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Le baccalauréat: Un rite de passage dans une société moderne occidentale comme la France ?

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par Abdou Khadre LO
Université de Caen Basse-Normandie - Maîtrise de Sociologie 2000
  

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I. L'efficacité sociale du baccalauréat

C'est une gageure de dire que la société française accorde une immense importance sociale et culturelle au baccalauréat en tant qu'examen et en tant que diplôme. Cette représentation est très notable au sein des institutions étatiques.

La cour des comptes, par exemple, considère que chaque année et depuis quelques temps, les diagnostics les plus sombres sont désormais formulés sur cet examen.

Ainsi, le diplôme délivré à un nombre croissant de candidats aurait perdu de sa valeur passée ; son caractère national dissimulerait mal une grande diversité de situations, voire des inégalités profondes entre les candidats. Bien plus, son avenir même serait douteux, moins parce que sa fonction serait contestée que parce qu'il serait de plus en plus malaisé d'en assurer le bon déroulement matériel.

Le thème du « baccalauréat n'aura pas lieu » semble ainsi à la frange du constat objectif et de l'hypothèse de « science-fiction administrative.» Le baccalauréat suscite toujours d'énormes interrogations pour les administrateurs. En somme, il jouit dans les représentations administratives et des pouvoirs publics en général, dans celles du public et des enseignants, d'un statut de « clef de voûte de l'enseignement français ».

Le baccalauréat est le diplôme sans lequel l'avenir professionnel et social de chacun semble incertain, voir compromis. En tout cas, les élèves que nous avons interrogés en sont convaincus. « Le baccalauréat va me permettre de faire mes études et de pouvoir travailler après » dit Delphine ( 19 ans, de terminale S). Tous les autres interviewés abondent dans son sens. Ainsi Stéphanie, (18 ans, terminale S) considère que « c'est un examen qui compte beaucoup pour les parents et qui permet de poursuivre des études supérieures. Sans le bac pas de débouché ». Nous reviendrons plus bas sur cette représentation du baccalauréat chez les élèves qui nous ont accordé un entretien.

Pour en revenir donc, à la notion de « clef de voûte de l'enseignement français », il est bien connu que la clef de voûte soutient l'édifice et que la supprimer revient à décider de sa démolition.

Le baccalauréat représente ainsi le gage de l'existence de l'éducation et de son sérieux. Il est à la fois la preuve tangible du bon fonctionnement du système et le socle à partir duquel les jeunes construiront leur avenir et celui du pays. Les dirigeants politiques se plaisent de le rappeler assez souvent.

C'est par exemple en ces termes que s'exprimait Jean-Pierre Chevènement le 8 octobre 1985 devant l'assemblée nationale, lors de la présentation de la loi sur l'enseignement général et technologique qui créait le baccalauréat professionnel : « C'est à tous les jeunes qu'il faut donner les moyens d'être des acteurs inventifs de la construction du monde industriel et du monde économique (...). Les pays téchnologiquement plus performants que le nôtre ont tous des systèmes éducatifs qui offrent à leur jeunesse une grande possibilité d'arriver à un niveau supérieur de formation. Le Japon, les Etats-Unis, l'Allemagne ont pratiquement déjà réalisé la scolarisation à dix huit ans et conduisent près de 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat (...). Avoir plus de bacheliers, c'est la seule façon en effet d'avoir plus de chercheurs, d'ingénieurs, de techniciens, d'ouvriers qualifiés». Le baccalauréat est donc vecteur de développement et indicateur du niveau de développement d'un pays, si on traduit les propos du ministre.

Aussi condition des progrès collectifs et individuels, le baccalauréat justifie qu'on lui donne une telle importance dans la vie de l'école et de la nation tout entière. Et les médias, prompts à traiter en priorité les problèmes les plus visibles de l'école, ceux qui interpellent le plus l'opinion, traduisent bien cette efficacité (sociale).

En effet, un des meilleurs outils pour mesurer cette efficacité est la presse. Elle se saisit de toute annonce de réforme des modalités d'examen qui ne fait pas l'unanimité. Ainsi lorsque Jack Lang proposa en décembre 1992 l'introduction du contrôle en cours de formation et la possibilité de conserver le bénéfice des notes supérieures à la moyenne pendant cinq ans. Le Quotidien de Paris du 16 décembre titre : « le bac à cinq temps, nouveau tube de Jack Lang », La Tribune : « Un baccalauréat capitalisable en cinq ans » et Libération : « Le baccalauréat rénové en douceur pour 1995».

La tonalité générale des articles est plutôt informative, la liste des propositions est rapportée et les commentaires à chaud sont relativement prudents.

IL faut attendre le lendemain, 17 décembre pour voir les oppositions syndicales et politiques se déchaîner littéralement contre les deux innovations introduites dans les modalités de passation. Tandis que les propositions relatives aux coefficients sont oubliées, Le Quotidien de Paris titre : « Des couacs dans le bac à cinq temps », il annonce des propositions ministérielles que viennent abondamment commenter des personnages porteurs de discours opposés. La Société des agrégés dénonce « la mise en oeuvre rampante d'une sorte de pseudo-baccalauréat».

Du coté de l'opposition politique, certains porte-parole protestent. Ainsi, Armel Pécheul, secrétaire national du RPR, dénonce « la grande braderie avant la fermeture». En fait, il est reproché à Jack Lang une introduction massive du contrôle en cours de formation dans des épreuves où il ne s'impose pas. Ses détracteurs jugent sa réforme condamnable et allant à l'encontre du baccalauréat.

Cette même annonce du ministre inspire au Figaro le titre : « Haro sur le bac en cinq ans... la réforme de l'examen présentée par Jack Lang suscite une série de réactions négatives» ; Le Monde parle de « réactions divergentes à la rénovation du baccalauréat ».

Cet ensemble de réactions montre la mobilisation affective que suscite toute référence au diplôme. Mais les réactions sont généralement organisées autour de la défense d'un examen académique et anonyme, ces deux qualificatifs étant censés garantir la valeur du diplôme. Mais ce qui apparaît le plus clairement, ce sont les oppositions irréductibles qui séparent les défenseurs de l'existant des partisans de la rénovation.

Le baccalauréat met, ici, les divisions du corps social au jour, et attise des réactions violentes. Cette violence verbale manifeste que le baccalauréat cristallise l'ensemble des oppositions relatives aux conceptions de l'éducation.

Tout se passe comme s'il s'agissait réellement d'une clef de voûte : certains voudraient la maintenir à tout prix, afin de conserver en l'état la totalité de l'édifice qu'elle soutient, d'autres tenteraient de la supprimer en vue de modifier et de faire évoluer l'architecture de l'ensemble. Le baccalauréat représente dans ces conditions un symbole voué à l'immobilisme. Mais cela n'est-il pas justement une caractéristique de son efficacité sociale ? On peut le concevoir dans la mesure où comme le précisait Antoine Prost dans son rapport de 1983 sur les lycées, « toute tentative pour le remettre radicalement en cause paraît vouée à l'échec ».

En dehors des périodes de réformes, le baccalauréat fait également la « une » en fin d'année scolaire, lorsque les élèves de terminale deviennent au moins de juin des « candidats ». Tous les ans, en effet, au début du moins de juin, la passation des épreuves de philosophie, qui inaugurent le calendrier des épreuves du baccalauréat, donne lieu à des articles, des reportages et à diverses déclarations. Les sujets des différents groupements d'académies sont rapportés avec quelques commentaires.

Les caméras de télévision captent l'angoisse des candidats qui pénètrent dans les salles d'examen, les micros enregistrent leurs commentaires sur le degré de difficulté des épreuves. Certaines publications présentent quelques jours auparavant les régimes alimentaires les plus appropriés à la nécessaire mise en forme intellectuelle et physique des candidats qui souhaitent « mettre toutes les chances de leur coté ».

La presse diffuse ensuite les « bavures », fuites et fraudes connues, quelques anecdotes émaillant la passation des épreuves et enfin les résultats. Le ministère de l'Education nationale est complice de cette médiatisation : depuis quelques années, des conférences de presse sont systématiquement organisées en vue de commenter les résultats et les progressions observées d'une année à l'autre selon les séries.

Ces résultats sont exploités par les médias de deux manières. Certains journaux font état des différences observées entre les établissements, établissant ainsi une sorte de palmarès des lycées. D'autres enquêtes font, pour leur part, référence aux remarques des correcteurs et à « la baisse du niveau » des copies des élèves, donc à l'affaiblissement de la clef de voûte de système. Cela signifie t-il qu'il va s'écrouler ? Rien n'est moins sûr.

Utiles pour rendre plus transparent un système bien opaque, les informations données par les journaux n'embrassent cependant qu'une partie de la réalité.

Leurs publications parviennent à toucher un nombreux public en mettant certains aspects au premier plan.

Les comparaisons dans l'espace (entre les établissements) et dans le temps (la baisse du niveau par rapport à telle ou telle période) sont généralement structurées en vue de montrer la faiblesse de certains lieux (au regard de la force d'autres lieux et périodes). L'actuel, l'ici et maintenant sont alors ressentis comme ne permettant plus la construction de l'avenir individuel (« le baccalauréat ne vaut plus rien ») ou collectif (disposer de diplômés susceptibles de contribuer au développement économique du pays).

On joue ici sur le registre de l'angoisse, sur la genèse de l'anxiété, sur l'un des pôles fondamentaux des craintes individuelles et collectives, celui des incertitudes quant à l'avenir. Et cela marche très bien. Les élèves que nous avons interrogés imaginent mal l'avenir dont ils rêvent se dérouler sans l'obtention du baccalauréat. « Il me faut le baccalauréat » est une affirmation qu'ils ont tous martelée. Certains ajoutent même le terme « absolument ».

Le baccalauréat est une nécessité pour les élèves. Et cette obligation d'avoir le diplôme traduit très certainement le pouvoir social de celui-ci mais aussi autre chose d'au moins aussi fort : l'efficacité symbolique.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle