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Fiscalité et Domination Coloniale: l'exemple du Sine: 1859-1940

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par Cheikh DIOUF
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

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B - Assiette et taux de l'impôt personnel

Le décret du 4 août 1860 portant établissement de l'impôt personnel au Sénégal, stipule dans son article 1 que cet impôt est établi au profit du budget local et est perçu sur chaque habitant jouissant de ses droits et non réputé indigent.

Etaient considérés comme jouissant de leurs droits les veuves et les femmes séparées de leur mari, les garçons et les filles majeurs ou mineurs ayant des moyens d'existence, soit par leur fortune personnel soit par la profession qu'ils exercent. Les indigents étaient ceux qui, indépendamment du défaut de ressources personnelles, se trouvent par leur âge ou par leur infirmité, dans l'impossibilité de se livrer au travail.

L'arrêté du 9 août 1861 fixe la contribution personnelle à trois journées de travail dont chacune est évaluée à 1franc pour la ville de Saint-Louis et ses faubourgs de même que pour Gorée et à 0 franc 50 pour toutes les autres localités. Cette taxe devait être acquittée en argent sauf à Saint-Louis et à Gorée où il était possible de l'effectuer en journées de travail.237(*)

Au départ très modeste, le taux de la capitation variait d'une année à l'autre suivant les caprices de l'administration coloniale. En 1890, il était de 1 franc 50 dans les territoires d'administration directe. Il est porté à 3 francs dans les pays de protectorat en 1899 pou passer à 4 francs dans les provinces du Sine et du Saloum, en alors qu'il était de 3 francs dans le Niani et le Cercle de Podor.

A la veille de la Grande Guerre, les contribuables du Sine eurent à payer 5 francs de capitation. Le taux était moins élevé ailleurs : 4 francs dans le cercle de Dagana, 3,50 francs dans le Wouli.238(*) Il était majoré pendant les deux guerres mondiales.

Nonobstant l'appui humain et matériel fourni par les colonies, la métropole demanda aux peuples indigènes qui étaient sous son joug un effort supplémentaire. Ainsi en 1917, le taux de l'impôt personnel augmentait de 40%. Il était acquitté en nature.239(*) En 1943-1944, une contribution exceptionnelle de guerre fut demandée aux indigènes des colonies pour mieux faire face au torrent dévastateur que constituait l'Allemagne Nazie. Elle était de 10francs de plus par contribuable.

Les administrateurs trouvaient toujours des prétextes qui, disaient-ils, répondaient aux impératifs économiques des colonies pour justifier la majoration du taux de capitation. En 1927, ce taux avait connu une majoration vertigineuse. Les populations du Sine furent astreintes à payer 5 francs de plus. Ceci faisait suite à l'institution d'une taxe dite « taxe civique ». Son taux était de 5 francs au Sine-Saloum, 3 francs dans les communes de plein exercice, communes mixtes et escales, 2 francs dans les cercles de Dagana, Podor, Matam, Bakel, ainsi que dans la banlieue de Saint-Louis.240(*) Cette nouvelle taxe était justifiée par Camille Maillet Lieutenant-Gouverneur par intérim du Sénégal, comme étant le moyen le plus sûr et le plus rapide pour aider à la réalisation des grands travaux entrepris dans les différents cercles de la colonie.241(*) Au Sine-Saloum, ces travaux consistaient à l'aménagement du port de Kaolack et à la réfection du pont Noirot. Pour Maillet, cette taxe répondait « au principe de relever les ressources de la colonie au moment où elle traverse une période de prospérité exceptionnelle, de façon à parer aux rendements déficitaires ou aux méventes que pourraient subir plus tard les récoltes de la colonie ».242(*)

Cette augmentation du taux de l'impôt personnel était une très lourde charge pour les cultivateurs qui payaient déjà 15 francs au moment où l'arachide était achetée à 130 francs le quintal. L'impôt au taux de 15 francs était déjà un fardeau, l'impôt à 20 francs par personne devenait prohibitif et confiscatoire. C'est pourquoi le président de la Chambre de Commerce de Kaolack s'y opposa. Il émit le voeu que la mise en valeur des colonies soit poursuivie méthodiquement avec les ressources actuelles et dans aucun cas il ne soit créé de nouveaux impôts.243(*) Il adressa cette diatribe au gouverneur Camille Maillet : « Vous entamez une lutte contre la mortalité infantile et vous allez obliger le noir à mourir de faim, à se nourrir de racines et à bouillir des feuilles d'arbres ».244(*)

Considéré comme le poumon arachidière de la colonie du Sénégal, le Sine-Saloum faisait partie des cercles où le taux de l'impôt était des plus élevés. Dans ce cercle, l'abondance des récoltes et l'activité commerciale ont depuis longtemps créé un état économique des plus prospères. Dans les autres cercles plus exposés aux longues sécheresses, aux invasions acridiennes, dépourvus de voies de communication, un régime d'exception y était pratiqué et toute augmentation de l'impôt devenait fatale aux populations. Ce taux dépendait largement des caprices de l'administration coloniale et de ses soi-disant impératifs budgétaires. Son évolution était fulgurante. Comme du reste l'illustre le tableau suivant :

Tableau n°5 : Evolution du taux de l'impôt au Sine-Saloum : comparaison avec la moyenne du Sénégal.

Années

Taux de l'impôt au Sine-Saloum

Taux de l'impôt au Sénégal

1914

5 francs

3,5 à 5 francs

1920

10 francs

4 à 10 francs

1926

15 francs

8 à 15 francs

1932

19 francs

10 à 19 francs

1933

18 francs

9 à 18 francs

1934

18 francs

9 à 18 francs

1935

18 francs

9 à 18 francs

1936

23 francs

10 à 23 francs

Source : A.N.S. 6T24(26) : impôt personnel et autres impôts, 1937.

Il ressort de tableau que le plafond fiscal est toujours atteint au Sine-Saloum. Le taux élevé de l'impôt dans ce cercle était dû aux conceptions économiques du colonisateur. Ce dernier considérait que le Sine, pourvu d'un milieu naturel très propice aux cultures de rente, particulièrement à l'arachide et les facilités de son évacuation, pouvait sans grande difficulté se procurer du numéraire pour s'acquitter du fisc.

Le goût de l'équité ne tentait guère le colonisateur lors de l'élaboration de l'assiette de l'impôt. De grandes différences existaient à ce sujet au sein de la colonie. L'assiette de l'impôt était établie sans tenir compte de l'origine sociale de personnes, mais seulement du lieu qu'elles habitaient. Elle était établie « racione loci » c'est à dire selon le lieu de résidence du contribuable.245(*) Le taux n'était pas uniforme. En territoire d'administration directe, l'impôt était dû par toute personne jouissant de ses droits et âgée de 12 ans au moins. Cette formule est celle du décret du 4 août 1860. elle exonérait de l'impôt les femmes mariées et les enfants de moins 12 ans à moins qu'ils aient des moyens d'existence indépendante de ceux du chef de famille. Dans les pays de protectorat par contre, tous les indigènes, autres que les enfants de moins de 8 ans étaient soumis à l'impôt. Ainsi les charges d'une même famille étaient plus ou moins étendues suivant qu `elle résidait en pays d'administration direct ou en pays de protectorat.

Cette dualité faisait apparaître des différences dans le mode d'établissement de l'assiette. Alors que celle des territoires d'administration directe était nécessairement soumise à la délibération et au vote du conseil général, un simple arrêté suffisait pour déterminer l'assiette en pays de protectorat. Une pareille discrimination ainsi appliquée n'était pas justifiable. La dualité dans le mode d'établissement de l'assiette serait parfaitement logique si elle était basée sur des considérations sociales, si elle était établie « ratione personae », c'est à dire selon les capacités contributives de chaque individu. Mais les rôles étaient établis en fonction du lieu de résidence. Ils étaient nominatifs pour les indigènes citoyens et numériques pour les indigènes sujets. Ils étaient dressés annuellement sur la base des résultats du recensement, par le soin du commandant de cercle. Sur chaque rôle étaient indiqués :

- Le nom du canton, du village et ceux de leurs chefs avec mention du nombre de contribuables ;

- Le taux de l'impôt pour l'année en cours ;

- La somme totale de l'impôt à percevoir ;

- La part revenant au chef et à l'agent chargé du recouvrement et le montant devant retourner au budget.246(*)

Ces rôles, établis sur la base de recensements exagérés ou tronqués suivant les ambitions malhonnêtes des chefs locaux et l'hypocrisie de l'administration coloniale, étaient appliqués sans qu'aucune enquête sérieuse ne soit menée au préalable sur la nature et l'importance de la fortune de chaque contribuable.

L'arrêté du premier décembre 1916 approuvé le 17 février 1917, fixant le mode d'assiette en pays de protectorat stipulait que « le taux de l'impôt varie suivant le canton, la province ou le cercle d'après leur degré de développement économique et social ».247(*) De cet arrêté apparaît une remarque importante : l'individu n'était pas pris en compte comme unité imposable, mais il était intégré dans sa sphère administrative (canton, province ou cercle). Par ce procédé, l'administration fit table rase sur la capacité contributive intrinsèque de chaque contribuable. Les autorités coloniales estimèrent que le taux de l'impôt était bien établi et assez équitable parce que « chez les primitifs les grandes inégalités de fortunes sont rares ».248(*)

Le souci d'équité et de justice n'animait guère l'administration coloniale. En matière fiscale, elle n'écoutait pas la voix de la logique mais plutôt celle de ses soi-disant impératifs budgétaires. L'égalité fiscale pour les indigènes ne devrait pas consister à contribuer aux charges publiques par une somme identique par canton, province ou cercle, mais à être soumis aux mêmes impôts suivant la capacité contributive de chacun. La même logique devait déterminer les critères d'exemption à l'impôt de capitation.

L'article 7 du décret du 5 août 1861 définit les critères d'exemption. En plus des personnes réputées indigentes, on exempta de l'impôt :

1°- les officiers de troupes ;

2°- les gendarmes et sous-officiers de gendarmerie ;

3°- les marins et ouvriers de l'inscription maritime ;

4°- les sapeurs-pompiers.249(*)

L'arrêté du premier décembre 1916 ajoute aux exemptés les femmes et les enfants des gardes de cercle et des tirailleurs.250(*)

La délibération du conseil colonial du 19 novembre 1921 approuvée le 27 décembre 1921 exonère de l'impôt, les gardes-frontières, les gardes-cercles, les agents de police, les élèves de toutes écoles confondues, les veuves et les orphelins de guerre.251(*) En 1937, le Gouverneur général Coppet introduit dans la réglementation de l'impôt indigène et de l'impôt européen les dispositions suivantes : les exonérations touchaient désormais :

1°- les tirailleurs, soldats, caporaux de toutes armes et de tous corps y compris la marine, leurs femmes et leurs enfants pendant la durée de leur présence sous les drapeaux ;

2°- les indigents conformément aux dispositions du décret du 4 août 1860 ;

3°- les enfants au-dessous de quatorze ans à l'exception de ceux pubères et mariés ;

4°- les élèves des écoles ayant l'âge scolaire réglementaire et effectivement inscrits dans les établissements d'enseignement ;

5°- les anciens militaires pensionnés de guerre ;

6°- les accidentés de travail dont l'incapacité est absolue et permanente ;

7°- les personnes qui étaient à la charge d'un contribuable décédé à la suite d'un accident de travail ;

8°-les contribuables malades qui sont minus d'une fiche médicale réglementaire constatant qu'ils suivent le traitement contre la maladie du sommeil.252(*)

Cette nouvelle réglementation fait apparaître une remarque importante. Les principaux concernés par les exemptions étaient les hommes de troupes, les élèves et les malades suivant un « traitement normal. » Elles n'étaient pas guidées par une quelconque philanthropie allant dans le sens d'alléger le fardeau de la fiscalité. Elles étaient plutôt dictées par une politique d'incitation au service militaire, d'encouragement à la scolarité des enfants indigènes et de promotion de la médecine dite moderne. Les vrais misérables n'échappaient pas à l'impôt.

* 237 B.A.S., Arrêté du 9 août 1861, p. 152.

* 238 A.N.S. S28: Régime fiscal 1914-1918.

* 239 A.N.S. 2G17-5: Sénégal: situation politique et administrative des pays de protectorat, 1917.

* 240 A.N.S. 6T12(26): Délibération du conseil colonial portant création au Sénégal d'une taxe civique,1927.

* 241 A.N.S. 6T12(26): Lieutenant-gouverneur par intérim du Sénégal à M. le président de la chambre de commerce de Kaolack, 4 juin 1926.

* 242 Idem.

* 243 A.N.S. 6T12(26): Le président de la chambre de commerce de Kaolack à M. le gouverneur du Sénégal, Kaolack, le 15 mai 1926.

* 244 Idem.

* 245 A.N.S. S25: Lieutenant-gouverneur du Sénégal au Gouverneur général de l'A.O.F., 26 novembre 1911.

* 246 A.N.S. S28: Arrêté fixant le taux et le mode de perception de l'impôt personnel dans les cercles du Sénégal, Saint-Louis, le 18 octobre 1913.

* 247 A.N.S. S 28: Arrêté fixant le taux et le mode de perception de l'impôt personnel dans les cercles du Sénégal, Saint-Louis, le 18 octobre 1913.

* 248 Girault A., Principes de colonisation et de législation coloniale, 3e édition, Paris, Larose, 1907, p. 268.

* 249 B.A.S., Décret du 5 août 1861.

* 250 J.O.S., 1917, p. 198.

* 251 J.O.S., 1922, p. 67.

* 252 A.N.S. 6T25(26): Perception de l'impôt indigène : amendement pratique des méthodes en vigueur. M. Coppet Gouverneur Général de l'A.O.F. aux lieutenant-gouverneurs des colonies, Dakar, le 19 juillet 1937.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon