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Le baccalauréat: Un rite de passage dans une société moderne occidentale comme la France ?

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par Abdou Khadre LO
Université de Caen Basse-Normandie - Maîtrise de Sociologie 2000
  

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D. LES TROIS STADES SUCCESSIFS DU RITE

Si le baccalauréat a une forte portée sociale et symbolique, cela ne suffit pas pour en faire un rite de passage. Si nous restons fidèles à Van Gennep, l'efficacité symbolique n'est pas la condition sine qua non pour faire d'une pratique un rite de passage. Il faut que les trois temps ( séparation, marge et agrégation ) viennent matérialiser le passage. Pour être véritablement analysé comme un rite de passage, le baccalauréat doit donc être sécable en trois parties. Le passage du candidat, du statut de lycéen à celui d'étudiant doit se faire en observant ces différentes étapes de façon distincte. Aussi nous relevons dans le passage du baccalauréat les trois moments suivants :

- D'abord la séparation établie entre les candidats et tous les autres ;elle correspondant à la classe de terminale.

- Ensuite la marge, pendant laquelle les candidats « flottent » entre les étapes initiale et terminale ; elle va de la période du passage des épreuves à la publication des résultats.

- Enfin l'agrégation qui rattache les candidats ( reçus ) à un nouveau monde, celui des études supérieures ; elle est matérialisée par une inscription dans un établissement d'enseignement supérieur.

1. La séparation ( la classe de terminale ) :

Du statut de simple lycéen à celui de candidat au baccalauréat.

Comme son nom l'indique la classe de terminale est l'ultime étape du cycle supérieur (le lycée) de l'enseignement secondaire. Elle est pour les élèves qui auront réussi à se hisser jusqu'à ce niveau, l'aboutissement logique d'un long parcours qui doit se clore par le passage de l'examen du baccalauréat. D'ailleurs, les lycéens se disent, dans leur totalité, être prêts à repasser plusieurs fois, s'il le fallait, l'examen pour «le décrocher ». La classe de terminale semble être la seule qui vaille autant de sacrifices à leurs yeux. Le discours de Karine (18 ans, terminale S) « moi, je passerai le bac autant de fois qu'il le faudra pour l'avoir, en espérant quand même que ma première fois sera la bonne » est semblable à celui des autres élèves interrogés.

Les lycéens semblent admettre plus l'idée de redoubler plusieurs fois la terminale qu'aucune autre classe. Certains considèrent que ce n'est pas « pareil de redoubler la terminale que la seconde ou la première » dans la mesure où cette classe est réputée plus difficile que les autres tandis que d'autres évoquent la proximité du baccalauréat qui est au bout de cette classe. Nous avons d'ailleurs, au cours des entretiens, rencontré des redoublants ( de la classe de terminale ) qui réaffirment leur volonté de repasser encore le baccalauréat si cette année n'était pas la bonne. Mais ces multiples passages n'entrent-ils pas en contradiction avec  l'irréversibilité du rite de passage ? Nous ne le pensons pas. On peut tenter de passer à plusieurs reprises le baccalauréat cependant, une fois que le passage est réussi, l'ancien espace, le passé se retrouve irréversiblement séparé du nouveau. Le bachelier n'est plus lycéen, il devient étudiant. Il change de statut.

Dans les rites de passage, la séquence « pré-liminaire » sépare l'individu du monde antérieur dont il provient, où de l'état où il se trouvait, sur un mode à la fois matériel et symbolique.

La classe de terminale sépare quelques six cent mille (600 000) élèves de tout le reste des lycéens. Ces élèves ont la pleine conscience de vivre une situation particulière. Il faut souligner qu'en arrivant en classe de terminale, l'élève passe du statut de simple lycéen à celui de candidat au baccalauréat. Cette prise de conscience est d'autant plus grande qu'elle est sans cesse nourrie par le discours du corps professoral et les rappels des parents et de l'entourage.

Les professeurs rappellent, le plus souvent, aux élèves l'échéance pour les motiver à travailler. « Les profs sont lourds, nous dit Sandrine ( 19 ans, terminale E.S ), ils arrêtent pas de nous dire qu'on a le bac à la fin de l'année comme si on le savait pas nous même ».

Dans toutes les matières, les professeurs ne manquent pas l'occasion de « garder sous tension » les candidats. Si le but d'une telle stratégie ( la répétition ) est de faire prendre conscience au candidat qu'il est à l'orée d'un événement important, il est atteint assez aisément. Les élèves étant même quelque fois agacés par ce martèlement  comme en témoigne Denise (18 ans, terminale L ) : « déjà en début d'année, ils te font bien savoir que t'es en terminale et à chaque fois qu'ils rendent des copies, ils ne nous loupent pas, du genre « il faudra rendre autre chose au bac » avec ça on est au moins sûr que nous sommes en terminale ».

Tout le travail effectué dans cette année de terminale doit tendre vers cet unique objectif qu'est l'examen de fin d'année d'où le sens de la formule de monsieur Lepennec (professeur de philosophie au lycée Fresnel ) « nous sommes tous là pour ça ». Non seulement les professeurs et les élèves des classes de terminales sont là pour le baccalauréat, mais aussi toute l'organisation du lycée se fait en fonction de l'examen. Tout l'établissement est, en fin de compte, « là pour ça ». Les classes de terminales prouvant, par intervalle, leur primauté sur le reste du lycée. Cette séparation des terminales et des « autres » est d'autant plus visible que l'organisation de « bacs blancs » ou « essais » nécessite, par exemple, assez souvent la réquisition d'autres salles de classe ; donc la mise en congé des autres lycéens, le temps des épreuves.

Le discours parental est aussi assez récurent pour rappeler aux candidats, si besoin en était, qu'ils sont dans la classe du lycée où il faut fournir le plus d'efforts pour passer avec succès le baccalauréat.

Le changement dans le discours des parents est net. Ils veillent, dans cette classe de terminale, plus que jamais sur le bon fonctionnement de la scolarité des enfants. Il y a un réel suivi qui passe tantôt par une aide ou une assistance au devoir ( des cours à domicile, pour ce qui en ont les moyens ) tantôt par une incitation répétée au « bachotage ». Les conséquences que cela entraîne sont l'augmentation considérable du volume de travail qu'ils fournissent et la diminution drastique des loisirs pour certains.

Ainsi, les candidats prennent conscience de l'implication de leurs parents dans ce qui doit être leur ultime année au lycée. Ils s'aperçoivent, pour certains d'entre eux, dans cette année de terminale que les parents « angoissent et ont la pression » pour reprendre leurs termes. Et cette forte présence, les candidats ne l'ont notée que dans la classe de terminale. « Mes parents sont constamment derrière moi. Je ne peux pas rester tranquillement devant la télé sans qu'ils viennent me dire « il faut que tu travailles, t'as ton bac à préparer ». C'est vraiment incroyable comment ils stressent » ( David, 17 ans, terminale S ).

Certains élèves ont même l'impression que le baccalauréat est plus important pour leurs parents que pour eux -mêmes, tellement ils les sentent les « pousser » avec force vers cet objectif. Ce qui marque aussi la séparation de la terminale des autres classes, c'est ce mouvement de l'entourage vers l'échéance.

Ainsi pour Taoufikh ( 19 ans, terminale S ) la classe de terminale est d'autant plus « pesante » qu'il redouble : « C'est inhumain de vivre le même stress deux années de suite. La terminale une fois ça suffit largement, c'est une classe tellement crevant qu'il faut que je réussisse cette année et puis mes parents sont tellement impliqués qu'il faut je leur épargne le même stress. »

Cette forte implication des « autres », pour mettre les élèves dans les meilleures dispositions de préparation de l'examen est un des éléments de ce moment de séparation.

En effet, les candidats s'apprêtant à franchir le passage du baccalauréat ne peuvent plus être les seuls concernés par l'événement dans la mesure où nous sommes dans le rite. Or comme le souligne justement Augé. M « le rite est un spectacle et, en dehors de ceux qui l'accomplissent, il y a, beaucoup plus nombreux, tous ceux qui sont concernés, qui s'y investissent, qui y participent, ne serait-ce qu'en y assistant, à titre individuel mais aussi avec d'autres (...) ».1(*)

Les candidats ne s'infligent pas, tout seuls, la séparation. La société par l'intermédiaire de l'école l'organise. Certes, le candidat subit les épreuves mais l'enjeu concerne et mobilise un grand nombre d'individus. En sens la relation du candidat aux autres marque, de façon significative, le rituel.

* 1 Augé. M, Entretien avec Marc Augé réalisé par André Mary (Le questionnement du rite ), in L'impératif rituel, op. cit, p169.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon