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Le pardon et la justice post conflits en Afrique. Etude comparative des dynamiques des acteurs et des institutions du dedans et du dehors (Afrique du Sud, Rwanda)

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par Alain-Roger Edou Mvelle
Université de Yaoundé 2 - DEA 2008
  

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Section 2 : Les institutions : des interactions orientées vers l'externalisation et l'internalisation des séquences du temps pacificateur

L'observation du fonctionnement des institutions pendant la période sous revue nous permet d'avancer qu'il y a eu une diversité des rapports entre celles du dedans et du dehors, allant parfois de la collaboration au déclassement. Il sied d'examiner ces interactions au niveau des `'institutions'' du pardon et celles de la justice respectivement.

Paragraphe 1 : Les institutions du pardon et les acteurs internationaux : des priorités distinctes

L'analyse aura plus de saillance si elle s'attache à révéler les échanges entre les ordres de juridiction aux plans traditionnel et moderne d'une part ; et si elle rend mieux compte de la prépondérance de l'endogénéité dans les interactions inter institutionnelles d'autre part.

A. Justice traditionnelle et justice moderne : des rapports ambivalents

La phase juridictionnelle des « gacacas » a débuté le 10 mars 2005. Celle-ci faisait suite à une première phase expérimentale dans un certain nombre de zones du pays. Le travail accompli en amont174(*) déterminait en réalité l'issue des procès qui intervenaient en aval175(*). Ainsi, seules 118 juridictions pilotes de secteur et 118 juridictions pilotes d'Appel ont entamé le jugement176(*). Les lenteurs du processus étaient d'ordre structurel et pratique. L'impréparation des acteurs au plan local et les longues distances entre les lieux de résidence des acteurs et ceux de déroulement des audiences en sont quelques explications.

Devant l'incapacité de la justice classique à connaître de l'ensemble du contentieux du génocide, le Rwanda a aménagé un mécanisme original. Les « gacacas » s'appuyèrent sur un socle préexistant dans les sociétés traditionnelles. Le système de règlement des conflits, semblable à la palabre, mettait en scène des punitions symboliques. La communauté solidaire garante de son harmonie groupale entendait réprimer non pas seulement l'individu auteur du fait réprouvé, mais aussi l'ensemble de sa famille qui aura manqué à sa mission d'agent socialisateur et imprimeur de l'identité du groupe. La spécificité que l'on peut dégager de ce système tient à son caractère communautaire. L'individualisation des incriminations n'existe pas, de même que la professionnalisation stricte. Mis à part quelques initiés, choisis par la communauté pour leur probité ou leur respectabilité pour différentes raisons, tout le monde était acteur du processus judiciaire traditionnel.

C'est ainsi que la loi portant création et organisation des « gacacas » va puiser dans ce répertoire socio anthropologique pour imaginer une synthèse non plus seulement adossée sur les rites et pratiques traditionnelles, mais aussi sur les aspects du droit moderne. Une catégorisation des infractions liées au génocide fait l'objet d'un encadrement normatif applicable à la fois par les tribunaux ordinaires et les juridictions « gacacas ». D'où cette appréciation positive d'Amnesty International : « Le système de justice populaire des juridictions « gagacas » pourrait offrir la possibilité aux survivants du génocide, aux prévenus et aux témoins de présenter leurs arguments dans le cadre d'un mécanisme judiciaire ouvert, à caractère participatif. Il pourrait permettre d'accomplir un grand pas vers la réconciliation nationale et la résolution de la crise du système carcéral rwandais ».

Néanmoins, là s'arrête l'appréciation. Amnesty International passe par la suite au crible le système « gacacas ». Ses représentants auraient sillonné l'ensemble du pays, assisté aux audiences, et échangé avec des juges traditionnels. Leur constat est cinglant : « Le caractère extra judiciaire du système gagacas et la préparation insuffisante de sa mise en oeuvre, conjuguée à l'intolérance du gouvernement actuel à l'égard de toute forme d'opposition et à sa réticence à revoir sa propre politique pourtant déplorable en matière de droit humains, risquent de pervertir ce nouveau mécanisme. Il est par conséquent impératif que le gouvernement rwandais ainsi que la communauté internationale prennent des mesures afin que le système gacacas soit conforme aux garanties minimale d'équité prévues par les normes internationales ».

Les institutions internationales, à travers leurs représentants sur le terrain, épinglent le caractère inopérant des « gacacas » en matière de respect des standards universels. ASF identifiera la violation des règles relatives à l'équité des procès. Le principe de présomption d'innocence est suppléé par la présomption de culpabilité. Selon son rapport de mars-septembre 2005, ASF relève que les parties au procès ont progressivement développé des frustrations et insatisfactions. Pour cause, la justice « gacaca » serait favorable aux accusés. Aucune réparation n'est envisageable en dehors des crimes contre les biens. Bien plus, les décisions rendues souffrent de déficit d'exécution, tant les « gacacas » ne disposent pas de compétence en la matière. Les institutions internationales reprochent en plus la tenue des procès collectifs et sommaires, où aucune différence n'est faite sur le degré d'implication des différentes parties. Toute chose qui est de nature à créer un sentiment d'injustice et des abus préjudiciables à la légitimité des « gacacas ».

De notre point de vue, ceci constitue un dépassement de la vision interactionniste. En posant que l'interaction ne fait pas l'objet d'un jugement, mais d'une adaptation, d'un réinvestissement, le terrain rwandais illustre bien le contraire. L'appréciation du dehors semble bien être un « jugement » de l'action des « gacacas » qui interagissent avec la société et les tribunaux ordinaires.

Aussi, ASF souligne-t-il la non prise en compte de l'article 14 alinéa 3 du Pacte international sur les droits civils et politiques177(*) par les juges « gacacas ». La pratique systématique des Inyangamugayo consistait à demander aux parties civiles et aux accusés de prêter serment, tout en acceptant de ne pas nier les faits à eux reprochés. Tout en appréciant l'aménagement de l'infraction de viol, les institutions internationales ont largement reconnu que la résolution du contentieux du génocide par les « gacacas » avait substantiellement été améliorée. Elles ont préconisé une meilleure prise en compte des victimes, l'application restrictive des mesures privatives de liberté et l'application des standards internationaux en matière de procès équitable. Pour sa part, l'Afrique du Sud va opter pour une démarche plutôt orientée vers l'interne. La logique de `'path dependancy'' n'y est donc pas d'actualité, de même que le caractère ultra judiciaire du processus de consolidation de la réconciliation.

* 174 Voir supra

* 175 En réalité le système en vigueur était celui du double degré de juridiction. Les affaires sont supposées réexaminées dans les gacacas d'Appel, mais ceux-ci s'en tenaient presque exclusivement aux qualifications faites dans les gacacas de premier ressort.

* 176 Au départ de cette phase pilote, 1545 gacacas de secteur et autant en Appel étaient concernés.

* 177 Cette disposition énonce que toute personne accusée d'une infraction ne peut pas être forcée de témoigner contre elle-même, ni de s'avouer coupable.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon