plus du tiers des hommes de 40 - 59 ans occupent la même profession que leur père. Plus précisément, plus de la moitié des enfants de cadre sont eux - mêmes cadres, et un peu moins de la moitié des enfants d'ouvriers sont restés dans ce groupe.

Il faut signaler aussi que c'est dans les catégories moyennes que l'immobilité apparaît la plus faible. Il y a néanmoins des mouvements entre groupes sociaux, mais rarement entre des catégories éloignées sur l'échelle sociale. Cela signifie que si un enfant d'employé peut devenir cadre moyen, un fils d'agriculteurs deviendra rarement cadre supérieur en une génération. Cela dit, les sociologues de la mobilité sociale ont observé, sur les vingt dernières années, un certain accroissement de la mobilité « nette », c'est - à dire des mouvements entre groupes sociaux ne résultant pas de contraintes structurelles, donc un certain assouplissement de la société française, sauf peut - être aux extrémités de l'échelle sociale.

Peut-on imputer cette légère démocratisation de la société au développement de la scolarisation ? Cette question est trop vaste et ne concerne pas véritablement pas notre propos. Nous préférons donc recentrer l'analyse en nous concentrant sur la nécessité du baccalauréat.

Le baccalauréat est-il si primordial que le pensent les élèves que nous avons interrogés ? On ne saurait répondre sans nuances à cette question abrupte. En effet, au niveau individuel, le diplôme reste un « ticket de priorité » efficace mais il n'est pas pour autant suffisant pour accéder à tel ou tel emploi (exception faite du baccalauréat professionnel). Mais d'autre part, ne pas être titulaire du baccalauréat compromet de plus en plus l'insertion dans le monde du travail.

D. LES TROIS STADES SUCCESSIFS DU RITE

Si le baccalauréat a une forte portée sociale et symbolique, cela ne suffit pas pour en faire un rite de passage. Si nous restons fidèles à Van Gennep, l'efficacité symbolique n'est pas la condition sine qua non pour faire d'une pratique un rite de passage. Il faut que les trois temps ( séparation, marge et agrégation ) viennent matérialiser le passage. Pour être véritablement analysé comme un rite de passage, le baccalauréat doit donc être sécable en trois parties. Le passage du candidat, du statut de lycéen à celui d'étudiant doit se faire en observant ces différentes étapes de façon distincte. Aussi nous relevons dans le passage du baccalauréat les trois moments suivants :

- D'abord la séparation établie entre les candidats et tous les autres ;elle correspondant à la classe de terminale.

- Ensuite la marge, pendant laquelle les candidats « flottent » entre les étapes initiale et terminale ; elle va de la période du passage des épreuves à la publication des résultats.

- Enfin l'agrégation qui rattache les candidats ( reçus ) à un nouveau monde, celui des études supérieures ; elle est matérialisée par une inscription dans un établissement d'enseignement supérieur.

1. La séparation ( la classe de terminale ) :

Du statut de simple lycéen à celui de candidat au baccalauréat.

Comme son nom l'indique la classe de terminale est l'ultime étape du cycle supérieur (le lycée) de l'enseignement secondaire. Elle est pour les élèves qui auront réussi à se hisser jusqu'à ce niveau, l'aboutissement logique d'un long parcours qui doit se clore par le passage de l'examen du baccalauréat. D'ailleurs, les lycéens se disent, dans leur totalité, être prêts à repasser plusieurs fois, s'il le fallait, l'examen pour «le décrocher ». La classe de terminale semble être la seule qui vaille autant de sacrifices à leurs yeux. Le discours de Karine (18 ans, terminale S) « moi, je passerai le bac autant de fois qu'il le faudra pour l'avoir, en espérant quand même que ma première fois sera la bonne » est semblable à celui des autres élèves interrogés.

Les lycéens semblent admettre plus l'idée de redoubler plusieurs fois la terminale qu'aucune autre classe. Certains considèrent que ce n'est pas « pareil de redoubler la terminale que la seconde ou la première » dans la mesure où cette classe est réputée plus difficile que les autres tandis que d'autres évoquent la proximité du baccalauréat qui est au bout de cette classe. Nous avons d'ailleurs, au cours des entretiens, rencontré des redoublants ( de la classe de terminale ) qui réaffirment leur volonté de repasser encore le baccalauréat si cette année n'était pas la bonne. Mais ces multiples passages n'entrent-ils pas en contradiction avec  l'irréversibilité du rite de passage ? Nous ne le pensons pas. On peut tenter de passer à plusieurs reprises le baccalauréat cependant, une fois que le passage est réussi, l'ancien espace, le passé se retrouve irréversiblement séparé du nouveau. Le bachelier n'est plus lycéen, il devient étudiant. Il change de statut.

Dans les rites de passage, la séquence « pré-liminaire » sépare l'individu du monde antérieur dont il provient, où de l'état où il se trouvait, sur un mode à la fois matériel et symbolique.

La classe de terminale sépare quelques six cent mille (600 000) élèves de tout le reste des lycéens. Ces élèves ont la pleine conscience de vivre une situation particulière. Il faut souligner qu'en arrivant en classe de terminale, l'élève passe du statut de simple lycéen à celui de candidat au baccalauréat. Cette prise de conscience est d'autant plus grande qu'elle est sans cesse nourrie par le discours du corps professoral et les rappels des parents et de l'entourage.

Les professeurs rappellent, le plus souvent, aux élèves l'échéance pour les motiver à travailler. « Les profs sont lourds, nous dit Sandrine ( 19 ans, terminale E.S ), ils arrêtent pas de nous dire qu'on a le bac à la fin de l'année comme si on le savait pas nous même ».

Dans toutes les matières, les professeurs ne manquent pas l'occasion de « garder sous tension » les candidats. Si le but d'une telle stratégie ( la répétition ) est de faire prendre conscience au candidat qu'il est à l'orée d'un événement important, il est atteint assez aisément. Les élèves étant même quelque fois agacés par ce martèlement  comme en témoigne Denise (18 ans, terminale L ) : « déjà en début d'année, ils te font bien savoir que t'es en terminale et à chaque fois qu'ils rendent des copies, ils ne nous loupent pas, du genre « il faudra rendre autre chose au bac » avec ça on est au moins sûr que nous sommes en terminale ».

Tout le travail effectué dans cette année de terminale doit tendre vers cet unique objectif qu'est l'examen de fin d'année d'où le sens de la formule de monsieur Lepennec (professeur de philosophie au lycée Fresnel ) « nous sommes tous là pour ça ». Non seulement les professeurs et les élèves des classes de terminales sont là pour le baccalauréat, mais aussi toute l'organisation du lycée se fait en fonction de l'examen. Tout l'établissement est, en fin de compte, « là pour ça ». Les classes de terminales prouvant, par intervalle, leur primauté sur le reste du lycée. Cette séparation des terminales et des « autres » est d'autant plus visible que l'organisation de « bacs blancs » ou « essais » nécessite, par exemple, assez souvent la réquisition d'autres salles de classe ; donc la mise en congé des autres lycéens, le temps des épreuves.

Le discours parental est aussi assez récurent pour rappeler aux candidats, si besoin en était, qu'ils sont dans la classe du lycée où il faut fournir le plus d'efforts pour passer avec succès le baccalauréat.

Le changement dans le discours des parents est net. Ils veillent, dans cette classe de terminale, plus que jamais sur le bon fonctionnement de la scolarité des enfants. Il y a un réel suivi qui passe tantôt par une aide ou une assistance au devoir ( des cours à domicile, pour ce qui en ont les moyens ) tantôt par une incitation répétée au « bachotage ». Les conséquences que cela entraîne sont l'augmentation considérable du volume de travail qu'ils fournissent et la diminution drastique des loisirs pour certains.

Ainsi, les candidats prennent conscience de l'implication de leurs parents dans ce qui doit être leur ultime année au lycée. Ils s'aperçoivent, pour certains d'entre eux, dans cette année de terminale que les parents « angoissent et ont la pression » pour reprendre leurs termes. Et cette forte présence, les candidats ne l'ont notée que dans la classe de terminale. « Mes parents sont constamment derrière moi. Je ne peux pas rester tranquillement devant la télé sans qu'ils viennent me dire « il faut que tu travailles, t'as ton bac à préparer ». C'est vraiment incroyable comment ils stressent » ( David, 17 ans, terminale S ).

Certains élèves ont même l'impression que le baccalauréat est plus important pour leurs parents que pour eux -mêmes, tellement ils les sentent les « pousser » avec force vers cet objectif. Ce qui marque aussi la séparation de la terminale des autres classes, c'est ce mouvement de l'entourage vers l'échéance.

Ainsi pour Taoufikh ( 19 ans, terminale S ) la classe de terminale est d'autant plus « pesante » qu'il redouble : « C'est inhumain de vivre le même stress deux années de suite. La terminale une fois ça suffit largement, c'est une classe tellement crevant qu'il faut que je réussisse cette année et puis mes parents sont tellement impliqués qu'il faut je leur épargne le même stress. »

Cette forte implication des « autres », pour mettre les élèves dans les meilleures dispositions de préparation de l'examen est un des éléments de ce moment de séparation.

En effet, les candidats s'apprêtant à franchir le passage du baccalauréat ne peuvent plus être les seuls concernés par l'événement dans la mesure où nous sommes dans le rite. Or comme le souligne justement Augé. M « le rite est un spectacle et, en dehors de ceux qui l'accomplissent, il y a, beaucoup plus nombreux, tous ceux qui sont concernés, qui s'y investissent, qui y participent, ne serait-ce qu'en y assistant, à titre individuel mais aussi avec d'autres (...) ».1(*)

Les candidats ne s'infligent pas, tout seuls, la séparation. La société par l'intermédiaire de l'école l'organise. Certes, le candidat subit les épreuves mais l'enjeu concerne et mobilise un grand nombre d'individus. En sens la relation du candidat aux autres marque, de façon significative, le rituel.

2. La marge : du passage des épreuves à la publication des résultats

Le baccalauréat entraîne, de ce que nous en avons dit jusqu'ici, une rupture spatio temporelle dans la vie de l'élève. Celui -ci passe du statut de lycéen à celui d'étudiant, du lycée à un établissement supérieur.

S'il est rite de passage, le baccalauréat prend en charge cette discontinuité en venant marquer l'avant et l'après en créant un lien entre la séparation et l'agrégation : c'est la marge ou la séquence « liminaire ». Cette séquence place l'individu dans un moment d'incertitude et de flottement.

Entre le moment où il a terminé la série d'épreuves et la publication des résultats, le candidat est difficilement « classifiable ». Quel est son statut ? Est-il toujours lycéen ou bien est-il déjà étudiant ? Il n'appartient plus clairement à aucune structure scolaire. Comment le nommer alors, les mots ayant leur importance? L'élève n'est plus lycéen à part entière et pas encore tout à fait étudiant. Il n'est ni l'un ni l'autre et il comme il est à la fois l'un et l'autre. Il est placé dans une zone d'ambiguïté ou plus exactement d'ambivalence.

Mais cette ambivalence est le propre même de la séquence « liminaire » dans un rite de passage. Après avoir passé les épreuves, l'élève est dans ce moment crucial, d'attente des résultats qui vont déterminer la suite de sa vie : il changera de statut ou connaîtra le statu quo. Cette phase « liminaire » qui est un moment d'attente et d'anxiété ( pour la plupart des élèves ) marque la scansion du temps. Elle impose la prise de conscience qu'une période s'achève pour faire apparaître une autre. Cette marge place l'élève dans la situation inconfortable de l'entre-deux ; il est situé entre la séparation d'avec le passé ( donc une certaine mort ) et l'éventuelle introduction dans un monde autre (une renaissance ).

Ce qui est important de noter ici, c'est l'existence d'une marge qui semble intrinsèque au rite de passage du baccalauréat. Comme le rappelle Nicole Belmont1(*) les changements brusques, les discontinuités de la vie humaine ne fournissent pas naturellement de stade de marge, ce qui nécessite souvent d'en créer un pour donner une épaisseur temporelle au passage et élargir en même temps le seuil entre la séparation et l'agrégation. Cette marge, ainsi créée permet de séparer de manière appréciable ce qui était auparavant de ci qui va advenir.

Dans le cadre du passage du baccalauréat, c'est l'existence de la marge qui sous-tend le rite. Elle lui est nécessaire. L'examen, dans sa forme actuelle, c'est-à-dire tel qu'il nous apparaît comme un rite de passage est constitué d'une série d'épreuves dont la correction et la publication des résultats permettent de désigner ce qui sont « habilités » à recevoir le diplôme de bachelier. C'est seulement, et à partir seulement de ces résultats ( sauf les cas litigieux qui nécessitent la consultation du livret scolaire ) que l'élève peut passer du statut de lycéen à celui d'étudiant. Donc, comme le stipulait l'article 17 de la loi du 10 mai 1806, le grade de bachelier doit être conféré par les facultés à la suite d'examens et d'actes publics or la correction et la publication de ces résultats (et l'organisation du baccalauréat en générale) nécessitent toute une mobilisation de moyens humains2(*), techniques et financiers qui implique la « séquence » de la marge.

Le baccalauréat satisfait depuis le 24 octobre 1863 à une règle immuable : donner les mêmes sujets dans toutes les Académies ; des sujets destinés à être traités, le même jour et à la même heure, par la série de candidats appelés ce jour-la à prendre part à l'épreuve.

C'est dire que si le baccalauréat était mixé ou remplacé par les contrôles continus, comme d'aucuns le suggèrent, c'est-à-dire la disparition de l'examen et des actes publics qui le caractérise, la marge serait très certainement très faible, voire inexistante, dans la mesure où les élèves en faisant le calcul de leur moyenne annuelle, connaîtraient, ipso facto leur position : admis ou recalés. C'est peut-être la marge qui fait la magie et la ritualité du baccalauréat.

3. L'agrégation : l'inscription dans un établissement supérieur

Nous considérons l'inscription dans un établissement supérieur comme la séquence « post-liminaire » du baccalauréat dans la mesure où aujourd'hui encore les bacheliers, en générale, préfèrent entreprendre des études universitaires l'année suivant l'obtention du baccalauréat.

Pour l'année universitaire 1998 - 1999, la quasi-totalité des bacheliers généraux se sont dirigés vers l'université ( 66,3% d'entre eux, hors IUT ) tandis que 80,1% des bacheliers technologiques poursuivent également dans le supérieur. Le fait que la grande majorité d'entre eux s'inscrit dans les filières courtes ( 45,6% en STS et 9,9% en IUT ) importe peu ici. Quant aux bacheliers professionnels, le nombre d'entre eux qui cherchent à poursuivre leurs études est en constante augmentation ( 17,5% se sont orientés en STS ).

Ainsi, l'inscription dans un établissement supérieur, pour la grande majorité des bacheliers est l'ultime étape dans le long processus du passage du baccalauréat. Elle récompense le courage déployé pour abattre la forte charge de travail et les sacrifices consentis pendant les longs mois de limitation ou de privation de loisirs.

En effet, ce que beaucoup d'étudiants rappellent pendant les entretiens, c'est le soulagement et le sentiment de justice qu'ils ont ressentis au moment de leur inscription à l'université. Les emplois du temps « surchargés » et le « bachotage sans relâche », « les sorties au compte goutte » et « le droit de ne presque rien faire », « surtout pas regarder trop la télé » pour reprendre leurs termes, auront été payants. Ils ont été récompensés.

L'inscription dans un établissement supérieur marque donc l'aboutissement de tout le travail accompli durant l'année charnière de terminale (et dans les autres classes), mais elle signifie aussi et surtout l'introduction du nouveau bachelier dans un monde autre, le monde de l'enseignement supérieur. Si le passage du statut de lycéen à celui d'étudiant peut être légitimement analysé comme une continuité dans le cursus scolaire, nous la voyons davantage, dans la logique de la ritualité, comme une discontinuité, une rupture.

En effet, le lycéen s'efface pour laisser place à l'étudiant. Paradoxalement, ce passage qui introduit le lycéen dans le monde universitaire pour en faire un étudiant, donc un « adulte » selon les propres mots des élèves, est très encadré. Les élèves arrivent généralement accompagnés par leur famille.

Ayant travaillé, pendant trois rentrées universitaires, à la scolarité générale de l'université de Caen (en tant que conseiller mutualiste), j'ai été un spectateur privilégié des cérémonies d'agrégation des nouveaux étudiants. Les nouveaux bacheliers entrent dans le hall des inscriptions avec leurs parents (certains étant même accompagnés en plus des parents, par la fratrie et les grands-parents).

Il y a, nous le soulignions, comme un paradoxe. Si l'université est un monde d'adulte, pourquoi les élèves ne viennent-ils pas s'y inscrire tout seuls, comme des personnes « responsables » et capables de se gérer de façon autonome ? Ce paradoxe n'en est cependant pas si nous l'analysons à la lumière du champ des rites de passage.

En effet, lorsque nous nous rapportons à notre grille d'analyse de la symbolisation rituelle, l'accompagnement parental y prend tout son sens. Il s'agit d'une renaissance. Les parents, comme à la naissance du bébé ou lors du premier passage de l'enfant à la maternelle sont présents pour guider ses premiers pas dans la nouveauté et l'inconnu. Il est très tentant d'établir ici un parallèle, certes dans un autre domaine, avec le rituel de la tétée du voyageur au Sénégal.

Le départ du fils ( il s'agit généralement d'un adulte ou d'un post adolescent ), de la maison familiale, dans le cadre d'un exode rural ou d'une émigration est aujourd'hui encore souvent marqué par une tétée qu'il reçoit de sa mère (ou par procuration de sa grand-mère ). Si la tétée n'est habituellement rien d'autre que l'alimentation du nourrisson, ici elle revêt une autre signification. Elle marque une séparation qui s'annonce longue et après laquelle le voyageur s'engouffrera dans un nouveau monde. L'accompagnement des parents du nouveau bachelier à son inscription est tout aussi significative que cette tétée.

L'agrégation de l'élève au nouveau monde qui s'ouvre à lui est marquée de plusieurs manières. Elle est scindée en deux parties qui correspondent aux inscriptions administrative et pédagogique.

L'inscription administrative consiste à délivrer au bachelier sa carte d'étudiant au bout d'un long parcours : il doit passer dans pas moins de six bureaux pour pouvoir posséder enfin son attestation d'étudiant. Cette carte agrége officiellement le nouveau bachelier, au monde des étudiants. Il y est fiché, répertorié et classé. La possession de sa propre carte de sécurité sociale est aussi une autre manière de signifier au désormais étudiant, son agrégation dans ce monde, un monde d'adulte. En effet, l'étudiant à son inscription, doit s'affilier obligatoirement ( sauf cas exceptionnels ) au régime de sécurité sociale étudiante. Même s'il peut encore garder « la complémentaire santé » de ses parents, l'appartenance de facto à la sécurité sociale étudiante et donc la possession de son propre numéro d'immatriculation sociale peut être considérée comme une « adultérisation » de l'étudiant. Elle marque la « responsabilisation » dans l'enseignement supérieur qu'évoquaient les lycéens dans les entretiens. En effet, un lycéen de vingt et un ans sera encore sur la carte de sécurité sociale de ses parents ( sauf s'il exerce ou a déjà exercé une profession ) tandis que l'étudiant de dix huit ans aura sa propre carte à partir du moment il a effectué son inscription dans l'enseignement supérieur.

Le baccalauréat fait apparaître une attitude différente de chaque coté de la barrière ; d'une part une « adultérisation » de l'étudiant, d'autre part une « juvénélisation » du lycéen.

L'inscription pédagogique, comme son nom l'indique, avalise le choix pédagogique de l'étudiant. Elle marque l'appartenance de celui-ci à un groupe dans le monde universitaire. Grâce au tampon de son unité de formation et de recherche ( UFR ),le bachelier est reconnu, de façon définitive et légitime comme un étudiant.

Cependant, nous pouvons nous demander si cette agrégation du lycéen au monde étudiant ne fait pas apparaître le baccalauréat comme un « rite d'institution ». En effet, si un rite d'institution est celui qui « tend à consacrer ou à légitimer, c'est-à-dire qu'il fait méconnaître en tant qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une limite arbitraire »1(*) alors le baccalauréat est un rite d'institution. Effectivement il sépare ceux qui ont réussi l'examen de sont qui ont échoué en consacrant et en légitimant les premiers avec notamment le diplôme de bachelier et la carte d'étudiant. En même temps le baccalauréat ne saurait être un simple rite d'institution ou de consécration dans la mesure où, selon Bourdieu, les rites d'institution ont pour effet de séparer ceux qui ont subi le rite de « ceux qui ne le subiront en aucune façon », et d'instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu'il ne concerne pas.

En effet, la volonté politique d'accorder le baccalauréat au plus grand nombre, c'est-à-dire de le faire subir à long terme à toute une classe d'âge rend, aujourd'hui, moins pertinent l'idée d'associer le baccalauréat à un rite d'institution ; d'autant plus qu'il n y a plus de distinction de sexe comme se fut le cas aux débuts de l'examen.

En 1999, 78,5% des candidats au baccalauréat ont été reçus, les filles réussissant mieux que les garçons (80,9% contre 75,5%).

L'obtention de la carte d'étudiant, achève notre étude. En effet, elle marque le nouveau statut de l'élève ou plus exactement de l'étudiant. Pour devenir étudiant, il aura fallu au candidat, après une longue scolarité, passer l'obstacle du baccalauréat.

Conclusion

Les ethnologues se servaient de leurs connaissances théoriques et conceptuelles pour étudier avec le plus d'objectivité possible, des sociétés traditionnelles et « lointaines » qui n'étaient pas les leurs ; nous avons voulu, pour notre part, essayer de mettre en exergue un fait social de la société dans laquelle nous évoluons depuis notre passage du baccalauréat.

Nous ne prétendons aucunement, nous rapprocher de ces ethnologues, ni même faire de l'ethnologie à l'envers. D'ailleurs le voudrions-nous, cela ferait-il sens ? Parce que d'une part, dans le monde moderne, ce qui était autrefois du domaine de l'extérieur, du lointain et du distant peut aussi relever de l'immédiat, du proche et du familier. Malgré les écarts pouvant encore exister entre les sociétés traditionnelles et les sociétés modernes, il y a néanmoins un métissage et un rapprochement des cultures via les mondialisations. D'autre part, l'élargissement du champ ethnologique aux sociétés modernes et / ou le développement de l'anthropo-sociologie rendrait caduque une telle entreprise.

Dans notre démarche de lire le passage du baccalauréat avec les lunettes de l'anthropo-sociologie, nous avons voulu saisir en quoi le baccalauréat, avec toute la symbolique qu'elle revêt en France, marque de façon significative l'entrée du lycéen dans un monde autre. En d'autres termes, il s'agissait de voir si le baccalauréat, à l'instar de la circoncision ou d'autres cérémonies dans les sociétés traditionnelles, ne marque pas dans une société moderne occidentale comme la France un rite de passage : un passage à l'âge adulte.

Dans la première partie de notre étude, nous avons fait l'état des lieux des rites de passage en France, après avoir tenté de cerner la notion de rite. La ritualité y est apparue très difficile à définir à cause notamment de la plasticité de la notion. Les auteurs en définissant le rite ont d'ailleurs irrésistiblement glissé vers sa fonction. Ils se sont appliqués à trouver le sens des rituels dans leur efficacité. Par contre, les rites de passage semblent être plus commodes à saisir dans la mesure où ils ont été formalisés dans un schéma par Arnold Van Gennep. Au-delà de leur efficacité, on doit toujours observer dan les rites de passage les trois séquences que constituent la séparation, la marge et l'agrégation.

A la question de savoir si la société française est déritualisée, nous avons rappelé les deux positions qui s'opposent. Certains auteurs soutiennent que les rites déclinent logiquement dans les sociétés modernes occidentales du fait notamment de la sécularisation qui y a cours. D'autres, au contraire, considèrent qu'il s'agit plus d'une transformation que d'une disparition des rites.

En effet, l'argument décisif avancé est qu'il ne peut pas y avoir de rapports sociaux sans actes symboliques or les rites ne sont rien d'autres que la formalisation et la répétition de ses actes. Toute société humaine, quelle qu'elle soit, est tissée dans une toile de sens.

A la lecture de cette divergence, nous n'avons voulu éviter dans notre démarche les écueils que sont le « rien rituel » et le « tout rituel ».

Dans la seconde partie, nous nous sommes bornés à retracer l'historiographie de l'examen. Ainsi nous avons vu que le baccalauréat, en France, trouve ses origines dans le moyen âge et dans l'aristocratie ancienne avant d'être institué définitivement par l'empereur Napoléon Bonaparte comme le premier diplôme universitaire. Il n'a dès lors cessé d'être traversé par les réformes et les vagues de polémiques qui les accompagnent.

Des réformes telles que celles de Victor Duruy, de 1890 ou encore de 1902 ont apporté au baccalauréat une assise définitive qui lui a permis de subsister malgré les innombrables tentatives d'abolition. Plus récemment, les gouvernements ont essayé d'apporter leur pierre à l'édifice soit par la modification de certains aspects de l'examen (introduction ou suppression de matières) soit par l'émission de simples projets. Aucune manoeuvre ministérielle n'a laissé l'opinion indifférente. En effet l'attachement au baccalauréat et / ou à ce qu'il représente semble être d'autant plus forte qu'il s'inscrit dans le temps. Le baccalauréat, dans sa forme « moderne », est aujourd'hui bicentenaire. Certains ministres de l'Education Nationale, en voulant trop bousculer l'édifice monumental du baccalauréat ont appris à leur dépend son efficacité symbolique et sociale.

Il ressort de la troisième partie de notre analyse que le baccalauréat est le grand baromètre de l'enseignement secondaire. Tout dans le second cycle semble s'organisait autour de l'examen. Cette consécration du baccalauréat s'expliquerait donc, d'une part, par son rôle d'édifice deux fois séculaires soutenant une construction complexe, d'autre part par une efficacité à la fois sociale et symbolique.

Le baccalauréat reste malgré les controverses qui l'accompagnent depuis sa création une référence dans la société française. L'impératif d'organiser l'examen quoi qu'il arrive (exemple de la seconde guerre mondiale ou des événements de mai 1968) traduit la volonté de conserver ce repère fixe dans une société mouvementée. En cela, le baccalauréat est un rite qui dans cette société à forte mobilité permet, comme tous les rites de maîtriser le temps. Il constitue, dans le mouvement, une fixité ou un repère stable qui permet à la société de se rassurer sur une maîtrise des événements qui adviennent bon gré malgré.

Le baccalauréat représente le gage de l'existence de l'éducation et de son sérieux. Il est, pour les politiques à la fois la preuve tangible du bon fonctionnement du système et du socle à partir duquel les jeunes construiront leur avenir et celui du pays. C'est un examen et / ou un diplôme qui a une efficacité toute sociale ; en cela aussi le baccalauréat constitue un rite.

Les élèves intègrent le baccalauréat comme une nécessité dans la société dans laquelle ils vivent. Il constitue pour eux le moyen d'acquérir « une plus grande culture », « plus de liberté » ou encore «de trouver un emploi ».

Par tous ces parchemins qu'il est sensé offrir, le baccalauréat concentre en lui une forte charge tout aussi sociale que symbolique. En effet, par son existence, il agit sur les élèves en reproduisant un consensus autour des valeurs partagées par la société (les valeurs de travail et de réussite), mais il leur offre aussi la possibilité de montrer qu'ils peuvent s'adapter au mode de fonctionnement de la société. Le baccalauréat a donc une efficacité toute symbolique. En cela également, il est un rite.

Enfin le baccalauréat est le passage d'un monde à un autre d'un statut déterminé à un autre statut tout aussi déterminé. Le passage étant marqué par le formalisme, la solennité, le cérémonial, et par l'observance de normes et de pratiques prescrites : préparation, inscription, lieu et horaire des examens, annonce des résultats, inscription à l'université. Ce passage respecte aussi, de façon précise, les moments de séparation, de marge et d'agrégation. En cela, le baccalauréat est un rite de passage.

ANNNEXES

ANNEXE 1

Proportion de bacheliers dans une génération (en %)

ANNEXE 2

Taux de bacheliers poursuivant des études après le baccalauréat 1999

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Vidéothèque

LA CINQUIEME RENCONTRE

« Les enfants du bac », une enquête au lycée Paul Eluard à Saint-Denis (93), réalisée par Bolot. B et Demoy. G, GMT Production / La sept-Arté, France, 1993

* 1 Ségalen. M, Rites et rituels contemporains, Edition Nathan, Paris, 1998.

* 1 Si « L' école de Jules Ferry » est un terme très usité, nous verrons que le système scolaire français doit autant, sinon plus à Victor Duruy et à d'autres qu'au célèbre administrateur.

* 1 Blanchet. A, L'entretien dans les sciences sociales, donold, Paris, 1985.

* 1 Ségalen. M, Rites et rituels contemporains, op., p.5.

* 2 Durkeim. E, Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie, Paris, felix Alcan, 1912.

* 3 ibid. p.13

* 1 Augé. M, Entretien avec Marc Augé réalisé par André Mary (Le questionnement du rite ), in L'impératif rituel, Cahiers du LASA, N°10, 1er semestre 1989, p.172.

* 2 Durkheim. E, Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie, op. cit., p.552.

* 3 Ségalen. M, Rites et rituels contemporains, op. cit., p.17.

* 4 Levi-strauss. C, Anthropologie structurale, op. cit., Paris, Plon, 1958, Chap X « l'efficacité symbolique », p.211.

* 1 Bourdieu. P, Les rites comme actes d'institution, Actes de la recherche en sciences sociales, 1982, 43, 58-63.

* 2 Isambert. F, Rite et efficacité symbolique, Cerf, Paris, 1979.

* 3 Christinat. J-L, Le rite, générateur de liens sociaux, in Les rites de passage aujourd'hui, Actes du colloque de Neuchâtel 1981, L'Age d'Homme, Lausanne, 1986, p.138.

* 4 Ségalen. M, Rites et rituels contemporains, op. cit., p.20.

* 1 Segalen. M, op. cit., p.29.

* 2 Van Gennep. A, Les rites de passage, op. cit., pp.5-6.

* 1 Legendre. P, La fabrique de l'homme occidental, Arté-Editions, Mille et une nuit, 1996, p.12.

* 1 Rivière. Cl, Les rites profanes, Paris, Presse Universitaire de France, 1995.

* 2 Nous avons vu plus haut la dichotomie entre sociétés lointaines et sociétés proches.

* 1 Ségalen. M, Rites et rituels contemporains, op. cit., p.23.

* 2 Lorquin. Claire 1993, « albums de bébe », in Ségalen M et Le Wila Béatrix (dir), objets et décors : des créations familiales ? Autrement, 137, mai, pp.182-196.

* 1 Balandier. G, Anthrop-logique, Puf, Paris, 1974.

* 1 Ségalen. M, Rites et rituels contemporains, op. cit., p.24.

* 1 Douglas. M, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, F. Maspero, 1971, p.81.

* 2 Séca. J-M, Vocations rock, Paris, Méridiens-klincksieck, 1988, p.229.

* 1 Séca. J-M, Vocations rock, op. cit., p.229.

* 2 Rivière. Cl, les rites profanes, op. cit., p.127

* 1 Avec la collaboration d'Hayot Alain et Mariottini Jean-Marc, Le match de football. Ethnologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris, Editions de la MSH, 1995

* 2 Bromberger. C, Le match de football. Ethnologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, op. cit., p.321.

* 1 Belmont. N, La notion de rite de passage, in Les rites de passage aujourd'hui, Actes du colloque de Neuchâtel 1981, op. cit., p.17.

* 1 Piobetta. J. B, Le baccalauréat, Baillière et Fils, Paris, 1937.

* 2 Exception faite de l'ouvrage de Solaux. G, Le baccalauréat, La Documentation française, Paris, 1995

* 1 Decaunes. L, Réformes et projets de réforme de l'enseignement français de la révolution à nos jours (1789-1960), Institut Pédagogique National, Paris, 1962, p.12.

* 1 Bernard. H. C, Education and the French Revolution, Cambridge University Press, 1969, pp.166-168.

* 2 Voir Decaunes. L, Réformes et projets de réforme de l'enseignement français de la révolution à nos jours (1789-1960), op.cit., p.12.

* 3 Bernard. H. C, Education and the french Revolution, op. cit., p 175.

* 4 ibid. p.186.

* 5 Prost. A, L'enseignement en France 1800-1967, Colin, Paris, 1968, p.24.

* 1 Piobetta. J. B, Le baccalauréat, op. cit., p.23.

* 2 ibid. Voir aussi Prost. A, L'enseignement en France 1800-1967,op. cit., p.24.

* 1 Prost. A, L'enseignement en France 1800-1967, op. cit., p.162.

* 2 Gagen. W, The development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role within the french education system, N. ed, Octobre 1983, p.14.

* 3 Piobetta.J. B, Le baccalauréat, op. cit., p.24.

* 4 Bernard.H.C, Education and the french Revolution, op. cit., p.217. Voir aussi Decaunes.L, Réformes et projets de l'enseignement français de la révolution à nos jours (1789-1960), op. cit., p.25.

* 1 Piobetta. J.B, Le baccalauréat, op. cit., p.33.

* 2 ibid

* 3 ibid

* 4 Rapporté par Piobetta. J. B, Le baccalauréat, op. cit., p34.

* 1 Rapporté par Piobetta, Le baccalauréat, op. cit., p.116.

* 2 ibid.

* 3 ibid.

* 1 Le ministre Georges Weill cité par Piobetta. J. B, in Le baccalauréat, op. cit., p132.

* 1 Voir Piobetta, Le baccalauréat, chap Conflit pédagogique.

* 2 ibid.

* 1 Piobetta. J. B, Le baccalauréat, op. cit., p188.

* 1 schéma emprunté à Gagen. W, The development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role within the french education system, op. cit., pp 42 à 48.

* 1 Combes cité par Piobetta à la page 213.

* 2 ibid

* 1 Rapporté par Piobetta, in Le baccalauréat, op. cit., p241.

* 2 ibid.

* 1 Statistiques que Gagen tire de : Le baccalauréat, Etudes et documents (81.2), Ministère de l'Education Nationale (SEIS), Paris, 1981, p14.

* 2 Gagen. W, The development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role within the french education system, op. cit ., p.57.

* C'est la dernière année des baccalauréats (classique ou moderne) et la première année du baccalauréat unifié, institué par la réforme de 1902. Ainsi le nombre total de diplômés en 1905 s'élève à 7329.

* 1 Par génération nous comprenons promotion.

* 1 Gagen. W, The development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role within the french education system,, op. cit., p.63.

* 1 Prost. A, L'enseignement en France 1800-1967, op. cit., p262.

* 2 Prost. A, op. cit., p 264.

* 1 Prost. A, L'enseignement en France 1800-1967, op. cit., p264.

* 2 Gagen. W, The development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role within the french education system, p72.

* 1 Solaux. G, Le baccalauréat, la Documentation française, Paris, 1995, p.17.

* 2 ibid.

* 1 Rapporté par Solaux. G, Le baccalauréat, p19.

* 1 Rapporté par Solaux. G, Le baccalauréat, op. cit., p.24.

* 1 rapporté par Solaux, Le baccalauréat, op. cit., p.25.

* 1 Jospin cité par Solaux, in Le baccalauréat, op, cit., p42.

* 1 Rivière. Cl, Les rites profanes, Presses Universitaires de France, 1995.

* 2 ibid, p.85.

* 1 Van gennep. A, Les rites de passage, Paris, Nourry, 1909.

* 2 Pujol. F., Rites éducatifs et de passage : La situation dans le cadre des premières années de scolarisation, Note de recherche de licence d'anthropologie sociale, Univ. De Paris V, 1993, 30p. ronoété.

* 1 Solaux. G, Le baccalauréat, op. cit., p.58.

* 1 Solaux. G, Le baccalauréat, op. cit., p.62.

* 1 Duplaix. Thérèse, proviseur du lycée Paul Eluard, Extrait de l'émission : LA CINQUIEME RENCONTRE, « Les enfants du bac » .Une enquête au lycée Paul Eluard à Saint Denis (93), réalisée par Bruno Bolot et Guy Demoy, GMT Production / la sept-Arté, France, 1993.

* 1 Prost. A, Les lycées et leurs études au seuil du 21ème siècle, CNDP, 1983.

* 1 Pouteau. Hélène, « La magie sociale du rite baptismal », in L'impératif rituel, cahiers du LASA, N°10, 1er Semestre 1989, p.91.

* 1 Archives du M.E.N.

* 2 ibid.

* 1 Jaulin. R, LA MORT SARA, l'ordre de la vie ou la pensée de la mort au Tchad, Plon, Paris, 1967.

* 1 Boudon. R, L'inégalité des chances. La mobilité sociale dans les sociétés industrielles, A. Colin, 1973

* 1 Pour une analyse plus approfondie, voir Merlier. D, Les enquêtes de mobilité sociale, PUF, Paris, 1994 ou Terrail. J - P, Les ouvriers et l'école : le sens de la réussite, Société française, 9, 4 - 7, ou bien encore Bourdieu. P et ses collaborateurs, La reproduction. Eléments pour une théorie du système d'enseignement, Minuit, Paris, 1970.

* 1 Augé. M, Entretien avec Marc Augé réalisé par André Mary (Le questionnement du rite ), in L'impératif rituel, op. cit, p169.

* 1 Belmont. N, La notion de rite de passage, in Les rites de passage aujourd'hui, op. cit., p.17.

* 2 Environ 119.000 correcteurs selon le Ministère de l'Education Nationale

* 1 Bourdieu. P, Les rites comme actes d'institution, in Acte de la recherche en sciences sociales, op. cit., p.62.






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