Paragraphe 2 : La collaboration variable entre les
institutions de la justice internationale et les juridictions
nationales au Rwanda
Selon qu'elles sont positives ou négatives, les relations entre le TPIR
et les tribunaux rwandais vont traduire soit des conflits de compétence,
soit une certaine coopération.
A. L'affirmation conflictuelle des compétences
Le
Statut du TPIR est pourtant clair. En son article 7, l'étendue de sa
compétence ratione loci est précisée de la
manière suivante : « La compétence ratione
loci du Tribunal international pour le Rwanda s'étend au territoire du
Rwanda, y compris son espace terrestre et son espace aérien, et au
territoire d'États voisins en cas de violations graves du droit
international humanitaire commises par des citoyens rwandais. ».
L'écriture de cette disposition n'a pas laissé de doute sur son
interprétation. En effet, la compétence du tribunal suit le lien
national entre tout individu et l'Etat Rwandais. Cette
déterritorialisation de la loi pénale est amplement
justifiée par les crimes sanctionnés :
-
le génocide qui comprend une série d'actes commis dans
l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux. L'on y ajoute l'entente en vue de commettre le
génocide, l'incitation directe et publique, la complicité et ma
tentative182(*) ;
-
les crimes contre l'humanité qui renvoient à l'assassinat, aux
tortures, viols, et aux autres actes commis dans le cadre d'une attaque
généralisée et systématique contre une population
civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale, ethnique,
raciale, religieuse mais aussi politique, à l'assassinat,
l'extermination, la réduction en esclavage, aux expulsions,
emprisonnement, tortures, et autres actes inhumains183(*) ;
-
les violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du
Protocole additionnel numéro II. Il s'agit des personnes qui ont commis
ou donné l'ordre de commettre ces violations notamment : les
punitions collectives, la prise d'otages, les actes de terrorisme, les
atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements
humiliants et dégradants, la contrainte à la prostitution, le
pillage184(*).
Le
TPIR a la primauté sur les juridictions nationales du Rwanda, en vertu
de l'alinéa 2 de l'article 8 de ses Statuts qui précise :
« Le TPIR a la primauté sur les juridictions nationales de
tous les Etats ». Toutefois, le problème se pose avec la
mise en application du principe non bis in idem énoncé
à l'article 9 en ces termes :
Alinéa
1. Nul ne peut être traduit devant une juridiction nationale pour des
faits constituant de graves violations du droit international humanitaire au
sens du présent statut s'il a déjà été
jugé pour les mêmes faits par le Tribunal international pour le
Rwanda ;
Alinéa
2. Quiconque a été traduit devant une juridiction nationale
pour des faits constituant de graves violations du droit international
humanitaire ne peut subséquemment être traduit devant le Tribunal
international pour le Rwanda ;
Alinéa
3. Pour décider de la peine à infliger à une personne
condamnée pour un crime visé par le présent statut, le
Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans laquelle
cette personne a déjà purgé toute peine qui pourrait lui
avoir été infligée par une juridiction nationale pour le
même fait.
A
cette limite de la double incrimination, il est permis au TPIR de dessaisir les
juridictions nationales dans l'une des trois conditions suivantes :
a.
le fait pour lequel il a été jugé était
qualifié crime de droit commun ;
b.
la juridiction nationale n'a pas statué de façon impartiale ou
indépendante,
c.
la procédure engagée devant elle visait à soustraire
l'accusé de sa responsabilité pénale internationale, ou la
poursuite n'a pas été exercée avec diligence.
Comment
en effet apprécier du degré de partialité des instances
judiciaires nationales sans que cela n'aboutisse inéluctablement
à un conflit ? La diligence requise du procès peut ne pas
être observée de bonne foi, eu égard notamment aux
contraintes budgétaires et infrastructurelles de l'Etat rwandais au
lendemain du génocide. Un dessaisissement sur cette base peut
éventuellement créer des incompréhensions entre les deux
parties. Heureusement un équilibre a été trouvé,
répondant aux voeux de la communauté internationale :
« Au TPIR de juger de la poignée d'idéologues et
d'organisateurs du génocide se trouvant à l'étranger, et
aux juridictions rwandaises d'organiser les procès de la multitude des
exécutants demeurés au Rwanda »185(*). Une libération d'un
prévenu a aussi constitué la pomme de discorde majeure entre le
Rwanda et le tribunal international. Il s'agit de Jean-Bosco Barayagwiza,
membre créateur de Radio milles collines186(*). L'intéressé
avait bénéficié d'un acquittement de la Chambre d'Appel,
déclarant nul l'acte d'accusation formulé contre lui.
Frédéric Mégret revient sur ce cas en
écrivant : « Dans l'affaire Barayagwiza, la Chambre
d'Appel avait décidé que l'accusé devait être
transféré au Cameroun en se fondant sur l'article 40 bis (H) qui
stipule qu'une personne relâchée suite à une
détention provisoire doit être remise aux autorités de
l'Etat l'ayant transférée. »187(*). Malgré l'affirmation
conflictuelle des compétences, la praxis offre un répertoire
d'actions collaboratives.
* 182 Article 2 du Statut du
TPIR.
* 183 Article 3 du Statut du
TPIR.
* 184 Article 4 du Statut du
TPIR.
* 185 Philippe
Mégret, op.cit ; p.85.
* 186
L'intéressé répondait de sept chefs de génocide, de
crime contre l'humanité et de pillage. Cet homme était
détenu au Cameroun et, selon le TPIR, des irrégularités
ont été observées par le Parquet pendant le processus
judiciaire de ce pays.
* 187 Op.cit ; pp.
87-88. Dans le cas d'espèce, le Rwanda avait émis un mandat
d'arrêt contre cet individu et souhaitait qu'il soit
transféré vers ses propres juridictions.
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