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Les comportements des élèves du lycée technique de Ouagadougou face au dépistage VIH volontaire

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par Pascal Louis Germain COMPAORE
Université de Ouagadougou - Maà®trise de sociologie 2006
  

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CHAPITRE I : cadre théorique

Nous avons pris connaissance des réflexions d'auteurs dont les préoccupations nous permettent de dégager des axes de discussions ainsi que la charpente conceptuelle de notre recherche.

I-1-Revue de littérature

« Une des principales contributions qu'attendent des sciences sociales, les sciences biomédicales et les programmes nationaux de lutte concerne le vaste sujet des causes et des ressorts de la dynamique du sida en Afrique. »5 Si cette affirmation de l'anthropologue Jean-Pierre DOZON est fondamentale, elle a cependant été détournée aux fins d'une lecture culturaliste et réductionniste de l'épidémie africaine aux premières heures de mobilisation contre le fléau, avec pour corollaires l'émergence et l'enracinement des représentations, stéréotypes, attitudes... négatifs. C'est à cela même que s'attaque Didier FASSIN en terme de «la distance abolie ».

En effet, les premières études anthropologiques sur le SIDA en Afrique ont négligé les précautions épistémologiques habituelles. Ainsi, d'une part, les études se sont focalisées sur le seul thème de la sexualité incriminant les pratiques sexuelles sans une «mise en perspective sociologique sur les conditions de vie globalement »6 ; d'autre part, cette réduction se double de l'intention de prouver que l'origine du SIDA est africaine : « Serait- il possible que le SIDA ait eu son origine dans le Rwanda rural [questionne Douglas FELDMAN et qui conclut]: Je n'ai pas trouvé le remède traditionnel guérissant le sida que je cherchais. Il n'est toutefois pas inconcevable que l'on puisse le trouver plus à proximité du site originel du sida, en Afrique centrale. »7

Cette approche culturaliste et réductionniste des pionniers a entraîné non seulement le succès du thème de la promiscuité sexuelle d'un sida africain mais surtout a eu deux effets négatifs. En effet, d'une part la responsabilité de la maladie est imputée à l'individu perçu comme un déviant sexuel et d'autre part, on a assisté soit à la dénégation de la maladie soit au rejet des programmes de prévention axés sur l'utilisation du préservatif.

Ce détour par la dimension diachronique du «phénomène sida » permet de resituer l'une des principales sources des représentations et des perceptions sur le SIDA. Ces représentations sont construites de façon théorique par Claude FLAMENT comme «des ensembles non autonomes ou faiblement structurés

5DOZON Jean Pierre, Des appropriations sociales et culturelles du sida à sa nécessaire appropriation politique. Quelques éléments de synthèse. In vivre et penser le sida en Afrique, Karthala, 1999, p679

6 FASSIN Didier, L'anthropologie entre engagement et distanciation. Essai de sociologie des recherches en sciences sociales sur le sida en Afrique. In vivre et penser le sida en Afrique, Karthala, 1999, p50

7 FELDMAN Douglas, cité par FASSIN Didier, Op.cit p49

parce qu'elles seraient organisées autour de principes organisateurs divers (mort /amour) activés alternativement, en fonction des contextes. »8 L'observation par Laurent9 VIDAL du vécu de personnes atteintes montre que ces représentations gravitent autour de réflexions sur l'origine de la contamination, de la mort, du rôle des médecins et du message préventif tout en confondant séropositivité et sida en tant qu'état physique grabataire. Enfin, analysant les perceptions, Marc-Eric GRUENAIS et Patrice Juste N'DOLO10 concluent que dès lors que les populations ont une meilleure perception des conséquences de la connaissance de son statut sérologique, elles développent une plus grande peur d'être testées. Ainsi, la prégnance de perceptions négatives au sein de notre population d'étude n'éclipse-t-elle pas les avantages qui pourraient être liés à la connaissance du statut sérologique? Par ailleurs, quelle perception les élèves ont-ils de la notion du risque ?

Le risque est le plus souvent lié aux comportements sexuels des élèves. En effet, par rapport à l'activité sexuelle, le constat demeure que les jeunes en général et plus particulièrement les élèves commencent leurs activités amoureuses sans informations sur la sexualité (Thomas BALIMA :1999)11. Cette expérience individuelle de la sexualité est pourtant socialement influencée : «le quartier, l'école, les groupes de pairs et les soirées dansantes constituent des cadres de rencontres entre filles et garçons, au sein desquels se construisent des réseaux de sociabilité. »12 Ainsi, l'âge au premier rapport sexuel tourne autour de 14 ans mais l'âge moyen varie et surtout se déplace vers 16 ans et plus avec toutefois une propension plus grande de la précocité masculine.

Le risque observé est le fait du multipartenariat sexuel: « il ressort que les groupes cibles en l'occurrence les élèves (...) ont plus d'un partenaire ou entretiennent des rapports sexuels avec des partenaires occasionnels. »13 Il est également lié à une utilisation irrégulière du préservatif, remarque toujours Thomas BALIMA; ce même constat est relevé par Théodore KOUAMA qui observe toutefois que « la raison souvent avancée de cette non utilisation du préservatif est la prétendue connaissance du partenaire sexuel. »14 Cela est le fait que l'utilisation du préservatif semble décroître avec l'accroissement du sentiment

8 FLAMENT Claude cité par SECA Jean Marie, Les représentations sociales, Armand Colin, 2002, p44

9 VIDAL Laurent, Le silence et le sens. Essai d'anthropologie du sida en Afrique, Anthropos-economica, 1996,218p.

10 GRUENAIS Marc-Eric, N'DOLO Patrice Juste, L'acceptabilité du dépistage, fonction des contexte. In Le dépistage VIH et le conseil en Afrique au sud du Sahara, Karthala, Paris,1997, 321p.

11 BALIMA Thomas, Entrée dans la sexualité d'étudiants burkinabé aux temps du sida, mémoire de maîtrise en sociologie, FLASHS, Université de Ouagadougou, 1999.

12 BALIMA Thomas, Op. Cit. P5.

13 BALIMA Thomas, Op. Cit, p4.

14 KOUAMA Théodore, Les infections sexuellement transmissibles et les comportements sexuels à l'école secondaire: cas des lycéens du département de saponé,p42.

amoureux. Cependant, comme il l'observe fort justement, cette connaissance apparaît secondaire puisqu'elle n'implique pas une connaissance du statut sérologique. Ces analyses ne peuvent certainement pas être appliquées en tant que comportements homogènes à l'ensemble des élèves. Par ailleurs, la perception du risque dès lors se focalise sur les comportements sexuels.

Pourtant, pour chaque société, chaque groupe et sous groupe social, les ressources socioculturelles utilisées pour appréhender la notion de risque opèrent une stratification sociale.

En effet, pour Marcel CALVEZ «la mise en oeuvre des politiques de prévention du sida peut alors être regardée comme un procès de stratification quihiérarchise les positions sociales en fonction du risque.»15 Dit autrement, le

risque est en fait attribué à des catégories groupales selon les limites de la critique morale de chaque société. Ainsi, dans notre contexte, les «prostituées », les chauffeurs routiers, les orpailleurs etc. sont dans la perception populaire aux premières loges des «groupes à risque » ou «groupes vulnérables». Cependant, cette stratification peut développer chez d'autres catégories sociales une altérité négative consistant non seulement au rejet du risque à l'autre mais parce qu'elles ne sont pas identifiées comme «groupes à risque » ne se sentent pas forcement concernées par le SIDA. C'est ce qu'a révélé l'enquête d'alors du Ministère de la Santé et de l'Action Sociale concernant les élèves : sur un échantillon de 466 individus «seulement 11% des élèves se voient eux-mêmes comme étant sujets à risque. »16

Cette mise en question de la notion du risque éclaire sous un jour nouveau en montrant que sa mise en circulation dans l'information implique une appropriation et une réinterprétation en tant qu'attribut d'identité des différents groupes sociaux. L'altérité négative observée chez nombre d'élèves peut bien aussi expliquer la différence de comportement si les élèves ne perçoivent pas le dépistage sérologique VIH, indépendamment de ce procès d'accusation de l'autre, en tant que moyen d'une meilleure prévention de s'infecter ou de développer le SIDA.

Or la prévention s'inscrit dans des constructions sociales en fonction du sens donné à la maladie, sens lui-même objet de construction sociale. Ainsi, retenons avec Jean-Pierre DOZON 17 trois mises en sens émique du sida

15 CALVEZ Marcel, Le risque comme ressource culturelle dans la prévention du sida. In Critique de la santé publique. Une approche anthropologique, Balland, 2001, p121

16 Ministère de la santé et de l `action sociale, Sexualité et sida en milieu scolaire secondaire à Ouagadougou, octobre 1989, p8

17 DOZON Jean Pierre (1999). Les modèles de préventions sont tirés du même auteur mais dans : Quatre modèles de prévention. In Critique de la santé publique. Une approche anthropologique, Balland, 2001, p26

auxquelles peuvent être joints deux modèles de préventions. Premièrement, le «phénomène sida » est appréhendé à partir des catégories nosologiques et étiologiques locales. Le savoir biomédical est alors relégué au dernier plan, ce qui engage une lecture culturelle de la maladie (amaigrissements, diarrhée, etc. pouvant le confondre d'ailleurs à d'autres catégories nosologiques). Il se range alors avec le registre des interdits et transgressions sociales, notamment l'adultère. Le modèle de prévention dans ce cas de figure est celui magicoreligieux qui se présente comme un dispositif de prévention ordonnant préalablement les causes ou les étiologies.

La seconde mise en sens interprète le SIDA comme une nouvelle maladie liée aux transformations des sociétés africaines, particulièrement aux désordres et dérèglements affectant les relations entre sexes et générations. Cette construction sociale recoupe en certaine manière la prévention magico-religieuse. Elle diffère en effet des protections contre des agressions ou des punitions d'entités transcendantes ou des attaques sorcellaires mais elle met en jeu des métaphores qui imagent la sanction due au désordre social d'une modernité chaotique.

La troisième mise en sens résulte des diverses constructions de l'altérité (la prostituée, l'étranger, le chauffeur routier, en un seul mot l'autre). Seul l'autre est donc concerné par l'infection et la prévention.

Toutes ces constructions sociales du SIDA appellent des modèles de préventions qui s'éloignent de l'exigence du modèle contractuel que commande le dépistage volontaire. En effet, dans le modèle contractuel de prévention, la maladie ne se rapporte plus aux manifestations d'entités18 invisibles ou transcendantes mais à l'organisation pratique rationnelle19de la société. La prévention suppose alors une logique d'action de sujets agissant de façon éclairée c'est-à-dire que la prévention (y compris le dépistage VIH), se protéger et protéger les autres, relève du ressort d'une responsabilité individuelle informée et éclairée. Or, en mettant en jeu le consentement éclairé des populations, ce modèle de prévention fonctionne dans l'idéal en tant que rapport dont la nature se veut essentiellement pédagogique pour justement permettre aux populations d'accéder et d'adhérer aux propositions de prévention énoncées par le savoir biomédical. De ce point de vue donc, tous les élèves ne disposent pas de ressources suffisamment déterminantes pour les décider à faire un test sérologique VIH : « la faible fréquentation des structures de lutte (...) la superficialité des informations entre

18 LAPLANTINE François théorisant les modèles étiologiques rend compte ainsi du modèle exogène: "la maladie a son origine dans la volonté mauvaise d'une puissance anthropomorphe ou anthropomorphiseé" In Anthropologie de la maladie, Paris, Payot, 1992, p77.

19 « L'idée de rationalité est utilisée comme un réflexe visant à mettre en avant la civilisation occidentale dans le cadre de la science occidentale. Par là elle dénie la rationalité inhérente à la diversité culturelle. » DISSAKE Emmanuel, Feyerabend, Epistémologie, anarchisme et société libre, 2001, p88.

camarades d'école, le silence des parents »20 sont des facteurs de vulnérabilité, autant ils peuvent expliquer la différence de comportement face au dépistage volontaire.

En arrière plan, c'est en fait toute la question de la médecine préventive qui se trouve soulevée. En effet, elle est selon Bernard HOURS un phénomène occidental né du développement de la biomédecine et de la prise de conscience d'une solidarité entre malades et bien-portants par le biais de la contamination, de la contagion et de la transmission.

Or en tant que cadre de gestion de la maladie, la médecine préventive est venue se superposer à des systèmes antérieurs propres aux diverses sociétés non occidentales. Et pourtant, comme le remarque fort bien Bernard HOURS «anticiper l'occurrence de la maladie pour l'empêcher est une autre logique que celle qui traque les causes du mal et qu'on relève dans toutes les sociétés. »21 Ainsi, c'est toute la philosophie de la démarche volontaire de dépistage qui est remise en cause car elle sous-tend une logique inhabituelle dans les sociétés où la médecine préventive est peu développée.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"