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L'Etat de droit: entre la domination et la rationalité communicationelle

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par Raphaël BAZEBIZONZA
Faculté de Philosophie Saint Pierre Canisius de Kimwenza - Maîtrise 2007
  

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0. INTRODUCTION GENERALE

Pourquoi réfléchir aujourd'hui sur l'Etat de droit ? Ne s'agit-il pas d'une notion suffisamment claire et bien établie ? Il nous semble qu'il importe au plus haut point de savoir comment on peut se représenter qu'une société, aujourd'hui encore, agisse sur elle-même de façon démocratique. Sans doute, le noyau de l'Etat de droit est-il tout à fait clair. Rousseau l'avait déjà formulé nettement : la vie politique commune doit être organisée de telle sorte que les destinataires du droit en vigueur puissent être en même temps comme ses auteurs. C'est bien sur cette notion que se fonde l'Etat constitutionnel moderne. Cet Etat se définit, à ses propres yeux, comme une association volontaire de citoyens libres et égaux qui veulent régler leur vie en commun de façon légitime et recourant, pour ce faire, au droit positif.

La question qui s'impose à nous aujourd'hui est de savoir si l'idée d'un Etat de droit n'est pas nécessairement tenue en échec par la complexité des sociétés, par la domination. Dans plusieurs coins du monde, en effet, il existe des tensions sociales persistantes qui bloquent le progrès, donnant naissance à des troubles politiques et à des conflits armés. La violation continuelle des droits fondamentaux de l'homme, avec toutes les conséquences qui en découlent, est devenue monnaie courante. La paix est confondue avec une unanimité ou une tranquillité imposée par la force, assurant le maintien au pouvoir d'un groupe d'hommes au détriment des populations. Il devient impossible aux citoyens, en de telles situations, de participer à la vie publique ou de rendre opérant le poids de leur opinion collective. Le manque de reconnaissance à la fois de l'individu et de la communauté, et de leurs exigences réciproques, produit la guerre et ses conséquences. Il existe de fait, dans plusieurs pays du monde, une crise de légitimité des gouvernants aux yeux des citoyens qui se demandent à quoi sert l'Etat. La domination règne et questionne. C'est cela le fait majeur de la réalité économique et sociale dans laquelle la philosophie, investie d'une valeur nouvelle, puise sa substance.

Pour Habermas, comme pour Marx et Weber, la domination est un fait politique central. Toute appréhension du politique doit d'une façon ou d'une autre faire un détour par elle. On peut ainsi dès à présent avancer une hypothèse de travail : analyser la conception de la domination chez Habermas, pourrait bien devenir en fait une élucidation de ce qui constitue le coeur de sa philosophie. En effet, à se vouloir ou même à se penser nécessairement comme critique, celle-ci est d'abord et avant tout, pensée de la domination. La domination consiste en ce que certains individus agissent au nom de la collectivité en prenant des décisions de nature à influer sur elle, si bien que leur volonté ou leurs intérêts supplantent la volonté collective et les intérêts véritables de cette collectivité. La critique donne alors toute sa mesure. Penser la domination sera en même temps penser l'émancipation, c'est-à-dire établir les voies qui peuvent permettre de l'éradiquer. Et c'est dans la communication rationnelle que Jürgen Habermas situe cette émancipation.

Pour Habermas, c'est la rationalité communicationnelle qui favorise l'intersubjectivité et permet de créer le lien social. La raison communicationnelle implique une conception procédurale de la rationalité qui s'oppose à une conception substantielle et monologique de cette même rationalité. Elle est d'abord « la disposition dont font preuve les sujets capables de parler et d'agir à acquérir et à appliquer un savoir faillible ». Cette acquisition et application d'un savoir ne se fait pas de manière monologique mais dialogique, sa validité repose sur une reconnaissance intersubjective1(*).

Autrement dit, la validité d'une assertion, qu'elle soit du type cognitif ou normatif, ou encore expressif, ne peut reposer en dernière instance sur un sujet isolé, sur une conscience de soi qui trouverait en elle-même la certitude de ses prétentions à la validité ou à la vérité de ses connaissances, mais sur l'accord intersubjectif, accord qui est donc une condition nécessaire pour pouvoir prétendre à la validité d'une assertion, qu'elle soit de type cognitif, normatif, ou expressif2(*). C'est pourquoi la rationalité est procédurale, c'est-à-dire qu'elle est à la fois faillible et perfectible, car elle est toujours susceptible d'être améliorée grâce à une discussion argumentée. C'est la force des meilleurs arguments qui permet de réaliser l'entente entre les participants. Toute entente possible doit être médiatisée par cette force logique des arguments, car une entente ne peut pas être immédiate. Cette conception procédurale de la rationalité sert « à reconstruire une intersubjectivité intacte qui rende possible l'accord libre de contrainte entre les individus ainsi que l'identité des individus s'accordant librement avec eux-mêmes ». Les prétentions à la validité d'un argument doivent pouvoir être corroborées par la description idéale, l'acceptabilité morale et l'authenticité des opinions et convictions. Cette conception de l'agir communicationnel présuppose une situation discursive idéale, puisqu'elle repose sur un accord intersubjectif, accord qui est plutôt de l'ordre de l'idéal régulateur que de la réalité sociologique. Cependant, une telle conception de la rationalité peut être utile afin d'encadrer toute discussion qui prétend offrir des prétentions à la validité des arguments utilisés pour défendre ou réfuter telle ou telle position concernant des problèmes cognitifs, normatifs ou expressifs.

Si la domination est le point de départ, l'objet effectif de l'analyse sera donc bien le politique et, avec lui, en particulier, l'Etat de droit : un Etat qui n'a pas de substantialité, ni comme donnée ni comme idée ; un Etat qui se résorbe dans les processus démocratiques qui, seuls, assurent son caractère simultanément juridique et démocratique. Cet Etat, Habermas nous invite à le considérer comme un projet, comme un engagement que prennent les citoyens modernes. Dans la perspective mise en avant par Habermas, le « respect réciproque des droits et des devoirs se fonde (...) sur des rapports de reconnaissance symétrique ». Cette reconnaissance symétrique n'est autre que l'intersubjectivité formée par le processus démocratique et pouvant être retrouvée par les sujets de droits dans leur expérience du droit. L'Etat de droit repose, en conséquence, sur l'intersubjectivité mise en scène aussi bien par la communication que par le processus démocratique.

L'Etat de droit n'est simplement pas un Etat de domination, de contrainte, comme l'avait préconisé Max Weber. Habermas arrive plutôt à la conclusion opposée à celle de Weber. Là où Weber croit au droit comme à une domination, soutenant ainsi une conception positiviste du droit s'excluant de toute question de légitimité, Habermas fusionne les notions de légitimité et de légalité, symbolisées par le paradigme démocratique de l'autolégislation, avec le processus démocratique devant se situer au coeur même de l'Etat moderne. Il en découle que l'Etat ne peut être légitime ou légal que dans la mesure où il respecte le processus démocratique. C'est comme tel qu'il peut devenir le lieu où les sujets de droit s'impliquent dans le projet de droit démocratique, formant des mouvements sociaux et s'engageant dans des luttes politiques, pour assurer la prise en compte de leurs préoccupations. C'est donc par sa dimension profondément politique que nous nous proposons d'étudier la pensée critique de Habermas.

Etat de droit et domination : les deux termes pris chacun séparément possèdent un sens que leur union tend quelque peu à transformer. Face au fait de la domination, l'Etat de droit désigne la matérialisation nécessaire de l'exercice politique, le fait que la décision est nécessairement dans toute communauté aux mains d'un représentant qui, même s'il en est le représentant fidèle, possède ce statut particulier de vecteur, de détenteur du pouvoir. La domination prend alors ici une teinte négative, elle serait dans un sens moderne l'usage perverti de ce que désignait le pouvoir : l'absence de neutralité et de légitimité de l'exercice de ce dernier. Elle devient un enjeu double. Pour les uns, il s'agit de la rendre malgré tout légitime dans le cadre d'un ordre nécessaire à une communauté pacifiée ; pour les autres, elle est ce dont il faut purifier le politique afin de le rendre à nouveau transparent à lui-même. Mais dans un premier temps, au moins, la critique ne peut ici trancher directement : cette alternative est d'ordre pratique, elle relève d'un choix que la critique ne peut assumer sans remettre en cause sa propre validité.

Pourtant, c'est exactement sur cette aporie que se construit le projet critique de Jürgen Habermas, et donc que s'organisera notre randonnée philosophique : la domination comme fait politique provoque un intérêt pour l'émancipation qu'il faut fonder autrement que par un choix ou que par une référence à des valeurs ; or, si c'est vers un idéal de communication intersubjective que Habermas entend se tourner, c'est à l'aune de son articulation avec ce Etat de droit qu'il prétend fonder, que pourra s'évaluer la validité critique de cet idéal. Une nouvelle vision de la politique pourra alors s'établir, une politique résolument partagée entre sa dimension stratégique négative et sa dimension « communicationnelle » libératrice. Mais comment procéder ?

Pour répondre à ces préoccupations, nous procéderons par un cheminement tripartite. Dans le premier chapitre tout comme dans les deux autres qui suivent, nous tâcherons, grâce aux approches socio-politiques et historico-philosophiques, de clarifier le concept de domination qui, chez Habermas dérive directement de la réappropriation d'une tradition multiple. Il sera question d'assumer, en quelque sorte, la critique de la modernité politique et sociale, inaugurée par Karl Max et Max Weber. De ces deux maîtres, Habermas réaffirmera la dénonciation critique de la domination comme fait historico-politique, tout en prenant ses distances vis-à-vis de la condamnation radicale de la modernité que celle-ci a pu induire. Avec Marcuse, le débat se précisera. Ce dernier dénonce cette domination générée par la raison instrumentale. Devant une critique aussi radicale, Habermas affirmera que la domination comme fait politique relève d'une dimension pratique que l'on ne peut réduire à la rationalité technique. La logique du travail qui illustre la relation à la nature et la logique de l'interaction des relations entre les hommes ne se limitent pas au fait de la domination, mais sont aussi régis par la rationalité communicationnelle.

Pour dépasser le fait de la domination, le cheminement rationnel qu'impose la rédaction de ce travail scientifique nous conduira à approfondir la théorie de la rationalité communicationnelle et ses implications. Nous découvrirons que l'idée de refonder le concept marxiste d'émancipation par la « discussion », comme lecture d'une modernité centrée sur « l'action communicationnelle » constitue le fil conducteur de la pensée de Jürgen Habermas (chapitre deuxième).

Dans le troisième chapitre, enfin, notre interrogation portera sur le poids et la place du concept ou de la catégorie d'Etat de droit. Cette pensée passe avant tout, pour Habermas, par l'élucidation du rapport entre le politique et le social et des différents moyens qui permettent l'éclosion d'un véritable Etat de droit démocratique. Pour cela, nous examinerons les principes qui lui donnent une substance réelle.

Notre réflexion ne voudrait se prévaloir, d'aucune manière que ce soit, d'une quelconque prétention à l'exhaustivité dans l'approche de son sujet, tant il est vrai que foisonnent une multitude de travaux relatifs au même domaine. Nous voulons seulement aborder cette question sous notre angle propre. De la sorte, nos conclusions ainsi que nos résultats n'auront qu'un statut approximatif et suggestif.

* 1 J. HABERMAS, Théorie de l'agir communicationnel, p. 295.

* 2 Ces trois types constituent, pour Habermas, les trois dimensions de la rationalité, qui correspondent respectivement au monde naturel des choses, au monde social de l'intersubjectivité, et au monde subjectif de chaque individu.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand