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Fiscalité et Domination Coloniale: l'exemple du Sine: 1859-1940

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par Cheikh DIOUF
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

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INTRODUCTION GENERALE

Après la conquête, l'autorité coloniale élabora un vaste programme d'exploitation et de mise en valeur des colonies. Ce programme suivait, cependant une logique particulière qui plaça en première ligne les intérêts économiques, politiques et sociaux de l'envahisseur. L'idéal, pour ce dernier, était d'exploiter, avec le minimum de charges financières, toutes les ressources des colonies qui étaient faites pour l'enrichir et non pour l'appauvrir. L'assujettissement maintient les colonies dans la subordination étroite à la métropole qui les exploite à son profit, et, sans tenir compte de leurs aspirations leur impose le régime le plus conforme à ses intérêts. C'est pourquoi elles ne devaient rien coûter à la métropole.

Au nom de ce principe, le pouvoir colonial institua l'impôt de capitation qui est une forme de contribution obligatoire que les peuples colonisés devaient verser au colonisateur, pour assurer le financement de leur domination. Etabli au Sénégal pour la première fois par décret impérial du 4 août 1860 promulgué le 5 août 1861 l'impôt personnel constitua un précieux outil devant permettre la réalisation de l'ambitieux programme de mise en valeur que la France avait entrepris dans son empire colonial. Son établissement rejoignit l'axiome fondamental de la doctrine coloniale française en matière financière : dominer, exploiter, mais à moindre coût.

Cette conception des rapports économiques de la France avec son empire coloniale fut dévoilée au grand jour, à partir de 1892 avec la mise en place des budgets locaux des colonies qui furent alimentés par le produit des redevances, impôts ou contributions que les conventions passées avec les chefs permettaient de percevoir. Par ces mesures, les colonies doivent assurer tous les moyens financiers, matériels et humains pour la mise en place de l'infrastructure coloniale.

Cette vision des finances coloniales atteint son paroxysme avec la loi de finances du 13 avril 1900, au terme de laquelle les colonies devaient désormais assurer par leurs propres moyens et leurs revenus intrinsèques, le financement total de leur outillage économique et infrastructurel, que l'exploitation de leurs ressources et leur mise en valeur allaient inéluctablement entraîner. Cette loi, intéressante pour notre étude, surtout en son article 33, consacra le principe de l'autonomie financière des colonies. Chaque région devait ainsi mobiliser ses ressources pour participer aux objectifs du colonisateur. Ce dernier supprima les subventions jusque là accordées aux colonies dans leur budget. Dans cette logique, la colonie apparaît comme une entité devant répondre, au mieux et en tout temps, à sa vocation de support financier de la métropole quel qu'en soit le coût social pour les indigènes.1(*)

L'impôt, qu'il soit sous forme de capitation ou de prestation, constituait un précieux instrument d'exploitation et de domination au service de la cause coloniale.

Ainsi, en choisissant comme sujet « Fiscalité et domination coloniale. L'exemple du Sine : 1859-1940 », nous avons pour ambition d'apporter une modeste contribution à l'étude du passé de cette région. La fiscalité est l'une des pages les plus sombres de l'histoire coloniale. Conçu par le colonisateur comme la contribution des populations soumises à l'oeuvre de civilisation entreprise par la puissance tutrice, elle constituait un mode très subtil d'exploitation et de domination. Toutefois, il ne s'agira pas de faire un procès de la colonisation. Il s'agira plutôt, dans cette étude, de rendre cette logique d'exploitation beaucoup plus perceptible, dans toute son ampleur aux yeux des historiens, en utilisant des données chiffrées pour mieux quantifier ce phénomène.

Le Sine a fait l'objet de nombreux travaux historiques. Cependant, cette historiographie était beaucoup plus centrée sur la problématique du peuplement, les faits politiques saillants (luttes dynastiques, révoltes, guerres, etc.). Le fait économique a été presque marginalisé. Les travaux qui existent sur cette question sont consacrés, dans leur quasi-totalité, à la culture de l'arachide.

Martin A. Klein2(*) a étudié, par exemple les rapports entre islam et conquête coloniale au Sine-Saloum, mais en l'intégrant dans un contexte d'économie arachidière.

Mohamet Mbodj3(*) a étudié l'économie arachidière du Sine-Saloum pendant la période coloniale. Cet historien, même s'il a abordé les mutations sociales consécutives à la monétarisation de l'économie semble minimiser l'impact de l'impôt dans ce processus de transformations des structures socio-économiques.

La fiscalité est ainsi traitée en parent pauvre dans l'historiographie du Sine, alors que son étude permet d'éclairer beaucoup de réalités coloniales car, l'économique exerce sans conteste un impact considérable sur le politique et le social.

Cette forme de contribution à l'oeuvre coloniale entraîne avec elle le développement de l'économie monétaire qui, elle, suscite des mutations majeures au sein de la société. Les structures sociales traditionnelles vont entrer en décomposition, altérées par l'introduction de l'argent qui tendra à se substituer aux valeurs traditionnelles.

Ce sont ces changements structurels occasionnés dans une large mesure par l'impôt que nous nous sommes proposés d'étudier en se posant un certain nombre de questions : comment par la monétarisation de l'économie née du système fiscal, le colonisateur a contribué à lézarder le cadre social par les mutations structurelles qu'il a engendré ? La réponse à cette question principale passe par des questions annexes : comment par l'impôt le colonisateur a pu convertir l'agriculture de subsistance en une agriculture de rente ? Et quelles furent les réactions des populations face à ce système ?

Pour aborder ces questions historiques, nous nous sommes intéressés au Sine, petit royaume homogène (dans son peuplement) et stable (politiquement par rapport aux royaumes voisins) au coeur du bassin arachidier. Le choix de cette aire géographique est motivé par son poids dans l'économie coloniale sénégalaise. L'arachide étant la principale ressource économique pouvant fournir aux contribuables le numéraire nécessaire au paiement de l'impôt, la politique coloniale en fera la clé de voûte du système par la manipulation du taux de l'impôt et des prestations.

Pourquoi le choix de la période 1859-1940 ?

L'année1859 constitue un tournant dans l'histoire du Sine. Elle coïncide avec la mise en application du rêve de Faidherbe qui, dans son vaste programme d'occupation entrepris de conquérir le Sine. Ainsi, après la sanglante expédition de mai 1859, Bour Sine Coumba Ndofféne Fa Maack Diouf signa, avec le gouverneur Faidherbe un traité par lequel il accepta de verser annuellement à l'occupant français un impôt de 1 franc 50 par tête d'habitant. Ce fut le début d'un dur et fatal engrenage pour le Sine.

1940 est un autre tournant. La France occupée par les forces nazies vit sa force s'éclipser, sa situation économique s'empirer et sa vulnérabilité s'accroître. Cette situation fait apparaître le rôle plus que stratégique des colonies dans l'apport financier qu'elles devaient fournir à la métropole. Celle-ci leur demanda une contribution exceptionnelle de guerre, ce qui se traduit par une augmentation du taux de l'impôt.

Cette période est donc riche en faits historiques. Parmi les événements qui vont influer sur notre étude, remarquons, entre autres, l'établissement de la capitation en 1860, l'instauration des budgets locaux à partir de 1891, la loi de finance du 13 avril 1900, la création des Sociétés Indigènes de Prévoyance, la réglementation sur le travail forcé en 1912 et la politique budgétaire du Sénégal unifié.

Cette recherche a été menée en grande partie aux Archives Nationales du Sénégal où nous avons consulté un certain nombre de séries.

Les séries S et T portant sur l'impôt et les finances, renseignent sur le régime fiscal des colonies d'A.O.F., les instructions sur des questions d'ordre général et de principe en matière de finances publiques, de prestations et sur le fonctionnement des budgets locaux.

La série G traitant des affaires de politique et d'administration générale nous a intéressée à travers les sous-séries 1G, 2G et 13G. Ces sous-séries, par les notices d'administrateurs confinées dans les rapports périodiques mensuels, trimestriels et annuels, permettent de suivre l'évolution du taux de l'impôt, le prix de l'arachide, la situation politique, économique et sociale des cercles. La sous-série 13G livre une correspondance abondante sur les rapports entre colons et colonisés, entre chefs locaux et leurs administrés. Elle permet de mieux saisir le degré de soumission des populations à l'action coloniale.

Les sous-séries 3B et 1D informent sur les accords et traités signés entre le Sine et le colonisateur. S'y ajoutent des récits sur les expéditions militaires de 1859 et 1861.

Les sous-séries 10D et 11D sont axées sur l'administration centrale et territoriale de la colonie du Sénégal. Elles informent sur les recensements, l'arachide et la révolte de quelques cantons du Sine contre le paiement de l'impôt en 1899.

Pour comprendre ce que fut le travail forcé et l'utilisation de la main-d'oeuvre prestataire indigène, la série K demeure incontournable.

Quant aux Sociétés Indigènes de Prévoyance, la série Q livre des informations sur leur institution, leur fonctionnement, leur rôle dans l'extension des cultures commerciales, l'arachide en particulier.

Les sources imprimées sont constituées par un ensemble d'actes officiels et de monographies publiés dans le Journal Officiel, l'Annuaire du Sénégal et Dépendances, le Moniteur du Sénégal et dans d'autres publications du Gouvernement Général de l'A.O.F.

Soucieuse de mieux connaître les peuples colonisés, la France se rapproche davantage de ceux-ci pour étudier leurs coutumes, leurs systèmes politiques, économiques et leur organisation sociale. Ainsi, beaucoup d'administrateurs ont produit des monographies sur leur cercle. C'est l'exemple de Pinet-Laprade qui, dés 1863, fournit une notice sur les Sérères.4(*) Dans son étude, il donne différentes hypothèses sur l'origine des Sérères, leur longue migration à travers les chemins cahoteux de l'histoire, leurs rapports avec les peuples voisins et quelques aspects de leur culture. Cette étude fortement motivée par des ambitions colonialistes, se focalise le plus sur les actions des puissances colonisatrices sur ce peuple. L'auteur décrit et tente ainsi de justifier les expéditions entreprises en 1859 et 1861 sur le Sine et le Saloum.

L'administrateur Ernst Noirot fournit une monographie sur le cercle du Sine-Saloum. Il donne une description géographique de son cercle, sa situation économique, l'organisation politique, administrative et la composition sociale de cette entité.5(*)

Louis Aujas, à travers ses notices, donne une description des coutumes, moeurs et sur les structures sociales, politiques et économiques du pays sérère. Il aborde aussi l'oeuvre politique et économique de la France sur le Sine-Saloum.6(*)

Bourgeau lui, aborde principalement l'organisation sociale des Sérères, leurs institutions politiques et leurs structures économiques.7(*)

Edifiantes dans leur ensemble, ces études sont à prendre, pour l'historien avec un sens critique. Beaucoup de ces monographies voulaient prouver la «  barbarie » longtemps évoquée des indigènes dans le but de fournir une justification idéologique de la colonisation qui, semble-t-il était d'ordre civilisateur.

Ces sources, archivistiques ou imprimées, sont l'oeuvre du colonisateur. Elles expriment le point de vue de ces administrateurs qui, pour attirer les faveurs de leurs supérieurs hiérarchiques et pour conserver leur poste ont, le plus souvent altérer la vérité. C'est pourquoi beaucoup de chiffres fournis dans leurs rapports ne sont là qu'à titre illustratif.

Ainsi pour diminuer la marge de subjectivité, la tradition orale est à ce point de vue incontournable. C'est le point de vue du faible, de l'opprimé. Cette tradition orale surgie du fond des âges demeure toujours vivace dans certains villages du Sine, encore fortement marqués par la civilisation de l'oralité. Elle nous retrace le climat dans le quel l'impôt était perçu, la peur inspirée par les percepteurs et la conception que les indigènes avaient de la capitation, avec une précision surprenante. Cependant, certaines personnes interrogées dont le souvenir se confond dans une mémoire confuse, rendent parfois douteux l'utilisation de cette source pourtant fondamentale dans l'étude de la saga de ce peuple.

Notre bibliographie, elle, est surtout redevable aux travaux de Mbaye Guéye, Mohamed Mbodj, Abdoulaye Touré entre autres. Les deux premiers ont étudié les mutations sociales des sociétés Sérères et Wolofs, consécutives à l'action coloniale. Si Mbaye Gueye8(*) reconnaît le rôle incontestable joué par l'introduction de l'impôt dans ces transformations, Mbodj9(*) par contre minimise ce rôle.

Touré10(*) consacre son travail à la fiscalité comme mode d'exploitation et de domination coloniale. Son étude est sans doute édifiante et d'un grand apport pour nous, mais ses conclusions, très générales car portant sur l'ensemble du Sénégal, n'ont pas permis de dégager la particularité du Sine dans ce système. Il n'a pas abordé l'impact de l'impôt sur les structures sociales.

Des ouvrages généraux existent sur l'impôt, le travail forcé11(*), l'idéologie coloniale de la mise en valeur, la législation coloniale, etc. Une part importante de cette production est cependant redevable aux théoriciens de la colonisation. Un esprit fortement colonialiste plane sur ces documents car, la plupart de leurs auteurs, appartenant aux milieux coloniaux, écrivaient pour mieux asseoir les fondements de leur domination.

Ce travail s'articulera autour de trois parties.

La première partie analyse les rapports entre l'homme et son environnement naturel. Il est aussi question des institutions politiques et de l'organisation sociale du Sine ainsi que du rôle de cohésion joué la religion dans l'armature sociale. Le chapitre II de cette partie traite de la conquête du Sine et de la mise en place de l'administration coloniale.

La deuxième partie porte sur le système fiscal, sa justification idéologique et les mécanismes de fonctionnement de la capitation. L'arachide étant la principale culture de rente pouvant fournir aux contribuables le numéraire indispensable pour s'acquitter du fisc, nous analysons sa place dans la politique coloniale en matière fiscale. Cette partie traite aussi des méthodes mises en oeuvre pour la perception de l'impôt.

Enfin, la dernière partie aborde le travail forcé et toute la machine répressive qu étaient mise en branle pour contraindre les populations à s'en acquitter. Les spoliations commises sur les contribuables sont décrites dans cette partie. L'impôt eut des effets traumatisants sur les populations. C'est pourquoi cette partie traite aussi des mutations sociales engendrées par la monétarisation de l'économie.

* 1Touré A., « L'impôt de capitation dans le Sénégal unifié : une constante dans son rôle d'instrument de domination coloniale (1921-1936) », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, n° 26, Dakar, 1996, p. 72.

* 2 Klein M A., Islam and imperialism in Sénégal. Sine-Saloum, 1847-1914, Stanford University Press, 1968, 285 p.

* 3 Mbodj M., Un exemple d'économie coloniale. Le Sine-Saloum (Sénégal) de 1887 à 1940 : cultures arachidières et mutations sociales, Thèse de doctorat troisième cycle d'histoire, Paris VII, 1977-1978, 691 p.

* 4 A.N.S. 1G33 : Notice sur les Sérères, 1863. par Pinet-Laprade.

* 5 Noirot E., Notice sur le Sine-Saloum, in Journal Officiel du Sénégal, 1892.

* 6 Aujas L., « La région du Sine-Saloum. Le port de Kaolack », in B.C.E.H.S.A.O.F., tome XII, 1929, pp. 92-132.

« Les Sérères du Sénégal (moeurs et coutumes de droit privé) », in B.C.E.H.S.A.O.F., 1932, pp. 1-41.

* 7 Bourgeau J., « Notes sur la coutume des Sérères du Sine et du Saloum », in B.C.E.H.S.A.O.F., tome XVI, 1933, pp. 1-62.

La liste est loin d'être exhaustive, nous nous sommes limités au plus intéressantes pour notre étude.

* 8 Gueye Mb., Les transformations des sociétés Wolofs et Sereer de l'ère de la conquête à la mise en place de l'administration coloniale : 1854-1920, Thèse de doctorat d'Etat d'histoire, Dakar, 1989-1990, 1003 p.

* 9 Mbodj M., op. cit.

* 10 Touré A., Un aspect de l'exploitation coloniale en Afrique : fiscalité indigène et dépenses d'intérêt social dans le budget du Sénégal 1905-1946, Thèse de troisième cycle d'histoire, Dakar, 1991, 427 p.

* 11 La thèse de Babacar Fall publiée sous le titre : ., Le travail forcé en Afrique Occidentale Française(1900-1945), Paris, Karthala, 1993, 346 pages est très édifiante pour aborder la question sur les prestations.

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