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Les conditions de vie des personnes agées en Cote d'Ivoire: Regard sur la maltraitance à  Adjame Village

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par Ahou Clémentine TANOH épse SAY
Cocody - DEA de sociologie 2007
  

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Chapitre II : LA VIE COMMUNAUTAIRE DES PERSONNES

AGEES D'ADJAME-VILLAGE

De par l'organisation sociale du peuple ébrié, il existe déjà des institutions telles que les générations, les classes d'âges et les grandes familles, au sein desquelles les personnes âgées sont parfaitement intégrées. A celles-ci, il faut ajouter la chefferie, les groupes d'amis et les églises auxquelles elles appartiennent.

Leurs conditions de vie, quelles soient bonnes ou précaires, s'expliquent à travers leurs interactions avec les membres de ces groupes. De ces interactions, différents types de rapports se développent.

Pour les besoins de l'analyse, nous allons, dans ce chapitre, mettre l'accent sur la vie des personnes âgées en dehors de leur famille, tant au niveau étatique qu'au niveau communal.

II.1 Personnes âgées d'Adjamé-village : les laissées pour compte

II.1.1 Au niveau étatique

Les personnes âgées du village ébrié d'Adjamé se disent être les « oubliés du pouvoir ». Elles s'expriment en ces termes : 

« Nous avons prié pour le Président Houphouët, demandant à Dieu de le soutenir, de le bénir pour qu'il devienne le président de la Côte d'Ivoire, en remplacement des colons. Ce qui a été fait. Nous avons pensé qu'avec lui, les choses allaient changer en notre faveur. Mais rien n'y fit. Nous sommes frustrés, très mécontents des dirigeants qui se sont succédés à la tête de la Côte d'Ivoire, tous ayant oublié notre cause. L'Etat ne donne rien aux vieillards, rien, rien, rien... ».

A cet effet, ces aînés sociaux sont tous unanimes sur le fait que c'est pendant le jeune âge qu'il faut travailler « dur » pour préparer la vieillesse. Sinon,

« la pauvreté s'attache à vous jusqu'à la mort. »

Ceci soulève la problématique de couverture de la sécurité sociale. En effet, les personnes âgées, en Côte d'Ivoire, semblent être oubliées et exclues des projets sociaux. Malgré les mutations sociales connues de l'indépendance jusqu'à nos jours, il n'existe pas pour l'heure, de structures de prise en charge des personnes âgées, tant au niveau social qu'au niveau sanitaire.

Ainsi, en cas de survenue d'une maladie quelconque, les personnes âgées d'Adjamé-village doivent non seulement faire face à leurs frais médicaux, mais aussi fréquenter les mêmes hôpitaux que les personnes moins âgées, plus valides qu'elles. Elles font les mêmes rangs sur les bancs des hôpitaux et sont reçues dans les mêmes conditions que celles-ci. Et pourtant, leur état physique, dégradé par l'âge et par les maladies liées à la vieillesse, exige qu'une attention plus particulière leur soit accordée, dans les différentes structures, par le personnel médical et social.

II.1.2 Au niveau de la mairie d'Adjamé

Tout comme au niveau de l'Etat, au sein de la mairie d'Adjamé, il n'existe pas de programme prenant en compte les personnes âgées et leurs besoins. Nos entretiens, avec les responsables des activités socioculturelles de ladite mairie, confirment cette situation. Les personnes âgées abondent dans le même sens quand elles affirment les faits suivants :

« Au niveau de la mairie, le maire qui est là ne s'occupe pas de nous. Ce qui l'intéresse, ce sont les magasins qu'il fait encaisser par ses agents. Il n'est jamais venu en aide aux villageois. Nous avons fait une délégation pour aller le voir un premier jour de l'an. Au moins un mouton ou quelque chose ; mais rien, rien du tout, il ne nous a rien donné. Et c'est comme cela chaque année. »

De ce qui précède, nous pouvons dire que l'urbanisation de la ville d'Abidjan en général, et de la commune d'Adjamé en particulier, a porté préjudice au peuple autochtone tchaman. Cette urbanisation l'a privé de certains biens patrimoniaux tels que la lagune (pour la pêche), la terre (pour les plantations et les cultures vivrières), les plantes médicinales (pour les soins), et l'espace vert (pour les jeux, les loisirs et les activités culturelles).

Il faut cependant noter que l'Etat de Côte d'Ivoire n'est pas resté indifférent à la situation des villageois d'Adjamé. Plusieurs actions de dédommagement ont été faites. C'est à ce juste titre que le quartier ébrié d'Adjamé a vu le jour dans les années 1963. Quelques temps après, des sites dont II Plateaux Agban (Adjamé-village extension) et Paillet, ont été attribués à ces villageois.

II.2 Place et rôle des personnes âgées à Adjamé-village

Le statut social est la place qu'une personne occupe dans la structure sociale. La société tchaman étant fondée sur les groupes de générations, la place des aînés sociaux est de ce fait, culturellement définie : c'est le prestige social que les générations inférieures leur accordent, objectivement, au sein de la communauté villageoise.

Si le statut met l'accent sur la situation légale et sociale, le rôle quant à lui, met l'accent sur des tâches à assumer et des comportements attendus. Le rôle des personnes âgées consiste donc dans l'ensemble des comportements qui sont légitimement attendus d'elles. Leur rôle dans la société traditionnelle est avant tout lié à leur statut de vieillard comme le relève l'un de nos informateurs :

 « une personne âgée est quelqu'un qui a vécu. Il y a des choses qu'elle a vues et que vous n'avez pas vues »

Les personnes âgées sont ainsi considérées comme des personnes d'expérience, « qui ont vécu, qui ont vu ». Elles deviennent donc une référence.

Leur place et leur rôle sont alors liés à la représentation que l'on se fait d'elles.

A Adjamé-village comme dans tous les villages ébrié, les personnes âgées jouent plusieurs rôles, à différents niveaux :

Au niveau socioculturel, par exemple, elles jouent un rôle capital dans l'initiation des jeunes tchaman. En effet, l'initiation est nécessaire pour tout ébrié qui veut être associé aux prises de décisions dans le village. Dans le cas contraire, il est considéré comme un enfant, quel que soit son âge. Cette initiation qui intervenait autour de 16 ans, se déroule de nos jours entre 20 et 25 ans, à cause de la scolarisation et des activités professionnelles que certains exercent en dehors d'Abidjan.

Antérieurement à la cérémonie initiatique, le grand âge contribue au choix des chefs guerriers ou Taprognan. Ce choix intervient après une observation discrète qui tient compte, essentiellement, de critères physiques des futurs guerriers. Ces critères sont : être grand, fort, beau et de tempérament calme, savoir danser et avoir des gestes nobles.

Après ce choix, les chefs guerriers sont accompagnés sur le lieu d'initiation (autrefois forêt sacrée, aujourd'hui, cour du roi Nangui Abrogoua), par les aînés sociaux qui sont eux-mêmes, des chefs guerriers. Cette formation spirituelle et culturelle est l'occasion pour les personnes âgées, d'apprendre aux initiés " la danse des génies ", à travers le tambour parleur ; apprentissage qui a pour but de déjouer les pièges éventuels qui pourraient leur être tendus, pendant la danse guerrière. Quant aux autres membres de la génération, les aînés sociaux leur donnent des conseils d'usage, leur apprennent le respect et l'obéissance des anciens, les chants et la gestion du foyer (pour les filles).

Pendant les fêtes de génération, les initiés sortent par classe d'âge (chaque génération comporte quatre classes d'âge). Ce sont, d'abord, les Djehou (aînés) qui sortent. Ensuite, viennent les Dongba (puînés) ; puis, les Agban (cadets) et enfin, les Assoukrou (benjamin). 

Pendant ces cérémonies, les différents chefs guerriers sont testés par les aînés sociaux. L'exercice consiste à voir si les jeunes générations sont mûres pour prendre la destinée du village en main. Selon un de nos informateurs,

« un vieux peut s'asseoir là pendant que les danseurs arrivent, et il tend un piège. Ce piège peut être un grand feu, ou un trou. Le piège est tendu au chef guerrier. Toute la catégorie met sa puissance en oeuvre pour protéger leur chef guerrier. Si le chef tombe dans ce piège, c'est que vous n'êtes pas prêts pour prendre la destinée du village en main. Pour assurer cette protection, nous avons recours à certains vieux »

Au niveau politique, cinquante notables siègent régulièrement aux côtés du chef du village. Chaque classe d'âge de la génération au pouvoir, désigne un certain nombre de notables qui doivent siéger constamment dans le conseil.

Plusieurs commissions composent la chefferie :

La commission foncière et de l'habitat est chargée de régler les conflits fonciers. Elle est chargée aussi de répertorier, de récupérer et de gérer tous les terrains appartenant au village.

La commission jeunesse, éducation et culture est chargée de l'encadrement des jeunes tchaman et de la valorisation de la culture ébrié.

La commission affaires sociales est chargée de la gestion des affaires courantes du village (cérémonies funéraires, cotisations, indemnités...)

La commission litiges est chargée de régler les problèmes successoraux et patrimoniaux.

La commission des sages est composée d'hommes les plus âgés du village.

Ici les personnes âgées interviennent surtout dans la commission litiges et dans celle des sages. En effet, elles sont consultées pour le règlement des différents litiges tant au niveau du foncier rural, qu'au niveau des familles. Elles donnent leurs avis ou leurs témoignages sur un problème donné. Elles sont également sollicitées pour des conseils d'usage, par la chefferie. Il faut toutefois noter que la décision finale, dans le règlement des litiges, revient à la génération au pouvoir.

Au regard de ce qui précède, il ressort que les personnes âgées occupent une place de choix et jouent un rôle primordial dans l'organisation socioculturelle et politique d'Adjamé-village. Elles participent ainsi, et dans bien d'autres domaines, à la vie de la communauté villageoise. Elles sont utiles à la chefferie et aux différentes générations. De la sorte, elles sont, dans une bonne mesure, intégrées à la société tchaman.

Toutefois, dans leur vécu quotidien, face aux vicissitudes de la vie, elles ne bénéficient d'aucune assistance, au niveau de la communauté villageoise. En effet, il n'existe pas de structure villageoise de prise en charge des personnes âgées encore moins d'association pouvant les regrouper. Seules les cotisations prévues par le règlement intérieur du village, en cas de décès d'un membre de la famille, leur permettent de bénéficier de l'assistance villageoise, au même titre que les autres. Les différentes chefferies qui se sont succédées à la tête du village n'y avaient jamais pensé.

L'explication plausible à cette situation, est le rôle déterminant que jouent les grandes familles maternelles dans la société ébrié. En effet, il leur appartient de développer les stratégies et les moyens pour la prise en charge de leurs membres en général et de leurs personnes âgées en particulier. Chaque famille est ainsi la seule responsable de la survie ou de la mort de sa personne âgée. En somme, le sort des aînés sociaux est entre les mains des grandes familles. C'est dans cette logique sociale que rien de particulier ne se fait, au niveau du village, en faveur des personnes âgées éplorées ou en difficulté. Chacune d'elles se bat tant bien que mal, pour survivre. L'expression de cet aîné traduit mieux leurs situations :

 « vous crevez si votre famille n'a rien. De surcroît, nos enfants ne nous aident pas.  Ces " enfants de biberon " n'entendent pas aider leurs parents. »

C'est certainement pour mieux supporter cette situation que certaines d'entre elles se retrouvent fréquemment autour d'un jeu d'awalé, pour échanger.

II.3 Personnes âgées et jeunes générations

Dans le village, les personnes âgées sont aussi bien en relation avec les personnes de la même génération qu'elles, qu'avec celles des générations plus jeunes. Bien qu'ils ne soient pas regroupés au sein d'une association, les aînés sociaux du village se retrouvent entre eux (groupes d'amis), se fréquentent (par affinité), en vue d'échanger sur divers sujets, les concernant.

Les problèmes relationnels surviennent surtout avec les jeunes générations. C'est sous cet angle que nous entendons analyser les rapports communautaires (relations hors familles) des personnes âgées.

A ce niveau nous pouvons en relever quatre types.

II.3.1 Les relations amicales

A Adjamé-village, nous avons découvert un groupe de personnes âgées qui entretiennent des relations amicales avec des jeunes. Ce témoignage d'un jeune en est une illustration :

« Nous avons des amis qui jouent très bien avec les personnes âgées. Ils se taquinent. Ils jouent à l'awalé. Si les vieux jouent qu'ils ne les voient pas, ils envoient quelqu'un les chercher. Quand ils font une journée sans les voir, ils envoient quelqu'un aller les chercher. Quand ces jeunes sont là, ils ne se sentent pas isolés. Ces vieux là se sentent plus à l'aise avec eux. On les qualifie maintenant "amis des vieux ".

Parmi ces jeunes, il y a un qui est leur préféré. C'est lui qui effectue leurs courses. Ce dernier est qualifié de "savant" en ce sens qu'il est auprès d'eux continuellement, et donc qu'il apprend à leur côté. D'autres par contre vont à leurs occupations et leurs relations avec les personnes âgées se limitent aux salutations d'usage. Ils n'ont pas l'habitude de faire des cadeaux aux vieux. »

Leur lieu de rencontre se situe en bordure de la route sous un hangar, près d'une femme qui vend de la banane frite (alloco).

Il s'agit d'un groupe de 5 personnes âgées, de genre masculin. Le doyen d'âge de ce groupe d'amis a 85 ans. Le benjamin en a 75. 

Quant aux jeunes, au nombre de 4, ils sont âgés de moins de 40 ans.

4 membres d'un groupe d'amis de personnes âgées d'Adjamé-village

II.3.2 Les relations à plaisanterie

Certains types de parents, selon Laburthe-Tolra et Warnier (1993 : 95) ne doivent pas se rencontrer sans se taquiner librement. C'est l'expression d'un sentiment de fraternité dont personne ne se sent offenser.

De là, la parenté à plaisanterie est l'un des socles de la relation des personnes âgées avec les personnes du premier et du second âge. A cet effet, voici ce que dit un de nos informateurs :

« Je suis de la famille du vieux K. Je l'appelle mon fils. Pendant une réunion je peux l'envoyer chercher quelque chose pour moi. Et il va. C'est la coutume ».

En conséquence, le tchaman appartient à sa famille maternelle de par sa filiation matrilinéaire. Toutefois, les membres de sa famille paternelle ont des droits légaux sur lui, et quel que soit son âge, un ressortissant de cette famille peut lui donner des ordres.

II.3.3 Les relations de respect

La société tchaman repose, comme la plupart des sociétés lagunaires ivoiriennes, sur le système des classes d'âge, structure sociale, politique et militaire à la fois. La génération réunit tous les habitants nés dans une période de quinze ans. Chaque génération, comme nous l'avions mentionné en d'autres lieux, comporte quatre classes d'âge que sont les Djehou (aînés), les Dongba

(puînés), les Agban ( cadets) et les Assoukrou ( benjamin).

La norme culturelle voudrait que chaque aîné social soit respecté et honoré par les moins âgés que lui. Ce respect fait partie de l'éducation du jeune tchaman. Pendant les réunions de génération par exemple, aucune réunion ne peut commencer en l'absence des Djehou (aînés).

« Quand ils ne sont pas encore venus, c'est que tout le monde n'est pas présent. Mais quand ils sont là que les autres sont absents, la réunion peut commencer ».

Aussi pendant leur rencontre, la disposition spatiale des tchaman impose-t-elle le respect. Pour une génération donnée, l'on s'assoit suivant les classes d'âge, de manière progressive et ascendante.

Les personnes âgées, suivant ce principe, reçoivent respect et considération au sein de la communauté villageoise. A l'approche du doyen d'âge du village par exemple, les jeunes se lèvent pour le saluer. Ce respect et cette considération que les personnes des premier et deuxième âges ont à l'égard du vieil âge, s'expriment également dans leur manière de les appeler ou de les désigner : grand-père (Adjissè), grand-mère (Baba) ou ancêtre (Nanan).

Tout ceci s'exprime à travers cette position de Kouakou N'guessan39(*) François : 

Le troisième âge est l'objet de nombreuses considérations de principes dans les sociétés de traditions culturelles africaines. A l'âge avancée (60 ans et au-delà) sont rattachées des valeurs de respect, de courtoisie et de références positives dans l'ordre de la connaissance de la morale et de l'exercice des pouvoirs (politique, économique, social, culturel et religieux).

Nanan Gbanda Nathanaël (88 ans environ) : de la génération blessoué, doyen d'âge d'Adjamé-village.

II.3.4 Rapports conflictuels

Les interactions entre les personnes âgées et les autres membres de la communauté villageoise, notamment les jeunes, ne sont pas toujours emprunts d'amitié, de plaisanterie et de respect. Nous avons également des rapports conflictuels. Ce sont des cas d'insultes, de paroles malveillantes et mêmes de violences physiques.

Pour certains jeunes du village d'Adjamé, le mauvais traitement infligé aux personnes âgées dépend de l'éducation reçue. Plusieurs se sont défendus de n'avoir jamais eu à poser de tels actes envers leurs parents âgés. Pour ceux-ci, leur culture religieuse ne les autorise pas à maltraiter une personne âgée.

Toutefois, nos informateurs reconnaissent qu'il existe des cas de violences à l'égard de certaines personnes âgées dans le village. Des cas d'insultes ?

« Oui, dans la vie courante, aujourd'hui, ce sont des choses qui ne manquent pas. »

répond un d'entre eux.

A cet effet, une femme âgée de 80 ans nous a confié qu'un jeune lui a déjà dit :

« fou le camp ».

« Cela ne m'a rien dit. Je sais que c'est leur âge. Ils n'ont pas encore l'âge de comprendre les choses »,

a-t-elle poursuivi.

Ces actes qu'on peut qualifier de maltraitance psychologique de la personne âgée s'observent, parce que selon un enquêté :

« les jeunes d'aujourd'hui prennent de la drogue, consomment de la boisson forte. Quand ils sont dans de tels états, ils ne respectent plus les vieilles personnes »

Dans le passé, selon l'une des personnes âgées interrogées,

« les vieux étaient beaucoup respectés. Maintenant, les jeunes leur parlent comme ils le veulent, du genre "quitte devant moi" ; "vieille sorcière, tu attends quoi pour mourir" ou encore, "tu es vieux, il faut mourir maintenant on va avoir la paix" ; "tous les gens de ta génération sont morts, toi tu fais quoi ? Tu nous fatigues là ! " »

Tout cela exprime la fragilisation du système social traditionnel tchaman, d'Adjamé-village. Cette fragilisation se comprend à travers le changement social intervenu avec l'urbanisation de la ville d'Abidjan et partant, du contact avec les autres cultures, africaines et surtout occidentales. C'est de cela qu'il est question avec Amon d'Aby (1958, p8) quand il soutient qu'au contact de la civilisation occidentale, nos sociétés tribales ou claniques se sont profondément bouleversées. Selon lui, depuis ce contact, nos institutions coutumières n'ont cessé de subir les assauts de la civilisation dynamique.

A Adjamé-village, même si les institutions comme la génération et les classes d'âge survivent et continuent de jouer leur rôle d'enculturation, cela n'empêche pas d'énormes déviances comportementales à l'égard des aînés sociaux. En effet, ces institutions ne sont plus les seules concernées par la socialisation des jeunes générations. Les écoles occidentales, les mass médias, la rue, le brassage culturel, sont aussi des concurrents. C'est le lieu de mentionner que le site géographique d'Adjamé-village constitue un facteur explicatif des comportements déviants des jeunes du village. Selon une personne âgée,

« les rues environnantes du village sont jalonnées de maquis et de bars. Dès 18 heures, nos enfants, du retour de l'école ou du travail, investissent ces lieux profanes. Ils y mangent, fument, boivent des boissons alcoolisées, ils entrent ivres à des heures tardives sans se préoccuper de nous, leurs parents âgés. »

Aussi, la société actuelle devenue dans une large mesure capitaliste de consommation, explique-t-elle ce changement. De nos jours, le jeune tchaman ne dépend plus absolument de son chef de famille du point de vue économique. En effet, grâce au capital culturel (notamment les diplômes) acquis par le moyen de l'école, les jeunes ont la possibilité d'exercer un emploi rémunérateur. Le salaire ou le revenu mensuel perçu, les rend facilement autonome vis-à-vis de leur famille dont ils devraient en réalité dépendre, selon l'organisation et le fonctionnement de la société ébrié. Cette autonomie financière des jeunes tchaman implique une certaine indépendance vis-à-vis des parents âgés qui sont pour la plupart des chefs de familles. Ils n'ont pas de ce fait de comptes à rendre à un  " vieux " :

« C'est ceux qui n'ont rien à faire qui sont attachés à ces vieux »

comme le disait l'un d'eux.

II.3.5 De l'évitement à la marginalisation

Dans la société moderne, les rapports conflictuels entre les personnes âgées et les jeunes générations se manifestent également par l'évitement qui aboutit à une marginalisation plus ou moins accentuée de la personne âgée, en cause.

Dès lors, ces dernières se sentent rejetées par la société, surtout lorsqu'elles pensent être incomprises. En effet, les conflits naissent des divergences de points de vue; divergences sur la manière de parler, de s'habiller et de se comporter. Alors que les jeunes qualifient leurs grands parents de " dépassés ", de " traditionnels ", en rapport à leur manière d'être, de voir et de faire, ceux-ci trouvent à leur tour, les jeunes acculturés.

Dans la société traditionnelle, ces réalités étaient quasi-inexistantes. Voici un récit qui révèle le processus de la marginalisation de ces aînés sociaux.

« Il y a des vieux qui trouvent les jeunes de maintenant arrogants. Les vieux jugent les jeunes à travers les éléments tels que : la parole, le langage, l'habillement en se référant à leur époque, à leur temps.

Pour qu'ils approuvent un jeune, il faut que celui-ci se mette en pagne ; il faut qu'il s'habille comme eux. Quand ils voient les jeunes porter un Jeans coupé, ils les jugent automatiquement. Ils commencent à les agresser verbalement. En retour, les jeunes s'énervent et ils sont obligés de contourner ces vieux pour ne pas avoir affaire à eux.

Les vieux qui acceptent les jeunes avec leur mode, leurs comportements, ce sont eux que les jeunes vont fréquenter. Les vieux qui font tout le temps des reproches aux jeunes sont évités par ces derniers. »

Nous observons à travers ce texte deux conceptions différentes du monde : celle des personnes âgées et celle des jeunes. Pour les personnes âgées, la conception traditionnelle du monde (culture ébrié), avec ses manières de se vêtir et de parler est bien meilleure. Les jeunes sont alors jugés en fonction du savoir, du savoir être et du savoir faire, qu'ils ignorent, parfois.

Pour les jeunes générations,

« le monde a évolué, les choses ont changé. Nous ne sommes plus dans les années 1950. »

Ce qui prévaut pour eux, c'est la manière occidentaliste de faire. Il faut être donc à la mode pour être en phase avec son époque. Plusieurs personnes âgées ne semblent pas entendre la chose de cette façon. Et c'est cette opposition de conceptions qui crée le conflit. Les jeunes pour éviter d'être continuellement mal vus et mal jugés, préfèrent passer outre ces personnes âgées aux conceptions toujours traditionnelles. Ces dernières sont désormais évitées. Et le prix à payer, c'est la solitude, l'isolement et partant, la marginalisation.

La marginalisation de certaines d'entre elles, est également la résultante d'accusations de sorcellerie, d'où la méfiance à leur égard, tant par les membres de leurs familles que par les autres villageois.

* 39 N. Kouakou, intervention lors de la journée de la Société Nationale Ivoirienne de Gériatrie et de Gérontologie (S.N.I.G.G), 22 nov. 2007

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote