Université de Caen Basse-Normandie
Maîtrise de sociologie
Session de juin 2000
Le baccalauréat :
Un rite de passage dans une société moderne
occidentale comme la France ?
Sous la direction de Mme Lecestre-Rollier
LÔ Abdou
Université de Caen Basse-Normandie
Maîtrise de sociologie
Session de juin 2000
Le baccalauréat :
Un rite de passage dans une société moderne
occidentale comme la France ?
Sous la direction de Mme Lecestre-Rollier
LÔ Abdou
REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer tous mes remerciements à
madame Lecestre-Rollier, professeur de sociologie à l'université
de Caen Basse-Normandie pour avoir accepté d'encadrer mon mémoire
et pour le précieux soutien apporté à son
élaboration.
Je remercie également les directions des lycées
Jean Fresnel, Victor Hugo et Saint-Ursule pour m'avoir facilité
l'accès à leur établissement.
Enfin je suis reconnaissant aux élèves de
terminale de ces établissements ainsi qu'aux étudiants de
l'université de Caen pour le temps qu'ils ont accepté de
m'accorder et pour leurs témoignages.
SOMMAIRE
Introduction..............................................................................................9
PREMIERE PARTIE :
SUR LES RITES DE
PASSAGE...................................................................13
Introduction................................................................................................15
A. Comment définir les
rites ?...................................................16
1. De la définition du rite (en général)
à son efficacité..............................................16
2. De la définition du rite de
passage..................................................................17
B. La société française est -
elle déritualisée ?...........................20
I. Du déclin des
rites..................................................................22
1. le
mariage..............................................................................................22
2.
l'école...................................................................................................23
3. le service
militaire.....................................................................................25
II. De la multiplication des
rites.....................................................26
1. le concert de
Rock....................................................................................27
2. le Hip
Hop..............................................................................................28
3. le match de
Football...................................................................................29
Conclusion................................................................................................30
DEUXIEME PARTIE :
ETUDE DU BACCALAUREAT ET DE SES DIFFERENTES
REFORMES............32
Introduction................................................................................................34
A. Du régime féodal à
napoléon.................................................................35
1. les origines du
baccalauréat..........................................................35
2. L'institution du
baccalauréat.........................................................37
3. La consolidation du baccalauréat
...................................................40
B. Le premier siècle du
baccalauréat : les
réformes.....................................42
1. La réforme de V.
Duruy..............................................................................42
2. Les réformes sous la 3ème
République...............................................................43
3. La réforme de
1890....................................................................................46
4. La réforme de
1902....................................................................................51
C. La première moitié du
20ème
siècle.........................................................57
D. La seconde moitié du 20ème
siècle
.........................................................60
1. La notion de « niveau
baccalauréat »...............................................62
2. Les projets de
réformes...............................................................64
- Le projet J.
Fontanet....................................................................................64
- Le projet J - P
Chevénement..........................................................................65
- Le projet R. Monory et A.
Devaquet.................................................................66
- Le projet L.
Jospin......................................................................................66
- Le projet J.
Lang........................................................................................67
- Le projet F.
Bayrou.....................................................................................68
Conclusion................................................................................................70
TROISIEME PARTIE :
LE BACCALAUREAT : UN RITE DE
PASSAGE.............................71
Introduction...............................................................................................73
A. Les premiers rites de passage
scolaires.................................................74
1. La
maternelle...........................................................................................74
2. L'entrée à la « petite
école ».........................................................................75
B. Le baccalauréat : baromètre de
l'enseignement secondaire......................77
I. L'efficacité sociale et symbolique du
baccalauréat...................................80
I. L'efficacité sociale du
baccalauréat.................................................81
II. L'efficacité symbolique du
baccalauréat..........................................84
II. Trois raisons de passer le
baccalauréat..................................................88
II.1.1 Le baccalauréat pour continuer les études
et acquérir une culture générale...............88
II.1.2 Le baccalauréat pour bénéficier de
plus de liberté............................................91
II.1.3 Le baccalauréat pour trouver un
emploi.......................................................94
II.1.3.1 Le baccalauréat facteur d'ascension
sociale.......................................................................98
D. Les trois stades successifs du
rite.......................................................101
1. La séparation (la classe de terminale
)............................................................101
2. La marge (du passage des épreuves à la
publication des résultats)...........................104
3. L'agrégation (l'inscription dans un
établissement supérieur).................................105
conclusion
............................................................................................108
Annexes................................................................................................111
Bibliographie.........................................................................................114
INTRODUCTION
Dans des sociétés qui aujourd'hui semblent
irrémédiablement portées vers la techno-science et font de
la rationalité et du progrès leurs chevaux de bataille, parler de
faits tels que le rite de passage au sein de ces sociétés
même, ne pourrait-il pas être une inadéquation et un
non-sens caractérisé ? Telle est la première question que
nous nous sommes posée, à la réflexion de notre sujet de
mémoire.
En effet, les sociétés modernes occidentales
n'ont-elles pas fait pour la plupart le deuil de beaucoup de leurs pratiques
ancestrales, pour ne pas dire la totalité ?
Ces mêmes sociétés n'ont-elles pas fait le
pari de la modernité et de la rationalisation en enterrant depuis le
siècle des lumières beaucoup d'us et coutumes, avec tout ce qui
était classé dans le registre de l'obscurantisme et du mysticisme
?
Mai 1968 n'a-t-il pas été pour les jeunes
générations - dans une certaine mesure - le dernier coup de pied
donné dans la fourmilière des moeurs, donc de l'autorité
des plus âgés sur les plus jeunes c'est-à-dire de ceux qui
savent sur ceux qui ne savent pas? Les rites de passages font-ils toujours
sens dans les sociétés modernes occidentales ? D'ailleurs,
existe -il encore, tout simplement des rites de passage dans ces
sociétés ? Si oui, le baccalauréat qui nous
intéresse ici, en fait -il partie ?
Assurément nous ne pouvons pas répondre,
d'entrée, par l'affirmative à toutes ces questions qui sont assez
complexes. D'ailleurs avons nous affaire, ici, à des questionnements
ethnologiques ou sociologiques ? Une problématique que nous nous
proposons d'évacuer hic et nunc.
En effet, notre démarche se veut d'être prudente
si nous nous inscrivons dans la linéarité qui fait que l'objet
d'une ethnologie, considérée naguère comme
« exotique » devient à un moment donné de
l'histoire, objet d'une sociologie moderne. Ce qui était exclusivement
du domaine de l'extérieur, du lointain, de
l'exotique ou du « primitif » peut relever
désormais aussi de l'immédiat, du proche et du moderne.
L'ouverture de l'ethnologie aux sociétés modernes et la
multiplication des terrains d'études ont permis d'explorer des aspects
de la vie moderne et de les mettre en parallèle avec des
phénomènes observables dans les sociétés
traditionnelle.
Ainsi le concept de rite a quitté le domaine des
sociétés « primitives » et exotiques pour
devenir un « analyseur du contemporain » pour parler comme
Martine SEGALEN1(*).
II y a aujourd'hui un élargissement du champ
d'étude de l'ethnologie ou plus exactement de l'Anthropo-sociologie.
La grille qui permettait de lire les sociétés
traditionnelles est loin d'être obsolète pour la
compréhension des sociétés modernes. Des notions comme
celle de rite de passage, qui jusqu'à l'époque du structuralisme
straussien renvoyaient à l'immobilisme et à la
répétition dans les sociétés traditionnelles sont
aujourd'hui légitimement utilisables dans les sociétés
modernes contemporaines à mobilité fréquente et statut
transitoire.
C'est dans cette optique que nous nous demandons si à
l'instar des sociétés
traditionnelles, où la vie de l'individu est
marquée de forte empreinte et de manière consensuelle par les
différents rites de passage qui font de l'enfant un adolescent puis un
adulte, l `école de Jules Ferry1(*) ne constitue pas une échelle dont l'ascension
n'est possible à l'étudiant (terme générique que
nous employons indistinctement pour déterminer tous les apprenants du
système scolaire) qu'à condition de franchir au fur et à
mesure les différents passages que sont les examens. Les examens qui
marquent la fin d'un cycle d'étude.
En effet il semble évident que la progression de
l'étudiant dans le système
scolaire nécessite le passage des différents
examens tels que le Brevet, le
Baccalauréat, le Mémoire (de maîtrise par
exemple) ou la Thèse.
Aussi, notre interrogation s'articule autour de l'idée
selon laquelle ces examens
constituent ou peuvent constituer des rites de passage. Notre
étude s'intéresse ici particulièrement au
baccalauréat.
Notre but est d'essayer de voir, avec précision, en
quoi le baccalauréat avec toute la symbolique et la
représentation qu'en ont les français, marque l'entrée du
lycéen dans un monde autre. Autrement dit : En quoi le
baccalauréat constitue t- il un rite de passage ? Cette question ne
faisant sens que si nous sommes d'accord sur la définition du rite de
passage.
L'intérêt d'une telle étude est aussi de
souligner les significations que revêt le passage de l'examen tant
auprès de l'examiné(e) que des autres : les examinateurs et les
spectateurs que sont les proches parents de l'étudiant.
L'apprenant n'est plus tout à fait le même selon
qu'il est en préparation du
baccalauréat ou selon qu'il a passé
l'épreuve. II y a un avant et un après l'examen. Il y a une
ritualisation très forte du baccalauréat. Mais la ne sommes nous
pas déjà entrés dans le vif du sujet ?
Précisons d'abord que dans notre étude, nous
avons préféré recourir à l'entretien qui
aujourd'hui est de plus en plus utilisé dans les sciences sociales. En
effet, depuis une cinquantaine d'années, différentes disciplines
des sciences sociales ont constamment recouru à l'entretien pour
étudier des faits dont la parole est le vecteur principal. Même si
nous savons que l'entretien dans les sciences sociales est un outil irrecevable
du point de vue de l'idéal scientifique ( chère à la
« science sociale appliquée » et à
« l'ergonomie » ( human engineering ) , il
s'avère être irremplaçable pour accéder à des
connaissances dont l'intérêt scientifique est manifeste.
Ainsi, pour avoir le point de vue des lycéens, nous
avons voulu utiliser l'outil que Alain Blanchet 1(*) considérait comme étant « le
plus évident ». Nous avons préféré le
qualificatif au quantitatif dans une étude où la
subjectivité des interviewés est inévitablement mise
à contribution. L'emploi de l'entretien (semi-directif) nous
paraît plus judicieux dans le cas présent - nous traitons de rite
de passage - que toute méthode quantitative.
En effet, utiliser les méthodes quantitatives
reviendrait, pour nous, à faire le choix du
« Eklären » (expliquer) au détriment
du « Verstehen » (comprendre) ; or nous ne
pouvons pas traiter l'objet de notre étude comme une chose. Ce serait
mettre la sociologie ou l'anthropo - sociologie dans les
« Naturwissenschaften », c'est-à-dire les
sciences de la nature ou sciences nomothémiques et écarter les
« geisteswissenschaften » ou sciences de l'esprit,
sciences idiographiques. Aussi préférons-nous ne pas céder
à « l'inhibition méthodologique » dont parle
C. Wright - Mills.
Notre terrain d'étude a été le milieu
scolaire, où bien entendu la question du baccalauréat est
omniprésente. Plus précisément, nous nous sommes rendus
dans les lycées Victor Hugo, Jean Fresnel et Saint-Ursule (Toutes ces
écoles étant situées dans le calvados) sans oublier
l'Université de Caen - Basse Normandie.
A Victor HUGO, établissement public, nous
espérions pouvoir interviewer des élèves de
différentes séries : L, ES, S... Finalement la direction ne
nous a autorisé à prendre rendez-vous qu'avec les
élèves de terminale littéraire ( L). Nous ne nous
expliquons toujours pas à ce jour, les raisons de cette restriction.
Est-il moins « préjudiciable » de prendre un peu du
temps des littéraires que des scientifiques, par exemples ? Pour
notre part, nous considérons que c'est une population très
intéressante dans la mesure où nous pensons que pour les
élèves de la série L, le rapport au baccalauréat
est particulier. Nous développerons ce point plus tard.
Jean FRESNEL est aussi un lycée public où nous
avons pu interroger - grâce à
la précieuse collaboration de la direction - des
élèves venant de différentes
terminales et des étudiants en brevet technologique et
scientifique (BTS).
Au lycée catholique privé Saint Ursule, nous
avons pu compléter la liste de nos interlocuteurs. Des
élèves de terminale et des étudiants (BTS) nous ont
consacré un peu de leur temps.
Des étudiants de l'université de Caen ont
répondu avec assez
de spontanéité à nos sollicitations et
nous ont apporté de précieux renseignements.
Au total, nous avons pu interroger quatre vingt quatre ( 84)
personnes ; ces entretiens servant surtout à étayer la
troisième partie de notre travail. Nous articulons notre étude
autour de trois axes.
Pour ne pas traiter du baccalauréat comme d'un rite de
passage, a priori, nous nous proposons d'inverser la taxinomie de la
phrase le baccalauréat, un rite de passage en : un
rite de passage, le baccalauréat.
Ainsi, nous pouvons définir dans un premier temps ce
qu'est un rite de passage, pour analyser dans notre seconde partie le
baccalauréat à travers son histoire, avant de redonner dans une
ultime étape à la phrase sa forme initiale : le
baccalauréat, un rite de passage.
PREMIERE PARTIE :
SUR LES RITES DE PASSAGE
PLAN
Introduction................................................................................................15
A. Comment définir les
rites ?...................................................16
1. De la définition du rite (en général)
à son efficacité..............................................16
2. De la définition du rite de
passage..................................................................17
B. La société française est -
elle déritualisée ?...........................20
I. Du déclin des
rites..................................................................22
1. le
mariage..............................................................................................22
2.
l'école...................................................................................................23
3. le service
militaire.....................................................................................25
II. De la multiplication des
rites.....................................................26
1. le concert de
Rock....................................................................................27
2. le Hip
Hop..............................................................................................28
3. le match de
Football...................................................................................29
Conclusion................................................................................................30
Introduction
Il nous faut ici, avant toute analyse, effectuer un rituel
d'usage dans la démarche
sociologique : la définition des notions. Quelle
définition donner au rite en général et au rite de
passage en particulier?
II est en effet très difficile de trouver une
définition du rite en générale, qui soit
unanimement adoptée par les différentes
écoles anthropologiques. Le terme de rite paraît très
vaste.
Comme l'écrit M. Ségalen « une des
caractéristiques majeurs du rite est sa plasticité,
sa capacité à être polysémique,
à s'accommoder du changement social. De sorte que les divers auteurs qui
se sont emparés du sujet ont donné leur définition du rite
en le tirant vers leur champs de recherche de
prédilection. »1(*)
Durkheim, par exemple, associe le rite à la
religion2(*). Pour lui, rite
et religion sont indissociables dans la mesure où cette dernière
se définit par la foi et la pratique.
La religion prend corps dans la croyance des humains et la
pratique qu'ils en ont par les rites. Précisons que cette pensée
n'est pas nouvelle. Elle avait déjà été
développée par Blaise Pascal. En effet, le philosophe
considérait que la foi religieuse se nourrissait par la pratique. Nous
pouvons dire cependant que ce que le sociologue introduit de nouveau, c'est la
notion de rite.
Au départ, pour Durkheim, les rites servent à
exprimer, en actes concrets, ce que la croyance garde à
l'intérieur. Ainsi, pour lui, les rites sont « des
manières d'agir qui ne prennent naissance qu'au sein des groupes
assemblés et qui sont destinés à susciter, à
entretenir où à faire renaître certains états
mentaux de ces groupes » 3(*).
Mais imperceptiblement on passe dans la théorie
durkheimienne de la définition
du rite à sa fonction.
Ce glissement semble être inévitable dans la
mesure où la rite, qu'il soit de passage ou non, se confond avec son
rôle. Alors le meilleur moyen de parler des rites dans la
société française n'est- il pas de voir s'ils y ont encore
un rôle ou pas ? Cela nous conduisant à considérer le
débat d'école sur le déclin ou la multiplication des rites
en France.
Mais avant, revenons encore sur la distance entre la
définition du rite et son efficacité à travers quelques
auteurs dont nous ne pouvons faire l'économie.
A. COMMENT DEFINIR LES RITES?
« (...) Le terme de rite est souvent un terme que
nous appliquons à la réalité vécue par les autres
et que nous surinvestissons de commentaires. » Marc Augé
1(*)
1. De la définition du rite (en
général) à son efficacité.
Les rites serviraient selon Emile Durkheim à dicter
à l'individu sa relation au sacré, se faisant ils
l'intègrent à la communauté. Ce qui est essentiel, pour le
sociologue c'est que : des individus soient réunis, que des sentiments
communs soient ressentis et qu'ils s'expriment en actes communs.
Tout nous ramène donc à la même
idée : c'est que les rites sont, avant tout, les moyens par lesquels le
groupe social se réaffirme périodiquement.
Durkheim souligne ce lien social que tisse le rite car pour
lui « la fonction réelle d'un rite consiste non dans les effets
particuliers et définis qu'il paraît viser, et par lesquels on le
caractérise d'ordinaire, mais d'une action générale qui,
tout en restant toujours et partout semblable à elle-même est
cependant susceptible de prendre des formes différentes suivant les
circonstances ». 2(*)
Dans le même ordre d'idée, Marcel Mauss
(cité par Ségalen) pense que « les actes sont, par
essence, capables de produire autre chose que des conventions, ils sont
éminemment efficaces ; ils sont créateurs ; ils font »
et « les gestes rituels sont réputés avoir une
efficacité toute spéciale, différente de leur
efficacité mécanique ». II y a ce que Mauss appelle une
« efficacité sui generis ». Cette efficacité se
distingue de l'efficacité pratique de n'importe quelle autre action
matérielle. C'est une efficacité qui est comme mystique venant de
« forces spéciales ».
L'efficacité du rite se situe donc en
« définitive dans l'acte de croire à son effet,
à travers des pratiques de symbolisation » pour reprendre les
termes de M. Ségalen 3(*).
Claude Levi-strauss corrobore ce point de vue lorsqu'il
définit l'efficacité du rite comme quelque chose de purement
symbolique. Le rite agit selon lui comme un placebo. L'exemple le plus fameux
qu'il en donne est celui du chaman. Ce dernier par ses incantations arrive
à guérir des malades ( en l'occurrence ici une femme qui met au
monde un enfant). II écrit « le chant constitue une
manipulation psychique de l'organe malade et c'est de cette manipulation que la
guérison est attendue » 4(*).
En fin décompte peu importe le fait qu'un lien
scientifique ne soit pas établi entre
l'action du chaman et la guérison du malade. Et la
question de l'efficacité réelle se pose d'autant moins dans cette
société qu'il y a une adhésion totale à la magie du
chaman. Pour Levi-strauss ce qu'il faut noter surtout et avant tout c'est le
fait que le soigné y croit et qu'il appartienne à une
société qui y croit.
Les auteurs les plus récents ne diront pas autre chose
,ou bien s'il le font
partent néanmoins (même si c'est pour s'en
écarter ensuite) de cette idée qui
ramène le rite à son efficacité
symbolique.
Ainsi Pierre Bourdieu réaffirmera-t-il que c'est la
croyance en cette efficacité
du rite qui justement le rend efficace. C'est cette croyance
de tous, préexistant au rite, qui est selon lui la condition sine qua
non de l'efficacité du rituel. « On ne prêche que des
convertis, écrit-il, et le miracle de l'efficacité symbolique
disparaît si l'on voit que la magie des mots ne fait que
déclencher des ressorts - les dispositions -préalablement
montés »1(*).
De même pour François Isambert 2(*) ou Jean - louis Christinat,
l'action symbolique quelque soit la forme qu'elle revêt, se dessine
toujours sur le fond d'un consensus qui la rend opérante, efficace. Le
rite est « générateur de liens
sociaux »3(*)
Mais tous ces auteurs traitent jusqu'ici, du rite en
général, ou plus précisément de l'efficacité
symbolique (parfois effective) de celui-ci. Aucune de ces théories qui
d'ailleurs se recoupent toutes, ne donne une définition
réellement formelle du rite de passage.
2. De la définition du rite de passage
Martine Ségalen est assez proche de la
définition du rite de passage lorsqu'elle définit le rite comme
étant non seulement « un ensemble d'actes formalisés,
expressifs, porteurs d'une dimension symbolique » mais aussi et
surtout comme étant « caractérisé par une
configuration spatio-temporelle spécifique, par le recours à une
série d'objets, par des systèmes de comportements et de langages
spécifiques, par des signes emblématiques dont le sens
codé constitue l'un des biens communs d'un groupe ». 4(*)
L'une des propriétés que la sociologue donne
à sa définition est que celle-ci reconnaît que ces
manifestations ont un champ spécifique, qui est de marquer des ruptures
et des discontinuités ou encore des moments critiques (passage) dans les
temps individuels comme dans les temps sociaux.
Ségalen parle de rupture, de discontinuités ou
encore de moments critiques tel que le passage dans les temps tant individuels
que collectifs. En cela elle a une approche assez asymptotique de la notion de
rite de passage. Du moins telle que le définit Arnold Van Gennep.
Le folkloriste et ethnologue français est celui qui
jusqu'à aujourd'hui a donné une des définitions les plus
abouties, et l'approche la plus complète du rite de passage. II a
formalisé le rite de passage en lui donnant un schéma qui
aujourd'hui encore reste très actuel.
Van Gennep a su opérer une révolution . II a
réussi à étudier les faits dans leur séquence de
consécution et non en les isolant dans le désordre apparent des
coutumes ; cela lui vaut l'hommage de tous ceux qui se sont
intéressés au sujet. Ségalen dit à son propos :
« il a su passer au crible de l'analyse toutes les séquences
d'un même cérémoniel (... ) si sa thèse insiste sur
l'ethnographie des formes , elle n'en fait pas une base classificatoire (...)
Van Gennep se refuse à prédéfinir des fonctions (...) les
sociétés sont caractérisées par leur
discontinuité, et le rite de passage cherche à recomposer l'ordre
social qui est mis en jeu lors de chaque nouvelle étape du cycle
biologique de l'homme »1(*).
Il faut rappeler que pour Van Gennep les rites de passages
sont intrinsèques à la vie car, selon le folkloriste,
« c'est le fait même de vivre qui nécessite les passages
successifs d'une société spéciale à une autre et
d'une situation sociale à une autre : en sorte que la vie individuelle
consiste en une succession d'étapes dont les fins et commencements
forment des ensembles de même ordre : naissance, puberté sociale,
mariage, paternité, progression de classe, spécialisation
d'occupation, mort. Et à chacun de ces ensembles se rapportent des
cérémonies dont l'objet est identique : faire passer l'individu
d'une situation déterminée à une autre situation tout
aussi déterminée (...) En outre ni l'individu, ni la
société ne sont indépendants de la nature, de l'univers,
lequel est lui aussi soumis à des rythmes qui ont leur contre- coup sur
la vie humaine. Dans l'univers aussi, il y a des étapes et des moments
de passage, de marche en avant et des stades d'arrêt relatif, de
suspension. Aussi doit-on rattacher aux cérémonies de passage
humaines, celles qui se rapportent aux passages cosmiques : d'un mois à
l'autre (cérémonie de la pleine lune, par exemple) d'une saison
à l'autre (jour de l'an, etc.) »2(*)
Autrement dit, les rites de passages sont tous les rites qui
accompagnent des changements de lieu, d'état, d'occupation, de situation
sociale, de statut, d'âge etc. Ils rythment la vie de l'individu
« du berceau à la tombe ». Et puisque cette vie
humaine s'inscrit dans une périodicité naturelle, d'autres rites
marquent les passages cosmiques.
La grande découverte de Van Gennep, la grande
nouveauté qu'il introduit dans l'étude des rites de passage est
que ces derniers comportent toujours et partout trois stades successifs : de
séparation, de marge et d'agrégation, ou encore
pré-liminaire, liminaire et post-liminaire.
Si on considère donc, avec lui, que la vie individuelle
quel que soit le type de
société, consiste à passer successivement
d'un âge à un autre, d'une situation à une autre avec
toujours les trois étapes qu'il décrit ; alors l'examen du
baccalauréat peut être considéré comme une forme de
rite de passage pour deux principales raisons :
D'abord nous pensons que le baccalauréat est un examen
qui reste mythique, théâtralisé et plein de significations
parce que permettant d'accéder à l'ultime étape de la vie
scolaire, l'étape des études supérieures et la
réussite à cet examen représente l'agrégation
à un monde de statut élevé. Ensuite parce que les trois
étapes nécessaires à un rite de passage sont observables
dans le baccalauréat.
Nous développerons ces propos dans la troisième
partie de notre étude.
Néanmoins la question de l'existence même de
rites de passage dans les sociétés développées
reste pertinente. Les rites de passage ne sont-ils réservés
qu'aux sociétés traditionnelles? Font-ils encore aujourd'hui sens
dans la société française (puisque c'est d'elle qu'il
s'agit ici) ou bien cette société est - elle tout simplement
déritualisée ? Si tel était le cas, comment parler alors
du baccalauréat - ou d'une quelconque manifestation d'ailleurs - comme
d'un rite de passage ?
B. LA SOCIETE FRANCAISE EST ELLE DERITUALISEE ?
Nous n'inventons rien en soulignant que cette fin de
vingtième siècle voit l'écroulement de bien des mythes et
croyances collectives ( la dernière de ces grandes croyances pouvant
être le communisme). Cet effondrement des croyances collectives se
constate tant dans le domaine du religieux que dans celui du politique ou du
familial. Les fêtes comme les deuils collectifs à grande
échelle s'effacent au profit d'un repli sur l'intime. Notre vie moderne
semble obéir implacablement à une loi d'individualisation et de
privatisation. C'est de la vie privée qui prend le dessus sur la vie
publique dont il s'agit ici.
Nous semblons privilégier la sociabilité
primaire sur notre sociabilité secondaire.
Nous sommes plus sensibles à ce qui surgit ici et
là, même marginalement, dans les petites communautés ;
les faits presque ordinaires, les condensations qui ne durent pas, la «
joie par spasmes » et la « douleur par hoquets »
des groupes éphémères dont parlait déjà
Jules Romain dans un texte de 1911.
A ces considérations anthropo-sociologiques nous
ajoutons un constat purement sociologique. En effet, la logique marchande,
à son tour, offre à la société contemporaine sa
rationalité économique qui aujourd'hui paraît
inéluctable.
Le développement accru des sciences et des techniques
accompagné de la progression des savoirs et de l'explosion des
télécommunications viennent renforcer les croyances en
l'efficacité de la rationalité et l'utilitarisme. Un utilitarisme
pratique et surtout scientifique. On veut établir la relation de cause
à effet, et ce de manière scientifique.
Le médecin moderne a déchu le chaman de
Levi-Stauss car le citoyen consommateur accorde sa foi à
l'efficacité matérielle plutôt qu'à
l'efficacité symbolique. Pourtant ,nous le rappelons, la
ritualité est essentiellement affaire de symbolisme.
Le chaman n'est plus efficace, sa potion semble ne plus faire
d'effet et surtout trouve moins de demandeurs. Cela parce qu'aujourd'hui,
l'homme occidental arrive au monde dans une mise en scène scientifique
et rationnelle ou bien pour emprunter la métaphore de Pierre Legendre,
« il naît dans un théâtre chirurgical »
1(*).
En même temps cette modernité tant
prônée se révèle créatrice de
désordres, détruisant les liens sociaux qui se sont
historiquement constitués. Et la rationalité,
l'efficacité, l'utilitarisme masquent des phénomènes qui
parfois surgissent brutalement de façon irrationnelle et explosive.
Cette rationalité, qui donc a relégué le religieux dans le
domaine du privé, a du mal à contenir quelques spasmes
d'irrationalité. Sans insister sur cela, nous voulons pour exemple la
prolifération des sectes sataniques ou autres.
Nous sommes ici pleinement dans le domaine du
désenchantement du monde, cher à Max Weber.
Autrefois, Bergson a pu parler d'une frénésie
industrielle et technicienne où la société risque de se
clore sur ses oeuvres. Mais ses oeuvres ne tuent pas la société
d'inventer, de rêver mais surtout de croire. Et la grande
nouveauté aujourd'hui est que l'individu a quitté les certitudes
d'antan, les ordres hiérarchiques figés et la
représentation fixe pour des convictions moins figées, beaucoup
plus flexibles ( pour rester dans le thème de la modernité ).
En effet, des mythes apparaissent et disparaissent et de
nouveaux comportements et des conduites rituelles porteuses de significations
sont perceptibles dans la vie de tous les jours des français.
La société française s'est
peut-être détachée, dans une grande partie (qui est
essentiellement celle des jeunes), de toute divinité transcendante ;
elle refuse toute sorte de dépendance irrationnelle à un ou des
êtres supérieurs, mais ne s'est pas
départie pour autant de toute forme de
ritualité, surtout s'il s'agit de rites profanes.
Les rites profanes étant dépourvus de
signification religieuse et échappant aux dimensions du sacré.
Un rite profane peut aussi se définir comme
étant un rite qui travaille, selon Claude Rivière1(*), « sur les
relations sociales davantage que le rite religieux, lequel est plus rigide et
se fonde d'abord sur le rapport à des puissances
sacrées ». Dans le rite profane donc, le rapport au mythe
initial ( tel qu'il est développé par Durkheim et Mauss) peut
être remplacé par un rapport à des valeurs qui
énoncent un ordre social plutôt qu'un ordre religieux.
Mais le terme de rite profane ne doit pas être utiliser
inconsidérément et dans
un sens peu ou mal défini. Pour qu'il y ait rite nous
pensons, comme Rivière, qu'une mise en scène instituée
à signification symbolique, renvoyant à des valeurs, ayant
l'aspect de communication codée, respectant un ordre précis et
donnant lieu à des comportements répétés est
nécessaire. En est-il ainsi de la scolarité de l'enfant ? En
est-il, surtout, ainsi du passage du baccalauréat ? Nous le verrons un
peu plus loin.
Pour en revenir à la question de la
déritualisation de la société française, il faut
préciser que deux schémas s'opposent. En effet pour parler de
rite de passage dans une société moderne comme la France, deux
idées toutes aussi réductionniste l'une que l'autre s'offre
à nous : soit conforter l'idée selon laquelle, il y a une
déperdition des rituels en France ; soit au contraire en voir partout.
Nous essaierons, autant que faire se peut, d'éviter ces deux
écueils.
II faut d'abord rappeler qu'historiquement, autant que les
faits de parenté, les faits portant sur le rite ont été au
coeur des analyses des premiers anthropologues, qui cherchaient à
retrouver les formes primitives de la famille ou de la religion dans les mondes
lointains qu'on découvrait alors systématiquement dans la seconde
moitié du vingtième siècle.
En effet, parce pue la société moderne
occidentale a spécifié et trié en domaines
distincts et séparés, parce qu'elle a
dénoué l'intrication des faits sociaux, les rites étaient
conçus comme centraux pour ces sociétés dites
lointaines2(*). Ces rites
étaient centraux, dans la mesure où ils organisaient la vie
individuelle - par des cérémonies telles que la
cérémonie d'initiation - et la vie collective par une
assignation des formes de pouvoirs qui sont politiques, religieux etc.
C'est donc ce retrait du rite en tant qu'organisateur central
de la vie qui a amené certains auteurs à voir dans les
sociétés modernes un lieu où les rites profanes ont
fortement décliné.
I. Du déclin des rites.
Il faut souligner le fait qu'il semble plus aisé de
parler du déclin des rites de passage dans les sociétés
modernes occidentales que d'évoquer leur prolifération.
Pour des auteurs tels que Max Gluckman, les rites ( qu'ils
soient de passage ou autres) n'existent que dans les sociétés
primitives, il n'y en a pas dans les sociétés civilisées
contemporaines. Ce qui ressemble au rituel dans ces sociétés, il
l'appelle
« cérémonie » parce que les
« civilisés contemporains » ne croient pas à
l'efficacité magique du rite ni aux forces surnaturelles qu'il vise
à apaiser. Gluckman reste de ce fait fidèle à une vieille
tradition : la tradition de Taylor pour qui le rituel était à
opposer à la rationalité et devait de ce fait disparaître
dans la société civilisée, chassée par le
progrès de la raison.
Cela nous ramène toujours à une question
standard : Avec un processus de
sécularisation toujours plus rapide et un
désenchantement du monde qui semble avoir atteint un point culminant,
comment penser la ritualité qui est rejetée du coté du
magique alors que la modernité a résolument opté pour le
rationnel? Les rites semblent avoir épuisé leur sens dans la
société techno - scientifique.
Pour parler du déclin des rites de passage dans les
sociétés modernes, deux exemples classiques sont souvent
donnés par les auteurs : l'exemple du mariage et celui de l'école
et ses cérémonies. Deux exemples auxquels nous pouvons ajouter
celui du service militaire.
1. Le mariage
II y aurait aujourd'hui une désaffection pour le
mariage ou plus exactement pour tout le cérémonial qu'il
comprend. Quelle signification cela revêt-il? La cérémonie
est aujourd'hui voulue plus simple, moins religieuse. De telles manifestations
sont, en effet assimilées, selon Ségalen, aux mariages encore
arrangés de la génération précédente.
Aujourd'hui à l'apparence sociale on préfère la
vérité de l'amour tout en privilégiant l'individu sur le
collectif. Ainsi, « en ne se mariant pas, c'est à un
engagement public et social que l'on renonce volontairement »1(*)pense la sociologue.
Le mariage n'est donc plus le passage obligé avant la
vie de couple. « Le mariage des jeunes fait de moins en moins figure
d'établissement ; ce n'est plus une coupure, un rite de passage qui fait
accéder à l'âge adulte, surtout lorsqu'il y a eu
cohabitation prénuptiale »2(*).
Si nous approuvons Ségalen dans son analyse lorsqu'elle
soutient que le mariage perd de sa force par la presque disparition du
cérémonial qui l'accompagnait, nous ne la suivons plus
lorsqu'elle cesse d'y voir un rite de passage.
En effet, indéniablement, les cérémonies
religieuses sont moins marquantes si elles n'ont pas simplement disparu de
beaucoup de mariage. Cela semble s'inscrire assez logiquement dans le recul du
religieux et du transcendant en général. Mais ne
considérer le mariage que sous son angle religieux,
cérémoniel, c'est le réduire considérablement. Le
mariage a, en effet, la particularité de pouvoir être
célébré doublement : religieusement et civilement.
Donc il peut être considéré autant comme un rite religieux,
sacré qu'un rite profane ou toute signification divine a disparu. Le
déclin de la première célébration entraîne t-
il la chute de la seconde ? Rien n'est moins sûr.
Par ailleurs lorsqu'elle considère que le mariage des
jeunes n'est plus une coupure, un rite de passage surtout lorsqu'il y a eu
cohabitation, nous sommes en partie d'accord. En effet, pour ceux qui ne se
marient pas parce qu'ils veulent rester en concubinage, le mariage ne constitue
évidemment pas un passage obligé. Par contre, pour ceux qui
décident de « franchir le pas », de s'unir, le
passage est réel et symbolique. Même s'ils ont cohabité
auparavant, le fait de s'unir prouve que les époux ne renoncent pas
à l'engagement « public et social » dont parle la
sociologue. Il y' aura pour eux : un avant et un après le mariage.
Il y' aura un changement de statut.
Pour ne pas trop nous focaliser sur ce sujet qui n'est pas
celui qui nous mobilise en particulier, nous dirons qu'il y a
incontestablement, déclin des mariages ( le nombre de mariage allant en
décroissant) mais que l'acte du mariage reste toujours un rite de
passage pour ceux qui l'accomplissent. Nous pouvons y noter aisément les
trois étapes du rite de passage qui une fois franchies changent leur
statut.
Aujourd'hui les mariages se font moins nombreux. Cela signifie
que les rites liés au mariage décroissent, donc
déclinent ; mais d'autre part, l'efficacité symbolique de
cette forme d'union reste intacte pour ceux qui la choisissent.
2. L'école.
Le déclin de la ritualité se manifesterait aussi
au sein de l'école. S'il y a un lieu où la ritualité
semble avoir perdu beaucoup de terrain, c'est bien l'école. D'ailleurs
lorsque nous avons fait part, aux directions des établissements
cités plus haut, de notre projet de mémoire, nous avons
noté le plus souvent des réactions de surprise. C'est
essentiellement le personnel enseignant qui nous disait que la ritualité
avait beaucoup décliné sinon totalement au sein de
l'école.
Il est peut être utile de préciser ici la
procédure qui nous a permis d'interroger les élèves. Une
fois que nous avions trouvé l'accord du proviseur nous permettant de
mener notre enquête, il fallait trouver les emplois du temps des
différentes classes de terminale ou de première année de
BTS. Aussi nous intervenions au début du cours pour exposer
brièvement au professeur et aux élèves notre projet. A la
suite de cela, nous distribuons de petits formulaires qui servaient à
ceux qui voulaient bien nous aider dans notre recherche d'y mentionner leurs
coordonnées et leur numéro de téléphone. A la fin
du cours nous récupérions les formulaires. Ce qui nous permettait
de pouvoir les contacter plus tard pour trouver un horaire d'entretien.
C'est pendant ces séances de prise de contact que
certains professeurs nous ont fait part, assez brièvement, de leur
sentiment. Il faut souligner que les enseignants étaient assez peu
disponibles pour nous accorder des entretiens. Un professeur de philosophie au
lycée Jean Fresnel nous disait ainsi : « C'est sûr
que s'il y a encore un rite, à l'école, dans les lycées je
veux dire, c'est bien le baccalauréat. On est tous là pour
ça ». Nous reviendrons sur l'importance de ce « on
est tous là pour ça » dans notre chapitre
« Efficacité sociale et symbolique du
baccalauréat ». Pour le moment qu'en est - il des rites dans
l'école ?
Des auteurs comme Maisonneuve notent une tendance
considérable à la baisse voire même une disparition (du
moins en France) des cérémonies scolaires telles que les remises
de prix, les remises de diplômes, les symboles vestimentaires et
emblématiques, les cérémonies de promotion et des
solennités d'examens. Mais cela signifie - t- il pour autant que toute
forme de ritualité a disparu au sein de l'école française
? Rien n'est moins sur.
A partir de ces deux exemples (et de beaucoup d'autres, bien
entendu, une tendance pessimiste s'est dégagée chez certains
auteurs pour analyser le déclin des rites de passage aujourd'hui. Ainsi
le diagnostic est très cinglant et n'accepte d'être mis en doute :
« les rites de passage perdent de leur force symbolique et de leur
pouvoir de scansion » pour reprendre les termes de Olivier Galland
dans sa Sociologie de la jeunesse.
Deux Tentative d'explication de ce déclin sont
avancées.
- La première reprend l'idée de
G. Balandier 1(*) selon
laquelle les sociétés traditionnelles ont un fonctionnement
basé sur le principe de hiérarchie. Une hiérarchie des
genres : l'homme se trouve au-dessus de la femme, et une hiérarchie des
âges, l'enfant obéit à l'adolescent qui lui-même
obéit à l'adulte. Le droit d'aînesse et la
séniorité ont tous leur pouvoir dans ces sociétés.
La hiérarchie est établie et
respectée. Elle fait du père, parce qu'il a
engendré, le modèle de supériorité et de
l'autorité naturelle. Elle fait du contrôle des femmes
l'instrument privilégié des inégalités sociales.
Dans les sociétés modernes par contre, ce
principe de séniorité ne semble plus être de mise. Comme le
dit le dicton, la valeur n'y attend point le nombre des années. Et le
mâle adulte n'y est plus le référent, il n'y a plus le
prestige qu'il pouvait avoir autrefois. II semble lui-même être
plus animé par le désir de rester jeune et actif que par tout
autre statut que confère un âge avancé gage de respect et
de considération à priori.
Donc le déclin des rites qui marquent normalement le
passage de la jeunesse à l'âge adulte pourrait en partie
être lié à la perte de prestige du mâle adulte qui
est moins unanimement respecté qu'autrefois selon O. Galland.
Nous pouvons ajouter à cette explication, qu'on peut
qualifier de psychologique, une autre raison : celle de l'émergence et
l'imposition de l'individualisme comme valeur suprême. La
société moderne est une société où le
« Nous » ne prime plus sur le « Je ».
On y encourage l'initiative individuelle et le choix personnel. L'homme
occidental a une existence subjectivée ; il est reconnu en tant que
personne privée pouvant exprimer son individualité avant toute
appartenance collective. L'affirmation : « maman c'est ma vie, j'en
fais ce que je veux » est, pour nous africain, typique de l'homme
moderne occidental.
En plus de toute considération, il faut prendre en
compte - comme le suggère Ségalen pour expliquer l'effacement des
rites - le fait que le rite nécessite un espace et un temps distincts.
Or cette distinction est difficilement repérable dans la
société française car « s'est
opérée une disjonction des lieus où se font les passages
religieux, scolaire, professionnel, sportif ou civique, alors que ces champs
sont conjoints dans les sociétés qui ont servi de
référent à l'élaboration des théories sur le
rituel, qu'il s'agisse des rites religieux ou des rites de passage
»1(*).
- La seconde tentative d'explication du
déclin des rites de passage est liée encore une fois à la
scolarité. En effet l'école est perçue dans cette optique
comme un cadre d'uniformisation qui fixe pour tous ceux qui y évoluent,
plus ou moins , le même cheminement à suivre, les
différentes étapes de la vie. L'école serait aussi quelque
part responsable de l'allongement des modes d'accès à l'âge
adulte, les jeunes poursuivant des études de plus en plus longues.
Nous contestons ce reproche fait à l'école car
nous ne confondons pas accès à la vie active, professionnelle et
accès à l'âge adulte. Est-ce que le fait, par exemple,
qu'un étudiant en troisième cycle (âgé de 26 ans et
non salarié, ) soit toujours à
« l'école » fait de lui une personne n'ayant pas
accédé à l'âge adulte? Nous répondons
évidemment par la négative. Nous pensons qu'il n'est
effectivement pas dans le monde des actifs, au sens où l'entend l'INSEE,
mais qu'il n'en est pas moins adulte. A moins qu'on assimile, sans mesure, le
statut d'adulte à celui d'actif ou d'ancien actif. Nous verrons plus
loin que les élèves ont une idée très
différente de celle-ci lorsqu'il s'agit d'être adulte. Pour le
moment considérons le déclin d'un autre rite de passage
très particulier : le service militaire.
3. Le service militaire.
Au travers de nos recherches, le service militaire n'a pas
été mentionné dans la liste des rites déclinants.
Les auteurs sont peu expressifs à son sujet. Il faut dire que les
changements intervenus depuis la décision de Jacques Chirac de supprimer
le service militaire obligatoire sont trop récents pour pouvoir en tirer
toutes les conclusions sociologiques nécessaires.
Selon certains auteurs comme Chamboredon, l'allongement de la
jeunesse, l'indétermination plus marquée des frontières
pratiques qui l'encadrent et surtout la déconnexion des
différents seuils d'accès à la maturité font perdre
de leur efficacité à des rites de passage qui ne sanctionnent
plus qu'un accès partiel et peut-être provisoire à
l'âge adulte. Quid du service militaire? Il était sans
aucun doute un rite de passage.
La fin du service militaire obligatoire constitue un
véritable événement pour tous ceux qui
s'intéressent aux rites de passages.
En effet, autrefois le service était très
marqué et représentait, du moins dans les classes populaires, un
seuil important parce qu'il était suivi du départ de chez les
parents, d'une entrée au travail et souvent du mariage. Aujourd'hui, un
tel déroulement est tout à fait aléatoire et la fin du
service ne signifie plus l'accès à l'âge adulte. Mais aussi
et surtout, le fait majeur est que le service militaire ne concerne plus tous
les garçons ayant atteint la majorité.
Depuis une décision présidentielle (de Jacques
Chirac), ceux qui sont nés après le 1er janvier 1981
ne sont plus concernés par le service, dans son ancienne formule. les
appelés sous les drapeaux doivent désormais accomplir « la
journée citoyenne » en lieu et place du service qui durait dix
mois. Un autre fait nouveau est l'égale entrée des filles et des
garçons dans les différents corps de l'armée. La
génération intermédiaire, c'est-à-dire celle qui
est née avant cette date du 1er janvier 1981 constituera la
dernière à vivre le « véritable »
service militaire. Cela soulève d'ailleurs un certain nombre de
problèmes. En effet, des jeunes de cette génération se
sont constitués en collectif intitulé « Sans
Nous ». L'argument majeur que ces hommes opposent à leur
incorporation est qu'ils ont un travail bien rémunéré.
Quelques-uns uns occupant des postes de responsabilité qu'ils ne sont
pas sûrs de retrouver à la fin de leur service. Ils ne veulent pas
faire « leur » service militaire parce qu'ils jugent qu'en
s'y soumettant, ils risquent pour la plupart de changer radicalement leur vie.
Il y a bien un avant et un après le service dont ils sont conscients.
Donc en cela, il y a bien pour ces derniers, un rite de passage. Il y avait
pour les garçons une coupure radicale entre l'avant et l'après
service militaire ; il en sera de même, pour d'autres raisons
certes, pour les derniers appelés.
II. De la multiplication des rites.
A l'opposé de cette première position qui veut
voir, dans les sociétés modernes occidentales, un déclin
des rites de passage, existe une autre plus optimiste. En effet d'autres
auteurs voient dans la société française une floraison de
rituels même si les puristes risquent de crier au dévergondage
conceptuel.
Ce sont pour l'essentiel des rites profanes,
c'est-à-dire des rites qui n'ont pas à voir avec le sacré
ou le religieux. Nous l'avons déjà souligné. Marie Douglas
observe l'étroitesse qui existe dans la définition donnée
au terme de rite. Une définition qui finit par l'assimiler et
exclusivement au champs religieux. Ce constat l'amène à appeler
à un élargissement considérable de la notion de rite.
L'anthropologue pense en effet, que nous ne devons pas
chercher le rituel que du côté du religieux. Mais la recherche
doit être menée partout où il y a du sens. La question du
sens est primordiale. « Existe-t-il du sens sans rite » est la
question qu'elle se pose. Aristote définissait l'homme comme un animal
politique, M. Douglas est convaincue que l'homme est avant tout un
« animal social » ; « l'homme est animal rituel,
écrit elle, supprimez une forme de rite et il apparaît sous une
autre forme, avec d'autant plus de vigueur que l'interaction sociale est
intense. II n'y a pas d'amitié sans rite d'amitié. Les rites
sociaux créent une réalité qui, sans eux, ne seraient rien
(...) il n'y a pas de rapports sociaux sans actes
symboliques »1(*)
En fin de compte nous ne pouvons pas parler de déclin
des rites de passage et à fortiori de leur fin. Ce qui peut être
noté comme un déclin des rites ne signifierait pas en fait, leur
disparition à terme mais plutôt leur transformation. Ils
resurgissent sous
d'autres formes.
Rivière pense de son côté que par rapport
aux sociétés dites traditionnelles, dans les
sociétés modernes, il y a émiettement de la
majorité ; qu'elle soit sexuelle, sociale, scolaire, juridique,
professionnelle etc. En même temps il note une vitalité des
comportements compensatoires d'appartenance à des groupes, des bandes et
des sous cultures produisant des contre rites ou plutôt des rites
spécifiquement construits par des jeunes et pour des jeunes.
Par ailleurs d'autres auteurs observent des rites dans les
comportements de
certains groupes d'adultes. En fin de compte des rites sont
observables aussi bien chez les jeunes que chez les adultes.
1. Le concert de Rock
Chez les jeunes d'abord, des comportements qualifiés de
rituels ont été observés, par exemple, dans les concerts
de Rock'n Roll tout au long des années 1950-1970. J-M Séca note
une identification des fans à leurs idoles vestes en cuir noir,
chaînettes de vélos, la coupe en banane etc.
Les groupes de Rock ainsi que leur public sont essentiellement
masculins. II y a un langage ésotérique compris par les seuls
initiés, une complicité entre les rockeurs et
leurs fans qui traduisent une ritualité selon
Séca. II pense que c'est dans un projet rituel « et plus
largement par le détour de l'activité musicale que les
minorités rock radicalisent une anxiété qui semblerait
atteindre un plus grand nombre d'individus que l'on ne croit, dans les
sociétés fortement fragmentées comme les
nôtres » 2(*).
Comme tout rite alors, l'espace musical a sa fonction dans la
mesure où il « favorise la résolution des conflits
intérieurs, satisfait les désirs d'accomplissement personnel, de
construction, de création, et structure chaque individu en le
plaçant dans un projet de constitution d'une culture à
soi ». Donc comme nous le suggère Séca, le Rock n'est
pas réductible à un refus de se placer sur le terrain de
l'apprentissage car il faut se demander, selon lui si cette musique n'a pas
favorisé chez beaucoup de personnes l'apprentissage des normes et de
l'effort, ou encore, « si la constance du courant rock à travers
ses variétés : hard cord, funky, jazz rock, rock progression...,
n'indique pas un mode d'être juvénile, repérable dans
toutes les époques, même celle du jazz de Boris Vian, qui consiste
à fêter rituellement et parfois longuement le cap de
l'entrée dans la vie adulte. » 1(*). Cette efficacité du rock en fait-elle,
néanmoins un rite de passage? L'efficacité symbolique et
sociale est une condition nécessaire pour classer un fait un rite mais
elle n'est pas suffisante.
Nous avons aussi, l'exemple du Rap et du Tag qui appartiennent
tous les deux à la culture Hip Hop.
2. Le Hip Hop
Le Rap a une signification particulière pour le
rappeur. On y entre « comme en religion, par initiation aux
« mystères » (... ) il s'agit non seulement d'une
identité de style artistique, mais d'un genre structuré comme un
rite avec formulation orale poétique. La virtuosité
langagière obéit à des règles strictes de rythme et
de rime, de soutien sonore mixé, de frénésie argotique sur
une thématique de clameurs sociales, de jectance et parfois de militante
politique » « tout comme le preaching des
églises baptistes et pentecôtistes, qui est improvisation vocale
avec réponses cadencées, à visée poétique et
émotive, l'improvisation rap fait parti du rite et pousse à la
transe.
Le rite comporte un constat festif avec le public dans la rue
comme dans les salles
de spectacle. Chacun y a son rôle. Le MC, maître
de cérémonie, est le grand
organisateur des
déchaînements(...) »2(*).
Quant au Tag, il exprime la violence de
l'indéchiffrable pour le profane, mais pour l'initié, il entre
dans la héraldique identitaire d'une tribu qui marque ainsi son
territoire et le défend par des représailles contre ceux qui le
recouvriraient de productions adverses. Le chef se voit consacré lorsque
s'agrège autour de sa griffe une nuée de tags de fidèles.
Du rite le tag présente les caractères et signes,
d'ésotérisme des messages énoncés, de
régulation codée, de théâtralisation d'une
présence au monde, d'efficacité symbolique.
L'activité conjugatoire de type magique est
ritualisée quant au temps nocturne du bombage, quant aux espaces et
parois barbouillées, quant au message de revendication de territoire et
de place au soleil, quant aux codes, symboles, valeurs de groupes de taggueurs.
Par le geste qui fait trace, l'adolescent se donne une
existence sociale. En prenant langue, il s'émancipe, mais
intégré à un micro-groupe d'âge.
Cependant, ces rituels modernes ne sont pas
réservés aux jeunes. D'autres phénomènes ont
été observés, chez les adultes, par des ethnologues tels
que Christian Bromberger1(*). Ce dernier met en lumière des faits qui
peuvent être analysés comme des rituels dans le déroulement
d'un match de football.
3. Le match de football
Pour Bromberger, une certaine dimension rituelle est
présente dans le match de football. Par exemple « la
répartition du public dans l'enceinte du stade » revêt
une importance. Cela évoque pour lui, par bien des
aspects, « la distribution rigoureuse des différents
groupes sociaux lors des grandes cérémonies
religieuses » avec « la présence obligatoire et
ostentatoire des détenteurs du pouvoir politique dans la tribune
officielle »2(*). Autant le calendrier suivi pour les
compétitions, la préparation du match de football que le
comportement des supporters peuvent révéler une certaine
dimension rituelle.
Nous ajouterons qu'une des premières choses que nous
remarquons en pénétrant dans un stade de football à
quelques minutes du coup d'envoi c'est les supporters couverts des couleurs de
leur équipe favorite s'invectivant et s'identifiant pour les plus
passionnés à des groupes tels que les Warriors ou les
Yankees pour Marseille, les Bad Gones pour Lyon ou encore le
kop Boulogne pour le Paris Saint-Germain pour ne citer que
ceux-là.
II est intéressant de remarquer les revendications
d'antériorité des termes ou des slogans quant le match oppose
deux équipes assez proches de quelque façon que ce soit
(proximité géographique, homonymique etc.). Nous avons l'exemple
des supporters lyonnais brandissant une banderole sur laquelle est
inscrite « il n'y a qu'un seul Olympique : l'Olympique
lyonnais » à des marseillais qui debouts à la
tribune d'en face exhibent fièrement la leur sur
laquelle on peut lire : « le vrai
Olympique : l'Olympique de Marseille ».
Avant le coup d'envoi, il y a le rituel de la
présentation des deux équipes suivi du tirage au sort pour le
choix d'un camp. Immuablement dans tous les stades du monde pour tout match
officiel, l'arbitre lance la pièce en présence de ses assistants
et du capitaine de chaque équipe. Seulement alors le match peut
commencer et on y utilise un langage certes codifié mais guerrier et
vengeur qui a à voir avec le genre
féminin. On parle de « surface de
réparation » pour corriger une faute commise par un joueur
dans son camp, de « cage inviolée » ou encore
de « score nul et vierge » pour signifier qu'il n'y a pas
de but inscrit dans la partie.
Même s'il y a de plus en plus de licenciées (donc
des « footballeuses » dans les fédérations et
une augmentation constante de « supportrices » dans les
stades, le football reste pour beaucoup une activité d'hommes.
Conclusion
Nous pouvons dire, en résumé que la notion de
ritualité reste complexe du moins dans sa définition. En effet,
toutes les tentatives de définition se heurtent, quelque part, à
la plasticité de la notion. Comment satisfaire à l'exigence
méthodologique de la définition des notions, fondamentale
à toute entreprise sociologique, dans le cas présent? S'il est
délicat de trouver une définition qui sied à tout le
monde, cela est peut être dû, d'une part, à la nature de la
discipline sociologique en tant que geisteswissenschaften, d'autre
part, nous l'avons souligné, à la polysémie de la notion
de rite.
En définitive, aborder la notion de rite de passage
semble être plus aisé, dans la mesure où nous en avons une
définition formelle depuis Arnold Van Gennep. Les rites de passage sont
intrinsèques, selon le folkloriste, à la vie. Ainsi la vie
individuelle quel que soit le type de société, consiste à
passer successivement d'un âge à un autre, d'une situation
à une autre. Et les rites de passage qui ponctuent cette vie se
remarquent, à tout instant et à tout lieu, par la succession des
trois stades que sont la séparation, la marge et l'agrégation.
Par ailleurs, toutes les définitions (ou tentatives de
définition) des rites se confondent avec leur fonction.
Alors, explorer les rites de passage, revient à
analyser leur fonction et leur efficacité. Voir si la
société française est encore ritualisée, c'est
chercher à y trouver des rites et les rôles qu'ils peuvent y
tenir.
Certains auteurs soutiennent que les rites s'y font rare
à défaut d'y avoir disparu. Cela est d'autant plus
compréhensible, de ce point de vue, que les rites ne peuvent faire sens,
dans un occident au processus de sécularisation très
avancé. D'autres, s'inscrivent en porte à faux avec cette
analyse. L'argument avancé étant qu'il ne peut y avoir de
rapports sociaux sans actes symboliques, donc sans rites.
Où nous positionner pour justifier notre étude
du baccalauréat comme rite de passage? A priori (et seulement à
priori), le second courant semble être le plus adapté à
notre démarche. Cependant, les deux positions sont à la fois
défendables et contestables.
En effet, comment ne pas voir une problématique dans
l'existence de rites de passage dans une société
« aseptisée », débarrassée de beaucoup
de croyances et où l'efficacité pratique prime sur
l'efficacité symbolique? En même temps, peut-on soutenir que les
rites de passages prolifèrent dans la société moderne (en
l'occurrence la société française)? Nous pensons qu'une
telle position entraîne le dévergondage conceptuel du rite de
passage, c'est-à-dire en voir partout alors que les rites de passage
sont différents des rituels en général. Il sont aussi plus
exigeants que les cérémonies - même si elles ont des
relents de ritualité - telles que le hip hop ou le concert de rock.
Les rites de passage sont d'un autre ordre puisqu'ils ont pour
fonction essentielle de manipuler symboliquement le temps de toutes les
façons imaginables. Ils ont pour fonction « de le retarder, de
l'avancer, de le rendre plus rapide ou plus lent, de l'atomiser ou de le
synthétiser, d'anticiper pour mieux revenir en arrière, ou de
revenir en arrière pour mieux anticiper. et la manipulation symbolique
du temps donne ainsi l'illusion qu'on le maîtrise, qu'on ne le subit plus
dans l'impuissance ».1(*)
DEUXIEME PARTIE :
ETUDE DU BACCALAUREAT ET DE SES DIFFERENTES
REFORMES
PLAN
Introduction................................................................................................34
A. Du régime féodal à
napoléon.................................................................35
1. les origines du
baccalauréat..........................................................35
2. L'institution du
baccalauréat.........................................................37
3. La consolidation du baccalauréat
...................................................40
B. Le premier siècle du
baccalauréat : les
réformes.....................................42
1. La réforme de V.
Duruy..............................................................................42
2. Les réformes sous la 3ème
République...............................................................43
3. La réforme de
1890....................................................................................46
4. La réforme de
1902....................................................................................51
C. La première moitié du
20ème
siècle.........................................................57
D. La seconde moitié du 20ème
siècle
.........................................................60
1. La notion de « niveau
baccalauréat »...............................................62
2. Les projets de
réformes...............................................................64
- Le projet J.
Fontanet....................................................................................64
- Le projet J - P
Chevénement..........................................................................65
- Le projet R. Monory et A.
Devaquet.................................................................66
- Le projet L.
Jospin......................................................................................66
- Le projet J.
Lang........................................................................................67
- Le projet F.
Bayrou.....................................................................................68
Conclusion................................................................................................70
Introduction
Le baccalauréat constitue le second terme important
dans la définition des notions. Mais plus qu'une définition, il
s'agira surtout dans cette partie d'essayer de cerner l'examen et le
diplôme. Le baccalauréat étant tout à la fois la
sanction des études secondaires et le passeport pour l'entrée
dans l'enseignement supérieur, nous nous efforcerons de voir comment il
s'est constitué à travers le temps.
En effet, nous ne pouvons étudier cet examen
particulier, sans parcourir la distance qui nous sépare de sa
création. Comment le baccalauréat a t-il réussi à
être, toujours, l'objet d'une valorisation symbolique et sociale
extrêmement lourde ? Il est, aujourd'hui tout à la fois, la
reconnaissance de l'accès à la culture et la clef d'accès
à l'université, c'est-à-dire l'accès au lieu de
production et de reconnaissance de la culture ( pour utiliser un langage
bourdieusien). Le baccalauréat occupe une place particulière dans
le système éducatif français et les représentations
individuelles et collectives. Il semble, au sens normatif du terme,
présenter des caractéristiques propres qui le rendent
indiscutable. Il est le modèle de toute certification scolaire ou du
moins tend à l'être. Mais quelle est l'histoire du
baccalauréat ? Pourquoi l'histoire de l'enseignement secondaire se
confond t-elle avec la vie de l'examen ?
Dans cette seconde partie, nous nous servirons de
l'historiographie du baccalauréat pour éclairer le chemin
parcouru. Cette partie de notre étude nous en apprend autant, sinon
plus sur l'importance de l'examen que les entretiens réalisés
avec les élèves.
Nous verrons ici que le baccalauréat prend racine dans
le moyen âge et dans l'aristocratie ancienne pour s'instituer en France
après la révolution, par souci d'égalité.
Ensuite, la consolidation de l'examen s'est faite, d'une part,
grâce à la conviction que c'était le meilleur moyen pour
entrer dans la vie professionnelle, d'autre part à son statut de premier
grade universitaire.
Le premier siècle du baccalauréat nous
renseignera sur les différentes réformes qui ont
entraîné multiplications et réunifications des
diplômes ainsi que la polémique autour du rôle social de cet
examen.
Quant au vingtième siècle qui correspond au
bicentenaire du baccalauréat, il se divise en deux. Sa première
moitié évoque l'augmentation des séries et des
épreuves écrites (pour diverses raisons) ainsi que
l'harmonisation de l'enseignement et de l'examen. Nous y évoquerons
également la condition des filles et leur entrée massive dans
l'enseignement secondaire et les salles d'examen ainsi que les
conséquences du « boom » démographique
d'après guerre.
Enfin la seconde moitié du vingtième
siècle nous révélera surtout la frilosité des
différents réformateurs et l'intangibilité du
baccalauréat.
A. DU REGIME FEODAL A NAPOLEON
1. Les origines du baccalauréat
Aujourd'hui un bachelier c'est un étudiant
détenteur du diplôme intitulé le baccalauréat. Ce
titre lui permet, en droit, d'accéder aux études
supérieures. Alors qu'autrefois le bachelier ou baccalarius,
correspondait d'abord à celui qui tenait une baccalaria,
c'est-à-dire une sorte de métairie.
Sous le régime féodal, le bachelier indiquait en
période de guerre un servant qui aspirait à être chevalier
et tenait rang entre le chevalier et l'écuyer tandis qu'en temps de
paix, dans la vie civile, le bachelier était un apprenti, un homme pas
encore classé. Ce nom désignait aussi, par extension le
célibataire (bachelor en anglais), c'est-à-dire celui
qui n'avait ni famille ni maison et dont on ne faisait pas état.
Cependant si l'origine probable du mot est relativement facile
à établir, il en est tout autrement du diplôme - Le
baccalauréat - qui nous intéresse ici.
En effet, l'histoire du diplôme universitaire est bien
complexe et son évolution pédagogique s'est faite de façon
assez lente. Dans son développement, la procédure administrative
de l'examen à l'issue duquel, le candidat reconnu apte obtient le grade
de bachelier ( le premier dans la hiérarchie des grades universitaires
délivrés par l'Etat) est plus compliquée.
Soulignons d'emblée que le baccalauréat est
certainement l'un des examens sinon l'examen le plus critiqué en France
en même temps qu'il est souvent considéré comme le plus
symbolique. Très souvent critiqué, quelques fois enchéri
ou les deux à la fois, le baccalauréat reste néanmoins
sujet à de multiples polémiques et d'innombrables réformes
ministérielles. Nous allons voir cet aspect de l'examen par la suite.
Il est utile de rappeler à ce stade que peu de choses
ont été écrites sur le baccalauréat. Il est en
effet très difficile de trouver des travaux consacrés au sujet
depuis l'ouvrage de Piobetta1(*). Des études sur l'enseignement en France ou le
système éducatif français s'y sont
intéressées sans pour autant en faire leur centre
d'intérêt.2(*)
Maintenant l'examen du baccalauréat, proprement dit,
s'intitulait dans sa forme première : la déterminance.
L'origine de la déterminance remonte à
l'université de Paris où le chancelier de Notre Dame était
le seul à décerner le titre de maître c'est-à-dire
habilité à enseigner.
Les maîtres de la faculté des arts
s'opposèrent à ce monopole du chancelier et leur corporation
imposa une nouvelle règle : les candidats devaient désormais
se soumettre à une série d'examen dont le premier était
nommé déterminance (de determinare qui signifiait poser
des thèses).
L'épreuve devint rapidement obligatoire pour tous les
candidats à la licence. Ce diplôme menant à son tour
à la maîtrise ès arts.
Mais voyons d'abord brièvement comment et par quelle
organisation l'élève était-il amené à
disputer la déterminance.
Selon Decaunes1(*), avant la révolution française ce qui
devrait être nommé éducation secondaire était
dispensée dans les collèges des ordres religieux chez les
jésuites et les oratoriens en particulier.
Les cours étaient dispensés aux garçons
ayant préalablement appris à lire et à écrire et
qui maîtrisaient les fondamentaux de l'arithmétique et du
latin.
Pour les filles (nous reviendrons sur leur cas un peu plus
loin), une forme d'éducation secondaire était aussi
dispensée dans les couvents.
Donc lorsqu'on naissait garçon, on entrait dans les
collèges à dix ans et on en ressortait six à huit
années plus tard. Les matières principalement enseignées
dans ces collèges étant le latin et le grec même si
certains de ces ordres religieux enseignaient en plus les mathématiques
et l'histoire. L'instruction et les pratiques religieuses y tenaient
naturellement une part importante.
Quant à l'examen de déterminance, proprement
parlé, il prend origine dans le 13ème siècle
lorsque la Sorbonne accueillait des adolescents (âgés de quatorze
ans) qui sous la férue des maîtres (nous l'avons
déjà souligné) concouraient pour prouver leur aptitude
à suivre un enseignement supérieur. Mais ce n'est qu'à la
fin du 14ème siècle que la déterminance prit
le nom de baccalauréat. Le baccalauréat devint ainsi le premier
échelon des diplômes universitaires et elle ouvrait la porte qui
menait aux autres diplômes ; Licence et Maîtrise
notamment.
L'examen formalisé par un décret royal en 1598
était laissé à la libre organisation des
universités. Chaque université pouvant, à sa façon,
organiser son baccalauréat. Cette liberté accordée aux
universités dans l'organisation de leur baccalauréat eut cour
jusqu'à ce que Napoléon Bonaparte décide d'harmoniser tous
les baccalauréats, au début du 19ème
siècle.
A partir de cette date, le titre de bachelier ne devait plus
être décerné qu'à ceux qui se destinaient à
l'enseignement de la théologie ou de la médecine.
Les choses devaient par la suite évoluer grâce
notamment à la révolution française. Cette
révolution, a indéniablement modifié à jamais le
paysage politique français, ce qui est d'ailleurs son aspect le plus
spectaculaire ; mais elle a aussi changé la donne en matière
d'éducation scolaire, et c'est ce qui nous intéresse ici.
2. L'institution du baccalauréat
Après la révolution de 1789, la
république par souci d'égalité ramena l'éducation,
en générale, sous la responsabilité de l'autorité
publique.
Ainsi le décret du 17 novembre 1794 1(*) stipulait que l'école
primaire, au moins, devait être ouverte à tous les enfants
garçons comme filles âgés de six ans. Le pari étant
d'ériger une école pour chaque millier d'habitants.
Si la majorité des élèves au terme de
l'école primaire entraient dans la vie active ( dans
l'agriculture ou dans l'industrie en particulier ) les autres continuaient leur
cursus dans ce qui était appelé à l'époque
« l'école centrale ». Ecole centrale parce que
chacune de ces écoles regroupait les élèves issus de
plusieurs écoles alentours2(*). Ils y apprenaient jusqu'à l'âge de dix
sept ou dix huit ans, les mathématiques, la physique chimie, les
sciences naturelles, la grammaire etc.
Toutefois, le décret du 25 octobre 1795 3(*) apportera quelques
modifications substantielles au système éducatif. Des
écoles spéciales pour l'enseignement des arts
vétérinaires, de la mécanique, des sciences politiques, de
la peinture, d'économie rurale, d'antiquité furent ouvertes. Les
grandes écoles, pour leur part connurent leur véritable essor
avec le maintien et la spécialisation des écoles
d'ingénierie civile et politique, ou d'artillerie et service naval.
Ainsi, en 1798, quatre vingt dix sept (97) écoles
centrales remplacèrent les cinq cent soixante deux (562) collèges
qui dispensaient l'éducation secondaire avant la révolution
4(*). Cependant les
écoles centrales furent à leur tour long feu. Elles furent
supprimées parce qu'elles étaient jugées trop peu
efficaces et pas assez organisées. En effet, les parents
préféraient encore envoyer leurs enfants dans des écoles
privées car à leurs yeux les écoles centrales prenaient
beaucoup plus en compte l'âge comme facteur d'admission que le
mérite. En somme la sélection dans ces écoles
n'était pas assez sévère.
De ce fait, la loi du 1er mai 1802 5(*) supprimait les écoles
centrales pour les remplacer progressivement par les lycées
napoléoniens. Ce fut en quelque sorte un retour aux collèges
d'avant la révolution.
Cependant on ne peut pas dire que toutes ces réformes
de l'organisation du système scolaire, du moins de l'éducation
secondaire créèrent le baccalauréat tel que nous le
connaissons aujourd'hui ou même quelque chose d'analogique à cet
examen.
En effet, il n'y a rien dans la loi du 1er mai 1802
qui faisait mention d'un quelconque lien entre le lycée et
l'enseignement supérieur.
Cette absence de lien entre les deux niveaux peut s'expliquer
selon certains auteurs comme Piobetta par le fait que la tâche du
lycée était non de produire de futurs étudiants mais
simplement de futurs fonctionnaires et des soldats1(*). Le lycée ne
délivrait pas de diplômes garantissant l'accès à
l'enseignement supérieur.
Tous les élèves quittaient le lycée
à dix huit ans et l'Etat offrait alors, soit une bourse aux meilleurs
élèves pour qu'ils intègrent les écoles
spéciales soit un emploi dans le service public. Il y avait certes les
examens pour décrocher ces bourses ou ces emplois mais ceux qui
échouaient se voyaient néanmoins accordés un certificat
prouvant leurs capacités intellectuelles.
Cependant, malgré les efforts de l'Etat, les
lycées ne se multipliaient pas comme l'espéraient les dirigeants
politiques de l'époque. En 1806, par exemple, seulement vingt deux mille
(22.000) élèves étaient dénombrés dans trois
cent soixante dix (370) établissements secondaires publics contre vingt
sept mille (27.000) élèves dispersés dans trois cent
soixante dix sept (377) établissements privés2(*). La raison principale de cette
désaffection étant que la majorité des parents
d'élèves préféraient envoyer leur
progéniture dans les établissements privés où elle
recevait encore une éducation supposée de meilleure
qualité mais aussi et surtout une éducation religieuse.
Pour Napoléon, cette situation était bien
entendu insoutenable dans la mesure où elle ne favorisait pas
l'unité spirituelle nécessaire à une stabilité
politique. Elle ne correspondait pas à ses ambitions. L'idée de
retourner aux collèges pré-révolutionnaires revenait ainsi
à l'ordre du jour. Mais celle de créer une institution
fondée sur une cohésion, un esprit et des traditions
séculaires était encore beaucoup plus séduisante pour
l'empereur.
Les familles bourgeoises multipliaient les manifestations de
désaccord à ce projet. Ils clamaient la supériorité
des établissements privés catholiques sur les lycées de
l'Etat.
Ainsi la loi du 10 mai 1806 qui créa la fondation de
l'Université impériale fut un véritable tour de force de
Napoléon. En effet, par cette loi, l'empereur obligea la bourgeoisie
à lui confier ses enfants bon gré mal gré.
Cette loi stipulait :
- D'abord, il sera formé sous le nom
d'Université impériale, un corps chargé exclusivement de
l'enseignement et de l'éducation publics dans tout l'Empire.
- Ensuite, les membres du corps enseignant contracteront des
obligations civiles, spéciales et temporaires.
- Enfin, l'organisation du corps enseignant sera
présentée, en forme de loi, au corps législatif, à
la session de 1810.
Mais bien avant cette date, un autre décret
impérial, celui du 17 mars 1808 1(*), instituait l'université ainsi que le
diplôme qui sanctionnerait la fin du cycle secondaire.
C'est à partir de ce décret selon Willam
Gagen2(*) que s'est
développée l'organisation du baccalauréat tel qu'on
le connaît aujourd'hui, c'est-à-dire en tant que diplôme
mais aussi en tant qu'examen.
Le baccalauréat sera désormais le couronnement
et la sanction des études secondaires. L'examen portera, selon le
décret du 17 mars 1808 rapporté par Piobetta3(*), sur « tout ce qu'on
enseigne dans les hautes classes des lycées ».
Ce décret disait :
art16- les grades dans chaque faculté
seront au nombre de trois, savoir le baccalauréat, la licence et le
doctorat ;
art17- les grades seront conférés par
les facultés à la suite d'examens et d'actes publics ;
art19- pour être admis à subir l'examen
du baccalauréat dans les facultés des lettres, il faudra :
primo être âgé au moins de seize ans,
secondo répondre sur tout ce que l'on enseigne dans les hautes
classes des lycées ;
art22- on ne sera reçu bachelier dans la
faculté des sciences qu'après avoir obtenu le même grade
dans celle des lettres et qu'en répondant sur l'arithmétique, la
géométrie, la trigonométrie rectiligne, l'algèbre
et son application à la géométrie.
Aussi, tout le monde s'accorde aujourd'hui à attribuer
à Napoléon la paternité du baccalauréat même
si sa conception de l'éducation était bien loin de celle des
révolutionnaires. Ces derniers envisageaient, rappelons le,
l'éducation publique comme un devoir de l'Etat envers ses citoyens alors
que Napoléon y voyait un moyen de fidélisation des
français à l'empereur et à la monarchie
impériale4(*).
Néanmoins, c'est l'institution de l'université impériale
qui assit le modèle de l'éducation nationale française
pour le siècle et demi suivant.
Napoléon voulait que l'université
impériale, plus que les grandes écoles, soit un lieu de culture
et de recherches. L'élément fondamental de cette
université étant le lycée, il fallait donc le consolider
et rehausser le caractère du baccalauréat qui constituait la
passerelle entre université et lycée.
3. La consolidation du baccalauréat
Le décret du 17 mars 1808 et le statut organique du 16
février 1810 1(*)
n'avaient fait du baccalauréat que le premier grade universitaire. Mais
une circulaire interprétative du statut daté du 10 février
1810 laissait entrevoir l'intention de conférer au baccalauréat
des prérogatives encore plus étendues que celles de donner
simplement accès à la faculté de droit, à celle de
médecine ou aux fonctions d'enseignement.
Ainsi, le statut du 17 mars 1808 cité par Piobetta
2(*) met en avant, dans
son article 31, trois mesures :
« 1°, les emplois de maîtres
d'études et de pension ne pourront être occupés que par des
individus qui auront obtenu le grade de bachelier dans la faculté des
lettres ;
2°, il faudrait être bachelier dans les deux
facultés des lettres et des sciences pour devenir chef
d'institution ;
3°, Les principaux et régents des
collèges, les agrégés et professeurs des sixième et
cinquième, des quatrième et troisième classes des
lycées devront avoir le grade de bachelier dans les facultés des
lettres ou de sciences, suivant qu'ils enseigneront les langues ou les
mathématiques.»
Donc le baccalauréat était le grade
nécessaire pour toutes ces fonctions d'enseignement. Quant à
l'article 187 du décret du 15 novembre 1811, il demandait au Conseil de
l'Instruction publique de « préparer le projet indiquant les
professions auxquelles il conviendrait d'imposer l'obligation de prendre des
grades » 3(*).
Ainsi le baccalauréat devint la condition
première de toutes les carrières libérales et une
véritable institution, solide et capable de résister à
toutes les attaques et de survivre à toutes les réformes.
Toute une série de circulaires aboutit à celle
du 19 septembre 1820 qui déclarait : « le grade de
bachelier va ouvrir l'entrée à toutes les professions, et
devenir, par conséquent, pour la société, une garantie
essentielle de la capacité de ceux qu'elle admettra à la
servir » 4(*).
Entre 1820 et 1850 Piobetta dénombre, outre les
discussions des années 1832, 1837 et 1844 à la chambre des pairs
et à la chambre des députés, plus de soixante dix (70)
ordonnances, décrets, statuts, arrêtés, décisions,
circulaires, dont le baccalauréat était l'unique objet. Ces
textes étaient, pour la plupart, selon ce dernier, de pressantes
recommandations à la sévérité, des prescriptions
minutieuses sur les formalités à remplir par les candidats et par
les commissions d'examen, des précisions sur les programmes et la
durée des épreuves.
De tous ces documents officiels se dégageait
l'impression que le baccalauréat, en devenant la norme et la mesure des
études secondaires et la clef de toutes les positions, a cessé
d'être le diplôme uniquement recherché par un petit nombre
d'étudiants et obtenu sans beaucoup de peine à la sortie du
lycée. Tous ceux qui aspiraient aux fonctions de l'Etat ou aux
professions libérales voulaient obtenir ce diplôme qui seul
pouvait leur en ouvrir les portes.
Il faut souligner aussi que le monopôle complet de la
préparation de l'examen du baccalauréat par les
établissements publics était loin d'être effectif. En
effet, si le principe du monopôle était, dans les textes fermement
maintenus, dans la pratique il en été autrement.
B. LE PREMIER SIECLE DU BACCALAUREAT : LES
REFORMES
1. La réforme de Victor DURUY
L'objectif de V. Duruy, arrivé au Ministère de
l'Instruction Publique ( l'ancien nom du ministère de l'Education
Nationale) le 24 juin 1863, était selon ses propres termes
« de fortifier par un enseignement scientifique mieux
coordonné et plus solide de la culture intellectuelle des
élèves de la section des lettres ; fortifier et mûrir
par l'enseignement littéraire d'une première année
d'humanités, combiné avec celui des principes
mathématiques, la culture intellectuelle de la section des
sciences. »1(*).
Duruy admettait mal que les études secondaires, si
elles voulaient vraiment justifier le nom d'humanités qu'on leur donne
puisse être exclusivement littéraires ou exclusivement
scientifiques ( humanités parce qu'elles permettaient d'apprendre
à penser et à faire des hommes), cela même si la sanction
des études secondaires se traduisait ou bien par le baccalauréat
ès lettres ou bien par le baccalauréat ès sciences.
Le plan d'études de Victor Duruy avait donc pour
ambition de constituer « le cours normal des humanités avec plus de
sciences que par le passé, afin que l'esprit des élèves
fut fortifié par les méthodes scientifiques en même temps
qu'étendu par les disciplines littéraires »2(*).
Pour le ministre, le rôle du lycéen était
moins d'amasser des connaissances que d'apprendre à étudier, et
le diplôme qui sanctionnait ses études, au lieu d'attester un
« savoir hâtif qui ne résiste pas à quelques mois
de loisir » devait être la preuve d'aptitudes réelles
à raisonner, à écrire et à parler. Il devait
sanctionnait « des connaissances solides acquises grâce au
contact des grandes oeuvres de l'esprit humain et des méthodes de la
science ». Les études secondaires et l'examen qui les
concluait pouvaient enfin être organisés l'un en fonction de
l'autre.
Duruy apportera au baccalauréat une autre touche non
moins importante. En effet, Le 24 octobre 1863 3(*), il imposa à tous les candidats des
épreuves identiques et introduisit ainsi l'unification des examens du
baccalauréat.
C'est à cette date, selon Piobetta, que Duruy avertit
les recteurs qu'une fois au moins dans chacune des sessions du
baccalauréat, et pour chacune des compositions prescrites par les
règlements, soit pour le baccalauréat ès lettres, soit
pour le baccalauréat ès sciences, le ministère de
l'Instruction Publique adressera à toutes les Académies un
même sujet. Un sujet destiné à être traité,
le même jour et à la même heure, dans toutes les
facultés, par la série de candidats appelés ce jour-la
d'après leur rang d'inscription à prendre part à
l'épreuve.
2. Les réformes sous la troisième
république
La troisième république est établie le 4
septembre 1870 après la chute de Sedan dans la guerre contre les
Prussiens.
La défaite française dans cette guerre a
accentué la lutte entre l'Etat et l'Eglise sur les questions scolaires.
Pour les républicains la cause principale de la défaite
était à chercher dans le niveau insuffisant d'éducation de
la population en général et des soldats en particulier. Ainsi
jugeaient-ils que l'éducation devait être gratuite pour tous les
enfants. Pour les catholiques, par contre, la France a été
défaite parce qu'elle a tourné le dos au christianisme. De ce
fait considéraient-ils que l'éducation catholique était
plus que jamais nécessaire.
Le désastre de 1870, en montrant combien les classes
dirigeantes s'étaient révélées inférieures
à leur tâche, avait fait surgir des critiques très vives
contres l'enseignement qu `elles avaient reçu. Pour beaucoup de
français le véritable artisan de la victoire allemande
était l'instituteur prussien. « Le grand public, dit M. Weill,
indifférente à la pédagogie, ne songeait qu'aux
résultats visibles et tangibles. Il avait constaté que les
officiers allemands savaient le français, que les officiers
français ne savaient pas l'allemand : on devait apprendre les
langues vivantes. Ces formules simplistes obligeaient le gouvernement à
faire quelque chose... »1(*).
Ainsi l'occasion était trop belle pour les
détracteurs de l'enseignement étatique.
En effet, les catholiques militants, bien que les officiers
qui avaient perdu la bataille de Sedan n'eussent pas tous, loin de la,
été éduqués dans les lycées,
trouvèrent dans un tel état d'esprit un nouveau prétexte
pour reprendre leur vieille campagne contre l'enseignement de l'Etat. Leurs
critiques portèrent cependant leurs fruits, du moins dans la nouvelle
organisation du baccalauréat. Il fallait maintenant introduire dans
l'enseignement terminal ainsi que dans l'examen, les langues vivantes.
Les décrets des 9 avril et 25 juillet 1874
scindèrent ainsi le baccalauréat ès lettres en deux
séries d'épreuves : la première série ayant
lieu à la fin de la classe de rhétorique et la seconde une
année plus tard à la fin de la classe de philosophie.
Nous avons ainsi le schéma suivant :
1ère partie
Ecrit :
Composition de latin
Traduction de latin
Oral :
Grec,
Latin et français,
Rhétorique,
Histoire-géographie.
2ème partie
Ecrit :
Philosophie
Langue vivante (anglais ou allemand)
Oral :
Philosophie
Histoire de la philosophie
Mathématiques
Physique
Langues vivantes
Histoire et géographie
Cependant cette nouvelle organisation ne donnait aux sciences
qu'une place moindre. Elle mettait à mal les efforts de Duruy de
combiner littérature et science pour la culture de
l'élève.
C'est donc l'arrivée de Jules Ferry, le 4
février 1879 qui remit à l'ordre du jour les méthodes
pédagogiques préconisées par Duruy ou d'autres comme Jules
Simon 1(*).
Ferry eut à coeur, selon Piobetta, de «
créer entre les lettres et les sciences cet accord étroit que
Duruy avait essayé de leur donner, et d'instituer une
« éducation harmonique », c'est-à-dire
l'éducation portant sur l'universalité des connaissances et
reposant sur l'égale culture de toutes les
facultés. »
Avec son projet de réforme du plan d'études,
Ferry avait soumis à l'approbation du conseil supérieur de
l'Instruction publique un projet de décret relatif au
baccalauréat ès lettres. Il avait pour but de mettre l'examen
« en harmonie avec l'esprit de la réforme du plan
d'études et d'y introduire toutes les améliorations propres
à faire du baccalauréat une constatation d'études
équitable et sincère » 2(*).
Le principe du baccalauréat scindé,
établi par le décret du 9 avril 1874 et mis en pratique par celui
du 25 juillet 1874 étant admis, la commission se trouva d'accord avec le
projet du ministre pour reconnaître la nécessité de porter
à trois le nombre des épreuves écrites de la
première partie de l'examen. Mais cela n'était pas
l'essentiel.
Des modifications plus importantes furent apportées au
baccalauréat ès lettres en 1880.Mais ce qui caractérise
véritablement l'administration de Jules Ferry, c'est la création,
le 28 juillet 1882 d'un nouveau baccalauréat. Le baccalauréat de
l'enseignement secondaire spécial.
Victor Duruy en instituant l'enseignement secondaire
spécial avait spécifié que cet enseignement serait
sanctionné par la délivrance d'un diplôme de fin
d'études.
En fait, Duruy escomptait de cet examen un double
effet :
- premièrement engager les élèves et
leurs familles à conduire jusqu'à leur terme, des études
formant un ensemble bien déterminé ;
- deuxièmement amener promptement l'opinion publique
à attacher une sérieuse importance à un brevet qui, pour
certaines administrations publiques ou particulières, pour des chefs
d'usine ou de grandes fermes ou encore pour des patrons de maisons de commerce
offriraient plus de garanties d'aptitude immédiate que le grade de
bachelier.
L'administration de Jules Ferry créa aussi une
commission dirigée par Duruy. Et cette commission substitua au
système des « cercles concentriques » une
répartition nouvelle.
Le système des « cercles
concentriques » permettait aux élèves de quitter le
collège à la fin de telle ou telle classe, en emportant avec eux,
selon la durée de la scolarité, un bagage de connaissances plus
ou moins élémentaires, et ce de façon
encyclopédique.
La nouvelle organisation comprenait outre un cours
élémentaire exactement semblable à la division
correspondante de l'enseignement classique, un cours moyen et un cours
supérieur. Le cours moyen se formant de trois années tandis que
le supérieur se compose de deux années.
Ainsi la commission décida qu'il y avait lieu de
créer, comme sanction des études du cours supérieur, un
diplôme spécial. Le certificat étant pour les uns le seul
titre recherché, pour les autres la condition même de leur passage
dans le cours supérieur, devait être délivré,
conformément à l'article 4 de la loi du 21 juin 1865. Quant au
diplôme final, ambitionné par l'élite des
élèves, la commission proposa de lui donner le nom de
baccalauréat de l'enseignement secondaire
spécial.
Cependant cette résolution ne fut pas adoptée
sans débat.
Selon Piobetta, quelques membres de la commission voulaient
que ce titre soit réservé aux diplômes de l'enseignement
secondaire classique autant par égard pour une tradition
consacrée que pour récompenser par un privilège
légitime des études plus longues et plus difficiles. Ces
conservateurs, détracteurs du nouveau baccalauréat raisonnaient
en ces termes : « le baccalauréat constate au moins
la connaissance de l'antiquité latine dont nous sommes les
héritiers les plus directs, qui a marqué d'une empreinte si forte
notre langue et notre civilisation ; c'est là un
élément de supériorité intellectuelle ; et il
n'est que juste de la caractériser par un signe à
part ». Ils considéraient que prodiguer le diplôme de
bachelier, c'était le déprécier ; c'était en
même temps pour eux lui enlever, par une confusion regrettable, le sens
précis qu'on lui attribuait . (Nous reviendrons plus tard sur cet
aspect respectueux du baccalauréat).
Tous redoutaient en fait que l'enseignement classique ne fut
délaissé, si l'on ouvrait aux élèves un chemin plus
court et moins pénible qui les conduisait au même but. Il faut
dire qu'aujourd'hui encore, les mêmes questions surgissent concernant les
baccalauréats technologiques et professionnels. Si à la fin du
19ème siècle d'aucuns redoutaient que le
baccalauréat classique soit délaissé au profit du
baccalauréat secondaire spécial, comparativement, à
l'orée du troisième millénaire, le baccalauréat
général ne concerne plus que 53,6% de l'ensemble des bacheliers.
Les 46,4 restant se répartissent dans les baccalauréats
technologiques et professionnels.
3. La réforme de 1890
La société pour l'étude des questions
d'enseignement secondaire qui, en 1881, avait approuvé et soutenu le
projet de Jules ferry portant création d'un baccalauréat de
l'enseignement spécial, vit dans la promotion de ce baccalauréat
spécial, une menace pour l'enseignement classique et un danger pour les
baccalauréats ès lettres et ès sciences.
Piobetta nous rappelle que le nouvel enseignement avait les
ambitions et les ardeurs de la jeunesse en trouvant sa situation trop modeste
et son mérite méconnu. En effet, faute d'avoir eu dès son
institution, des prérogatives clairement définies et un rang
nettement marqué dans la hiérarchie des grades universitaires, le
brevet dont Victor Duruy lui avait octroyé la délivrance et
auquel Jules Ferry avait donné le nom de baccalauréat, fut
amené en voulant obtenir ce qu'on avait oublié de mettre dans son
berceau, à se poser en rival et en héritier présomptif du
baccalauréat de l'enseignement classique.
Dès lors la lutte entre partisans et adversaires de
l'enseignement gréco-latin qui, depuis la disparition des écoles
centrales, n'avait passionné que quelques esprits et ne s'était
traduite, jusqu'en 1865, que par des discussions théoriques et par des
timides tentatives de réforme comme celle de la création de cours
spéciaux dans les lycées et collèges, prit une ampleur
considérable.
C'est donc les conflits mettant aux prises ceux qui voulaient
un baccalauréat classique français égal en dignité
au baccalauréat gréco-latin et ceux qui prétendaient qu'on
pourrait à la fois faire vivre le gréco-latin, le classique
français et le diplôme crée par Duruy qui amenèrent
le réforme de 1890. Le décret du 8 avril 1890 substituait aux
baccalauréats ès lettres et ès sciences restreints, un
baccalauréat unique appelé baccalauréat de l'enseignement
secondaire classique.
Ce qui caractérise la réforme de 1890 c'est donc
le désir d'assurer, d'une part, à tous les élèves
de l'enseignement classique une même culture générale sans
nuire à la préparation des carrières spéciales
où ils pouvaient s'engager ensuite, de sauvegarder, d'autre part, les
intérêts légitimes des candidats en tenant compte de leur
travail dans les trois dernières années d'études. Et la
circulaire ministérielle datée du 1er juin 1891
proclamait : « désormais, il n'y aura plus qu'un
baccalauréat de l'enseignement secondaire classique. L'enseignement
secondaire classique est un ; le baccalauréat auquel il aboutit
doit l'être également. »1(*)
On avait ainsi un diplôme unique, mais avec deux
mentions : celle de lettres - philosophie et celle de lettres -
mathématiques.
Au sortir de la réforme de la réforme de 1890,
les deux baccalauréats désormais existants se
schématisaient comme suit 1(*) :
Baccalauréat de l'enseignement secondaire
spécial.
Ecrit :
Mathématiques
Physique et sciences naturelles
Composition française
Prose de langue vivante (Anglais ou Allemand)
Oral :
Explication de texte (auteurs français)
Littérature française
Education morale
Histoire et Géographie
Mathématiques, physique et chimie
Comptabilité, législation politique et
économique.
Baccalauréat de l'enseignement secondaire
classique.
Ce baccalauréat était composé de deux
parties réparties sur deux années consécutives.
1ère
partie :
Ecrit :
Traduction latine
Composition française
Oral :
Grec
Latin
Français
Anglais ou Allemand
Histoire et Géographie
Mathématiques
2ème
partie :
Lettres - philosophie
Ecrit :
Philosophie
Oral :
Philosophie
Histoire moderne
Physique, chimie, biologie
Lettres - mathématiques
Ecrit :
Mathématiques et physique
Oral :
Mathématiques
Chimie
Histoire moderne
Philosophie
En plus de cette distinction entre baccalauréat
spéciale et baccalauréat classique, l'article 6 du décret
du 8 août 1890 innovait. Il permettait aux candidats de produire, en se
faisant inscrire, un livret scolaire contenant toutes les indications
susceptibles de renseigner le jury sur leur valeur. Ces indications
étant essentiellement faites de notes et places obtenues dans les
différentes compositions en classe de troisième, en seconde, en
rhétorique, en philosophie, en mathématiques
élémentaires, de prix et accessits, de nominations au concours
général, de distinctions spéciales, d'appréciation
des professeurs etc.
Mais très vite, un projet de décret transformant
l'enseignement spécial en enseignement secondaire moderne et
créant un baccalauréat qui prenait le nom de baccalauréat
de l'enseignement secondaire fut soumis au conseil de l'enseignement
supérieur.
C'est la réforme du baccalauréat classique qui a
fait apparaître la nécessité de réorganiser
l'enseignement spécial.
Le 4 juin 1891 un décret décidait que
l'enseignement secondaire moderne et, le lendemain un autre décret
portant création et organisation du baccalauréat de
l'enseignement secondaire moderne étaient promulgués.
Comme pour le baccalauréat de l'enseignement secondaire
classique, les épreuves du nouveau baccalauréat se
répartissaient en deux parties, à un an d'intervalle. Et les
candidats avaient aussi la faculté de présenter leur livret
scolaire.
La réforme du baccalauréat classique
votée l'année d'avant, donne naissance en 1891 au
baccalauréat de l'enseignement moderne.
Le baccalauréat de l'enseignement moderne
1ère partie :
Ecrit :
Prose anglaise et traduction allemande ou prose allemande et
anglaise
Traduction d'espagnol ou d'italien.
Composition française.
Oral :
Français
Allemand
Anglais, italien ou espagnol (l'explication de texte
était suivie d'une conversation)
Histoire et Géographie
Mathématiques
Physique et Chimie.
Cette première partie de l'examen était
basée sur le programme de seconde de l'enseignement secondaire
moderne.
2ème partie :
Le candidat avait le choix entre les trois séries
suivantes :
Lettres - Philosophie
Ecrit :
Dissertation philosophique.
Oral :
Philosophie
Histoire moderne
Géographie
Littérature
Histoire naturelle.
Cet examen était basé sur le programme de la
classe de Première (lettres) de l'enseignement secondaire moderne.
Lettres - Sciences
Ecrit :
Mathématiques et physique.
Oral :
Mathématiques
Physique, chimie, histoire naturelle
Histoire moderne
Philosophie
Géographie.
Cet examen était basé sur le programme de la
classe de Première (sciences) de l'enseignement secondaire moderne.
Lettres - Mathématiques
Ecrit :
Mathématiques.
Oral :
Physique
Chimie
Histoire moderne
Philosophie.
Cet examen était basé sur le programme de la
classe de mathématiques élémentaires dans les classes.
4. La réforme de 1902
Cette nouvelle dichotomie entre le baccalauréat
classique et le baccalauréat moderne ne fit qu'accentuer la
polémique sur les deux enseignements.
A tous, cette réforme apparaissait comme insuffisante
et inutile, voire dangereuse : aux uns, parce qu'ils ne voyaient dans le
baccalauréat de l'enseignement moderne qu'une caricature du
baccalauréat classique, aux autres, parce que le programme trop
littéraire du nouveau baccalauréat leur semblait en diminuer la
valeur scientifique. Quant aux prérogatives qu'on avait
conférées au baccalauréat de l'enseignement secondaire
moderne, si elles avaient irrité les classiques, elles n'avaient pas
satisfait ceux qui voulaient lui ouvrir l'entrée de toutes les
carrières libérales. Ainsi les facultés de médecine
et de droit refusaient d'assimiler les deux diplômes. Elles ne
consentaient à admettre les élèves de l'enseignement
moderne qu'après dispense demandée et examinée pour chaque
cas.
Ainsi, l'enseignement moderne était reconnu capable de
mener ses élèves au baccalauréat de l'enseignement
secondaire, il était même avantagé puisque les
études y duraient une année de moins que dans l'enseignement
classique ; mais l'équivalence des diplômes était
contestée et les bacheliers modernes se trouvaient écartés
de l'enseignement supérieur dont le baccalauréat restait le
premier certificat.
Par définition, l'enseignement secondaire,
considéré comme l'enseignement des
généralités, devait former la transition entre les
éléments appris à l'école primaire et les
spécialités de l'enseignement supérieur. Malheureusement
les études classiques, socialement réservée à la
vieille bourgeoisie, ouvrant l'accès aux carrières
libérales et fonctions publiques de direction, n'avaient pas
répondu à l'attente d'une nouvelle bourgeoisie industrielle et
commerçante, ni à l'avènement d'une démocratie
utilitariste.
Par ailleurs, l'enseignement moderne, frappé de
discrédit, ne se développait pas à la mesure que la
nouvelle clientèle des études secondaires exigeait pour ses
besoins une culture moins littéraire et plus scientifique.
Une solution proposée pour le problème à
ce moment était d'organiser deux enseignements parallèles et
doués des mêmes prérogatives, l'une fondée
essentiellement sur les lettres anciennes mais avec une certaine culture
scientifique ; l'autre fondée essentiellement sur les sciences, mais
avec une certaine culture littéraire moderne.
Mais quoiqu'on ait dit sur l'éducation secondaire, ce
n'est rien en comparaison des critiques venant de toute part dont le
baccalauréat a été l'objet.
L'une des principales critiques est adressée à
la contradiction intrinsèque au baccalauréat, à sa
création en 1808.
Le décret du 17 mars stipulait d'une part que l'examen
traiterait de tout ce qui était enseigné dans les
dernières années du lycée, d'autre part que son
organisation revenait aux facultés.
C'est cette contradiction qui, pour Emile Combes, ministre de
l'Instruction publique, est à la base du malaise et le régime
scolaire n'a pas, depuis lors, cessé d'en souffrir. Le ministre Combes
dans son préambule de proposition de réforme du
baccalauréat en 1896 fustigeait l'examen en ces termes : « Non
seulement le baccalauréat est une gène et même une cause de
trouble pour les études, qui sont forcées de se plier à
ses origines, mais il donne prise aux critiques les mieux fondées, par
le caractère hasardeux, souvent injuste, on peut même dire
immoral, de ses résultats » 1(*). IL soulignait aussi l'inadéquation de
l'examen aux cours.
En fin de compte, le ministre ne blâmait, ni les
professeurs du supérieur ni ceux du secondaire, il condamnait le
système qui accordait au baccalauréat une trop grande importance
au détriment des études et de leur contenus.
En définitif, l'obtention du baccalauréat
était l'unique obsession autant pour les élèves et leurs
parents que pour les enseignants. Nous verrons plus loin que cette perception
du diplôme n'a pas beaucoup évolué. En effet, pour les
principaux concernés, les élèves de terminale, le
baccalauréat rythme en grande partie leur vie en cette année
charnière. Ils organisent toutes les autres activités annexes en
fonction de l'échéance.
Pour en revenir à Combes, il continuait à
critiquer le baccalauréat en considèrant qu'il y avait malentendu
« étant donné d'une part, que de l'organisation
même du baccalauréat résulte une divergence
inévitable entre l'enseignement, tel qu'il doit être selon
l'esprit et la lettre du plan d'études et la nature réelle de
l'épreuve, étant donnée d'autre part que, que le
baccalauréat, en raison de la valeur légale et de la valeur
d'opinion attachée, à son diplôme prime fatalement dans
l'esprit des élèves toute préoccupation, il s'en suit que
le baccalauréat, tout au moins dans les classes qui y préparent,
gouverne despotiquement les études et n'a d'action sur elles que pour
les jeter hors de leur voie et les altérer profondément dans leur
objet, leur méthode et leur esprit »2(*).
Des critiques encore plus profondes reprochaient au
baccalauréat d'être un moyen de démarcation sociale,
surtout le baccalauréat classique qui était
considéré comme le produit le plus honorable de l'enseignement
secondaire.
L'enseignement moderne était à la mode dans la
petite et très petite bourgeoisie tandis que l'enseignement classique
restait l'apanage de la moyenne et haute bourgeoisie. L'éducation
classique était le signe extérieur d'une certaine aristocratie
mondaine.
Ainsi ne manquait-on pas de souligner que la révolution
a eu lieu un siècle auparavant pour abolir les castes et les
privilèges ; or le baccalauréat a rétabli
l'équivalent en divisant la nation en deux classes : une qui a des
parchemins, l'autre qui n'en a pas, l'une qui a seule entrée dans les
carrières libérales, l'autre qui est rejetée et
confinée dans les anciennes professions roturières : commerce et
industrie.
Et la division se faisait vers l'âge de dix huit ans
avec un départ net et clair : on appartient ou on appartient pas
à la classe privilégiée et c'est le baccalauréat
qui décide.
Telles étaient donc les principales critiques dont le
baccalauréat était l'objet dans la dernière décade
du 19ème siècle. La plupart de ces critiques
étaient fondées selon W. Gagen et appelait à une abolition
du baccalauréat. Mais la pierre d'achoppement de toutes ces critiques
est qu'elles ne proposaient pas et de manière consensuelle une
alternative au baccalauréat.
En décembre 1898, une enquête parlementaire fut
menée pour reconsidérer non seulement le futur du
baccalauréat mais aussi les modifications à apporter au
système de l'éducation secondaire. Le rôle social
joué par le baccalauréat était in- contestablement admis
aussi bien chez les défenseurs du baccalauréat classique que chez
ceux qui voulaient promouvoir le baccalauréat moderne. Chaque camp
voulait influer sur la réforme de 1902 et l'opinion publique y avait un
rôle considérable à jouer.
Mais cette enquête nationale, apportera peu
d'informations nouvelles. La plus part des arguments avancés, pour ou
contre l'abolition du baccalauréat sont les mêmes que ceux des
années précédentes. Cependant ce qui ressortait de
l'enquête, c'est la reconnaissance unanime de l'égalité des
deux baccalauréats, au moins en droit.
Deux années s'écoulèrent avant que le
conseil supérieur de l'Instruction par le biais de Leygues, alors
ministre de l'instruction, en 1902, ne puisse déposer devant le
parlement son projet de réforme. Le projet était
accompagné d'une lettre adressée au président de la
commission, rendue publique. Leygues y rendait pleinement hommage, d'une part,
aux études classiques qu'il s'offrait à protéger contre
toute atteinte et à fortifier comme partie intégrante du
patrimoine national, à l'enseignement moderne, d'autre part, qu'il
considérait comme indispensable aux nouveaux besoins du pays.
Sur l'égalité des sections, Leygues affirmait :
« Entre deux cours d'études désormais égaux et
des épreuves équivalentes, dans lesquelles la connaissance du
grec et du latin sera remplacée par une connaissance approfondie des
sciences et des langues vivantes, je ne peux plus de raisons d'établir
une inégalité au point de vue des sanctions. Tous les
diplômes secondaires doivent conférer les mêmes droits. Il
est clair, d'ailleurs que certaines études resteront interdites à
certains bacheliers, en raison même de leur genre d'études
secondaires...Ceci admis, une nouvelle conséquence s'impose : tous
les diplômes de bacheliers étant équivalents et
conférant les mêmes prérogatives, il n' y a plus qu'un
baccalauréat unique, un seul diplôme portant, à titre de
renseignement, des mentions différentes suivant l'option du
candidat. »1(*)Cinq mois d'intenses débats furent
nécessaires avant l'institution de la nouvelle réforme le 31 mai
1902 2(*).
Le constat qui s'impose après cela est que le
baccalauréat a survécu, même s'il a du changer de forme
pour cela. Un certain équilibre a été atteint et cela
durera tout le long du premier quart du 20ème
siècle.
La réforme de 1902 est considérée comme
étant une étape importante du développement du
baccalauréat. William Gagen donne à ce propos quelques
statistiques1(*)
concernant le nombre de diplômes délivrés à
l'époque. Ce qui nous donne le tableau suivant :
En considérant bien entendu que la période
1853-1892 correspond à la période où le
baccalauréat ès sciences était complètement
indépendant du baccalauréat ès lettres. Et la
période 1892-1905 est caractérisée par l'existence du
baccalauréat de l'enseignement secondaire moderne parallèlement
au baccalauréat de l'enseignement secondaire classique. 1905
étant la première année du baccalauréat de
l'enseignement secondaire né de la réforme de 1902 2(*).
BACCALAUREAT
Année ès lettres ès
sciences Total
1852 3264 101 3365
1855 2055 2123 4178
1860 2505 1906 4411
1865 4797 1763 5860
1870 3975 1701 5676
1875 4333 2111 6444
1880 3907 2278 6185
1885 3901 2860 6761
1890 4076 2689 6765
1892 - 2127 212
Enseignement classique
Année Lettres-philo Lettres-maths
Total
1892 2560 473 3033
1895 4329 941 5270
1900 4447 1197 5694
1905 2072 485 2557
Enseignement moderne
Année Philosophie Sciences
Maths Total
1892 - - - -
1895 322 394 460 1176
1900 505 271 894 1670
1905* 530 106 563 1199
Enseignement secondaire
Philosophie Mathématiques Total
1905(*) 2387
1186 3573
Le nombre de bacheliers donné dans le tableau ci-dessus
entre dans la perspective du tableau ci-dessous qui nous montre le pourcentage
de la génération de jeunes en âge de passer l'examen (15 -
19 ans) qui réussissent.
Pourcentage de bacheliers par
génération1(*)
Année Candidats ès
lettres/philo ès sciences/maths Total
1851 629600 0,48 0,14 0,62
1856 613200 0,34 0,27 0,61
1861 649400 0,44 0,36 0,80
1866 646200 0,46 0,33 0,79
1871 609600 0,72 0,41 1,13
1876 633200 0,52 0,44 0,96
1881 648800 0,61 0,44 1,05
1886 642600 0,58 0,53 1,11
1891 668000 0,65 0,57 1,22
1896 670800 0,71 0,37 1,08
1901 653400 0,68 0,18 0,86
Ces statistiques montrent que dans la seconde moitié du
19ème siècle le nombre de candidats par
génération se stabilisait autour de 650000. Le pourcentage de
bacheliers par génération n'atteindra les 5% qu'au début
des années 1950. En 1980, il dépassera les 25%.
C. LA PREMIERE MOITIE DU 20ème SIECLE
La réforme de 1902 a dans l'étude de l'histoire
du baccalauréat, une grande importance dans la mesure où elle a
donné à l'examen l'ossature sur laquelle elle se fonde
aujourd'hui encore. Le baccalauréat, unique souci
d'égalité de standing pour tous les bacheliers, sans distinction
de disciplines était considéré comme un acquis
fondamental.
Ainsi malgré des critiques récurrentes le
baccalauréat unique fut maintenu en l'état.
En 1913, une commission parlementaire s'intéressait au
bien fondé des différentes séries du baccalauréat A
( latin, grec), B ( latin, langues vivantes), C (latin, sciences) et D (
sciences, langues vivantes) et au maintien ou non du baccalauréat
classique lorsqu'elle fut interrompue dans ses travaux par la première
guerre mondiale.
Ce n'est qu'en 1922 que le débat parlementaire reprit
ses droits 1(*).
Pendant la guerre, « les compagnons de
l'Université nouvelle », un groupe de jeunes enseignants
s'agitaient pour une totale réorganisation du système
éducatif. Ils proposaient un système qui offre plus de choix de
formation aux élèves. Ils voulaient qu'après un tronc
commun élémentaire, les élèves puissent s'orienter
selon leurs besoins et leurs capacités.
Ainsi en 1923, une nouvelle réforme établissait
trois nouvelles sections au lycée. Des séries contenant toutes,
le même programme en sciences dans les classes de seconde et de
première. Les principales matières pour chaque série
étaient :
A : français, latin, grec, mathématiques,
sciences.
A' : français, latin, une langue vivante,
mathématiques, sciences.
B : français, deux langues vivantes,
mathématiques, sciences.
Le but était d'éviter la spécialisation
précoce des élèves et de leur apporter une
éducation à la fois scientifique et littéraire avec nombre
de matières communes : français, mathématiques,
sciences, histoire et géographie.
Le 7 août 1927, Herriot, ministre de l'éducation
de l'époque présentait un projet de réforme visant
à harmoniser les programmes scolaires et l'examen du
baccalauréat. Le ministre proposait d'abord une augmentation du nombre
d'épreuves écrites. Ces épreuves constituant pour lui le
meilleur moyen de juger du niveau réel des élèves.
Ensuite, il réorganisait la première partie du
baccalauréat qui a eu lieu en fin de classe de première. Cette
première partie devait refléter l'équilibre existant entre
les trois sections qui correspondaient à trois types de
« culture générale » équivalents.
La seconde partie de l'examen ayant lieu à la fin de la
terminale, les épreuves écrites de philosophie, de physique et de
sciences naturelles étaient devenues obligatoires aussi bien au
baccalauréat philosophie qu'au baccalauréat
mathématiques.
Après cette réforme, il s'en suivit une longue
période de relative tranquillité jusqu'à la seconde guerre
mondiale.
Mais avant d'aller plus loin, il serait opportun de revenir
sur la situation des filles dans l'enseignement secondaire.
La première tentative pour fonder un enseignement
secondaire des jeunes filles fut entreprise par Victor Duruy et elle suscita la
farouche opposition de l'église catholique. L'initiative était
pourtant modeste. Duruy ne voulait nullement créer des
établissements spéciaux pour lesquels les crédits auraient
manqué. Il demandait seulement aux municipalités
« d'instituer dans des locaux dépendant d'elles des cours
publics payants auxquels, les mères pourraient conduire leurs filles, et
où des professeurs des lycées de garçons donneraient des
conférences plutôt que de vraies leçons »1(*). Mais l'église opposa,
par la voix de Mgr Dupanloup, le sexe des professeurs à celui des
élèves, et le caractère public des cours à la
vocation privée des femmes.
Pour Prost, l'hostilité de l'épiscopat
s'expliquait par la crainte d'une concurrence qui pourrait menacer les
institutions religieuses dans leur monopôle de fait. Et l'entreprise de
V. Duruy n'eut qu'un succès limité. Une quarantaine de cours
publics s'ouvrirent, on en comptera 101 avec 4206 élèves en 1881.
De plus, il fut impossible d'organiser un cycle régulier
d'études, sur trois ou quatre années comme l'avait pensé
Duruy. Cependant, l'enseignement secondaire féminin progressait.
Dans les cours privés prospères, le niveau des
études s'élevait. Faute de diplôme particulier sanctionnant
ces études, le brevet supérieur se voyait recherché par
des jeunes filles qui ne se destinaient nullement aux fonctions
d'institutrices. Mais très vite lycées et collèges de
jeunes filles s'organisèrent : on comptait 23 établissements
en 1883 et 138 en 1913 selon Antoine Prost.
Il rajoute que « l'enseignement féminin
ressemblait beaucoup à l'enseignement spécial, mais peu avant la
guerre de 1914, des cours facultatifs de latin, puis de grec, s'introduisent
clandestinement. Le diplôme terminal n'avait jamais été
très privé : au lieu du brevet supérieur, on commence
à songer au baccalauréat. »2(*)
Par la mutation de la condition féminine qu'elle
provoque, la guerre de 1914 accélère la transformation de
l'enseignement féminin.
De 1922 à 1924, dans six lycées de la
région parisienne, 583 élèves obtiennent la
première partie du baccalauréat, 232 le diplôme final.
Le décret du 25 mars 1924 assimile l'enseignement
féminin à l'enseignement masculin et les classes prennent les
mêmes dénominations. Les programmes et les horaires deviennent
identiques (arrêté du juillet 1925) tandis que la section de
préparation au diplôme constitue une voie marginale ;
bientôt même, elle s'aligne sur les autres, et la scolarité
s'y étend à sept années (décret du 15 mars 1928).
Quant aux agrégations féminines, elles sont
réformées en 1927. Ainsi apparaissent des agrégations de
philosophie et de sciences naturelles dont les concours sont communs aux
professeurs des deux sexes.
En 1930 enfin, le concours général s'ouvre aux
élèves des lycées de jeunes filles : rien
désormais, sauf quelques heures de couture, ne distingue plus
l'enseignement féminin de l'enseignement masculin 1(*).
Cette assimilation était maintenant inscrite dans les
moeurs. Pendant la guerre, les femmes avaient assumé des
responsabilités qu'on considérait jusque-là comme
typiquement masculines ; plusieurs exerçaient des professions
libérales, sans que leur ménage s'en trouvait pour autant
ruiné.
Dans les années 1930, d'autres réformes
intervinrent. Elles concernaient entre autre l'abolition des frais de
scolarité dans les secteurs secondaire et technique de l'enseignement
public et la scolarisation obligatoire jusqu'à quatorze ans en 1936
(loi du 9 août).
L'arrivée massive dans l'enseignement secondaire des
enfants nés après la première guerre mondiale obligea les
politologues à trouver une voie de sélection plus acceptable que
la sélection financière. En effet, les législations du
1er septembre 1933 et du 13 février 1934 instituèrent
l'examen d'entrée en sixième2(*).
Pendant la seconde guerre mondiale, le gouvernement de Vichy
fit quelques réformes mineures : ré-instauration des frais
de scolarisation, rétablissement de la suprématie de
l'enseignement classique sur l'enseignement moderne etc. A la
libération, la plupart de ces réformes furent abolies.
D. LA SECONDE MOITIE DU 20ème SIECLE.
L'histoire du baccalauréat et de l'enseignement,
en général, de la seconde moitié du
20ème est indiscutablement marquée par le
décret N° 59-57 du 6 janvier 1959 dont l'exposé des motifs
précise que « l'immense mouvement, à la fois
démographique, économique et humain, qui bouleverse actuellement
les perspectives traditionnelles de la vie nationale impose, entre autres
exigences, une réforme de l'enseignement » 1(*).
Commencée au début des années soixante,
cette réforme s'achève en 1966. Elle touche l'école
primaire, le premier cycle du second degré ( les actuels
collèges), le second cycle court de l'époque (les collèges
d'enseignement technique devenus lycées professionnels), le second cycle
long (les lycées) et le baccalauréat.
Ainsi cette réforme s'inscrit dans les
évolutions démographiques et économiques. Et comme pour la
première guerre (1914-11918), il est nécessaire de rappeler que
la fin des années soixante est marquée par l'arrivée
massive d'enfants nés après - guerre et en âge d'être
scolarisés au collège. Les effectifs scolaires connaissent alors
une explosion. Et il appartient au monde politique de la gérer. Le
décret de réforme du 12 septembre 1960 prend en compte cette
dimension lorsqu'il stipule : « le présent décret
a pour but d'adapter le régime du baccalauréat aux
impératifs de notre époque. Il faut tenir compte en effet de
l'accroissement considérable des candidats ( 40000 environ en 1939 et
200000 environ en 1960). » 2(*)
En 1960 malgré toutes les réformes dans beaucoup
de domaines (social et économique notamment) destinées à
répondre aux évolutions du tissu socio - économique, la
fonction du baccalauréat est restée inchangée : le
baccalauréat est la sanction de l'ensemble des études secondaires
en même temps qu'il est le premier grade universitaire. Il s'organise
toujours en deux parties : l'une à la fin de la classe de
première, l'autre à la fin de la classe de terminale. Mais le
décret fondateur des réformes est publié le 29 septembre
1962.
Ainsi la première partie du baccalauréat,
d'abord transformée en examen probatoire en 1963, est finalement
supprimée pour la session de juin 1965. Le baccalauréat devient
tout simplement l'examen terminal des lycées. C'est Christian Fouchet
ministre de l'éducation nationale de l'époque qui donne au
lycée et au baccalauréat cette structure générale
qui est toujours actuelle.
Le 29 octobre 1964, il déclare devant
l'assemblée nationale : « Dans un monde où toutes
les structures de l'éducation nationale ont éclaté,
où pendant des années les locaux ont été
submergés, les maîtres débordés, où les
matières enseignées doivent être profondément
remaniées, il faut conserver l'essentiel et ce qui y est bon dans
l'héritage du passé, choisir hardiment les voies de l'avenir. Car
si nous ne choisissons pas, le choix s'effectuera sans nous, je veux dire
contre l'intérêt suprême dont nous avons la charge,
l'intérêt de la France et des français. »1(*)
Aussi l'enseignement au lycée se diversifiera autant
que la population y était plus nombreuse et plus variée.
La classe de seconde est dans un premier temps divisée
en trois sections :
- la seconde A , littéraire,
- la seconde C, scientifique,
- la seconde T, technologique.
Et les cinq baccalauréats précédents sont
reconduits avec :
- Philosophie A,
- Sciences économiques et sociales B,
- Mathématiques et sciences physiques C,
- Mathématiques et techniques T (futur E).
Cette architecture du baccalauréat de l'enseignement
général durera jusqu'en 1995.
Les baccalauréats de techniciens devaient initialement
présenter une double particularité. Ils devaient permettre :
- Soit la poursuite des études, essentiellement en vue
du brevet de technicien supérieur ( BTS)
préparé au lycée, ou du diplôme universitaire de
technologie ( DUT) en institut universitaire de technologie (
IUT))
- Soit l'entrée directe dans la vie active au niveau
d'un technicien.
Cependant les flux de sortie montre que tous les bacheliers
généraux et 80% des bacheliers technologiques poursuivent des
études.
A la fin des années soixante dix, la classe de seconde
connaît presque autant de séries qu'il y a de
baccalauréats. Il existe alors vingt sept séries de
baccalauréat du second degré et de techniciens.
Et en fonction des langues anciennes et vivantes, ou des
options choisies, on ne dénombre pas moins de :
- Sept (7) classes de seconde A différentes conduisant
au baccalauréat philosophie lettres.
- Trois (3) classes de seconde AB conduisant au
baccalauréat économique et aux baccalauréats de
techniciens G1, G2, G3.
- Une classe de seconde scientifique C se diversifiant en
séries C et D en classe de première.
- Trois (3) classes de secondes technologiques T conduisant
au baccalauréat E et aux baccalauréats de
techniciens industriels F (au nombre de dix).
Il existe par ailleurs des classes de seconde
« spécifique » conduisant, par exemple, aux
baccalauréats de techniciens de l'hôtellerie, de la musique, de la
danse etc.
L'entrée en classe de seconde détermine ainsi le
parcours ultérieur de l'élève qui peut très
difficilement changer d'orientation sans redoubler en seconde. Cette
rigidité provoquera, comme le rappelle Solaux, le mouvement inverse
d'unification des parcours. Et on se trouve ici en face de deux conceptions
opposées des études secondaires.
Pour les uns, la diversité des élèves
doit s'accompagner de la diversité des structures pédagogiques.
Pour les autres, la diversité des structures s'accompagne d'une
hiérarchie qui renforce les différences entre les
élèves et il faut donc limiter la diversification des structures
pour promouvoir la souplesse et l'égalité des chances.
Ainsi les anciennes classes de seconde sont ramenées
à une seule structure à côté de laquelle figure une
formation professionnelle. Celle-ci acquiert ainsi réglementairement le
même statut que la classe de seconde, celui d'une voie d'orientation en
vue d'une poursuite d'études.
Pour ce qui concerne spécifiquement le
baccalauréat, les séries de baccalauréat sont
ramenées à sept (7), abstraction faite des options
spécialisées des baccalauréats technologiques ainsi que
des spécialités du baccalauréat professionnel.
1. La notion de niveau de « niveau
baccalauréat »
La diversification des filières entreprise au milieu
des années soixante semble avoir provoqué une modification du
sens du baccalauréat qu'attesterait le glissement progressif dans les
représentations de la notion de
« baccalauréat » vers celle de « niveau
baccalauréat ». Le mot
« baccalauréat » n'évoquait avant 1969 que le
baccalauréat général. A compter de cette date, il inclut
la dimension technicienne avec le baccalauréat de technicien et le
brevet de technicien.
En fait, le baccalauréat n'est plus seulement la
sanction d'un niveau de connaissances atteint, il devient un certificat
d'entrée dans la vie active avec la reconnaissance d'un niveau de
qualification. Ce dernier est situé par l'INSEE à partir de 1967
au niveau IV.
Le « niveau baccalauréat »
correspond donc au niveau IV sur l'échelle de signification des niveaux
de formation et de qualification.
Les autres niveaux en sont :
- Niveau VI : sorties du collège avant
l'année terminale.
- Niveau V : sorties du collège en année
terminale (classe de troisième) ou du lycée professionnel avant
l'année terminale.
- Niveau V bis : correspondant aux travailleurs
qualifiés : sorties du lycée professionnel à la fin
de la préparation du CAP ou du BEP, ou encore du lycée
général et technologique avant l'année terminale.
-Niveau IV : sorties au niveau d'un baccalauréat
acquis ou non.
- Niveau III : pour les techniciens
supérieurs : sorties avec un diplôme de l'enseignement
supérieur du premier cycle ( deux ans après le
baccalauréat)
- Niveau II : sorties avec un diplôme de
l'enseignement supérieur demandant au moins cinq ans d'études
(ingénieur, docteurs...)
En 1985, le baccalauréat professionnel vient enrichir
la diversification. Il a alors trois particularités :
- Une reconnaissance d'acquisition de connaissances ;
-Un sésame pour entrer à
l'Université ;
- Un moyen d'entrer dans la vie active.
Cette triple particularité serait liée à
l'événement de la notion de « niveau
baccalauréat » développée en 1985 par jean -
Pierre Chevènement.
La notion de « niveau » évoque pour
beaucoup, l'incertitude liée à la multiplicité des voies
et moyens qui permettent d'atteindre un diplôme devenu pluriel. Cette
notion de « niveau » constitue peut-être le moyen
d'unifier un diplôme devenu tellement divers dans ses
spécialités et ses débouchés qu'il n'est plus
possible de l'évoquer sans utiliser une terminologie qui mette du
semblable là où il n'y a que du dissemble.
La notion de « niveau
baccalauréat » signifie également «
élève parvenu en classe de terminale ». Cette dimension
trouve partiellement son origine dans les réponses apportées aux
critiques des détracteurs de l'accroissement de l'accès au
baccalauréat qui voyaient une baisse de niveau de l'examen et une
diminution concomitante de la valeur du diplôme.
Dès lors, l'ambition politique affichée est de
mener « 80% d'une classe d'âge au niveau du
baccalauréat » (formule de Jean-Pierre Chevènement
sous-entendant les baccalauréats général, technologique ou
professionnel ). Cela ne signifie plus 80% de bacheliers dans lesquels 75
à 80% d'entre eux obtiendraient le diplôme. Cette conception
ramènerait le taux d'accès au baccalauréat proprement dit
à 80% des 80% de la classe d'âge atteignant la terminale, soit 64%
de la génération.
Pourtant, face à cet objectif, la distance à
parcourir reste importante, puisque, en 1996, 68% d'une
génération atteint ce niveau, avec même un certain
tassement par rapport à l'année précédente.
2. Les projets de réforme
Si les lycées et le baccalauréat ont fait dans
la seconde moitié du 20ème l'objet de plusieurs
réformes, les projets de réformes qu'ils ont fait naître
sont encore plus conséquents. Depuis, Joseph Fontanet, les projets ont
été particulièrement discutés.
- Le projet Joseph Fontanet
En 1974, Joseph Fontanet initie un projet de réforme
général et global du système éducatif. Le projet
est approuvé par le conseil des ministres du 16 janvier 1974 qui
constate que « l'organisation actuelle du second cycle
caractérisée par de nombreuses séries de
baccalauréats, préparées par de nombreuses filières
distinctes dès l'entrée en seconde, a de graves
inconvénients : elle oblige les jeunes,
prématurément, à une spécialisation poussée
d'autant plus paradoxale que par la suite le premier cycle universitaire
revient à une certaine pluridisciplinarité » 1(*).
L'ambition de ce projet était multiple :
- Permettre une meilleure orientation des jeunes et les
responsabiliser dans ce projet ;
- Introduire une initiation technologique et économique
pour tous ;
- Engager une réduction massive du nombre des
séries du baccalauréat, limitées à cinq :
- A : philosophie, lettre ;
- B : sciences humaines, économiques et
sociales ;
- C : sciences mathématiques et
expérimentales ;
- D : Technologie industrielle ;
- E : technologie économique.
Mais le projet Fontanet connut son point d'achoppement
lorsqu'il voulut introduire une refonte de l'organisation du
baccalauréat et la mise en place d'un palier d'orientation entre la
classe terminale et l'université.
En effet le baccalauréat est et reste un grand tabou
intouchable et Fontanet s'y heurtera. Mais son projet préfigure les
réformes entreprises par Christian Beullac puis par Alain savary au
début des années 1980.
Au milieu des années 1980, les projets concernant les
lycées provoqueront d'importants mouvements sociaux.
Jean - Pierre Chevènement exprime l'objectif
d'atteindre 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat en
l'an 2000, et crée le baccalauréat professionnel,
présenté par les détracteurs comme un sous-produit indigne
de la qualité de bachelier.
- Le projet J-P Chevénement
Chevènement est nommé successeur de Alain Savary
« démissionné » par le président de la
République le 12 juillet 1984, après le mouvement de protestation
sans précédent qu'a provoqué le projet de modifier les
relations entre l'enseignement public et l'enseignement privé. Il se
donne pour objectif de rendre au climat scolaire la
sérénité voulue en se limitant à des
« mesures simples et pratiques ».
Au-delà des problèmes de l'enseignement
privé, Jean-Pierre Chevènement fonde sa politique sur un retour
aux contenus d'enseignement au détriment des
« méthodes » sur lesquels avait insisté son
prédécesseur : « la république et son
école ont l'obligation de garantir à tous les jeunes un
enseignement de qualité. Cela signifie d'abord, assurer le plutôt
possible l'acquisition des savoirs fondamentaux » 1(*).
Le recentrage sur les savoirs n'est pas sans
conséquence sur la conception du second cycle du second degré ou
sur la sanction des études.
Le brevet attribué en fin de troisième est
rétabli tandis qu'une réforme des lycées est
projetée sur la base d'une conception disciplinaire de la transmission
des savoirs. La classe de seconde connaissait un début d'unification
depuis 1980, une expérimentation de classe de seconde à
« options » est projetée pour la rentrée
1987.
Les champs disciplinaires déterminent donc à
nouveau la structure pédagogique des classes de première et
terminale dont le nombre de séries doit augmenter :
- A1 lettres humanités,
- A2 lettres communication,
- A3 lettres arts,
- B1 sciences humaines et sociales,
- B2 mathématiques économie,
- Les filières sciences composées de C1
physique, C2 biologie, C3 technologie.
Chevènement propose donc huit séries en classe
de première contre les six existantes en divisant les classes de
premières S et B en deux séries chacune.
Cette nouvelle organisation est publiée dans un
arrêté du 13 février 1986.
- Le projet R. Monory et A. Devaquet
Le 24 avril 1986, René Monory successeur de
Chevènement déclare nulle et non avenue la réforme
Chevènement. Il annonce aussi l'annulation de la loi dite
« Savary » de 1984 sur l'enseignement supérieur.
Le projet de Monory peut se résumer en ces
points :
- Réduction des horaires élèves.
- Organisation d'un enseignement composé d'un noyau
central autour duquel les régions pourraient organiser des enseignements
optionnels,
- Introduction d'une part de contrôle continu au
baccalauréat et liaison plus ferme entre les séries du
lycée et les spécialités de l'enseignement
supérieur ; l'orientation deviendrait ainsi moins
« fluide » entre le lycée et l'université.
- Augmentation très sensible des droits d'inscription
dans l'enseignement supérieur.
- Le projet de Lionel Jospin
Succédant à René Monory en 1988, Lionel
Jospin propose une réduction du nombre des séries afin d'en
réduire la hiérarchisation, et la domination des filières
scientifiques. Son projet veut rendre plus lisible le système
proposé aux élèves.
Il refuse de ce fait les propositions du Conseil National des
Programmes (CNP) sur l'introduction d'un enseignement totalement modulaire
calqué sur le modèle anglo-saxon. L'enseignement modulaire
signifiant la liberté laissée aux élèves de choisir
parmi un ensemble de modules.
Le ministre pense qu'une conception totalement modulaire de
l'enseignement entraînerait des inégalités entre les
établissements mais surtout entre les élèves.
« Nous savons bien - c'est une loi sociologique - que plus les
parcours sont libres, plus il est difficile, pour ceux qui ne sont pas des
familiers de l'institution, de faire des choix pertinents »1(*).
Parmi les mesures de Jospin, on peut souligner,
essentiellement le remplacement des anciennes séries A1, A2, A3, B, C, D
et E par seulement trois séries :
- (L) littéraire ;
- (ES) économique et sociale ;
- (S) scientifique.
Cette limitation du nombre de séries se traduit par une
identification plus nette de chaque série. La série S par exemple
se caractérisant par les mathématiques, la physique-chimie et la
biologie-géologie. Cependant le projet veille bien à ce que
soient enseignées, les matières complémentaires de
formation générale qui appartiennent à l'ensemble des
disciplines dites fondamentales mais non spécifiques de la série
considérée comme la philosophie, l'histoire-géographie et
les langues vivantes.
Ces disciplines sont présentées comme la part de
culture supplémentaire et complémentaire à la
spécialisation introduite par la série pour faire toujours du
baccalauréat un diplôme sanctionnant un niveau culturel
équilibré.
Jospin limite aussi singulièrement le nombre d'options
auxquelles les élèves peuvent prétendre : deux
options en L, une en ES et en S. Il va même plus loin, puisque aucune
option n'est obligatoire, et le candidat peut présenter au
baccalauréat « option zéro ».
L'idée est que les options en nombre limité
peuvent apporter des ouvertures intéressantes à des
élèves qu'elles ne surchargent pas. Sans option au
baccalauréat, leur note est validée avec le coefficient 1 ;
jusqu'alors, parmi les points obtenus en option facultative, n'étaient
retenus dans le décompte de l'examen que ceux qui étaient
supérieurs à 10.
Quant à la limitation du nombre de séries, elle
est combattue par le Syndicat National de l'Enseignement Secondaire (SNES), de
même que la répartition des matières en ensembles
dominants, complémentaires ou optionnels et la réduction du
nombre d'options accessibles par les élèves. La publication du
SNES, l'Université Syndicaliste (US), précise les positions du
syndicat dès les mois de mai et juillet 1991 : Le SNES accepte mal
la hiérarchie introduite entre les disciplines dites dominantes et les
autres, il refuse l'abandon des options obligatoires et la limitation des
options facultatives à une ou deux.
- Le projet Jack Lang
Lorsqu'il remplace Jospin au printemps 1992, Jack Lang se
montre sensible aux arguments développés par ceux qui voient dans
la « réforme Jospin » une limitation de la
liberté par la limitation des nombres des options. Son intervention se
manifeste de deux façons : l'augmentation du nombre d'options
offertes et la réintroduction de la liberté du nombre d'options
« arts » de quatre heures dans toutes les séries,
comprenant arts plastiques, cinéma, audiovisuel, musique et
théâtre.
Le ministre divise ensuite l'ensemble des options en deux
sous-ensembles dits de premier groupe et de second groupe.
L'élève peut choisir une option de premier
groupe et autant d'options du second qu'il le souhaite. Selon le principe
retenu par Jospin, les options de premier groupe sont destinées à
donner un profil à l'élève, comme
biologie-géologie, ou physique-chimie, ou mathématiques en
série S. Ces options de premier groupe, qui ne sont pas obligatoires,
sont coefficientées 2 ou plus au baccalauréat.
Les options de second groupe, également facultatives
sont coefficientées 1.
Le baccalauréat « option
zéro » est donc toujours possible et le tourisme
« optionnel » d'élèves qui s'inscrivent en
options et ne les suivant pas et /ou ne les présentant pas au
baccalauréat n'est plus possible dans la mesure où l'inscription
en option en début de classe terminale vaut inscription de l'option au
baccalauréat.
Les options étant coefficientées, les ministres
Jospin et Lang espèrent ainsi responsabiliser les élèves
dans leurs choix et augmenter l'efficacité économique et
pédagogique d'un système considéré comme
très coûteux.
- Le projet François Bayrou
Après avoir pris connaissance des conclusions du
rapport qu'il avait commandé à l'inspecteur général
Septours, françois Bayrou présente ses propositions de
modification de la RPL au Conseil Supérieur de l'Education (CSE) du
1er juillet 1993.
Du système prévu par Lionel Jospin et Jack Lang,
François Bayrou conserve la limitation du nombre de séries
à trois, il abandonne la répartition des disciplines en
« dominantes » et revient à la simple distinction
« enseignements optionnels facultatifs ». Le ministre
modifie le système des modules, qui est limité en classe de
première à une discipline et éliminé du dispositif
de la classe terminale. Il retient aussi l'idée de
« profiler » les séries, mais en rendant cette fois
obligatoire une option en classe de première, en introduisant un
enseignement dit « de spécialité » (cousin
germain de l'option obligatoire) en classe terminale et en multipliant les
choix possibles d'options facultatives.
Le module est en réalité un temps laissé
à l'initiative des professeurs pour aider les élèves
à construire leurs connaissances. Il ne s'agit pas d'un cours
complémentaire, mais d'une période d'aide méthodologique,
de consolidation des « technologies intellectuelles »
(Pierre Bourdieu).
Dans le cadre de l'enseignement modulaire, le professeur n'est
plus seulement le médiateur entre l'élève et la
connaissance, mais il devient un aide personnel, un conseiller, un guide.
Claude Allègre a multiplié les
réformes et projets pendant qu'il était en fonction. Cependant
aussi spectaculaires que furent ses projets de réformes, ils
épargnaient relativement le baccalauréat. L'idée
d'introduire une dose de contrôle continu à l'examen a
été emportée avec le ministre.
CARACTERISTIQUES ESSENTIELLELLES
DES DIFFERENTES REFORMES DU CYCLE TERMINAL
Réformes
|
Nombre de séries
|
Structure pédagogique
|
Modules
|
1980
|
6
|
Tronc commun
1 option obligatoire
options facultatives à souhait
limitées à 2 à l'examen
|
Pas de modules, mais possibilité d'assouplissements
horaires dans les disciplines fondamentales, peu utilisée dans la
pratique
|
Lionel
Jospin
|
3
|
Tronc commun
Options facultatives limitées à 1 sauf en L
où elles sont portées à 2 (coeff. 1 au bac)
|
Modules en classe de première et de terminale de 3
heures
|
Jack
Lang
|
3
|
Tronc commun
1 Option facultative de premier groupe (coeff.2 au bac)
Options facultatives de second groupe à souhait
(coeff.1 au bac)
|
Modules de 2 heures ½ en première et de 1 heure
½ en terminale
|
François
Bayrou
|
3
|
Tronc commun
1 enseignement de spécialité sur la discipline
dominante et obligatoire en terminale (équivalent de l'option
obligatoire)
Options facultatives à souhait ; point sup,
à la moyenne au bac
|
Première : module d'1 heure sur la discipline
dominante et 1 heure à la disposition du chef d'établissement,
Terminale : pas de module
|
Conclusion
Ces différentes réformes ou projets de
réforme des ministres des deux dernières décennies
montrent le perpétuel mouvement s'effectuant autour du
baccalauréat. Chaque ministre a essayé d'apporter sa touche
à l'édifice scolaire, de façon à modifier ou
à améliorer sensiblement l'examen sanctionnant la fin du cycle
secondaire. Certains d'entre eux y ayant joué leur carrière
politique.
Le baccalauréat, en tant qu'examen et en tant que
diplôme est aujourd'hui une véritable institution. Il puise son
assise et son organisation dans des temps immémoriaux. Pourtant, nous
l'avons souligné, de ses origines à aujourd'hui, le
baccalauréat n'a jamais été épargné par les
modifications par décrets, arrêtés et lois.
De la politique impériale qui l'a soutendu à sa
naissance aux dernières réformes et projets de réformes,
le baccalauréat est devenu un véritable objet
d'intérêt politique. Les gouvernements successifs se font le
devoir de s'y intéresser sous peine d'être taxés
d'immobilisme. Aussi, le baccalauréat apparaît comme un monument
en perpétuels travaux.
Si l'examen a soulevé de vives polémiques et
beaucoup de velléités de suppression, surtout à ses
débuts, aujourd'hui, il semble avoir trouvé un encrage
définitif. Il n y a plus de Napoléon Bonaparte ni de Victor
Duruy, encore moins de Jules Ferry pour veiller sur la pérennité
de l'examen. Cependant, il semble avoir trouvé une autonomie, une vie
propre lui permettant de résister à toutes les attaques.
D'ailleurs oserait -on encore polémiquer sur la noblesse du
baccalauréat ou sur le rôle social qu'il est sensé
joué en l'opposant à un idéal
révolutionnaire ? Aujourd'hui, le débat est ailleurs
puisqu'il s'agit essentiellement de savoir si cet examen n'occupe pas trop de
place par rapport à ce qu'il est devenu.
Le baccalauréat souffrirait d'un déficit de
crédibilité lié à une perte de prestige due
à une trop grande « démocratisation » du
diplôme. Cependant, l'histoire du baccalauréat nous montre que
c'est à travers une longue maturation qu'il a atteint toute la
signification que lui accorde la société française dans
son ensemble.
TROISIEME PARTIE :
LE BACCALAUREAT : UN RITE DE PASSAGE.
PLAN
Introduction...............................................................................................73
A. Les premiers rites de passage
scolaires.................................................74
1. La
maternelle...........................................................................................74
2. L'entrée à la « petite
école ».........................................................................75
B. Le baccalauréat : baromètre de
l'enseignement secondaire......................77
I. L'efficacité sociale et symbolique du
baccalauréat....................................80
I. L'efficacité sociale du
baccalauréat.................................................81
II. L'efficacité symbolique du
baccalauréat..........................................84
II. Trois raisons de passer le
baccalauréat..................................................88
II.1.1 Le baccalauréat pour continuer les études
et acquérir une culture générale...............88
II.1.2 Le baccalauréat pour bénéficier de
plus de liberté............................................91
II.1.3 Le baccalauréat pour trouver un
emploi.......................................................94
II.1.3.1 Le baccalauréat facteur d'ascension
sociale.......................................................................98
D. Les trois stades successifs du
rite.......................................................101
1. La séparation (la classe de terminale
)............................................................101
2. La marge (du passage des épreuves à la
publication des résultats)...........................104
3. L'agrégation (l'inscription dans un
établissement supérieur).................................105
conclusion
............................................................................................108
Introduction
Après avoir déparé les deux notions de
« rite de passage » et de
« baccalauréat » dans les deux premiers moments de
notre analyse, dans cette dernière partie nous rétablirons la
syntaxe « Le baccalauréat un rite de
passage ? ».
Cela signifie que nous établirons ici la
corrélation entre les deux termes car , l'objet de notre étude
est de voir en quoi le baccalauréat constitue un rite de passage. Nous
avons essayé de déterminer ce qu'est un rite de passage et la
charge symbolique qu'il porte, pour parcourir ensuite l'histoire du
baccalauréat afin de mieux le cerner, il s'agit donc ici de
« joindre les deux bouts».
Nous allons ainsi, pour mieux nous imprégner des
ritualités pouvant exister dans le système scolaire
français, pénétrer brièvement dans la maternelle et
la « petite école ».
Ensuite nous entrerons directement dans la
considération du baccalauréat pour constater qu'il est la mesure
et le de l'éducation en France, du moins de l'enseignement
secondaire. Mais cette position centrale et prépondérante du
baccalauréat se justifie, en grande partie, voire même
entièrement par la représentation qu'en ont les individus.
Comme tout rite de passage, le baccalauréat trouve son
essence dans sa signification auprès de ses acteurs. Cela nous
amènera à considérer d'une part, l'efficacité
sociale de l'examen et du diplôme (le baccalauréat a un rôle
social concret ), d'autre part, son efficacité symbolique.
L'examen, en plus de l'efficacité mécanique qu'il revêt,
se dessine en fait sur le fond d'un consensus qui le rend opérant. Il
est vécu par les élèves comme un véritable rite de
passage. Le baccalauréat permet de passer d'un monde à un autre,
du monde de la « contrainte » et de l'obéissance
à celui de la culture, de la liberté et en dernier lieu de
l'emploi.
Mais pour être décrit totalement comme un rite de
passage, le baccalauréat doit respecter les trois étapes
fondamentales et observables dans tout rite qui se veut de passage. Aussi nous
nous efforcerons en dernier lieu de noter les moments de séparation, de
marge et d'agrégation dans le passage du baccalauréat.
A. LES PREMIERS RITES DE PASSAGE SCOLAIRES
1. La maternelle
Pour beaucoup de sociologues, en passant de la petite enfance
à l'enfance, on accède simultanément, après la
phase de reconnaissance mutuelle, à celle de discrimination du bien et
du mal.
La notion de loi morale s'élabore dans la ritualisation
de l'approbation et de la réprobation des actions de l'enfant.
Apprentissage moral et apprentissage de la sociabilité sont
conjoints.
Pour les sociologues, l'enfant avant trois ans est incapable
d'attention prolongée et de jeu réellement organisé, saisi
qu'il est par l'emportement ludique, forme d'excitation
désordonnée.
Vers quatre ans les activités parallèles ou
solitaires de l'enfant commencent à être remplacées par des
activités associatives qui font intervenir le rite de reconnaissance des
échelles de dominance et de leadership.
Et comme le pense Claude Rivière1(*), on ne saurait assez souligner
ce que l'on sait portant banal : la propension des enfants au
ritualisme : ils aiment la régularité, les gestes
répétitifs et les habitudes de la vie quotidienne.
Les enfants n'aiment pas la fantaisie ; ce qui peut faire
déraper l'expression totale et complète d'un rite
amorcé.
Et dans le contexte européen (et plus
précisément français ) actuel, on ne saurait nier le
rôle du développement des jardins d'enfants et des écoles
maternelles qui sont comme l'écrit Rivière « des
sanctuaires de ritualité, dans le processus de socialisation de
l'enfant »2(*)
La maternelle est donc en quelque sorte, le premier lieu
d'intériorisation des normes et valeurs de la société
environnante. L'enfant y est soumis à un code établi,
structuré par des normes qui sont de véritables schèmes
(E. Kant) de perception et d'action et qui intériorisées peu
à peu, forment un « habitus primaire » pour parler
comme Bourdieu. Un habitus nécessaire à l'enfant pour la suite de
sa scolarité.
2. L'entrée à « la petite
école ».
Des chercheurs comme Piaget soulignent que ne s'instaurent pas
avant six ou sept ans des relations véritablement réciproques,
fondées sur des comportements socialisés.
A cet âge, les capacités mentales et
émotionnelles rendent possibles une discipline et un perfectionnement
des schèmes moteurs.
C'est pourquoi, pense Rivière, on envoie les enfants
à l'école où la ritualisation à caractère
d'exécution devient plus formelle tout en engageant la
coopération entre instituteurs, enfants et pairs de la classe.
En effet, avec le début de l'obligation de la
scolarité, s'opère un passage du niveau enfantin au premier
degré de l'enseignement, un passage aussi de l'oral à
l'écrit.
Autrefois, le passage de la culture orale à la culture
écrite relevait du domaine religieux et des clercs, en ce que
l'apprentissage de la lecture s'opérait par confrontation aux
« écritures ».
Nous avons vu que depuis la révolution
française, il ne reste rien de cette coloration religieuse initiale.
Par ailleurs, l'accès à l'école n'est pas
une nouveauté pour l'enfant, la plupart ayant fréquenté la
maternelle et appris quelques rudiments de lecture.
En fait ce que les sociologues analysent ici, comme une
procédure de différenciation sociale, les ethnologues le
saisissent comme un rite de passage.
Très souvent, pour ne pas dire toujours, on dira
à l'enfant : « tu n'es plus un bébé, tu es
entré à la grande école ».
Donc il s'agit bien d'un point de passage décisif entre
un avant : le monde des petits, et un après : le monde des
grands. On fait passer l'individu d'une situation à une autre tout aussi
déterminée. C'est en cela qu'il y a passage, car on introduit
l'idée selon laquelle on quitte un état pour accéder
à un autre, l'idée étant, pour parler comme Arnold Van
Gennep1(*), qu'on sort
d'un monde antérieur pour entrer dans un monde nouveau. Ici le monde
antérieur est le monde de la non scolarité ou le monde de
l'enfance.
Donc la lecture et l'écriture consacrent une
différence. L'enfant a une identité autre et un nouveau rapport
au monde issu de la maîtrise des mots et de l'écriture.
L'école devient un sanctuaire. En effet, franchir le seuil de
l'école et a fortiori de la classe, comporte une dimension
quasi irréversible, du moins jusqu'au prochain son de cloche. Durant un
temps précis, les enfants sont dépendants de cet espace
sanctuaire.
Françoise Pujol 2(*), étudiante en licence d'anthropologie sociale
écrit à ce propos « seules de petites excursions
courtes et individuelles à l'extérieur de la classe sont permises
et ceci comme des parenthèses ne devant jamais prendre le dessus sur la
soumission à l'espace-classe. De plus, les passages qui se font d'un
espace à un autre, ou d'un temps à autre, à
l'intérieur même de l'ensemble scolaire, sont marqués par
des rituels.
Ainsi le son de la cloche marque t-il le passage de l'espace
et du temps studieux à l'espèce et au temps de la
récréation et inversement. Ces distinctions entre divers temps
espaces scolaires sont d'ailleurs plus marquées au cours
préparatoire qu'à la maternelle.
A la maternelle, les règles sont souvent moins strictes
et l'entrée en classe par exemple se fait à l'appel des enfants
dans la cour, sans nécessité de constituer des rangs. En outre la
différence entre maternelle entre classe et cour est plus une
différence de degré que de nature : les activités que
l'on fait en classe correspondent souvent à ce qu'on appelle des
« jeux éducatifs ».
L'entrée en cours préparatoire, elle semble
correspondre à l'apprentissage de la distinction entre
« travail et jeu ».
Ainsi de l'école primaire va partir une
scolarité que C. Rivière considérera comme fortement
ritualisée car obligatoire, sélective et
théâtralisée. Le but étant à chaque nouvelle
année scolaire de passer dans la classe supérieure.
Donc tout le cursus scolaire sera ponctué par la
sélection par les examens, les tests, les travaux écrits, les
notes, les moyennes avec éventuellement un dispositif de repêchage
qui pour parler comme Rivière entrent comme éléments du
« rite de passage final que constitue la promotion en classe
supérieure ».
Cette sélection est cependant vécue
différemment une fois que l'élève doit passer le
baccalauréat qui est un examen beaucoup plus
théâtralisé.
B. LE BACCALAUREAT : BAROMETRE DE L'ENSEIGNEMENT
SECONDAIRE
Le baccalauréat est la mesure et le baromètre de
l'enseignement secondaire. En effet, sa valorisation s'exerce fortement au sein
du système éducatif par l'action modélisante des
épreuves de l'examen sur l'acte pédagogique.
Les coefficients attribués aux différentes
disciplines traduisent l'importance de chacune d'elles dans la
série. La nature de l'épreuve (par écrit ou par oral)
détermine la façon d'enseigner et les modalités
d'évaluation dans la classe.
Par exemple, lorsqu'en 1977 l'histoire-géographie est
passée du statut de discipline évaluée à l'oral
à celui de discipline évaluée à l'écrit du
baccalauréat, l'ensemble des enseignants de la discipline a dû
revoir sa manière d'enseigner et consacrer une part non
négligeable de l'horaire hebdomadaire aux techniques de rédaction
de la dissertation historique. Un autre exemple pleut être donné
avec l'évaluation du français au baccalauréat lorsque fut
introduite la synthèse de texte.
Aussi, les consignes données aux jurys jouent
aussi un effet récurrent sur les méthodes pédagogiques et
la valeur culturelle attachée à telle ou telle
compétence.
Le baccalauréat exerce ainsi un effet normatif sur les
pratiques quotidiennes de la classe, il constitue une espèce de guide
pédagogique pour les enseignants par l'intermédiaire des
instructions données aux jurys. Ces dernières présentent
en effet les éléments à partir desquels les correcteurs
doivent fonder leur notation, c'est-à- dire les points auxquels les
enseignants doivent nécessairement apporter une attention
particulière s'ils souhaitent que les élèves aient quelque
chance de réussite.
Nous emprunterons ici à Solaux les extraits suivants
qui traitant de l'orthographe et des épreuves orales, illustrent cette
proposition :
- Deux circulaires montrent l'aspect normatif, mais aussi
l'aspect relatif de l'impact de l'orthographe à l'examen et de l'effet
retour que cet impact exerce sur les pratiques pédagogiques.
La première circulaire date du 10 mars 1944 1(*) et présente
l'orthographe dans son aspect le plus normatif : « Pour montrer
par un exemple, sur le terrain même de la composition française,
le rudiment d'instruction qu'il faut à tout le moins exiger de tous les
candidats, j'indiquerai la connaissance de l'orthographe ; il est
impossible de ne pas considérer cette ignorance particulière
comme le signe révélateur d'une ignorance générale,
et le candidat qui avoue ainsi son infériorité doit être
noté en conséquence. »
La seconde circulaire, du 10 juin 1964, précise de
façon plus nuancée que « s'il est légitime de
tenir compte de l'orthographe et de la présentation des copies dans la
notation des épreuves écrites, il convient d'éviter des
écarts trop sensibles dans l'importance attribuée à ces
considérations par les divers examinateurs. A cet effet, vous voudrez
bien inviter chaque correcteur à limiter à deux points sur vingt,
au maximum, les pénalités qu'il serait amené à
infliger pour les motifs précédents ».
Entre 1944 et 1964 les points de vue changent, le premier
très contraignant incite les enseignants à se montrer
intransigeants en classe sur les lacunes orthographiques de leurs
élèves. Le second rappelle l'importance à accorder
à cette dimension de la connaissance en limitant l'impact des carences
éventuelles des élèves sur la performance. Les enseignants
sont donc invités à se montrer vigilants, mais beaucoup moins
intransigeants que pendant la période précédente. Les
instructions données aux jurys du baccalauréat sur l'orthographe
constituent une synthèse des valeurs autour desquelles l'enseignement
écrit doit être organisé au lycée.
- Les instructions concernant les interrogations orales au
baccalauréat peuvent de leur côté déterminer les
attitudes des enseignants lors d'interrogations orales en classe. La circulaire
du 23 mai 1966 est présentée comme une analyse
socio-psychologique de la situation d'entretien : « les
examinateurs tiendront compte du fait qu'un examen écrit (...). Par
l'aménité de son accueil, l'examinateur atténuera de son
mieux le heurt du premier contact qui peut inhiber le candidat pour toute son
épreuve et même le traumatiser pour les examens qui jalonneront
son avenir d'étudiant ; il saura déceler ces
premières minutes d'émoi où le candidat se tait alors
qu'il sait (...). Il gardera à l'esprit que le candidat est plus souvent
maladroit qu'il n'est sot ou ignorant. »
Une circulaire du 5 mai 1970 va dans le même sens :
« L'interrogation elle-même sera conduite avec le souci de bien
distinguer ce qui est ignorance ou sottise inexcusable de ce qui est
inhibition, étourderie, maladresse ; on se gardera aussi bien de
désarçonner le candidat par une intervention trop vive, ou
ironique, que de le laisser s'enferrer. »
L'enseignant, contrairement à la situation
décrite précédemment, n'est pas ici présenté
comme un censeur mais comme une personne capable de développer une
attitude compréhensive, comme un spécialiste des techniques
d'entretiens, de face-à-face. Alors que l'erreur est
présentée comme inadmissible et relevant de l'ignorance dans la
circulaire de 1944 traitant de l'orthographe, elle est présentée
ici comme pouvant relever de l'inhibition.
Les deux textes impliquent des comportements
pédagogiques radicalement différents. Le premier traite l'erreur
par la sanction, le second propose de la comprendre. Les instructions
données aux jurys sont régulièrement publiées et
constituent de véritables références en matière
d'instruction pédagogique.
La place du baccalauréat semble donc centrale dans le
dispositif de l'enseignement de second degré français, qui
à la fois présente les caractéristiques attendues de ce
que doit être un véritable examen et modélise les
comportements des enseignants.
Modifier l'organisation du baccalauréat, c'est en
réalité dire aux détenteurs de la culture dominante que
sont les enseignants que les principes autour desquels ils ont construit leur
identité culturelle doivent être revus. Vouloir réformer le
baccalauréat, c'est s'attacher à entreprendre la révision
de l'identité culturelle du corps enseignant et des détenteurs de
la culture. Les enjeux sont donc considérables et l'on peut s'attendre
à des résistances qui dépassent celles que nous avons
analysées jusqu'ici. C'est sans doute pour cette raison que les
ministres successifs ont tardé dans la mise en oeuvre de cette
réforme et complètement disjoint le calendrier de la
rénovation des structures pédagogiques du calendrier de
réflexion sur l'examen.
Le déroulement des opérations qui ont conduit
à la Rénovation Pédagogique des Lycées (R.P.L)
s'est effectué selon le calendrier suivant :
- La classe de seconde est définie par
arrêté en janvier 1992.
- Les textes déterminant la structure du cycle terminal
paraissent le 10 juillet 1992 et sont modifiés par François
Bayrou le 15 septembre 1993.
En ce qui concerne le baccalauréat, on peut noter
que :
- Lionel Jospin se limite à quelques pistes de
réflexion en avril et juin 1991, sans aller au-delà, et sans
faire paraître quelque texte que ce soit sur le sujet ;
- Jack Lang fait des propositions de répartition des
coefficients et quelques propositions de modification lors d'une
conférence de presse le 15 décembre 1992, et fait paraître
un texte en mars 1993 1(*),
- François Bayrou modifie le texte de Jack Lang,
arrête les coefficients au baccalauréat le 15 septembre 1993, et
la nature des épreuves le 17 mars 1994.
Ce ministre, arrivé rue de Grenelle alors que la R.P.L
est déjà bien engagée, n'a pu éviter que son nom
soit associé, qu'il l'ait voulu ou non, au baccalauréat 1995,
année où la rénovation pédagogique des
lycées atteint la classe terminale.
La disjonction observée entre le calendrier de
définition des structures pédagogiques et celui de la sanction
des études montre à quel point le sujet est socialement et
politiquement difficile à gérer. Le baccalauréat
lui-même est traité de façon parcellaire : d'abord les
coefficients, ensuite la nature des épreuves. Cette démarche au
coup par coup montre que le projet n'est pas conduit selon des objectifs
clairement annoncés dès le départ, mais plutôt selon
des approximations successives qui sont fondées sur les rapports de
force existant au sein du système éducatif.
Cette méthode est difficile à gérer pour
les enseignants qui doivent fonder en partie le contenu de leurs cours sur
l'organisation de l'examen. Sans définition préalable de
l'examen, ils éprouvent quelques difficultés pour définir
les exigences auxquelles seront soumis leurs élèves et
par-là même pour situer leur enseignement.
C. L'EFFICACITE SOCIALE ET SYMBOLIQUE DU
BACCALAUREAT
« Le baccalauréat, c'est la fin d'un cycle
d'étude. Tous les bacs, au-delà de ce bac, quel qu'il soit, c'est
autre chose. C'est dans l'autre chose que se situe la différence.
L'autre chose, ça peut être vers la vie active, même si elle
est au départ inactive, ça peut être une poursuite
d'étude. Mais le point de départ est le même, c'est une
sanction d'un cycle d'étude. Quand on a fini le bac, quand on a
passé le bac, on a terminé, pour faire vite,
l'adolescence. »1(*)
Le corps social a besoin de points de repère et
d'invariants pour marquer la continuité de son existence, le
baccalauréat fait partie de ceux-ci. L'élève de terminale
est plus ou moins proche de la majorité (dix huit ans) et se trouve
très souvent en situation d'entrée dans un monde autre, le monde
des adultes avec tout ce que cela comporte comme valeur juridique (la pleine
responsabilité de ses actes) et signification anthropo-sociologique (il
appartient au groupe des adultes).
Mais outre cette proximité de la majorité
civile, donc de la reconnaissance d'un statut nouveau qui est celui d'adulte,
c'est l'importance et la signification de la réussite au
baccalauréat en tant qu'étape nécessaire à
l'entrée dans un autre monde, celui « des
étudiants » pour reprendre le terme des lycéens, qui
importe ici. En d'autres termes, c'est de l'efficacité sociale et
symbolique du baccalauréat dont il s'agit ici. Les élèves
ont d'ailleurs très bien intégré cette dimension sociale
et symbolique. Gwenael (18 ans, élève de terminale S au
lycée Fresnel) parle de « barre de passage ».
« Quand on a pas le bac, nous dit-il, on a quasiment pas de place
dans la société et puis une fois qu'on a le bac, ça marche
déjà mieux.. On est un peu plus reconnu ; c'est vraiment la
première barre. On est plus reconnu que si on l'a pas ». Pauline
(17 ans, terminale ES) pense la même chose lorsqu'elle nous dit que
« le bac ça veut dire qu'on a franchi un pas, qu'on arrive
dans les études supérieures et puis... ».
Parce que le baccalauréat est tout à la fois la
reconnaissance de l'accès à la culture et la clef d'accès
à l'université, c'est-à-dire l'accès au lieu de
production et de reconnaissance de la culture, il occupe une place
particulière dans les représentations. Il doit, au sens normatif
du terme, présenter des caractéristiques propres qui le rendent
indiscutable, juste, et équitable. Il doit apparaître Antoine
Prost comme le modèle de toute certification scolaire. Du
même coup, toute tentative pour le remettre radicalement en cause
paraît d'avance vouée à l'échec. Même les
formules, pourtant modestes, d'adaptation ou de correction du
baccalauréat qui ont été proposées depuis un quart
de siècle n'ont pas pu grand chose contre la logique propre de
l'examen.
Un rapport de l'Inspection Générale de
l'Education Nationale (IGEN) sur les examens en Europe se conclut sur un
constat proche de celui effectuée par Antoine Prost :
« Rite de passage quasiment initiatique, le baccalauréat
devient un mythe, un thème médiatique entre tous, associé
souvent aux réflexions exaltés ou moroses sur la montée ou
la baisse de niveau (...) si bien qu'il est peut être, pour les
responsables de l'éducation, beaucoup plus difficile de faire accepter
une réforme de l'examen qu'une réforme de l'enseignement dont il
est le point final »1(*).
I. L'efficacité sociale du
baccalauréat
C'est une gageure de dire que la société
française accorde une immense importance sociale et culturelle au
baccalauréat en tant qu'examen et en tant que diplôme. Cette
représentation est très notable au sein des institutions
étatiques.
La cour des comptes, par exemple, considère
que chaque année et depuis quelques temps, les diagnostics les
plus sombres sont désormais formulés sur cet examen.
Ainsi, le diplôme délivré à un
nombre croissant de candidats aurait perdu de sa valeur passée ;
son caractère national dissimulerait mal une grande diversité de
situations, voire des inégalités profondes entre les candidats.
Bien plus, son avenir même serait douteux, moins parce que sa fonction
serait contestée que parce qu'il serait de plus en plus malaisé
d'en assurer le bon déroulement matériel.
Le thème du « baccalauréat n'aura pas
lieu » semble ainsi à la frange du constat objectif et de
l'hypothèse de « science-fiction administrative.» Le
baccalauréat suscite toujours d'énormes interrogations pour les
administrateurs. En somme, il jouit dans les représentations
administratives et des pouvoirs publics en général, dans celles
du public et des enseignants, d'un statut de « clef de voûte de
l'enseignement français ».
Le baccalauréat est le diplôme sans lequel
l'avenir professionnel et social de chacun semble incertain, voir compromis. En
tout cas, les élèves que nous avons interrogés en sont
convaincus. « Le baccalauréat va me permettre de faire mes
études et de pouvoir travailler après » dit Delphine (
19 ans, de terminale S). Tous les autres interviewés abondent dans son
sens. Ainsi Stéphanie, (18 ans, terminale S) considère que
« c'est un examen qui compte beaucoup pour les parents et qui permet
de poursuivre des études supérieures. Sans le bac pas de
débouché ». Nous reviendrons plus bas sur cette
représentation du baccalauréat chez les élèves qui
nous ont accordé un entretien.
Pour en revenir donc, à la notion de « clef
de voûte de l'enseignement français », il est bien connu
que la clef de voûte soutient l'édifice et que la supprimer
revient à décider de sa démolition.
Le baccalauréat représente ainsi le gage de
l'existence de l'éducation et de son sérieux. Il est à la
fois la preuve tangible du bon fonctionnement du système et le socle
à partir duquel les jeunes construiront leur avenir et celui du pays.
Les dirigeants politiques se plaisent de le rappeler assez souvent.
C'est par exemple en ces termes que s'exprimait Jean-Pierre
Chevènement le 8 octobre 1985 devant l'assemblée nationale, lors
de la présentation de la loi sur l'enseignement général et
technologique qui créait le baccalauréat professionnel :
« C'est à tous les jeunes qu'il faut donner les moyens
d'être des acteurs inventifs de la construction du monde industriel et du
monde économique (...). Les pays téchnologiquement plus
performants que le nôtre ont tous des systèmes éducatifs
qui offrent à leur jeunesse une grande possibilité d'arriver
à un niveau supérieur de formation. Le Japon, les Etats-Unis,
l'Allemagne ont pratiquement déjà réalisé la
scolarisation à dix huit ans et conduisent près de 80% d'une
classe d'âge au niveau du baccalauréat (...). Avoir plus de
bacheliers, c'est la seule façon en effet d'avoir plus de chercheurs,
d'ingénieurs, de techniciens, d'ouvriers qualifiés». Le
baccalauréat est donc vecteur de développement et indicateur du
niveau de développement d'un pays, si on traduit les propos du
ministre.
Aussi condition des progrès collectifs et individuels,
le baccalauréat justifie qu'on lui donne une telle importance dans la
vie de l'école et de la nation tout entière. Et les
médias, prompts à traiter en priorité les problèmes
les plus visibles de l'école, ceux qui interpellent le plus l'opinion,
traduisent bien cette efficacité (sociale).
En effet, un des meilleurs outils pour mesurer cette
efficacité est la presse. Elle se saisit de toute annonce de
réforme des modalités d'examen qui ne fait pas
l'unanimité. Ainsi lorsque Jack Lang proposa en décembre 1992
l'introduction du contrôle en cours de formation et la possibilité
de conserver le bénéfice des notes supérieures à la
moyenne pendant cinq ans. Le Quotidien de Paris du 16 décembre
titre : « le bac à cinq temps, nouveau tube de Jack
Lang », La Tribune : « Un baccalauréat
capitalisable en cinq ans » et Libération :
« Le baccalauréat rénové en douceur pour
1995».
La tonalité générale des articles est
plutôt informative, la liste des propositions est rapportée et les
commentaires à chaud sont relativement prudents.
IL faut attendre le lendemain, 17 décembre pour voir
les oppositions syndicales et politiques se déchaîner
littéralement contre les deux innovations introduites dans les
modalités de passation. Tandis que les propositions relatives aux
coefficients sont oubliées, Le Quotidien de Paris titre :
« Des couacs dans le bac à cinq temps », il annonce
des propositions ministérielles que viennent abondamment commenter des
personnages porteurs de discours opposés. La Société des
agrégés dénonce « la mise en oeuvre rampante
d'une sorte de pseudo-baccalauréat».
Du coté de l'opposition politique, certains
porte-parole protestent. Ainsi, Armel Pécheul, secrétaire
national du RPR, dénonce « la grande braderie avant la
fermeture». En fait, il est reproché à Jack Lang une
introduction massive du contrôle en cours de formation dans des
épreuves où il ne s'impose pas. Ses détracteurs jugent sa
réforme condamnable et allant à l'encontre du
baccalauréat.
Cette même annonce du ministre inspire au
Figaro le titre : « Haro sur le bac en cinq ans... la
réforme de l'examen présentée par Jack Lang suscite une
série de réactions négatives» ; Le
Monde parle de « réactions divergentes à la
rénovation du baccalauréat ».
Cet ensemble de réactions montre la mobilisation
affective que suscite toute référence au diplôme. Mais les
réactions sont généralement organisées autour de la
défense d'un examen académique et anonyme, ces deux qualificatifs
étant censés garantir la valeur du diplôme. Mais ce qui
apparaît le plus clairement, ce sont les oppositions irréductibles
qui séparent les défenseurs de l'existant des partisans de la
rénovation.
Le baccalauréat met, ici, les divisions du corps social
au jour, et attise des réactions violentes. Cette violence verbale
manifeste que le baccalauréat cristallise l'ensemble des oppositions
relatives aux conceptions de l'éducation.
Tout se passe comme s'il s'agissait réellement d'une
clef de voûte : certains voudraient la maintenir à tout prix,
afin de conserver en l'état la totalité de l'édifice
qu'elle soutient, d'autres tenteraient de la supprimer en vue de modifier et de
faire évoluer l'architecture de l'ensemble. Le baccalauréat
représente dans ces conditions un symbole voué à
l'immobilisme. Mais cela n'est-il pas justement une caractéristique de
son efficacité sociale ? On peut le concevoir dans la mesure
où comme le précisait Antoine Prost dans son rapport de 1983 sur
les lycées, « toute tentative pour le remettre radicalement en
cause paraît vouée à l'échec ».
En dehors des périodes de réformes, le
baccalauréat fait également la « une » en fin
d'année scolaire, lorsque les élèves de terminale
deviennent au moins de juin des « candidats ». Tous les
ans, en effet, au début du moins de juin, la passation des
épreuves de philosophie, qui inaugurent le calendrier des
épreuves du baccalauréat, donne lieu à des articles, des
reportages et à diverses déclarations. Les sujets des
différents groupements d'académies sont rapportés avec
quelques commentaires.
Les caméras de télévision captent
l'angoisse des candidats qui pénètrent dans les salles d'examen,
les micros enregistrent leurs commentaires sur le degré de
difficulté des épreuves. Certaines publications présentent
quelques jours auparavant les régimes alimentaires les plus
appropriés à la nécessaire mise en forme intellectuelle et
physique des candidats qui souhaitent « mettre toutes les chances de
leur coté ».
La presse diffuse ensuite les « bavures »,
fuites et fraudes connues, quelques anecdotes émaillant la passation des
épreuves et enfin les résultats. Le ministère de
l'Education nationale est complice de cette médiatisation : depuis
quelques années, des conférences de presse sont
systématiquement organisées en vue de commenter les
résultats et les progressions observées d'une année
à l'autre selon les séries.
Ces résultats sont exploités par les
médias de deux manières. Certains journaux font état des
différences observées entre les établissements,
établissant ainsi une sorte de palmarès des lycées.
D'autres enquêtes font, pour leur part, référence aux
remarques des correcteurs et à « la baisse du
niveau » des copies des élèves, donc à
l'affaiblissement de la clef de voûte de système. Cela signifie
t-il qu'il va s'écrouler ? Rien n'est moins sûr.
Utiles pour rendre plus transparent un système bien
opaque, les informations données par les journaux n'embrassent
cependant qu'une partie de la réalité.
Leurs publications parviennent à toucher un nombreux
public en mettant certains aspects au premier plan.
Les comparaisons dans l'espace (entre les
établissements) et dans le temps (la baisse du niveau par rapport
à telle ou telle période) sont généralement
structurées en vue de montrer la faiblesse de certains lieux (au regard
de la force d'autres lieux et périodes). L'actuel, l'ici et maintenant
sont alors ressentis comme ne permettant plus la construction de l'avenir
individuel (« le baccalauréat ne vaut plus rien »)
ou collectif (disposer de diplômés susceptibles de contribuer au
développement économique du pays).
On joue ici sur le registre de l'angoisse, sur la
genèse de l'anxiété, sur l'un des pôles
fondamentaux des craintes individuelles et collectives, celui des incertitudes
quant à l'avenir. Et cela marche très bien. Les
élèves que nous avons interrogés imaginent mal l'avenir
dont ils rêvent se dérouler sans l'obtention du
baccalauréat. « Il me faut le baccalauréat »
est une affirmation qu'ils ont tous martelée. Certains ajoutent
même le terme « absolument ».
Le baccalauréat est une nécessité pour
les élèves. Et cette obligation d'avoir le diplôme traduit
très certainement le pouvoir social de celui-ci mais aussi autre chose
d'au moins aussi fort : l'efficacité symbolique.
II. L'efficacité symbolique du
baccalauréat
« En tant qu'action symbolique le rite agit sur la
société et sur ses membres, non seulement en reproduisant un
certain consensus autour des valeurs dominantes, mais également en
offrant aux individus la possibilité d'utiliser le rite en vue d'une
efiicacité sociale toute particulière : celle d'exprimer
à la face de tous, à travers leurs comportements rituels, qu'ils
détiennent désormais un certain pouvoir social qui leur permet de
mieux maîtriser le fonctionnement symbolique de nos
sociétés »1(*)
Les élèves considèrent le
baccalauréat comme une obligation. Mais avant de voir dans quelle mesure
et comment le baccalauréat représente une obligation pour nos
interviewés, il importe de souligner que l'examen est aussi une immense
obligation politique pour tout gouvernement en France.
En effet, nous pouvons dire sans risquer d'être
démentis que le baccalauréat est une des obligations politiques
sinon la principale d'un ministre de l'Education nationale. Nous pouvons
effectivement nous demander ce qui se passerait, si le baccalauréat
n'avait pas ou ne pouvait avoir lieu.
Prenons deux exemples permettant d'illustrer cette obligation
de réussite. Ils sont tous les deux issus de moments historiques
exceptionnels, la Seconde Guerre mondiale et l'année 1968.
D'abord le 4 juin 1943, le cabinet du ministre de
l'éducation nationale publie une directive pour les examens qui, tout en
demandant aux jurys de prendre en compte les particularités de
l'époque, tente de conserver au baccalauréat son statut de
« clef de voûte du système » :
« Au moment où des examens vont conclure une année
scolaire qui a été particulièrement gênée par
des difficultés de toute espèce, je crois nécessaire de
fixer, aussi bien pour les examinateurs que pour les candidats, dans quel
esprit il convient d'aborder ces épreuves. D'une part il faut,
malgré les circonstances où nous nous trouvons, faire en sorte
qu'elles gardent une valeur réelle ; car prodiguer des
diplômes qui ne voudraient rien dire, ce serait aller autant contre
l'intérêt des candidats que contre celui de la nation tout
entière. D'autre part, nous manquerions à la fois de
sensibilité et d'intelligence si nous ne prenions pas en
considération ces circonstances même où s'est
trouvée la jeunesse de notre école (...). Mais l'esprit qui
m'inspire c'est précisément, cette année, de demander
moins aux examinés pour demander davantage aux examinateurs. Qu'ils
pèsent à des balances plus fines le mérite des
candidats... » (circulaire du 4 juin 1943)1(*).
Le second moment historique concerne les
événements de 1968. Les mouvements de grève de mai 1968
ont paralysé les établissements scolaires et les services
administratifs un mois et demi avant les dates de la session normale des
épreuves du baccalauréat. Lorsque le mouvement s'essouffla,
début juin, il ne semblait plus possible d'organiser les examens selon
une procédure ordinaire. En effet, d'une part, l'année scolaire
sérieusement amputée, n'avait pas permis de traiter l'ensemble
des questions prévues par les programmes. Donc, il eût
été jugé inéquitable de mesurer les
élèves à l'aune de sujets conçus avant les
événements, sur la base d'acquisitions prévues sur
l'année entière. D'autre part, il n'était plus
guère possible d'organiser un baccalauréat écrit dans le
laps de temps qui séparait la reprise des cours du départ en
vacances. La question était donc de savoir s'il était
possible de reporter les épreuves en septembre.
Pour pallier ces difficultés, le ministère de
l'Education nationale modifia par décret l'organisation de
l'examen : l'ensemble des candidats fut évalué par oral dans
l'ensemble des disciplines.
Donc en cette année 1968, il n'y eut pas d'écrit
au baccalauréat, mais l'année scolaire était sauve car le
baccalauréat avait eu lieu. C'était l'essentiel. Pour le reste
quelques aménagements suffiraient. Aussi l'arrêté du 7 juin
1968 précisait les répartitions des coefficients par série
et par discipline. Le même arrêté mettait en place des
procédures de prise en compte de la dimension exceptionnelle :
« les examinateurs auront à tenir compte du dossier scolaire
des candidats, qui comportera, en sus des renseignements habituels :
- La liste des questions non traitées, visée par
leurs professeurs et le chef d'établissement ;
- Une mention de l'avis global du conseil de classe
visé réglementairement par le chef
d'établissement » (article 3).2(*)
Le baccalauréat de 1968 ne répond ainsi en
aucune manière aux canons de l'académisme traditionnellement
défendu et promu par la majorité des acteurs sociaux.
L'écrit anonyme est absent des modalités d'évaluation, et
la prise en compte systématique des conditions locales d'enseignement
par un livret scolaire « étoffé » fait penser
à l'introduction du contrôle en cours de formation dans
l'évaluation terminale. Même si les taux de réussite furent
nettement plus élevés que les années
précédentes et suivantes, les titulaires de ce
baccalauréat sont néanmoins comme légitimés par le
social.
Ces deux extraits de textes réglementaires issus de
périodes différentes attestent que le baccalauréat doit
avoir lieu quoiqu'il arrive. Quelles raisons pouvons - nous invoquer pour
expliquer cette nécessité d'organisation de l'examen ?
Dans les deux cas, qu'il s'agisse de 1943 ou de 1968, le
passage des examens et celui du baccalauréat en particulier (et en ce
qui nous concerne ici), sont le signe du maintien et du rétablissement
d'un ordre social et symbolique que d'aucuns auraient pu oublier.
L'organisation du baccalauréat symbolise une société qui
fonctionne ou qui connaît le retour à la
« normale ».
Donc le baccalauréat est aussi un rite de passage pour
le ministre de l'Education Nationale. En effet si un ministre ne réussit
pas l'examen de passage politique que constitue l'organisation du
baccalauréat, il risque la remise en cause de sa capacité
à gérer le quotidien dans la sérénité
réclamée par des électeurs, plus soucieux d'être
rassurés par ceux qui les gouvernent que d'être bousculés
par l'abandon soudain de points de repère constitutifs de leur
manière de penser. Le baccalauréat ne lasse pas : il
rassure. C'est un élément de la permanence et de
l'identité du corps social.
On peut même penser que ce phénomène est
d'autant plus prégnant que
L'organisation du baccalauréat signifie
également que l'année scolaire qui s'achève remplit les
conditions académiques attendues. Cependant, le baccalauréat en
tant qu'examen achève certes l'année, mais il représente
aussi et surtout l'achèvement de la scolarité secondaire, et
celui de statut d'élève pour marquer l'aboutissement par lequel,
l'élève accède à un autre statut : celui
d'étudiant.
Le point marquant, dans tous nos entretiens, est la perception
du baccalauréat par les élèves, comme une
nécessité. Certains parlant même spontanément de
« passage obligé ». Ce qui interpelle ici c'est
moins la notion de « passage » que celle de
« obligé ». Ce terme se justifiant à
plusieurs titres pour les élèves. Le passage du
baccalauréat est tellement « obligé » qu'ils
s'y préparent de leur mieux. Si au Sénégal, par exemple,
les élèves se garantissent contre l'angoisse en invoquant le
surnaturel par des prières, des promesses ou encore des
procédés « magiques », il faut dire qu'en
France, le passage est appréhendé autrement. Le passage
même est moins appréhendé que ce vers quoi il mène.
Les interviewés entretiennent, à notre grande
surprise, une relation très particulière avec l'examen. Ils
appréhendent le baccalauréat non pas parce qu'il leur permet
d'entrer dans le monde du savoir, de la connaissance ( l'université et
l'enseignement supérieur en général ) ou de
découvrir ce qui se cache derrière l'épreuve mais parce
qu'il leur est « nécessaire » pour avoir plus tard
du travail. C'est cette relation au travail futur qui justifie, pour
l'essentiel, l'emploi du terme « obligé ».
On est loin ici des adolescents Sara dont nous parle Robert
Jaulin dans son ouvrage éthnographique1(*). Les adolescents Sara rêvent d'être
initiés pour pouvoir enfin passer de l'autre côté de la
barrière, celui où les secrets sont dévoilés, celui
où on apprend, bref le monde du symbolique, des significations tandis
que « nos » lycéens ont quant à eux une
vision beaucoup plus utilitariste de leur
« passage » : le savoir soit, mais s'il donne ensuite
accès à un travail.
En effet, ils soulignent régulièrement
l'importance pédagogique de l'examen. Les élèves des
terminales littéraires du lycée Victor Hugo (qui nous ont
été autorisés à interroger) semblent être
très convaincus par la fonction d'abord pédagogique ou scolaire
du diplôme. Jeanne (19 ans) nous dit « je veux avoir le bac
pour poursuivre mes études. Je veux l'avoir pour venir à la
fac » alors que Hélène (18 ans) considère le
baccalauréat comme « le papier qui permet de faire une autre
école ». Guillaume (19 ans) nous explique qu'il
« faut le bac ; il faut l'avoir pour continuer ses
études »
En fait, ils sont quelques-uns uns à privilégier
le rôle de passerelle vers les études supérieures du
diplôme. Le baccalauréat est normalement le maillon reliant
l'enseignement secondaire à l'enseignement supérieur. Il faudrait
donc, avant tout, lui restituer cette fonction de passeur d'un niveau scolaire
à un autre. Julien (17ans), élève de ce même
établissement, traduit bien cela lorsqu'il nous dit :
« je veux avoir le bac pour d'abord poursuivre les
études ». Lorsque nous demandons à Stéphanie (18
ans) ce que représente le baccalauréat pour elle, sa
réponse est sans ambiguïté : « c'est une
clé pour aller plus loin. En tout cas le bac
général ».
Ce sont donc les littéraires qui ont fait le plus
apparaître leur attachement au baccalauréat comme
continuum dans la construction de l'édifice scolaire et faisant
apparaître la notion de culture générale. Qu'est-ce que
cela peut-il signifier ? Leur raisonnement traduit -il une certaine
liaison entre les études littéraires et une culture dite
intellectuelle qui privilégie la connaissance pour la connaissance
à l'utilitarisme forcené ? Nous ne nous engagerons pas ici
dans ce débat. Ces premières déclarations nous
réconfortèrent, néanmoins, dans notre hypothèse
selon laquelle le lycéen (de l'enseignement général
sentant) ne peut envisager sa scolarité sans l'obtention du
diplôme qui ouvre la porte aux études supérieures.
En effet, nous pensions que cet examen avait autant de
significations parce qu'il permettait d'accéder à l'ultime
étape de la scolarité, c'est-à-dire les études
supérieures et que la réussite à l'examen
représentait l'agrégation à ce monde de statut plus
élevé ( par opposition à l'enseignement secondaire ).
Cette hypothèse s'est confrontée à diverses formes
d'expressions qui l'ont confirmée tout en introduisant des motivations
de trois sortes.
II.1. Trois raisons de passer le baccalauréat
Pour « mesurer » l'importance du
baccalauréat chez les élèves, nous leur avons demander sur
quel événement entre « les dix huit ans»,
« le baccalauréat » et « le permis de
conduire » se porterait leur choix s'ils avaient en à faire et
pour quelles raisons. Le choix se porte, pour tous sans exception, sur le
baccalauréat. Pour diverses raisons les interviewés jugent le
diplôme plus important que le permis de conduire ou la majorité.
Dans un ordre qui n'est pas celui de l'importance, nous avons
pu établir que les interviewés voient en leur probable
arrivée à l'université :
- D'abord un moyen de continuer les études et
d'acquérir une culture générale
- Ensuite de bénéficier de plus de
liberté
- Enfin de pouvoir exercer plus tard une profession.
II.1.1 Le baccalauréat pour continuer les
études et acquérir une culture
générale..
Les élèves que nous avons interrogés
mettent en avant « la nécessité » d'obtenir
le diplôme intitulé baccalauréat parce qu'il leur permet de
continuer les études et d'acquérir la culture
générale que l'enseignement supérieur est sensé
leur apporter. Le baccalauréat crée la distance entre le
bachelier et le non-bachelier. C'est le diplôme qui permet à celui
qui en est détenteur de continuer les études s'il le souhaite.
C'est cela que transcrivent les propos de Pierre - Autrique :
« la différence entre celui qui a le bac et celui qui l'a pas
est simple. Celui qui a le bac, il peut entamer des études
supérieures s'il le veut après. Celui qui l'a pas, il est
obligé de passer par le bac sinon il peut rien faire. La
différence c'est la barrière du diplôme ».
Le rôle du baccalauréat en tant que
continuum du cursus scolaire est bien intégré par les
élèves. Comme cela semble aller de soi, certains
élèves n'insistent pas sur ce rôle, préférant
évoquer l'importance du baccalauréat à long terme. Les
autres (essentiellement les littéraires ) ne perdent pas de vue la place
du baccalauréat dans l'édifice scolaire ; c'est un
diplôme prépondérant et ils sont
« obligés » de l'avoir. « Un bac c'est
reconnu pour continuer les études, c'est pas reconnu pour trouver un
boulot, en tout cas pas le bac général » (Marc, 18 ans,
terminale ES). Louisiane (19 ans, terminale L) pense la même chose
lorsqu'elle estime que « le bac est un passage obligé ;
pour moi en tout cas puisque je suis dans une filière
générale donc je suis obligée de l'avoir pour aller
à la fac et continuer à apprendre ». Emmanuel (17 ans,
terminale S) est encore plus catégorique lorsqu'il fait remarquer qu'il
n'y a aucune différence entre un bachelier et un non-bachelier. Lorsque
nous lui demandons alors pourquoi tenait -il « absolument »
à avoir « son bac », il répond :
« pour faire des études supérieures. Si jamais on
s'arrête au bac ça sert pas à grand chose d'avoir
été jusque là. Je pense que c'est plutôt une porte
ouverte sur la faculté ».
Le baccalauréat est perçu par ces
élèves comme le seul moyen de poursuivre leurs études. Ce
qui est d'ailleurs vrai. Ce diplôme est le sésame qui permet la
poursuite des études, dans le sens de la continuité bien entendu.
En effet, on peut toujours, sans baccalauréat, s'inscrire dans une autre
voie de formation ( professionnelle par exemple).
La notion de culture générale apparaît
dans leurs discours, surtout, lorsqu'il s'agit de marquer une différence
entre ceux qui ont le bac et ceux qui ne l'ont pas. En aucune manière
les élèves n'établissent une hiérarchie de valeur
entre les bacheliers de la société et les non-bacheliers. Ils
font en revanche volontiers apparaître leur certitude quant à la
différence de culture entre ces deux catégories de personnes.
En effet, lorsque nous leur posons la question de savoir s'il
y aurait une différence entre ceux qui ont le bac et ceux qui ne l'ont
pas, les réponses des élèves se rejoignent toutes.
« Non. Enfin y'en a qui sont doués à l'école et
d'autres qui sont doués ailleurs, qui sont manuels » fait
remarquer Laurent (17 ans, terminale S) avant d'être repris par Paul (19
ans) [nous avons interrogé ces deux élèves en même
temps]. Ce dernier précise sa pensée en ces termes :
« ça dépend. Ceux qui sont arrêtés
plutôt dans les études n'ont pas la culture que nous nous avons en
terminale et que nous allons améliorer à la fac mais ils ont une
plus grande culture dans leur domaine. S'ils sont musiciens, cuisiniers,
menuisiers etc. » Laurent rajoutera que « ceux qui
poursuivent leurs études ont une culture générale plus
vaste ».
Comme certains de nos interrogés, ces deux
élèves mettent en avant la culture générale que
l'on acquiert dans le système scolaire français. Ce sont
d'ailleurs les mêmes qui soulignent l'importance du baccalauréat
en tant que passerelle entre le lycée et l'université qui parlent
de ce diplôme comme d'un moyen d'acquérir une culture
générale plus vaste à travers des études
supérieures. « Quelqu'un qui a pas le bac, il a
déjà une certaine forme d'intelligence par rapport à
quelqu'un qui n'a pas fait d'études du tout parce que la terminale c'est
une accumulation de connaissances, en tout cas pour moi. Alors celui qui est
à l'université... C'est plus une capacité à
raisonner, une différence de culture ». (Hélène,
19 ans, terminale L)
En fait même si le doute peut exister pour certains
quant à la différence de niveau de culture
générale, il est assez souvent écarté par d'autres
« certitudes ». Cet état d'esprit est très
bien symbolisé par les propos de Guy - Joël (18 ans, terminale S).
Il nous fait remarquer (avec humour) que le baccalauréat est
« en fait une excuse pour être sûr qu'on a la culture,
qu'on puisse suivre les études après. Mais si ça se trouve
on peut avoir le niveau sans le bac. Quoi que non, celui qui est à
l'université est quand même plus cultivé que l'autre qui y
est pas. Regarde toi et moi ».
La conviction qu'il existe une liaison entre le niveau
d'étude et la culture générale est assez partagée
chez les lycéens. Cela est d'autant plus marquant qu'ils emploient le
même terme de « culture générale » pour
spécifier une des différences entre le lycéen et le
bachelier. Ils soulignent le rôle du baccalauréat comme moyen
d'acquisition de cette culture dans l'enseignement supérieur.
« Les études supérieures sont un mode d'accès
à la culture. La différence entre les bacheliers et les
non-bacheliers est une différence de culture, même si un
non-bachelier peut être très cultivé » Jeanne (17
ans, terminale L).
Ainsi la réussite au baccalauréat peut
être conçue (du moins pour beaucoup de lycéens) comme un
moyen d'enter dans un monde de culture, le monde de ceux qui savent.
Même si les propos sont plus nuancés chez
certains lycéens, le contenu du discours est le même.
« Celui qui a le bac il peut aller à la fac alors que celui
qui l'a pas ne peut pas. Mais il y a des copains à moi qui ont pris des
B.E.P ou d'autres choses disons plus professionnels. Le bac ils l'ont pas mais
ils ont une expérience professionnelle que moi j'ai pas. Donc ils auront
peut être une plus grande chance de trouver du boulot plus vite que moi.
Mais moi je serai..., comment dire ? Je serais plus intello, disons plus
cultivée. Enfin tout est relatif » ( laure, 18 ans, terminale
ES).
Ainsi, le baccalauréat apparaît, chez certains
lycéens, comme un moyen d'enrichissement intellectuel. L'acquisition du
diplôme est synonyme de démarcation avec le monde lycéen et
d'intégration au monde étudiant, jugé plus cultivé.
Jérôme (19 ans, terminale L) traduit bien cette marge entre le
secondaire et le supérieur en ces termes : « La
différence entre un lycéen et un étudiant c'est que
l'étudiant sait les mêmes choses que le lycéen puisqu'il a
été lui-même lycéen mais il en sait plus puisqu'il
est dans un milieu où on apprend d'autres choses encore ».
Cette conviction qu'il existe une différence de niveau
de culture générale entre l'étudiant et le lycéen
est - comme nous l'avons souvent rappelé - assez partagée chez
les lycéens. Cependant, faut -il voir dans cela une forme de complexe
dû à leur position de lycéen par rapport à celle de
l'étudiant dans la hiérarchie scolaire ?
Les étudiants que nous avons rencontrés parlent
moins de « culture générale » que de «
maturité » et /ou de
« responsabilité ». Pour eux, la différence
subsiste dans cette maturité due à un âge souvent plus
avancé et à l'expérience acquise dans les études
supérieures. L'enseignement supérieur met
« l'étudiant devant ses responsabilités »
selon Kelly (étudiante en BTS au lycée Fresnel ). Elle entend
par-là le fait que les rapports avec le corps enseignant ne soient plus
les mêmes. Une relation plus distante que souligne son camarade Guillaume
lorsqu'il dit : « les professeurs savent que nous ne sommes plus
des gamins, ils ne nous collent pas aux baskets. Ils savent que nous savons ce
que nous devons faire et surtout ce que nous voulons ».
A l'université, les étudiants que nous avons
rencontrés mettent encore plus en avant cette différence de
maturité. Le monde universitaire ne semble rien à voir avec le
lycée ; c'est un monde d'adulte où l'apprenant est
laissé à son propre compte. En tout cas les interviewés en
sont convaincus. Yannick, (étudiant en 1ère
année de L.E.A ) considère que le baccalauréat est
« bien sûr la rupture entre le lycée et
l'université. Ce sont deux mondes totalement différents, nous dit
-il, il faut être responsable pour réussir à la fac.
Personne ne te pousse à travailler comme au lycée ; personne
ne te dit ce qu'il faut faire, les profs c'est pas leur problème, alors
si tu n'es pas mûr tu es mort ».
Des deux cotés de la barrière que constitue le
baccalauréat, ceux qui vont passer l'examen et ceux qui l'ont
déjà réussi, le constat est le même :
l'étudiant est différent du lycéen soit parce qu'il a plus
de culture générale ( selon les lycéens) soit parce qu'il
est plus mûr (selon les étudiants).
II.1.2. Le baccalauréat pour
bénéficier de plus de liberté.
La perspective d'une plus grande liberté est l'une des
principales raisons pour lesquelles les lycéens veulent réussir
l'examen du baccalauréat. Si les littéraires sont, comme nous
l'avons déjà souligné, les plus nombreux à rappeler
le rôle de liaison du diplôme entre le lycée et
l'université, c'est dans leur globalité que les interrogés
soulignent son rôle « émancipateur ». La
réussite au baccalauréat est en effet pour tous les
lycéens et étudiants des entretiens, synonyme d'emplois du temps
plus « flexibles » et de gestion personnelle des
cours. Il est évident que les études universitaires (ou
supérieures en générale) ne ressemblent pas aux
études secondaires ni sur l'organisation des cours ni sur leur contenu.
De ce fait, le point sur lequel insistent beaucoup plus les
élèves est la « grande marge de
liberté » dont semble bénéficier
l'étudiant.
Pour Guy -Joël (18 ans, terminale S), la liberté
laissée à l'étudiant, pour gérer ses cours, par
rapport au lycéen est indéniable : « Il y a quand
même pas le même rythme de vie, nous dit -il, il y a moins d'heures
de cours à la fac ; on se lève à midi etc. J'ai envie
de vivre ça moi. J'aimerais bien pouvoir gérer mes cours
tranquillement ». La gestion individuelle de ses cours ( choix des
groupes de travaux dirigés) et la possibilité qu'il a de ne pas
assister à un cours magistral, sans encourir la moindre sanction, fait
de l'étudiant un apprenant au statut très enviable.
Yoann (19 ans, terminale S) soulève cette
différence entre le « temps libre » des
étudiants et les emplois de temps
« surchargés » des lycéens :
« Avant on était une bande de copains en première. Tous
ceux qui étaient en série S, l'ont redoublé, les autres en
L et ES sont passés à la fac et ils sont toujours dans les bars
de la fac. Ca veut dire qu'on exige moins des étudiants parce que c'est
comme ça. Je veux dire c'est pas une deuxième terminale. On fait
moins de chose ».
L'envie de réussir l'examen du baccalauréat
s'explique donc chez « nos » lycéens comme une envie
de passer de l'autre coté de la barrière où ils pourront
bénéficier de ces emplois du temps choisis. Mais
« décrocher son bac », c'est aussi et surtout
synonyme de liberté vis à vis des parents. En effet, ce qui
motive à plus d'un titre la totalité des lycéens que nous
avons interrogés c'est la reconsidération de leurs rapports avec
les parents une fois l'examen réussi. « Ils me regarderont
forcément autrement si j'ai le bac » est une affirmation qui
revient souvent dans les entretiens. Mais d'où les lycéens
tiennent -ils une telle certitude ? C'est l'expérience du grand
frère ou de la grande soeur étudiant(e) qui leur permet
d'affirmer avec autant d'assurance que l'obtention du baccalauréat va
« obligatoirement » changer les relations dans la
famille ; ils seront considérés comme des adultes.
Comme les initiés dans les sociétés
traditionnelles, les lycéens considèrent que la réussite
aux épreuves qu'ils doivent passer est gage de reconsidération
due au changement de statut. En devenant étudiants, ils deviennent
« adultes ». L'étudiant est considéré
par les lycées comme un individu au statut à part avec beaucoup
d'avantages. Pour Linda (17 ans, terminale ES), « un étudiant
a plus de liberté et en plus de cela, il y a beaucoup de tarifs
réduits pour les étudiants. Par exemple tu prends la maison de
l'étudiant c'est rien que pour les étudiants et pas pour les
lycéens. Ca c'est des trucs auxquels seul le bac peut permettre
d'accéder ».
« Le bac permet d'aller à la fac,
d'être dans la cour des grands, il y a de la liberté à la
fac et pas au lycée. Les parents surveillent moins quant on est à
la fac. Les étudiants sortent quand ils veulent»
(Héléne,19 ans, terminale L). Guillaume (18 ans, terminale L) va
dans le même sens que ses camarades lorsqu'il souligne l'agacement du
lycéen « pour qui les feuilles d'absence défilent alors
que les étudiants sont plus libres, plus
indépendants. »
La force du baccalauréat réside dans la
transformation qu'il semble introduire dans les rapports entre le bachelier et
les autres. Devenu étudiant, l'élève est
reconsidéré sous un autre angle, celui de la maturité ou
du moins de la responsabilité. Il semble tout simplement être
beaucoup plus libre de ses choix. Cette « liberté »
et /ou « indépendance » dont parlent les
lycéens semble être octroyée indépendamment de
l'âge. Cela a moins à voir avec la majorité qu'avec le
statut même d'étudiant. En effet selon eux, pour être
responsabilisé par les parents et par conséquent être plus
indépendant, il est préférable d'avoir son
baccalauréat que d'avoir vingt ans et être toujours au
lycée. « Avec le bac on est plus indépendant, nous dit
Aurélie âgée de16 ans, j'aurais plus de liberté je
crois vis à vis des parents, je serais carrément moins
encadrée, exactement comme ma soeur qui est à la fac ».
En fin de compte le baccalauréat n'est ni mesurable ni
comparable avec l'obtention du permis de conduire ou le passage à la
majorité (dix huit ans). Il transforme le lycéen en
étudiant ou bien « l'enfant que mes parents voient en moi en
adulte responsable » pour reprendre les termes de Yamina (17 ans,
terminale S). « Le bac est plus important pour moi, nous dit elle,
parce qu'en fait le permis, la voiture de toute façon je l'aurais pas
à 18 ans et les 18 ans, moi je pense pas que ça marque quelque
chose. Parce qu'en fait ça va rien changer. C'est le bac en fait parce
qu'après, on va faire des études plus sérieuses, plus
spécialisées alors qu'avoir 18 ans c'est comme avoir 17
ans ».
La primauté du baccalauréat, comme
critère émancipateur, sur les deux autres
événements est nette chez les quatre vingt quatre
interrogés. Lorsque nous leur demandons de nous donner les raisons pour
lesquelles ils qualifient le baccalauréat «
d'émancipateur », les explications avancées sont
très proches. Il s'agit essentiellement d'une plus grande liberté
liée à leur responsabilisation. Par exemple, pour Michelle (17
ans, terminale S), le baccalauréat est beaucoup plus important que les
18 ans « dans la mesure où chez moi les 18 ans c'est pas
quelque chose qui donne plus de liberté, on a toujours été
assez libre finalement. Donc les 18 ans ne vont pas changer grand chose. Le
fait d'avoir 18 ans ne change rien parce que même à 40 ans je
serais toujours leur petite fille. C'est pas l'âge, c'est vraiment le bac
le truc important ». Bernard ( 18 ans, terminale ES) justifie son
choix par les relations avec ses parents qui changeraient
« forcément » parce qu'il deviendrait adulte.
« Pour eux ça veut dire qu'on est plus responsable, qu'on peut
gérer son avenir. Ca veut dire qu'on a une certaine maturité et
que si on avait rien fait, on l'aurait pas notre bac alors qu'on peut avoir 18
ans et être un peu irresponsable. Avoir le bac ça veut dire qu'ils
vont me lâcher un peu. Enfin, ils vont toujours me guider mais un peu
moins qu'avant. Ils se mêleront pas toujours de mes affaires. Je sais
mettre les limites donc ils m'interdisent pas trop quoi. Mais je sais que pour
eux le bac ça fait passer à l'âge adulte ».
Les propos de Pierre ( 21 ans , terminale S, redoublant )
résument bien cette idée : « Si j'ai
redoublé ma première et ma terminale, c'est que l'école
c'est pas mon truc. La pression des parents « fais tes
devoirs » « travail » et tout ça me gave.
mais en même temps, si je n'ai pas mon bac, ce sera dur parce que dans
cette position on reste en enfance. Quand on a 20 ans et qu'on a tous ses amis
qui sont en fac avec la liberté, on a plus envie d'être
considéré comme un enfant. C'est pourquoi je fais tout pour
être un adulte et me détacher de l'enfance mais c'est dur au
lycée ».
D'autres élèves mettent en avant la
possibilité de quitter le domicile familial. Dans un grand nombre
d'entretiens cette idée revient de manière récurrente. La
réussite au baccalauréat est un grand enjeu pour les
lycéens puisqu'ils l'associent au passage à une vie beaucoup plus
indépendante surtout lorsque cette réussite est suivie d'un
départ du domaine parental. En effet, si le baccalauréat est
synonyme de liberté et d'indépendance, la meilleure façon
dont cela se traduit pour beaucoup de lycéens, c'est la vie en
« solitaire dans son propre chez soi ». « De
toute façon, admettons que si j'ai 18 ans l'année prochaine et
que j'ai pas mon bac, ça changera rien. Je serais toujours chez les
parents et sous leur autorité. Alors qu'avec le bac, j'aurais plus de
liberté vu que je partirais ailleurs » (Jeremy, 17 ans
terminale S). Lorsque je lui demande si vivre seul est synonyme de
liberté, la réponse est : « oui ! bien
sûr parce que si j'ai le bac je serais plus responsabilisé par ma
mère que si j'avais 20 ans et toujours au lycée parce qu'elle est
à fond dans le bac ».
Le baccalauréat est donc pour ces élèves,
le passage « obligé » pour accéder à
l'indépendance à laquelle ils aspirent comme le confirme
Daphné (18 ans, terminale L) : « si j'ai le bac ça
me permet de ne plus habiter avec les parents par exemple, alors qu'avant je ne
peux pas. C'est vraiment la liberté parce que pour les parents on est
quand même plus responsable. Ca veut dire qu'on a franchi un pas, qu'on
arrive dans les études supérieures et puis». Le
baccalauréat, précisons-le encore une fois, est dans l'esprit des
lycéens le passage « obligé » pour
acquérir une indépendance ou du moins une plus grande autonomie.
Passer du lycée à l'université c'est
avoir la possibilité de se gérer tout seul en n'habitant
déjà plus chez les parents. Pour Romuald (19 ans, terminale ES)
avoir le baccalauréat c'est « ne plus être traité
comme un bébé ». Il précise :
« en fait les parents ne vont plus être tout le temps
derrière moi si j'habite à la fac, donc je pourrais sortir le
soir et faire tout ce que je veux ». Nous pouvons aussi
évoquer le témoignage de Pauline (20 ans, terminale S) pour qui
le baccalauréat est également l'échéance
fixée par les parents pour pouvoir disposer d'elle-même. Elle
considère que ses parents, du fait de leur âge avancé,
sont les seuls à avoir ce rapport avec le baccalauréat.
« Avec le bac, je peux partir habiter seule, les parents se diront
c'est bon, elle a son bac. Parce qu'ils sont encore de la mentalité
d'avant qui est passe ton bac d'abord, une fois que t'as ton bac ça va.
Avoir le bac en poche c'est clair que c'est pour moi avoir plus de
liberté. Je pense que mes parents seront soulagés de savoir que
j'ai le bac, donc je pense que j'aurais plus de liberté. Je pourrais
faire ce dont j'ai envie sans problème ».
Si certains élèves ne motivent pas leur
volonté de partir du foyer parental par un conflit d'aucune sorte avec
les parents, d'autres par contre voient dans le baccalauréat, un moyen
d'apaiser les dissensions.
Nous ne prétendons pas que le baccalauréat ait
des vertus thérapeutiques quelconques comme certains rites
initiatiques ; en revanche nous pouvons noter l'importance de sa charge
symbolique.
Le nouveau bachelier semble être plus responsable (ou en
tout cas plus responsabilisé) qu'il ne l'a jamais été. Le
baccalauréat peut donc être, pour les nouveaux bacheliers, le
sésame qui ouvre les portes du dialogue. Obtenir son diplôme peut
éventuellement changer les rapports. Nous prendrons parmi quinze
entretiens qui illustrent cette hypothèse les propos de Pierre -Autrique
qui sont très parlant. « Après le bac je pense que
j'aurais beaucoup plus de liberté parce que les parents c'est
« c'est nous qui décidons parce que c'est nous qui te
nourrissons et te logeons ; si tu veux te barrer tu te barres et tu
assumes. Pour le moment passe ton bac d'abord ». Donc pour le moment
on ne s'entend pas trop bien mais bon, je suis sûr que si j'ai le bac,
ça va s'arranger. C'est obligé parce que j'habiterais plus
à la maison mais à Alençon, pour les études donc du
fait qu'on ne se verra pas souvent, quand on va se revoir ça se passera
mieux». Lui demandant pourquoi cela changerait les relations sa
réponse est « parce que je te l'ai dit, on ne va pas se crier
dessus les rares fois qu'on se verra, ensuite ils me verront
différemment parce j'aurai mon bac que eux ils ont pas. Ca a
été pareil pour ma grande soeur ».
Ce que confirment surtout les étudiants dans les
entretiens (au nombre de vingt quatre) c'est l'indépendance dont ils
jouissent, par rapport aux lycéens, depuis qu'ils ont
« décroché » le diplôme. Ils parlent
d'une autonomie que leur aurait conférée le baccalauréat
en étant plus libres dans l'organisation de leurs études et de
leurs loisirs. Ils insistent sur cette liberté qu'ils ont de n'aller en
cours que s'ils le désirent et de sortir immodérément sans
être réprimandés par les parents. C'est ce que Anthony,
étudiant en première année de sociologie, exprime en ces
termes : « C'est vraiment un grand changement pour moi d'avoir
eu mon bac. C'est clair que là, je fais ce que je veux, enfin je
m'organise comme je l'entends. Dès fois je me réveille, je le
sens pas trop et puis je ne vais pas en cours alors qu'au lycée jamais
je n'aurais pu faire ça d'abord parce que mes parents m'auraient
tué, ensuite parce que les profs m'auraient pas loupé avec les
feuilles d'absence ».
Marie, étudiante en première année
d'A.E.S, souligne les sorties nocturnes avec les copains. « Pour
moi, dit -elle, la fac c'est génial parce que là je sors
beaucoup, trois fois par semaine en moyenne, c'était inimaginable au
lycée »
II.1.3. Le baccalauréat pour trouver un travail.
Nous avons la représentation, chez les lycéens,
du baccalauréat comme passage qu'il faut franchir pour quitter le monde
lycéen et entrer dans un autre monde, le monde des étudiants.
Si nous ne considérons que ces deux aspects que sont la
quête d'une culture générale, du savoir et l'aspiration
à une grande liberté ou une plus grande indépendance nous
pouvons dire que le baccalauréat constitue effectivement ( et seulement
) un rite de passage dans le monde des étudiants
Mais les interviewés introduisent, et cela toujours de
manière spontanée, l'aspect utilitaire du diplôme. En effet
le troisième élément qu'ils associent au
baccalauréat c'est son utilité. Au-delà des deux premiers
aspects précédemment cités ( le baccalauréat pour
continuer les études et le baccalauréat pour
bénéficier de plus de liberté ) le diplôme est aussi
pour les intéressés « une ouverture vers autre
chose » : le travail professionnel,
rémunéré. En dernière instance, les
interviewés veulent le baccalauréat parce qu'il « donne
un avenir certain ». Il signifie pour un grand nombre
d'élèves interrogés la possibilité de trouver un
emploi dans un avenir plus ou moins proche.
Il faut souligner que dans les sociétés
modernes, la place qu'on occupe dans la division du travail est censée
dépendre non de propriétés déterminées
à la naissance ( milieu social, sexe ), mais de caractéristiques
acquises, en particulier le niveau d'instruction. Donc, ce que les
élèves mettent en avant, c'est la
« rentabilité » du diplôme.
Autant les littéraires étaient les plus diserts
quant il s'agissait de voir dans le baccalauréat un moyen de continuer
les études autant les élèves des autres séries (S
et E.S notamment ) établissent plus volontiers, l'équation
baccalauréat = métier. « Aujourd'hui sans le bac, pense
Félix (18 ans, terminale S), c'est pas jouable. Sans le bac pas de
travail, on peut même pas pointer à l'A.N.P.E » (Agence
Nationale Pour l'Emploi ). Mélanie (18 ans, terminale Es) pense le
baccalauréat est obligatoire « parce que c'est très
difficile maintenant de faire quelque chose sans le bac. Et même si mes
désirs, mes orientations vont dans un sens où j'ai pas
forcément besoin du bac, si je m'en sors pas j'aurais au moins le bac
pour être caissière à Carrefour. Sérieusement,
maintenant pour être caissière, il faut être titulaire du
bac. Voilà pourquoi il me le faut». Même si ces camarades
sont moins catégoriques, la plupart d'entre eux ( trente neuf
lycéens sur soixante interrogés ) vont dans le même sens.
Ils voient dans ce diplôme « la clef de l'intégration
dans le monde professionnel ». Ce rôle intégrateur au
monde du travail que les élèves donnent au baccalauréat
est la troisième signification que nous pouvons donner à l'emploi
du terme « passage obligé » prononcé dans
les interviews.
Le diplôme intitulé baccalauréat est
à leurs yeux « le » passage qui mène au
travail. Ils n'envisagent pas d'arrêter leur scolarité à la
classe de terminale, du moins s'ils devaient le faire, ce serait avec
« le bac en poche ». Le diplôme semble être une
sorte de garantie contre la hantise du non-emploi. Ainsi même Guillaume
qui disait : « le bac ne représente rien pour moi, sinon
pour me « casser » du lycée » admet que
« le bac est un minimum pour chercher du boulot ».
Trouver un emploi passerait donc par l'obtention du
baccalauréat. Pour les élèves ce n'est pas une vue de
l'esprit mais une réelle conviction. En effet, le fait marquant qui sort
de beaucoup d'entretiens est la certitude et la foi qu'ils ont au
baccalauréat. Avant même d'entrer dans la vie active, ils ont une
représentation du monde du travail qui se construit dans tous les cas de
figures avec le baccalauréat.
Ces quelques extraits d'entretiens vont tous dans le
même sens : « Pour s'en sortir dans la vie, le bac est
indispensable c'est pour cela que je dois l'avoir absolument. »
(Jonathan, 19 ans, terminale S). «Tu sais, le bac c'est le
déclic qui permet d'aboutir dans le travail donc il faut que je
l'ai » ( Céline, 18 ans, terminale L). « Le bac
c'est quelque chose de très important, c'est vraiment l'examen à
avoir pour le marché du travail. Il est par exemple beaucoup plus
important à avoir que le brevet. Le brevet c'est plus comme une
préparation au bac » ( Samia, 18 ans, terminale S ).
En fait, l'insertion s'inscrit dans un marché du
travail. Il faut rappeler, ici, pour comprendre cette
« obsession » du baccalauréat ou plutôt de sa
« rentabilité » que le risque de chômage est
d'autant plus faible que la scolarité a été longue. A
l'inverse, chez les jeunes sans diplôme, ces taux apparaissent
particulièrement élevés, et traduisent un chômage
plus durable que chez les plus diplômés.
Rappelons encore, si besoin en était, qu'en outre, en
France, le taux de chômage des jeunes est spécialement
fort : si sur l'ensemble des 15 - 29 ans, 8% des jeunes sont
chômeurs en 1996, on compte 25% de chômeurs dans la sous -
population des jeunes non étudiants et présents sur le
marché du travail, soit pratiquement le double que dans l'ensemble de la
population. Cette relation entre niveau de formation et chômage est
très nette, même si certaines distinctions fines sont à
faire ; par exemple, les bacheliers professionnels s'insèrent
sensiblement plus vite que les bacheliers
« traditionnels ». On observe également ( à
partir de 1996) que les taux de chômage des titulaires d'un diplôme
de niveau « bac plus 2 ans » et des titulaires d'un
diplôme supérieur sont quasiment identiques. Pour les
lycéens (garçons et filles) le baccalauréat atteste, en
quelque sorte, du niveau d'instruction minimum requis dans le marché du
travail.
Cependant, il faut souligner que le sexe module cet effet du
niveau d'instruction. En effet, les taux de chômage des filles sont,
à niveau comparable, toujours plus élevés, sauf
au-delà du baccalauréat ; les inégalités entre
sexes sont donc d'autant plus faible que le niveau éducatif
s'élève. Les filles ont donc encore plus intérêt
à obtenir le baccalauréat et poursuivre des études que les
garçons, l'absence totale de diplôme étant pour elles
particulièrement pénalisante.
Le tableau ci dessous est, à ce propos, assez
illustratif.
Taux de chômage des jeunes de 15 - 29
ans,
par sexe et niveau de diplôme en 1995 ( %
)
Niveau de diplôme
|
Aucun diplôme
|
BEPC,CAP/ BEP
|
Baccalauréat
|
Etudes supérieures
|
Garçon
|
28,4
|
14,5
|
10,9
|
12,7
|
Fille
|
40,4
|
25,3
|
20,7
|
11,8
|
Total
|
68,8
|
39,8
|
31,6
|
24,5
|
Source : Enquête emploi INSEE
Cependant, malgré ce chiffre de 31,6% seulement de
chômeurs chez les bacheliers, lorsque nous faisons remarquer, aux
élèves interrogés, que beaucoup de travailleurs n'ont pas
le baccalauréat, ils introduisent pour la plupart une nuance importante.
Sans que cela ne remette en cause la centralité du diplôme par
rapport au marché de l'emploi, ils apportent quelques rectifications. En
effet, les lycéens nuancent plus leurs propos en relativisant
l'équation baccalauréat = travail en considérant que
« sans le bac, on a moins de chances de choisir son
travail ».
Nous voulons pour exemple cet extrait d'un entretien avec un
élève du lycée Victor Hugo :
- « C'est le diplôme qui décide quand
même de l'avenir, sans le bac de toute façon t'as aucune
chance. »
- Mais pourquoi penses -tu que sans le bac on ne peux pas
trouver de travail ?
- « Bien sûr on peut en trouver, mais bon ce
ne sera pas forcément le boulot que tu rêvais d'exercer. Moi je
suis au lycée, je suis obligé d'avoir le bac pour continuer mes
études et trouver le boulot qui me fasse réellement
envie»
Ainsi on passe, d'une radicalisation de l'équation sans
bac = sans emploi, à sa relativisation car ils y introduisent la
variante « choix ».
Donc, si quelques lycéens continuent à
établir la première équation, les autres
préfèrent dire que sans le baccalauréat, ils diminuent
leurs chances d'exercer le métier de leur rêve. En fin de compte
si le baccalauréat « est nécessaire pour entrer dans la
vie active » (Jeanne, 18 ans, terminale L), il est aussi et surtout
« indispensable pour pouvoir exercer plus tard le métier qu'on
aura choisi » (Thomas, 19 ans, terminale ES).
Le baccalauréat élargirait, en fin de compte, le
choix dans la grille de travail qui sera proposé au diplômé
à la recherche d'un emploi. Ainsi l'examen du baccalauréat n'est
plus seulement passé pour permettre la transition lycée /
études supérieures ; mais dans l'imaginaire des
lycéens, c'est aussi un passage obligé entre le monde des
études et le monde du travail. Ici le baccalauréat devient
véritablement un rite auquel ils se soumettent pour pouvoir passer de
l'autre côté : le monde du travail, le travail choisi et
désiré.
En fin de compte, c'est cette notion de « travail
choisi » et non de travail par défaut ou par obligation que
les élèves soulignent. Le baccalauréat offrirait un plus
grand choix dans le marché du travail et par conséquent, pour
certains, un moyen de se démarquer de la trajectoire professionnelle
familiale.
Pour beaucoup, les parents, non diplômés, plus
précisément non-bacheliers n'ont pas eu de choix professionnel.
Ainsi espèrent -ils « vivre autre chose qu'eux ».
Lorsque, par exemple, nous faisons remarquer à Yamina
que ses parents, s'ils n'ont pas le baccalauréat travaillent
néanmoins, sa réponse est : « mais ça a
évolué. Ils voient bien qu'avec la qualification qu'ils ont,
aujourd'hui ils ne pourraient pas exercer le même métier. Ils ne
font pas le boulot qu'ils rêveraient de faire. Ils auraient voulu faire
autre chose, mais ils ne le peuvent pas. Moi j'aimerais pas être comme
eux, ne pas faire ce que je veux faire ».
L'attention portée au baccalauréat est
proportionnelle chez certains lycéens à l'espoir que les parents
placent en eux, surtout si ces derniers n'ont pas eux même le
diplôme. Ils sont de ce fait porteurs d'un projet familial, ce qui
accentue encore plus « la pression et l'angoisse » qu'ils
ressentent dans cette année de baccalauréat. Nous reviendrons sur
cet aspect mais avant, illustrons ces propos par quelques phrases
tirées des entretiens.
Pour Sophie (18 ans, terminale S) « ça compte
beaucoup pour les parents le bac. Vous savez, mon père est ouvrier alors
le bac c'est clair que c'est un examen qui permet de poursuivre des
études supérieures, mais pour quoi faire ? C'est pour
trouver du travail après. Sans le bac, pas de débouché. En
règle générale, sans le bac on a rien ; ça je
le sais bien et mes parents me le répètent assez
souvent. »
Chez certains lycéens, la réussite au
baccalauréat est sans doute, plus ressentie comme une obligation que
chez d'autres, du moins c'est une impression qu'ils ont en écoutant le
discours parental. « Mes parents, de toute façon n'envisagent
pas une seconde que je l'ai pas, dit Nicolas dont le père est un ancien
employé de Moulinex, Ils peuvent pas s'imaginer que je puisse vivre sans
le bac. Mais c'est plus mon père. Ma mère est plus ouverte
d'esprit. Mais pour eux de toute façon, le bac il faut que je l'ai,
sinon ils ne voient pas ce je que je peux faire d'autre. Mais attention, c'est
pour moi d'abord que le bac est important ».
Nicolas (19 ans, étudiant en première
année de BTS ) traduit bien la représentation que ses parents ont
du baccalauréat : c'est tout simplement une
nécessité. « Regarde, mes parents ils ont pas le bac.
Ils sont un peu dans la m... alors ils ont été ravis que je l'ai.
Ils se disent que je m'en sortirai avec les études. Pour eux le bac
c'est quelque chose de formidable. Enfin ils ne pensent pas que c'est
formidable mais ils pensent que c'est nécessaire. J'aurai très
certainement une meilleure situation qu'eux ».
Sans tomber dans les travers de la catégorisation et de
la stigmatisation sociale, nous pouvons soulever le fait que les
élèves issus de milieux modestes ( et qui le précisent )
soulignent le plus clairement l'aspect utilitariste du baccalauréat. Le
baccalauréat c'est surtout pour trouver un emploi plus tard. Le
diplôme est perçu donc par certains élèves et leurs
parents comme un facteur d'ascension sociale. « Le bac c'est pour ne
pas être dans la même galère que mes parents, plus tard.
Déjà je vais sortir dans deux ans avec mon diplôme et
ça va tout changer, par rapport à mes parents » (
Evelyne, 20 étudiante en B.T.S )
II.1.3.1. Le baccalauréat facteur d'ascension
sociale
Le baccalauréat peut légitimement être
considéré comme un facteur d'ascension sociale pour des
élèves issus de milieux défavorisés. Cependant, les
choses sont beaucoup moins évidentes en fait. Cette remarque nous oblige
à élargir notre champs d'analyse à des
considérations plus générales, à opérer une
sorte de digression.
En effet, si malgré le poids du milieu familial, la
formation reste le pivot autour duquel se structure l'insertion, on devrait
s'attendre à voir l'école jouer un rôle clé en
matière de mobilité sociale entre les générations.
Officiellement, sa fonction n'est -elle pas de « redistribuer les
cartes » d'une génération à la suivante, comme
l'espèrent les élèves et leurs parents ?
Il semble logique qu'un jeune doté d'un niveau de
formation supérieur à celui de son père connaisse une
mobilité sociale ascendante, c'est-à-dire s'insère dans
une position supérieure dans l'échelle sociale. Nicolas
(ci-dessus cité) est en droit d'espérer une meilleure position
sociale que son père, agent de maintenance à la
municipalité de Caen ( le terme pudique pour désigner un
éboueur).
En fait, la position d'un individu par rapport à son
père s'avère assez peu liée au fait qu'il ait obtenu un
diplôme plus ou moins élevé que ce dernier. C'est ce que
les sociologues de la mobilité appellent le « paradoxe
d'Anderson ».
Mais ce constat est-il véritablement paradoxal ?
Pour éclairer cette question, il est intéressant de construire
ici, un modèle ( ou plutôt un schéma simplifié ) du
fonctionnement d'une société fictive, comme Boudon. R1(*), où trois
mécanismes seraient à l'oeuvre.
Tout d'abord, le milieu d'origine des
élèves exerce une influence sur leurs études ( c'est
l'axiome d'inégalité des chances devant l'école ). Par
ailleurs, les études influent sur la position sociale à laquelle
on parvient ( c'est l'axiome de méritocratie ). Boudon précise en
outre que les relations posées à travers ces deux premiers
axiomes sont efficaces à hauteur de 80%. C'est dire que l'origine
sociale fonctionne comme un « ticket de priorité »,
très efficace, mais laissant une marge de jeu de 20%. De même, le
niveau de formation détermine dans des proportions très fortes
(80%) l'accès aux emplois, mais avec là encore une dose
d'indétermination.
Enfin un troisième axiome pose qu'il y a comme une
inadaptation quantitative entre la structure sociale et la structure scolaire.
Il y a, par exemple, davantage d'enfants issus de milieux aisés que de
places dans l'enseignement supérieur, ou encore davantage de
diplômés de l'université que de postes dans la classe
dirigeante. Ce troisième axiome est capital dans le modèle
construit par Boudon. Il lui donne en effet son caractère
systémique, les relations entre formation et emploi ne pouvant pas
s'expliquer seulement par les caractéristiques des individus, et devant
nécessairement intégrer ces variables structurelles que sont les
distributions des niveaux de formation, ou des emplois dans la
société.
En y réfléchissant, ce poids des facteurs
structurels sur l'articulation entre formation et emploi peut paraître
évident, en fin de compte, puisque par exemple dans une
société fictive où presque tous les individus auraient un
niveau de formation identique, il y aurait forcément une relation
extrêmement lâche entre le niveau de formation et l'emploi
occupé. Toujours est-il que ce cadrage structurel est relativement
original dans le contexte français. Par conséquent, c'est la
thèse de Boudon, le paradoxe d'Anderson s'explique fort bien : dans
une société où il y a forcément ( faute d'une
planification stricte difficile à concevoir ) inadéquation entre
les structures éducatives et les structures sociales, l'existence de
relations étroites entre l'origine sociale et le niveau scolaire, et
entre ce niveau scolaire et le statut social n'est pas incompatible avec une
influence relativement lâche de l'origine sociale sur le statut
social.
Faut-il le souligner, cette société fictive sur
laquelle Boudon construit son modèle présente à
l'évidence des ressemblances avec la société
française.
Dans ce contexte, qu'en est - il plus
précisément de ces phénomènes de transmission d'un
statut social ? 1(*)
Aujourd'hui, c'est plutôt l'impression
d'immobilité sociale qui domine. En effet, un peu plus du tiers des
hommes de 40 - 59 ans occupent la même profession que leur père.
Plus précisément, plus de la moitié des enfants de cadre
sont eux - mêmes cadres, et un peu moins de la moitié des enfants
d'ouvriers sont restés dans ce groupe.
Il faut signaler aussi que c'est dans les catégories
moyennes que l'immobilité apparaît la plus faible. Il y a
néanmoins des mouvements entre groupes sociaux, mais rarement entre des
catégories éloignées sur l'échelle sociale. Cela
signifie que si un enfant d'employé peut devenir cadre moyen, un fils
d'agriculteurs deviendra rarement cadre supérieur en une
génération. Cela dit, les sociologues de la mobilité
sociale ont observé, sur les vingt dernières années, un
certain accroissement de la mobilité « nette »,
c'est - à dire des mouvements entre groupes sociaux ne résultant
pas de contraintes structurelles, donc un certain assouplissement de la
société française, sauf peut - être aux
extrémités de l'échelle sociale.
Peut-on imputer cette légère
démocratisation de la société au développement de
la scolarisation ? Cette question est trop vaste et ne concerne pas
véritablement pas notre propos. Nous préférons donc
recentrer l'analyse en nous concentrant sur la nécessité du
baccalauréat.
Le baccalauréat est-il si primordial que le pensent les
élèves que nous avons interrogés ? On ne saurait
répondre sans nuances à cette question abrupte. En effet, au
niveau individuel, le diplôme reste un « ticket de
priorité » efficace mais il n'est pas pour autant suffisant
pour accéder à tel ou tel emploi (exception faite du
baccalauréat professionnel). Mais d'autre part, ne pas être
titulaire du baccalauréat compromet de plus en plus l'insertion dans le
monde du travail.
D. LES TROIS STADES SUCCESSIFS DU RITE
Si le baccalauréat a une forte portée sociale et
symbolique, cela ne suffit pas pour en faire un rite de passage. Si nous
restons fidèles à Van Gennep, l'efficacité symbolique
n'est pas la condition sine qua non pour faire d'une pratique un rite
de passage. Il faut que les trois temps ( séparation, marge et
agrégation ) viennent matérialiser le passage. Pour être
véritablement analysé comme un rite de passage, le
baccalauréat doit donc être sécable en trois parties. Le
passage du candidat, du statut de lycéen à celui
d'étudiant doit se faire en observant ces différentes
étapes de façon distincte. Aussi nous relevons dans le passage du
baccalauréat les trois moments suivants :
- D'abord la séparation établie entre les
candidats et tous les autres ;elle correspondant à la classe de
terminale.
- Ensuite la marge, pendant laquelle les candidats
« flottent » entre les étapes initiale et
terminale ; elle va de la période du passage des épreuves
à la publication des résultats.
- Enfin l'agrégation qui rattache les candidats (
reçus ) à un nouveau monde, celui des études
supérieures ; elle est matérialisée par une
inscription dans un établissement d'enseignement supérieur.
1. La séparation ( la classe de terminale
) :
Du statut de simple lycéen à celui de
candidat au baccalauréat.
Comme son nom l'indique la classe de terminale est l'ultime
étape du cycle supérieur (le lycée) de l'enseignement
secondaire. Elle est pour les élèves qui auront réussi
à se hisser jusqu'à ce niveau, l'aboutissement logique d'un long
parcours qui doit se clore par le passage de l'examen du baccalauréat.
D'ailleurs, les lycéens se disent, dans leur totalité, être
prêts à repasser plusieurs fois, s'il le fallait, l'examen pour
«le décrocher ». La classe de terminale semble
être la seule qui vaille autant de sacrifices à leurs yeux. Le
discours de Karine (18 ans, terminale S) « moi, je passerai le bac
autant de fois qu'il le faudra pour l'avoir, en espérant quand
même que ma première fois sera la bonne » est semblable
à celui des autres élèves interrogés.
Les lycéens semblent admettre plus l'idée de
redoubler plusieurs fois la terminale qu'aucune autre classe. Certains
considèrent que ce n'est pas « pareil de redoubler la terminale que
la seconde ou la première » dans la mesure où cette
classe est réputée plus difficile que les autres tandis que
d'autres évoquent la proximité du baccalauréat qui est au
bout de cette classe. Nous avons d'ailleurs, au cours des entretiens,
rencontré des redoublants ( de la classe de terminale ) qui
réaffirment leur volonté de repasser encore le
baccalauréat si cette année n'était pas la bonne. Mais ces
multiples passages n'entrent-ils pas en contradiction avec
l'irréversibilité du rite de passage ? Nous ne le
pensons pas. On peut tenter de passer à plusieurs reprises le
baccalauréat cependant, une fois que le passage est réussi,
l'ancien espace, le passé se retrouve irréversiblement
séparé du nouveau. Le bachelier n'est plus lycéen, il
devient étudiant. Il change de statut.
Dans les rites de passage, la séquence
« pré-liminaire » sépare l'individu du monde
antérieur dont il provient, où de l'état où il se
trouvait, sur un mode à la fois matériel et symbolique.
La classe de terminale sépare quelques six cent mille
(600 000) élèves de tout le reste des lycéens. Ces
élèves ont la pleine conscience de vivre une situation
particulière. Il faut souligner qu'en arrivant en classe de terminale,
l'élève passe du statut de simple lycéen à celui de
candidat au baccalauréat. Cette prise de conscience est d'autant plus
grande qu'elle est sans cesse nourrie par le discours du corps professoral et
les rappels des parents et de l'entourage.
Les professeurs rappellent, le plus souvent, aux
élèves l'échéance pour les motiver à
travailler. « Les profs sont lourds, nous dit Sandrine ( 19 ans,
terminale E.S ), ils arrêtent pas de nous dire qu'on a le bac à la
fin de l'année comme si on le savait pas nous même ».
Dans toutes les matières, les professeurs ne manquent
pas l'occasion de « garder sous tension » les candidats. Si
le but d'une telle stratégie ( la répétition ) est de
faire prendre conscience au candidat qu'il est à l'orée d'un
événement important, il est atteint assez aisément. Les
élèves étant même quelque fois agacés par ce
martèlement comme en témoigne Denise (18 ans, terminale L
) : « déjà en début d'année, ils te
font bien savoir que t'es en terminale et à chaque fois qu'ils rendent
des copies, ils ne nous loupent pas, du genre « il faudra rendre
autre chose au bac » avec ça on est au moins sûr que
nous sommes en terminale ».
Tout le travail effectué dans cette année de
terminale doit tendre vers cet unique objectif qu'est l'examen de fin
d'année d'où le sens de la formule de monsieur Lepennec
(professeur de philosophie au lycée Fresnel ) « nous sommes
tous là pour ça ». Non seulement les professeurs et les
élèves des classes de terminales sont là pour le
baccalauréat, mais aussi toute l'organisation du lycée se fait en
fonction de l'examen. Tout l'établissement est, en fin de compte,
« là pour ça ». Les classes de terminales
prouvant, par intervalle, leur primauté sur le reste du lycée.
Cette séparation des terminales et des « autres »
est d'autant plus visible que l'organisation de « bacs
blancs » ou « essais » nécessite, par
exemple, assez souvent la réquisition d'autres salles de classe ;
donc la mise en congé des autres lycéens, le temps des
épreuves.
Le discours parental est aussi assez récurent pour
rappeler aux candidats, si besoin en était, qu'ils sont dans la classe
du lycée où il faut fournir le plus d'efforts pour passer avec
succès le baccalauréat.
Le changement dans le discours des parents est net. Ils
veillent, dans cette classe de terminale, plus que jamais sur le bon
fonctionnement de la scolarité des enfants. Il y a un réel suivi
qui passe tantôt par une aide ou une assistance au devoir ( des cours
à domicile, pour ce qui en ont les moyens ) tantôt par une
incitation répétée au « bachotage ».
Les conséquences que cela entraîne sont l'augmentation
considérable du volume de travail qu'ils fournissent et la diminution
drastique des loisirs pour certains.
Ainsi, les candidats prennent conscience de l'implication de
leurs parents dans ce qui doit être leur ultime année au
lycée. Ils s'aperçoivent, pour certains d'entre eux, dans cette
année de terminale que les parents « angoissent et ont la
pression » pour reprendre leurs termes. Et cette forte
présence, les candidats ne l'ont notée que dans la classe de
terminale. « Mes parents sont constamment derrière moi. Je ne
peux pas rester tranquillement devant la télé sans qu'ils
viennent me dire « il faut que tu travailles, t'as ton bac à
préparer ». C'est vraiment incroyable comment ils
stressent » ( David, 17 ans, terminale S ).
Certains élèves ont même l'impression que
le baccalauréat est plus important pour leurs parents que pour eux
-mêmes, tellement ils les sentent les « pousser »
avec force vers cet objectif. Ce qui marque aussi la séparation de la
terminale des autres classes, c'est ce mouvement de l'entourage vers
l'échéance.
Ainsi pour Taoufikh ( 19 ans, terminale S ) la classe de
terminale est d'autant plus « pesante » qu'il
redouble : « C'est inhumain de vivre le même stress deux
années de suite. La terminale une fois ça suffit largement, c'est
une classe tellement crevant qu'il faut que je réussisse cette
année et puis mes parents sont tellement impliqués qu'il faut je
leur épargne le même stress. »
Cette forte implication des « autres »,
pour mettre les élèves dans les meilleures dispositions de
préparation de l'examen est un des éléments de ce moment
de séparation.
En effet, les candidats s'apprêtant à franchir le
passage du baccalauréat ne peuvent plus être les seuls
concernés par l'événement dans la mesure où nous
sommes dans le rite. Or comme le souligne justement Augé. M
« le rite est un spectacle et, en dehors de ceux qui l'accomplissent,
il y a, beaucoup plus nombreux, tous ceux qui sont concernés, qui s'y
investissent, qui y participent, ne serait-ce qu'en y assistant, à titre
individuel mais aussi avec d'autres (...) ».1(*)
Les candidats ne s'infligent pas, tout seuls, la
séparation. La société par l'intermédiaire de
l'école l'organise. Certes, le candidat subit les épreuves mais
l'enjeu concerne et mobilise un grand nombre d'individus. En sens la relation
du candidat aux autres marque, de façon significative, le rituel.
2. La marge : du passage des épreuves à
la publication des résultats
Le baccalauréat entraîne, de ce que nous en avons
dit jusqu'ici, une rupture spatio temporelle dans la vie de
l'élève. Celui -ci passe du statut de lycéen à
celui d'étudiant, du lycée à un établissement
supérieur.
S'il est rite de passage, le baccalauréat prend en
charge cette discontinuité en venant marquer l'avant et l'après
en créant un lien entre la séparation et
l'agrégation : c'est la marge ou la séquence «
liminaire ». Cette séquence place l'individu dans un moment
d'incertitude et de flottement.
Entre le moment où il a terminé la série
d'épreuves et la publication des résultats, le candidat est
difficilement « classifiable ». Quel est son statut ?
Est-il toujours lycéen ou bien est-il déjà
étudiant ? Il n'appartient plus clairement à aucune
structure scolaire. Comment le nommer alors, les mots ayant leur
importance? L'élève n'est plus lycéen à part
entière et pas encore tout à fait étudiant. Il n'est ni
l'un ni l'autre et il comme il est à la fois l'un et l'autre. Il est
placé dans une zone d'ambiguïté ou plus exactement
d'ambivalence.
Mais cette ambivalence est le propre même de la
séquence « liminaire » dans un rite de passage.
Après avoir passé les épreuves, l'élève est
dans ce moment crucial, d'attente des résultats qui vont
déterminer la suite de sa vie : il changera de statut ou
connaîtra le statu quo. Cette phase « liminaire » qui
est un moment d'attente et d'anxiété ( pour la plupart des
élèves ) marque la scansion du temps. Elle impose la prise de
conscience qu'une période s'achève pour faire apparaître
une autre. Cette marge place l'élève dans la situation
inconfortable de l'entre-deux ; il est situé entre la
séparation d'avec le passé ( donc une certaine mort ) et
l'éventuelle introduction dans un monde autre (une renaissance ).
Ce qui est important de noter ici, c'est l'existence d'une
marge qui semble intrinsèque au rite de passage du baccalauréat.
Comme le rappelle Nicole Belmont1(*) les changements brusques, les discontinuités
de la vie humaine ne fournissent pas naturellement de stade de marge, ce qui
nécessite souvent d'en créer un pour donner une épaisseur
temporelle au passage et élargir en même temps le seuil entre la
séparation et l'agrégation. Cette marge, ainsi
créée permet de séparer de manière
appréciable ce qui était auparavant de ci qui va advenir.
Dans le cadre du passage du baccalauréat, c'est
l'existence de la marge qui sous-tend le rite. Elle lui est nécessaire.
L'examen, dans sa forme actuelle, c'est-à-dire tel qu'il nous
apparaît comme un rite de passage est constitué d'une série
d'épreuves dont la correction et la publication des résultats
permettent de désigner ce qui sont
« habilités » à recevoir le diplôme de
bachelier. C'est seulement, et à partir seulement de ces
résultats ( sauf les cas litigieux qui nécessitent la
consultation du livret scolaire ) que l'élève peut passer du
statut de lycéen à celui d'étudiant. Donc, comme le
stipulait l'article 17 de la loi du 10 mai 1806, le grade de bachelier doit
être conféré par les facultés à la suite
d'examens et d'actes publics or la correction et la publication de ces
résultats (et l'organisation du baccalauréat en
générale) nécessitent toute une mobilisation de moyens
humains2(*), techniques et
financiers qui implique la « séquence » de la
marge.
Le baccalauréat satisfait depuis le 24 octobre 1863
à une règle immuable : donner les mêmes sujets dans
toutes les Académies ; des sujets destinés à
être traités, le même jour et à la même heure,
par la série de candidats appelés ce jour-la à prendre
part à l'épreuve.
C'est dire que si le baccalauréat était
mixé ou remplacé par les contrôles continus, comme
d'aucuns le suggèrent, c'est-à-dire la disparition de l'examen et
des actes publics qui le caractérise, la marge serait très
certainement très faible, voire inexistante, dans la mesure où
les élèves en faisant le calcul de leur moyenne annuelle,
connaîtraient, ipso facto leur position : admis ou
recalés. C'est peut-être la marge qui fait la magie et la
ritualité du baccalauréat.
3. L'agrégation : l'inscription dans un
établissement supérieur
Nous considérons l'inscription dans un
établissement supérieur comme la séquence
« post-liminaire » du baccalauréat dans la mesure
où aujourd'hui encore les bacheliers, en générale,
préfèrent entreprendre des études universitaires
l'année suivant l'obtention du baccalauréat.
Pour l'année universitaire 1998 - 1999, la
quasi-totalité des bacheliers généraux se sont
dirigés vers l'université ( 66,3% d'entre eux, hors IUT ) tandis
que 80,1% des bacheliers technologiques poursuivent également dans le
supérieur. Le fait que la grande majorité d'entre eux s'inscrit
dans les filières courtes ( 45,6% en STS et 9,9% en IUT ) importe peu
ici. Quant aux bacheliers professionnels, le nombre d'entre eux qui cherchent
à poursuivre leurs études est en constante augmentation (
17,5% se sont orientés en STS ).
Ainsi, l'inscription dans un établissement
supérieur, pour la grande majorité des bacheliers est l'ultime
étape dans le long processus du passage du baccalauréat. Elle
récompense le courage déployé pour abattre la forte charge
de travail et les sacrifices consentis pendant les longs mois de limitation ou
de privation de loisirs.
En effet, ce que beaucoup d'étudiants rappellent
pendant les entretiens, c'est le soulagement et le sentiment de justice qu'ils
ont ressentis au moment de leur inscription à l'université. Les
emplois du temps « surchargés » et le
« bachotage sans relâche », « les sorties
au compte goutte » et « le droit de ne presque rien
faire », « surtout pas regarder trop la
télé » pour reprendre leurs termes, auront
été payants. Ils ont été
récompensés.
L'inscription dans un établissement supérieur
marque donc l'aboutissement de tout le travail accompli durant l'année
charnière de terminale (et dans les autres classes), mais elle signifie
aussi et surtout l'introduction du nouveau bachelier dans un monde autre, le
monde de l'enseignement supérieur. Si le passage du statut de
lycéen à celui d'étudiant peut être
légitimement analysé comme une continuité dans le cursus
scolaire, nous la voyons davantage, dans la logique de la ritualité,
comme une discontinuité, une rupture.
En effet, le lycéen s'efface pour laisser place
à l'étudiant. Paradoxalement, ce passage qui introduit le
lycéen dans le monde universitaire pour en faire un étudiant,
donc un « adulte » selon les propres mots des
élèves, est très encadré. Les élèves
arrivent généralement accompagnés par leur famille.
Ayant travaillé, pendant trois rentrées
universitaires, à la scolarité générale de
l'université de Caen (en tant que conseiller mutualiste), j'ai
été un spectateur privilégié des
cérémonies d'agrégation des nouveaux étudiants. Les
nouveaux bacheliers entrent dans le hall des inscriptions avec leurs parents
(certains étant même accompagnés en plus des parents, par
la fratrie et les grands-parents).
Il y a, nous le soulignions, comme un paradoxe. Si
l'université est un monde d'adulte, pourquoi les élèves ne
viennent-ils pas s'y inscrire tout seuls, comme des personnes
« responsables » et capables de se gérer de
façon autonome ? Ce paradoxe n'en est cependant pas si nous
l'analysons à la lumière du champ des rites de passage.
En effet, lorsque nous nous rapportons à notre grille
d'analyse de la symbolisation rituelle, l'accompagnement parental y prend tout
son sens. Il s'agit d'une renaissance. Les parents, comme à la naissance
du bébé ou lors du premier passage de l'enfant à la
maternelle sont présents pour guider ses premiers pas dans la
nouveauté et l'inconnu. Il est très tentant d'établir ici
un parallèle, certes dans un autre domaine, avec le rituel de la
tétée du voyageur au Sénégal.
Le départ du fils ( il s'agit
généralement d'un adulte ou d'un post adolescent ), de la maison
familiale, dans le cadre d'un exode rural ou d'une émigration est
aujourd'hui encore souvent marqué par une tétée qu'il
reçoit de sa mère (ou par procuration de sa grand-mère ).
Si la tétée n'est habituellement rien d'autre que l'alimentation
du nourrisson, ici elle revêt une autre signification. Elle marque une
séparation qui s'annonce longue et après laquelle le voyageur
s'engouffrera dans un nouveau monde. L'accompagnement des parents du nouveau
bachelier à son inscription est tout aussi significative que cette
tétée.
L'agrégation de l'élève au nouveau monde
qui s'ouvre à lui est marquée de plusieurs manières. Elle
est scindée en deux parties qui correspondent aux inscriptions
administrative et pédagogique.
L'inscription administrative consiste à délivrer
au bachelier sa carte d'étudiant au bout d'un long parcours : il
doit passer dans pas moins de six bureaux pour pouvoir posséder enfin
son attestation d'étudiant. Cette carte agrége officiellement le
nouveau bachelier, au monde des étudiants. Il y est fiché,
répertorié et classé. La possession de sa propre carte de
sécurité sociale est aussi une autre manière de signifier
au désormais étudiant, son agrégation dans ce monde, un
monde d'adulte. En effet, l'étudiant à son inscription, doit
s'affilier obligatoirement ( sauf cas exceptionnels ) au régime de
sécurité sociale étudiante. Même s'il peut encore
garder « la complémentaire santé » de ses
parents, l'appartenance de facto à la sécurité
sociale étudiante et donc la possession de son propre numéro
d'immatriculation sociale peut être considérée comme une
« adultérisation » de l'étudiant. Elle marque
la « responsabilisation » dans l'enseignement
supérieur qu'évoquaient les lycéens dans les entretiens.
En effet, un lycéen de vingt et un ans sera encore sur la carte de
sécurité sociale de ses parents ( sauf s'il exerce ou a
déjà exercé une profession ) tandis que l'étudiant
de dix huit ans aura sa propre carte à partir du moment il a
effectué son inscription dans l'enseignement supérieur.
Le baccalauréat fait apparaître une attitude
différente de chaque coté de la barrière ; d'une part
une « adultérisation » de l'étudiant, d'autre
part une « juvénélisation » du lycéen.
L'inscription pédagogique, comme son nom l'indique,
avalise le choix pédagogique de l'étudiant. Elle marque
l'appartenance de celui-ci à un groupe dans le monde universitaire.
Grâce au tampon de son unité de formation et de recherche ( UFR
),le bachelier est reconnu, de façon définitive et
légitime comme un étudiant.
Cependant, nous pouvons nous demander si cette
agrégation du lycéen au monde étudiant ne fait pas
apparaître le baccalauréat comme un « rite
d'institution ». En effet, si un rite d'institution est celui
qui « tend à consacrer ou à légitimer,
c'est-à-dire qu'il fait méconnaître en tant
qu'arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une
limite arbitraire »1(*) alors le baccalauréat est un rite
d'institution. Effectivement il sépare ceux qui ont réussi
l'examen de sont qui ont échoué en consacrant et en
légitimant les premiers avec notamment le diplôme de bachelier et
la carte d'étudiant. En même temps le baccalauréat ne
saurait être un simple rite d'institution ou de consécration dans
la mesure où, selon Bourdieu, les rites d'institution ont pour effet de
séparer ceux qui ont subi le rite de « ceux qui ne le
subiront en aucune façon », et d'instituer ainsi une
différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu'il ne
concerne pas.
En effet, la volonté politique d'accorder le
baccalauréat au plus grand nombre, c'est-à-dire de le faire subir
à long terme à toute une classe d'âge rend, aujourd'hui,
moins pertinent l'idée d'associer le baccalauréat à un
rite d'institution ; d'autant plus qu'il n y a plus de distinction de sexe
comme se fut le cas aux débuts de l'examen.
En 1999, 78,5% des candidats au baccalauréat ont
été reçus, les filles réussissant mieux que les
garçons (80,9% contre 75,5%).
L'obtention de la carte d'étudiant, achève notre
étude. En effet, elle marque le nouveau statut de l'élève
ou plus exactement de l'étudiant. Pour devenir étudiant, il aura
fallu au candidat, après une longue scolarité, passer l'obstacle
du baccalauréat.
Conclusion
Les ethnologues se servaient de leurs connaissances
théoriques et conceptuelles pour étudier avec le plus
d'objectivité possible, des sociétés traditionnelles et
« lointaines » qui n'étaient pas les leurs ;
nous avons voulu, pour notre part, essayer de mettre en exergue un fait social
de la société dans laquelle nous évoluons depuis notre
passage du baccalauréat.
Nous ne prétendons aucunement, nous rapprocher de ces
ethnologues, ni même faire de l'ethnologie à l'envers. D'ailleurs
le voudrions-nous, cela ferait-il sens ? Parce que d'une part, dans le
monde moderne, ce qui était autrefois du domaine de l'extérieur,
du lointain et du distant peut aussi relever de l'immédiat, du proche et
du familier. Malgré les écarts pouvant encore exister entre les
sociétés traditionnelles et les sociétés modernes,
il y a néanmoins un métissage et un rapprochement des cultures
via les mondialisations. D'autre part, l'élargissement du champ
ethnologique aux sociétés modernes et / ou le
développement de l'anthropo-sociologie rendrait caduque une telle
entreprise.
Dans notre démarche de lire le passage du
baccalauréat avec les lunettes de l'anthropo-sociologie, nous avons
voulu saisir en quoi le baccalauréat, avec toute la symbolique qu'elle
revêt en France, marque de façon significative l'entrée du
lycéen dans un monde autre. En d'autres termes, il s'agissait de voir si
le baccalauréat, à l'instar de la circoncision ou d'autres
cérémonies dans les sociétés traditionnelles, ne
marque pas dans une société moderne occidentale comme la France
un rite de passage : un passage à l'âge adulte.
Dans la première partie de notre étude, nous
avons fait l'état des lieux des rites de passage en France, après
avoir tenté de cerner la notion de rite. La ritualité y est
apparue très difficile à définir à cause notamment
de la plasticité de la notion. Les auteurs en définissant le rite
ont d'ailleurs irrésistiblement glissé vers sa fonction. Ils se
sont appliqués à trouver le sens des rituels dans leur
efficacité. Par contre, les rites de passage semblent être plus
commodes à saisir dans la mesure où ils ont été
formalisés dans un schéma par Arnold Van Gennep. Au-delà
de leur efficacité, on doit toujours observer dan les rites de passage
les trois séquences que constituent la séparation, la marge et
l'agrégation.
A la question de savoir si la société
française est déritualisée, nous avons rappelé les
deux positions qui s'opposent. Certains auteurs soutiennent que les rites
déclinent logiquement dans les sociétés modernes
occidentales du fait notamment de la sécularisation qui y a cours.
D'autres, au contraire, considèrent qu'il s'agit plus d'une
transformation que d'une disparition des rites.
En effet, l'argument décisif avancé est qu'il ne
peut pas y avoir de rapports sociaux sans actes symboliques or les rites ne
sont rien d'autres que la formalisation et la répétition de ses
actes. Toute société humaine, quelle qu'elle soit, est
tissée dans une toile de sens.
A la lecture de cette divergence, nous n'avons voulu
éviter dans notre démarche les écueils que sont le
« rien rituel » et le « tout
rituel ».
Dans la seconde partie, nous nous sommes bornés
à retracer l'historiographie de l'examen. Ainsi nous avons vu que le
baccalauréat, en France, trouve ses origines dans le moyen âge et
dans l'aristocratie ancienne avant d'être institué
définitivement par l'empereur Napoléon Bonaparte comme le premier
diplôme universitaire. Il n'a dès lors cessé d'être
traversé par les réformes et les vagues de polémiques qui
les accompagnent.
Des réformes telles que celles de Victor Duruy, de 1890
ou encore de 1902 ont apporté au baccalauréat une assise
définitive qui lui a permis de subsister malgré les innombrables
tentatives d'abolition. Plus récemment, les gouvernements ont
essayé d'apporter leur pierre à l'édifice soit par la
modification de certains aspects de l'examen (introduction ou suppression de
matières) soit par l'émission de simples projets. Aucune
manoeuvre ministérielle n'a laissé l'opinion indifférente.
En effet l'attachement au baccalauréat et / ou à ce qu'il
représente semble être d'autant plus forte qu'il s'inscrit dans le
temps. Le baccalauréat, dans sa forme « moderne »,
est aujourd'hui bicentenaire. Certains ministres de l'Education Nationale, en
voulant trop bousculer l'édifice monumental du baccalauréat ont
appris à leur dépend son efficacité symbolique et
sociale.
Il ressort de la troisième partie de notre analyse que
le baccalauréat est le grand baromètre de l'enseignement
secondaire. Tout dans le second cycle semble s'organisait autour de l'examen.
Cette consécration du baccalauréat s'expliquerait donc, d'une
part, par son rôle d'édifice deux fois séculaires soutenant
une construction complexe, d'autre part par une efficacité à la
fois sociale et symbolique.
Le baccalauréat reste malgré les controverses
qui l'accompagnent depuis sa création une référence dans
la société française. L'impératif d'organiser
l'examen quoi qu'il arrive (exemple de la seconde guerre mondiale ou des
événements de mai 1968) traduit la volonté de conserver ce
repère fixe dans une société mouvementée. En cela,
le baccalauréat est un rite qui dans cette société
à forte mobilité permet, comme tous les rites de maîtriser
le temps. Il constitue, dans le mouvement, une fixité ou un
repère stable qui permet à la société de se
rassurer sur une maîtrise des événements qui adviennent bon
gré malgré.
Le baccalauréat représente le gage de
l'existence de l'éducation et de son sérieux. Il est, pour les
politiques à la fois la preuve tangible du bon fonctionnement du
système et du socle à partir duquel les jeunes construiront leur
avenir et celui du pays. C'est un examen et / ou un diplôme qui a une
efficacité toute sociale ; en cela aussi le baccalauréat
constitue un rite.
Les élèves intègrent le
baccalauréat comme une nécessité dans la
société dans laquelle ils vivent. Il constitue pour eux le moyen
d'acquérir « une plus grande culture »,
« plus de liberté » ou encore «de trouver un
emploi ».
Par tous ces parchemins qu'il est sensé offrir, le
baccalauréat concentre en lui une forte charge tout aussi sociale que
symbolique. En effet, par son existence, il agit sur les élèves
en reproduisant un consensus autour des valeurs partagées par la
société (les valeurs de travail et de réussite), mais il
leur offre aussi la possibilité de montrer qu'ils peuvent s'adapter au
mode de fonctionnement de la société. Le baccalauréat a
donc une efficacité toute symbolique. En cela également, il est
un rite.
Enfin le baccalauréat est le passage d'un monde
à un autre d'un statut déterminé à un autre statut
tout aussi déterminé. Le passage étant marqué par
le formalisme, la solennité, le cérémonial, et par
l'observance de normes et de pratiques prescrites : préparation,
inscription, lieu et horaire des examens, annonce des résultats,
inscription à l'université. Ce passage respecte aussi, de
façon précise, les moments de séparation, de marge et
d'agrégation. En cela, le baccalauréat est un rite de passage.
ANNNEXES
ANNEXE 1
Proportion de bacheliers dans une génération
(en %)
ANNEXE 2
Taux de bacheliers poursuivant des études
après le baccalauréat 1999
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Vidéothèque
LA CINQUIEME RENCONTRE
« Les enfants du bac », une
enquête au lycée Paul Eluard à Saint-Denis (93),
réalisée par Bolot. B et Demoy. G, GMT Production / La
sept-Arté, France, 1993
* 1 Ségalen. M, Rites
et rituels contemporains, Edition Nathan, Paris, 1998.
* 1 Si « L'
école de Jules Ferry » est un terme très usité,
nous verrons que le système scolaire français doit autant, sinon
plus à Victor Duruy et à d'autres qu'au célèbre
administrateur.
* 1 Blanchet. A, L'entretien
dans les sciences sociales, donold, Paris, 1985.
* 1 Ségalen. M, Rites
et rituels contemporains, op., p.5.
* 2 Durkeim. E, Les formes
élémentaires de la vie religieuse : le système
totémique en Australie, Paris, felix Alcan, 1912.
* 3 ibid. p.13
* 1 Augé. M,
Entretien avec Marc Augé réalisé par André Mary
(Le questionnement du rite ), in L'impératif rituel, Cahiers du
LASA, N°10, 1er semestre 1989, p.172.
* 2 Durkheim. E, Les formes
élémentaires de la vie religieuse : le système
totémique en Australie, op. cit., p.552.
* 3 Ségalen. M, Rites
et rituels contemporains, op. cit., p.17.
* 4 Levi-strauss. C,
Anthropologie structurale, op. cit., Paris, Plon, 1958, Chap X
« l'efficacité symbolique », p.211.
* 1 Bourdieu. P, Les rites
comme actes d'institution, Actes de la recherche en sciences sociales,
1982, 43, 58-63.
* 2 Isambert. F, Rite et
efficacité symbolique, Cerf, Paris, 1979.
* 3 Christinat. J-L, Le
rite, générateur de liens sociaux, in Les rites de
passage aujourd'hui, Actes du colloque de Neuchâtel 1981, L'Age
d'Homme, Lausanne, 1986, p.138.
* 4 Ségalen. M,
Rites et rituels contemporains, op. cit., p.20.
* 1 Segalen. M, op. cit.,
p.29.
* 2 Van Gennep. A, Les
rites de passage, op. cit., pp.5-6.
* 1 Legendre. P, La
fabrique de l'homme occidental, Arté-Editions, Mille et une nuit,
1996, p.12.
* 1 Rivière. Cl, Les
rites profanes, Paris, Presse Universitaire de France, 1995.
* 2 Nous avons vu plus haut la
dichotomie entre sociétés lointaines et sociétés
proches.
* 1 Ségalen. M,
Rites et rituels contemporains, op. cit., p.23.
* 2 Lorquin. Claire 1993,
« albums de bébe », in Ségalen M et
Le Wila Béatrix (dir), objets et décors : des
créations familiales ? Autrement, 137, mai, pp.182-196.
* 1 Balandier. G,
Anthrop-logique, Puf, Paris, 1974.
* 1 Ségalen. M,
Rites et rituels contemporains, op. cit., p.24.
* 1 Douglas. M, De la
souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, F.
Maspero, 1971, p.81.
* 2 Séca. J-M,
Vocations rock, Paris, Méridiens-klincksieck, 1988, p.229.
* 1 Séca. J-M,
Vocations rock, op. cit., p.229.
* 2 Rivière. Cl, les
rites profanes, op. cit., p.127
* 1 Avec la collaboration
d'Hayot Alain et Mariottini Jean-Marc, Le match de football. Ethnologie
d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Paris,
Editions de la MSH, 1995
* 2 Bromberger. C, Le match
de football. Ethnologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et
Turin, op. cit., p.321.
* 1 Belmont. N, La notion
de rite de passage, in Les rites de passage aujourd'hui, Actes du colloque
de Neuchâtel 1981, op. cit., p.17.
* 1 Piobetta. J. B, Le
baccalauréat, Baillière et Fils, Paris, 1937.
* 2 Exception faite de
l'ouvrage de Solaux. G, Le baccalauréat, La Documentation
française, Paris, 1995
* 1 Decaunes. L,
Réformes et projets de réforme de l'enseignement
français de la révolution à nos jours (1789-1960),
Institut Pédagogique National, Paris, 1962, p.12.
* 1 Bernard. H. C,
Education and the French Revolution, Cambridge University Press, 1969,
pp.166-168.
* 2 Voir Decaunes. L,
Réformes et projets de réforme de l'enseignement
français de la révolution à nos jours
(1789-1960), op.cit., p.12.
* 3 Bernard. H. C,
Education and the french Revolution, op. cit., p 175.
* 4 ibid. p.186.
* 5 Prost. A,
L'enseignement en France 1800-1967, Colin, Paris, 1968, p.24.
* 1 Piobetta. J. B, Le
baccalauréat, op. cit., p.23.
* 2 ibid. Voir aussi Prost. A,
L'enseignement en France 1800-1967,op. cit., p.24.
* 1 Prost. A,
L'enseignement en France 1800-1967, op. cit., p.162.
* 2 Gagen. W, The
development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role
within the french education system, N. ed, Octobre 1983, p.14.
* 3 Piobetta.J. B, Le
baccalauréat, op. cit., p.24.
* 4 Bernard.H.C, Education
and the french Revolution, op. cit., p.217. Voir aussi Decaunes.L,
Réformes et projets de l'enseignement français de la
révolution à nos jours (1789-1960), op. cit., p.25.
* 1 Piobetta. J.B, Le
baccalauréat, op. cit., p.33.
* 2 ibid
* 3 ibid
* 4 Rapporté par
Piobetta. J. B, Le baccalauréat, op. cit., p34.
* 1 Rapporté par
Piobetta, Le baccalauréat, op. cit., p.116.
* 2 ibid.
* 3 ibid.
* 1 Le ministre Georges Weill
cité par Piobetta. J. B, in Le baccalauréat, op. cit., p132.
* 1 Voir Piobetta, Le
baccalauréat, chap Conflit pédagogique.
* 2 ibid.
* 1 Piobetta. J. B, Le
baccalauréat, op. cit., p188.
* 1 schéma
emprunté à Gagen. W, The development of the baccalauréat
examination (1808-1983) and its role within the french education system, op.
cit., pp 42 à 48.
* 1 Combes cité par
Piobetta à la page 213.
* 2 ibid
* 1 Rapporté par
Piobetta, in Le baccalauréat, op. cit., p241.
* 2 ibid.
* 1 Statistiques que Gagen tire
de : Le baccalauréat, Etudes et documents (81.2),
Ministère de l'Education Nationale (SEIS), Paris, 1981, p14.
* 2 Gagen. W, The
development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role
within the french education system, op. cit ., p.57.
* C'est la dernière année
des baccalauréats (classique ou moderne) et la première
année du baccalauréat unifié, institué par la
réforme de 1902. Ainsi le nombre total de diplômés en 1905
s'élève à 7329.
* 1 Par
génération nous comprenons promotion.
* 1 Gagen. W, The
development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role
within the french education system,, op. cit., p.63.
* 1 Prost. A, L'enseignement en
France 1800-1967, op. cit., p262.
* 2 Prost. A, op. cit., p
264.
* 1 Prost. A, L'enseignement en
France 1800-1967, op. cit., p264.
* 2 Gagen. W, The
development of the baccalauréat examination (1808-1983) and its role
within the french education system, p72.
* 1 Solaux. G, Le
baccalauréat, la Documentation française, Paris, 1995,
p.17.
* 2 ibid.
* 1 Rapporté par Solaux.
G, Le baccalauréat, p19.
* 1 Rapporté par Solaux.
G, Le baccalauréat, op. cit., p.24.
* 1 rapporté par Solaux,
Le baccalauréat, op. cit., p.25.
* 1 Jospin cité par
Solaux, in Le baccalauréat, op, cit., p42.
* 1 Rivière. Cl, Les
rites profanes, Presses Universitaires de France, 1995.
* 2 ibid, p.85.
* 1 Van gennep. A, Les
rites de passage, Paris, Nourry, 1909.
* 2 Pujol. F., Rites
éducatifs et de passage : La situation dans le cadre des
premières années de scolarisation, Note de recherche de
licence d'anthropologie sociale, Univ. De Paris V, 1993, 30p.
ronoété.
* 1 Solaux. G, Le
baccalauréat, op. cit., p.58.
* 1 Solaux. G, Le
baccalauréat, op. cit., p.62.
* 1 Duplaix.
Thérèse, proviseur du lycée Paul Eluard, Extrait de
l'émission : LA CINQUIEME RENCONTRE, « Les enfants du
bac » .Une enquête au lycée Paul Eluard à
Saint Denis (93), réalisée par Bruno Bolot et Guy Demoy, GMT
Production / la sept-Arté, France, 1993.
* 1 Prost. A, Les
lycées et leurs études au seuil du 21ème
siècle, CNDP, 1983.
* 1 Pouteau.
Hélène, « La magie sociale du rite
baptismal », in L'impératif rituel, cahiers du LASA,
N°10, 1er Semestre 1989, p.91.
* 1 Archives du M.E.N.
* 2 ibid.
* 1 Jaulin. R, LA MORT
SARA, l'ordre de la vie ou la pensée de la mort au Tchad, Plon,
Paris, 1967.
* 1 Boudon. R,
L'inégalité des chances. La mobilité sociale dans les
sociétés industrielles, A. Colin, 1973
* 1 Pour une analyse plus
approfondie, voir Merlier. D, Les enquêtes de mobilité
sociale, PUF, Paris, 1994 ou Terrail. J - P, Les ouvriers et
l'école : le sens de la réussite, Société
française, 9, 4 - 7, ou bien encore Bourdieu. P et ses collaborateurs,
La reproduction. Eléments pour une théorie du système
d'enseignement, Minuit, Paris, 1970.
* 1 Augé. M,
Entretien avec Marc Augé réalisé par André Mary
(Le questionnement du rite ), in L'impératif rituel, op. cit,
p169.
* 1 Belmont. N, La notion
de rite de passage, in Les rites de passage aujourd'hui, op. cit.,
p.17.
* 2 Environ 119.000 correcteurs
selon le Ministère de l'Education Nationale
* 1 Bourdieu. P, Les rites
comme actes d'institution, in Acte de la recherche en sciences sociales,
op. cit., p.62.
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