WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les conditions de vie des personnes agées en Cote d'Ivoire: Regard sur la maltraitance à  Adjame Village

( Télécharger le fichier original )
par Ahou Clémentine TANOH épse SAY
Cocody - DEA de sociologie 2007
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

REPUBLIQUE DE COTE D'IVOIRE

Union-Discipline-Travail

MINISTERE DE L'ENSEIGNEMENT

SUPERIEUR

ET DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

ANNEE UNIVERSITAIRE

2006-2007

UFR SCIENCES DE L'HOMME

ET DE LA SOCIETE

DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE

THEME

LES CONDITIONS DE VIE DES PERSONNES AGEES EN

COTE D'IVOIRE :

REGARD SUR LA MALTRAITANCE

A ADJAME VILLAGE

Sous la direction de :

Professeur DEDY Séri

Maître de recherches

Assisté de :

Dr DAYORO Arnaud Kevin

Assistant

Présenté Par :

TANOH Ahou Clémentine épse SAY

Maître es Sciences Sociales

Tu te lèveras devant les cheveux blancs, et tu honoreras la personne du vieillard. Tu craindras ton Dieu, Je suis l'Eternel.

LEVITIQUE 19 : 32

SOMMAIRE

AVANT PROPOS ET REMERCIEMENTS....................................................... 5

PREMIERE PARTIE : CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE..............7

Chapitre I : CADRE THEORIQUE...................................................................8

I.1 Introduction générale : position du problème......................................................8

I.2. Revue documentaire.................................................................................18

I.3. Objectifs de l'étude.................................................................................. 40

I.4. Thèse....................................................................................................40

I.5. Hypothèses de recherche............................................................................41

I.6. Approche conceptuelle...............................................................................41

Chapitre II : CADRE METHODOLOGIQUE.....................................................46

II.1 Délimitation du champ d'étude....................................................................46

II.2 Méthode d'analyse : la méthode dialectique.....................................................46

II.3 Techniques de collecte des données.................................................................49

II.4 Le dépouillement.....................................................................................54

II.5 Les difficultés rencontrées..........................................................................54

DEUXIEME PARTIE : PRESENTATION DU CADRE DE L'ETUDE....................56

Chapitre I : SITUATION GEOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET

DEMOGRAPHIQUE...................................................................57

I.1 Situation géographique...............................................................................57

I.2 Historique du peuple tchaman......................................................................57

I.3 Adjamé-village........................................................................................58

I.4 La population d'Adjamé-village.........................................................................................59

I.5 Les infrastructures d'Adjamé-village..............................................................60

I .6 Activités économiques...............................................................................61

Chapitre II : ORGANISATION SOCIALE ET SYSTEME

POLITIQUE TRADITIONNEL....................................................62

II.1 Le système de parenté...............................................................................62

II.2 Les générations ou Abêposa........................................................................62

II.3 Les classes d'âge ou apasa.........................................................................63

TROISIEME PARTIE : LOGIQUES SOCIALES ET FORMES DE

MALTRAITANCE DES PERSONNES AGEES..............67

Chapitre I : LES AINES SOCIAUX D'ADJAME VILLAGE................................68

I.1 Genre et situation matrimoniale ....................................................................68

I.2 Genre et religion ....................................................................................69

I.3 Genre et groupe d'âge ..............................................................................70

I.4 Genre et niveau d'instruction.......................................................................71

I.5 Genre et catégorie socioprofessionnelle..........................................................72

I.6 Alimentation .........................................................................................73

I.7 Etat sanitaire..........................................................................................75

I.8 Logements et cadre de vie ...........................................................................76

Chapitre II  LA VIE COMMUNAUTAIRE DES PERSONNES

AGEES D'ADJAME-VILLAGE ...............................................77

II.1 Personnes âgées d'Adjamé-village : les laissées pour compte ...................................77

II.2 Place et rôle des personnes âgées à Adjamé-village ...........................................79

II.3 Personnes âgées et jeunes générations .................................................83

Chapitre III : LA DEPENDANCE DES PERSONNES AGEES DE

LEURS FAMILLES ET LES FORMES DE MALTRAITANCE...........93

III.1 Dépendance des personnes âgées de leurs familles...........................................93

III.2 Formes de maltraitance des personnes âgées ................................................101

III.3 Réactions des personnes âgées face aux maltraitances......................................106

Chapitre IV : LA DIALECTIQUE DES REPRESENTATIONS

SOCIALES DES PERSONNES AGEES.......................................108

IV.1 Les personnes âgées, objets d'honneur à Adjamé-village...................................108

IV.2 Les personnes âgées, objets de tous les maux................................................110

IV.3 La question des hospices de vieillards.........................................................112

CONCLUSION GENERALE.......................................................................114

BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................117

ANNEXES...............................................................................................124

Table des matières................................................................. ... 140

AVANT PROPOS ET REMERCIEMENTS

Dans la famille, comme dans la société, l'on a toujours considéré comme êtres vulnérables les femmes et les enfants. Les personnes âgées le sont autant. Elles sont aussi violentées d'une manière ou d'une autre, et parfois rejetées hors de leurs familles comme ce vieillard de plus de 80 ans, que des inconnus ont abandonné dans une touffe d'herbes, pendant la nuit du lundi 19 juin 2006, à Adjamé Fraternité-matin.

C'est pour étudier un tel phénomène que cette recherche a vu le jour. Elle se situe dans le cadre de notre Diplôme d'Etudes Approfondies en sociologie. Ce travail est une contribution aux recherches sociologiques et anthropologiques sur les personnes âgées, dirigées par le Professeur DEDY Séri de l'Université de Cocody. C'est le lieu d'adresser nos s'incères remerciements à notre cher Maître, le Professeur DEDY, pour avoir bien voulu accepter de diriger les travaux de ce mémoire. Qu'il trouve ici, l'expression de notre profonde gratitude.

Également, nous voudrions exprimer toute notre gratitude à toutes les personnes auprès desquelles, nous avons trouvé compréhension, disponibilité et encouragements nécessaires pour réaliser ce travail. Ces remerciements vont à l'endroit de (s) :

Ø Monsieur DAYORO Arnaud Kévin, doctorant en sociologie, pour son apport très notable dans la réalisation de ce travail

Ø Autorités administratives, politiques et des personnes morales ou physiques sollicitées.

Ø Nanan GBANDA Nathanaël, doyen d'âge d'Adjamé-village, par qui nous avons reçu l'autorisation de mener l'enquête.

Ø Le chef du village et ses notables, en particulier, monsieur LOBA Yapo Emmanuel, secrétaire général de la chefferie du village ébrié d'Adjamé, pour nous avoir facilité l'enquête sur le terrain.

Ø Monsieur SAGOU Pierre, l'interprète qui nous a été d'une très grande utilité.

Ø Messieurs TRA Fulbert et KACOU Fato, doctorants en sociologie, pour leurs concours très appréciables dans la réalisation de ce travail.

Ø Monsieur GNABRO Etienne, notre frère en christ, pour son apport informatique à l'accomplissement de ce travail.

Ø Notre époux, Monsieur SAY ATTOBRA François. Nous tenons à le remercier pour son soutien spirituel, matériel et financier, sans lequel nous n'aurions pu réaliser ce travail.

PREMIERE PARTIE :

CADRE THEORIQUE ET

METHODOLOGIQUE

Chapitre I : CADRE THEORIQUE

I.1 Introduction générale : Position du problème

Les personnes âgées, détentrices des valeurs culturelles, occupent une place de choix, dans la société traditionnelle africaine. Elles sont les dépositaires de tous les us et coutumes et font figure d'autorité morale et de sagesse en ce sens que, la culture traditionnelle africaine repose essentiellement sur l'expression orale. Possesseurs de capitaux, de savoir, de savoir être, de savoir-faire, elles ont été des références, dans le règlement des conflits, dans l'application des règles et des sanctions ; d'où leur utilité sociale et culturelle. Cette utilité s'observe dans plusieurs sociétés et ceci à différents niveaux.

Chez les Guéré1(*) de Côte d'Ivoire par exemple,

Le statut de gnon-gboo (l'homme le plus vieux), peut entraîner la fonction de chef de village.

Dans cette société, les aînés sociaux possédaient plusieurs fondements de l'autorité : l'âge, la sagesse, la richesse, la capacité d'intervention en matière de sacré. Par ailleurs, lors de la cérémonie de la détermination du nom d'un nouveau-né, les " vieilles femmes "  du lignage, sont sollicitées pour identifier l'ancêtre incarné dans ce bébé. Il en est de même pour le choix du conjoint qui est précédé d'une étude minutieuse des aînés sociaux. En ce qui concerne la dot, seuls les biens rares qui donnaient une vraie valeur à la prestation matrimoniale, étaient fournis par les aînés sociaux (dans la mesure où n'étant pas à la portée de tous).

Chez certains peuples Akan, la cérémonie d'initiation des premières menstrues des jeunes filles, est l'affaire des femmes âgées ménopausées.

En outre, devant certains problèmes de santé ou face à la mort, l'on a souvent recours à l'aide des personnes âgées quand la relation entre la maladie et le mécontentement d'un parent ou d'une personne âgée est établie.

Au total,  dans la société ivoirienne, les personnes âgées jouent un rôle assez prépondérant. Elles sont très souvent sollicitées pour participer à la vie de la nation à travers des réunions d'ordre administratif et politique où elles se retrouvent dans des groupements sociaux, notamment les chefferies traditionnelles. Elles assurent le rôle de conseillers dans certaines instances de décision de leur communauté traditionnelle et se chargent du règlement des conflits et litiges dans leurs localités.

Dans ce contexte, le vieillard était non seulement vénéré de tous, mais aussi, l'objet d'attention particulière, à cause de son âge et de son savoir.

Cependant, avec l'occidentalisation de la société ivoirienne par le biais de la colonisation, la famille de type nucléaire (le père, la mère et les enfants) tend à se substituer à celle de type élargi (le père, la mère, les ascendants, les descendants, les collatéraux). Dans ce cas, les personnes âgées ressentent une rupture entre elles et les autres membres de la famille : c'est le déclin de la cellule familiale.

Toutefois, même si on parle de déstructuration de la cellule familiale, il y a encore un reste dans le subconscient, cette relation entre la qualité du devenir sociale et le respect des aînés sociaux. Qu'on le veuille ou pas, bien qu'on soit engagé dans ce processus de changement social, dans cette transition politique

(gestion des pouvoirs), économique (partage des ressources, logiques d'appropriation et de redistribution des biens), culturelle (tendance à nier les valeurs traditionnelles ou appropriation des valeurs culturelles occidentales) et sociale (absence de politique de valorisation des personnes âgées), l'utilité sociale et culturelle des personnes âgées ne souffre d'aucune contestation.

A cette utilité sociale et culturelle, s'ajoute le poids démographique des personnes âgées. En effet, au recensement général2(*) de la population de 1975 (RGP- 75), l'on a dénombré 233 754 personnes âgées dont 124 918 hommes et 108 827 femmes. La sous-population des personnes âgées représente 3,5% de la population totale recensée et s'est retrouvée essentiellement en zone rurale (85,5%).

Le recensement général de la population et de l'habitat de 1988 (RGPH- 88) a permis de relever une augmentation de l'effectif des personnes âgées. Ainsi, 370 234 habitants (197 203 hommes et 173 031 femmes) âgés de 60 ans ou plus, ont été enregistrés. Cette situation équivaut à un accroissement relatif du nombre de personnes âgées d'environ 58,4%, par rapport au résultat obtenu en 1975. Cet accroissement de la population des personnes âgées est observé tant chez les hommes que chez les femmes dans les mêmes proportions. 81% des personnes âgées de 60 ans ou plus résident dans les zones rurales.

La dernière opération de recensement démographique de 1998, a permis de dénombrer 604 934 personnes âgées de 60 ans ou plus (317 336 hommes et 287 598 femmes). Cet effectif représente un poids démographique de 3,9%, légèrement supérieur à celui enregistré aux précédents recensements, soit 4% de la population totale évaluée à 15 366 672 habitants.

En 23 ans (de 1975 à 1998), soit en l'espace de deux décennies environ, le nombre des personnes âgées en Côte d'Ivoire est multiplié par au moins 2,5 tant chez les hommes que chez les femmes. Le taux d'accroissement annuel moyen est de 5% :c'est un rythme très accéléré. Cette sous population des personnes âgées reste toujours majoritairement rurale avec 72,2%. Cependant, la tendance est à l'augmentation de la proportion des personnes âgées vivant dans la zone urbaine soit 27,8% de cette sous-population, avec plus du tiers dans la ville d'Abidjan, comparativement en 1988 où ce taux était de 19%.

Aussi, toutes les régions de la Côte d'Ivoire sont-elles touchées par le vieillissement de la population. La répartition de la population âgée de 60 ans ou plus varie d'une région à une autre.

Dans la Vallée du Bandama, par exemple, au sein de la population totale de 1 080 509 habitants, on compte 65 819 personnes âgées de 60 ans ou plus. Quant à la région des Lagunes qui inclut Adjamé-village, l'on dénombre 88 346 personnes âgées sur une population totale de 3 733 413 habitants. La région du Fromager enregistre 26 785 personnes âgées sur une population de 542 992 habitants. La région des Savanes en comporte 46 591 sur une population de 929 673 habitants. De façon générale, on observe une concentration des personnes âgées de 60 ans ou plus dans les régions des lagunes (14,6%) et de la vallée du Bandama (10,9%). 

Ces données montrent la dynamique du nombre des personnes âgées en Côte d'Ivoire et du coup, posent son impact sur l'organisation des systèmes sociaux. Ceci implique des inquiétudes ou des réflexions pour des actions à court, moyen et long terme, sur l'enjeu d'une société de tous les âges. Au regard de cette dynamique, des interrogations sont suscitées et partant, des défis à relever au plan social, culturel, économique, politique et sanitaire, à l'égard des personnes âgées en Côte d'Ivoire. En effet, elles constituent un groupe social qu'il va falloir intégrer aux préoccupations nationales, régionales, locales, communautaires, et familiales. Mais qu'est ce qui est donné de constater par rapport à ce qui devrait être fait, au regard des défis qu'impose la dynamique du nombre des personnes âgées ?

En Côte d'Ivoire3(*), certes, la nouvelle constitution adoptée, prévoit en son article 6, la protection de la personne âgée. Aussi, une Assurance Maladie Universelle (AMU) a-t-elle été initiée par le gouvernement de la deuxième République. Toutefois, il n'existe en ce jour, aucune institution de prise en charge des personnes âgées, tant sur le plan social que sur le plan sanitaire.

De ce qui précède, les conditions de vie des personnes âgées peuvent s'apprécier au niveau de l'habitat, de la santé, de l'économie et de la famille.

Au niveau de l'habitat, les personnes âgées en Côte d'Ivoire n'habitent pas des maisons de type particulier, spécialement conçues pour répondre aux exigences de leur état physiologique dépérissant. Elles vivent plutôt dans des logements de type ordinaire. 

Selon l'Institut National de la Statistique, dans le milieu urbain, les chefs de ménage âgés vivent en majorité dans les maisons simples (45%). A Abidjan, les personnes âgées, chefs de ménage, habitent beaucoup plus les maisons de type concession (34,7%) et en bande (22,3%) que les autres types de construction.  La prépondérance de ces deux types de logement dans lesquels vivent les personnes âgées, s'explique par le coût relativement bas de ceux-ci.

Si les personnes âgées, chefs de ménage, sont en majorité propriétaires (84%) des maisons qu'elles habitent, il en existe qui sont toujours en location simple (7,3%).

Au niveau sanitaire, notons que l'organisme vieillissant n'a plus à sa disposition ses réserves. Il ne peut plus faire face aux efforts physiques, ce qui conduit inéluctablement à une baisse des activités.

A cela, il faut ajouter le problème de la faim chez ces personnes. En effet, lors des préparatifs de la deuxième assemblée de l'Organisation des Nations Unies sur le vieillissement4(*) , une étude a relevé que les personnes âgées vivant dans les pays en développement (y compris la Côte d'Ivoire), rapportaient que la nourriture est leur " besoin urgent ".

L'organisme déjà affecté par la vieillesse et la faim, devient si fragile qu'il ne peut lutter contre les différentes pathologies qui l'assaillent. Ainsi, les personnes âgées sont constamment sujettes à divers problèmes de santé5(*) parmi lesquelles, la maladie mentale (démence et délire, dépression, psychose, maladie d'Alzheimer et/ou de Parkinson...), l'incontinence (incontinence urinaire, incontinence fécale) ; les maladies cardio-vasculaires et cérébrales dues pour la plupart à l'hypertension artérielle (avec pour conséquences directes, l'hémiplégie). A ces maladies, s'ajoutent le diabète, le cancer, le rhumatisme et les maladies broncho pulmonaires avec une gêne respiratoire, qui sont les principales affections chroniques responsables de la mort des personnes âgées.

En outre, la pandémie du VIH/SIDA6(*) a de grandes incidences sur ces personnes, même si les premières victimes sont essentiellement les jeunes et les adultes.

Les handicapés physiques représentent 15,6% des personnes âgées. La cécité est le handicap le plus courant avec 30,1%. A cela, il faut ajouter les nombreux cas de surdité, voire de mutité, qui font d'elles des personnes invalides.

Aussi, faut-il noter qu'au niveau national7(*), les ménages dirigés par les personnes âgées qui sont exposés aux diverses maladies liées à l'impureté des eaux, représentent un sixième de la population des personnes âgées chefs de ménage. Cette proportion assez importante de ménages dirigés par les personnes âgées de 60 ans ou plus qui s'approvisionnent en eau dont la source ne garantit pas suffisamment la qualité, est certainement due au faible moyen dont elles disposent, mais surtout à l'insuffisance d'infrastructures, notamment des adductions d'eau et pompes villageoises dans le milieu rural. 

Résoudre ces problèmes de santé, exige implicitement, une prise en charge médio sociale des vieilles personnes eu égard à leur pouvoir économique qui s'est amenuisé considérablement. Or la Côte d'Ivoire ne dispose pas de spécialistes en matière de médecine des personnes âgées.

L'absence donc de gériatrie conditionne ces dernières à une vie précaire, voire dangereuse, et pourtant, la Côte d'Ivoire regorge de nombreux spécialistes, dans le domaine de la pédiatrie (la médecine de l'enfant) et de la gynécologie (la médecine de la femme). L'on comprend aisément les décès de plus en plus précoces parmi les personnes âgées.

Au niveau économique, à la retraite, le fonctionnaire touchera jusqu'à sa mort (qui peut survenir très longtemps après) environ 80%, voire 100% de son salaire, s'il est père d'une nombreuse famille. Par contre, le retraité du secteur privé, ne percevra qu'entre 35 et 45% de son salaire initial.8(*)

Par ailleurs les veuves ne bénéficient que de la moitié de la pension due au mari défunt. Et lorsque la femme qui percevait la pension de retraite décède, le mari veuf ne perçoit rien de celle-ci.

En outre, la pension de retraite est assujettie à l'impôt général sur les revenus (IGR), à l'impôt sur les salaires (IS), à la cotisation nationale, etc. Ainsi, une pension d'un montant de 100 000 Francs CFA subirait près de 10 000 Frs de ponction, soit environ 10%, contrairement à la pension qui est exemptée de taxe et d'impôt au Burkina Faso.

 la pension n'augmente pas mais on continue de prélever des impôts tels que l'IGR et l'IS. Les démarches pour en obtenir la suppression sont restées vaines.

Selon Ezalé9(*),

A cela il faut ajouter les nombreux efforts que le retraité ivoirien doit fournir pour entrer en possession de sa pension, en dépit, parfois d'un état de santé précaire.

Pour les autres catégories de travailleurs, notamment ceux exerçant pour leur propre compte, qui constituent la majorité des cas, la pension de retraite n'existe pas. L'âge formalisé de départ à la retraite est presque inexistant et la plupart d'entre eux continuent de travailler aussi longtemps qu'il en sont capables. C'est ceux-ci qui exercent dans leur majorité, des travaux dégradants pour leur âge, travaux qui exigent de fournir des efforts physiques intenses, tels que l'agriculture, la maçonnerie, la menuiserie, la précollecte des ordures ménagères. Ils vivent donc dans une situation de précarité et pour survivre, quelques-uns se livrent à la mendicité.

Au niveau familial, les personnes âgées en Côte d'Ivoire habitent des ménages de type ordinaire classique. A l'image des ménages traditionnels africains, l'on y retrouve le responsable et l'ensemble des autres membres, notamment les conjoints, les enfants, les parents consanguins et autres, sans lien de parenté. 

Les personnes âgées vivent dans des ménages ordinaires dont elles assurent la charge, malgré leur moyen d'existence parfois très faible. 

La population des personnes âgées de 60 ans ou plus, vivant dans leur propre ménage se chiffre à 415 563 individus10(*). Cette sous-population composée de chefs de ménage et de leurs épouses, équivaut à 68,7 % de l'ensemble des personnes âgées en Côte d'Ivoire. Les chefs de ménages sont très fortement représentés avec 82,8% de l'effectif.

En dehors des personnes âgées, chefs de ménages, il existe une autre catégorie dite "personnes dépendantes" dont le nombre était de 189 371 (47 246 hommes et 142 125 femmes) en 1998, en Côte d'Ivoire. Cette sous-population représente 31,3% des personnes de grand âge.

La très grande majorité d'entre elles sont accueillies par leurs parents (enfants, soeurs, frères, neveu ou nièces).

Dans les deux cas de figure, n'est-ce pas une forme de maltraitance que les personnes âgées soient à ce niveau ? Comment l'Afrique traditionnelle, la Côte d'Ivoire dont le système d'organisation sociale a intégré la valorisation des personnes âgées dans la socialisation des générations, soient arrivées aujourd'hui à un tel niveau ? En effet, les personnes âgées chefs de ménage, peuvent être sujettes à la maltraitance quand elles n'arrivent pas à pourvoir aux besoins de ceux qu'elles ont à charge, compte tenu des difficultés économiques qu'elles rencontrent (revenus insuffisants). Aussi, celles qui vivent au dépend de leurs familles, sont-elles prédisposées à la maltraitance dans la mesure où par épuisement (moral, physique, financier), les aidants peuvent réagir avec agressivité face aux diverses sollicitations des " aidées ".

En somme, le développement, le changement social constaté en Côte d'Ivoire, a contribué à désacraliser les personnes âgées au point qu'elles ne constituent plus le centre d'intérêt des communautés, des groupes de famille. Elles sont désacralisées de sorte que l'on voit de plus en plus en elles des " mangeurs d'âme ", des sorcières. Ce fait divers paru dans certains journaux en Côte d'Ivoire, dont L'Inter sous le titre « Un sorcier tombe du haut d'un arbre »11(*), confirme la maltraitance à laquelle les personnes âgées sont de nos jours sujettes :

Un vieillard de 76 ans découvert vers 4 heures 30 du matin, non loin de l'Hémicycle, a manqué d'être lynché par une foule révoltée contre lui. Ce septuagénaire qui devrait susciter pitié (vu son état), a déclenché la colère de la rue lorsqu'il a révélé être un sorcier surpris par le jour. Il a été sauvé de justesse d'un lynchage certain par des éléments du CeCOS12.

Des témoins disent avoir vu une chauve-souris au pied de l'arbre. Et c'est lorsqu'ils ont voulu en savoir davantage que celle-ci a commencé à faire sa mue pour devenir un homme sous leurs yeux. Les élèves du Cours Secondaire Protestant du Plateau (CSP) soutenaient, pour leur part, qu'ils ont surpris ce vieillard entrain de se métamorphoser (d'une chauve-souris à un homme) et de l'avoir entendu avouer être un sorcier venu du village spécialement pour tuer sa fille, son unique. »

N'est-ce pas là une humiliation, voire une maltraitance psychologique, pour ce vieillard de 76 ans qui arrive à peine à se tenir sur les pieds, que de se voir à la une de la presse nationale audiovisuelle et écrite, pour cause de sorcellerie ?

Choyées hier dans un contexte social plus adapté, les personnes âgées sont engagées de plus en plus, de la sorte, dans un processus de réponses, de stratégies quotidiennes contre les contraintes symboliques, économiques, politiques, sociales culturelles et sanitaires. Ce constat s'observe surtout dans les zones urbanisées où émergent de nouvelles logiques d'appartenance culturelle, de solidarité ethnique ou familiale, de production, d'appropriation et de distribution des biens. Comment la situation se présente dans les zones engagées, certes dans un processus de changement social mais qui conservent encore des particularités culturelles traditionnelles telle que Adjamé-village ? Quelles sont les logiques et les formes de maltraitances des personnes âgées vivant dans cet espace social ? Cette interrogation se justifie dans la mesure où la population ébrié d'Adjamé-village est de 195012(*) habitants avec 123 personnes âgées de 60 ans ou plus. Ce qui fait un poids démographique de 6,30% de cette population. Ce pourcentage est supérieur, avec un écart de 2.3, à celui des personnes âgées au niveau national, qui est de 4%.

Une autre justification tient au fait qu'Adjamé-village est engagé comme tous les villages du District d'Abidjan, entre l'urbanisation imposée et la reproduction de l'identité culturelle. Dans un tel contexte, les questions qui orienteront notre étude se présentent comme suit : comment les populations d'Adjamé-village construisent la maltraitance des personnes âgées ? Quelles sont les représentations sociales des personnes âgées ? Quelles sont les formes de maltraitance des personnes âgées ? Quel est le niveau d'intégration des personnes âgées en termes de participation sociale et d'utilité sociale ?

C'est à cette série de questions que nous tenterons de répondre, par notre enquête de terrain, après une consultation documentaire relative à notre sujet de recherche.

I.2. Revue documentaire

De nombreux auteurs ont déjà traité la question des problèmes se rapportant aux conditions de vie et à la maltraitance des personnes âgées, sous divers angles. Nous allons nous atteler à faire le point de ces écrits suivant une approche thématique. Quelques thèmes s'y rapportant vont être abordés : les théories psychosociologiques du vieillissement, la place et le rôle des personnes âgées, les conditions de vie des personnes âgées, la maltraitance des personnes âgées, la réaction des personnes âgées aux comportements maltraitants et la vieillesse rayonnante.

I.2.1 Les théories psychosociologiques du vieillissement

Il s'agit des théories de l'activité, du désengagement, de la continuité et du vieillissement du point de vue social.

Ces théories ramènent aux interactions de l'individu avec la société. La psychologie sociale permet d'étudier ces interactions à travers de multiples variables, tels que la solitude, la retraite, le niveau de vie et les activités. Le but de ces théories de la psychologie sociale du vieillissement, est d'élaborer des modèles susceptibles d'expliquer ou de prévoir les échanges entre l'individu et la société au cours du vieillissement.

La première théorie est celle de l'activité. Cette théorie a été initiée en 1953 par les chercheurs anglo-saxons R. J. Havighurst et M. Albrecht13(*). Son postulat de base est le suivant : il existe un lien significatif chez les personnes âgées entre les investissements sociaux ou relationnels et leur niveau de satisfaction devant la vie. En d'autres termes, la personne qui s'adapte le mieux à sa vieillesse est celle qui réussit à se maintenir active le plus longtemps possible et cherche à remplacer d'une manière ou d'une autre, des amis ou des personnes aimées, éloignées ou disparues. Cette théorie montre que c'est moins l'aspect quantitatif des activités ou des rôles, qui est important que les retombées positives des interactions qu'elles engendrent.

Malgré certains appuis empiriques, cette théorie comporte quelques lacunes : elle ne s'applique qu'aux " jeunes vieux " disposant d'un revenu correct. Elle ne concerne pas les " vieux-vieux " et les économiquement faibles. En outre, elle ne permet pas d'expliquer pourquoi il existe des groupes de personnes au niveau d'activité élevé et moral faible, et des personnes au niveau d'activité faible et au moral élevé. En vérité, cette théorie n'est cohérente que pour la population âgée la moins concernée par la vieillesse.

La seconde qui est la théorie du désengagement, est élaborée par des chercheurs de l'Université de Chicago. Elle part du principe qu'il y a un désengagement réciproque de l'individu et de la société. Suivant cette théorie, le vieillissement normal est caractérisé par une diminution des interactions entre l'individu vieillissant et le réseau social auquel il appartient. L'individu s'intéresse moins à la société (on ne lui demande pas de jouer un rôle précis). Ce désengagement nécessite l'intervention de variables psychologiques et sociologiques.

Le désengagement psychologique est caractérisé par un désengagement émotionnel de la personne envers les individus, des objets et envers son environnement, contingent d'une augmentation de la préoccupation de soi.

Le désengagement social résulterait d'une diminution des interactions entre la personne et son réseau social. L'une des critiques que suscite cette théorie est qu'elle ne semble valide que pour une fraction de personnes très âgées (80 ans et plus.)

Malgré les critiques, la théorie du désengagement a le mérite de montrer que les individus soumis au processus du vieillissement peuvent mettre en place des phénomènes d'adaptation différents de ceux de l'adulte actif. En d'autres termes, il est possible de rester heureux en vieillissant sans pour autant avoir accès à toutes les activités qui motivent les gens plus jeunes. Etre vieux ne veut pas forcement dire ne plus être jeune.

La troisième est la théorie de la continuité. Au lieu de voir la vieillesse comme une période à part, en fonction des rôles qu'un individu peut ou ne peut plus accomplir, cette théorie explique la vieillesse comme un prolongement de l'âge adulte. En se servant des compétences et des expériences du passé, le sujet va s'adapter aux changements du vieillissement normal. Cette phrase d'Ajuriaguerra, résume cette théorie : « on vieillit comme on a vécu »14(*)

Bien qu'il apporte quelques réponses aux faiblesses des théories du désengagement et de l'activité, ce modèle présente à son tour certaines limites. Tout d'abord, il est très difficile d'en vérifier la validité. Pour s'adapter au vieillissement, l'individu va le plus souvent adopter une multitude de petites modifications dans son existence, dont il est impossible d'apprécier le degré de continuité. Par ailleurs, si la persistance de certains comportements peut être efficace pour les uns, elle risque d'être totalement dysfonctionnelle pour d'autres.

Malgré ces imperfections, la théorie de la continuité aura permis de mettre l'accent sur l'incroyable diversité des façons de vieillir : en indiquant les liens qui existent entre la jeunesse, la maturité et le vieillissement.

La quatrième théorie est celle du vieillissement du point de vue social.

Celle-ci va se définir relativement aux rôles sociaux. Ainsi la retraite pourrait être vécue positivement si elle est désirée et si du point de vue chronologique, physique et psychologique, il n'y a pas de décalage relativement à l'activité ou l'inactivité.

Par contre, s'il y a un décalage, la personne peut se sentir rejetée et mise  hors de la société. De plus, à un âge souvent supérieur, un autre facteur peut accroître ce sentiment d'impuissance. Il s'agit du renversement des dépendances lorsque la personne âgée devient dépendante de ses enfants ou des plus jeunes, pour des raisons financières ou de santé.

Cette vision plus ou moins positive ou négative de la vieillesse est surtout déterminée par le rôle social que joue la personne âgée.

En définitive, aucune des théories ne rend compte à elle seule de l'ensemble des phénomènes menant un organisme jeune au vieillissement et à la mort. Toutes ces théories ne sont que des hypothèses. Elles partent d'une ou de plusieurs observations vraies. Elles ne font que décrire à leur niveau (génétique ou moléculaire, endocrinien ou immunitaire...) un même phénomène qui est le vieillissement.

A la suite de cette revue théorique, voyons à présent quelques analyses empiriques.

I.2.2 Place et rôle des personnes âgées

Suivant qu'il se trouve en Afrique ou en Occident, le vieillard a un statut socioculturel différent. Par conséquent, il joue un rôle spécifique en fonction de l'idée qu'on se fait de lui.

Louis Vincent Thomas (1989)15(*) à travers des attitudes collectives envers les vieillards : un problème de civilisation, a fait une étude comparative du vieillard en Afrique et en occident.

Selon lui, en Afrique, les vieillards sont peu nombreux et peu coûteux. Ils sont utiles à des travaux spéciaux et à l'éducation des enfants. Ici, les vieillards sont insérés dans la famille et le lignage où ils sont traités de sages.

En Occident, les vieillards sont très nombreux et coûtent chers. Les vieillards sont inutiles socialement et même encombrants. De ce fait, ils sont rejetés dans les hospices ou restent solitaires chez eux. Toute chose entraînant une fréquence du suicide délivrance ou de désespoir.

Si en Afrique, les vieillards meurent dans leurs maisons maternés et sécurisés par les femmes, en Occident, ils meurent seuls, le plus souvent à l'hospice ou à l'hôpital.

La mort du vieillard africain est le couronnement de sa vie. Son enterrement est plein de sens ; c'est une fête où la société se renouvelle et qui provoque un grand rassemblement. Son deuil est ainsi important et il a la possibilité de devenir un  ancêtre.

En Occident au contraire, la mort du vieillard est vide de sens et met un terme à une fin de vie dérisoire. Son enterrement est insignifiant, à tonalité affective neutre et sans incidence pour le groupe, si ce n'est une certaine libération. A contrario de la mort du vieillard africain, celle de l'Occident est vite oubliée avec un deuil vite liquidé.

Pour Touré (1984) également qui a fait cette étude comparative, dans la civilisation africaine, la vieillesse n'est pas une tare. Contrairement à l'africain, l'occidental redoute la vieillesse dans la mesure où l'on y devient inutile. Le mot " vieux " est refusé comme une injure. Des synonymes sont alors trouvés pour l'atténuer : personnes âgées, troisième âge. Ici, on n'est plus vieux, on n'est plus âgé, on appartient seulement à un âge. En Afrique, le mot " vieux " est accepté comme un honneur. Au sein des structures traditionnelles, les privilèges tels que le droit d'aînesse, le droit à la parole et la respectabilité, sont liés à la vieillesse. Ici, le vieux, c'est l'homme d'expériences, de savoir ; c'est l'aîné, c'est le doyen, le père, le grand-père. Alors qu'en Occident il est infantilisé.

Selon ce même auteur, les personnes âgées jouent quatre rôles principaux dans la société traditionnelle africaine.

Au plan économique, les personnes âgées sont chargées de la distribution équitable des terres.

Au plan culturel, elles sont dépositaires de la tradition orale.

Au plan politique et social, elles jouent le rôle de conseillers pour l'organisation de cérémonies diverses : baptême, initiation, mariage et funérailles. Ce sont aussi des sages à qui on a recours dans le règlement des conflits. Le rôle politique des vieillards se résume en ceci : « rien de sérieux ne s'entreprend ni ne se décide sans leur accord. »

Leur rôle culturel et éducatif est d'assurer l'éducation et l'enculturation des petits-enfants. Ce sont ainsi des éducateurs, des conseillers, des médiateurs et des diffuseurs de la tradition.

De nos jours, avec le renouvellement rapide des techniques et les besoins toujours accrus de productivité, la personne âgée est dépassée ; elle n'est plus une référence, un exemple, contrairement aux sociétés traditionnelles. Il lui est donné le statut de " vieux " qui a une connotation péjorative.

Les écrits des ces deux auteurs nous permettent d'apprécier l'utilité sociale et culturelle des personnes âgées dans l'Afrique traditionnelle. Ce n'est pas le cas pour celles des pays européens qui sont perçues comme des " déchets sociaux " n'ayant aucune participation sociale.

Et c'est pour illustrer cette représentation que la société occidentale a des vieillards, que Jean- marie Vetel16(*) écrit ceci :

En France on n'aime pas les gens qui ont l'air vieux. Alors qu'ils n'ont jamais été aussi nombreux, les vieillards font peur, parce qu'ils nous forcent à nous projeter dans notre propre vieillissement. Ce qui est demandé aux vieux, c'est de conserver au maximum les attributs de la jeunesse, la beauté, la santé, la forme physique. 

Quelques fois, la personne âgée peut donner l'impression de ne pas entendre, de ne plus voir ce qui se passe à l'extérieur. La société moderne véhicule des images négatives sur les " vieux " : personnes inutiles, acariâtres, avares, grincheuses, égocentriques, rigides. Elle donne aussi une image de mort, surtout pour la personne dépendante. Cette mort est rejetée ; tout le monde doit être jeune, beau et en bonne santé.

Les  vieillards  ne doivent pas manifester de déchéance, ne doivent pas être trop visibles dans le paysage social, surtout lorsque leurs corps ne correspondent plus aux normes en vigueur.

L'anthropologue Bernadette Puijalon, citée par Vetel, déclare même que :

 Les personnes âgées sont écartées dans des structures ghettos ! On les fait vivre dans une ambiance de pensionnat, avec une bouffe de pension. !

La société exprime également un refus de voir des individus vieillir, la mode étant à la jeunesse éternelle. Le " vieux " est représenté par les médias en bonne santé (publicité pour eau minérale) ou utilisant de la crème de soins pour atténuer les effets physiques du vieillissement. La personne âgée dépendante n'est que l'ombre d'elle-même, elle est presque honteuse, du fait que le monde présent lui reproche sa faiblesse, sa marginalité par rapport aux normes sociales de beauté éternelle.

L'image du vieillard  est ambivalente : il y a le " vieux " respectable, enrichissant, affectueux ; et puis celui qui est figé, intolérant, vulgaire et agressif.

Les points de vue de ces trois auteurs convergent vers la même réalité : la représentation qu'on se fait des personnes âgées, actuellement en Afrique, semble rejoindre, celle de l'Europe, eu égard au changement social qui s'est opéré au sein des sociétés africaines. Ceci explique l'attitude de rejet de la société vis-à-vis des personnes âgées. C'est cette attitude qui de nos jours, est entrain de prendre le pas sur les valeurs traditionnelles ; à telle enseigne qu'en lieu et place du prestige social dont jouissaient les personnes âgées, il est de plus en plus question de maltraitance.

Amadou Hampaté BÂ (1972) abonde dans le même sens quand il écrit que le principal responsable de la destruction des sociétés africaines, est la colonisation qui a été le tremplin par laquelle l'occident a nié toute la culture et l'histoire africaine. Pour elle, la seule connaissance valable, capable d'apporter la " lumière " aux sociétés africaines dites sauvages, s'acquiert dans les écoles conventionnelles. Celles-ci, dans le même temps, dépossèdent les vieillards de leur rôle central qu'est l'éducation. Car comme nous l'apprend l'auteur : 

La connaissance africaine est une connaissance globale, une connaissance vivante qui se transmettait régulièrement de génération en génération, par les rites d'initiation et par les différentes formes d'éducation traditionnelle. Cette transmission régulière s'est trouvée interrompue du fait d'une action extérieure, extra africaine : l'impact de la colonisation (...). Et c'est pourquoi les vieillards qui sont les derniers dépositaires, peuvent être comparés à de vastes bibliothèques dont les multiples rayons sont reliés entre eux par d'invisibles liens qui constituent précisément cette science de l'invisible authentifiée par les chaînes de transmission initiatique. La chaîne qui relie la vieille génération à la jeune génération a été rompue et de plus en plus, l'on note des conflits entre les deux. Or, le fonctionnement de la chaîne commandait aux jeunes, le respect à l'égard des aînés car comme dit le proverbe africain : c'est l'enfant qui sait laver sa main, qui mange en compagnie des vieux.

Dans ce contexte, apprécions les écrits sur les conditions de vie des personnes âgées.

I.2.3 Les conditions de vie des personnes âgées

Simone de Beauvoir (1970) a effectué une étude sur les conditions de vie de ceux qu'elle nomme les " vieux " (les personnes âgées) dans le monde et dans l'histoire.

A travers cette étude, cet auteur pose la question des relations qui existent entre les adultes, les jeunes gens et l'ancienne génération.

Pour De Beauvoir, le vieillard est de plus en plus éloigné des autres membres de la société. Ceci s'explique par le fait que le vieillard est caractérisé par  une exis, non par une praxis. Le vieux, n'étant plus en activité, les autres membres actifs de la société restent indifférents à sa présence. Cette situation est plus accrue dans le cas des personnes âgées masculines.

L'attitude de l'adulte ou du jeune à l'égard de son père âgé, se caractérise par le fait qu'il le manoeuvre. C'est une attitude hypocrite. Au fond, selon De Beauvoir, ce dernier ne sert à rien. Il est considéré comme un objet encombrant, inutile. Réciproquement, les filles comme dans la relation père fils, éprouvent souvent du ressentiment envers leur mère et leur attitude est analogue à celle des fils avec leur père. Toujours selon De Beauvoir :

Quand l'adulte n'a pas de lien personnel avec eux, les vieillards suscitent chez eux un mépris teinté de dégoût. La relation grand-père, petit- fils se caractérise par une réciproque affection. Cependant si beaucoup d'enfants chérissent leurs grands-parents, d'autres ont tendance à se rire d'eux, de  cet adulte déchu, affaibli et bizarre.

L'auteur révèle aussi que quand on s'intéresse aux personnes âgées, c'est dans un but lucratif à travers les cliniques, les maisons de repos et autres résidences.

De cette étude de De Beauvoir, une piste de recherche s'ouvre à nous : Quelle est l'attitude des adultes et des jeunes à l'égard de l'ancienne génération ?

En Finlande17(*), le Ministère des Affaires sociales et de la Santé a fait des publications sur les conditions de vie des personnes âgées. L'un des points abordés, concerne l'habitat et le cadre de vie.

Parlant de l'habitat et du cadre de vie, les auteurs de ces publications ont relevé que la très grande majorité des personnes âgées - soit 86% des plus de 75 ans - vivent dans des logements ordinaires. Par ailleurs, plus de 50% des femmes de plus de 75 ans et près d'un quart des hommes du même âge, vivent seuls. Certes dans les années 1990, beaucoup de logements de personnes âgées ont été réparés, convenablement équipés et adaptés. Toutefois, l'absence d'ascenseurs dans de nombreux immeubles est un grave problème. Les personnes âgées rencontrent aussi des difficultés quotidiennes dans les logements qui sont étroits pour celles qui utilisent des fauteuils roulants et d'autres accessoires dans leurs déplacements. En outre, une personne âgée sur quatre, estime que les magasins, la poste, la banque, la pharmacie et/ou les services de santé sont situés trop loin de chez elle. Toujours dans les années 1990, l'habitation dans un centre de logements et de services, s'est généralisée plus rapidement qu'aucune autre forme de services aux personnes âgées, remplaçant le soin en établissement.

Ces auteurs ont aussi montré que les personnes âgées soignées dans les établissements sont de moins en moins nombreuses, car elles y sont placées de manière prolongée à un âge de plus en plus avancé. Près de deux tiers des plus de 65 ans, sont domiciliées dans des villes ou communautés urbaines. Mais à la campagne, la proportion des retraités est nettement supérieure à celles des citadins à la retraite.

Ces auteurs ont eu le mérite d'analyser les conditions de vie des personnes âgées en termes de relation avec leurs proches parents, d'habitat et de cadre de vie. Ils nous renseignent donc sur leur situation sociale, dans certains pays européens. Mais ils ne nous instruisent pas sur la situation psychologique des personnes âgées, encore moins sur leur situation économique.

Ira Bruno (2006) a également mené une étude sur les conditions de vie des personnes âgées, sous le titre : Conditions de vie des personnes âgées et solidarité sociale et familiale à l'épreuve de la pauvreté en milieu urbain : le cas de la ville d'Abidjan. Selon lui, depuis le début des années 1980 que la crise socioéconomique affecte directement les moyens d'existence des populations, la catégorie sociale des personnes du troisième âge, est devenue de plus en plus vulnérable à la pauvreté.

A cet effet, il montre que le nombre de personnes âgées vivant en dessous du seuil de pauvreté qui est de 183 358 francs CFA par personne et par an, est de plus en plus croissant . Aussi, les ménages pauvres dirigés par les personnes âgées ont-ils augmenté en moins de deux décennies, passant de 11% de la population en 1985 à 36% en 2002.

Contrairement aux personnes âgées de la Finlande qui bénéficient des logements sociaux réhabilités et équipés par l'Etat, celles de la Côte d'Ivoire en général et d'Abidjan en particulier, sont à 36,99% locataires des maisons qu'elles habitent et à 6,69% logées par leurs familles.

C'est donc pour améliorer les conditions de vie de ces personnes âgées que l'auteur propose à travers son étude, la solidarité familiale et sociale comme solution. Toutefois, il reconnaît que dans le contexte actuel de crise économique et de changement social, l'entraide à l'égard des personnes âgées devient rare.

Dans un tel contexte, les personnes âgées sont de plus en plus livrées à elles mêmes et sujettes pour la plupart, à la maltraitance.

I.2.4 La maltraitance des personnes âgées

Ecouter et prévenir la maltraitance envers les personnes âgées  est le titre d'un article écrit par Robert Hugonot et Françoise Busby18(*). A travers cet écrit, ils font une analyse des maltraitances envers les personnes âgées.

Selon ces auteurs, la maltraitance des personnes âgées est restée jusqu'à une période récente, un phénomène méconnu, renié, ne faisant l'objet d'aucune étude ni, a fortiori, de prévention. La maltraitance des personnes âgées reste encore assez secrète et se développe tant en famille qu'en institution.

En famille : les recherches19(*) ont montré que la violence serait un mode de vie habituel dans 20% des familles, violence contre tous les êtres faibles de la famille : enfants, femmes, et personnes âgées. Aussi, plusieurs études ont-elles montré que les adules maltraitant leurs parents, ont souvent été eux-mêmes des enfants maltraités. Devenus adultes, les enfants maltraités silencieux, devant le pouvoir de leurs parents, se révèlent à leur tour maltraitants, quand avec l'avance en âge, leurs parents faiblissent physiquement et intellectuellement.

L'on peut à cet effet, citer l'étude de Jill E. Kurbin, Georgia Anetzberger et Craig Austin20(*). Sous le titre : Cycle intergénérationnel de violence, dans le cas de maltraitance d'enfants et de vieillards, ces auteurs ont fait un rapport sur les violences contre les personnes âgées (23 cas). Les maltraitants, ont tous dit avoir été victimes de violences, dans leur enfance.

Pour Hugonot (2003), c'est par l'épuisement de la tolérance que l'on arrive à la violence à l'égard des personnes âgées. Dans la relation avec les personnes âgées, il peut arriver que le comportement d'un des deux partenaires atteigne un tel niveau répétitif ou démesuré qu'il épuise la tolérance de l'autre. On peut alors entendre des propos tels que « je n'en pouvais plus, elle m'a épuisé, alors je l'ai giflée. ».C'est donc la tolérance qui craque et l'idée de rejet qui prend naissance.

Dans le couple âgé, poursuit l'auteur, la violence est le plus souvent liée à un renversement de pouvoir. Du fait de son affaiblissement intellectuel et de son âge plus élevé, le conjoint dominateur dépend désormais de celui qui était auparavant dominé, et qui devient souvent son soignant principal. 

La violence familiale à l'égard des personnes âgées est souvent liée aux traits du caractère et aux attitudes et comportements de ces dernières. Selon Hugonot, nous trouvons dans la littérature de nombreux portraits de vieillards odieux, tyranniques et provocateurs. Repliés sur leur "  argent ", tel Arpagon, ou naturellement hostiles à leur environnement familial ou social sur lequel ils rejettent leur refus de vieillir, de vivre une vie désormais trop longue et seul, incapables de faire le deuil de leur jeunesse ou d'assumer leur veuvage.

Cela donne par exemple l'image de  Tatie Danielle, personnage ambigu et méchant du film d'Etienne Chatiliez, devenant incontinente pour maltraiter les siens jusqu'au drame final.

Une autre image que donne l'auteur, est celle de La vieille dame des rues de Henri Ghein (1994) que Michel Drouin décrit dans sa préface comme une  atroce petite vieille misanthrope, hargneuse, rancunière et roublarde, douée d'un égoïsme pervers et sordide .

Ce sont encore les Cahiers déchirés de Monique Lange, dont le père était décrit par Bernard Pivot comme coléreux, injurieux, tyrannique et mythomane.

Il est important dans la présente étude, contrairement aux précédentes, d'indiquer les membres de leurs familles avec qui les personnes âgées entretiennent des relations cordiales ou conflictuelles d'une part ; et ceux qui sont géographiquement proches ou éloignés d'elles, d'autre part.

En institution : si la maltraitance en famille est secrète, cachée, et non dite, la maltraitance en institution, en occident, l'est plus encore parce que ceux qui y travaillent, opposent leur " esprit de corps " à la révélation de la vérité.

Ainsi, dans Vieillesse des pauvres, les chemins de l'hospice, cité par R. Hugonot, Nicolas Benoît Lapierre (1980) ne parle pas de violence, mais de la contrainte de la règle, de l'enfermement général derrière les hauts murs de l'asile. Dans ces institutions, on écoute des personnels qui dénoncent la rigidité administrative sans qu'il soit jamais question de violence que certains de ces personnels seraient susceptibles d'exercer.

Les premières études révélant la maltraitance en institution des personnes âgées remontent au début des années quatre-vingt. Aux Etats-Unis21(*), en 1983, Almendaris a découvert une  cavalcade de maltraitances en maisons de retraite. Pillemer, en 1989, parle de  découvertes décourageantes  dans ces établissements. Toujours au Etats-Unis, D.W. Moore, en 1989, publie une maltraitance passive à l'échelle massive.

Ces auteurs observent que le personnel se comporte de façon inappropriée, en travaillant dans des conditions stressantes et difficiles.

En Grande Bretagne22(*), M. Vousden en 1987, parle de personnes rançonnées (rackettées) dont la mort aurait été accélérée.

En 1989, P. Horrtosks23(*) fait l'analyse de douze services de long séjour. Ses conclusions :

Services trop grands, peu accueillants, sans protection de la vie privée des résidents, résidents trop nombreux, lits trop proches les uns des autres, mobiliers en mauvais état, pas de tapis ou moquette, vie privée menacée même quand l'équipe d'inspection est présente, malade lavé nue à la vue de tous, nourriture pauvre sans choix, heures trop précoces, absence de plan de soins, réduction du nombre d'infirmiers, diminution des interventions de médecins ou soignants spécialisés. »

L'auteur conclut en disant qu'il s'agit d'une  maltraitance passive à une échelle massive.

A cette longue liste, Hugonot ajoute les meurtres, les violences sexuelles, la familiarité, le ligotage, la contention physique, le vol.

Ces recherches relèvent deux catégories de maltraitance en institution. Dans la première catégorie, la maltraitance est liée au règlement de l'institution ou à leur absence, ainsi qu'à la gestion de l'établissement et aux consignes de la direction.

La seconde catégorie est liée aux attitudes des personnels et à leurs actes individuels.

Paul Paillat24(*) abonde dans le même sens quand il dit que les institutions conçues pour apporter la consolation aux personnes âgées s'avèrent un enfer pour elles. Il décrit l'hospice comme étant : 

Le mélange des valides et des grabataires dans de vastes salles, la séparation des ménages, l'abandon du mobilier personnel, la nourriture uniforme et mal conçue, l'insuffisance du contrôle médical, l'absence de formation du personnel, la séparation d'avec la vie sociale normale, sont autant d'atteintes au moral et l'équilibre physique et psychique des vieillards ainsi hébergés dans des locaux dont l'aspect est souvent sinistre où l'oisiveté accroît le sentiment d'inutilité. A la limite du pamphlet, certains ont qualifié de tels hospices d' " antichambre de la mort ", de " pourrissoirs ".

Ces différents écrits nous permettent de percevoir l'ampleur des actes de maltraitance que subissent les personnes âgées dans les pays développés. Ils mettent également en évidence des logiques sociales qui sou tendent cette maltraitance : l'épuisement de la tolérance (en famille) et les conditions difficiles de travail (en institution). C'est en cela que ces écrits constituent pour nous, un apport très appréciable dans le cadre de cette étude. Cependant, ces auteurs ne mentionnent pas la nécessité, voire l'urgence de connaître la psychologie des vieillards. Méconnaître cette psychologie, c'est faire obstacle aux aides proposées dans la mesure où les personnes chargées de s'occuper des aînés sociaux l'ignorent souvent.

Jean Charles Escribano (2007), met également à nu les conditions de vie humaines et la maltraitance des vieillards dans les maisons de retraite sensées être solidaires de la misère des vieillards. Ces maisons apparaissent pour les familles qui viennent y laisser les vieux parents "encombrants", comme une garderie en attendant que l'institution annonce leur mort qui est imminente, vu les traitements inhumains. Pour lui, les personnes âgées, même si elles sont atteintes de démence (Alzheimer), ont droit au respect et on doit leur concéder leur dignité humaine. Les maisons de retraite, loin d'être des mouroirs et des institutions totalitaires, doivent exercer leur rôle d'aide.

A ces deux types de " programmes " (le vieillard à la maison et le vieillard en institution), Paul Paillat privilégie celui qui maintient le vieillard à la maison.

En effet, il recentre le cadre familial comme le milieu de prédilection de l'épanouissement de l'être humain en général et en particulier des vieilles personnes. C'est pourquoi, il dit que :

L'une des règles d'or de la politique de la vieillesse devrait être de permettre à la personne âgée " de rester le plus longtemps possible dans son cadre familier " » car « toutes les expériences françaises et étrangères, toutes les enquêtes soulignent la valeur psychologique de l'attachement au foyer, fût-il misérable. Les médecins constatent une plus grande rapidité dans la convalescence selon que le malade rentre chez lui ou reste à l'hôpital.

Mais que faut- il entreprendre concrètement pour maintenir les vieillards dans le cadre familial ?

A cette interrogation, Paul Paillat répond que le programme doit viser l'octroi d'une allocation de loyer, d'une aide ménagère, d'une aide médicale et des services collectifs.

L'allocation de loyer a pour objectif dans un premier temps de permettre aux vieillards de payer leur loyer mais plus encore d'abandonner les logements devenus incommodes pour leur âge. Par exemple des vieilles personnes qui malgré leur état doivent rejoindre leur maison au 4e étage par l'escalier.

L'aide ménagère est une assistance que les personnes rémunérées par l'Etat apportent à domicile à des personnes âgées ; c'est un service domestique.

L'aide médicale consiste à un service de soins à domicile et à une hospitalisation à domicile.

Enfin, les services collectifs sont des aides apportées par le quartier aux personnes âgées. Parmi ces services, nous pouvons citer la fourniture de repas, le lavage et le raccommodage du linge, l'ouverture de foyers d'accueil.

Comme on le constate, ces aides, dans l'ensemble, reposent sur la satisfaction des besoins essentiels afin de sortir cette frange sociale de l'isolement. Toutefois, l'éthique à respecter, nous rappelle l'auteur, est celle de la dignité des personnes âgées : ne pas leur insinuer qu'elles sont des nécessiteuses.

Somme toute, les personnes âgées sont maltraitées tant en famille qu'en institution. Dans les deux cas, l'on dénote plusieurs catégories de maltraitances25(*). Les maltraitances les plus fréquentes sont d'ordre financier et psychologique (27% chacune).

Pour ce qui est du domaine financier, il s'agit non seulement de la rétention des pensions, des vols, des escroqueries, de l'héritage anticipé, de spoliation d'argent, de biens mobiliers et immobiliers, mais aussi, de vie aux crochets de l'aïeul.

Dans le domaine psychologique, les maltraitances vont de la menace d'abandon aux privations de visite et aux humiliations diverses. Elles concernent aussi les mauvais traitements psychologiques qui englobent le langage grossier, les injures, la cruauté mentale, les menaces, l'infantilisation et la dévalorisation (vieille, mémère), l'abus d'autorité (prendre des décisions à la place de la personne, par exemple), le chantage et l'abus social (ignorer la présence de la personne, avoir des préjugés...).

En plus, il existe d'autres formes de maltraitances26(*) telles que :

Les maltraitances physiques (15% des cas signalés) regroupent les brutalités, les coups, les gifles, les escarres non ou mal soignées.

Moins connues que les précédentes, mais très nombreuses (15%) sont les négligences d'aide à la vie quotidienne, volontaires ou non : lever, coucher, toilette, repas, marche. A ceux-ci, il faut ajouter les meurtres, les coups et blessures délibérés, les viols, le ligotage à un lit ou à une chaise, l'alimentation inadéquate, etc.

Les maltraitances médicamenteuses (4 à 5% des cas signalés) qui sont l'excès de médicaments, de neuroleptiques ou, à l'inverse, la privation de médicaments et de soins.

Par ailleurs, il faut noter la violation des droits des personnes âgées et leurs négligences actives (placement autoritaire, enfermement...) et passives (oubli, auto négligence).

Selon Robert Hugonot et Françoise Busby27(*), les victimes sont en majorité des femmes veuves (75%) vivant en famille. Les hommes (25%) sont maltraités par leurs conjointes, un membre de la famille ou encore par une tierce personne, compagne de "quelque temps", dame de compagnie abusive.

La moyenne d'âge des victimes est de 79 ans.

Quant aux maltraitants, ce sont en majorité des membres de la famille (52,9%). On trouve par ordre de fréquence : les fils, les filles, puis les cousins, les neveux, nièces, conjoints et, enfin les petits enfants, adultes ou adolescents.

Les professionnels soignants (infirmiers, aides soignants, aides ménagères, etc.) représentent 19,6% des maltraitants.

Les amis et voisins sont impliqués dans 12,4 % des cas.

Le maltraitant  type  est souvent un enfant du maltraité, la plupart du temps un homme (fils, gendre ou conjoint) dont la situation financière est précaire. Les descendants vivant aux crochets de l'aïeul sont plus facilement maltraitants.

L'épuisement physique et moral des aidants est un des premiers facteurs de maltraitance. A Cela s'ajoute l'ignorance des possibilités d'aide.

Face aux mauvais traitements qu'elles subissent, quelles réactions peut-on observer de la part des maltraités ?

I.2.5 Réaction des personnes âgées aux comportements maltraitants

Sous le titre Perceptions et réactions des personnes âgées aux comportements maltraitants, Hélène Thomas28(*) a mené une étude qualitative sur les perceptions et les réactions des personnes âgées face à des comportements négatifs, des atteintes ou des actes de maltraitance dont elles sont victimes en institution ou à leur domicile.

L'étude a porté sur ce que les personnes âgées (elles-mêmes ou leurs proches) considèrent comme des faits de maltraitance, qu'elles utilisent ou non ce terme.

La notion de maltraitance désigne dans cette étude, des comportements répétés et banalisés de violence, dans leur vie quotidienne. Les personnes qui en sont victimes déclarent que ces comportements leurs causent désagrément, douleur, chagrin, humiliation, honte, indignation ou colère....

En France par exemple, ces actes donnent lieu à des plaintes des personnes âgées contre leurs maltraitants. Ces motifs de plainte sont posés tant à domicile qu'en établissement.

Par ailleurs, en réaction à cette maltraitance, certaines personnes âgées exercent la violence contre elles-mêmes. C'est ainsi que des études de l'OMS29(*) (Organisation Mondiale de la Santé) ont montré que le taux de décès par suicide augmente nettement à partir de 70 ans.

D'autres par contre, garde le silence de la résignation. Elles donnent l'impression de consentir, parce qu'elles se taisent, alors que leur silence est celui de la résignation comme le souligne Hugonot30(*).

Les personnes incriminées, citées par l'auteur, sont aussi bien la direction et le personnel de l'établissement que les autres résidents ou les familles, ainsi que le voisinage, pour les personnes vivant à domicile. Ces dénoncés sont ainsi, des médecins libéraux des services hospitaliers, des tuteurs et curateurs, des aidants professionnels à domicile et des services sociaux, du personnel para médical, de la famille, des commerçants, etc.31(*).

Certes, ces différents écrits nous renseignent sur les conditions de vie liées aux mauvais traitements des personnes âgées au sein de leurs propres familles comme en institutions. Cependant, ils ne concernent que les personnes âgées des pays occidentaux en général. Ils ne prennent pas en compte celles des pays africains encore moins celles de la Côte d'Ivoire et singulièrement celles d'Adjamé-village, qui vivent des réalités socioculturelles différentes.

C'est cette insuffisance que nous voudrions palier dans notre étude, en analysant les conditions de vie des personnes âgées d'Adjamé-village, sous le regard de la maltraitance.

La vieillesse, dans la littérature n'est pas que désolation. Elle est aussi radieuse.

I.2.6 La vieillesse rayonnante

Les auteurs des discours sur la vieillesse rayonnante sont conscients que cette période de la vie entraîne des déclins. Mais il faut admettre ces déclins comme normaux et non comme pathologiques, appelant l'isolement social de la personne âgée. Ces discours plaident en faveur d'une indulgence. Ils exhortent à voir dans la vieillesse des aspects luisants. C'est dans un tel contexte que Hérault De Séchelles32(*), à la suite de sa visite à Buffon, s'exclame en disant :

Je vis une belle figure, noble et calme. Malgré son âge de 78 ans, on ne lui en donnerait que 60 ; et ce qu'il a de plus singulier, c'est que venant de passer 16 nuits sans fermer l'oeil, et dans des souffrances inouïes qui duraient encore, il était frais comme un enfant et tranquille comme en santé. On m'assure que tel était son caractère.

Jamais d'humeur, jamais d'impatience (...). Il était frisé, lorsque je le vis, quoiqu'il fût malade ; c'est là une de ses manies, et il en convient.

Ici, ce qui est captivant c'est que Hérault De Séchelles surmonte l'effet de la misère imposée par la maladie pour vanter la beauté, les qualités morales et psychiques du presque octogénaire ; son caractère stoïque qu'il affiche contre la souffrance. Il rompt ainsi la chaîne « vieillesse - hospice - déchéance » des XVIIe, XIXe, et XXe siècles.

Pour Ciceron33(*), c'est détourner l'attention que de focaliser tous les discours sur la perte de la force physique chez le vieillard. Pour cela, il émet quatre idées fortes en faveur de l'âge magnifique. Selon lui :

La vieillesse ne détourne pas des affaires, car il y a des activités qui conviennent aux vieillards, celles qui requièrent autorité et jugement. Le déclin physique ne gène : on ne demande pas à un vieillard d'être fort. Le renoncement aux plaisirs de la table, de l'amour est une libération plus qu'une punition, et laisse place à d'autres plaisirs, par exemple l'agriculture et la satisfaction de voir au jardin croître ses récoltes. 

Certes ! Avec l'étape de vieillesse, il y a des pertes avec lesquelles il va falloir compter, mais il y a aussi des gains qui appellent à une réorganisation ou une adaptation. Dans ce cas, pendant la période homérique par exemple, le Conseil des anciens et de la magistrature était composé de personnes âgées. Dans les pays occidentaux, on encourage les personnes âgées à demeurer actives en entretenant les jardins.

Robert Hugonot dans La vieillesse maltraitée34(*), écrit 

J'ai vu des vieillards heureux rassembler leurs souvenirs, leurs photos et écrire l'histoire de leur vie, de leur métier, de leur famille, de leur ville, les faire lire autour d'eux comme témoignage du temps passé. (...). J'ai vu des vieillards heureux de jouer dans leur famille un rôle grand-parental et arrière grand-parental.

Mais j'ai vu aussi des vieillards rapetissés, racornis, concentrés dans un espace réduit... Et d'autres errants dans la rue, un cabas à la main, une canne dans l'autre, cheminant lentement de l'épicier au boulanger, du boulanger au domicile, sans vivre rien d'autre que leur passivité. Et puis j'en ai vu d'autres, effrayés de vivre, pleurant au téléphone l'histoire des souffrances qu'ils endurent.

Cette étude sur la vieillesse rayonnante se présente comme un véritable plaidoyer que font ces auteurs en faveur d'une vieillesse heureuse. Ils n'ignorent pas les difficultés de tous ordres liées à la vieillesse. Cependant, celle-ci peut se vivre positivement si la société s'engage à intégrer les personnes âgées en son sein. Il est alors ici question, de la participation sociale et de l'utilité sociale des personnes âgées, en lieu et place de leur maltraitance. C'est dans ce contexte que s'inscrit notre étude. Nous voudrions analyser la réalité dialectique des conditions de vie des personnes âgées d'Adjamé-village, sous l'angle de la maltraitance.

Au total, ces écrits nous ont été d'une très grande utilité. Ils nous ont permis d'apprécier les conditions de vie et la maltraitance des personnes âgées, surtout dans les pays développés. Ces écrits ont constitué pour nous des cadres de références, essentiellement au niveau de l'orientation théorique, dans le sens de l'approche et de la compréhension du thème de maltraitance. Ceci nous a ouvert la voie d'une recherche empirique spécifique sur la maltraitance à Adjamé-village.

Quels sont les objectifs de la présente étude ?

I.3. Objectifs de l'étude

I.3.1 Objectif général

L'étude vise à saisir la construction sociale de la maltraitance des personnes âgées, par l'analyse des logiques sociales et des différentes formes de maltraitance.

De cet objectif général découlent des objectifs spécifiques.

I.3.2 Objectifs spécifiques

1. Identifier les attitudes et les comportements de la société ébrié en général et des membres de la famille en particulier, à l'égard des personnes âgées.

2. Evaluer la charge que constituent les personnes âgées pour leurs différentes familles.

3. Mettre en exergue les sentiments de frustration des personnes âgées, résultants des formes de maltraitance.

I.4. Thèse

De l'observation empirique, l'évolution de la société ivoirienne favorise le rejet des personnes âgées. En effet, de la société traditionnelle à notre société actuelle, de la famille élargie à la famille nucléaire, le statut et le rôle des personnes âgées tendent à se dégrader. Or l'acceptation d'une personne dépend de son statut et du rôle que cette dernière joue dans la société. Ce manque fait des personnes âgées une véritable charge. Cette charge est plus ressentie par les membres de leurs familles qui, à la longue, finissent par se lasser. C'est ici que commencent dans la plupart des cas, des actes de maltraitance. De ce fait, les personnes âgées seront maltraitées tant qu'elles resteront uniquement dépendantes des seuls membres de leurs familles, surtout qu'au niveau institutionnel, il n'y a rien pour les prendre en charge, alors qu'une politique sociale pourrait être clairement définie et exécutée en leur faveur.

I.5. Hypothèses de recherche

La maltraitance des personnes âgées s'explique par la représentation qu'on se fait d'elles et par leur niveau d'intégration au sein de la communauté, résultante de leur participation et de leur utilité sociale. A Adjamé-village, les personnes âgées sont perçues comme des charges et non comme des personnes indispensables ; ceci, parce qu'elles mobilisent les ressources humaines et financières, de par leurs conditions de vie. Elles mènent donc une vie de dépendance qui favorise leur maltraitance.

I.6. Approche conceptuelle

Selon Durkheim (1968 : 35),  

tout discours scientifique doit utiliser des concepts clairs et précis afin de se démarquer de la confusion qui caractérise le sens de chacun.

Ainsi, une clarification des concepts s'avère nécessaire à la compréhension de notre étude. Elle est également utile pour mieux organiser et orienter notre recherche. Nous nous proposons de définir ici, les concepts théoriques suivants : conditions de vie,  personnes âgées, maltraitance, dépendance, représentation sociale, intégration sociale. Pour mieux expliquer ces concepts, nous allons leur donner un contenu opératoire.

I.6.1 Conditions de vie

Pour donner un contenu opératoire au concept de conditions de vie, nous allons définir les dimensions suivantes : conditions matérielles, économiques, sociales, psychologiques et physiques.

I.6.1.1 Conditions matérielles 

Dans le cadre de cette étude, la situation matérielle des personnes âgées va se définir en rapport à leurs moyens de subsistance, leur mode d'hébergement et leurs frais médicaux.

Les moyens de subsistance font mention de l'alimentation des personnes âgées. Cette dernière s'observe à travers leurs différents mets quotidiens.

Le mode d'hébergement, c'est la manière dont les personnes âgées sont logées. Il inclut le lieu d'habitation (la résidence) et les conditions d'hygiène corporelle, vestimentaire et environnementale (la cour, les toilettes, les chambres, etc.). Les frais médicaux, c'est les moyens financiers indispensables pour satisfaire les exigences de santé des personnes âgées.

I.6.1.2 Conditions économiques

La vie économique des personnes âgées, nous renvoie, à un premier niveau, à leur engagement ou non, dans des activités économiques. Ces activités peuvent renfermer entre autres, la maçonnerie, la menuiserie, la couture, l'agriculture.

A un second niveau, nous expliquons ce concept par l'impact de la pension de retraite et des autres sources de revenu, sur le vécu quotidien des aînés sociaux d'Adjamé-village. Nous entendons par autres sources de revenu, les revenus issus de loyers ou une aide quelconque.

I.6.1.3 Conditions sociales

Pour donner un contenu opératoire à cette dimension des conditions de vie, nous allons raisonner d'une part, en terme de position sociale c'est-à-dire, la place occupée par les personnes âgées au sein de leur génération d'appartenance, de leur classe d'âge, de la chefferie, de la grande famille et de leur communauté religieuse ; et d'autre part, en terme d'instruction (Analphabète, niveau d'étude primaire, secondaire ou supérieur) et de catégorie socioprofessionnelle (ouvriers, cadres supérieurs...).

I.6.1.4 Conditions psychologiques

Dans notre contexte, nous entendons, d'abord, par conditions psychologiques, les interactions des personnes âgées avec leur environnement social (la société ébrié en générale et les familles en particulier) ; ensuite, l'image que les personnes âgées ressentent d'elles-mêmes et des générations plus jeunes. Et enfin, nous notons les frustrations liées aux stéréotypes véhiculés en leur encontre, au manque d'affection, à la solitude, à l'inactivité et aux difficultés de tous ordres, rencontrées par les personnes âgées.

I.6.1.5 Conditions physiques

Les conditions physiques des personnes âgées, dans cette étude, expriment d'un côté, la sénescence ou processus physiologique du vieillissement avec pour conséquence, la perte d'adaptabilité de l'organisme à mesure que le temps passe.

De l'autre, elles englobent leur état de santé à savoir, leur bien-être physique (absence de maladie déclarée), psychologique (équilibre affectif, manque d'angoisse prolongée) et sociale (rapports sociaux satisfaisants avec les autres membres de la communauté).

I.6.2 Personnes âgées

Nous définirons le concept de personnes âgées, des points de vue chronologique et social.

Du point de vue chronologique, les personnes âgées constituent l'ensemble des hommes et des femmes, qui ont atteint ou dépassé l'âge de 60 ans. Cette frange de la population se subdivise en deux grands groupes. Le premier groupe appelé  " personnes de troisième âge  ", est composé de personnes qui ont un âge compris entre 60 et 74 ans révolus. Le second groupe nommé  "personnes de quatrième âge ", concerne l'ensemble des personnes dont l'âge est supérieur ou égal à 75 ans.

Du point de vue social, les caractéristiques des membres de la société qui sont considérés comme âgés, varient selon le contexte culturel et d'une génération à une autre.

I.6.3 Maltraitance

Dans cette recherche, la maltraitance est synonyme de violence. Elle désigne les mauvais traitements ou la négligence que les personnes âgées peuvent subir de la part de leurs enfants, de leurs petits enfants et d'autres membres de leurs familles ou d'autres personnes en situation de pouvoir ou de confiance.

De là, la maltraitance englobe toutes les formes de violence qui sont : les sévices physiques (viol, coups et blessures), psychologiques (peur, intimidation, abandon, humiliation), matériels (vols d'argent, de biens ou d'objets). 

I.6.4 Dépendance

Dans le cadre de cette étude, la notion de dépendance, fait référence à l'assujettissement des personnes âgées à l'Etat, à leurs familles et aux institutions villageoises. Elle est à la fois économique et sociale.

L'économique renvoie essentiellement au soutien financier et matériel, à la personne âgée. Le social, quant à lui, renferme l'assistance à cette dernière en vue de la satisfaction de ses besoins corporels (toilette, soin, nourriture).

I.6.5 Représentation sociale

La représentation sociale, en ce qui nous concerne, est l'image que l'on a des personnes âgées. C'est la perception et la vision que la société a d'elles. Réciproquement, c'est l'image, la perception et la vision, qu'ont les personnes âgées, du monde et des acteurs sociaux.

I.6.6 Intégration sociale

Nous développerons l'intégration sociale du point de vue culturel. Il s'agira d'une part, de l'adhésion des jeunes et des aînés sociaux, aux règles de structuration et de fonctionnement du village ébrié d'Adjamé. D'autre part, il sera question de l'opposition des normes de conduite du grand âge et de celles des jeunes générations.

Au total, l'intégration sociale, ici, fait référence à l'interaction entre les personnes âgées et les autres générations qui les entourent.

Chapitre II : CADRE METHODOLOGIQUE

II.1 Délimitation du champ d'étude

II.1.1 Le champ géographique

L'enquête de terrain se déroule dans la commune d'Adjamé, précisément à Adjamé-village.

La principale raison qui motive ce choix est que ce village est situé au coeur de la ville d'Abidjan et par conséquent, est à cheval entre la modernité et la tradition. Nous nous interrogeons d'une part sur la place qu'occupent les personnes âgées dans un tel village, et d'autre part, sur leurs conditions de vie dans une société ébrié, stratifiée en classes d'âge.

II.1.2 Le champ social

Le champ social permet d'indiquer la frange de la population qui constitue la principale cible de l'étude. Aussi, les personnes âgées de 60 ans ou plus, les membres de leurs familles respectives sont-ils directement concernés par notre enquête, ainsi que les autorités coutumières et les jeunes générations.

La société ébrié étant une unité sociale irréductible, nous voudrions comprendre à travers son histoire, sa coutume et son fonctionnement, la perception de la vieillesse, le rôle et les conditions de vie des aînés sociaux, en son sein.

II.2 Méthode d'analyse : la méthode dialectique

Pour analyser et expliquer les conditions de vie des personnes âgées, nous pensons que la méthode dialectique est la plus appropriée. Pour cela, appuyons nous sur les quatre principes fondamentaux de la dialectique (Paul Foulquié, 1962 : 62).

A travers le premier principe de cette dialectique (la loi du mouvement), une approche historique de la problématique des personnes âgées d'Adjamé-village s'impose. Cette approche est celle qui a recourt à la connaissance du passé. Elle permet l'établissement des faits : elle les groupe, les agence et les construit.

Elle conduit donc à la construction des faits humains passés, des évènements passés et des phénomènes qui caractérisent la vie de l'homme en société.

Ainsi, cette méthode nous permet de relever, de comprendre et d'expliquer l'évolution des différentes positions qu'ont occupées dans le temps, les personnes âgées, dans le système social ébrié à classes d'âge, d'Adjamé-village.

Ici, la personne âgée a été enfant, jeune et adulte. Elle a une histoire. Et l'histoire de sa vie est importante à recueillir et à analyser. Ceci peut permettre de comprendre ses conditions de vie actuelle. Nous pouvons également par cette approche saisir ses aspirations.

Le second principe d'analyse de la vie des personnes âgées de notre recherche, est la loi de l'interaction. Il va s'agir pour nous de considérer chaque aspect des conditions de vie de ces personnes, dans leurs rapports avec les autres membres de la communauté villageoise et citadine. A ce niveau, notre analyse est d'abord fonctionnelle.

L'analyse fonctionnelle a consisté à examiner les institutions sociales telles que la famille, la parenté, la génération et la classe d'âge, dans leurs relations avec la totalité du champ social ébrié dont elles font parties. Nous nous sommes basée sur la fonction ou les rôles que jouent ces éléments, au sein de cette société ébrié.

Par ailleurs, cette méthode nous a permis de percevoir, d'une part, la fonction remplie par la société vis-à-vis des personnes âgées, en vue de leur intégration en son sein, et d'autre part, le rôle joué par ces dernières au sein du système social, en vue de son maintien et de sa cohésion.

Elle est ensuite structuraliste. Dans cette analyse structuraliste, la société ébrié est perçue comme une structure, c'est une combinaison d'éléments, de sorte que, la modification quelconque de l'un d'entre eux (la classe d'âge par exemple), entraîne celle de tous les autres. Elle s'intéresse donc à l'interaction que ces éléments entretiennent entre eux : interactions entre personnes âgées elles-mêmes, entre personnes âgées et familles, entre personnes âgées et classes d'âge ou générations, entre personnes âgées et chefferie.

En un mot, le structuralisme nous permet d'élucider les éléments composites de la structure sociale ébrié, les structures sous-jacentes et surtout leurs influences sur les personnes âgées et réciproquement. Ceci dans le but de mieux comprendre les relations sociales qui régissent cette société. Dans cette interaction, ces éléments n'ont aucune existence séparée et ils ne se définissent que par rapport à leurs fonctions globales.

Au total, la personne âgée, suivant Foulquié35(*)  n'est qu'une abstraction, car elle dépend de l'action exercée sur elle par les êtres qui l'entourent ainsi que de tout son passé. On ne peut donc la comprendre qu'en la situant au carrefour des actions du tout sur elle et de ses réactions à l'égard de son milieu. 

Notre troisième principe analytique est celui de la contradiction. A ce niveau, il va s'agir de mettre en lumière la lutte des contraires, des situations différentes d'une époque à une autre, dans la vie des personnes âgées du village d'Adjamé. La lutte entre l'ancien (leur vision traditionnelle du monde, leur manière d'être, de vivre et de faire) et le nouveau (la vision du monde des jeunes générations, leur manière d'être, de vivre et de faire) est révélatrice de leurs actuelles conditions de vie. Aussi, la représentation qu'on ce fait d'elles, peut être contradictoire. Les personnes âgées peuvent incarner à la fois, la sagesse et la folie, la richesse et la pauvreté (paupérisant), l'utilité et l'inutilité, l'honneur et le déshonneur (sorcellerie), l'indispensable et la charge. Cette situation est explicative de leur devenir social.

Ceci nous conduit à notre quatrième principe : la loi du bond qualitatif.

Les personnes âgées, dans leurs rapports avec les jeunes générations, tant en famille qu'en communauté, peuvent poser des actes ou tenir des propos (en fonction de leurs passés sociaux et personnels) qui peuvent avoir des conséquences préjudiciables à leurs conditions de vie. Ces conséquences peuvent être une acceptation ou un rejet, un abandon, un bon traitement ou un mauvais traitement (une maltraitance).

II.3 Techniques de collecte des données

Au cours de notre recherche, nous avons eu recours à plusieurs techniques de collectes de données notamment la documentation, la pré enquête, l'échantillonnage, l'entretien, le choix des variables et le dépouillement.

II.3.1 La documentation

Ensemble d'informations riches et diversifiées, la documentation permet aux chercheurs de se référer aux travaux antérieurs. Nous avons consulté des ouvrages généraux, des ouvrages spécifiques et des revues relatives aux personnes âgées. Cette documentation a été possible grâce à des recherches que nous avons effectuées sur l'Internet, et aussi dans les bibliothèques de l'Institut d'ethnosociologie (IES), de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de l'Institut de Recherche et de Développement (IRD).

La lecture d'ouvrages méthodologiques nous a aidée à la rédaction de notre mémoire. Ces ouvrages nous ont permis d'approfondir nos connaissances sur les paradigmes, les méthodes d'analyse et en conséquence choisir les plus appropriées à notre thème.

Les documents relatifs aux personnes âgées, à leurs conditions de vie et à leur maltraitance, nous ont aidée dans la construction de la problématique et dans la rédaction de la revue de littérature.

Quant aux dictionnaires des sciences sociales, ils nous ont été d'un apport appréciable dans l'élaboration de notre approche conceptuelle.

II.3.2 La pré enquête

Elle s'est déroulée du lundi 17 au jeudi 20septembre 2007.

Elle a consisté à identifier les personnes ressources capables de nous fournir les informations sur notre sujet de recherche. Ainsi, en interrogeant les autorités municipales d'Adjamé, nous nous sommes rendue compte que les personnes âgées ne figurent pas au nombre des préoccupations des dites autorités. Cette pré enquête nous a aussi permis d'avoir une connaissance plus approfondie de notre thème de recherche en vue de lui donner une meilleure orientation méthodologique. Elle nous a confortée quant à la formulation de nos hypothèses de recherche et dans le choix des différentes variables. Elle a consisté à tester le guide d'entretien sur un échantillon réduit de 5 personnes âgées. Elle nous a permis également d'ajuster certaines questions avant l'enquête proprement dite.

L'exploration de façon limitée des conditions de vie des personnes âgées nous a renseignée sur l'existence effective de cas de maltraitance à Adjamé-village. C'est alors que nous avons pu préciser les objectifs de notre recherche.

II.3.3 L'échantillonnage

Sur un total de 123 personnes âgées de 60 ans ou plus à Adjamé-village, nous en avons retenues 26. Ce choix se justifie par le fait que, par la pré enquête, nous disposions d'informations précises sur la population mère. Concrètement, la population d'Adjamé-village est stratifiée en générations (Tchagba, Blessoué, Gnando et Dougbo) et en classes d'âges (Djehou, Dongba, Agban et Assoukrou).

Nous avons retenu le cinquième du nombre d'individus de chaque génération, de sorte que les générations qui ont des personnes âgées de 60 ans ou plus soient représentées dans cet échantillon. Cet univers de 123 personnes âgées (62 hommes et 61 femmes) se repartit comme suit :

- 1 Tchagba Agban

- 4 Blessoué dont 1 par classe d'âge (Djehou, Dongba, Agban et Assoukrou)

- 21 Gnando dont 8 Djehou et 13 Dongba, suivant leurs proportions dans cette génération.

Les Agban et les Assoukrou de la génération Gnando ne sont pas concernés par notre enquête dans la mesure où ils sont âgés de moins de 60 ans (52 à 59 ans). Il en est de même pour toute la génération Dougbo dont l'âge varie de 34 à 49 ans.

II.3.4 L'entretien

Vu la quasi inexistence des écrits relatifs aux conditions de vie des personnes âgées en Côte d' Ivoire, vu aussi la spécificité de notre sujet de recherche, nous avons eu recours à la technique d'entretien, afin de recueillir et d'approfondir le plus d'informations nécessaires. L'entretien s'est déroulé sur une période discontinue de cinq semaines, allant du 24 septembre au 30 octobre 2007.Cette discontinuité s'explique par le fait que nous étions obligée de nous soumettre aux programmes de nos enquêtés qui nous demandaient parfois de repasser, pour cause de décès dans le village, de réunions de la chefferie ou de fêtes religieuses.

L'enquête s'est faite avec la collaboration étroite du doyen d'âge et de la chefferie actuelle au pouvoir (la génération Gnando).Cette dernière a mis à notre disposition son porte parole pour nous facilité le recueil de nos informations. En cas d'empêchement du porte parole, il se faisait remplacer par un interprète que la chefferie avait mis à notre disposition. Ainsi, nous avions eu recours à deux guides et interprètes, de façon alternative. En ce qui concerne les entretiens, nous avons utilisé un magnétophone pour faire des enregistrements (60 à 90 minutes par entretien). Toutefois, cela ne nous a pas empêchée de revenir à plusieurs reprises, sur nos pas, pour approfondir des points obscurs.

Les entretiens se sont déroulés sous forme d'entrevues semi directives structurées autour de différents thèmes. Le nombre de guides d'entretien que nous avons administrés est fonction des catégories de personnes concernées par notre thème. Nous avons adressé un guide d'entretien au doyen d'âge qui fait parti de la génération des anciens Blessoué, au chef du village et aux notables qui composent la génération au pouvoir, à savoir les Gnando. Un guide d'entretien a été adressé aux personnes âgées et aux membres de leurs familles respectives. Par ailleurs, nous avons interrogé les responsables des générations plus jeunes (Tchagba et Blessoué) en vue de déterminer la nature des rapports qui les lient aux personnes âgées.

Les différents guides d'entretien comportent les thèmes suivants :

- Organisation socioculturelle et politique du village (place et rôle des personnes âgées dans cette organisation)

- Conditions de vie des personnes âgées

- Rapports des autres générations avec les personnes âgées.

- Représentation des personnes âgées

- Traitement des personnes âgées.

II.3.5 Le choix des variables

Il s'agit ici, d'identifier les variables annoncées par chacune de nos hypothèses et de préciser le lien que l'hypothèse suggère entre elles. Ce sont : le genre, la maltraitance, la dépendance, les conditions de vie, le milieu social, la représentation sociale, l'intégration sociale et la frustration.

Le genre va nous permettre de faire une comparaison entre les conditions de vie des personnes âgées féminines et masculines, et de savoir lequel des deux est enclin à la maltraitance.

La situation matrimoniale permet d'expliquer les conditions de vie des personnes âgées et partant leur prédisposition à la maltraitance, suivant qu'elles soient mariées, en union libre, divorcées, veuves ou célibataires.

L'instruction a un rapport avec la catégorie socioprofessionnelle. Par elle, l'on peut accéder à un emploi assez rémunérateur et préparer consciencieusement son avenir afin d'éviter plus tard, la dépendance financière, par exemple.

Les conditions de vie font état de la situation psychologique, matérielle, financière, sociale et physique des personnes âgées.

La maltraitance peut être psychologique, matérielle, financière, sociale ou physique.

Psychologique, elle s'observe à travers la tristesse, les pleurs, la dépression, l'isolement, la solitude, l'abandon, l'agression verbale (insultes, accusations)...

Matérielle, elle prend en compte le mode de vie et l'alimentation.

Financière, elle englobe les cas d'escroquerie, le poids des charges familiales en rapport avec l'insuffisance des ressources financières de la personne âgée.

Sociale, la maltraitance s'observe à travers les rapports sociaux des personnes âgées avec leur environnement social immédiat (parents) et lointain (membres de la grande famille, communauté villageoise).

Physique, elle inclue les agressions physiques, la sous alimentation et/ ou la malnutrition.

Le milieu social englobe les familles, la communauté villageoise, la mairie d'Adjamé, le district d'Abidjan, et toutes les institutions étatiques prenant en charge les personnes âgées.

Les personnes âgées sont en interaction avec ce milieu social qui conditionne leur existence. En effet, elles ne peuvent se passer des services des membres de leurs familles, de la mairie de leur commune, des structures étatiques telles que la CGRAE (Caisse Générale de Retraite des Agents de l'Etat) et la CNPS (Caisse Nationale de Prévoyance Sociale) pour les retraités, l'INSP (Institut National de Santé Publique), pour ne citer que celles-ci.

La dépendance des personnes âgées de cet environnement social peut être morale, physique, financière et matérielle.

Cette dépendance peut conduire à la maltraitance lorsque la personne âgée est perçue comme une charge jugée encombrante et non utile pour son milieu. En somme, la maltraitance est alors fonction de la représentation qu'on se fait de la personne âgée, de son niveau d'intégration au sein de son milieu social. Cette charge peut varier suivant l'âge (troisième ou quatrième âge), le statut matrimoniale, les capacités physiques, financières de la personne âgée. En retour, la personne âgée ressent de l'humiliation et surtout de la frustration qui s'exprime en terme de révolte et de replie sur soi.

II.4 Le dépouillement

Pour Comoé Krou (1985 :28), le dépouillement consiste à regrouper les réponses identiques se rapportant à un même caractère ou en une modalité de manifestation afin de rendre possibles la description, l'analyse et l'explication des données de l'enquête.

Pour ce qui nous concerne, nous avons d'abord procédé à la transcription des informations enregistrées pendant notre enquête. Une lecture attentive des textes transcrits a facilité l'émergence de thèmes plus précis. Ensuite nous avons classé ces extraits dans les dossiers thématiques correspondants. Enfin par une analyse thématique, nous les avons regroupés pour établir des relations entre les variables, selon notre thématique.

Ainsi, il ressort de notre analyse que la représentation sociale qu'on se fait des personnes âgées influe sur la maltraitance.

II.5 Les difficultés rencontrées

Dans le déroulement de notre recherche, nous nous sommes heurtée à plusieurs difficultés majeures.

La première est relative à l'insuffisance de documents sur les conditions de vie et la maltraitance des personnes âgées en Côte d'Ivoire.

La seconde est relative au problème de communication qui s'est manifesté à deux niveaux. Ne comprenant pas la langue ébrié, nous avons eu des difficultés dans la prise des rendez-vous avec les personnes âgées qui ne comprennent pas la langue française. Nous étions obligée de nous conformer au temps de disponibilité de nos guides et interprètes. Aussi, lors des entretiens, les mêmes problèmes d'interprétation se sont-ils posés. Pour les contourner, nous avons dû expliquer à fond nos questions ; ce qui nous a pris plus de temps que prévu.

La troisième difficulté est liée à l'indisponibilité de certaines personnes âgées dont la dégradation de leur état physique les contraint à rester en permanence dans leur chambre à coucher. Nous n'avons pas pu y accéder, pour les rencontrer, en vue de nous entretenir avec elles sur leurs conditions de vie et leurs traitements.

En dépit de toutes ces difficultés, nous avons pu mener notre travail jusqu'à terme, sachant que toute recherche scientifique est jalonnée d'obstacles qu'il faut vaincre.

DEUXIEME PARTIE :

PRESENTATION DU CADRE DE L'ETUDE

Chapitre I : SITUATION GEOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET

DEMOGRAPHIQUE

I.1 Situation géographique

Limitée au Nord par la commune d'Abobo, au Sud par la commune du Plateau, à l'est par la commune de Cocody et à l'ouest par celle d'Attécoubé, la commune d'Adjamé comprend dix neuf quartiers dont un seul village ébrié : Adjamé-village. Avant la colonisation, le territoire de ce village comprenait toute l'étendue de l'actuelle commune d'Adjamé et celle du Plateau.

Adjamé-village, cadre géographique de notre étude, est limité à l'ouest par la mairie, au nord par la pharmacie Saint Michel, à l'est par le Groupement des Sapeurs Pompiers Militaires (GSPM) et au sud par la mission libanaise. La principale rue du village porte le nom du gouverneur colon Reboul. Quant au boulevard Nangui Abrogoua qui passe devant le Forum et la mairie d'Adjamé, il porte le nom du chef suprême des ébrié36(*).

I.2 Historique du peuple tchaman

Les tchaman, peuple lagunaire, se retrouvent au sud de la Côte d'Ivoire, essentiellement autour de la lagune qui porte leur nom. Leur activité principale est la pêche. Toutefois, ceux qui habitent dans les régions périphériques (Songon, Bingerville...) pratiquent l'agriculture et produisent des vivriers (banane plantain, igname, taro, manioc et des produits d'exportation (café, cacao, hévéa, palmier à huile, banane douce...)

Initialement appelés « tchaman » entendons « ceux qui ont été choisis, ou les élus », le nom " ébrié " leur fut donné par leur voisin Abouré de Moossou, par raillerie, et signifie « les gens sales ».

La migration de ce peuple s'est déroulée par vagues successives et la coalition a eu lieu à Blêguè situé entre Divo et Tiassalé plus précisément à Bago, vers le 18ème siècle. Les Bidjan ou Meliegonin vivaient dans un seul gros village appelé Meliegon situé à Abobo-Baoulé, l'actuel emplacement de la Djibi. A la recherche de l'eau et de terre cultivable, le peuple tchaman s'est déplacé vers le sud, à Plittou-Baya, actuel site du Zoo d'Abidjan. En absence de couchette à cet endroit, les tchaman dormirent sur des feuilles appelées  M'bi. D'où leur appellation par les tchaman d'Abobo, Bidjan Man, c'est- à- dire ceux qui coupent des feuilles  et plus tard, cette appellation devient Bidjan. Les tchaman se sont groupés à l'intérieur de neuf phratries  ou   goto, possédant chacune un nom propre : Kwè, Bidjan, Yopougon, Nonkwa, Songon, Bodo, Dyapo, Bya et Gnangon. Toutes ces  phratries forment un ensemble de soixante-trois villages dont Adjamé-village qui est le village mère.

Par ailleurs, la situation géographique des différents goto se présente comme suit : à l'est, les Akoué, au sud les Bidjan, au nord, les Nonkwoua, au centre les Bobo et à l'ouest les Gnangon.

L'extension de la ville d'Abidjan s'est faite par rapport à l'emplacement de ces goto. L'on comprend aisément pourquoi les ébrié revendiquent le titre de propriétaires terriens et veulent par conséquent être représentés dans les mairies des différentes communes d'Abidjan, appartenant aux conseils généraux.

I.3 Adjamé-village

Abidjan Adjamé ou Adjamé-village fait partie des huit villages qui constituent le goto Bidjan qui deviendra plus tard  Abidjan, signifiant le pays des Bidjan. Ce sont : Abidjan Adjamé, Abidjan Cocody, Abidjan Anoumabo, Abidjan Agban, Abidjan Attécoubé, Abidjan lokodjro, Abidjan santé et leur allié Adiapoto n°1.

Adjamé-village est un gros village organisé le long d'une artère principale. Des petits passages tortueux séparent les différentes concessions faites majoritairement de maisons à étages, placées les unes à côté des autres.

Le village est composé de trois quartiers principaux ou " akroku " qui sont : Até (le quartier bas où se déroulait la pêche), Ato (le quartier haut où se déroulait l'agriculture), Adjemin (le quartier centre où il y'avait le marché et aussi où l'autorité politique prenait des décisions). C'est donc là que se trouve le pouvoir central. Lors des cérémonies, chaque quartier joue un rôle précis, selon l'organisation sociale mise en place, par les autorités coutumières.

Toutefois, l'urbanisation de la ville fait que ces différents quartiers ne jouent plus pleinement leur rôle d'antan. Ainsi, la pêche n'est plus pratiquée dans le quartier Até. Au quartier Ato, les plantations n'existent plus, par manque de terres cultivables. Quant au marché, il a pratiquement disparu à Adjemin, au profit du Forum et du marché gouro. Toutefois, l'autorité politique y demeure.

Par ailleurs, l'organisation politique des ébrié est d'ordre militaire, car ils sont guerriers. A Adjamé-village, chaque classe d'âge a un chef guerrier. C'est à travers la danse guerrière que les ébrié démontrent leur force mystique, pour d'éventuels combats.

Les plus grands guerriers et le tambour de guerre de tous les ébrié, se trouvent à Adjamé-village. La danse guerrière commence toujours par le bas (au quartier Até) pour progresser vers le haut (quartier Ato).

I.4 La population d'Adjamé-village

La population d'Adjamé-village est estimée à 9860 habitants dont 1950 ébrié, 2561 nationaux des autres groupes ethniques et 5349 non nationaux37(*). Les ébrié, peuple autochtone, sont minoritaires dans leur village avec une proportion de 19,8%. Plusieurs raisons pourraient expliquer cette situation, entre autres, l'installation de certains d'entre eux sur les sites de compensation que l'Etat leur a octroyés : II Plateau Agban et quartier ébrié d'Adjamé. De cette migration, résulte la mise en location par certains, de leurs concessions actuellement occupées majoritairement par des étrangers commerçants, et ceci dans le but de subvenir à leurs besoins.

Parmi les 1950 ébrié, on dénombre 123 personnes âgées de 60 ans ou plus. Elles représentent 6,31% de la population des ébrié.

Ces personnes âgées vivent dans leurs familles respectives.

I.5 Les infrastructures d'Adjamé-village

Les principales infrastructures du village sont d'ordre religieux et éducatif.

Au plan religieux, on note trois édifices quasiment regroupés dans la même localité, ce sont : l'église catholique, l'église méthodiste unie et l'église harriste. Tout ébrié de ce village doit obligatoirement appartenir à l'une de ces trois confessions religieuses, pour le strict respect de la mémoire des ancêtres qui y appartenaient. La fréquentation d'une autre église, genre évangélique, suscite beaucoup de persécutions dans ce village, eu égard aux coutumes qui doivent être respectées par tout fidèle, quelle que soit la profession de sa foi.

C'est alors que les trois confessions religieuses sus citées, acceptent d'intégrer les classes d'âge. A cet effet, les cotisations au sein de ces églises se font par classe d'âge, comme cela se fait dans la société ébrié. Elles participent ainsi à la reproduction sociale du village. Tolérantes, elles ne rejettent pas la tradition et bénéficient, par conséquent, de la protection de la communauté villageoise qui s'oppose à l'implantation d'autres confessions religieuses.

Au plan éducatif, Adjamé-village dispose de quatre écoles primaires dont une publique et trois privées. Il dispose également de deux établissements secondaires dont l'un public et l'autre privé.

Toutefois, les élèves qui fréquentent ces établissements, proviennent de tous les quartiers d'Adjamé, voire des autres communes d'Abidjan.

Au plan économique, le village ne dispose pas de marché et fréquente par conséquent les principaux marchés de la commune, à savoir le Forum et le marché gouro. Elle dispose cependant d'une pharmacie.

Au plan sanitaire, le village ne dispose pas de dispensaire. A cet effet, en fonction des pathologies qui les affectent, les villageois se réfèrent aux structures sanitaires de la commune d'Adjamé (maternité Marie Thérèse Houphouët Boigny, Institut National de Santé Publique  ou INSP, infirmeries privées,...) et des autres communes (Centres Hospitaliers et Universitaires  ou CHU).

Au plan sécuritaire, Adjamé-village ne dispose pas de commissariat de police, ni de gendarmerie. Les villageois recourent aux structures sécuritaires (commissariats du district et des 3e et 7e arrondissements) de la commune d'Adjamé, en cas de nécessité.

I .6 Activités économiques

Du fait de l'urbanisation, les plantations du quartier Ato (quartier haut où se déroulait l'agriculture), ont été détruites pour faire place à des bâtiments. Ainsi, d'une économie de subsistance à une économie marchande, les ébrié de ce village s'investissent de plus en plus dans la fabrication de l'attiéké qui est de nos jours, une activité génératrice de revenu. A cela, s'ajoutent la location de magasins et de maisons, la vente de terrains urbains, qui constituent les principales sources de revenu. Toutefois, dans le souci de préserver le foncier urbain pour les générations à venir, les autorités villageoises ont mis en place des règlements, pour empêcher la vente des terrains des II plateaux.

Chapitre II : ORGANISATION SOCIALE ET SYSTEME

POLITIQUE TRADITIONNEL

II.1 Le système de parenté

L'organisation sociale d'Adjamé-village repose essentiellement sur des clans qui sont fonctions du lignage maternel. Parler donc de grande famille chez les tchaman, c'est se référer à la famille maternelle.

Ces matriclans ou mando au nombre de sept sont : Lokoman, Fiedoman, Tchadoman, Godouman, Kouédoman, Gbadoman et Abromando. Ils regroupent tous les tchaman, qui y sont repartis. Des liens d'unité et de solidarité unissent les membres d'un même matriclan.

Toutefois, un enfant qui naît appartient à son père. Ce dernier est chargé de lui donner un nom. C'est lorsqu'il grandit qu'il intègre sa famille maternelle (système matrilinéaire).

II.2 Les générations ou Abèpasa

L'une des structures fondamentales de la société ébrié, c'est les générations d'habitants. Elles jouent des rôles politique, culturel, religieux, militaire et économique très importants, dans l'organisation sociale ébrié.

A l'instar des autres villages ébrié, Adjamé-village comporte quatre générations. Cette organisation prend en compte les deux genres (homme et femme). Les générations sont désignées sous les appellations suivantes : Blessoué, Gnando, Dougbo et Tchagba. Après l'âge de dix ans, les habitants du village (akoubè) sont organisés au sein de ces quatre générations. Toutefois, les femmes ayant moins de responsabilité que les hommes dans cette organisation, leurs générations restent les moins actives.

Une génération regroupe tous ceux qui sont nés dans un espace de temps de quinze ans au moins. Le cycle complet des quatre générations à Adjamé-village dure soixante ans. Ainsi, Adjamé-village est structuré par le système de générations et les membres de la même génération se considèrent tous comme des frères ; d'où le renforcement des liens de fraternité et de solidarité. En effet, entre les différentes générations, il existe un système d'alliance qui fonctionne selon le principe suivant : les Gnando et les Dougbo sont des frères immédiats, rivaux. Par contre, ils ont le devoir de protéger leurs descendants. Ainsi, les Gnando protègent les Tchagba qui sont leurs descendants, les Dougbo protègent les Blessoué, leurs descendants. Les ascendants inculquent aussi les valeurs sociales à leurs descendants. En retour, ces derniers sont contraints de les respecter en tant qu'aînés sociaux et donc de respecter le droit d'aînesse.

II.3 Les classes d'âge ou apasa

Les classes d'âge, en tant qu'institution sociale, permettent à l'ébrié d'affirmer son identité socio culturelle et son appartenance à un système politique. Tout ressortissant d'Adjamé-village est lié, pour la vie, à celles-ci.

C'est au sein des classes d'âge que la solidarité est plus agissante et la promotion sociale, plus évidente. L'appartenance à une classe d'âge, après initiation, rend l'individu apte à participer à la vie communautaire. Tous les individus sont égaux en droits et en devoirs et sont chargés de diriger les affaires du village. Ce qui fait de la société ébrié, une société égalitaire et démocratique. Chaque génération d'habitants (abè) comprend quatre classes d'âge (pasa) dont les noms sont : Djehou (aînés), Dongba (puînés), Agban (cadets) et Assoukrou (benjamins). Cela fait au total seize classes d'âge. En considérant parallèlement l'organisation féminine qui obéit à la même règle, l'on obtient en somme, huit générations et trente deux classes d'âge (en multipliant quatre générations par deux, et seize classes d'âge par deux). Trois années séparent la constitution de deux classes d'âge à Adjamé -village. Par ordre chronologique, nous avons donc pour chaque génération, les classes d'âges suivantes :

ASSOUKROU (1971-1974)

AGBAN (1967-1970)

DJEHOU (1959-1962)

DOUGBO

DONGBA (1963-1966)

TCHAGBA

DJEHOU (1905-1908)

DONGBA (1909-1912)

AGBAN (1913-1916)

ASSOUKROU (1917-1920)

GENERATIONS

CLASSES D'AGE

ASSOUKROU (1935-1938)

AGBAN (1931-1934)

DONGBA (1927-1930)

DJEHOU (1923-1926)

BLESSOUE

DONGBA (1945-1948)

GNANDO

DJEHOU (1941-1944)

AGBAN (1949-1952)

ASSOUKROU (1953-1956)

Première génération : DOUGBO

Première génération : GNANDO

Première génération : BLESSOUE

Première génération : TCHAGBA

ASSOUKROU (1971-1974)

AGBAN (1967-1970)

DJEHOU (1959-1962)

DOUGBO

DONGBA (1963-1966)

TCHAGBA

DJEHOU (1905-1908)

DONGBA (1909-1912)

AGBAN (1913-1916)

ASSOUKROU (1917-1920)

GENERATIONS

CLASSES D'AGE

ASSOUKROU (1935-1938)

AGBAN (1931-1934)

DONGBA (1927-1930)

DJEHOU (1923-1926)

BLESSOUE

DONGBA (1945-1948)

GNANDO

DJEHOU (1941-1944)

AGBAN (1949-1952)

ASSOUKROU (1953-1956)

Première génération : DOUGBO

Première génération : GNANDO

Première génération : BLESSOUE

Première génération : TCHAGBA

TCHAGBA

DJEHOU (1977-1980)

DONGBA (1981-1984)

AGBAN (1985-1988)

ASSOUKROU (1989-1992)

ASSOUKROU (2007-2010)

AGBAN (2003-2006)

DONGBA (1999-2002)

DJEHOU (1995-1998)

BLESSOUE

Deuxième génération : TCHAGBA

Deuxième génération : BLESSOUE

Comme dans le cas des générations, les Djehou et les Dongba sont des classes rivales, de même que les Agban et les Assoukrou. Par ailleurs, des alliances politiques lient les Agban aux Djehou et les Assoukrou aux Dongba. Ces descendants (Agban et Assoukrou) reçoivent des conseils de leurs ascendants (Djehou et Dongba) envers qui, ils doivent obéissance. C'est d'ailleurs eux qui les aident, à porter le tambour sacré, lors de la danse guerrière.

En somme, l'ébrié n'est identifié dans la société que par rapport à sa classe d'âge qui a d'ailleurs une forte emprise sur toute sa vie. En effet, dès l'âge de 15 à 16 ans, le jeune ébrié, détaché de sa famille naturelle, subit les rites d'initiation en vue de gravir des échelons, au sein de la génération. Par la suite, il est remis à la société villageoise afin d'appartenir totalement au système des classes d'âge qui deviennent sa " famille ".

Ce qui lui vaudra son aptitude à participer à la vie communautaire, après avoir passé les différents stades de guerrier, d'homme mûr et de vieillard (dernier chaînon de la pyramide). L'amitié, la solidarité, l'entraide, la discipline et la fidélité existent entre les membres d'une même classe d'âge et le principe du droit d'aînesse n'est pas respecté.

TROISIEME PARTIE :

LOGIQUES SOCIALES ET FORMES DE MALTRAITANCE DES PERSONNES AGEES

Chapitre I : LES AINES SOCIAUX D'ADJAME VILLAGE

Dans ce chapitre, nous entendons mettre en exergue, les caractéristiques démographiques et socioculturelles des personnes âgées enquêtées. Elles prennent en compte le genre, la situation matrimoniale, la religion, le groupe d'âge, le niveau d'instruction, la catégorie socioprofessionnelle, l'alimentation, l'état sanitaire, les logements et le cadre de vie.

I.1 Genre et situation matrimoniale

Les modalités que nous avions retenues, liées à la situation matrimoniale des

enquêtés sont : Marié (tout individu dont l'union a été célébrée à l'état civil, religieusement ou coutumièrement), union libre ( tout individu non marié qui vit en concubinage), divorcé (toute personne dont le mariage a été rompu et qui ne s'est pas remariée), célibataire (personne qui n'a jamais été mariée et qui ne vit pas en union libre) et veuve ou veuf ( personne dont le mariage a été rompu par le décès du conjoint et qui ne s'est pas remariée).

A l'issu de l'enquête, force est de constater que nos enquêtées sont, soit mariées (9/26), soit veuves (17/26).

D'une manière générale, les conditions de vie des hommes (mariés ou veufs) et des femmes (mariées ou veuves) sont presque identiques. Cependant, la situation varie fonction du degré de dépendance de la personne âgée. En effet, une femme âgée de 70 ans environ, encore valide, est moins dépendante qu'un homme du même âge, aussi bien portant, en ce sens que cette dernière continue de vaquer à ses occupations domestiques. L'homme, quel que soit son âge, a toujours besoin d'une aide extérieure pour subvenir à ses besoins essentiels (cuisine, ménage, lessive...). C'est en cela qu'il est plus exposé aux mauvais traitements des servantes ou des petits enfants desquels il dépend, lorsqu'il est veuf.

I.2 Genre et religion

La Côte d'Ivoire est un Etat laïc. Elle autorise toutes les confessions religieuses. A Adjamé-village, les personnes âgées, dans leur ensemble, sont des croyants. Toutes celles que nous avons interrogées sont de la religion chrétienne. La majorité est catholique (17 sur 26). Elles sont en minorité évangéliques (1 personne), 6 d'entre elles sont protestantes et 2 sont harristes.

Toutes les femmes sont soit protestantes (3/12), soit catholiques (9/12).

La religion n'a pas d'influence directe sur les conditions de vie des personnes âgées. Au sein des différentes communautés chrétiennes précitées, il n'existe pas de structure particulière de prise en charge des personnes âgées. En effet, tous les chrétiens sont considérés et traités de la même manière. L'accession à un poste de responsabilité (membre du conseil paroissial chez les catholiques, prédicateur chez les méthodistes, ancien ou diacre chez les évangéliques, ...) n'est pas lié à l'âge mais, à l'ancienneté et au dynamisme au sein de l'église. C'est à ce titre qu'on rencontre des personnes âgées jouant des rôles précis au sein de leurs églises. Toutefois, au niveau de l'église évangélique à laquelle appartient le doyen d'âge du village, il existe un comité dit « comité du grand âge » qui regroupe toutes les personnes âgées d'au moins 50 ans. Au sein de ce comité, les membres se visitent mutuellement. Chaque semaine, ces derniers se retrouvent au sein de leur église pour se soutenir spirituellement dans la prière et pour s'entraider matériellement et financièrement, en cas de nécessité.

I.3 Genre et groupe d'âge

La population des personnes âgées que nous avons interrogée est en majorité composée de personnes du quatrième âge (75 ans ou plus) à savoir 14/26. Cette sous population se caractérise par une surpopulation féminine avec 9 femmes pour 5 hommes.

Il se dégage donc, qu'à Adjamé-village, la population des personnes les plus âgées, est celle des femmes. Les deux femmes les plus âgées ont respectivement, 94 et 96 ans. Toutefois, dans le village, le doyen d'âge est un homme, bien qu'il soit moins âgé que ces femmes. Ceci s'explique par le fait que dans la société ébrié, ce sont les hommes qui assurent les fonctions politiques, administratives et culturelles. Le doyen d'âge actuel de ce village est ainsi âgé de 88 ans (avec un écart de 8 ans de la femme la plus âgée du village). Ce principe pose la problématique de la domination masculine chez les ébrié d'Adjamé-village. Ici, les femmes n'ont pas le pouvoir de décision. Elles ne peuvent siéger dans le conseil des anciens. Leur voix ne compte pas en public. Selon le doyen d'âge, la femme ébrié est essentiellement ménagère.

Elle s'occupe des enfants, fait le marché, fait le commerce si elle est courageuse. Les femmes font partie des générations mais n'ont pas le pouvoir de décision, elles ne peuvent devenir notables. Pendant les réunions, la femme n'est pas autorisée à prendre la parole en public

De la sorte, les femmes ébrié d'Adjamé-village n'ont pas de pouvoir politique ni administratif au sein de leur communauté. Plus loin, nous comprendrons pourquoi elles sont les plus, à la merci des chefs de famille et de ce fait, davantage sujettes à la maltraitance.

Poursuivant notre analyse, notons que le troisième âge (60-74 ans) s'affiche avec 12 personnes sur 26. Cette proportion compte plus d'hommes (9) que de femmes (3).

La structure de la population des personnes âgées interrogées, laisse apparaître une régression de l'effectif des hommes à mesure que l'on avance en âge (du troisième au quatrième âge), en comparaison à celui des femmes.

De ce qui précède, il ressort que dans ce village ébrié, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. A la question de savoir ce qui a pu favoriser cette longévité, elles sont unanimes pour dire :

« C'est par la grâce de Dieu  que nous vivons jusqu'à ce jour ».

I.4 Genre et niveau d'instruction

Le niveau d'instruction, c'est le niveau le plus élevé qu'un individu a atteint dans ses études. Il est un facteur déterminant dans la vie sociale. Plus ce dernier est élevé, plus grandes sont les possibilités d'avoir accès à un emploi mieux rémunéré, en vue de mener une vie décente. Le niveau d'instruction peut être aussi un facteur d'ouverture au monde, tant intérieur (le village) qu'extérieur (la ville, le pays et le reste du monde). Par ailleurs, l'instruction permet d'éviter certaines formes de maltraitance telle que la maltraitance médicamenteuse (l'excès de médicaments, de neuroleptiques ou la privation de médicaments et de soins.)

Or à Adjamé-village, 11 enquêtées sur 26 sont analphabètes. Toutes nos enquêtées femmes sont dans ce sous ensemble avec 9 analphabètes contre seulement 2 hommes. 12 sur 26 ont fait l'école primaire. Cette situation est sans nul doute, le résultat de la faible scolarisation qu'a connu cette population. En effet, les personnes âgées dont l'enfance se situe à l'époque coloniale, ont bénéficié à peine de la scolarisation, faute d'infrastructures scolaires aussi variées et mieux réparties dans le pays, comme c'est le cas aujourd'hui. A cela, il convient d'ajouter le peu d'intérêt accordé par la population qui, en ce moment, ignorait le bien fondé de l'instruction importée de l'occident. Les parents, pour la plupart, préféraient se faire accompagner par leurs enfants au champ plutôt que de les laisser aller à l'école. Cette situation pourrait justifier, dans une large mesure, les très faibles taux d'alphabétisation et d'instruction observés dans cette frange de la population.

Sur les 26 personnes âgées que nous avons interrogées dans le cadre de notre étude, seulement 2 ont fait le secondaire et 1 le supérieur. Ces 3 enquêtés sont de genre masculin.

Des hypothèses précédentes, nous pouvons dire que la plupart des personnes âgées d'Adjamé-village, avec une grande proportion de femmes, sont plus rattachées à leur communauté villageoise qu'au reste du monde. Le niveau d'instruction de ces personnes a été l'un des facteurs constructeurs de leur vie de dépendance actuelle. Elles ont toutes, en effet, un faible niveau d'instruction. Ces personnes âgées ont toutes, de ce fait, eu accès à un emploi moins rémunéré. Cet état de fait ne leur permet pas de mener, une vie décente, dans leur vieil âge.

I.5 Genre et catégorie socioprofessionnelle

Toutes les personnes âgées de genre féminin enquêtées sont des ménagères. Parmi les hommes, nous avons 11 ouvriers retraités sur les 14 interrogés. Cette situation a nécessairement un rapport avec les conditions de vie de nos enquêtés.

L'analyse de ces faits révèle que le genre constitue le premier élément de discrimination face à l'emploi.

I.6 Alimentation

La façon de se nourrir compte beaucoup chez les personnes âgées, car la qualité de l'alimentation permet de ralentir le vieillissement naturel, de retarder l'apparition de certaines maladies liées à l'âge, et donc de vieillir en ayant une bonne qualité de vie.

Selon Béatrice Carraz38(*), du point de vue nutritionnel, le risque majeur chez les personnes âgées est un risque lié à la dénutrition et aux carences, et pas vraiment à la pléthore : les points importants à vérifier restent l'apport énergétique, l'apport en protéines, en calcium et en acides gras indispensables. La dénutrition protéino-énergétique favorise l'apparition de la dépendance, en fragilisant les défenses naturelles de l'organisme. Pour cet auteur, le besoin de la personne âgée est identique à celui de l'adulte : ni plus, ni moins. Cependant les consommations alimentaires diminuent : moins de viande, moins de vrais repas, des restrictions alimentaires sévères liées à des problèmes de santé (cholestérol, sel, sucre...). Et ce type de comportement joue sur la qualité de vie et l'évolution vers les dépendances.

Les aînés sociaux d'Adjamé-village, suivant leur culture, se nourrissent essentiellement de l'attiéké (Agbodjama) fait à base de manioc, mais aussi de foutou ou de foufou (cocotcha) d'igname ou de banane plantain. Ces plats sont accompagnés de sauce "claire", de sauce "graine" ou de sauce "N'tro" avec du « bon » poisson propre aux lagunaires tels que le broché, le machoiron, le capitaine, pêchés directement dans la lagune. Or, avec la pollution actuelle de la lagune, la pêche ne se pratique plus par les villageois. Dans cette logique, parlant des pouvoirs politiques, les personnes âgées d'Adjamé-village, s'exclament en ces termes :

« Depuis 1946, ils ont ramassé nos terres. Nous n'avons plus rien. Avant cette date, chacun de nous allait au bord de la lagune avec son épervier pour pêcher. Aujourd'hui, vas au bord de la lagune, tu ne peux plus pêcher ; avec les casses de véhicules, les pneus usagers, tous les autres déchets, tout cela dans la lagune ; peut-on pêcher dan ces conditions ? Plus de pêche, alors que nous vivons de la pêche. Avant, également, nous avions des champs de caféiers, de cacaoyers. Maintenant, tout n'est que constructions, habitations.

Au lieu de nous dédommager, ils ne le font pas. Avec nos dirigeants, les choses sont devenues pires qu'avec les blancs. L'Etat prend de force nos portions de terre. Dans de tel cas, comment manger à sa faim ? Aujourd'hui, nous ne pouvons plus pêcher par manque d'eau. Nous sommes obligés de manger du poisson congelé. Mêmes les fruits que nous consommons sont à base d'engrais. Tout cela est à la base de toutes les maladies que nous avons. Quant au manioc et à l'igname, nous ne disposons plus de terre pour les cultiver. Nous sommes obligés de tout acheter. C'est ce qui fait que nous mangeons mal 

Qu'est ce qui va arriver sans la nourriture ? Quand on ne mange pas bien, quand on vit mal, on tombe malade et c'est la mort. Vous aller mourir seuls. »

Cette plainte pose le problème de la qualité et de la quantité de l'alimentation des personnes âgées. Si la sous-alimentation pose la question de la quantité de nourriture, la malnutrition souligne, celle de sa qualité. Pour les personnes âgées interrogées, elles "mangent mal " et ne "mangent pas à leur faim". Ceci se justifie en ce sens qu'à cet âge, le besoin des personnes âgées se trouve essentiellement dans l'apport en calcium. C'est pour cette raison majeure qu'elles doivent consommer moins de féculents (manioc, igname, banane...) qui contiennent les glucides. A l'opposé, leur alimentation doit comporter plus de fruits et de légumes, qui sont très riches en sels minéraux (calcium, magnésium, fer, potassium), en oligo-éléments et en vitamines.

Par ailleurs, les protéines d'origines animale et végétale, nécessaires au renforcement du système immunitaire, s'avèrent indispensables aux personnes âgées eu égard à la fragilité de leur organisme.

Or, l'alimentation des personnes âgées d'Adjamé-village, est principalement focalisée sur les féculents, le sucre (qui est en partie à la base du diabète) et les lipides (le cholestérol surtout) qui sont en général à la base de l'hypertension artérielle et des maladies cardio-vasculaires.

I.7 Etat sanitaire

Lors de notre enquête, il nous a été fait cas de maladies dont souffrent plusieurs personnes âgées, à Adjamé-village. Ecoutons ces enquêtées :

 « Ma mère parle seule. Quand on lui pose une question, elle répond, mais elle ne parvient pas à répéter ce qu'elle vient de dire. En plus, elle souffre d'incontinences urinaire et fécale depuis des années. Son entretien nous coûte excessivement cher. Vous voyez ces couches jetables ? Elles nous reviennent à 80 000 francs par mois, alors que mon mari et moi ne travaillons pas ».

« Cela fait deux ans qu'elle ne peut plus se déplacer. Elle reste à la maison.  Son état de santé est fragile. Elle pense que cela est dû au fait qu'elle a beaucoup travaillé pendant sa jeunesse. » ;

« Cela fait 8 ans qu'elle est malade et qu'elle est à ma seule charge. Le chef de famille ne me vient pas en aide. Ce n'est qu'en mars 2007, qu'il a apporté 100 000 francs comme aide. Depuis, plus rien et j'attends toujours. Mon mari est à la retraite et mon petit salaire de dactylographe, à la Fonction Publique ne suffit pas. J'ai treize enfants et des petits enfants à charge. Les week-ends, je suis obligée de me priver de repos, pour préparer de l'attiéké que je vend au service

En somme, ces aînés sociaux souffrent en général de troubles de mémoire, d'incontinences fécale et urinaire, de rhumatisme, de diabète, de lombalgie, d'hypertension artérielle et de maladies de nerfs, pour ne citer que celles là.

La prise en charge de ces maladies nécessite de gros moyens financiers. L'on comprend aisément les plaintes plus ou moins inexprimées qui traduisent la souffrance financière de ceux qui ont à charge les personnes âgées. Du coup, elles deviennent budgétivores, pour ceux-ci.

Pour leurs soins médicaux, les personnes âgées d'Adjamé-village se rendent à l'Institut National de Santé Publique (INSP), dans les Centres Hospitaliers et Universitaires (CHU) ou dans les infirmeries privées du quartier.

Autrefois, ces personnes se soignaient à base de plantes (médecine naturelle). Mais de nos jours, avec l'urbanisation, ces plantes ne leur sont plus accessibles.

C'est la raison pour laquelle elles ont recours à la médecine occidentale et orientale (chinoise) qu'elles jugent d'ailleurs inefficaces, pour leurs maux.

I.8 Logements et cadre de vie

Adjamé-village est un village moderne. La plupart des logements appartiennent aux familles autochtones de cette cité. C'est ainsi que toutes les personnes âgées que nous avons interrogées, déclarent être propriétaires de leurs logements.

Les hommes sont entièrement propriétaires. Les femmes, quant à elles, sont soit chez leurs époux, dans la famille de ce dernier, soit dans leurs propres familles, suivant leur situation matrimoniale présente et surtout passée.

Au total, quel que soit son genre, aucune personne âgée interrogée n'est locataire de la maison dans laquelle elle vit.

Toutefois, ces propriétaires questionnés se plaignent de l'exiguïté de leurs logements, résultante de l'urbanisation. Les cours sont peuplées. Et c'est pour remédier au problème de la promiscuité que ceux qui ont les moyens, construisent en hauteur.

A cela il faut ajouter les bruits provenant des véhicules, des commerces, des passants, des établissements scolaires, qui rendent impossible le repos de ces personnes âgées. C'est le lieu de mentionner la pollution de l'environnement et les visites inopportunes des bandits, Adjamé étant un " centre commercial ".

Chapitre II : LA VIE COMMUNAUTAIRE DES PERSONNES

AGEES D'ADJAME-VILLAGE

De par l'organisation sociale du peuple ébrié, il existe déjà des institutions telles que les générations, les classes d'âges et les grandes familles, au sein desquelles les personnes âgées sont parfaitement intégrées. A celles-ci, il faut ajouter la chefferie, les groupes d'amis et les églises auxquelles elles appartiennent.

Leurs conditions de vie, quelles soient bonnes ou précaires, s'expliquent à travers leurs interactions avec les membres de ces groupes. De ces interactions, différents types de rapports se développent.

Pour les besoins de l'analyse, nous allons, dans ce chapitre, mettre l'accent sur la vie des personnes âgées en dehors de leur famille, tant au niveau étatique qu'au niveau communal.

II.1 Personnes âgées d'Adjamé-village : les laissées pour compte

II.1.1 Au niveau étatique

Les personnes âgées du village ébrié d'Adjamé se disent être les « oubliés du pouvoir ». Elles s'expriment en ces termes : 

« Nous avons prié pour le Président Houphouët, demandant à Dieu de le soutenir, de le bénir pour qu'il devienne le président de la Côte d'Ivoire, en remplacement des colons. Ce qui a été fait. Nous avons pensé qu'avec lui, les choses allaient changer en notre faveur. Mais rien n'y fit. Nous sommes frustrés, très mécontents des dirigeants qui se sont succédés à la tête de la Côte d'Ivoire, tous ayant oublié notre cause. L'Etat ne donne rien aux vieillards, rien, rien, rien... ».

A cet effet, ces aînés sociaux sont tous unanimes sur le fait que c'est pendant le jeune âge qu'il faut travailler « dur » pour préparer la vieillesse. Sinon,

« la pauvreté s'attache à vous jusqu'à la mort. »

Ceci soulève la problématique de couverture de la sécurité sociale. En effet, les personnes âgées, en Côte d'Ivoire, semblent être oubliées et exclues des projets sociaux. Malgré les mutations sociales connues de l'indépendance jusqu'à nos jours, il n'existe pas pour l'heure, de structures de prise en charge des personnes âgées, tant au niveau social qu'au niveau sanitaire.

Ainsi, en cas de survenue d'une maladie quelconque, les personnes âgées d'Adjamé-village doivent non seulement faire face à leurs frais médicaux, mais aussi fréquenter les mêmes hôpitaux que les personnes moins âgées, plus valides qu'elles. Elles font les mêmes rangs sur les bancs des hôpitaux et sont reçues dans les mêmes conditions que celles-ci. Et pourtant, leur état physique, dégradé par l'âge et par les maladies liées à la vieillesse, exige qu'une attention plus particulière leur soit accordée, dans les différentes structures, par le personnel médical et social.

II.1.2 Au niveau de la mairie d'Adjamé

Tout comme au niveau de l'Etat, au sein de la mairie d'Adjamé, il n'existe pas de programme prenant en compte les personnes âgées et leurs besoins. Nos entretiens, avec les responsables des activités socioculturelles de ladite mairie, confirment cette situation. Les personnes âgées abondent dans le même sens quand elles affirment les faits suivants :

« Au niveau de la mairie, le maire qui est là ne s'occupe pas de nous. Ce qui l'intéresse, ce sont les magasins qu'il fait encaisser par ses agents. Il n'est jamais venu en aide aux villageois. Nous avons fait une délégation pour aller le voir un premier jour de l'an. Au moins un mouton ou quelque chose ; mais rien, rien du tout, il ne nous a rien donné. Et c'est comme cela chaque année. »

De ce qui précède, nous pouvons dire que l'urbanisation de la ville d'Abidjan en général, et de la commune d'Adjamé en particulier, a porté préjudice au peuple autochtone tchaman. Cette urbanisation l'a privé de certains biens patrimoniaux tels que la lagune (pour la pêche), la terre (pour les plantations et les cultures vivrières), les plantes médicinales (pour les soins), et l'espace vert (pour les jeux, les loisirs et les activités culturelles).

Il faut cependant noter que l'Etat de Côte d'Ivoire n'est pas resté indifférent à la situation des villageois d'Adjamé. Plusieurs actions de dédommagement ont été faites. C'est à ce juste titre que le quartier ébrié d'Adjamé a vu le jour dans les années 1963. Quelques temps après, des sites dont II Plateaux Agban (Adjamé-village extension) et Paillet, ont été attribués à ces villageois.

II.2 Place et rôle des personnes âgées à Adjamé-village

Le statut social est la place qu'une personne occupe dans la structure sociale. La société tchaman étant fondée sur les groupes de générations, la place des aînés sociaux est de ce fait, culturellement définie : c'est le prestige social que les générations inférieures leur accordent, objectivement, au sein de la communauté villageoise.

Si le statut met l'accent sur la situation légale et sociale, le rôle quant à lui, met l'accent sur des tâches à assumer et des comportements attendus. Le rôle des personnes âgées consiste donc dans l'ensemble des comportements qui sont légitimement attendus d'elles. Leur rôle dans la société traditionnelle est avant tout lié à leur statut de vieillard comme le relève l'un de nos informateurs :

 « une personne âgée est quelqu'un qui a vécu. Il y a des choses qu'elle a vues et que vous n'avez pas vues »

Les personnes âgées sont ainsi considérées comme des personnes d'expérience, « qui ont vécu, qui ont vu ». Elles deviennent donc une référence.

Leur place et leur rôle sont alors liés à la représentation que l'on se fait d'elles.

A Adjamé-village comme dans tous les villages ébrié, les personnes âgées jouent plusieurs rôles, à différents niveaux :

Au niveau socioculturel, par exemple, elles jouent un rôle capital dans l'initiation des jeunes tchaman. En effet, l'initiation est nécessaire pour tout ébrié qui veut être associé aux prises de décisions dans le village. Dans le cas contraire, il est considéré comme un enfant, quel que soit son âge. Cette initiation qui intervenait autour de 16 ans, se déroule de nos jours entre 20 et 25 ans, à cause de la scolarisation et des activités professionnelles que certains exercent en dehors d'Abidjan.

Antérieurement à la cérémonie initiatique, le grand âge contribue au choix des chefs guerriers ou Taprognan. Ce choix intervient après une observation discrète qui tient compte, essentiellement, de critères physiques des futurs guerriers. Ces critères sont : être grand, fort, beau et de tempérament calme, savoir danser et avoir des gestes nobles.

Après ce choix, les chefs guerriers sont accompagnés sur le lieu d'initiation (autrefois forêt sacrée, aujourd'hui, cour du roi Nangui Abrogoua), par les aînés sociaux qui sont eux-mêmes, des chefs guerriers. Cette formation spirituelle et culturelle est l'occasion pour les personnes âgées, d'apprendre aux initiés " la danse des génies ", à travers le tambour parleur ; apprentissage qui a pour but de déjouer les pièges éventuels qui pourraient leur être tendus, pendant la danse guerrière. Quant aux autres membres de la génération, les aînés sociaux leur donnent des conseils d'usage, leur apprennent le respect et l'obéissance des anciens, les chants et la gestion du foyer (pour les filles).

Pendant les fêtes de génération, les initiés sortent par classe d'âge (chaque génération comporte quatre classes d'âge). Ce sont, d'abord, les Djehou (aînés) qui sortent. Ensuite, viennent les Dongba (puînés) ; puis, les Agban (cadets) et enfin, les Assoukrou (benjamin). 

Pendant ces cérémonies, les différents chefs guerriers sont testés par les aînés sociaux. L'exercice consiste à voir si les jeunes générations sont mûres pour prendre la destinée du village en main. Selon un de nos informateurs,

« un vieux peut s'asseoir là pendant que les danseurs arrivent, et il tend un piège. Ce piège peut être un grand feu, ou un trou. Le piège est tendu au chef guerrier. Toute la catégorie met sa puissance en oeuvre pour protéger leur chef guerrier. Si le chef tombe dans ce piège, c'est que vous n'êtes pas prêts pour prendre la destinée du village en main. Pour assurer cette protection, nous avons recours à certains vieux »

Au niveau politique, cinquante notables siègent régulièrement aux côtés du chef du village. Chaque classe d'âge de la génération au pouvoir, désigne un certain nombre de notables qui doivent siéger constamment dans le conseil.

Plusieurs commissions composent la chefferie :

La commission foncière et de l'habitat est chargée de régler les conflits fonciers. Elle est chargée aussi de répertorier, de récupérer et de gérer tous les terrains appartenant au village.

La commission jeunesse, éducation et culture est chargée de l'encadrement des jeunes tchaman et de la valorisation de la culture ébrié.

La commission affaires sociales est chargée de la gestion des affaires courantes du village (cérémonies funéraires, cotisations, indemnités...)

La commission litiges est chargée de régler les problèmes successoraux et patrimoniaux.

La commission des sages est composée d'hommes les plus âgés du village.

Ici les personnes âgées interviennent surtout dans la commission litiges et dans celle des sages. En effet, elles sont consultées pour le règlement des différents litiges tant au niveau du foncier rural, qu'au niveau des familles. Elles donnent leurs avis ou leurs témoignages sur un problème donné. Elles sont également sollicitées pour des conseils d'usage, par la chefferie. Il faut toutefois noter que la décision finale, dans le règlement des litiges, revient à la génération au pouvoir.

Au regard de ce qui précède, il ressort que les personnes âgées occupent une place de choix et jouent un rôle primordial dans l'organisation socioculturelle et politique d'Adjamé-village. Elles participent ainsi, et dans bien d'autres domaines, à la vie de la communauté villageoise. Elles sont utiles à la chefferie et aux différentes générations. De la sorte, elles sont, dans une bonne mesure, intégrées à la société tchaman.

Toutefois, dans leur vécu quotidien, face aux vicissitudes de la vie, elles ne bénéficient d'aucune assistance, au niveau de la communauté villageoise. En effet, il n'existe pas de structure villageoise de prise en charge des personnes âgées encore moins d'association pouvant les regrouper. Seules les cotisations prévues par le règlement intérieur du village, en cas de décès d'un membre de la famille, leur permettent de bénéficier de l'assistance villageoise, au même titre que les autres. Les différentes chefferies qui se sont succédées à la tête du village n'y avaient jamais pensé.

L'explication plausible à cette situation, est le rôle déterminant que jouent les grandes familles maternelles dans la société ébrié. En effet, il leur appartient de développer les stratégies et les moyens pour la prise en charge de leurs membres en général et de leurs personnes âgées en particulier. Chaque famille est ainsi la seule responsable de la survie ou de la mort de sa personne âgée. En somme, le sort des aînés sociaux est entre les mains des grandes familles. C'est dans cette logique sociale que rien de particulier ne se fait, au niveau du village, en faveur des personnes âgées éplorées ou en difficulté. Chacune d'elles se bat tant bien que mal, pour survivre. L'expression de cet aîné traduit mieux leurs situations :

 « vous crevez si votre famille n'a rien. De surcroît, nos enfants ne nous aident pas.  Ces " enfants de biberon " n'entendent pas aider leurs parents. »

C'est certainement pour mieux supporter cette situation que certaines d'entre elles se retrouvent fréquemment autour d'un jeu d'awalé, pour échanger.

II.3 Personnes âgées et jeunes générations

Dans le village, les personnes âgées sont aussi bien en relation avec les personnes de la même génération qu'elles, qu'avec celles des générations plus jeunes. Bien qu'ils ne soient pas regroupés au sein d'une association, les aînés sociaux du village se retrouvent entre eux (groupes d'amis), se fréquentent (par affinité), en vue d'échanger sur divers sujets, les concernant.

Les problèmes relationnels surviennent surtout avec les jeunes générations. C'est sous cet angle que nous entendons analyser les rapports communautaires (relations hors familles) des personnes âgées.

A ce niveau nous pouvons en relever quatre types.

II.3.1 Les relations amicales

A Adjamé-village, nous avons découvert un groupe de personnes âgées qui entretiennent des relations amicales avec des jeunes. Ce témoignage d'un jeune en est une illustration :

« Nous avons des amis qui jouent très bien avec les personnes âgées. Ils se taquinent. Ils jouent à l'awalé. Si les vieux jouent qu'ils ne les voient pas, ils envoient quelqu'un les chercher. Quand ils font une journée sans les voir, ils envoient quelqu'un aller les chercher. Quand ces jeunes sont là, ils ne se sentent pas isolés. Ces vieux là se sentent plus à l'aise avec eux. On les qualifie maintenant "amis des vieux ".

Parmi ces jeunes, il y a un qui est leur préféré. C'est lui qui effectue leurs courses. Ce dernier est qualifié de "savant" en ce sens qu'il est auprès d'eux continuellement, et donc qu'il apprend à leur côté. D'autres par contre vont à leurs occupations et leurs relations avec les personnes âgées se limitent aux salutations d'usage. Ils n'ont pas l'habitude de faire des cadeaux aux vieux. »

Leur lieu de rencontre se situe en bordure de la route sous un hangar, près d'une femme qui vend de la banane frite (alloco).

Il s'agit d'un groupe de 5 personnes âgées, de genre masculin. Le doyen d'âge de ce groupe d'amis a 85 ans. Le benjamin en a 75. 

Quant aux jeunes, au nombre de 4, ils sont âgés de moins de 40 ans.

4 membres d'un groupe d'amis de personnes âgées d'Adjamé-village

II.3.2 Les relations à plaisanterie

Certains types de parents, selon Laburthe-Tolra et Warnier (1993 : 95) ne doivent pas se rencontrer sans se taquiner librement. C'est l'expression d'un sentiment de fraternité dont personne ne se sent offenser.

De là, la parenté à plaisanterie est l'un des socles de la relation des personnes âgées avec les personnes du premier et du second âge. A cet effet, voici ce que dit un de nos informateurs :

« Je suis de la famille du vieux K. Je l'appelle mon fils. Pendant une réunion je peux l'envoyer chercher quelque chose pour moi. Et il va. C'est la coutume ».

En conséquence, le tchaman appartient à sa famille maternelle de par sa filiation matrilinéaire. Toutefois, les membres de sa famille paternelle ont des droits légaux sur lui, et quel que soit son âge, un ressortissant de cette famille peut lui donner des ordres.

II.3.3 Les relations de respect

La société tchaman repose, comme la plupart des sociétés lagunaires ivoiriennes, sur le système des classes d'âge, structure sociale, politique et militaire à la fois. La génération réunit tous les habitants nés dans une période de quinze ans. Chaque génération, comme nous l'avions mentionné en d'autres lieux, comporte quatre classes d'âge que sont les Djehou (aînés), les Dongba

(puînés), les Agban ( cadets) et les Assoukrou ( benjamin).

La norme culturelle voudrait que chaque aîné social soit respecté et honoré par les moins âgés que lui. Ce respect fait partie de l'éducation du jeune tchaman. Pendant les réunions de génération par exemple, aucune réunion ne peut commencer en l'absence des Djehou (aînés).

« Quand ils ne sont pas encore venus, c'est que tout le monde n'est pas présent. Mais quand ils sont là que les autres sont absents, la réunion peut commencer ».

Aussi pendant leur rencontre, la disposition spatiale des tchaman impose-t-elle le respect. Pour une génération donnée, l'on s'assoit suivant les classes d'âge, de manière progressive et ascendante.

Les personnes âgées, suivant ce principe, reçoivent respect et considération au sein de la communauté villageoise. A l'approche du doyen d'âge du village par exemple, les jeunes se lèvent pour le saluer. Ce respect et cette considération que les personnes des premier et deuxième âges ont à l'égard du vieil âge, s'expriment également dans leur manière de les appeler ou de les désigner : grand-père (Adjissè), grand-mère (Baba) ou ancêtre (Nanan).

Tout ceci s'exprime à travers cette position de Kouakou N'guessan39(*) François : 

Le troisième âge est l'objet de nombreuses considérations de principes dans les sociétés de traditions culturelles africaines. A l'âge avancée (60 ans et au-delà) sont rattachées des valeurs de respect, de courtoisie et de références positives dans l'ordre de la connaissance de la morale et de l'exercice des pouvoirs (politique, économique, social, culturel et religieux).

Nanan Gbanda Nathanaël (88 ans environ) : de la génération blessoué, doyen d'âge d'Adjamé-village.

II.3.4 Rapports conflictuels

Les interactions entre les personnes âgées et les autres membres de la communauté villageoise, notamment les jeunes, ne sont pas toujours emprunts d'amitié, de plaisanterie et de respect. Nous avons également des rapports conflictuels. Ce sont des cas d'insultes, de paroles malveillantes et mêmes de violences physiques.

Pour certains jeunes du village d'Adjamé, le mauvais traitement infligé aux personnes âgées dépend de l'éducation reçue. Plusieurs se sont défendus de n'avoir jamais eu à poser de tels actes envers leurs parents âgés. Pour ceux-ci, leur culture religieuse ne les autorise pas à maltraiter une personne âgée.

Toutefois, nos informateurs reconnaissent qu'il existe des cas de violences à l'égard de certaines personnes âgées dans le village. Des cas d'insultes ?

« Oui, dans la vie courante, aujourd'hui, ce sont des choses qui ne manquent pas. »

répond un d'entre eux.

A cet effet, une femme âgée de 80 ans nous a confié qu'un jeune lui a déjà dit :

« fou le camp ».

« Cela ne m'a rien dit. Je sais que c'est leur âge. Ils n'ont pas encore l'âge de comprendre les choses »,

a-t-elle poursuivi.

Ces actes qu'on peut qualifier de maltraitance psychologique de la personne âgée s'observent, parce que selon un enquêté :

« les jeunes d'aujourd'hui prennent de la drogue, consomment de la boisson forte. Quand ils sont dans de tels états, ils ne respectent plus les vieilles personnes »

Dans le passé, selon l'une des personnes âgées interrogées,

« les vieux étaient beaucoup respectés. Maintenant, les jeunes leur parlent comme ils le veulent, du genre "quitte devant moi" ; "vieille sorcière, tu attends quoi pour mourir" ou encore, "tu es vieux, il faut mourir maintenant on va avoir la paix" ; "tous les gens de ta génération sont morts, toi tu fais quoi ? Tu nous fatigues là ! " »

Tout cela exprime la fragilisation du système social traditionnel tchaman, d'Adjamé-village. Cette fragilisation se comprend à travers le changement social intervenu avec l'urbanisation de la ville d'Abidjan et partant, du contact avec les autres cultures, africaines et surtout occidentales. C'est de cela qu'il est question avec Amon d'Aby (1958, p8) quand il soutient qu'au contact de la civilisation occidentale, nos sociétés tribales ou claniques se sont profondément bouleversées. Selon lui, depuis ce contact, nos institutions coutumières n'ont cessé de subir les assauts de la civilisation dynamique.

A Adjamé-village, même si les institutions comme la génération et les classes d'âge survivent et continuent de jouer leur rôle d'enculturation, cela n'empêche pas d'énormes déviances comportementales à l'égard des aînés sociaux. En effet, ces institutions ne sont plus les seules concernées par la socialisation des jeunes générations. Les écoles occidentales, les mass médias, la rue, le brassage culturel, sont aussi des concurrents. C'est le lieu de mentionner que le site géographique d'Adjamé-village constitue un facteur explicatif des comportements déviants des jeunes du village. Selon une personne âgée,

« les rues environnantes du village sont jalonnées de maquis et de bars. Dès 18 heures, nos enfants, du retour de l'école ou du travail, investissent ces lieux profanes. Ils y mangent, fument, boivent des boissons alcoolisées, ils entrent ivres à des heures tardives sans se préoccuper de nous, leurs parents âgés. »

Aussi, la société actuelle devenue dans une large mesure capitaliste de consommation, explique-t-elle ce changement. De nos jours, le jeune tchaman ne dépend plus absolument de son chef de famille du point de vue économique. En effet, grâce au capital culturel (notamment les diplômes) acquis par le moyen de l'école, les jeunes ont la possibilité d'exercer un emploi rémunérateur. Le salaire ou le revenu mensuel perçu, les rend facilement autonome vis-à-vis de leur famille dont ils devraient en réalité dépendre, selon l'organisation et le fonctionnement de la société ébrié. Cette autonomie financière des jeunes tchaman implique une certaine indépendance vis-à-vis des parents âgés qui sont pour la plupart des chefs de familles. Ils n'ont pas de ce fait de comptes à rendre à un  " vieux " :

« C'est ceux qui n'ont rien à faire qui sont attachés à ces vieux »

comme le disait l'un d'eux.

II.3.5 De l'évitement à la marginalisation

Dans la société moderne, les rapports conflictuels entre les personnes âgées et les jeunes générations se manifestent également par l'évitement qui aboutit à une marginalisation plus ou moins accentuée de la personne âgée, en cause.

Dès lors, ces dernières se sentent rejetées par la société, surtout lorsqu'elles pensent être incomprises. En effet, les conflits naissent des divergences de points de vue; divergences sur la manière de parler, de s'habiller et de se comporter. Alors que les jeunes qualifient leurs grands parents de " dépassés ", de " traditionnels ", en rapport à leur manière d'être, de voir et de faire, ceux-ci trouvent à leur tour, les jeunes acculturés.

Dans la société traditionnelle, ces réalités étaient quasi-inexistantes. Voici un récit qui révèle le processus de la marginalisation de ces aînés sociaux.

« Il y a des vieux qui trouvent les jeunes de maintenant arrogants. Les vieux jugent les jeunes à travers les éléments tels que : la parole, le langage, l'habillement en se référant à leur époque, à leur temps.

Pour qu'ils approuvent un jeune, il faut que celui-ci se mette en pagne ; il faut qu'il s'habille comme eux. Quand ils voient les jeunes porter un Jeans coupé, ils les jugent automatiquement. Ils commencent à les agresser verbalement. En retour, les jeunes s'énervent et ils sont obligés de contourner ces vieux pour ne pas avoir affaire à eux.

Les vieux qui acceptent les jeunes avec leur mode, leurs comportements, ce sont eux que les jeunes vont fréquenter. Les vieux qui font tout le temps des reproches aux jeunes sont évités par ces derniers. »

Nous observons à travers ce texte deux conceptions différentes du monde : celle des personnes âgées et celle des jeunes. Pour les personnes âgées, la conception traditionnelle du monde (culture ébrié), avec ses manières de se vêtir et de parler est bien meilleure. Les jeunes sont alors jugés en fonction du savoir, du savoir être et du savoir faire, qu'ils ignorent, parfois.

Pour les jeunes générations,

« le monde a évolué, les choses ont changé. Nous ne sommes plus dans les années 1950. »

Ce qui prévaut pour eux, c'est la manière occidentaliste de faire. Il faut être donc à la mode pour être en phase avec son époque. Plusieurs personnes âgées ne semblent pas entendre la chose de cette façon. Et c'est cette opposition de conceptions qui crée le conflit. Les jeunes pour éviter d'être continuellement mal vus et mal jugés, préfèrent passer outre ces personnes âgées aux conceptions toujours traditionnelles. Ces dernières sont désormais évitées. Et le prix à payer, c'est la solitude, l'isolement et partant, la marginalisation.

La marginalisation de certaines d'entre elles, est également la résultante d'accusations de sorcellerie, d'où la méfiance à leur égard, tant par les membres de leurs familles que par les autres villageois.

Chapitre III : LA DEPENDANCE DES PERSONNES AGEES DE

LEURS FAMILLES ET LES FORMES DE

MALTRAITANCE

III.1 Dépendance des personnes âgées de leurs familles

III.1.1 Des revenus contraignants à la dépendance

Selon les données de notre enquête, dans la sous-population des hommes (14 personnes) 11 perçoivent une pension de retraite, 2 vivent des revenus de loyer, et 1 vit aux dépens de sa famille. Dans celle des femmes (12), 4 ont pour source de revenu le loyer et 8 dépendent de leurs grandes familles. Au total, ce sont 9 personnes âgées qui dépendent de leurs grandes familles.

C'est dire combien de fois, les conditions de vie de ces dernières sont tributaires de leurs grandes familles, précisément, pour ce qui est des conditions matérielles, nutritionnelles et économiques.

Par ailleurs, sur les 11 retraités, 8 perçoivent une pension allant de 10.000 à 30.000 francs CFA par mois. Parmi eux, 4 ont de 4 à 11 personnes à charge ; 2 ont plus de 12 personnes à charge  et 2, moins de 3 personnes à charge.

Pour tout dire, ces retraités ont au moins 4 personnes à nourrir, à soigner, à vêtir, à loger, à scolariser; alors que la pension de retraite (10.000 à 30.000 francs CFA / mois) que l'un d'eux qualifie de " bonbon glacé ", est loin de satisfaire ces besoins primaires.

Sur les 11 enquêtés retraités, 10 sont issus du secteur privé et 1 seul du secteur public. C'est ce dernier qui perçoit mensuellement, une pension comprise entre 90.000 et 110.000 francs CFA. En effet, en Côte d'Ivoire, la situation des retraités est différente selon qu'il s'agit d'un ex fonctionnaire ou d'un ex travailleur du secteur privé.  A titre d'exemple, selon Théodore Kacou40(*)

Un travailleur qui était payé à 200 000 FCFA dans le secteur public, perçoit à peu près 80% de cette somme, à la retraite et par mois. Ce même travailleur, s'il avait plutôt servi dans le secteur privé, ne toucherait au maximum que 70 000 FCFA par trimestre. Soit un peu moins de 25 000 FCFA par mois pour ce travailleur qui était rémunéré à 200 000 FCFA quand il était en activité. 

Pour confirmer ces faits, l'un de nos enquêtés nous a confié qu'il perçoit moins de 15 000 FCFA mensuellement alors que son salaire était de 150 000 FCFA par mois. Pour remédier à cette insuffisance économique notoire, certains d'entre eux transforment les devantures de leurs maisons en magasins. D'autres partagent leurs pièces avec des locataires commerçants. Tout ceci traduit la précarité des conditions de vie de notre population cible.

Avec de telles pensions qui s'avèrent insuffisantes pour les concernés mêmes, force est de constater que la prise en charge d'autres personnes les rend plus vulnérables. Dans ces conditions, le recours à la grande famille devient une nécessité pour ces personnes âgées ; d'où leur vie de dépendance.

III.1.2 Le logement et l'héritage

Chez les ébrié, le logement occupe une place primordiale, selon l'adage :

 « Les maisons des ébrié sont leurs café-cacao ».

Pour dire que, les logements constituent leurs principales sources de revenu. La plupart des tensions entre les générations ou les individus, dans ce contexte, ont pour cause, l'héritage immobilier. Comment se fait la transmission ?

« Si un homme meurt, ses biens propres reviennent à sa femme et à ses enfants. Les biens qu'il a hérités de la grande famille reviennent à la grande famille. Un an après l'enterrement, la femme est libérée et remise à sa famille d'origine. Si elle est encore jeune, elle peut se remarier. Au cas où elle est avancée en âge, elle retourne dans sa famille d'origine si son mari n'a pas fait de réalisation. »

Les personnes âgées trouvent dans la résolution des litiges fonciers et immobiliers salut ou désolation. Certaines sont des chefs de familles acceptés et ont, de ce fait, à leur possession l'héritage de la grande famille. Dans ce cas, elles sont responsables de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux et au delà. Pour d'autres, ce n'est pas le cas. Ces dernières sont des chefs de familles contestés et dépossédés des biens familiaux ou continuellement traduits devant les juridictions coutumières et étatiques.

Comme le relate cet enquêté :

 « J'ai déjà été traduit devant les tribunaux par ma nièce pour un problème d'héritage. Cela fait cinq ans que le problème est à la justice. Pour elle, ce n'est pas moi qui devrais hériter des biens de la grande famille ».

En général, ce sont les hommes âgés qui sont victimes de ce traitement, de par leur statut de chef de famille. Quant aux femmes, leur sort dépend le plus souvent des décisions de la grande famille.

III.1.3 La grande famille et la prise en charge de ses personnes âgées

La société tchaman est composée de sept grandes familles, selon l'expression de nos enquêtés. Ce sont : les Lokoman, les Fiedoman, les Tchadoman, les Godouman, les Kouèdouman, les Gbadoman et les Abromando. Chacun de ces matriclans ou mando est subdivisé en plusieurs lignages.

Pour Laburthe-Tolra et Warnier (1994:97),dans ce mini-Etat qu'est la famille étendue ou le lignage, le chef de famille remplit à la fois quatre fonctions principales d'autorité : religieuse, politique, juridique et économique.

Au niveau religieux, il est le prêtre du culte domestique.

Au niveau politique, il est le mandataire de la communauté domestique dans les relations politiques, auprès du conseil du village.

Au niveau juridique, il a juridiction à l'intérieur de la famille : donne des ordres, prononce des sanctions, résout les litiges.

Au niveau économique, il est l'administrateur du patrimoine de la communauté, dont il doit assurer la conservation et l'accroissement.

En ce qui concerne Adjamé-village, c'est l'homme le plus âgé du matriclan qui est le chef de famille et qui remplit également les quatre fonctions sus citées. C'est lui qui est chargé de la gestion des biens familiaux qui sont le plus souvent, immobiliers et terriens. C'est de la vente de ces biens ou de leur mise en location que proviennent les revenus de la famille. La famille procède également à des cotisations individuelles pour constituer son budget.

L'une des obligations du chef est d'être le soutien moral et financier des personnes âgées de la famille. Néanmoins, ce n'est pas toujours le cas dans toutes les familles. Ici trois groupes se dégagent, suivant l'assistance familiale aux personnes âgées.

Dans le premier groupe, les chefs de famille donnent de l'argent à leurs personnes âgées, surtout aux femmes, chaque fin de mois. Cette aide peut être également matérielle, sinon immobilière. Par conséquent, la grande famille peut mettre à la disposition de son parent âgé, une maison dont le loyer mensuel lui revient, pour son entretien.

L'assistance de la grande famille peut être également nutritionnelle. Il y a des cas où  les épouses de chefs de familles apportent un repas au parent âgé, quotidiennement. 

Dans le second groupe, cette assistance financière et matérielle des grandes familles aux parents âgés, est irrégulière et insuffisante. Certains de nos informateurs disaient : 

« La grande famille est large. Chacun s'occupe de ses propres affaires. »

ou encore

: « L'aide vient de la grande famille. Les temps sont durs, ce qui est sûr, on lui donne quelque chose. »

Ces personnes âgées vivent ainsi dans une logique du contentement en ce sens qu'elles ne se plaignent pas du manque malgré l'insatisfaction de leurs besoins, souvent primaires. C'est ce que disent ces propos :

 « Elle se contente de ce qu'on lui apporte. Elle n'est pas satisfaite mais elle se contente du peu qu'elle reçoit »

  « Elle se contente de ce qu'on lui donne, ne sachant d'où d'autres aides peuvent lui venir. »

ou encore

En outre, le témoignage ci-après de ce vieil homme de 86 ans, caractérise le troisième groupe de famille.

Dans des familles, l'on ne s'occupe pas des personnes âgées. On enferme certaines, dans des maisons. Au niveau des familles, il y a ainsi des personnes âgées négligées. C'est mon cas. J'ai perdu ma première femme, ma seconde aussi. Il y a de nombreuses filles dans la famille qui sont veuves. Je leur ai demandé de venir vivre avec moi pour s'occuper de moi, mais elles ont toutes refusé. Je suis obligé d'employer des servantes qui ne s'occupent pas bien de moi. Elles me font toujours manger à 14 heures. Je parle mais elles ne changent pas.

D'autres reçoivent de la visite des membres de leur famille. Malgré cela, ils ne s'occupent pas d'elles comme il le faut. Ce qui fait qu'elles ont des soucis. Avant, il y avait l'amour pour les vieux, on leur faisait des cadeaux, ce qui n'est pas le cas de nos jours où les personnes âgées sont livrées à elles mêmes. Les villageois cultivaient l'igname, le palmier à huile et pratiquaient la pêche et l'esprit de partage régnait dans le village. Les personnes âgées en bénéficiaient. Aujourd'hui, même si tu demandes, on ne te donne pas.

De ces témoignages, découle l'abandon physique et / ou moral de plusieurs personnes âgées, à Adjamé-village.

II1.1.4 Traitement familial des personnes âgées

Les aînés sociaux du village sont à la charge de leurs familles respectives. Ils y occupent la position de grands parents. Ils vivent ainsi avec leurs descendants et les descendants de ces derniers, proches ou lointains.

Nous avons constaté que, d'une manière générale, les aînés sociaux sont beaucoup plus en contact avec leurs petits enfants. Certes, nous avons rencontré quelques cas où c'est la fille qui s'occupe de sa mère, ou la petite nièce de sa grande tante. Même dans ces différents cas, la petite fille intervient, bien qu'elle ne soit pas seule à le faire.

Dans la plupart des cas donc, ce sont les petites-filles qui s'occupent de leurs grands parents. Elles sont déscolarisées, filles mères, divorcées, veuves, ou chômeuses, ou en quête d'un premier emploi. Ce sont soit des jeunes filles, soit des jeunes femmes. Outre la surveillance de leurs " mémé " ou  " pépé ", elles sont chargées de faire la cuisine, la lessive et le ménage. Dans certains cas d'invalidité (liée au poids de l'âge ou à la maladie), l'entretien de la personne âgée va jusqu'à la toilette et au port de couches jetables. Dans ce cas, il s'agit d'une dépendance totale car la personne âgée n'a plus les capacités mentales et physiques pour vaquer à ses occupations (se lever, se laver, manger...).

Exacerbés à la longue par cette charge que constituent les personnes âgées, les petits enfants transforment les relations grandes parentales, en maltraitance.

Comment en arrive-t-on là ?

Le plus souvent, comme nous l'avons mentionné plus haut, ce sont les petites filles qui restent en charge de leurs grands parents. La plupart d'entre elles nous ont confié qu'elles le font délibérément. Elles s'occupent de leurs grands parents parce qu'elles les aiment. Elles le font également en reconnaissance de ce que ceux-ci leur ont été très utiles et les ont beaucoup aimées, pendant que ces derniers étaient encore adultes. Il n'est donc pas question de les abandonner présentement, à leur vieil âge. Seulement, c'est que pour une personne âgée donnée, il ne se trouve qu'une seule personne (souvent sa petite fille), véritablement, à ses côtés.

Prendre soin d'une personne âgée demande beaucoup de précaution, d'attention et de compréhension. Les petits enfants ne sont pas formés à cela. Avec le temps, la lassitude apparaît. C'est ce que Robert Hugonot appelle :

« l'épuisement de la tolérance ».

C'est par cet épuisement que l'on arrive à la violence à l'égard des personnes âgées. Face aux exigences de ces dernières et quand leurs comportements atteignent un tel niveau répétitif ou démesuré, elles épuisent la tolérance de l'autre et le découragement s'installe. L'on parvient alors à se demander : 

« à quoi sert tout cela, et s'il mourait pour que je sois enfin libre ? »

C'est alors que les négligences s'étalent. Les violences psychologiques avec leurs lots de paroles infantilisantes, dévalorisantes et d'insultes font vite place aux violences physiques, des plus subtiles, aux plus dramatiques.

A ce manque de formation préalable, s'ajoute la situation socioéconomique de ces petites filles qui ont la charge de leurs grands parents. En effet, leurs besoins personnels (vêtement, argent de poche, scolarité de leurs enfants, pour les filles mères) ne sont pas pris en charge par la grande famille. Elles se retrouvent de ce fait dans un dénuement total. C'est pour remédier à cette situation que certaines abandonnent leurs grands parents de nuit comme de jour, pour aller vendre. Lors de nos entretiens, une jeune femme, mère de 2 enfants, divorcée et chômeuse, nous a avoué abandonner toutes les nuits (de 19h à 23h) sa grande mère invalide, pour aller vendre devant la pharmacie Saint Michel d'Adjamé.

Quant aux enfants nés de ces personnes âgées, ils vivent généralement dans leurs foyers, hors du village. Alors que quelques uns ont accepté de recueillir leurs parents âgés dans leurs foyers, d'autres par contre, ont préféré les abandonner dans la cour familiale et se contenter de visites périodiques, comme pour soulager leur conscience. Dans ces cours, tandis que certains membres de la famille, à l'image des petites filles, font l'effort de subvenir aux besoins quotidiens des parents âgés (cuisine, ménage...), d'autres, par contre, leur rendent la vie difficile. Les personnes âgées sont de la sorte à la merci des autres membres de la grande famille qui habitent la cour. C'est dans cet autre contexte qu'elles sont victimes de plusieurs types de violences.

III.2 Formes de maltraitance des personnes âgées

Une personne est susceptible d'être victime de violence à pratiquement toutes les étapes de sa vie : enfance, adolescence, début de l'âge adulte, âge moyen et vieillesse. Mais, la nature et les conséquences de cette violence peuvent varier en fonction de sa situation. A Adjamé-village, la violence commise à l'égard des personnes âgées est liée à leurs conditions de vie. Ici, ces dernières vivent avec des membres de leurs familles ou avec d'autres personnes telles que les servantes.

A travers nos recherches, nous pouvons signaler trois formes de violences :

La violence psychologique ;

L'exploitation ou la manipulation financière ;

La violence physique.

III.2.1 La violence psychologique à l'égard des aînés sociaux

Dans ce cas, l'âge avancé est victime d'insultes, de blasphèmes, d'injures ou d'abandons comme en témoignent les textes suivants :

« Ma mère a déjà eu des différends avec les enfants de son frère, sur un terrain que son frère lui avait donné. A la mort de ce dernier, ses fils se sont révoltés et sont venus réclamer le terrain, disant que c'est pour leur père. »

« Elle faisait le commerce. Avec le poids de son âge, elle a tout arrêté. Son fils qui s'occupait d'elle est décédé. Depuis son décès, personne ne lui donne de l'argent. Ses autres enfants ne lui viennent pas en aide. »

Dans le premier cas, les réactions des neveux ont profondément choqué cette personne âgée qui s'est sentie humilier, au sein de la communauté villageoise.

Dans le deuxième, la personne âgée, victime d'abandons moral et physique, est devenue taciturne, depuis le décès de son fils. Elle s'enferme régulièrement dans sa chambre pour pleurer, tout en réclamant la mort.

Par ailleurs, lors de nos entretiens, des informateurs nous ont confié que plusieurs personnes âgées invalides sont enfermées dans les maisons. Ecoutons l'un d'eux: 

«  Il y a des enfants qui trouvent que leurs parents âgées les emmerdent. Chaque matin, c'est eux qui doivent être à leurs petits soins. C'est pour tout cela qu'ils les laissent à la maison sachant qu'à telle heure, ils doivent aller aux toilettes, pour leurs besoins. Seuls à la maison, ils font leurs besoins sur eux. Quand leurs enfants reviennent, ils se plaignent et ils crient sur eux. Vous voyez, ce n'est pas bien ! »

De telles personnes âgées sont en proie à la solitude, aux frustrations, aux humiliations et ne se sentent pas suffisamment aimer par les membres de leur famille.

III.2.2 La maltraitance financière

Il s'agit de l'utilisation, à des fins répréhensibles, de l'argent ou des biens appartenant aux personnes âgées ou du fait de ne pas les utiliser, pour leur bien-être. Ceux qui exploitent financièrement le grand âge, agissent sans son consentement, sinon, à leur propre profit. Cette exploitation financière peut prendre les formes suivantes : le vol de son argent ou d'autres biens, la vente de sa maison ou d'un autre bien sans sa permission, l'utilisation frauduleuse d'une procuration, le fait de ne pas lui rembourser l'argent qui lui a été emprunté lorsqu'elle le demande.

A Adjamé-village, certaines personnes âgées sont victimes d'exploitation financière. Des pressions sont exercées sur elles pour qu'elles quittent leurs maisons contre leur gré. C'est surtout le cas des veuves. Toujours sous l'effet des pressions, des membres de leurs familles les dépossèdent de leurs maisons, terrains et autres biens. D'autres ont aussi signé des documents juridiques sous la pression, en vue de les dessaisir des biens patrimoniaux qu'ils héritent. Il existe également des personnes qui, malgré leur âge avancé, gèrent encore des activités lucratives (plantations à Songon, ateliers de couture, ...) en vue de subvenir aux besoins matériels et financiers des leurs.

Des informateurs nous ont fait part des cas de maltraitance financière des personnes âgées dans les familles. Écoutons leurs témoignages :

« Mon frère aîné a toujours refusé de s'occuper de notre mère, bien qu'il ait en sa possession l'héritage de notre père. »

« La famille a arraché la maison à notre maman après le décès de notre père pendant près de 15 ans, alors qu'ils étaient mariés légalement. C'est tout dernièrement qu'on lui a rendu la maison en raison des impôts impayés. Mes frères qui devaient lui apporter quelque chose, n'y pensent même pas. »

Dans ces deux cas, les biens des parents âgés sont confisqués par des tierces personnes (fils aîné, belles familles) qui refusent par la suite de s'occuper d'eux. Aussi, leurs droits sont-ils bafoués. L'on ne tient pas compte du fait que les femmes, par exemple, héritent de leurs maris par le biais du mariage légal. Malgré cela, elles sont dépossédées de tous leurs biens et abandonnées, après le décès de leurs conjoints. En effet, l'organisation sociale des tchaman repose essentiellement sur la filiation matrilinéaire. L'héritage se fait toujours dans la grande famille maternelle et c'est l'homme le plus âgé qui hérite des biens successoraux. La femme n'a pas droit à l'héritage. Cela justifie la dépossession de la veuve, des biens de son défunt mari (biens qui reviennent directement à la famille maternelle de ce dernier) et son renvoi dans sa famille à elle, un an après le décès intervenu.

En outre, il convient de noter que la plupart des personnes âgées d'Adjamé-village, ont à charge d'autres personnes. En fait, comme nous l'avons mentionné plus haut, leurs proches sont leurs petites-filles, chargées de prendre soins d'elles. Ces dernières sont des filles-mères pour la plupart.

Sans emploi et sans revenu, certaines vivent avec leurs enfants, aux dépens des personnes âgées qu'elles assistent. En général, les petites-filles, tout comme les filles, qui s'occupent de leurs parents âgés, sont dans cette situation, comme nous le dit cette dame :

«  Je vis chez ma mère avec mon mari et mes six enfants. Mon mari ne travaille plus, mais il se débrouille. »

Ce genre de cas ne manque pas dans le village ébrié d'Adjamé. C'est une forme de maltraitance financière. Ici, la personne âgée est subtilement obligée de s'occuper de ses enfants, de ses petits-enfants, de son gendre et d'autres membres de sa famille.

Des enquêtés ont aussi fait mention de certains membres de la famille qui refusent de quitter la maison des parents âgés lorsqu'ils le demandent. C'est le cas de ce petit-fils qui refuse de libérer la maison de sa grande mère, malgré plusieurs insistances. D'autres aussi qui habitent ces maisons, refusent de participer aux dépenses du ménage. De plus, des cas d'agressions physiques de la part des petits-enfants, sous l'effet de l'alcool et des stupéfiants, ont été signalés. De la sorte, de nombreux cas de maltraitances physiques des personnes âgées, existent à Adjamé-village.

III.2.3 La violence physique à l'égard des aînés sociaux

Dans ce point, deux témoignages, parmi tant d'autres, nous interpellent.

Témoignage 1

Dans le village, tout dernièrement, il y a un jeune qui a poussé sa grande mère dans le couloir. Et quand son oncle, aussi âgé, est arrivé, il a envoyé un coup à son oncle. Son oncle est tombé et il s'est blessé. Il a fuit par la suite. Et pourquoi il a fait cela ? Parce que sa grand-mère a refusé de lui donner de l'argent.

Témoignage 2

Mes grandes soeurs et moi vivions avec notre grand-mère, après le décès de nos deux parents. Mes soeurs refusaient de faire le marché pour notre grand-mère. L'une d'entre elles, la plus jeune, frappait notre grande mère sous prétexte qu'elle était sorcière. Quand la vieille les envoyait, elles refusaient d'aller. C'est d'autres personnes qui partaient faire le marché pour la vieille. Et tout cela les énervait.

Je partais à l'école et quand ma grand-mère me voyait à midi, elle se mettait à pleurer en me racontant ce que mes soeurs lui avaient fait.

De mon côté, voilà comment les gens ont maltraité ma grande mère.

Il apparaît clairement dans le premier témoignage, que cette femme âgée est victime à la fois de maltraitance financière et physique. Du second, il ressort que des personnes âgées sont brutalisées, battues, violentées. C'est ainsi que pendant notre entretien, l'une des enquêtées, âgée d'environ 75 ans, a fondu en larmes, à l'idée de toutes les agressions verbales et physiques qu'elle subit, de la part de son petit-fils.

A l'image de toutes les sociétés ivoiriennes, la société ébrié est en pleine mutation, c'est alors que l'on observe des comportements anomiques, dans une proportion grandissante. Certes, l'organisation sociale ébrié est conservée, dans sa totalité ou dans l'essentiel de ses composantes. Toutefois, les profondes mutations socioculturelles et économiques en cours, associées aux influences externes (eu égard au site géographique d'Adjamé-village), expliquent le fait que de plus en plus, les jeunes affichent des comportements déviants. Ces comportements soulèvent la problématique des rapports sociaux entre les jeunes générations, et celles des aînés ; les traditions de respect à l'égard des personnes âgées étant menacées par suite de l'évolution des moeurs.

Ces comportements peuvent également constituer des réactions de subversion à la logique de structuration et de fonctionnement de la société ébrié. Ici, ce sont les aînés qui possèdent les capitaux (culturel, symbolique, économique, social). Ce sont eux qui les distribuent. Ils sont les seuls à dirent ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. En un mot, ils détiennent les ressources et le pouvoir. En réaction, les jeunes qui vivent dans le dénuement, dans une certaine mesure, développent des stratégies de riposte à ce qu'ils pensent être une injustice.

III.3 Réactions des personnes âgées face aux maltraitances

Face aux actes de maltraitance, les personnes âgées répondent de deux manières essentielles.

La première, concerne celles qui pratiquent " l'exclusion refuge ": elles se cloîtrent chez elles. Elles préfèrent rester " dans leur coin " comme le dit l'un de nos informateurs. Elles restent muettes, pensives et solitaires. C'est par ce comportement taciturne que ces personnes âgées répondent à la maltraitance, de leur entourage. Certaines pleurent fréquemment leurs enfants affables, décédés ; ceux qui s'occupaient véritablement d'elles, dans la mesure où, ceux qui sont encore vivants, les négligent ou les abandonnent.

A Adjamé-village, c'est aussi le cas de celles qui sont marginalisées, parce qu' accusées de sorcellerie. Certaines se réfugient dans un silence de résignation : elles donnent l'impression de consentir, parce qu'elles se taisent, alors que leur silence n'est que celui de la résignation.

Ce témoignage d'une dame, petite-nièce d'une femme âgée de 75 ans, confirme ce fait :

Lorsque je viens voir ma grande tante, je la trouve le plus souvent assise sur son lit à coucher, entrain de pleurer tout en réclament la mort. Sa propre fille est dans la cour, mais elle ne s'occupe pas d'elle. Elle l'accuse de sorcière qui a " mangé " ses deux grands enfants qui s'occupaient d'elle. Aujourd'hui, elle est abandonnée par sa fille et par son fils. D'ailleurs, c'est le fils de cette dernière qui a tenté plusieurs fois de battre la vieille avec des menaces du genre " il faut mourir maintenant pour libérer la famille, c'est à cause de ta sorcellerie que nous souffrons tous, que nous ne travaillons pas." En plus de ces menaces, il a plusieurs fois bousculé la vieille et l'a fait tomber

En ce qui concerne la seconde manière de réagir à la maltraitance, quelques personnes âgées se plaignent des comportements de ceux qu'elles ont jadis, aidés. Ici, celles ayant encore un pouvoir de décision (de par leur statut social), privent leurs maltraitants d'assistance financière et matérielle.

A Adjamé-village, certains grands parents, ont expulsé de leur maison, des petits- enfants et neveux et les ont convoqués devant la chefferie.

Chapitre IV : LA DIALECTIQUE DES REPRESENTATIONS

SOCIALES DES PERSONNES AGEES

IV.1 Les personnes âgées, objets d'honneur à Adjamé-village

Que nous soyons dans le village ou dans les familles, pour les tchaman d'Adjamé-village, avoir une personne âgée dans sa famille, est une grande fierté.

La personne la plus âgée d'Adjamé-village (96 ans environ) : génération tchagba

Elles sont perçues comme des symboles, des références culturelles, familiales et générationnelles. Elles sont vues comme les représentants des ancêtres : des êtres sacrés. Objets d'admiration, l'on s'interroge et parfois les interroge sur le secret de leur longévité.

Pour les habitants de ce village, la longévité se résume dans le simple fait de rester le seul survivant de sa génération. La notion de longévité est ainsi liée à la vie des générations. Suivant un informateur :

« On dit qu'une personne a vécu longtemps quand cette personne est restée la seule de sa génération. Ainsi, dans la première génération des Tchagba, deux vieilles presque centenaires sont encore en vie. C'est un honneur de rester le seul de sa génération composée souvent de 150 membres. »

Dans ce sens, l'on est fier de clamer que son parent est, ou était, le dernier de sa génération. Visiblement, le petit fils de Nanan Gbanda tirait un certain orgueil de son grand-père, quand il nous disait que celui-ci est le doyen d'âge du village. Dans chaque cour, cette fierté d'avoir le parent le plus âgé, se lisait sur les visages des enfants et des petits-enfants.

Dans cette logique, pour nos entretiens, l'on préférait que des rendez-vous soient pris, en vue de mieux apprêter la personne âgée (un accoutrement bien présentable).

En tout état de cause, la plupart des personnes âgées d'Adjamé-village, sont objets d'honneur et d'admiration. Toutefois, elles sont aussi sujettes de mépris.

IV.2 Les personnes âgées, objets de tous les maux

IV.2.1 Une charge pour la famille

Les personnes âgées d'Adjamé-village dépendent, pour la plupart, de leurs familles. Elles constituent pour celles-ci, une véritable charge quant à la satisfaction de leurs besoins en logement, en alimentation, en soins médicaux, en soins corporels et en assistance de toutes sortes. Dans le contexte de la récession économique actuelle, la prise en charge des aînés sociaux, improductifs et budgétivores, devient problématique pour les membres de leurs familles.

Cette charge se situe aussi au niveau du temps qu'il faut leur accorder, dans leur assistance. En effet, certaines personnes âgées sont totalement dépendantes des membres de leur famille : leurs toilettes, leurs besoins biologiques, leurs nourritures, leurs surveillances, pour ne citer que ceux-là, exigent qu'on leur consacre beaucoup de temps. De ce fait, ceux qui les ont à charge sont obligés de se priver de repos, de distraction et de participation à diverses activités culturelles.

« Depuis que ma mère est devenue invalide, cela fait des années que je ne suis pas allée dans une église pour prier. A la moindre absence, elle me cherche partout et elle se met à pleurer comme une enfant. »

Nous a-t-elle confié l'une de nos enquêtées.

De ce qui précède, elles apparaissent comme des "parasites"et des "occupants encombrants", des charges supplémentaires dans les ménages ; objets de paupérisation. Dès lors, l'on n'est plus loin de se demander :

« il attend quoi pour mourir ? »

IV.2.2 Les personnes âgées : " les mangeurs d'âmes"

Si pour les familles tchaman, la longévité d'un parent un objet de gloire, cet objet d'honneur est vite traité de sorcier, lorsqu'elles sont confrontées aux difficultés liées à la satisfaction des besoins existentiels de ce dernier et au décès précoce des plus jeunes. S'il vit encore, c'est qu'il appartient à une confrérie de sorciers où « ils ôtent la vie des autres » pour vivre plus longtemps.

Dans la société actuelle, eu égard au mode de vie, mourir à un âge jeune ou adulte semble normal. L'espérance de vie qui tourne autour de 40 ans, conforte cette idée. Vivre longtemps devient alors sujet à spéculation. Devenir personne âgée et surtout très âgée (atteindre le quatrième âge), c'est appartenir à un autre monde, celui de l'irrationnel. Justement, la sorcellerie en Afrique relève de l'irrationnel. Les sorciers ont pouvoir de vie et de mort. Cette disposition mentale voit ipso facto les personnes âgées, appartenir à un tel monde.

Ecoutons ce récit d'accusation de sorcellerie.

Les cas d'accusation des personnes âgées, de sorcellerie, existent et sont nombreux. Moi-même, j'ai été accusé de sorcier par ma nièce et certains habitants du quartier. J'ai été accusé d'avoir mis un caillou dans son ventre en lieu et place d'un bébé. La grossesse a duré onze mois. C'est au bout du douzième mois qu'elle a accouché.

Le personnel médical avait diagnostiqué un fibrome. Après l'accouchement de cet enfant, qui vit jusqu'à ce jour, ma nièce a formé une délégation pour venir me demander pardon.

De tels cas d'accusation des personnes âgées de sorcellerie, sont fréquents dans le village. Toutefois, ce sont des problèmes qui sont réglés en famille et non devant la chefferie. Ici, la maltraitance s'explique par la mauvaise représentation que l'entourage se fait des personnes âgées. En effet, leur image est dans la plupart des cas, ressentie de manière négative. Nous avons rencontré des cas où tous les enfants de la personne âgée sont décédés et le seul vivant, refuse de s'approcher d'elle, de peur de mourir à son tour.

Au total, les stéréotypes qui sont véhiculés à leur encontre et les difficultés qu'elles rencontrent, peuvent trouver dans une certaine mesure, leur origine dans le fait qu'elles n'exercent plus de rôle dans la production et la transmission du patrimoine. Ceci soulève la problématique de leur participation sociale. Elles ne correspondent donc plus dans notre société actuelle, aux critères matériels du succès ; ce qui explique leur marginalisation. Elles sont alors perçues comme une charge et la société a du mal à réaliser leur utilité sociale ; d'où l'insuffisance de leur intégration sociale.

IV.3 La question des hospices de vieillards

En vue de mieux apprécier la position des jeunes et de celle des personnes chargées de s'occuper des parents âgés, nous leur avons exposé la question des hospices de vieillards, en occident. L'idée principale était de savoir, si nos enquêtés qui disent être tant attachés à leurs parents âgés, accepteraient de les interner dans les maisons de repos, au cas où elles existaient en Côte d'Ivoire.

D'une manière générale, sur ce sujet, les avis de nos enquêtés sont partagés. Les uns sont pour le regroupement des personnes âgées dans ces structures d'accueil. Ceci en faveur surtout, des personnes âgées qui n'ont personne pour les prendre en charge.

Les autres sont catégoriques sur la question et ne se sentent pas disposer à exiler leurs parents âgés dans une maison de repos. Ils préfèrent eux-mêmes en prendre soin afin que ceux-ci bénéficient de la chaleur familiale, qu'ils aient l'occasion de jouer avec leurs petits enfants et leur raconter les faits passés.

Les derniers souhaiteraient que leurs parents restent avec eux. Toutefois, pour leurs soins et alimentation, que l'Etat leur octroie des aides et des prises en charge.

Au total, dans leur majorité, nos enquêtés qui ne sont pas en contact direct avec les parents âgés, ne souhaiteraient pas les interner dans des maisons de repos, au cas où elles existeraient en Côte d'Ivoire. Pour eux, les hospices de vieillards sont propres à la culture occidentale. Ils ont eu l'occasion de vivre avec leurs grands parents et ils ne veulent pas les isoler pour cause de vieillesse. Ils entendent transmettre cette manière de faire (vivre avec les parents âgés) à leurs descendants, pour perpétuer leurs coutumes.

Au demeurant, ce sont ceux qui sont plus proches des personnes âgées et chargés de s'occuper d'elles, qui sont les plus disposés à les exiler dans des maisons de repos, si cela dépendait d'eux. Ils justifient leur position par le fait que cela leur permettrait d'avoir un peu plus de liberté pour vaquer à leurs propres occupations.

Il convient de noter également que plusieurs personnes âgées se sont prononcées pour leur retrait dans des maisons de repos. Pour elles, non seulement cela leur permettrait de s'éloigner des bruits du quartier et de la maison (en rapport au site d'Adjamé-village), mais surtout, se serait le moyen de contraindre l'Etat à s'occuper d'elles.

CONCLUSION GENERALE

Les personnes âgées constituent un groupe social très important dans la société ivoirienne actuelle. Leur importance est à la fois socioculturelle et démographique. Dans le processus de changement social que connaissent nos sociétés traditionnelles, la perception qu'on a des vieillards a considérablement évoluée. Nous assistons de plus en plus à une désacralisation des personnes âgées au point qu'à la dégradation de leurs conditions de vie (sociale, économique, matérielle, physique, psychologique), l'on ne manque pas d'user de violences de toutes sortes (physique, psychologique, financière), à leur encontre.

C'est pour mieux approcher un tel phénomène que nous avons choisi de l'étudier dans un milieu social (Adjamé-village), caractérisé par  les recompositions familiales, la crise économique, les pertes d'emploi, l'amenuisement des ressources étatiques et communales ; par l'impact des dynamiques urbaines. Il a été essentiellement question de savoir comment les populations d'Adjamé-village construisent la maltraitance des personnes âgées.

Notre étude a tenté de saisir les contours de cette question, à travers des entretiens avec les générations anciennes, les jeunes générations, les familles et les autorités villageoises.

A Adjamé-village, la construction sociale de la maltraitance se fait surtout dans le cadre familial "recomposé", mais aussi dans le cadre communautaire villageois. A cela, il faut ajouter ce que nous pouvons qualifier de "maltraitances étatique  et communale" des personnes âgées, résultantes de l'absence d'une politique de leur prise en charge socio-sanitaire.

Au niveau familial, il ressort que les personnes âgées en grande majorité vivent dans des familles constituées de leurs petits enfants, essentiellement. C'est ceux-ci, notamment les petites filles, qui s'occupent d'elles. Notre étude a montré que la maltraitance des personnes âgées est l'aboutissement d'un processus de lassitude (l'épuisement de la tolérance), dans l'assistance familiale (financière, psychologique, physique) aux personnes âgées.

Aussi, faut-il noter qu'elle est la conséquence de la pauvreté économique des petits-enfants. En effet, ceux-ci finissent par en vouloir à leurs grands-parents (supposés détenir les richesses de la famille) lorsqu'ils ne parviennent pas à leur venir en aide. A ce niveau, il serait souhaitable que les grandes familles qui assistent les personnes âgées, intègrent également les petits enfants à leurs préoccupations d'assistance familiale. Ces grandes familles devraient aider les petites-filles chargées de s'occuper de leurs grands-parents, à scolariser leurs enfants et à subvenir à leurs besoins fondamentaux. Les chefs de familles doivent réellement jouer les rôles qui leur sont dévolus, en prenant effectivement en charge les personnes âgées, tant sur le plan financier que sur le plan social.

En ce qui concerne le village, il devrait songer véritablement à la prise en charge de ses anciens, les garants de sa tradition, jadis constructeurs de son bien être social. A cet effet, il peut constituer une caisse d'entraide destinée aux personnes âgées en difficulté. Aussi, les normes villageoises devraient-elles être un peu plus strictes à l'égard de tous ceux qui, en famille comme dans le village, maltraitent les personnes âgées. La chefferie gagnerait à s'impliquer fortement dans le règlement des conflits familiaux liés aux personnes âgées, au lieu de toujours les ramener en famille.

Au niveau étatique comme municipal, une assistance financière, sanitaire, logistique, juridique, aux personnes âgées, s'avère nécessaire. A l'image de l'ALMA, en France, un réseau d'écoute téléphonique des personnes âgées maltraitées, devrait voir le jour. Aussi, faut- il, avec l'aide de la Société Nationale Ivoirienne de Gériatrie et de Gérontologie (SNIGG), organiser des séminaires de formation des personnes proches des aînés sociaux, en vue d'une meilleure prise en charge de ces derniers.

Pour ce qui est de ceux-ci et des personnes proches d'eux, il leur serait profitable de s'adapter au style de vie des uns et des autres :

« adaptation des vieux au style de vie des jeunes, comme il peut être demandé en retour aux jeunes de s'adapter au style de vie de leurs anciens »41.

Cette  adaptation-tolérance  est alors le garant de la paix du ménage, de la famille et partant, des relations familiales et communautaires des personnes âgées.

Ces recommandations ne sont pas exhaustives, tout comme l'ensemble de la présente étude. Les personnes âgées allochtones d'Adjamé-village n'ont pas été prises en compte. De plus, une enquête ethnographique, exigeant un séjour beaucoup plus prolongé sur le terrain, permettrait de cerner davantage la maltraitance des aînés sociaux d'Adjamé-village, telle que celle des personnes âgées enfermées dans des maisons, depuis des années.

BIBLIOGRAPHIE

A. OUVRAGES METHODOLOGIQUES

COMOE KROU B. (1985), Comment faire un mémoire ?

Les cahiers du Laboratoire de ludistique, Cahier

n°2, Abidjan.

DURKHEIM E. (1986), Les règles de la méthode sociologique,

Quadrige/P.U.F, Paris.

FOULQUIE P. (1949), La dialectique, Que sais-je ? N° 363, Presses

Universitaires de France, Paris.

GRAWITZ M. (1981), Méthodes des sciences sociales, Dalloz, 5ème édition.

LABURTHE-TOLRA P., WARNIER J.P., (1993) Ethnologie, Anthropologie,

Presses Universitaires de France.

QUIVY R., CAMPENHOUDT, L.C, (1995) Manuel de recherche en sciences

Sociales, DUNOD, Paris.

N'DA P. (2002), Méthodologie de la recherche. De la problématique à la

discussion des résultats, EDUCI, Abidjan.

B.OUVRAGES GENERAUX

AMON D'ABY F.J., (1958) Le problème des chefferies traditionnelles en Côte

d'Ivoire, copyright, Abidjan.

BAHI B. (2007), Dérives et réussite sociale en Afrique : Des stratégies

juvéniles à Abidjan, L'Harmattan, Paris.

BERNUS E. (Janvier-Avril, 1964), Note sur l'agglomération d'Abidjan et sa

Population, série B, n° ½, Bulletin Ifan, volume XXIV.

BOYER J. (1973), Précis de médecine préventive et d'hygiène, Editions J.B

Baillière.

BREESE G. (1969), Urbanisation et tradition, tendances actuelles.

DE JAEGER C., (1992), La Gérontologie, Presses Universitaires de

France.

GIBBAL J.M. (1974), Citadins et villageois dans la ville africaine : l'exemple

d'Abidjan, Presses Universitaires de Grenoble, Maspero.

HAMPATE-BA. A. (1972), Aspect de la civilisation africaine, Présence

africaine.

SCHWARTZ A. (1975), La vie quotidienne dans un village guéré, INADES,

Abidjan.

C. OUVRAGES SPECIFIQUES AUX PERSONNES AGEES

BEAUVOIR S. De, (1970) La vieillesse, Gallimard

CARADEZ V., (2001), Sociologie de la vieillesse et du vieillissement, Nathan,

Paris.

ESCRIBANO, J. C., (2007), On achève bien nos vieux, Edition oh ! France.

GRATTIE L., (1988), La retraite en Côte d'Ivoire : essai d'appréhension

psychosociale, Université Laval, Québec.

HUGONOT, R, (2003), La vieillesse maltraitée, DUNOD, 2e édition, Paris.

LADOUCETTE Olivier De (1999), Bien vieillir, Bayard, Paris.

LEFRANCOIS, (2004), Les nouvelles frontières de l'âge, Presses Universitaires

de Montréal, Québec.

PAILLAT P (1963), Sociologie de la vieillesse, paris : PUF.

TOURE A. (1984), Le `'vieux et la vieille'' : situation et rôle des personnes

âgées en Côte d'Ivoire, colloque de Gérontologie Sociale,

Aix-Marseille, France.

D. RAPPORTS SUR LA LONGEVITE ET LE VIEILLISSEMENT

ASSOCIATION DES EPIDEMIOLOGISTES DE LANGUE FRANCAISE, Epidémiologie du vieillissement : 10 ans de recherche (résumés), Montpellier, France.

ENSEA, Ecole National Supérieure de statistique et d'Economie Appliquée, IES, Institut d'Ethnosociologie, (2000), Sociétés, développement et vieillissement en Afrique : comprendre le vieillissement pour prévenir les conflits de générations, Abidjan.

INED, Institut National d'Etudes démographiques, Les âges de la vie Paris, France.

NATIONS UNIES, (2002), Deuxième assemblée mondiale sur le

vieillissement, Madrid du 8 au 12 Avril, New York.

NATIONS UNIES, (2001), Le vieillissement dans le monde : à la recherche

d'une société pour tous les âges, New York.

ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE, (2002), Plan d'action

international sur le vieillissement : rapport sur la mise en oeuvre, Genève.

ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE, (2004), Rapport sur la santé

dans le monde, Genève.

E. LES ARTICLES PORTANT SUR LA LONGEVITE ET LE VIEILLISSEMENT

« Combien de temps pouvez-vous vivre ? », in Réveillez-vous ! Mai 2006,

Volume 87, n°5, pp 3-9.

« Le vieillissement des populations du sud », in Medicus mundi, Avril 200, n°

76.

NINON B., « Pour vivre longtemps, vivons sainement », in La vie, 17 juin

1999, n° 2807, pp 54-59.

ORSMIP, Personnes âgées, Le bulletin, n°50, janvier 2001.

F. DICTIONNAIRES

BIRON A. (1966) Vocabulaire pratique des sciences sociales, édition Economie

et Humanisme, Les Editions ouvrières, Paris.

DELAMARE G. (1985), Dictionnaire des termes techniques de médecine,

Edition Maloine.

FOULQUIE P., (1978), Vocabulaire des sciences sociales, PUF, Paris.

LAROUSSE MEDICAL, (1995) Larousse, Paris.

THINES G. (1975), Lempereur Agnès, Dictionnaire général des sciences

humaines, Editions Universitaires, Paris.

G. SOURCES INTERNET

CARRAZ B., L'alimentation des personnes âgées, [en ligne]

Http//www.alimentation-et-sante.com ; (consulté le 10.01.07)

CHESNAIS J.C ; WANG, S., Vieillissement démographique, retraites et

conditions de vie des personnes âgées en Chine

[en ligne] Http//www.jstor.org ;

(consulté le 27.01.07 )

GUILLAUME T., La gériatrie, La santé, Portail santé [en ligne]

http//www.lasante.be ; (consulté le 08.03.07)

INSEE, « Conditions de vie des personnes âgées dans le Rhône : de fortes disparités à l'échelle cantonale » in La lettre, n°3, Avril 2003, démographie. [En ligne] http://www.insee.fr ; (consulté le 17.01.07)

KOUADIO T., « Côte d'Ivoire : CNPS, 80% des retraités perçoivent leurs pensions par virement bancaire » in Fraternité Matin, 23 Avril 2007, Abidjan, [en ligne] http//www.fr.allafrica.com ; (consulté le 10.01.07 )

KONE S., Prévoyance sociale en Afrique, la retraite, un cauchemar [en ligne]

http//www.ouestafriqueeconomie.com ; (consulté le 7.03.07 )

MINISTERE DE LA JUSTICE, La violence à l'égard des personnes âgées, fiche d'information du ministère de la justice de Canada [en ligne] http//www.justice.gc.ca ; (consulté le 27.01.07 )

NORBERT Y., Les conditions de vie des personnes âgées : d'importants changements survenus depuis 1980 [en ligne] http//www.stat.gouv.qc.ca ; (consulté le 17.01.07)

PALACH, J.M., Une société pour tous les âges, Rapport du comité de pilotage de l'année internationale des personnes âgées, document pdf. [En ligne] ; (consulté le 20.03.07)

SOGLO, T.Y.S., Problèmes des personnes âgées, que faire ? [en ligne] http//www.cooperationtogo.net ; (consulté le 27.01.07)

WIKIPEDIA, l'encyclopédie libre, [en ligne] http//www,wikipédia.org ; (consulté le 08.03.07)

ANNEXES

* 1 Schwartz (1975), La vie quotidienne dans un village Guéré

* 2 Institut National de la Statistique (INS), Etat et structure de la population, Juin 2001

* 3 INS, situation socioéconomique des personnes âgées, mai 2001 : 51

* 4 ONU, Madrid, 12 avril 2002

* 5 OMS, 2002

* 6 Idem, OMS

* 7 INS, Mai 2001, Situation socio-économique des personnes âgées p65.

* 8 Théodore Kouadio, Fraternité Matin du 23 Avril 2007

* 9 Cité par Soungalo Koné, Ouest Afrique économie, n°16 de septembre 2007

* 10 INS, op. Cit. Mai 2001

* 11 L'Inter du vendredi 26 janvier 2008, n° 2910, p10.

* 12INS, RGPH-1998.

* 13 Cités par Olivier De Ladoucette (1999), Bien vieillir, Bayard, Paris.

* 14 Idem, p109.

* 15 In Bianchi et al., La question du vieillissement - perspectives psychanalytiques, 1989

* 16 Cité par R. Marescotti (juin 2003), in « Le respect de la personne âgée en institution » [en ligne], http:// www.cec-formation-net.

* 17 http//pre 20031103.stm.fi/français

* 18 Allô maltraitance des personnes âgées (ALMA), http://www.asso.alma.free.fr

* 19 Robert Hugonot, La vieillesse maltraitée, 2003

* 20 Congrès de l'Institut National Américain du vieillissement, consacré aux « conflits familiaux et violences contre les vieux », en mai 1991.

* 21Cité par R. Hugonot, op. cit.

* 22 Idem

* 23 Idem

* 24 Paul Paillat (1963), Sociologie de la vieillesse, paris : PUF.

* 25 ALMA France, op. Cit.

* 26 Idem

* 27 Idem

* 28 Hélène Thomas et al. Drees, Etudes et Résultats, n° 370, janvier 2005

* 29 OMS, 2004

* 30 Op.cit. p131

* 31 ALMA, op. cit.

* 32 Cité par J.P, Bois (1963), Histoire de la vieillesse, Paris : PUF.

* 33 Cité par J.P, Bois (1963), Idem.

* 34 Op.cit

* 35 Idem

* 36 Peuple lagunaire de la Côte d'Ivoire,  « ébrié » est l'appellation coloniale du nom réel, « Tchaman ».

* 37 INS, RGPH-98

* 38 Béatrice Carraz, « L'alimentation des personnes âgées »; [en ligne] http// www.alimentation-et-sante.com

* 39 N. Kouakou, intervention lors de la journée de la Société Nationale Ivoirienne de Gériatrie et de Gérontologie (S.N.I.G.G), 22 nov. 2007

* 40 Théodore Kacou, président de l'union nationale des retraités en Côte d'Ivoire (UNARCI), http// www. Ouestafriqueeconomie.com.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams