WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Représentation et migration dans The Pickup de Nadine Gordimer

( Télécharger le fichier original )
par Ives SANGOUING LOUKSON
Université de Yaoundé I - Maitrise 2008
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ I

THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I

FACULTÉ DES ARTS, LETTRES ET DÉPARTEMENT DE LITTÉRATURE

SCIENCES HUMAINES AFRICAINE

FACULTY OF ARTS, LETTERS DEPARTMENT OF AFRICAN

AND HUMAN SCIENCES LITERATURE

REPRÉSENTATION ET MIGRATION DANS

THE PICKUP DE NADINE GORDIMER

Mémoire présenté en vue de l'obtention du Diplôme

de Maîtrise ès Lettres

Par : 

Ives SANGOUING LOUKSON

Licencié ès Lettres germaniques

Sous la direction de :

M. Innocent FUTCHA

Chargé de cours

Yaoundé, Janvier 2008

DÉDICACE

À ma mère,

Chrescence Ayissi

pour son sens de l'amour.

REMERCIEMENTS

Un travail de recherche s'effectue rarement sans aides et appuis amicaux. Le présent mémoire ne fait pas exception à la règle. "Représentation et Migration dans The Pickup de Nadine Gordimer" n'aurait évidemment pas été possible sans l'appui de mon Directeur de recherche, M. Innocent Futcha. Il m'en a proposé le corpus ; il ne s'est pas découragé devant mes multiples lacunes en études africaines. En un mot, il m'a tenu la main, comme un père, pour apprendre à son enfant à se lever, puis à marcher. Je tiens particulièrement à l'en remercier.

Je suis également redevable aux enseignants du Département de Littérature Africaine de l'Université de Yaoundé I. Les Professeurs Nol Alembong, André Ntonfo, Moukoko Gobina et Ambroise Kom m'ont permis de m'intéresser à la littérature du monde Noir. Le Professeur Kom a surtout provoqué en moi un déclic majeur qui explique mon engouement pour cette littérature.

Je tiens également à exprimer ma reconnaissance à Bella Chouchou, Nkolo Foé, Jean Jacques Samara, Paul Ndjock, Mvoutou Angèle, Mgbale Mgbatou Hamadou, Lottin Wekape, Louk Oumarou, Yves Fetchepi Ervice, François Nyandjo, Sylvain Ngah, Benjamin Tanga, Olivier Awono Onana, Florence Arétouyap. Tous m'ont aidé matériellement, moralement ou financièrement dans la réalisation de ce travail.

Je n'oublie pas Olive Melanga Amba dont la patience et l'affection ont eu raison de mon découragement à certains moments.

Que chacun, en ce qui le concerne, trouve dans ces lignes l'expression de ma profonde gratitude.

LISTE DES ABRÉVIATIONS

Art. : Article

CD : Compact Disc

C.L.E. : Centre de Littérature Évangélique

Coll. : Collection

Conf. : Confère

C.R.A.C. : Club de Recherche et d'Action Culturelle

N° : Numéro

P. (+ chiffre) : Page dans The Pickup

P.U.F. : Presses Universitaires de France

Reéd. : Réédition (ou réédité)

R.F.I. : Radio France Internationale

S/d : Sous la direction

USA : United States of America (ou États-Unis)

RÉSUMÉ

Comment l'écrivaine sud-africaine Nadine Gordimer gère-t-elle l'époque post-apartheid dans ses écrits ? Telle se présente le fil conducteur de cette étude limitée à son roman intitulé The Pickup. L'analyse des structures esthétiques de ce roman le révèle comme essentiellement centré sur les phénomènes migratoires. Du traitement que Gordimer fait de la migration, il ressort que le véritable accusé est la représentation qui a conduit à la colonisation. Ce sont là du moins des hypothèses que la présente étude tente de vérifier sous l'éclairage de la théorie postcoloniale.

ABSTRACT

How does the South African writer Nadine Gordimer handle the post- apartheid period in her works? That is the guiding question of this research work limited to Gordimer's novel entitled The Pickup. The analysis of the aesthetic structures of this novel reveals it as essentially based on migratory phenomena. From the way Gordimer tackles the question of migration, it appears that the real accused is representation which has led to colonisation. Those are the hypothesis that the present work tries to verify using the post- colonial theory.

INTRODUCTION GÉNÉRALE

L'institution du régime de l'Apartheid en Afrique du Sud a naturellement provoqué la naissance d'une opposition ouverte à ce régime raciste. Que dans cette opposition, des écrivains sud-africains aient particulièrement été actifs, n'a rien de surprenant. En effet, la littérature africaine en général se singularisant par sa sensibilité à l'injustice et à l'inéquité1(*), celle de l'Afrique du Sud ne pouvait se déployer dans l'indifférence à l'égard de l'Apartheid. De nombreux écrivains d'Afrique du Sud avaient trouvé en l'Apartheid un thème qui nourrissait leurs oeuvres littéraires.

Ceux-ci furent tellement absorbés par le combat contre l'Apartheid que Mazisi Kunene ne manqua pas d'exprimer sa crainte quant au devenir de l'activité littéraire en Afrique du Sud. Kunene écrit précisément:

The trouble with South African writing about apartheid is that these people write about apartheid and one day it won't exist and they'll have nothing to write about.2(*)

Treize années après le démantèlement du régime qui avait institué l'horreur en Afrique du Sud, les répercutions sur la pratique littéraire de ce pays ne se sont pas fait attendre. On assiste aujourd'hui à l'exploration de thèmes nouveaux chez une auteure comme Nadine Gordimer. Ce qui se passe dans la littérature sud-africaine actuelle constitue une illustration de la réflexion de Georges Ngal pour qui :

Chaque décennie semble nous promettre de nouvelles formes langagières (littéraires), du moins proclamées comme telles (...) Les discours littéraires se modifient dans et avec l'évolution des sociétés et de l'histoire.3(*)

La production littéraire post-apartheid de Nadine Gordimer comprend des titres comme None to accompany me (1994), The House Gun (1998), The Pickup (2001)4(*), et Get a life (2005) 5(*).

Des sources consultées6(*), nous avons pu apprendre que None to accompany me, à travers l'avocate blanche Vera Stark, personnage central, montre comment la mutation politique de 19947(*) en Afrique du Sud impose au Sud-africain des changements au plan du comportement individuel.

The House gun dévoile quant à lui une Afrique du Sud post-apartheid qui, malgré le gouvernement de la majorité noire, celui de Nelson Mandela, continue de faire subir aux Sud-africains les mêmes traitements que l'ancien gouvernement, celui de Frederick De Klerk. Gordimer s'appuie, pour ce faire, sur le paisible et riche couple blanc Harald et Claudia Lingard. Ces derniers ne comprennent pas comment leur fils Duncan a pu devenir l'assassin d'un jeune homme adopté par le couple. La fréquentation de la justice du pays par le couple lui permet de constater la responsabilité du gouvernement dans la transformation de Duncan en un assassin.

Get a life s'affirme pour sa part comme un prolongement de la réflexion commencée dans The House gun. En effet, comme l'Afrique du Sud fut autrefois rongée par le racisme, elle est aujourd'hui fragilisée par les erreurs du gouvernement dont les conséquences sont comparables à celles du racisme. Gordimer suggère dans ce roman que la construction d'une nouvelle identité sud-africaine s'opère à partir du présent tout en prenant appui sur des valeurs humaines et sur l'écologie. Voilà pourquoi le personnage central, Paul Bannerman, un écologiste atteint d'un cancer de la thyroïde, préfère quitter son épouse et son fils, peu humains, et accepte plutôt les soins chaleureux de ses vieux parents retraités dans la maison où il a autrefois grandi. Chez ses parents, Paul Bannerman passe beaucoup de temps dans le jardin familial à cause de ses vertus écologiques.

The Pickup, enfin, plonge le lecteur, en même temps, dans l'Afrique du Sud post-apartheid et dans une contrée arabe géographiquement localisée dans une zone désertique. Les personnages centraux Musa et Julie sont des migrants quittant leurs pays respectifs pour s'établir ailleurs. À la base de leur migration se trouve une forme de représentation que je me propose d'analyser.

The Pickup de Nadine Gordimer est la preuve que cette auteure a rompu avec les thèmes littéraires favoris de l'époque de l'Apartheid qui lui ont pourtant permis de recevoir le prestigieux prix Nobel de littérature. En 1991, l'académie de Stockholm l'a honorée parce qu'elle avait passé toute sa vie, d'après les dires des membres de l'académie, à décrire avec minutie et obstination toutes les conséquences que les distinctions raciales ont inspirées à l'être humain.8(*)

En effet, The Pickup est centré sur la question de la migration, une question dont l'actualité n'a d'égale que sa forte récurrence dans les médias. C'est ainsi qu'Ann Skea écrit de ce roman :

The Pickup is a superb story told by a very skilful storyteller. It is also a story which explores the changes in the wider world in surprising but important ways. V. S. Naipaul said in a recent interview that he believed that «the serious function of writing» (and he was talking about novels) is to help readers to understand society. The Pickup seems to me to do this enjoyably, topically and admirably. In a world of rapid social change, where issues of immigration are daily aired in the media, Gordimer offers insight into the radically different meaning which «another country» has for those who can choose to move and those who must overcome seemingly insurmountable odds in order to be chosen.9(*)

Ce roman a également l'avantage d'aborder la question de la migration d'une manière spéciale. On y voit d'une part, un immigré qui quitte son pays à destination des pays qu'il considère comme riches. Cette dernière forme de migration correspond à la majorité des migrations actuelles en Afrique au Sud du Sahara. D'autre part, une jeune femme issue de famille riche, Julie, quitte les siens et son pays pour un pays pauvre. Cette forme de migration ouvre une perspective nouvelle quant au regard que les Sud africains posent sur eux-mêmes et sur les autres.

Sue Kossew de l'Université de New South Wales d'Australie pense à cet effet que:

It is a novel that has his place in what Gordimer has called a post-apartheid «literature of transition»; taking as its subject-matter the issues of displacement, economic exile and migration... Gordimer is fascinated by the kinds of power shifts that occur when people become displaced from their comfort zones (a theme she has, of course, already minutely explored in July's people) and have to adapt to new ways of thinking and being.10(*)

Du thème central de The Pickup et de l'originalité dans le traitement de la migration propre à ce roman, m'est venue l'idée de la présente étude intitulée : « Représentation et Migration dans The Pickup de Nadine Gordimer ».

Pour éviter l'équivoque, il convient de définir les termes constitutifs du sujet ainsi libellé.

La représentation est une image fournie à la conscience par les sens ou par la mémoire. La représentation est encore le fait de représenter quelque chose par une image, un signe ou un symbole.

La représentation est aussi un concept fondamental dans la théorie postcoloniale. Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin conviennent à ce propos que

post-colonial theory involves discussion about experience of various kinds : migration, slavery, suppression, resistance, representation, difference, race, gender, place...11(*)

Dans l'esprit de la théorie postcoloniale, la représentation peut se définir comme l'usage du pouvoir pour construire une image de soi-même et des autres, image que l'on tente par la suite d'imposer aux autres. Vue de cette manière, la représentation acquiert deux aspects complémentaires : le pouvoir de se représenter autrui comme "déchet" et la capacité de l'assigner à cet état de déchet "de son vivant même"12(*).

Chez des auteurs tels Edward Said13(*), Homi Bhabha14(*), Arjun Appadurai15(*)ou Achille Mbembe16(*), la représentation désigne non seulement la phase théorique où le "self" décide de falsifier autrui partant des critères choisis par lui-même, mais aussi la phase pratique au cours de laquelle ce "self" s'efforce de rendre visible sa supériorité ou l'infériorité d'autrui. Achille Mbembe présente dans De La Postcolonie la colonisation, l'impérialisme et la lutte des classes comme des phénomènes illustrant la phase pratique de la représentation17(*). D'après Said, l'Occident ayant représenté l'Orient comme sous-continent, il aurait fallu que cet Occident recourt à la colonisation afin qu'effectivement, l'Orient émerge comme le grand-contraire de l'Occident. Said parle de l'Orient créé par l'Occident

La migration est le déplacement d'une population passant d'une région à une autre pour s'y établir. Dans mon entendement, la migration se rapporte non seulement au déplacement physique d'une personne, mais aussi à un changement d'identité comparable au déplacement physique d'un lieu à un autre.

Dans The Pickup, l'aspect identitaire de la migration est lié à son aspect physique. Dans l'un et l'autre aspect de la migration, il y a un rapport avec la représentation.

Au concept de migration se rattachent deux autres concepts avec lesquels il entretient des relations étroites : l'émigration et l'immigration. Alors que l'immigration désigne l'établissement temporaire ou définitif dans un pays de personnes non autochtones, l'émigration quant à elle désigne le fait de quitter son pays pour aller s'établir dans un autre. La migration est donc le phénomène qui englobe l'émigration et l'immigration.

En un mot, la migration est pour moi un concept phare qui me permet de clarifier les significations de l'émigration et de l'immigration. De par sa connotation identitaire, la migration me permet aussi d'envisager son rapport avec la représentation.

Mon sujet de recherche me donne l'occasion d'analyser les rapports entre la représentation et la migration dans The Pickup. Cette analyse me permet également d'avoir une perception nouvelle d'un problème d'actualité, celui de l'émigration des nécessiteux des pays pauvres vers les pays riches.

Il convient maintenant de se poser la question de savoir si d'autres chercheurs avant moi se sont intéressés au même sujet. À ma connaissance, les travaux de recherche sur The Pickup de Nadine Gordimer, compte tenu des sources que nous avons pu consulter, se résument aux brefs articles ou à quelques impressions de lecture. La présente étude sur The Pickup, sauf erreur de ma part, peut être considérée comme pionnière sur le thème de la migration.

Néanmoins, le thème sur lequel porte cette étude m'amène à observer qu'il a déjà fait l'objet d'une abondante littérature en Afrique. Cheikh Hamidou Kane par exemple expose dans L'aventure ambiguë l'aliénation de Samba Diallo comme une conséquence de son émigration vers la France18(*). Tayeb Salih emboîte le pas à Hamidou Kane en commettant Season of migration to the north. Dans ce roman, Salih accuse la dépossession de soi que cause chez l'Africain, une certaine forme d'immigration en Occident19(*). Fatou Diome s'y est aussi penchée. Dans La préférence nationale20(*) et dans Le ventre de l'Atlantique21(*), elle s'emploie à dissuader les Africains candidats à l'émigration clandestine vers l'Occident d'entreprendre cette aventure.

Dans les travaux de recherche ci-dessus portant sur le thème de la migration, l'Occident constitue la seule destination des migrants. Ces travaux semblent négliger la responsabilité de la représentation que l'Occident se fait de lui-même sur l'obsession du départ qui sous-tend la plupart des migrations en Afrique au Sud du Sahara. D'où l'intérêt de mon étude sur la question de la migration. Elle prend en compte ce sur quoi d'autres avant moi, n'ont pas assez insisté : l'impact de l'impérialisme sur les phénomènes migratoires.

Par ailleurs, de mon étude sur la migration dans The Pickup, on pourra peut être comprendre pourquoi Edward Said écrit de ce roman qu'il prouve combien Nadine Gordimer se distingue des autres écrivains. Said écrit précisément :

Gordimer's latest novel maps new territory for her writing, showing that only the greatest of artists can go where few dare to tread22(*).

Dans mon travail de recherche, la migration constitue une sorte de scène théâtrale où se déploient non seulement la représentation - ses mécanismes, ses manifestations, ses conséquences - mais aussi la remise en question de cette représentation. La problématique de mon sujet peut être décomposée sous forme de questions de recherche comme suit :

Quelle est la signification de The Pickup : objet artistique? Quelle est la spécificité de la migration et de la représentation dans The Pickup ? En quoi la migration est-elle une conséquence de la représentation ? Quels sont les enjeux et les défis de la migration dans The Pickup ?

La réponse aux questions ci-dessus se fonde sur l'hypothèse selon laquelle Nadine Gordimer se sert de la migration pour proposer une nouvelle manière de se représenter le subalterne dans The Pickup. La nouveauté de la représentation en question réside dans sa rupture avec l'ancienne représentation qui a conduit à la colonisation. Pour Gordimer dans The Pickup, le subalterne ne devrait plus être représenté comme inférieur, mais comme différent, comme simplement une altérité.

Je me sers de la théorie postcoloniale pour vérifier mon hypothèse. Je choisis l'approche postcoloniale pour plusieurs raisons.

D'abord sa pertinence dans le contexte de la recherche en Afrique. Parce qu'elle exige chez le chercheur la capacité de réfléchir par lui-même et pour lui-même, l'approche postcoloniale évite à l'Africain la subordination. Ambroise Kom montre la pertinence de la théorie postcoloniale lorsqu'il s'interroge dans La Malédiction francophone en ces termes au sujet de la recherche :

Notre recherche doit-elle se maintenir sur les sentiers tracés par/pour les experts coloniaux ou néo-coloniaux, c'est-à-dire satisfaire essentiellement les besoins de connaissance de l'Autre et continuer ainsi à répondre à des préoccupations souvent inavouables ?23(*)

Contrairement aux théories telles le marxisme, le féminisme, la psychanalyse ou le déconstructivisme qui ont toutes des théoriciens fondamentaux, l'approche postcoloniale, elle, intègre parfois toutes les théories ci-dessus au point d'être perçu comme une « métathéorie »24(*). C'est d'ailleurs ce qu'en pense Nicolas Harrison lorsqu'il écrit :

Postcolonial theory is not an identifiable "type» of theory in the same (limited) sense as deconstruction, Marxism, psychoanalysis or feminism on all of which it sometimes draws: it does not have fundational thinkers playing a role comparable to that of Marx or Freud... Like Marxism and Feminism, though, it has evolved in response to political and historical issues of vast importance and scope, such as anticolonial militancy, and its deeper origins and many of its ends lie outside academic study.25(*)

La deuxième raison de mon choix est que l'approche postcoloniale est une approche pour laquelle rien de ce qui est culturel n'est neutre. Sa spécificité réside dans son explication de la culture sur la base de la confrontation d'un groupe dominant ou centre avec un groupe dominé ou périphérie. La culture à laquelle s'intéresse la critique postcoloniale est l'ensemble des cultures qui découlent de la confrontation entre le centre et la périphérie. Bart Moore-Gilbert définit précisément la critique postcoloniale en ces termes :

In my view, postcolonial criticism can still be seen as a more or less distinct set of reading practices, if it is understood as preoccupied principally with analysis of cultural forms which mediate, challenge or reflect upon the relations of domination and subordination (economic, cultural an political) between (and often within) nations, races or cultures, which characteristically have their roots in the history of modern European, colonialism and imperialism and which, equally characteristically, continue to be apparent in the present era of neo-colonialism.26(*)

La critique postcoloniale consiste donc à interroger des formes culturelles diverses en tenant compte des conséquences de la confrontation entre le centre et la périphérie. L'objectif recherché par cette critique est le décentrement. Edward Said explique la notion de décentrement dans L'Orientalisme. Par décentrement, écrit Said, il ne s'agit pas :

 tant de réduire la différence entre l'un et l'autre (centre et périphérie)27(*)- Car qui peut nier le rôle constitutif des différences nationales et culturelles dans les relations humaines - que de remettre en question la notion que la différence implique l'hostilité, un bloc réifié et figé d'essences antagonistes, et une connaissance réciproque sur cette opposition qui envisage l'autre comme un adversaire. [Le décentrement]28(*) est une nouvelle manière de concevoir les séparations et les conflits qui ont stimulé pendant des générations l'hostilité, la guerre et le contrôle impérialiste.29(*)

La critique postcoloniale, on le voit, a une importance salutaire pour les hommes indépendamment de leur race, sexe, nation, appartenance tribale ou religieuse, car elle milite pour la pacification des relations entre les différences.

La dernière raison de mon choix méthodologique est liée à l'exigence de la critique postcoloniale en ce qui concerne l'analyse du texte spécifiquement littéraire. La critique postcoloniale exige que l'on s'intéresse à la fois à la forme et au fond du texte. Nicholas Harrison pense à cet effet :

What is most interesting and often most important in postcolonial studies - at least postcolonial literary studies -remains tied up in textual and historical detail...30(*)

C'est dire que la critique postcoloniale s'intéresse à la manière dont le texte est écrit et pourquoi il est ainsi écrit.

Mon analyse s'appuie principalement sur les travaux des théoriciens tels Homi Bhabha, Edward Said, Arjun Appadurai et Achille Mbembe. Ces théoriciens ont, en effet, l'avantage, en étudiant les rapports de domination et de résistance entre les individus ou les peuples, d'envisager par la même occasion non seulement les possibilités de renversement des méfaits de la domination, mais aussi les possibilités d'harmonisation des nouveaux rapports. Mon analyse s'inspire également des travaux de Gérard Genette31(*), Real Ouellet, Roland Bourneuf32(*) et de Roland Barthes33(*) pour ne citer que les plus représentatifs.

Étant donné que la critique postcoloniale se singularise par le fait qu'elle intègre divers concepts, diverses sources d'inspiration, étant donné également qu'elle s'intéresse à la fois au fond et à la forme du texte littéraire, il importe de préciser comment je vais me servir des concepts retenus pour mener à bien mon étude.

Je m'emploierai d'abord à analyser la manière dont The pickup est écrit. Pour ce faire, je m'appuierai sur quelques notions étudiées par des théoriciens tels Gérard Genette, Roland Barthes, Real Ouellet et Roland Bourneuf. Il s'agira, comme le dit Lydie Moudileno, de revenir au texte, [seul] lieu de construction de l'imaginaire34(*).

Ensuite, je m'appuierai sur les concepts de migration, de représentation et de résistance pour analyser le fond de The pickup. Plus précisément, je m'inspirerai, d'une part, de la notion de représentation pour la caractériser comme mobile essentiel des migrations dans The pickup. D'autre part, je m'en inspirerai pour inventorier les stratégies suggérées dans The pickup pour résister aux méfaits de la représentation. De cet inventaire, se dégageront sinon la portée didactique de The pickup, du moins les défis culturels qui s'imposent à tous ceux et celles, désireux de barrer la voie aux phénomènes d'é(im) migration clandestine dans le monde.

Compte tenu de ma problématique, de mon hypothèse et de ma méthode de recherche, je divise mon travail en trois chapitres. Le premier porte sur l'analyse de l'objet artistique que constitue The Pickup question de mettre en exergue les orientations idéologiques ou les préoccupations existentielles abordées dans ce roman. Il s'intitule : Espace, Personnages, Perspective narrative et Signification dans The Pickup. Le deuxième chapitre intitulé Migration comme conséquence de la représentation, montre en quoi il est question du subalterne dans The pickup et en quoi les migrations de ce subalterne sont une conséquence de la représentation. Il permet d'entrevoir les défis multiples liés à la lutte contre l'impérialisme dans The Pickup. Le troisième chapitre montre comment la migration est utilisée pour dénoncer la représentation dans The Pickup. C'est ici qu'on peut évaluer si oui ou non mon hypothèse de départ se vérifie. Il s'intitule Migration comme remise en question de la représentation.

CHAPITRE I

ESPACE, PERSONNAGES, PERSPECTIVE NARRATIVE ET SIGNIFICATION DANS THE PICKUP

Gérard Genette estime que le récit de fiction se singularise par la complexité de sa nature. Le récit de fiction tient, en effet, de la combinaison de plusieurs éléments distincts. C'est pourquoi il le considère comme

un tissu de relations étroites entre l'acte narratif, ses protagonistes, ses déterminations spatio-temporelles, son rapport aux autres situations narratives impliquées dans le même récit35(*).

Dans cette perspective, il s'avère donc nécessaire que toute étude portant sur le récit de fiction s'appuie sur l'acte narratif, les personnages, l'espace et le temps narratifs. La narratologie36(*) considère d'ailleurs ces catégories poétiques comme celles qui garantissent au récit de fiction sa singularité. Le fonctionnement de ces catégories dans un roman peut sans doute servir de prétexte à l'auteur pour exposer sa vision du monde. C'est du moins la conviction qui détermine la conception du récit de fiction chez Émile Benveniste. Pour Benveniste, en effet, la forme ou la structure d'une oeuvre littéraire contribue à en suggérer le contenu. C'est pourquoi il définit le récit de fiction comme un système organisé par une structure à déceler et à décrire37(*)

Mikhail Baktine partage le même avis lorsqu'il définit la finalité de l'investigation esthétique dans une oeuvre littéraire :

Il incombe, écrit-il, de déterminer la composition immanente du contenu de la contemplation artistique dans sa pureté esthétique afin de décider ce que signifie pour lui le matériau et son organisation dans l'oeuvre matérielle38(*).

Michel Foucault, pour sa part, souligne la pertinence de l'analyse structurale lorsqu'il affirme :

Nous reconnaissons sa justesse et son efficacité : lorsqu'il s'agit d'analyser une langue, des mythologies, des récits populaires, des poèmes, des rêves, des oeuvres littéraires, des films peut-être, la description structurale fait apparaître des relations qui sans elle n'auraient pas pu être isolées ; elle permet de définir les éléments récurrents, avec leurs formes d'opposition et leurs critères d'individualisation ; elle permet d'établir aussi des lois de construction, des règles de transformation. Et malgré quelques réticences qui ont pu être marquées au début, nous acceptons maintenant sans difficulté que la langue, l'inconscient, l'imagination des hommes obéissent à des lois de structure 39(*).

Un nombre important de théoriciens a développé des grilles d'étude structurale des oeuvres de fiction. Je m'en servirai pour analyser l'objet esthétique que The Pickup constitue dans ce chapitre liminaire. Il ne s'agira pas de faire un travail exhaustif sur les catégories poétiques du récit, mais d'identifier des catégories pertinentes au regard de mon sujet de recherche. Le présent exercice s'inspirera surtout de certains éléments d'approche développés par Gérard Genette, George Gusdorf ou Philippe Hamon, pour ne citer que ceux-là. C'est un travail qui consiste concrètement à démontrer que The Pickup, du point de vue de l'espace, des personnages et de la perspective narrative autorise d'analyser ce texte de fiction à partir des concepts de représentation et de migration.

I.1 L'ESPACE NARRATIF

Selon Jean Yves Tadié, l'espace narratif désigne le lieu où se distribuent simultanément les signes, se lient les relations et dans un texte, l'ensemble des signes qui produisent un effet de représentation40(*).

Tadié pense en effet que l'espace narratif est un cadre statique qui, du fait de la récurrence ou de la similitude des faits qui s'y déroulent ou encore du fait de la nature des évènements qu'il abrite, ou simplement du fait de leur importance du point de vue des personnages, permet au lecteur de décider de la signification du roman. George Gusdorf n'affirme pas autre chose lorsqu'il pense de l'espace narratif qu'il est :

 

une dimension du monde (...) ; une norme privilégiée pour la manipulation de la réalité, privilégiée même à tel point que nous sommes portés à la substantialiser, à en faire un support des choses, une manière de contenant, un commun dénonciateur, facteur d'ordre, de classement, et, enfin de compte, canevas géométrique universel sur lequel interviennent les phénomènes et se succèdent les évènements (...) Situer un fait par ses coordonnées spatiales, donner la mesure exacte de ses dimensions, c'est déjà beaucoup le comprendre, réduire ce qu'il pouvait avoir comme insolite41(*).

Quelle est la signification de l'espace dans The Pickup ? Compte tenu de la difficulté à cerner la notion d'espace narratif, je m'appuie sur la conception de l'espace d'après Bourneuf et Ouellet pour apporter une réponse à cette question. En effet, ces deux théoriciens ont l'avantage de donner une définition de l'espace narratif qui tient compte de sa double signification :

si on cherche la fréquence, le rythme, l'ordre et surtout la raison des changements de lieu dans un roman, on découvre à quel point ils importent pour assurer au récit à la fois son unité et son mouvement42(*).

L'espace n'est donc pas seulement un élément statique, mais aussi dynamique. Il est dynamique en ce sens qu'il livre des informations importantes sur les personnages. Voilà qui justifie pourquoi, parlant d'espace ici, j'opte pour l'étude de l'itinéraire de Musa et de Julie, les deux personnages principaux de The Pickup.

I.1.1 L'itinéraire de Musa

Ibrahim Ibn Musa a d'abord été en Allemagne et en Angleterre avant de se retrouver en Afrique du Sud où il apparaît au début du roman. C'est à travers une analepse que le narrateur présente cet état de chose chez Musa :

The uncle's house has everything to the limit of the material ambitions that are possible to fulfil in this place, if his nephew, entering, needs to be reminded of this, which is always with him, implacable warning that prods and pierces him, flays him to rouse the will to carry on washing dishes in a London restaurant, swabbing the floors of drunken vomit in a Berlin beer hall, lying under trucks and cars round the block from the El-Ay café and emerging to take the opportunity (...) to become the lover of one of those who have everything... (P. 128).

L'Afrique du Sud n'est donc qu'une étape dans l'itinéraire de Musa. À Londres, il a pratiqué la plonge dans un restaurant. En Allemagne, il a exercé comme garçon de ménage dans un bar. En Afrique du Sud où il se trouve dès les premières pages du roman, il exerce comme mécanicien dans un garage où il vit en même temps. Comme le pseudonyme Abdu qu'il porte, ce garage lui sert de refuge contre la vigilance de la police d'Afrique du Sud. Car il est un immigré clandestin, son visa ayant expiré depuis longtemps. Musa est néanmoins repéré malgré son ingéniosité à esquiver la police. Il est alors menacé de rapatriement dans son pays d'origine :

The document (...) had come to the notice of the Department of Home Affairs that (his real name) was living at the above address under the alias (the name the grease-monkey answered to) in contravention of the termination of his permit of such-and-section of law) and he was therefore duly informed that he must depart within 14 days or face charges and deportation to his country of origin (P. 52).

Les pistes que Musa emprunte pour échapper à la rapatriation débouchent toutes sur un échec. L'avocat Motsamaï qu'il rencontre grâce à Julie pour le soutenir condamne plutôt Musa comme on peut le remarquer ici :

There you are. Ah-heh... you were ordered to leave one year and more than five months ago, you - disappeared - you stayed on in contravention of the law, you managed to evade the law, you made yourself guilty of transgression of the Immigration Act, you defied Home Affairs (P. 78).

Musa atterrit alors dans son pays accompagné de Julie qui est devenue son épouse légale peu avant leur départ de l'Afrique du Sud. Dans son pays, Musa n'est jamais tranquille dans son esprit. Il est toujours à la capitale, loin de son village, à la recherche de visas pour les pays occidentaux : often he was away all day. He left early, for the capital (P. 134). À la question de savoir la finalité de ses répétitives sorties matinales, Musa répond à Julie : I started right away to get us out of here (P. 140). Musa sollicite tour à tour la Nouvelle Zélande, le Canada, l'Australie et les USA.

Sa mère qui refuse sa prochaine émigration suggère à son frère, l'oncle Yaqub de faire de Musa son prochain héritier. Musa décline l'offre et préfère s'exiler aux USA:

No-one in this village, in this place, has anything to do with why I cannot accept the offer you have honoured me with, uncle Yaqub. I do not have any interest in the government. It is not going to govern me. I am going to America (P. 190).

Musa émigre ainsi une quatrième fois pour les USA, à la fin du roman. Il abandonne sa famille, son épouse et tout ce qu'on lui propose dans son pays, leur préférant l'incertitude et des conditions de vie difficiles. Musa y va sachant très bien les difficultés que les migrants endurent dans les pays d'immigration, surtout à l'arrivée comme il l'explique à Julie : 

You don't understand what it is like come in a country like I do. I have done - how many times? Even legal. It's hard, nothing is nice, at the beginning, Julie. Without proper money to live, you are a stray dog, a rat finding its hole as the way to get in (P. 227).

Ces connaissances sur l'immigration n'entament aucunement son obsession à partir. C'est même comme si, elles stimulaient son désir de partir. Musa est donc un personnage dont les structures mentales fonctionnent à l'envers.

L'itinéraire de Musa à travers les espaces dans The Pickup est révélateur de la nature de sa psychologie. Musa rejette tout ce qui lui appartient par nature. Mais il est obsédé par ce qui est extérieur à son pays. Musa se renie et préfère s'identifier à l'Europe ou à ce qu'il appelle The Christian world ; the West -P. 160). Seulement, sa métamorphose comme dirait Cheikh Hamidou Kane43(*), ne s'achève pas ou ne se réalise pas. Toutes les fois qu'il a l'opportunité de se retrouver en Europe, il est réduit aux tâches ingrates. L'Europe se ferme à Musa ou l'accepte dans le strict but de l'utiliser à l'avantage exclusif des Européens. Mais bien que Musa ait expérimenté cela plus d'une fois, il éprouve toujours l'opiniâtre désir de recommencer l'aventure.

À cet égard, Musa est représentatif d'une personne manipulée par autrui. Autrui, comme dirait Philippe Breton est entré en effraction dans l'esprit de Musa pour y déposer une opinion ou provoquer un comportement sans qu'il ne sache qu'il y a eu effraction. Le reniement de soi qui caractérise Musa rejoint la finalité de la manipulation d'après Breton :

La manipulation, affirme-t-il dépossède l'homme de lui-même. Elle en fait le jouet d'autrui. Elle brise insidieusement sa conscience pour en récompenser une autre, qui ne lui ressemble plus44(*).

On peut ainsi identifier Musa comme un prototype du produit humain de l'entreprise coloniale. Musa correspond en effet au profil du « nous » dont parlent R. Confiant et al., lorsqu'ils écrivent :

l'histoire de la colonisation que nous avons prise pour la nôtre a aggravé notre déperdition, notre autodénigrement, favorisé l'extériorité, nourri la dorade du présent. Dedans cette fausse mémoire nous n'avions pour mémoire qu'un lot d'obscurité. Un sentiment de chair discontinue45(*).

Musa est sinon illustratif de la profondeur du détournement psychologique que l'autre peut imposer à autrui pour asseoir ou cimenter sa puissance, du moins représentatif des conséquences de la colonisation sur le colonisé. Par ailleurs, la représentativité de Musa pour les deux orientations ci-dessus se légitime lorsqu'on prend en considération la signification que Gordimer donne à sa fiction : En ce qui me concerne, j'ai dit que ma fiction sera toujours plus vraie que tout ce que je pourrai dire ou écrire de factuel 46(*).

C'est dire qu'il y a lieu de lire les migrations répétées de Musa comme déterminées par un complexe que la colonisation lui a imposé. Son pays vient d'ailleurs de se départir de la colonisation comme le reconnaît l'oncle Yaqub : There are no foreigners from Europe flying flags over our land any longer (P. 189).

I.1.2 L'itinéraire de Julie

L'itinéraire de Julie est déterminé par sa relation avec le groupe social auquel elle appartient en Afrique du Sud. Le symbole le plus significatif de ce groupe social est le domicile de son père. C'est un univers hautement bourgeois. Sa localisation dans une banlieue, retirée du vacarme des villes sud-africaines et la somptuosité de son décor intérieur constituent les éléments les plus expressifs de cet univers. L'extrait suivant donne une idée de ce cadre:

a cool terrace opening from a living room that leads through archways to other reception rooms of undefined function (to accommodate parties ?) and the cushioned chaises longues and flower arrangements are an extension rather than a break from the formal comforts, mirrored bouquets and paintings in the rooms (P. 40).

Ce cadre imposant ressemble aux somptueuses villas appartenant aux hommes riches de la société. Ces villas s'excluent des milieux bruyants et mondains où la promiscuité est partout présente. 

L'univers du père de Julie se singularise aussi par son rejet systématique des pauvres à l'instar de Musa. Lors d'un rassemblement auquel elle prend part chez son père, le narrateur relève le rejet dont Musa est l'objet pour l'univers du père de Julie au-delà du commentaire qu'il fait de Julie :

 

Sitting among the gathering Julie is seeing the couple (un couple blanc invité par le père de Julie) as those - her fathers kind of people - who may move about the world welcome everywhere, as they please, while someone (Musa) has to live disguised as a grease-monkey without a name  (P. 49).

Ainsi, cet univers se ferme aux souffrances et misères de Musa en Afrique du Sud parce qu'il ne l'accepte pas comme un des leurs. Il stigmatise ainsi Musa. Cet univers est construit sur le même principe d'exclusion que celui qui sous-tend la culture occidentale hégémonique qu'Edward Said a étudiée dans Culture and Imperialism. Said écrit à propos:

 culture is a concept that includes a refining and elevating element, each society's reservoir of the best that has been known and thought as Matthew Arnold put it in the 1860s. Arnold believed that culture palliates, if it does not altogether neutralize, ravages of a modern, aggressive, mercantile, and brutalizing urban existence. You read Dante or Shakespeare in order to keep up with the best that was thought and known, and also to see yourself, your people, society, and tradition in their best lights (...) culture conceived in this way can become a protective enclosure: check your politics at the door before you enter it47(*)

À la suite de Said, on pourrait dire que la condition pour que Musa soit accepté dans le groupe du père de Julie est qu'il s'accepte subalterne. C'est pourquoi ce groupe social est favorable à la marginalisation ou à l'exploitation de Musa. Dans le garage où il vit et travaille, Musa est exploité ainsi qu'on peut le constater :

 The garage employs him illegally, «black», yes that's the word they use. It's cheap for the owner; he doesn't pay accident insurance, pension and medical aid (P. 17).

Il convient de préciser que le propriétaire de ce garage épouse les mêmes idées que le père de Julie. Ceci est d'autant vrai que comme le père de Julie, il refuse la relation amoureuse entre Julie et Musa :

For your own good, you're a nice girl, a somebody, I can see. He's not for you. He's not really even allowed to be in the country. I give him a job, poor devil  (P. 32),

rappelle-t-il à Julie lorsque cette dernière le rencontre par hasard dans ce garage. Pour marquer son refus de s'identifier à l'univers de cet homme, Julie le qualifie de one of them (P. 63).

À l'univers de son père, Julie préfère les dépendances pour domestiques:

she did not live in the suburbs, where she had grown up, but in a series of backyard cottages adapted from servant's quarters or in modest apartments of the kind they favoured, or had to being unable to afford anything better (P. 8).

Lorsqu'elle n'est pas dans son appartement, elle est soit à El-Ay café soit chez son oncle Archie. El-Ay café est davantage un symbole qu'un simple microscome :

El-Ay. Whoever owned the café thought the chosen name offered the inspiration of an imagined life-style to habitués, matching it with their own, probably he confused Los Angeles with San Francisco. The name of his café was a statement. A place for the young; but also one where old survivors of the quarter's past, ageing Hippies and Leftist Jews, grandfathers and grandmothers of the 1920s immigration who had not become prosperous bourgeois, could sit over a single coffee. (P. 5)

Vue de cette manière, El-Ay café s'impose comme une métaphore de la table de la fraternité dont parlait Martin Luther King:

Je rêve que un jour, sur les rouges collines de Georgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité 48(*).

Ce n'est d'ailleurs pas fortuit si parfois la dénomination El-Ay café est remplacée par "The Table" dans The Pickup. Julie aime y aller parce que le credo en vigueur dans ce microscome convient à sa personnalité. Ce credo est le suivant: whatever you do, love, whatever happens, hits you, mate, bra, that's all right with me (P. 23). El-Ay café est donc un lieu où s'incarnent l'amour et la fraternité entre toutes sortes de personnes. Cette particularité de El-Ay café se retrouve aussi dans la clinique de l'oncle Archie. C'est une clinique qui emploie toutes catégories de femmes comme on peut le constater :

 The bejewelled hands of his Indian receptionist note any change of address of the habituée patient greeted once again. There is a bustle of several nurses with motherly big backsides, Afrikaner and black, calling back and forth to one another, who receive for urine tests the wafers peed upon by the patient in the privacy of a blue-tiled bathroom where a vase of living flowers always stands on the toilet tank (P. 66).

C'est pour cette raison que Julie préfère son oncle à son père: If she could have chosen a father, then it would have been him. It still would be (P. 67). Ne pouvant plus faire face au radicalisme du Ministère des Affaires Intérieures concernant le rapatriement de Musa, Julie émigre vers le pays de Musa, abandonnant définitivement l'Afrique du Sud et donc l'univers de son père.

Dans le pays de Musa, Julie est impressionnée de prime abord par la solidarité qui se dégage du comportement des frères et parents de Musa. Chacun contribue volontiers à l'aménagement du jeune couple en provenance de l'Afrique du Sud, dans le domicile familial de Musa :

The house - its face, facade - she could be aware of only peripherally behind the excited assembly, the carrying of the elegant suitcase, canvas bag and bundles snatched by various hands taking charge (P. 119).

Le domicile familial de Musa est un cadre modeste qui se distingue par la solidarité qui anime ses habitants. Pour cette raison, il est comparable à El-Ay café, bien que situé à des milliers de kilomètres plus loin. Le narrateur traduit la similitude dans l'esprit qui habite ces deux microcosmes en ces termes :

 people sat round small tables on the carpet and cushions and ate the way Ibrahim had given up, in the company of the Table, agilely with their fingers  (P. 120).

Dès son arrivée dans le pays de Musa, Julie fait face à l'aggravation des illusions de Musa sur lui-même et sur son propre pays. Dès les premiers jours, Musa se montre troublé, perplexe et furieux en même temps. Il a honte de se révéler à Julie tel qu'il est :

 He was angry - with this house, this village, these his people, to have to tell her other unacceptable things, tell her once and for all what her ignorant obstinacy of coming with him to this place means, when she failed, with all her privilege, at getting him accepted in hers  (P. 122).

Tandis que Musa exige qu'ils communiquent exclusivement en Anglais, we must talk English (P. 152), Julie désire plutôt apprendre la langue arabe. D'après elle, cette langue lui permettrait de s'intégrer facilement dans le pays de Musa :

Why sit among this people as a deaf-mute? Always the foreigner where she ate from the communal dish, a closeness that the Table at the distant El-Ay café aimed to emulate far from any biological family (P. 143).

C'est ainsi que Julie se lance dans l'apprentissage de la langue arabe en se faisant aider par Maryam, la jeune soeur de Musa.

Julie va régulièrement seule au désert contre le gré de Musa. Elle évite même de lui faire part de sa fréquentation du désert : He did not know of her hours with the desert ; she didn't tell him, because he avoided, ignored, shunned the desert (P. 173) Julie y découvre, à sa grande surprise une jeune bedoine cherchant un pâturage pour son troupeau de moutons:

 The sands are immobile. She tried to think it was like gazing out of the window of a plane into space, but then there is always a wisp of cloud that comes across and creates scale. After a while there was an objection - objects - which quickly drew into focus, black marks, spots before the eyes? And as they grew became a woman enveloped in black herding a small straggle of goats. She came only near enough into vision for a staff she was wielding to be made out, taking her goats in another direction. In search of pasture. Here? (P. 167-68).

Une autre fois, c'est la vie qu'elle découvre au milieu du désert qui l'impressionne. Cette fois là, elle va visiter la rizière de l'ami du père de Musa accompagnée de Maryam et du père de Musa :

She was gazing in concentrated distraction on what was suddenly there before her with its own drawn close limit of horizon and dazzling density, man-high, what seemed to be meshed slender silky needs, green, green. A kind of wooden walkway offered itself, dank water glancing between planks, and she turned away from the others and took it. The intoxication of green she entered was audible as well as visual, the twittering susurration of a great company of birds clinging, woven into the green as they fed; their tremble, balance, sway, passing through it continuously like rippling breeze, a pitch of song as activity, activity as song, filled her head. The desert is mute; in the middle of the desert there is this, the infinite articulacy; pure sound. Where else could that be? (P. 210-11).

Dès lors que Julie découvre qu'il est possible de pratiquer l'agriculture dans le pays de Musa, elle désire s'acheter une parcelle de terre afin de cultiver du riz, de la patate, de la tomate, du haricot ou des oignons (P. 212). Ce désir rencontre la ferme opposition de Musa : You want to buy a rice concession ! You ! What for ? (...) Julie, we do not live here ! (P. 215-16).

La tension entre Julie et Musa se radicalise à partir du moment où Julie décide de s'établir dans le pays de Musa. À la proposition de partir aux USA que lui fait Musa, Julie réagit par la négative : I'm not going back there. I don't belong there, (...) I'm staying here (P. 252-53) Musa émigre seul pour les USA et Julie reste dans le pays de Musa.

À travers les espaces que Julie fréquente dans The Pickup, on se fait aisément une idée de sa personnalité. Julie se pose en s'opposant aux us et coutumes de son groupe social. Elle s'insurge contre la fermeture de cette classe aux souffrances et aux peines des pauvres. Cette classe qui participe explicitement ou implicitement sinon à la subalternéisation du moins aux malheurs de l'autre. C'est pourquoi elle se sépare de ce groupe social, se solidarise avec la convivialité et le partage de El-Ay café, embrasse Musa, l'épouse jusqu'à émigrer avec lui vers son pays pour s'y établir. Par sa séparation d'avec sa classe sociale et par son établissement dans le pays de Musa, Julie établit une corrélation entre son groupe social et la honte de soi dont fait montre Musa. Julie s'insurge contre la honte de soi chez Musa et contre les us et coutumes du groupe de son père comme pour souligner le fait que leurs conduites reposent sur des pathologies de même nature. Tout se passe comme si Julie reprenait la thèse de Fanon au sujet des complexes entre le Blanc et le Noir pendant l'époque coloniale. Fanon écrivait alors que :

le Nègre esclave de son infériorité, le Blanc esclave de sa supériorité, se comportent tous deux selon une ligne d'orientation névrotique »49(*).

Dans la perspective de Julie, Musa peut être considéré comme le Noir et le père de Julie ou tous ses amis comme le Blanc. Julie comme Fanon refuse les complexes dans les relations entre les hommes.

L'itinéraire de ces deux personnages montre à quel point Musa est représentatif du sujet colonisé. Il est un sujet qui s'est convaincu de ce que l'Europe a raison de faire de lui ce qu'il est : un subalterne. Julie quant à elle s'affirme comme une résistante autant à l'assimilation à l'Europe qu'à l'idée de supériorité de l'Europe dont l'univers de son père peut tenir lieu de symbole.

L'itinéraire de ces personnages est indissociable de la migration. Musa quitte son pays quatre fois de suite pour l'Angleterre, l'Allemagne puis l'Afrique du Sud et enfin pour les USA. Julie quitte d'abord son milieu en Afrique du Sud puis l'Afrique du sud pour le pays de Musa. Les raisons qui poussent ces personnages à la migration sont inversement les mêmes. Musa quitte son pays parce qu'une force a pris possession de lui, l'a dénaturé au point de le convaincre que son pays est un enfer. Il convient de souligner que par ses multiples migrations, Musa traduit ses convictions selon lesquelles l'Europe constitue le Paradis tandis que son pays constitue la géhenne. Il huile le mécanisme qui produit physiquement le centre et la périphérie dans la perspective de la théorie postcoloniale.

Julie quitte son pays parce qu'elle refuse l'aspiration à inférioriser l'autre qui caractérise son groupe social. Elle refuse que les groupes humains correspondent à la configuration dominant/dominé. Le narrateur le reconnaît d'ailleurs lorsqu'il affirme:

 In an anthology of poetry were the lines that expressed what she was aware of in herself: whoever embraces a woman is Adam. The woman is Eve. Everything happens for the first time. (...) Praise be the love wherein there is no possessor and no possessed but both surrender (P. 28).

Avec sa migration, Julie dévoile la corrélation entre le groupe dominant et le groupe dominé dont Musa n'est qu'un symbole. Sa migration traduit sa volonté de détruire ou de déconstruire la logique de domination qui régit le groupe dominant et le groupe dominé dans le but de jeter entre ces groupes le pont de l'amour et de la solidarité. Dans leurs quêtes respectives, Musa et Julie rencontrent sans doute des obstacles ou bénéficient des aides de la part d'autres personnages.

I.2 LES PERSONNAGES

Dans un article intitulé « Analyse structurale des récits », Roland Barthes souligne l'importance des personnages dans les récits lorsqu'il fait observer qu'il n'existe pas un seul récit au monde sans personnages50(*). Yves Reuter affirme pour sa part que d'une certaine façon, toute histoire est histoire des personnages51(*). C'est dans cette optique que Philippe Hamon définit le personnage comme :

une métaphore de cohérence du texte d'une part et d'autre part, une résultante, le point modal anthropomorphe où se recompose, dans la mémoire du lecteur et à la dernière ligne du texte, une série d'informations échelonnées52(*).

C'est dire qu'en considérant la manière dont les personnages sont organisés dans le roman, il est possible de parvenir à la signification de ce roman. Je m'appuie sur la notion d'action narrative développée par Bourneuf et Ouellet pour étudier l'organisation des personnages dans The Pickup. Il s'agit ainsi d'étudier

le jeu des forces opposées ou convergentes en présence (...) chaque moment de l'action constitue une situation conflictuelle où les personnages se poursuivent, s'allient ou s'affrontent 53(*).

I.2.1 L'organisation des personnages

Les personnages sont organisés dans The Pickup à la manière de ceux du Ventre de l'Atlantique54(*) de Fatou Diome. La différence avec le roman de Fatou Diome est cependant que le personnage de Julie n'a point d'équivalent parmi les personnages du Ventre de l'Atlantique. En effet, il y a chez Gordimer comme chez Diome avec Madické, des personnages qui s'opposent à la migration de Musa et ceux qui sont favorables à celle-ci.

Le propriétaire du garage où Musa vit et travaille en Afrique du Sud considère Musa comme un être inférieur à exploiter. Pour ce propriétaire de garage, il est hors de question que Musa soit traité comme une personne qui a besoin d'affection, de liberté, d'égalité ou de fraternité en Afrique du Sud. Il suffit que Musa se conforme au principe selon lequel The only way to get into countries that don't want you is as a manual labourer or Mafia  (P ; 15) pour que sa migration soit acceptée. C'est pourquoi ce propriétaire de garage tire profit de l'irrégularité de Musa en Afrique du Sud, l'asservit et lui refuse la possibilité d'être propriétaire de quoi que ce soit. C'est du moins ce que Musa affirme à Julie dans l'extrait suivant :

 even this I'm wearing, this dirt, even a shed, a corner in the street to sleep in, that's his, not mine... Whatever I have is his (...) you, your father's daughter are his, not mine (P. 63).

Compte tenu de ce que le propriétaire de ce garage épouse les mêmes idées que le père de Julie, on peut conclure que c'est le groupe du père de Julie qui s'oppose à la migration de Musa au plan humain. Mais dans son pays, d'autres personnages s'opposent aussi à son émigration. C'est par exemple le cas de sa mère. Celle-ci refuse de le dénoncer bien que, sachant que Musa a transgressé avec Julie l'interdit d'avoir des rapports sexuels en plein ramadan :

 How would her son be dealt with by the men of the family (...) But she knew what would happen. Ibrahim would not take disgrace from anyone here, such edicts were bearings cast loose, their authority over sons lost in the alien authority of exile, emigration - that she knew (P. 153).

Parmi les personnages favorables à la migration de Musa, on compte les jeunes avec qui il passe le plus de temps dans son village. Ceux-ci le considèrent comme une référence en ce sens qu'ils estiment que sa migration ou ses émigrations lui confèrent une certaine omniscience. C'est du moins l'idée qui se dégage des propos d'un de ces jeunes lorsqu'il déclare :

Any kind of isolation can't stand a chance with what's happening in the world, ask Ibrahim, technological revolution already here while we're just talking, talking... !  (P. 177).

Musa apparaît ici comme une référence. C'est aussi de cette manière que certains voisins et jeunes enfants le considèrent, au regard de sa prochaine émigration vers les USA. Pour ces derniers, Musa constitue l'incarnation de la réussite parce qu'il a pu obtenir le visa pour les USA :

Neighbours come to see off the lucky one bound for America (...) children ran to him to touch the great adventure, the achievement that is emigration, not understood but sensed (P. 266)

Julie n'est pas contre la migration de Musa comme Salie avec Madické dans Le Ventre de l'Atlantique. Elle est davantage contre le pouvoir qui contraint Musa à mettre en scène ses migrations répétées. Julie ne s'oppose pas à proprement parler à la migration de Musa parce qu'elle soutient Musa en Afrique du Sud. Julie est davantage contre le pouvoir dont Musa n'est qu'une proie parce qu'elle rejette la fermeture de l'univers de son père aux pauvres comme elle rejette la honte que Musa fait valoir au sujet de son propre pays. Dans sa quête identitaire, Julie est aidée par ses amis de El-Ay café, par son oncle Archie et par Maryam pour ne se limiter qu'à ceux-là.

Les amis de El-Ay café lui prodiguent des conseils et lui procurent la joie de vivre qui manque cruellement dans l'univers de son père. C'est aussi ce que fait l'oncle Archie. Maryam lui permet de s'intégrer facilement dans le pays de Musa. Elle enseigne à Julie la langue arabe, l'accompagne dans le désert où Julie découvre qu'il est possible de pratiquer l'agriculture et l'élevage dans le pays de Musa.

Julie se heurte à la rigide opposition de son père, du propriétaire du garage où Musa vit et travaille en Afrique du Sud. Elle se heurte également à l'opposition de Musa. L'illustration de l'opposition de Musa à la quête de Julie est contenue dans la réaction de Musa suite à la décision de Julie. Julie a en effet décidé d'acheter deux billets d'avion afin qu'ils retournent dans le pays de Musa :

 Who asked you to buy two tickets. You said nothing to me. Don't you think you must discuss? No, you are used to making all decisions, you do what you like, no father, no mother, nobody must ever tell you. And me - What am I, don't speak to me, don't ask me, you cannot leave in my country, it's not for you, you can't understand what it is to live there, you can wish you were dead, if you have to live there. Can't you understand? (P. 95).

Musa tient ici quasiment les mêmes propos que ceux du propriétaire du garage en Afrique du Sud55(*) ou ceux du père de Julie au sujet du départ de Julie : What more can I say : you choose to go to hell in your own way (P. 98).

Au regard de l'opposition à laquelle Julie se heurte devant Musa, on peut conclure que cette opposition s'explique par la représentation qu'il a de Julie. Cette représentation confère à Musa le pouvoir de dissuasion, ou de persuasion que ce dernier déploie en direction de Julie. La logique de Musa peut ainsi servir d'illustration à la théorisation que John Beverley fait de la représentation :

 Power is related to representation: which representations have cognitive authority or can secure hegemony, which do not have authority or are not hegemonic 56(*)

C'est à ce titre que Musa peut être considéré comme un personnage symbolique pour l'aventure de la représentation dans le monde. Fanon parle de l'aventure spirituelle57(*) pour désigner la même chose.

I.2.2 La fonction des personnages

Claude Bremond définit la fonction d'un personnage non seulement par une action, mais par la mise en relation d'un personnage-sujet. Selon lui, la structure du récit repose, non sur une séquence d'actions, mais sur un agencement de rôles58(*). C'est dire que les personnages dans les récits sont importants en ce sens qu'ils ne jouent que des rôles, c'est-à-dire que, comme dans le théâtre, ils ne sont que des prétextes pour amener le lecteur à réfléchir sur la réalité.

Pour étudier les fonctions des personnages dans The Pickup, je m'appuierai sur les analyses de Philippe Hamon qui distingue trois types de personnages : Les personnages - référentiels ou personnages historiques qui servent d'ancrage et assurent ce que Roland Barthes appelle « l'effet du réel »59(*) ; les personnages - embrayeurs qui apparaissent comme les porte-parole et les personnages - anaphores ou personnages prédicateurs, doués de mémoire.

Dans The Pickup, les personnages référentiels sont ceux évoqués dans le récit à l'instar de Youssou N'dour, Salif Keita, Brenda Fassie, Hugh Masekela et Bob Marley. Ces grandes vedettes de la musique internationale constituent des références pour Julie. Elle les considère comme des modèles parce qu'ils se sont fait accepter de par le monde sans user de la violence ou la domination. C'est la raison pour laquelle Julie garde précieusement les CDs de ces vedettes chez elle tel que le remarque Musa : You like to drive a second-hand car but you have first-class equipment for music (P. 20).

Ces personnages sont référentiels parce que leur évocation dans le récit permet au lecteur d'être situé par rapport au contexte de référence de The Pickup. Ce contexte est celui de la fin du XXe siècle et du XXIe siècle puisque ces vedettes vivent encore pour certaines. Il est davantage celui des peuples ayant connu la domination blanche. Il s'agit, pour ne se limiter qu'à la nationalité de ces vedettes, de la Jamaïque, du Mali, du Sénégal et de L'Afrique du Sud. Ainsi, The Pickup peut être considéré comme une contribution à la réflexion sur les défis qui sont ceux du présent et du futur. Dans cet ordre d'idée, The Pickup interpelle autant les peuples impérialistes que ceux autrefois colonisés ou ceux qui sont dominés par l'impérialisme blanc. C'est à Julie qu'il revient d'accomplir cette fonction interpellative. C'est pourquoi The pickup fait des vedettes ci-dessus des modèles chez Julie comme pour plaider pour la multiplication ou l'accroissement arithmétique de ces vedettes.

Les personnages embrayeurs sont Julie et Musa. Ces deux personnages jouent le rôle de porte parole de deux idéologies contraires. Dans cette perspective, Julie apparaît comme la voix qui indique les défis du siècle. Elle résiste en amont et en aval à l'impérialisme. Julie semble dire qu'on freinerait l'immigration clandestine comme celle de Musa en amenant le groupe dominant à rejeter le racisme et en convaincant le groupe dominé de se départir de son complexe d'infériorité. Elle correspond à cet égard au principe du décentrement cher à la théorie postcoloniale. C'est pourquoi elle s'ouvre à toutes catégories de personnes jusqu'à choisir de s'établir dans le pays de Musa.

Musa est victime d'une forme toute particulière d'impérialisme. La colonisation qui a pris fin dans son pays a laissé des séquelles fortement enracinées dans son imaginaire. À cause de la colonisation, Musa est devenu un être dont la capacité de résister à la domination du groupe dominant s'est transformée en désir d'accomplir la volonté du dominateur.

L'oncle Yaqub est un personnage analepse. Sa mémoire retrace l'époque de la colonisation blanche dans le pays de Musa comme nous l'avons vu plus loin.

L'oncle Yaqub prédit l'avenir en ce sens qu'il montre par sa réussite sociale dans le pays de Musa la voie que les jeunes devraient emprunter. Sa structure de maintenance automobile devrait servir aux jeunes d'exemple pour résister à la tentation de l'émigration vers l'Europe. Pour lui, la clef du succès réside dans l'entreprise personnelle. Il décrie ainsi le manque d'entreprise chez les jeunes du pays malgré les avantages ou les opportunités liés à leur époque :

 Government owes them everything. The Lord has given them what a man needs to live a good life in the faith, their families have educated them, they can marry and bring up children in security (...) what more do they want ? (...) The young men already have so much that we, their parents, never had. And why not? We are glad of it (...) What else is really worth having out there in the world of false gods? (P. 189).

L'oncle Yaqub est convaincu que c'est suite à la prise d'initiative par les jeunes que le pays pourra tourner le dos au sous-développement. Yaqub plaide pour la prise en charge endogène des problèmes locaux. C'est cette approche qui atténuera efficacement l'émigration des jeunes vers l'Europe.

De l'organisation des personnages, on retient que ceux-ci sont organisés autour des personnages centraux : Julie et Musa. Leurs fonctions respectives poussent à conclure que la migration et la représentation constituent des préoccupations essentielles dans The Pickup. Ceci étant, il reste maintenant à étudier l'instance narrative de laquelle le lecteur tire toutes les informations jusqu'ici dégagées.

I.3 LA PERSPECTIVE NARRATIVE

Françoise Van Rossum-Guyon et Gérard Genette se sont intéressés à la question de la perspective narrative. Elle désigne selon Genette, ce mode de régulation de l'information qui procède du choix (ou non) d'un "point de vue" restrictif 60(*). Dans le même ordre d'idée, F. Van Rossum-Guyon affirme que dans un roman, ce qu'on nous raconte, c'est toujours aussi quelqu'un qui se raconte et qui nous raconte61(*). Dans cet exercice, parler de la perspective narrative revient à se poser les questions que soulève Genette, à savoir qui voit et qui parle?62(*) Il s'agira, à propos de The Pickup d'étudier la position du narrateur et son identité dans l'histoire qu'il raconte.

I.3.1 L'identité du narrateur

Tzvetan Todorov63(*) a déterminé trois focalisations ou foyers narratifs dans les récits. La première correspond à la formule du narrateur >personnage. Le narrateur ici en sait plus que le personnage. La seconde focalisation correspond à la formule du narrateur = personnage. Dans ce cas de figure, le narrateur ne dit que ce que sait tel personnage. La dernière focalisation est symbolisée par la formule narrateur < personnage. Le narrateur ici, en dit moins que n'en sait le personnage. Ces trois focalisations permettent d'étudier la personnalité ou l'identité que le narrateur revendique dans le récit. Je m'emploierai à étudier l'identité du narrateur compte tenu des espaces à partir desquels il voit ce qu'il raconte.

Au début du roman, le narrateur voit tout ce qu'il raconte à partir de l'Afrique du Sud. La page qui introduit le récit révèle que le narrateur se trouve dans une rue ; une rue bruyante à cause des klaxons de voitures suite à l'encombrement que cause la voiture de Julie qui vient de tomber en panne au milieu de cette rue.

À la station suivante, le narrateur manifeste sa présence à El-Ay café où Julie va s'informer sur l'existence ou non d'un garage dans les environs. Ensuite, le narrateur est dans le garage où Julie rencontre Musa, alias Abdu, puis de nouveau à El-Ay café. Au fur et à mesure que les jours passent, le narrateur change de position entre le domicile de Julie où Musa vit peu après avoir rencontré celle-ci, le garage où il travaille et El-Ay café. Le narrateur s'invite par la suite tour à tour dans le domicile du père de Julie, chez l'avocat Motsamai, chez l'oncle Archie où Julie va régulièrement. Toutefois, El-Ay café apparaît comme une station dans laquelle la présence du narrateur est assez fréquente, compte tenu de ce que Julie y est très souvent. Enfin, le narrateur émigre lui aussi comme le font Musa et Julie vers le pays de Musa.

Dans ce pays, le narrateur continue de se mouvoir d'un lieu à l'autre. Il est à l'aéroport où Musa et Julie ont atterri, puis dans le restaurant où le couple se désaltère. Il est dans la voiture qui conduit le couple de la capitale jusqu'au terminus, situé dans le village de Musa, à des kilomètres du domicile familial de ce dernier. Il est ensuite dans la voiture de l'oncle Yaqub qui conduit à son tour le couple du terminus jusqu'au domicile familial de Musa. Enfin, le narrateur s'invite dans tous les espaces que Julie et Musa (seuls ou ensemble) fréquentent dans ce village. Il quitte même le village pour assister Musa dans la capitale du pays où il va pour chercher des visas pour les pays européens. Grâce à une analepse, le narrateur révèle le séjour de Musa en Europe. Il a été en Allemagne et en Angleterre où il est allé avant d'émigrer vers l'Afrique du Sud ou vers les USA où il se dirige à la fin du roman.

Tout se passe comme si la nécessité d'un narrateur dans The Pickup dépendait exclusivement de ce que font ou disent les personnages Musa et Julie. Devant une telle situation, il est difficile d'éviter la conclusion que le narrateur se veut le témoin de ce qu'il raconte. Ce narrateur se fait un voyageur ou un migrant. Il veut ainsi indiquer que The Pickup porte essentiellement sur des phénomènes migratoires.

Il convient d'observer que dans sa mobilité, le narrateur s'arrange à être inférieur ou égal au personnage pour parler comme Todorov. C'est comme si le narrateur voulait que le lecteur considère ses personnages comme des êtres vivants existant par eux-mêmes et non simplement comme des êtres de papier64(*) ; c'est-à-dire des êtres dénaturés par leur jugement ou leur évaluation dans le récit par le narrateur. Il y a de la part du narrateur un effort pour se mettre au même plan que ses personnages. Cet état de chose enlève au roman son caractère de fiction et renforce l'idée que ce roman peut être considéré comme un document.

I.3.2 La position du narrateur

Sur la question : qui parle ? The Pickup se veut hermétique. En effet, le narrateur et les personnages y ont tous droit à la parole. Du point de vue des sentiments, le narrateur est très proche de ses personnages. Les personnages et le narrateur sont sur ce plan interchangeables. Ceci autorise dans The Pickup que le narrateur prenne la parole pour parler à son propre compte ou au compte des personnages. Dans l'extrait qui suit, le narrateur parle par exemple à son propre compte :

clustered predators round a kill. It's a small car with a young woman inside it. The battery has failed and taxis, cars, minibuses, vans, motorcycles butt and challenge one another, reproach and curse her, a traffic mob mounting its own confusion (P. 3)

Des passages de cette nature sont légion dans The Pickup. Mais le narrateur parle aussi souvent au compte de Julie, de Musa ou d'autres personnages. C'est le cas par exemple dans l'extrait ci-après où le narrateur parle à la place de Julie :

It was awkward to walk beside him (Musa) through the streets with people dodging around them, but she did not like to walk ahead of the garage man as if he were some sort of servant (P. 7)

Ici, le narrateur se substitue à Julie car il rend compte du sentiment ou du point de vue de Julie : Julie refuse la relation maître/serviteur entre elle et Musa. Qu'en est-il de Musa?

 He named a country she (Julie) had barely heard of. One of those partitioned by colonial powers on their departure, or seceded from federations cobbled together to fill vacuums of powerlessness against the regrouping of those old colonial powers under acronyms that still brand-name the world for themselves. One of those countries you can't tell religion apart from politics, their forms of persecution from the persecution of poverty, as the reason for getting out and going wherever they'll let you in (P. 12).

Dans cet exemple, le narrateur se place dans la perspective de Musa pour exprimer comment ce dernier apprécie son propre pays. Il s'introduit dans la peau de Musa pour raconter.

C'est dire que ce narrateur assume les idées de ses personnages ou leurs positions sur certains faits. Cette situation n'est pas sans incidence sur la signification de The Pickup.

Le fait que le narrateur s'introduise dans la peau de ses personnages pour rendre compte de leurs points de vue sur certains faits, a pour incidence de multiplier dans The Pickup les manières de voir. Dans cette perspective, The Pickup devient un site où foisonnent diverses représentations. Mais le narrateur n'attribue pas ce statut à The Pickup de façon naïve. Dans sa manière d'exprimer ses idées, il fait ressortir de façon manifeste qu'il existe diverses manières de regarder un même objet, en l'occurrence Julie. Il le souligne d'ailleurs lui-même lorsqu'il parle de Julie en ces termes :

 there has been no description of this Julie, little indication of what she looks like, unless an individual's actions and words conjure a face and body. There is anyway, no description that is the description. Everyone who sees a face sees a different face - her father, Nigel Ackroyd Summers, his wife Danielle, her mother in California, remembering her, her contemporaries of The Table, the old unpublished poet; her lover (P. 93).

Au sujet de Julie, chaque personnage y va de ses propres critères d'appréciation. Par ce commentaire, le narrateur indique qu'il est aussi question des représentations dans son récit.

De l'étude de la perspective narrative, on note que le narrateur se déplace d'un pays à un autre pour raconter son histoire. La mobilité de ce narrateur est révélatrice de l'importance de la migration dans The Pickup. À travers ses introductions dans la peau de ses personnages, le narrateur met en évidence sa proximité avec ceux-ci. En outre, ces introductions ont pour effet de faire de The Pickup une espèce de scène où se déploient diverses représentations.

Ce chapitre liminaire repose sur l'hypothèse selon laquelle la fiction peut servir à l'investigation sur des phénomènes existentiels réels. Il s'agissait de considérer l'objet artistique que The Pickup constitue afin de vérifier qu'il

propose à son lecteur, d'un même mouvement, le plaisir du récit de fiction, et, tantôt de manière explicite, tantôt de manière implicite, un discours sur le monde65(*).

Il fallait pour cela interroger la fiction de Gordimer question d'exhumer les préoccupations existentielles abordées dans The Pickup. Nous avons sélectionné quelques catégories poétiques qui nous ont semblées pertinentes par rapport à cet objectif. Il s'agit de l'espace, des personnages et de la perspective narrative. De ce chapitre liminaire, il s'en dégage que The Pickup s'affirme comme un réservoir d'exemples et lieu d'illustration 66(*) de deux idéologies adverses articulées respectivement par Musa et Julie.

Musa expose les prolongements de la colonisation qui a eu cours dans son pays en suggérant que la migration de son pays vers l'Europe serait la seule issue pour être heureux. Musa est à cet égard promoteur de l'idéologie impérialiste contre laquelle Julie s'insurge. Julie résiste à l'impérialisme tant à la base qu'au sommet. A la base, elle suggère que la fermeture de son groupe social à l'autre favorie sinon sa domination du moins sa marginalisation. Au sommet, elle rejette les complexes d'infériorité qui fondent ou déterminent la conduite de Musa. Julie prône une idéologie du décentrement, du mélange, du partage ou de l'ouverture.

Dans l'adversité des deux idéologies qui se dégagent de The pickup, la migration joue un rôle particulier. Elle sert de scène d'exposition à ces deux idéologies. Compte tenu de cette spécificité de la migration, il y a lieu d'envisager une réflexion sur le pourquoi de ce double rôle de la migration dans The pickup. En effet, il semble que Gordimer procède de cette manière pour démonter les mécanismes de l'impérialisme et ses conséquences afin d'en suggérer les défis quant à son éviction définitive. Voilà qui me pousse à examiner les rapports entre représentation et migration dans The pickup.

CHAPITRE II

MIGRATION COMME CONSÉQUENCE

DE LA REPRÉSENTATION

Dans le chapitre précédent, nous avons parlé de Musa comme d'une victime de l'impérialisme occidental. Dans le présent chapitre, il est question de préciser pourquoi Musa est à considérer comme tel. En clair, je m'emploie ici à démontrer que les migrations répétées de Musa vers l'Occident sont la conséquence du catalyseur de l'impérialisme qui est la représentation. Ainsi peut-on se rendre compte que par les migrations répétées de Musa, The Pickup invite à remonter le cours de l'histoire du pays de ce dernier pour comprendre son passé. Car c'est ce passé qui montre que Musa n'est qu'une victime de l'impérialisme orchestré par l'Occident dans son pays. Cet impérialisme a fait de Musa sinon un subalterne, du moins un personnage convaincu que l'Occident est le cadre idéal pour son épanouissement. Autrement dit, si le pays de Musa n'avait pas subi l'impérialisme occidental, Musa n'aurait sans doute pas honte de son pays au point de vouloir s'en éloigner à tout prix. C'est du moins une hypothèse que je tente de vérifier ici.

Par rapport à mon hypothèse centrale, ce chapitre me permet de prouver que The Pickup traite de la question du subalterne. Je m'appuierai sur des travaux théoriques ayant été développés au sujet de la représentation dans le cadre de la théorie postcoloniale pour mener ma démonstration.

II.1 LA NOTION DE REPRÉSENTATION

Nombre de théoriciens du postcolonialisme s'accordent sur le fait que la caractéristique essentielle de la culture occidentale c'est son hégémonie. Sur ce sujet, Edward Said écrit dans L'orientalisme :

on peut soutenir que le trait essentiel de la culture européenne est précisément ce qui l'a rendue hégémonique en Europe et hors d'Europe : l'idée d'une identité européenne supérieure à tous les peuples et à toutes les cultures qui ne sont pas européens67(*)

Gayatri Charkravorty Spivak soutient la même thèse lorsqu'elle demande à l'Occident d'avoir des égards à l'endroit de la figure que Ranajit Guha considère comme représentative de toutes les victimes de l'hégémonie occidentale : le subalterne68(*). Spivak s'interroge en ces termes : can the subaltern speak ?69(*).

La représentation que les Européens ont projeté sur eux-mêmes et sur le reste du monde peut être considérée comme responsable de l'hégémonie qui caractérise la culture occidentale. C'est du moins ce qu'il s'agit de prouver à partir de mon étude de la notion de représentation. Il sera question d'étudier ses mécanismes et d'illustrer comment ses conséquences se manifestent dans The Pickup.

II.1.1 Le manichéisme

Le Dictionnaire Hachette de la langue française70(*) présente le manichéisme comme toute doctrine qui oppose le principe du bien et le principe du mal. C'est encore toute attitude qui oppose d'une manière absolue, souvent rigide et simpliste, le bien et le mal.

À la suite de ce dictionnaire, on peut affirmer que le manichéisme est une manière de concevoir la répartition des hommes, des groupes humains ou des cultures. Le manichéisme répartit les hommes, les groupes humains ou les cultures en deux catégories : ceux qui relèvent du bien et ceux qui relèvent du mal. L'aspect du manichéisme qui donne toute son importance à cette manière de concevoir le monde, se trouve dans la perception de l'antagonisme qui fonde les doctrines totalitaires. Todorov pense à cet effet que :

La division de l'humanité en deux parties mutuellement exclusives est essentielle pour les doctrines totalitaires. Il n'y a pas de place ici pour les positions neutres ; toute personne tiède est un adversaire, tout adversaire un ennemi. Réduisant la différence à l'opposition et cherchant ensuite à éliminer ceux qui l'incarnent, le totalitarisme nie radicalement l'altérité 71(*).

En favorisant la répartition de l'humanité à partir des catégories du bien et du mal, le manichéisme développe une logique de collision permanente. C'est cette collision permanente que Salman Rushdie s'est proposé de dénoncer en satirisant le manichéisme dans son célèbre roman intitulé Les versets sataniques. C'est du moins l'idée qui se dégage du sous-titre qu'il a donné à ce roman : La lutte éternelle du bien et du mal 72(*). Compris de cette manière, le manichéisme peut donc être considéré comme responsable des honneurs et des crimes qu'a connu l'humanité depuis toujours jusqu'à nos jours.

La représentation fonctionne quasiment de la même manière que le manichéisme. Tandis que le manichéisme tire sa légitimité de la dualité bien/mal, la représentation, elle tire la sienne de diverses séparations : supérieur/inférieur ; normal/anormal ; centre/périphérie ; fort/faible ; Nord/Sud. En outre, L'orientalisme et culture and imperialism d'Edward Said révèlent que la représentation s'articule généralement dans des discours au sens de Michel Foucault. C'est-à-dire  des objets que l'on dispose dans les registres du savoir à la manière de bataillons que l'on place de manière tactique, stratégique sur un champ de bataille 73(*).

Parce qu'elle prend forme à travers les discours que les uns tiennent sur eux-mêmes et sur les autres, la représentation acquiert une nature dynamique. En effet, elle devient une sorte d'objectif à atteindre. Dans L'Orientalisme, Edward Said montre en quoi, lorsque Benjamin Disraeli affirme :  l'orient est une carrière 74(*), ce dernier transforme cette dynamique de la représentation en réalité. Vue sous cet angle, la représentation devient le catalyseur du pouvoir, de la domination ou de l'impérialisme. Todorov ne dit pas autre chose lorsqu'il affirme que le concept est la première arme dans la soumission d'autrui75(*).

Le discours que l'Occident a tenu sur lui-même et sur le pays de Musa a rendu possible la domination de ce pays par l'Occident. Ce discours a permis aux Occidentaux de se convaincre du bien fondé ou de la nécessité de dominer le pays de Musa. C'est dire que la représentation légitime la domination du groupe se considérant comme supérieur sur le groupe considéré comme inférieur. C'est cette espèce de fardeau de l'homme blanc76(*) que le farouche défenseur de l'impérialisme français, Jules Harmand, expose lorsqu'il soutient que :

It is necessary, then, to accept as a principle and point of departure the fact that there is a hierarchy of races and civilization, and that we belong to the superior race and civilization, still recognizing that, while superiority confers rights, it imposes strict obligations in return. The basic legitimation of conquest over native peoples is the conviction of our superiority, not merely our mechanical, economic, and military superiority, but our moral superiority. Our dignity rests on that quality, and it underlies our right to direct the rest of humanity. Material power is nothing but a means to that end77(*).

C'est dire que la représentation peut être considérée comme un rite symbolique qui garantit dans la psychologie de son auteur la transformation de la violence ou de la domination en un devoir naturel, un droit légitime pour le groupe dominant. Les effets psychologiques de la représentation sur leurs auteurs font de ces derniers des êtres humains à la fois hégémoniques et créatifs.

II.1.3 L'hégémonie et la créativité

En légitimant la domination, la représentation assure la suprématie d'un groupe par rapport à un autre groupe humain. Autrement dit, la représentation assure l'hégémonie. Lorsque le philosophe allemand Hegel écrit :

l'Africain ne pense pas, ne réfléchit pas, ne raisonne pas, s'il peut s'en dispenser. Il a une mémoire prodigieuse. Il a de grands talents d'observation et d'imitation, beaucoup de facilité de parole (...) mais les facultés de raisonnement et d'invention restent en sommeil. Il saisit les circonstances actuellement présentes, s'y adapte et y pourvoit ; mais élaborer un plan sérieusement ou induire avec intelligence, c'est au-dessus de lui78(*),

il légitime la domination de son groupe sur l'Africain. En présentant l'Africain comme dépourvu de raisonnement et d'invention, Hegel indique aussi à son groupe un projet qui l'interpelle : celui de travailler à ce que l'Africain, tôt ou tard, corresponde effectivement à ce portrait. Cette description que Hegel fait de l'Africain suggère l'ambivalence de la représentation.

La représentation rend ses auteurs hégémoniques et créatifs. Elle les rend hégémoniques parce qu'elle légitime ou justifie la domination de ses auteurs sur les peuples prétendus inférieurs. La représentation les rend aussi créatifs parce qu'elle les oblige à inventer des méthodes, des moyens ou des techniques de domination, voire de les adapter en fonction des réactions imprévisibles du groupe prétendu inférieur. Dans L'orientalisme, Edward Said rapporte une scène qui illustre la créativité que la représentation impose à son auteur. La scène porte sur l'empereur français Bonaparte lors de sa conquête de l'Égypte en 1798. Celui-ci, convaincu de la supériorité des Français sur les Égyptiens a dû inventer une méthode ponctuelle pour soumettre les Égyptiens à sa domination. Said rapporte :

quand il devint évident pour Bonaparte que sa force était insuffisante pour s'imposer d'elle-même aux Égyptiens, il essaya de faire interpréter le coran en faveur de la grande armée par les imams, cadis, muftis et ulémas locaux. Dans ce but, les soixante ulémas qui enseignaient à l'Alzar furent invités à son quartier général, tous les honneurs militaires leur furent rendus, puis il leur fut permis d'être flattés par l'admiration de Bonaparte pour l'islam et Mahomet, par son évidente vénération pour le coran, qu'il paraissait connaître familièrement. Cela réussit, et il semble que toute la population du Caire ne tarda pas à perdre sa méfiance à l'égard des occupants79(*)

Pour Said, la représentation de l'Orient par l'Occident a contraint les Occidentaux à la créativité au point qu'ils ont développé des institutions, des traditions et des codes et s'en sont servis dans le but de rendre visible cet Orient jusque là virtuelle dans des discours que ces Occidentaux ont tenu sur l'Orient :

Que l'orientalisme ait le moindre sens dépend plus de l'Occident que de l'Orient, et l'on est directement redevable de ce sens à différentes techniques occidentales de représentation qui rendent l'Orient visible, clair, et qui font qu'il est « là » dans le discours qu'on tient à son sujet. Ces représentations s'appuient pour leurs effets sur des institutions, des traditions, des conventions, des codes d'intelligibilité, et non sur un Orient lointain et amorphe80(*).

À cause de la créativité qu'elle impose à ses auteurs, la représentation favorise la diversification des techniques de domination. Compte tenu de la caractérisation que nous avons faite de Musa dans le précédent chapitre, on peut retenir parmi ces techniques la colonisation et l'université. Elles sont toutes deux des techniques auxquelles l'Occident a eu recours sinon pour rendre manifeste la normalité de l'Occident et l'anormalité du pays de Musa du moins pour imposer à Musa sa vision manichéenne du monde. En substance, la colonisation et l'université ont servi à transmettre à Musa le regard qu'il pose respectivement sur l'Occident et sur son pays.

II.2 LES SOURCES DE LA REPRÉSENTATION CHEZ MUSA

Dans The Pickup, Musa s'émerveille de l'Occident. Il l'imagine comme un paradis sur terre: That is where the world is (P. 227). Mais son pays apparaît dans son imagination comme un espace maudit, habité par des damnés: There isn't hope in hell (...) no work, no development, what can you grow in desert, corrupt government (P. 14). Que Musa soit ainsi convaincu de ce que l'Occident serait le cadre idéal pour son épanouissement en comparaison avec son pays est une conséquence des conditionnements infériorisants que la colonisation a fait subir à son pays et que l'université continue de perpétuer après la colonisation.

II.2.1 La colonisation

Il n'existe pas de différence considérable entre le colonialisme et l'impérialisme. Edward Said partage le même avis lorsqu'il parle de ces deux concepts en ces termes :

Imperialism means the practice, the theory, and the attitudes of a dominating metropolitan center ruling a distant territory; colonialism which is almost always a consequence of imperialism is the implanting of settlements on distant territory81(*).

Ainsi, le colonialisme est une idéologie ou une politique de domination et d'exploitation des colonies par des colonisateurs ayant effectué le déplacement physique de leurs pays d'origine vers les colonies. De cette conception du colonialisme, on déduit que la colonisation est le processus consistant en la mise en oeuvre du colonialisme. Il va donc de soi que la colonisation ne peut être un processus doux et simple.

La colonisation affaiblit les personnes qui la subissent. Mais elle est multiplicatrice de pouvoir ou de puissance pour les hommes qui l'exécutent. C'est du moins la thèse qui se dégage de l'argumentation ci-après du penseur français Leroy-Beaulieu :

Une société colonise, quand, parvenue elle-même à un haut degré de maturité et de force, elle procrée, elle protège, elle place dans de bonnes conditions de développement et elle mène à la virilité une société nouvelle sortie de ses entrailles (...). La colonisation est la force d'expansion d'un peuple ; c'est son pouvoir de reproduction, c'est sa croissance et sa multiplication dans l'espace ; c'est la sujétion de l'univers ou d'une grande partie de l'univers à la langue, aux usages, aux idées et aux lois de ce peuple82(*)

La colonisation dénature les personnes qui la subissent en ce sens qu'elle fait germer dans leur psychologie ce que Fanon appelle l'arsenal complexuel83(*). Ainsi, la colonisation fait du colonisé un être convaincu de son infériorité en rapport au colonisateur, un être qui se néantise, bref un sujet manipulé. Au terme du processus colonial, le colonisé s'apparente mutantis mutandis au détenu ayant subi la méthode du panoptisme développé par Jeremy Bentham :

l'effet majeur du panoptisme : induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action ; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l'exerce ; bref que les détenus soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs84(*).

En d'autres termes, la colonisation fait du colonisé un corps docile85(*). C'est-à-dire un personnage utile pour la réalisation du rêve de puissance du colonisateur. Pour atteindre cet objectif, la colonisation s'est appuyée sur l'institution scolaire. Cheikh Hamidou Kane partage ce même avis lorsqu'il parle de la Grande Royale en ces termes : Derrière les canonnières, le regard clair de la Grande Royale des Diallobé avait vu l'école nouvelle86(*).

Mais la colonisation ayant pris fin dans le pays de Musa comme nous l'apprend l'oncle Yaqub : there are no foreigners from Europe flying flags over our land any longer (P. 189), le pays de Musa a hérité de l'université à laquelle elle a eu recours pour produire des « corps dociles ». Musa ayant fréquenté cette université post-coloniale, il importe que l'on s'y attarde.

II.2.2 L'université

Compte tenu du comportement de Musa, on peut conclure que l'université qu'il a fréquentée avait pour objectif de le déposséder de lui-même ; de faire de lui un subalterne. Musa est convaincu de son infériorité vis-à-vis des Occidentaux. Voilà pourquoi, malgré son diplôme d'université obtenu dans son pays, il trouve normal de pratiquer la plonge dans les restaurants et d'être agent d'entretien ou réparateur de voitures dans ce qu'il considère comme l'Occident. Eu égard aux métiers qu'il exerce en Europe, eu égard également à son illégalité en Afrique du Sud, on peut dire que Musa se satisfait de l'idée selon laquelle : The only way to get into countries that don't want you is as manual labourer or Mafia  (P. 15).

C'est dire que l'université qu'il a fréquentée a contribué à lui faire admettre que l'Occident est un cadre où on a intérêt à partir, mais pour exercer des métiers ingrats. Julie suggère la responsabilité de l'institution universitaire du pays de Musa dans le comportement de ce dernier lorsqu'elle s'interroge de la manière suivante : How does a graduate in economics become a motor mechanic ? (P. 16). Cette responsabilité de l'université du pays de Musa devant la conduite de Musa est renforcée dans l'extrait ci-après :

She (Julie) brings along books (...) this time, in the veld, but the writers she favours are generally not those known to him (Musa) from his courses in English at that university (P.34).

Cette université n'a donc pas proposé à Musa un répertoire de livres variés et importants susceptibles de développer ses capacités de raisonner et de réfléchir sur le sens de l'existence. Elle préparait ainsi Musa à devenir ce que Ambroise Kom appelle un nain87(*) au plan scientifique et intellectuel. C'est une espèce de sujet problématique en ce sens que ce qu'il a appris à l'université, il ne peut le mettre au service de sa société. C'est une université dont le propos est d'accroître le retard intellectuel de la périphérie par rapport au centre. Au lieu que cette université aide Musa à s'intéresser au savoir, elle le préparait plutôt à s'auto détester en n'enrichissant pas son répertoire de livres ou de supports didactiques susceptibles d'aiguiser sa curiosité. Pourtant, comme nous l'apprend Bernard Fonlon:

If the university does not teach a student to think, it has taught him nothing of genuine worth, has failed wide of its mark (...) The university should open its doors only to those who come in search of wisdom: that to offer this wisdom, in all dimension the university should seek to acquire, to develop, and posses, in fullness, the True, the Good, and the beautiful and the sublime in substantial being, should explore all departments of knowledge, should exhibit all diversities of Intellectual Power, should enthrone science, philosophy and taste as in royal court, should recognise no sovereignty but that of Mind, no Nobility but that of Genius; in other words, in order to promote these exalted aims, it should make perennial war against mindlessness, against mediocrity and ineptitude88(*).

C'est dire que cette université perpétue l'entreprise coloniale. Ses finalités correspondent rigoureusement à celles de l'école en colonie tel qu'André Djiffack les présente :

En colonie, l'institution scolaire est cyniquement détournée de sa vocation traditionnelle. Loin de conduire le Nègre à la "civilisation", les conditions dérisoires de la scolarisation produisent un effet pervers : la déshumanisation. L'école n'est plus qu'une machine à détruire le colonisé sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel, culturel etc....89(*)

L'université que Musa a fréquentée a aussi assuré l'appropriation par Musa de la représentation de l'Occident sur lui. Voilà pourquoi il estime légitime de fuir son pays pour l'Occident qu'il considère comme supérieur ou comme idéal :

The World is their world. They own it. It's run by computers, telecommunications (...) The West, they own ninety one percent of these (...) this one? - not enough even to make one figure! Desert. If you want to be in the world, to get what you call the Christian world to let you in is the only way. (P. 160)

Vue cette argumentation de Musa, il est difficile d'éviter la conclusion que l'université que ce dernier a fréquentée visait les mêmes objectifs que ceux de l'école coloniale en Afrique. En Afrique, en effet, l'école coloniale visait, ainsi que le soutient Midiohouan, à  amener les africains à se mépriser, à avoir honte d'eux-mêmes, à aimer et admirer la France90(*). Dans The Pickup, Musa qui peut être considéré comme l'Africain dont parle Midiohouan a honte de lui-même, mais il aime et admire l'Occident.

En un mot, colonisation et université se sont prêtées la main pour accroître le déséquilibre développemental entre l'Occident et le pays de Musa. Ces deux éléments sont responsables de la misère qui sévit dans le pays de Musa et inversement du niveau de vie élevé en Occident. Mais ils sont aussi responsables des migrations répétées de Musa vers l'Occident, car les conséquences de ces éléments sur l'aspect physique du pays de Musa et de l'Occident servent à Musa de support pour justifier son obsession quasi névrotique à fuir son pays.

II.3- LES MOTIVATIONS DE LA MIGRATION CHEZ MUSA

L'état des lieux en Occident et dans le pays de Musa contribuent à légitimer les migrations répétées en direction de l'Occident que Musa pratique dans The Pickup. Le déséquilibre développemental apparent qui se dégage entre son pays et l'Occident stimule l'obsession de Musa à fuir son pays. Puisque l'université ne lui a pas appris à réfléchir ou ne lui a pas permis de comprendre le sens de l'existence, Musa n'est pas conscient de ce que la représentation, son hégémonie et sa créativité ont contribué à rendre visible simultanément l'Occident comme un centre développé et riche et son pays comme une périphérie sous-développée et pauvre. Ainsi, on peut distinguer, au titre des mobiles d'où Musa tire la légitimité de ses migrations, les mobiles exogènes et les mobiles endogènes.

II.3.1- La condition postcoloniale

Tel qu'il apparaît dans The Pickup, le pays de Musa épouse les mêmes caractéristiques que celles de la post-colonie. Par post-colonie, il faut entendre ce qu'Achille Mbembe appelle :

Des sociétés récemment sorties de l'expérience que fut la colonisation, celle-ci devant être considérée comme une relation de violence par excellence. Mais plus que cela, la post-colonie est une pluralité chaotique, pourvue d'une cohérence interne, de système de signes bien à elle, de manières propres de fabriquer des simulacres ou de reconstruire des stéréotypes, d'un art spécifique de la démesure, de façons particulières d'exproprier le sujet de ses identités91(*).

Chaos, injustices et frustrations des populations constituent pour ainsi dire des caractéristiques essentielles de la post-colonie. Étant donné que le pays de Musa vient de connaître le départ des colonisateurs européens ainsi que l'oncle Yaqub l'affirme  There are no foreigner from Europe flying flags over our land any longer (P. 189), étant donné également l'état de délabrement des moeurs de ses populations, l'aspect pitoyable de ses places publiques, il est difficile de ne pas voir en ce pays une illustration rigoureuse de la post-colonie. Ces caractéristiques servent de justificatifs à Musa pour mettre en oeuvre ses migrations répétées vers l'Occident.

II.3.1.1- La pauvreté

Dans le pays de Musa, la pauvreté est matérielle. L'argent manque par exemple cruellement aux populations. C'est le cas du père de Musa et de son ami. Ces derniers ne peuvent pas pratiquer l'agriculture parce qu'ils manquent d'argent :

They're saying it can be possible, they can buy some part where there is growing now, or look for water (...) Grow rice, onions, potatoes, tomatoes, beans, many things, they're saying it can be, if they have the money... If they had the money they can do it, even right now. They will if they had money. Just the money (...) Always it was just the money, for everything you wanted and couldn't have. (PP. 211-212)

La pauvreté conduit à l'illettrisme qui se traduit par le nombre important d'analphabètes que compte le pays de Musa. Dans un marché que Julie visite, elle est stupéfiée par le spectacle qui s'offre à elle : 

She asked Maryam about a man squatting at work on an ancient portable typewriter while a woman spoke volubly at him. Many don't know how to write. They pay for a letter. (P. 126)

Au moins en partie, la domination du pays est entretenue par le gouvernement en place. C'est un gouvernement qui frustre le jeune scolarisé. Par son opposition à la liberté d'expression du jeune scolarisé, ce gouvernement l'empêche de mettre valablement ses connaissances au service de sa société. En effet, à cause des frustrations qu'il fait subir au jeune scolarisé, ce dernier cherche refuge dans l'alcoolisme pour oublier ses soucis. C'est du moins ce que suggère le passage ci-après :

 These other young men have some education (...) one has a university degree but is a second-grade clerk in a local government office: he has tried to get out but as he has been refused a passport at this end of the process because there is record of his having been a political troublemaker, as a student, dissident against the regime, he hasn't the first requirement of the many for visa application. For reasons of the same record there's no hope of him being promoted in the civil service; others in the group that drifts every night to the oil lamps of one of the bars disguised as coffee shops have similar stories. (P. 176)

Le gouvernement en question ne fournit pas des efforts nécessaires pour faire en sorte que les populations prennent conscience de l'importance du soin de l'environnement. Les populations du pays de Musa s'accommodent en effet de l'insalubrité. C'est ce que suggère cette découverte que Julie fait au milieu d'un bazar dans ce pays :

 In this part of the village she saw as a ruin but was the normal state of lassitude in the extremes of poverty, there was no demarcation between what was the thoroughfare and the shacks where goats were tethered and women squatted in their black garb like crows brought down wounded suddenly he (Musa) had to swerve to avoid a dead sheep lying bloated in a shroud of flies. Now she was appalled. Ah poor thing! Why doesn't someone bury it! (P. 132)

La pauvreté et la misère sont donc le lot des populations du pays de Musa. Cette pauvreté est loin d'être éradiquée puisque l'organe suprême qui devrait oeuvrer pour l'éradiquer, est favorable à cette situation. Cet organe est d'autant plus favorable à la pauvreté en post-colonie qu'il est lui-même un organe corrompu.

II.3.1.2- La corruption du gouvernement

Le gouvernement du pays de Musa brille par la corruption de ses membres. Ces derniers monnayent tous les services, transgressant par ce fait les lois du pays. Pour accéder par exemple à un poste dans l'administration, le postulant doit mettre de l'argent en jeu pour corrompre les autorités : money to pay bribes to the right people (P. 14). Personne ne maîtrise mieux que Musa comment ce gouvernement fonctionne ainsi qu'il apprend à Julie :

With money you can buy anything from the government. The landowners who call themselves a government. Same thing. That is what is here, in this place of my people. That is one of the first things for you to understand. What's true, about life in this place. There is no mystery about our life. Money - and the government will tell you the deal is done, Al-Hamdu Lillah (P. 215)

C'est dire que l'argent ouvre toutes les portes dans le pays de Musa. Nul doute que cette corruption est la conséquence de l'absence dans le pays de Musa de ce que Kom, à la suite de Said, appelle une grande narration92(*). C'est-à-dire une culture nationale à partir de laquelle le pays entier définit des objectifs à atteindre partant des moyens disponibles. Confrontée à ces réalités, il est évident que Musa ne peut pas être fier d'appartenir à un tel pays. Pour ce qui le concerne, Musa n'accepte pas d'être assimilé à ce pays pauvre et corrompu. Il revendique plutôt une identité qui l'éloigne de ce pays. C'est du moins l'idée qui ressort de la réaction ci-après qu'il adopte à l'égard des amis de Julie en Afrique du Sud :

 I can't say that "my country" - because somebody else made a line and said that is it. In my father's time they gave it to the rich who run for themselves. So whose country I should say, it's mine? (P. 15)

C'est donc la condition pitoyable de son pays qui motive Musa à le fuir sans cesse et à lui préférer l'Occident. Les réalités palpables dans son pays confirment la représentation que l'université lui a léguée : son pays est inférieur à l'Occident. Dans cette perspective, Musa se convainc qu'il est légitime qu'il fuit son pays pour chercher le bonheur en Occident ; le monde comme il l'appréhende lui-même : If you want to be in the world, to get what you call the christian world to let you in is the only way  (P. 160)

Si Musa estime qu'il est légitime pour lui d'émigrer vers l'Occident, c'est sans doute à cause de l'attrait que cet Occident exerce sur lui, compte tenu de ses caractéristiques en comparaison avec son propre pays.

II.3.2- Le mythe du centre

Dans la perspective de Musa, la condition pitoyable de la post-colonie contraste avec les conditions de vie enviables en Afrique du Sud ou en Occident. Musa s'émerveille de la bourgeoisie propre à l'Afrique du Sud ou comme dirait les post-colonialistes du centre. La vérité c'est que Musa est assiégé au plan psychologique par une multitude de pressions générées non seulement par la représentation que l'université lui a transmise mais aussi par des sources d'information propageant le mythe du centre.

II.3.2.1- Les propagateurs du mythe du centre

Le dictionnaire Hachette de la langue française définit le mythe comme une représentation traditionnelle simpliste et souvent fausse, mais largement partagée. Dans mon entendement, parler du mythe du centre, c'est parler de la fabulation dont l'Occident fait l'objet dans l'imaginaire du sujet post-colonial. Dans son imaginaire l'Occident existe en effet, comme un paradis sur terre ; comme un eldorado. Dans le pays de Musa, il y a des organes qui se chargent de propager cette fausse idée de l'Occident. Il s'agit par exemple de la télévision.

Dans le village de Musa, la télévision propage des images de l'Occident où des marches populaires ne sont pas réprimées comme dans le pays de Musa. Ces images se gravent dans les esprits des jeunes au point que ces derniers finissent par considérer l'Occident comme un modèle. Par voie de conséquence étant encore dans leur pays de corps, ils sont en Occident d'esprit. C'est pour cette raison que les revendications qu'ils continuent de formuler, malgré la répression du gouvernement, s'appuient toujours sur le modèle occidental :

These young men want change (...) change with elections that are not rigged or declared void when the government's opposition wins ; hard bargains with the West made from a position of counter-power, not foot-kissing, arse-licking servitude (they bring the right vocabulary back with them from the West, whatever else they were denied) (P. 176)

La presse contribue aussi à propager le mythe de l'Occident dans le pays de Musa. C'est du moins la thèse qui se dégage de l'argumentation ci-après que Musa développe en direction de Julie. Musa vient alors d'obtenir deux visas pour les USA et, un journal à la main, tente de persuader Julie qui manifeste à Musa sa désapprobation quant à son émigration hors du pays de Musa. Suivons plutôt:

This time I have the chance to move out of all that, finished, for ever, for ever, do what I want to do, live like I want to live. That is the country for it. There are plenty of chances again now, there; you don't read the papers, but the unemployment is nothing. Lowest for many years. Work for every body (P ; 227).

La presse que Musa tient en main dans cet extrait divinise simplement l'Occident en le présentant comme un univers ne souffrant d'aucun reproche. Cette presse aiguise pour ainsi dire l'appétit de l'émigration chez le sujet post-colonial. Ce d'autant plus que ce qu'elle présente comme abondant en Occident manque cruellement dans le pays de Musa.

Ces deux organes de l'information ont donc un rôle suffisamment important pour expliquer l'extraversion de Musa. Compte tenu de la représentation qu'il a héritée de l'université, on peut bien considérer ces organes de l'information comme des outils que le centre met à la disposition de Musa pour que ce dernier ne se dissuade jamais de l'idée fausse selon laquelle l'Occident est un univers idéal voire paradisiaque alors que son pays est un enfer. Mais comme nous l'avons relevé dans le précédent chapitre, Musa refuse de s'identifier à son pays. Lorsqu'il y est il renonce catégoriquement à s'y établir. En Afrique du Sud, où il est au début du roman, il trouve autre chose qui lui permet de se donner raison de s'y installer.

II.3.2.2- La bourgeoisie

Dans la comparaison que Fanon fait entre la bourgeoisie nationale des pays autrefois colonisés et la bourgeoisie nationale occidentale, il fait observer pourquoi on ne peut pas considérer la bourgeoisie nationale en post-colonie comme une véritable bourgeoisie nationale. Fanon écrit :

L'aspect dynamique et pionnier, l'aspect inventeur et découvreur de mondes que l'on trouve chez toute bourgeoisie nationale est ici lamentablement absent. Au sein de la bourgeoisie nationale des pays coloniaux, l'esprit jouisseur domine. C'est que sur le plan psychologique, elle s'identifie à la bourgeoisie occidentale dont elle a sucé tous les enseignements. Elle suit la bourgeoisie occidentale dans son côté négatif et décadent sans avoir franchi les premières étapes d'exploration et d'invention qui sont en tout état de cause un acquis de cette bourgeoisie occidentale93(*).

Ce qui nous intéresse dans cette comparaison de Fanon, c'est la caractéristique qu'il fait de la bourgeoisie occidentale ou pour rester conforme à la théorie post-coloniale, la bourgeoisie du centre. Car la caractérisation que Fanon fait de la bourgeoisie occidentale correspond à quelques exceptions près à la bourgeoisie dont le père de Julie est un membre dans The Pickup : le père de Julie et ses acolytes sont des explorateurs, des inventeurs à leur manière. Aux yeux de Musa, ces derniers sont des êtres dynamiques :

They are people doing well with their life. All the time. Moving on always. Clever. With what they do, make in the world, not just talking intelligent. They are alive, they take opportunity, they use the (...) yes, your father and the other men. They know what they speak about. What happens. Making business. That's not bad, that is the world. Progress. (P. 62)

Le type d'activité que les bourgeois mènent en Afrique du Sud émerveille Musa et le séduit. Partant de son admiration pour les activités que les bourgeois sud-Africains mènent, Musa trouve des raisons de relever le défi de s'identifier à cette bourgeoisie. Voilà qui explique pourquoi Musa use de toutes sortes de subterfuges pour ajourner sans cesse sa rapatriation vers son pays d'origine.

On peut conclure que, dans son pays comme en Afrique du Sud, Musa est condamné au même sort que celui de Zamakwé dans Trop de soleil tue l'amour. En effet c'est comme si tout était étouffé par des milliards d'édredons disposés partout, dans les maisons, dans les rues, dans les établissements publics94(*). Où qu'il se trouve, l'occasion est donnée à Musa de vérifier que l'Occident est un univers paradisiaque et son pays la géhenne. D'où son obsession quasi névrotique à se perdre dans l'Occident. Musa est obnubilé par l'Occident au point de pratiquer l'émigration pour l'émigration pour emprunter cette image à Ambroise Kom95(*). Musa n'hésite même pas à pratiquer l'immigration clandestine. En Afrique du Sud qu'il considère comme l'Occident en Afrique, Musa pratique d'ailleurs le camouflage identitaire suite à l'expiration de son visa :

It had come to the notice of the Department of Home Affair that (his real name) was living at the above address under the alias (the name the grease-monkey answered to). (P. 52)

Musa n'est donc rien d'autre qu'un sujet en proie à la domination de l'Occident sur lui et sur son pays: un subalterne.

L'objectif recherché dans ce chapitre était de prouver que les migrations de Musa vers l'Occident sont une conséquence de la représentation. Il nous a fallu pour cette raison spécifier la notion de représentation dans le but de mettre en évidence ses mécanismes et son fonctionnement. L'hégémonie et la créativité propre à la représentation nous ont permis de mettre en évidence que la représentation de l'Occident comme paradis et de son pays comme enfer qui détermine les migrations de Musa est un héritage, un legs du colonialisme ou de l'impérialisme occidental sur son pays. Compte tenu de ce que Julie s'insurge contre l'aliénation de Musa, compte tenu également que le personnage Musa invite à remonter le cours de l'histoire dans son pays, ce chapitre peut être considéré comme suggestif des défis liés au projet dont Julie se veut l'artisane dans The Pickup : évincer l'impérialisme quelque soit sa nature. Cela dit, il demeure un problème à résoudre : celui de la représentativité de la société que Julie quitte en Afrique par rapport à l'Occident. Ce problème sera traité dans le chapitre suivant.

CHAPITRE III

LA MIGRATION COMME REMISE EN QUESTION

DE LA REPRÉSENTATION

Dans le présent chapitre, il s'agit de montrer en quoi la migration de Julie n'a pas la même signification que celle de Musa dans The Pickup. En d'autres termes, je tente de prouver que de par sa migration de l'Afrique du sud vers le pays de Musa, Julie remet en question l'impérialisme, perceptible à travers le comportement de la bourgeoisie sud-africaine (à laquelle son père appartient) et dont Musa est victime. Ce chapitre prouve par ailleurs que The Pickup convient à l'orientation sociale que Gordimer a souvent consciemment donnée à sa fiction :

Si ma fiction, écrit-elle, et celle d'autres écrivains ont servi légitimement la politique à laquelle je crois, c'est en raison de la transformation par l'imagination qu'implique la fiction : pour reprendre les termes de l'écrivain suédois Per Wästberg, " pour aider les gens à comprendre leur propre nature et à savoir qu'ils ne sont pas sans pouvoir"96(*).

En s'insurgeant contre son groupe social, Julie l'aide à comprendre que contrairement à ce que ses membres s'imaginent, il n'est pas sans reproches, bien au contraire. En s'insurgeant contre l'aliénation dont Musa est victime, Julie veut aider ce dernier à découvrir ses propres potentialités. Ce chapitre prouve que The Pickup propose une nouvelle manière de se représenter le subalterne.

Je me propose aussi de montrer que la bourgeoisie sud africaine partage sensiblement les mêmes caractéristiques que l'Occident impérialiste qui a pratiqué la colonisation dans le pays de Musa. En effet, le groupe que Julie rejette en Afrique du sud est interchangeable avec l'Occident impérialiste. C'est du moins une hypothèse que je tenterai de vérifier dans ce chapitre. Je préciserai aussi en quoi la conduite de Julie est illustrative de la remise en question de la représentation. Pour finir, j'évaluerai les enjeux et les défis de la migration chez Julie en particulier ; dans The Pickup en général.

III.1- LES FONDEMENTS DE LA RÉVOLTE DE JULIE EN AFRIQUE DU SUD

La révolte de Julie contre le groupe social de son père en Afrique du sud s'explique par deux raisons essentielles. C'est d'abord un groupe bourgeois qui se renferme sur lui-même ; un groupe qui croit se suffire. Ensuite, c'est un groupe favorable à la subalternéité de l'autre, de Musa notamment. C'est un groupe qui ne donne pas au subalterne la possibilité de se considérer avant tout comme un être humain. Ce groupe l'exploite, l'exclut, le marginalise ou le maintient dans la subalternéité. La révolte de Julie se nourrit de l'autarcie de la bourgeoisie sud-africaine et de l'exploitation du subalterne.

III.1.1- L'autarcie de la bourgeoisie sud-africaine

Dans The Pickup, le père de Julie refuse tout contact avec ceux des êtres humains qui n'appartiennent pas à la bourgeoisie. D'après le banquier Nigel Ackroyd Summers, en effet, pour bénéficier de sa considération, il faut par exemple posséder des voitures, des appartements, des biens matériels ou avoir un poste important dans l'administration ou dans une entreprise. Il faut avoir pu vaincre la faim et la pauvreté. Voilà pourquoi l'avocat Hamiton Motsamai compte parmi ceux qui sont les bienvenus chez le banquier Summers :

Senior counsel was an acting Judge for a period, and could be permanently His Honour Mr justice Motsamai on the bench of the High court now if he had not decided for that other, more profitable form of power over human destiny, financial institutions (PP. 76-77)

Tandis que l'Avocat Motsamai, malgré sa peau noire est accepté sans difficulté comme membre à part entière de la bourgeoisie, Musa, malgré son teint brun est stigmatisé. C'est du moins l'idée qui ressort de l'extrait suivant portant sur le premier contact de Musa avec le père de Julie :

When her father was introduced to her someone there was across his face a fleeting moment of incomprehension of the name, quickly dismissed by good manners and a handshake. What was the immediate register? Black-or some sort of black (PP. 40-41)

Ainsi que le relève le passage ci-dessus, le bourgeois Summers agit essentiellement sur la base des stéréotypes, des clichés ou des préjugés sur l'étranger répandus dans son groupe social. Ce groupe social stigmatise l'étranger, range ce dernier dans une catégorie peu enviable. C'est un groupe qui peint le portrait de l'étranger en projetant sur lui ses propres faiblesses comme dirait Todorov97(*). Ce groupe se comporte de la sorte vis-à-vis de l'étranger parce qu'il se représente comme supérieur à lui.

À partir des travaux d'Albert Memmi sur le racisme, on peut déduire que la bourgeoisie sud-africaine a peur de l'étranger. Sa peur de l'étranger fait d'elle un groupe raciste. Le racisme de ce groupe est évident lorsqu'on compare le comportement du père de Julie vis-à-vis de Musa avec la démarche raciste que Memmi expose dans Le racisme en ces termes :

Quoi qu'il en soit, la différence est d'une certaine manière trouble et négation de l'ordre établi. Devant l'étrangeté de l'autre, on risque d'hésiter sur soi-même. Et pour se rassurer, pour se confirmer, il faudra refuser, nier l'autre ... [Dans la perspective du père de Julie] pour sauvegarder notre supériorité, gardons-nous de la pollution par les étrangers98(*)

Rien donc de surprenant si le bourgeois Summers panique devant Musa avec qui Julie débarque dans sa villa. Il est troublé par l'étrangeté de Musa et recherche le confort personnel à travers la stigmatisation de ce dernier. Tout compte fait, le bourgeois refuse simplement d'intégrer le subalterne dans son groupe social. M. Summers refuse pour cette raison l'amour entre Julie et Musa.

Musa est rejeté parce qu'il est considéré comme une personne ne méritant pas l'amour de Julie. Le propriétaire du garage où Musa travaille en Afrique du sud et qui partage les mêmes idées que M. Summers explique clairement en quoi Musa ne mérite pas l'amour de Julie :

Don't get me wrong, explique-t-il, for your own good, you're a nice girl, a somebody, I can see. He's not for you. He's not really even allowed to be in the country. I give him a job, poor devil, I mean. God knows who it can happen to, and it's the other kind, the real blacks who get what's going nowdays. (P. 32)

Comme le souligne le passage ci-dessus, c'est en partie à cause des préjugés propres aux bourgeois sud-africains que Musa est considéré comme ne méritant pas l'amour de Julie. Ces préjugés poussent le père de Julie à considérer cette dernière comme une démente lorsqu'elle lui apprend son futur départ de l'Afrique du sud pour le pays de Musa. Pour M. Summers, que Julie choisisse de quitter l'Afrique du sud pour le pays de Musa relève du suicide :

You lack consideration for what you do, indirectly, to your family (...) you're nearly thirty. And now you come here without any warning and simply tell us you are leaving in a week's time for one of the worst, poorest and most backward of Third world countries, following a man who's been living here illegally, getting yourself deported yes- from your own country, thrown out along with him, someone no-one knows anything at all about, someone from God knows what kind of background. Who is he where he comes from? What does he do there? What kind of family does he belong to? (...) what more can I say. You choose to go to hell in your own way (PP.97-98)

La bourgeoisie sud-africaine refuse donc tout contact avec toute personne considérée comme ne satisfaisant pas les attentes des bourgeois. Cette bourgeoisie a une représentation méliorative et narcissique d'elle-même qui favorise l'exploitation du subalterne.

III.1.2- L'exploitation du subalterne

La bourgeoisie se considère comme un groupe exceptionnel ou extraordinaire dans le monde. Cela légitime à ses yeux l'exploitation de l'autre qui n'est pas bourgeois. Ce repli identitaire propre à la bourgeoisie sud-africaine a pour conséquence de légitimer ou de nourrir le racisme. Albert Memmi définit le racisme comme :

La valorisation généralisée et définitive, de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression (...) le racisme est l'utilisation profitable d'une différence99(*)

Dans The Pickup, le subalterne est utilisé et exploité respectivement par le père de Julie et le propriétaire du garage où Musa vit et travaille en Afrique du sud. Le père de Julie approuve indirectement l'exploitation de Musa en se représentant son propre groupe social comme un groupe parfait et pur qui n'a rien à partager avec le subalterne. Cette idéalisation de la bourgeoisie sud-africaine a pour conséquence le confinement du pays d'origine de Musa dans une espèce d'enfer hostile à la vie humaine : one of the worst, poorest and most backward of third world countries (P. 98) dit-il sur ce sujet. D'après Summers, le pays de Musa est un pays hors de l'histoire comme dit Hegel. C'est un pays infernal semblable à celui dans lequel Marlow mène son lecteur dans  Le coeur des ténèbres de Joseph Conrad100(*).

C'est au propriétaire du garage où Musa vit et travaille en Afrique du sud qu'il revient de mettre en pratique l'exploitation du subalterne. En effet, ce propriétaire de garage saisit l'opportunité de la présence de Musa en Afrique du sud pour réaliser ses rêves de puissance économique. I give him (Musa) a job  (P. 32) apprend-il à Julie qui l'accoste dans le garage où travaille Musa. Non seulement il lui a donné du travail en Afrique du sud, mais il lui a aussi donné  a shed, a corner in the street to sleep in (P. 63.)

Contrairement à ce qu'affirme ce propriétaire de garage, il n'aide pas vraiment Musa par charité. Il le maintient dans la subalternéité. Ce propriétaire profite simplement de la clandestinité de Musa afin de réaliser des bénéfices énormes puisque Musa travaille "au noir" :

The garage employs him illegally - "black", yes that's the word they use. It's cheap for the owner; he doesn't pay accident insurance, pension, medical aid. (P. 17)

Le propriétaire du garage fait ici de Musa un objet qui lui permet d'engranger les bénéfices. Il pratique sur Musa ce que Gaston Kelman appelle le racisme angélique. C'est-à-dire :

Un racisme fait de paternalisme, d'apitoiement sur le sort de ces pauvres gens (...) mais de même que le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions, sous le prétexte de racheter la vilenie passée, l'on enfonce encore le Noir par une complaisance coupable et infantilisante de dame patronnesse101(*)

Julie rejette tous ces us et coutumes de la bourgeoisie sud-africaine, leur préférant l'ouverture véritable au subalterne. Ainsi, elle se lie d'amitié avec Musa, l'épouse jusqu'à migrer dans le pays de ce dernier. Mais dans le pays de Musa, Julie s'insurge aussi contre Musa comme pour lui faire comprendre qu'il n'a pas raison de jouer au subalterne.

Il est difficile de ne pas voir dans les caractéristiques de la bourgeoisie sud-africaine dans The Pickup une espèce de caricature de la société occidentale impérialiste. La fermeture de cette bourgeoisie au reste du monde a pour conséquence de faire d'elle une société close qui se sclérose dans les formes déterminées interdisant toute évolution, toute marche, tout progrès, toute découverte102(*)comme le dirait Frantz Fanon. Chez Fanon, cette société n'est rien d'autre que l'Europe dont nous assistons aujourd'hui à une stase.103(*)

Dans son étude des relations entre la bourgeoisie et le racisme, Albert Memmi débouche sur une conclusion qui peut servir à soutenir l'idée que la bourgeoisie sud-africaine peut être considérée comme représentative de l'Occident dans The Pickup. Memmi écrit à ce propos :

Tout bourgeois est suspect à priori des caractéristiques que nous avons notées dans toute démarche raciste. Du maître des forges au petit propriétaire du XIXe siècle, relayés par le grand et le petit entrepreneur de nos jours, tous sont avides et cruels104(*)

En enfermant Musa dans la subalternéité, la bourgeoisie sud-africaine exerce une violence cruelle sur lui. Elle nie son appartenance à la race humaine. C'est dire que la bourgeoisie sud-africaine est interchangeable avec l'Occident dont nous avons souligné l'hégémonie dans le précédent chapitre. Musa suggère d'ailleurs cette situation à travers la considération dont il fait montre lorsqu'il parle de l'Afrique du sud : where you (Julie) come from - the whole Africa has only two percent, and it's your country has the most of that. (P. 60) C'est donc un pays développé et riche renfermant quasiment les mêmes caractéristiques physiques et économiques que l'Occident.

Étant donné que Julie quitte le centre pour la périphérie dans The Pickup, il y a lieu de voir en sa migration un acte révolutionnaire, ce d'autant plus que Julie va vers la périphérie non pas pour assouvir un quelconque besoin d'exotisme, mais pour oeuvrer au développement de cette périphérie. On peut donc lire l'itinéraire de Julie dans The Pickup comme un symbole de la résistance à l'oppression favorisée par la représentation que se fait le centre de lui-même et de la périphérie.

III.2- MIGRATION ET RÉSISTANCE

Le fait que Julie s'insurge tour à tour contre la bourgeoisie sud-africaine et l'aliénation de Musa permet de caractériser sa migration comme symbole de la résistance. Stephen Slemon définit la résistance comme un acte ou un processus consistant à soustraire quelqu'un ou un groupe de personnes de l'oppression de l'autre :

Resistance, écrit-il, is an act, or a set of acts, that are designed to rid a people of its oppressors, an it so thoroughly infuses the experience of living under oppression that it becomes an almost autonomous aesthetic principle105(*)

Pour Homi Bhabha, resistance is an effect of the contradictory representation of its ambivalent strategies of power106(*). Autrement dit, la résistance se déploie essentiellement contre la représentation dans ses divers aspects. C'est dire que la résistance a un effet bénéfique sur l'humanité. Car elle génère la compréhension réciproque entre les hommes. Barbara Harlow écrit à ce propos :

The struggle is one which engages the tradition past as well as the present circumstances of western hegemony in order to determine future coordinates of social and political formations and strategic alliances107(*)

Edward Said reprend à sa manière la même idée. Pour lui la résistance loin d'être une simple réaction à l'impérialisme, est une conception alternative de l'histoire humaine108(*).

La résistance est donc toute manière de lutter pour le bonheur des hommes pris aux pièges de l'impérialisme.

Dans The Pickup, Julie se singularise par son rejet de l'impérialisme. Elle rejette le comportement de son groupe social qui favorise la marginalisation de l'autre et rejette le comportement de Musa, comportement déterminé par les complexes d'infériorité hérités de son passé. Julie résiste donc autant à la représentation du centre qu'à celle de la périphérie.

III.2.1- Résistance à la représentation du centre

Julie s'oppose à ce que le groupe qu'elle rejette en Afrique du sud (le centre) continue de se représenter comme un groupe exceptionnel qui aurait raison de se renfermer sur lui-même. Elle souhaite plutôt que celui-ci apprenne à se remettre en question afin de comprendre l'absurdité que représente le fait de nier l'humanité de l'autre ; l'altérité. Julie essaye de faire comprendre à son groupe que les cultures ne doivent pas s'exclure mutuellement. Elles doivent plutôt s'enrichir grâce à une négociation permanente. C'est pour cette raison que plutôt que de se conformer aux codes culturels du groupe auquel elle appartient, Julie les transgresse sans cesse pour s'ouvrir aux pauvres :

The young woman was down in a thoroughfare, a bazar of all that the city had not been allowed to be by the laws and traditions of her parent's generation. Breaking up in bars and cafés the inhibitions of the past has always been the work of the young, haphazard and selectively tolerant (P. 5)

Julie s'en prend au regard que la bourgeoisie pose sur le subalterne Musa. Elle se lie à lui pour cette raison en Afrique du sud malgré la situation illégale de ce dernier. Elle s'éprend de lui, l'héberge gratuitement sans l'exploiter et entreprend des démarches dans le but de faire obtenir à Musa la nationalité sud-africaine, en vain.

Invitée par son père dans la villa de ce dernier, elle affiche une mine de mépris devant lui : Julie comes upon it as always : sinking into a familiar dismay (P. 40). Julie refuse de se confondre au groupe de son père. Alors que Musa s'interroge sans cesse why don't you take me to know your parents (P. 37), Julie lui répond péremptoirement my life is my life, not theirs (...) I didn't want to subject you to them (P. 38). Julie a même honte de ses parents: she was ashamed of her parents (P. 38).

Elle estime que ceux-ci ne vivent pas. D'après elle, leur liberté est emprisonnée par des codes culturels rigoureux dont la vigueur étouffe ou occulte l'expression. Leur liberté est fixée dans la normalité de leur groupe. Cette situation favorise l'arrogance du bourgeois qui l'amène à croire qu'il a le droit de stigmatiser ou d'exploiter le subalterne. Julie exprime son questionnement de l'identité bourgeoise en s'interrogeant de la manière suivante : where to locate the self ? (P. 47) 

Tout se passe comme si Julie reprenait la thèse de Fanon d'après laquelle il ne faut pas essayer de fixer l'homme, puisque son destin est d'être lâché109(*). Elle quitte pour cette raison son cadre de vie opulent, imposant et spacieux pour partager avec les exclus et les pauvres leur cadre de vie :

She was on her way to where she would habitually meet (...) friends and friends of friends (...) The L.A café (...) The name of this café was a statement. A place for the young; but also one where old survivors of the quarter's past, ageing Hippies and leftist Jews, grandfathers and grandmothers of the 1920s immigration who had not become prosperous bourgeois, could sit over a single coffee. Crazed peasants wandered from the rural areas gabbed and begged in the gutters outside» (P.5)

Julie dénonce donc dans le groupe qu'elle quitte en Afrique du Sud quasiment les mêmes problèmes que John Maxwell Coetzee dans la société :

l'insignifiante peur de l'altérité, des innombrables formes de violence concentrationnaire, des modes de destitution systématique de l'individu, de la réduction de l'autre au silence 110(*).

Julie prône un idéal d'amour, de partage et de solidarité avec l'altérité. C'est plutôt cet idéal de Julie qui scandalise autant son père que le propriétaire de garage où Musa travaille et vit en Afrique du Sud. Car ils se satisfont de l'idée d'une prétendue normalité de leur classe sociale par rapport aux autres. Mais l'idéal que Julie prône ne se réduit pas seulement à son rapport avec le centre.

III.2.2 Résistance à la représentation de la périphérie

Parvenue dans le pays de Musa, Julie se fraye un chemin qui va conduire à sa séparation d'avec Musa. Musa ira aux USA et Julie choisira de rester dans la périphérie. Julie refuse que Musa ou la périphérie au sens large continue de ressembler au portrait que le centre a fait de lui ou d'elle. Pour cela, elle identifie quelques secteurs d'activités où la périphérie a intérêt à s'investir pour rectifier le tir : l'éducation et l'agriculture.

Dans le pays de Musa, Julie s'investit abondamment dans l'éducation des populations. Dans le domicile familial de Musa, elle commence par enseigner l'Anglais à Maryam et aux voisins :

Julie was teaching English not only to Maryam and the quiet young neighbourhood girls and awkward boys who sidle into lean-to whispering and making place for one another cross-legged on the floor (P ; 142).

Il convient d'observer que l'Anglais que Julie enseigne ici ne peut être considéré comme vecteur de l'impérialisme linguistique. Car Julie prône l'ouverture et l'amour entre les cultures. Dans la perspective de Julie, la maîtrise de la langue anglaise par la périphérie, permettrait à cette dernière de se rapprocher du centre puisque la langue peut permettre de démystifier celui-ci. C'est du moins ce dont Julie est convaincue lorsqu'elle estime important d'apprendre la langue arabe ; langue de communication dans le pays de Musa. Elle s'interroge à travers le narrateur à ce propos:

What on earth qualified her to teach! On the other hand, what else did she have? What use were her supposed skills, here; who needed promotion hype? She was like one who has to settle for underbelly of a car. The books in the elegant suitcase were bedside bibles constantly turned to, by now, read and re-read; she agreed - but in exchange for leasons in their language. Why sit among his people as a deaf-mute?» (P. 143).

Julie assigne donc à l'Anglais qu'elle enseigne dans le pays de Musa une fonction purement utilitariste pour le projet dont elle est porteuse dans The Pickup. Elle n'enseigne d'ailleurs pas seulement l'Anglais à Maryam et aux voisins. Elle enseigne aussi la langue anglaise à l'employeur de Maryam et dans une école du pays de Musa : Julie has classes in English at Maryam's employer's house and at a school (P. 150).

Remarquant que la société de Musa ne favorise pas la scolarisation des jeunes filles, Julie entreprend de convaincre le principal de l'école où elle enseigne d'admettre aussi des jeunes filles. Le narrateur écrit à ce propos:

She had been drawn in to coach English to older boys who hoped to go to high school in the capital some day; she had been able to persuade - flatter - the local school principal to let girls join the classes although it was more than unlikely their families would allow them to leave home» (P. 195).

Julie consacre presque toute sa vie à l'éducation dans le pays de Musa. C'est comme si Julie a compris que le déficit éducationnel en périphérie justifie en partie sa condition pitoyable. Julie semble avoir compris qu'en post-colonie, plutôt que de continuer à satisfaire les besoins de puissance du groupe dominant, l'éducation devrait viser le développement de la périphérie. C'est comme si Julie souhaite que l'éducation en périphérie joue le rôle que lui attribue le philosophe camerounais :

l'éducation est le lieu par excellence où une communauté humaine prend conscience d'elle-même. C'est là qu'elle se définit, qu'elle déclare ses valeurs et ses fins, sa conception d'elle-même, de l'homme et de son accomplissement111(*).

Julie se consacre sans doute à l'éducation en périphérie parce qu'elle est convaincue du rôle décisif que l'éducation joue dans les modifications importantes de la société. Comme nous l'apprend John Dewey :

Par la loi et ses punitions, par l'agitation et la discussion sociale, la société peut s'organiser et se former d'une manière plus ou moins fortuite au petit bonheur par la chance. Mais par l'éducation, la société peut formuler ses propres fins, peut organiser ses propres moyens et ressources et se façonner ainsi la direction où elle désire aller112(*)

C'est certainement grâce à ce type d'éducation que la périphérie cessera de correspondre au portrait que le centre dresse de lui. Ce d'autant que cette éducation favorise le réveil de conscience de la périphérie. Mais Julie s'attache aussi à la pratique de l'agriculture.

Lorsque Julie découvre qu'il est possible de pratiquer l'agriculture dans le pays désertique de Musa, elle se met à rêver du riz, des oignons, de la patate, des tomates ou du haricot qu'elle peut cultiver (P. 212). Julie apprend alors à Musa son intention de s'acheter un lopin de terre pour pratiquer l'agriculture. Musa qui ne cesse de se représenter Julie comme the right kind of foreign. One who belonged to an internationally acceptable category of origin (P. 140), réagit face à l'intention de Julie en ces termes: You want to buy a rice concession! You: What for? (P. 215).

Dans le pays de Musa, Julie fait toujours le contraire de ce que Musa espère qu'elle fera. Elle va au désert régulièrement contre le gré de Musa. La vérité est que Julie a compris que le désert au milieu duquel s'étend le pays de Musa sert de support à la représentation que Musa a de son pays. C'est cette représentation qui pousse Musa à diaboliser le désert. Pourtant, Julie découvre les potentialités du désert qui ne sont simplement pas mises en valeur dans le pays de Musa :

The desert. No seasons of bloom and decay. Just the endless turn of night and day. Out of time: and she is gazing not over it, taken into it, for it has no measure of space, features that mark distance from here to there. In a film of haze there is no horizon, the pallor of sand, pink-traced, lilac-luminous with its own colour of faint light, has no demarcation from land to air. Sky-haze is indistinguishable from sand-haze. All drifts together, and there is no onlooker; the desert is eternity (P. 172).

Julie ajoute: The desert is always; it doesn't die it doesn't change, it exists (P. 229).

C'est dire que, comme l'Afrique du Sud a aménagé le veld pour les excursions ou pour le tourisme113(*), le pays de Musa peut aussi faire du désert un site touristique pouvant générer les bénéfices énormes au pays de Musa.

La résistance à la représentation que Musa a de son pays est aussi manifeste dans la décision de s'établir dans la périphérie que Julie prend à la fin du roman. Malgré l'attrait que représente les USA aux yeux de Musa ;

There are big centers in communications technology, it's a nice climate, warm, like you have at your home, not hell hot as this place-never cold-chicago is could, isn't it. California-wonderful. Everyone wishes to live there (P. 138),

Julie reste imperturbable dans sa decision: I'm not going back there. I don't belong there (...) I'm staying here (PP. 252-253) 

Julie refuse donc de partir avec Musa vers les USA et préfère s'installer dans la périphérie. C'est une preuve que pour elle, la périphérie est un lieu où l'on peut bien vivre sans mourir de faim ni de maladie. Seule la représentation que le subalterne a de lui-même constitue un problème. En s'établissant donc dans le milieu de vie du subalterne, Julie pense y contribuer à son développement.

Le modèle de prise en charge de la périphérie que Julie enseigne dans The Pickup propose au centre un moyen efficace de lutter contre la pauvreté dans le monde. Ce mode éviterait au centre le genre d'accusation et de dénonciation dont Aminata Traoré se veut la porte parole en Afrique :

Ces gens-là prétendent lutter contre la pauvreté en menant les mêmes politiques qui nous ont conduits là où nous sommes. Ils feraient mieux de parler de lutte contre les pauvres !114(*)

Mais Julie s'adresse aussi à la périphérie. Elle veut empêcher la périphérie de continuer à renvoyer au centre l'image que le centre se fait de lui. C'est-à-dire qu'elle continue passivement d'enfourcher comme dirait Ambroise Kom  les trompettes de la Francophonie, du Commonwealth et d'autres structures du type impérial du même acabit115(*). Julie propose à la périphérie de se mettre résolument au travail afin de sortir des sentiers tracés par le complexe de supériorité du centre. L'investissement de Julie dans l'éducation et l'agriculture suggère le rôle important que ces secteurs auront à jouer dans ce travail qui s'impose à la périphérie.

Pour Julie, la périphérie devrait donc être responsable de son propre développement. C'est de cette manière qu'elle ne pourra plus correspondre au portrait que le centre lui a réservé c'est-à-dire un cadre où tout le monde est pauvre, où la paupérisation est sans cesse croissante, mais paradoxalement un cadre de haute consommation des produits de l'industrie du centre.

Quant au centre, il devrait s'atteler à éviter que son développement matériel conduise à l'arrogance, au chauvinisme ou au narcissisme de ses populations. Dans la perspective de Julie, le centre devrait se poser la question ci-dessous que Fanon se pose à lui-même : Ma liberté ne m'est-elle donc pas donnée pour édifier le monde du Toi ?116(*) Le centre devrait pour ainsi dire adopter des comportements nouveaux qui sont favorables au décollage véritable de la périphérie. L'idéal que Julie recherche dans The Pickup correspond à l'idéal du décentrement proposé par la théorie postcoloniale. C'est du moins l'idée qu'on peut soutenir si l'on s'en tient à ce que pensent Martine Delvaux et Pascal Caron du postcolonialisme :

Le postcolonialisme cherche à provoquer un décentrement de l'eurocentrisme en reprenant la marginalisation du « colonisé » et en lui rendant la part de pouvoir oppositionnel qui lui revient117(*)

La migration de Julie ne lui permet pas seulement de faire l'inventaire des égarements ou des insuffisances du centre, mais aussi ceux de la périphérie. Dès lors, nous pouvons nous pencher sur les enjeux et les défis de la migration de Julie en particulier et dans The Pickup en général.

III.3 LES ENJEUX ET LES DÉFIS DE LA MIGRATION DANS THE PICKUP

Tandis que Musa migre sans cesse de la périphérie vers le centre, Julie migre du centre vers la périphérie. Ces migrations dans The Pickup peuvent être interprétées de diverses manières. Parce que la migration de Julie contraste rigoureusement avec celle de Musa, elle peut être interprétée chez Julie comme promouvant le décentrement. Mais que Musa et Julie voyagent d'un coin à l'autre du monde peut être suggestif de l'intérêt que Gordimer accorde au cosmopolitisme.

III.3.1 Le décentrement

Commentant le roman de Saul Bellow intitulé L'hiver du dragon, Salman Rushdie relève un passage qui illustre à souhait l'idée de décentrement dont Julie se veut la promotrice dans The Pickup. Rushdie écrit précisément :

Il y a une très belle image dans le dernier roman de Saul Bellow, l'Hiver du dragon. Le personnage principal, le doyen, corde, entend un chien qui aboie sauvagement quelque part. Il imagine que l'aboiement est la révolte du chien contre la limite de son expérience de chien. « Pour l'amour de Dieu, dit le chien, ouvrez un peu plus l'univers ! » Et parce que Bellow ne parle pas vraiment de chiens, ou pas seulement de chiens, j'ai le sentiment que la fureur et le désir du chien sont aussi les miens, les nôtres, ceux de tout le monde. « Pour l'amour de Dieu, ouvrez un peu plus l'univers ! 118(*)

Julie promeut l'ouverture dans le monde. Que ce soit en Afrique du Sud ou dans le pays de Musa, elle ne se détourne pas de cet objectif. En Afrique du Sud, lorsqu'elle introduit Musa dans la communauté multiraciale de El-Ay café, l'idée d'ouverture que Julie promeut apparaît clairement au-delà de la description que le narrateur fait des amis de Julie :

The friends have no delicacy about asking who you are, where you come from that's just the reverse side of bourgeois xenophobia. (...) They have his story out of him in time at all, they interject, play upon it with examples they know of, advice they have to offer, interest that is innocently generous or unwelcome, depends which way the man might take it - but at once, he's not a «garage man" he's a friend, one of them, their horizon is broadening all the time (P. 14)

Le groupe avec lequel Julie se solidarise en Afrique du Sud est donc un groupe qui admet inconditionnellement l'autre, quelque soit la couleur de sa peau, sa classe sociale ou sa classe d'âge. Ce groupe fait sien un principe cher à Georges Ngal : rien d'humain ne m'est étranger119(*). C'est un groupe qui refuse de bafouer les Droits de l'homme et respecte la vie humaine. Ce groupe cultive pour ainsi dire la paix, l'amitié et l'amour entre les hommes. Julie ne s'éloigne pas non plus de ces principes dans le pays de Musa.

Plutôt que de s'enivrer des opportunités (selon Musa) que la couleur de sa peau lui offrent dans le monde, Julie choisit de se faire accepter pacifiquement dans la communauté de Musa. À l'arrivée, elle comprend qu'il est décisif pour elle d'apprendre la langue arabe pour atteindre cet objectif. I have to learn the language (P. 121) se décide-t-elle. L'importance de la religion musulmane dans le pays de Musa la pousse à vouloir y voir plus clair:

She wrote to her mother; why shouldn't she be asked to order through one of those wonderful Internet book warenhouses in California a translation of the Koran, hardback? (P. 143).

Son souci pour qu'elle soit pacifiquement acceptée dans la communauté de Musa s'illustre également au-delà de la décision d'observer le jeûne du Ramadan que Julie prend : of course I'll fast (P. 153).

Tout se passe comme si pour Julie, plutôt que de l'appauvrir, l'autre l'enrichit. Elle apprend, en plus de l'Anglais et du christianisme, sa langue et sa religion d'origine, l'Arabe et l'islam. Julie a compris que l'on déclare indirectement la guerre contre l'autre lorsqu'on refuse de respecter les croyances et la culture de ce dernier. Julie fait valoir son identité comme une réalité en perpétuel recommencement. Comme dirait Fanon, Julie, dans le monde où elle s'achemine, se crée interminablement120(*).

Loin donc d'elle l'idée d'une quelconque identité figée à la manière de celle du groupe qu'elle quitte en Afrique du Sud et de celle de Musa. L'identité que Julie suggère autorise que les hommes puissent se déplacer pacifiquement d'un coin à l'autre du monde sans que racisme et rejet s'en suivent.

III.3.2 Le cosmopolitisme

Nadine Gordimer semble idéaliser dans son roman le cosmopolitisme. D'après le Dictionnaire Hachette de la langue française est cosmopolite toute personne qui se déclare citoyen du monde, toute personne qui refuse de se laisser enfermer dans le cadre étroit de l'appartenance à une nation. Que Gordimer construise son récit à partir de diverses nations n'est donc pas fortuit à ce titre. L'Afrique du Sud, l'Allemagne, l'Angleterre, la Nouvelle Zélande, l'Australie, le Canada, la Jamaïque, le Sénégal, le Mali, les USA et le pays de Musa sont tous des pays réduits aux cadres à partir desquels Gordimer tisse son intrigue.

Pour Gordimer, tous ces pays ont une chose en commun : ils sont tous habités par des êtres humains soumis aux mêmes lois naturelles. En se servant de ces pays pour construire son roman, Gordimer semble vouloir comme dirait Fanon, multiplier entre eux des connexions, diversifier entre eux des réseaux et ainsi rehumaniser les messages121(*). Dans cette perspective, le personnage Julie fonctionne comme une espèce d'allégorie de l'idéal que Gordimer poursuit au moyen de The Pickup. Car Julie cherche à appartenir au monde. Elle s'évertue pour cela à s'ouvrir d'abord à Musa en Afrique du Sud, ensuite à la communauté de Musa dans The Pickup. Julie apparaît à cet égard comme une illustration de la thèse que Edward Said défend dans Culture and imperialism. En effet, Julie semble avoir compris qu'il est absurde à l'ère post-coloniale de croire que son identité ou sa culture serait meilleure ou pure par rapport à celle des autres. Ce d'autant que l'impérialisme a consolidé la mixture ou le mélange des cultures dans un cadre global :

No one today is purely one thing. Labels like Indian, or woman, or Muslim, or American are not more than starting-points, which followed into actual experience for only a moment are quickly left behind. Imperialism consolidated the mixture of cultures and identities on a global scale122(*).

Mais les migrations répétées de Musa apparaissent comme un défi pour les implications de la migration chez Julie dans The Pickup. Les migrations répétées de Musa tendent à brouiller l'importance que Gordimer attache à la migration dans son roman. Voilà qui m'amène à évaluer les défis de la migration dans The Pickup.

III.3.3 Les défis de la migration dans The Pickup

Gordimer semble reconnaître qu'il ne sera pas facile d'évincer l'impérialisme dans le monde. Voilà pourquoi elle se sert de la migration en situation de menace dans The Pickup comme prétexte pour proposer ce qu'on peut faire pour lutter contre l'impérialisme. Dans The Pickup, cette forme de migration est en effet menacée par la migration comme illustration de la victoire de l'impérialisme dans le monde.

Ce traitement que Gordimer réserve à la migration se justifie sans doute par l'exigence de liberté qu'implique l'art ou pour le cas spécifique de The Pickup, la littérature. Tourgueniev que Gordimer cite souvent écrit à ce propos :

Sans liberté, au sens le plus large du terme, c'est-à-dire par rapport à soi-même... et par rapport à son peuple et à son histoire aussi, le véritable artiste est impensable ; sans la présence de cet air, il est impossible de respirer123(*)

Gordimer a sans doute voulu rester libre devant la réalité qu'elle s'est proposée d'exposer dans The Pickup. Elle a refusé de taire ou d'exagérer un ou l'autre aspect de cette réalité. Évaluant la particularité de l'art de Gordimer, Salman Rushdie conclut d'ailleurs que c'est cette capacité qu'elle a de transposer la réalité sans sentimentalisme qui fait d'elle une véritable artiste : son art, écrit-il, réside dans le refus de toute exagération, toute hyperbole124(*).

Tout compte fait, la migration, dans The Pickup s'impose comme ce en quoi Gordimer entrevoit le bonheur des hommes dans le monde. Selon elle, c'est la migration qui permettra de réduire les laideurs de l'ère post-coloniale. Au nombre de ces laideurs, Gordimer relève la migration clandestine qu'elle considère alors comme le miroir du dysfonctionnement de notre [ère]125(*). C'est par exemple en quittant les bureaux climatisés de New York comme Julie, la bourgeoisie sud-africaine dans The Pickup, pour s'ouvrir à la périphérie que les experts de Brettonwoods pourront réduire, sinon stopper les migrations clandestines des populations de la périphérie vers le centre.

Gordimer croit donc à la migration légale parce qu'elle a compris comme Edward Said ou Arjun Appadurai que l'impérialisme et le colonialisme ont accéléré l'érosion des frontières entre les cultures, les sociétés ou les nations. Il est en effet absurde aujourd'hui de vouloir vivre ou de vivre dans l'isolement ou le repli identitaire puisque le colonialisme et l'impérialisme ont généré ce que Homi Bhabha appelle the unhomely condition of the modern world126(*). Arjun Appadurai qualifie ce monde de monde « post-national ». Toujours d'après lui, ce monde a plusieurs implications :

la première est temporelle et historique. Elle suggère que nous sommes engagés dans un processus menant à un ordre mondial où l'État-nation est devenu obsolète et où d'autres formations d'allégeance et d'identité ont pris place. La seconde est l'idée que les formes qui émergent sont de puissantes alternatives pour l'organisation du trafic international de ressources, d'images et d'idées. Les formes contestant activement l'État- nation ou constituant des alternatives de paix pour des loyautés politiques à grande échelle. La troisième implication est la possibilité que les nations continuent d'exister, tandis que l'érosion permanente des capacités de l'État- nation à monopoliser la loyauté encourage la diffusion de formes nationales ayant largement divorcé des états territoriaux127(*)

La périphérie et le centre seront-ils à mesure de comprendre et d'appliquer ces exigences qu'impose l'ère post-coloniale pour qu'enfin règne la paix dans le monde ? Sur cette question, Gordimer semble pessimiste en ce qui concerne le centre. C'est du moins la thèse qui se dégage du sort que Gordimer réserve au groupe que Julie quitte en Afrique du Sud. Car ce groupe n'est pas prêt à renoncer à son mode de vie fait de racisme, d'ostracisme et de narcissisme. Quant à la périphérie, Gordimer semble y fonder tous ses espoirs. Tout se passe comme si parlant de la périphérie, Gordimer disait que :

le Tiers-monde est aujourd'hui en face de l'Europe comme une masse colosale dont le projet doit être d'essayer de résoudre les problèmes auxquels cette Europe n'a pas su apporter de solutions128(*)

Voilà pourquoi Gordimer termine son récit par une note d'espoir que Julie exprime en direction de Musa. Alors que Musa disparaît dans le taxi venu le chercher pour l'aéroport, Julie, en aparté avec Khadija songe : He'll come back (P. 268). Ainsi, la périphérie devrait revenir au point zéro par un effort de réflexion afin de comprendre que sa condition est en partie la conséquence de l'impérialisme sur elle. C'est à cette condition qu'elle pourra cesser d'être considérée comme ce qu'Alain Mévégué appelle le maillon faible de la planète129(*). De la mémoire de son histoire douloureuse et triste qu'elle aura elle-même forgée et qu'elle préservera, la périphérie pourra alors contribuer à des tâches qui augmentent la totalité de l'homme. 130(*)

CONCLUSION GÉNÉRALE

Bon nombres de critiques littéraires s'accordent sur le fait que la critique littéraire vise à déterminer comment les écrivains appréhendent les forces existentielles à travers leur objet d'art. À propos de la critique africaine, Romuald Fonkoua pense à cet effet que :

Si elle doit éclairer la compréhension d'une oeuvre, la critique littéraire ne saurait se confondre à l'opinion de son auteur. Elle pourrait au mieux refléter les vues de l'auteur saisies par le critique131(*)

Dans une perspective plus vaste, Nadine Gordimer pense pour sa part que :

Toutes les études littéraires tendent vers un même but : dégager une logique (et qu'est-ce qu'une logique sinon le principe caché dans l'énigme) ; rendre définitive par une méthode appropriée l'appréhension par l'écrivain des forces existentielles132(*)

C'est dire que la critique littéraire peut être considérée comme un exercice qui assure à celui ou celle qui la pratique, sa métamorphose en une espèce d'écrivain. Gordimer poursuit dans cet ordre d'idée :

Décomposer un texte est d'une certaine façon une contradiction, car c'est en fait le recomposer à partir de ses morceaux, comme l'avoue Roland Barthes... Ainsi le critique littéraire finit-il par devenir lui aussi une espèce de conteur133(*)

La critique littéraire consiste donc à interroger la forme du texte littéraire question de cerner les préoccupations existentielles qui y circulent. Peut-être n'ai-je pas atteint cet objectif dans cet exercice d'initiation à la recherche. Peut-être, par contre faut-il rappeler d'abord l'hypothèse qui a sous-tendue le présent travail et comment je l'ai organisé avant toute évaluation.

Je me suis proposé dans cet exercice de vérifier que dans The Pickup, Nadine Gordimer se sert de la migration pour proposer une nouvelle manière de se représenter le subalterne.

Compte tenu de sa spécificité, j'ai opté pour la théorie postcoloniale dans le but de mener à bien ma démonstration. Elle intègre en même temps l'analyse des structures esthétiques du roman que l'analyse de son fond.

J'ai ainsi commencé par analyser la forme de The Pickup question de mettre en exergue les préoccupations existentielles abordées dans ce roman. Pour emprunter cette expression à Mikhail Bakhtine, il s'est agit de montrer comment :

La forme, entière réalisée dans un certain matériau, devient (...) néanmoins la forme du contenu, se relate axiologiquement à lui, ou, en d'autres termes, comment la forme compositionnelle, c'est-à-dire l'organisation du matériau réalise (...) l'unification et l'organisation des valeurs cognitives et éthiques134(*)

De l'analyse de la structure de The Pickup, il s'est dégagé que la migration et la représentation constituaient des préoccupations cardinales dans ce roman. En outre il s'est révélé que la migration n'y avait pas qu'une seule perspective par rapport à la représentation. J'ai alors pensé important d'examiner les rapports entre la représentation et la migration.

En s'appuyant sur les mécanismes de la représentation, catalyseur de l'impérialisme, le deuxième chapitre avait à coeur de mettre en évidence la subalternéité de Musa. Il a aussi été question de démontrer que ses migrations répétées vers l'Occident sont une conséquence de la représentation que lui a imposé l'Occident. Il s'en dégage que Gordimer présente ces migrations de cette manière sinon pour indiquer la profondeur des conséquences de l'impérialisme, du moins pour suggérer les défis qui s'imposent à toute personne ou à tout groupe mus par le désir de combattre l'impérialisme.

Le dernier chapitre quant à lui visait à déterminer en quoi la migration de Julie n'a pas la même signification que celles de Musa. Ce chapitre est d'un apport considérable pour la vérification de mon hypothèse de départ. Il s'affirme par ailleurs comme une galerie des comportements pratiques qui ne demandent qu'à être imités par le commun des mortels pour qu'effectivement l'humanité avance d'un cran135(*) comme aurait dit Fanon. Nul doute que si les hommes adoptaient les comportements de Julie, la cohabitation entre eux serait plus pacifique et plus bénéfique. Si les comportements de Julie venaient à être adoptés par les hommes, il n'existerait plus jamais entre eux des subalternes d'une part, des maîtres d'autre part.

Cela dit, avons-nous réalisé ici un exercice de critique littéraire ? Il ne nous appartient sans doute pas de répondre à cette question dans ce type d'exercice. Ce d'autant que nous risquons de faire de la prestidigitation en s'y essayant. Nous nous bornerons plutôt à souligner l'intérêt de la présente étude.

En peignant la bourgeoisie sud-africaine comme une caricature de l'Occident impérialiste, tel que nous l'avons relevé au cours de cette étude, Gordimer a le mérite de renvoyer à son peuple une image de lui-même à partir de laquelle, il peut constater que le démantèlement de l'apartheid de 1994 n'a pas profondément transformé l'Afrique du Sud. Bien au contraire, il a peut être rendu plus subtile l'exercice de l'impérialisme dans la « nation arc-en-ciel ». Autrement dit, d'après Gordimer, le peuple sud-africain n'a presque pas évolué vis-à-vis du racisme. C'est un fait incontestable que The Pickup a le mérite de relever. Voilà qui remet à l'ordre du jour le problème de l'équation Vérité = Réconliation que Jean-Blaise Samou a déjà posé dans son étude intitulée La problématique de la vérité chez Jilian Slovo : Approche post-coloniale de Red Dust.

C'est dire qu'une étude sur les oeuvres post-apartheid des auteures Nadine Gordimer et Jilian Slovo permettrait de systématiser l'homologie de la vision du monde chez ces sud-africaines. Toutes deux semblent convaincues de l'échec de plus en plus avoué du peuple sud-africain vis-à-vis de l'idéal de fraternité raciale et culturelle qui a pourtant galvanisé des années durant le combat contre l'Apartheid.

Par ailleurs, la présente étude a le mérite de proposer une méthode efficace pour lutter contre la migration (immigration, émigration) clandestine ; cette espèce de virus qui semble avoir choisi l'Afrique comme cellule à fragiliser et à désintégrer. La méthode en question consiste à faire front aux méfaits de la représentation sous toutes leurs formes. Cette méthode interpelle ainsi tant le centre que la périphérie qui tous deux ont une responsabilité indéniable devant ce fléau de notre ère.

Dans le même ordre d'idée, en relevant les fondements de la migration clandestine, cette étude appréhende ce phénomène comme véritable baromètre pour l'évaluation de la complexification de notre condition post-coloniale. C'est en effet un contexte où l'impérialisme étend ses tentacules dans tous les espaces de la vie quotidienne et bouscule de s'y établir définitivement sans que plus personne ne s'en rende compte.

En portant un doigt accusateur sur l'institution universitaire ou scolaire en postcolonie, la présente étude a le mérite de montrer que si nous ne veillons pas à ce que nos intérêts y prédominent, celle-ci peut produire des effets pires que ceux des camps de concentration de l'époque Nazie. Dans cette perspective, l'institution scolaire devient une espèce d'artillerie lourde pour assujettir. Antonio Gramsci parle de domination by consent136(*) . Cette étude a donc le mérite de souligner l'urgence en périphérie d'adapter l'institution scolaire aux intérêts de celle-ci. C'est à cette condition que l'école cessera d'être responsable de l'obsession de l'émigration clandestine chez le jeune qui en sort tel que nous l'avons vu avec Musa.

Parce qu'elle suggère que la lutte contre l'émigration clandestine serait efficace si elle commence par l'adoption de comportements nouveaux autant par le centre que par la périphérie, la présente étude peut aussi servir de support théorique à des projets ou à des organismes de lutte contre les migrations clandestines dans le monde.

Enfin, en idéalisant la migration identitaire, ou l'ouverture à d'autres cultures, Gordimer oeuvre avec The Pickup à la pacification des relations interculturelles. Les nations, les religions, les tribus ou les États peuvent s'en inspirer pour comprendre que la pluralité des sources et des expressions fait éclater les frontières  comme aurait dit Abdourahman Waberi137(*). Autrement dit, notre ère nous impose des comportements plus humains qui tiennent compte de l'autre non plus comme un esclave, encore moins comme un maître, mais comme une altérité de laquelle on peut apprendre mais aussi à qui on peut apprendre. Les enjeux de paix et d'humanisme liés à cette démarche ne sont plus à démontrer.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

I- CORPUS:

Gordimer, Nadine, The Pickup, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2001.

II- AUTRES ECRITS DE NADINE GORDIMER

II.1 Romans

The Lying Days. - London: Gollancz, 1953.

A World of Strangers. - London: Gollancz, 1958.

Occasion for Loving. - London: Gollancz, 1963.

The Late Bourgeois World. - New York: Viking, 1966.

A Guest of Honour. - London: Cape, 1971.

The Conservationist. - London: Cape, 1974.

Burger's Daughter. - London: Cape, 1979.

July's People. - New York: Viking, 1981.

A Sport of Nature. - London: Cape, 1987.

My Son's Story. - London: Bloomsbury, 1990.

None to Accompany Me. - London: Bloomsbury, 1994.

The House Gun. - New York: Farrar, Straus and Giroux, 1998.

Get a Life. - New York: Farrar, Straus, Giroux, 2005.

II.2 Nouvelles

Face to Face. - Johannesburg: Silver Leaf Books, 1949.

The Soft Voice of the Serpent and Other Stories. - New York, Simon and Schuster, 1952.

Six Feet of the Country: Fifteen Short Stories. - New York, Simon and Schuster, 1956.

Friday's Footprint. - London: Gollancz, 1960.

Not for Publication: Fifteen Stories. - London: Gollancz, 1965.

Livingstone's Companions. - London : Jonathan Cape, 1972.

Selected Stories. - London: Cape, 1975.

Some Monday for Sure. - London: Heinemann Educational, 1976.

A Soldier's Embrace. - London: Cape, 1980.

Something Out There. - London: Cape, 1984.

Reflections of South Africa. - Herning: Systime, 1986.

Crimes of Conscience: Selected Short Stories. - London: Heinemann, 1991.

Jump and Other Stories. - London: Bloomsbury, 1991.

Why Haven't You Written: Selected Stories 1950-1972. - New York: Viking, 1993.

Harald, Claudia, and Their Son Duncan. - London : Bloomsbury, 1996.

Loot and Other Stories. - London: Bloomsbury, 2003.

Beethoven was one-sixteenth Black, Farrar, Straus and Giroux, 2007.

II.3 Essais

The Black Interpreters: Notes on African Writing. - Johannesburg: Spro-Cas/Ravan, 1973.

The Essential Gesture: Writing, Politics and Places / edited and introduced by Stephen Clingman. - London: Cape, 1988.

Writing and Being. - Cambridge, Mass.: Harvard Univ. Press, 1995.

Living in Hope and History: Notes from Our Century. - New York: Farrar, Straus and Giroux, 1999.

II.4 Ecrits sur Nadine Gordimer

Critical Essays on Nadine Gordimer/ edited by Rowland Smith. - Boston: Hall, 1990.

The Later Fiction of Nadine Gordimer/ edited by Bruce King. - London: Macmillan, 1993.

Ettin, Andrew Vogel, Betrayals of the Body Politic: the Literary Commitments of Nadine Gordimer. - 1993.

Nadine Gordimer: a Bibliography of Primary and Secondary Sources, 1937-1992/ compiled by Dorothy Driver ... - 1994.

Wagner, Kathrin, Rereading Nadine Gordimer. Text and Subtext in thé Novels. -Bloomington: Indiana Univ. Press, 1994.

A Writing Life: Celebrating Nadine Gordimer / edited by Andries Walter Oliphant. - London: Viking, 1998.

Temple-Thurston, Barbara, Nadine Gordimer Revisited / Barbara Temple-Thurston. - New York: Twayne Publishers, 1999.

III- OUVRAGES GÉNÉRAUX ET THÉORIQUES

Appadurai, Arjun, Après le colonialisme, les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001.

Arendt, Hannah, Les origines du totalitarisme. L'impérialisme, Paris, Fayard, 1982.

Aron, Paul et al., Le Dictionnaire du littéraire, Paris, P.U.F., 2002.

Ashcroft, Bill et al., The Post-colonial studies Reader, New York, Routledge, 1995.

Baktine, Mikhail, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978.

Benveniste, Emile, Problème de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966.

Beverley, John, Subalternity and Representation, Durham & London, Duke University press, 1999.

Bhabha, Homi, The location of culture, London, et New York, Routledge, 1994.

Boulaga, Fabien Eboussi, Lignes de résistance, Yaoundé, Éditions CLE, 1999.

Bourneuf, Roland & Ouellet, Real, L'univers du roman, Paris, P.U.F., 1989.

Bremond, Claude, Logique du récit, Paris, Seuil, 1973.

Breton, Philippe, La parole manipulée, Canada, Éditions du Boréal, 1997.

Confiant, Raphaël et al. Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989.

Couzenhoy, David, Michel Foucault, Lectures critiques, Bruxelles, De Boeck-wesmael, 1989.

Dewey, John, Démocratie et éducation, Paris, Armand Colin, 1990.

Djiffack, André, Mongo Beti. La quête de la liberté, Paris, L'Harmattan, 2000.

Fanon, Frantz, Les Damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961.

Fanon, Frantz, Peau noire, masques blancs, Paris, Éditions du Seuil, 1962.

Foucault, Michel, L'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.

Foucault, Michel, Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.

Genette, Gérard & Todorov, Tzvetan, Poétique du récit, Paris, Le seuil, 1977.

Genette, Gérard, Figures III, Paris, Édition du Seuil, 1972.

Gordimer, Nadine, L'Écriture et l'existence, Paris, Bibliothèques 10/18, 1996.

Gordimer, Nadine, Vivre dans l'Espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle, Paris, Plon, 2000.

Gusdorf, Georges, Mythe et Métaphysique, Paris, Flammarion, 1953.

Hamon, Philippe, Le Personnel du roman, Genève, Droz, 1983.

Harison, Nicholas, Postcolonial criticism, History, theory and the work of fiction, USA, Polity Press, 2003.

Harlow, Barbara, Resistance literature, New York, Methuen, 1987.

Hassoun, Jacques, L'obscur objet de la Haine, Paris, Aubier, 1997.

Kelman, Gaston, Je suis noir et je n'aime pas le manioc, Paris, Max Milo, 2003.

King, Martin Luther, Je fais un rêve, paris, Édition Bayard, 1987.

Kom, Ambroise, Éducation et démocratie en Afrique. Le temps des illusions, Paris et Yaoundé, L'Harmattan et Édition du CRAC, 1996.

Kom, Ambroise, La malédiction francophone. Défis culturels et condition post-coloniale en Afrique, Yaoundé, Clé, 2000.

Mbembe, Achille, De la postcolonie. Éssai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000.

Memmi, Albert, Le racisme, description, définitions, traitement, Paris, Gallimard, 1994.

Mitterrand, Henri, Le discours du roman, Paris, P.U.F., 1980.

Moore-Gilbert, Bart, Postcolonial Theory, contexts, Practices, politics, New York, Verso, 1997.

Ngal, Georges, Création et rupture en Littérature africaine, Paris, L'Harmattan, 1994.

Reuter, Yves, Introduction à l'analyse du roman, Paris, Bordas, 1991.

Rossum-Guyon, F. V., Critique du roman, Paris, Gallimard, 1970.

.

Rushdie, Salman, Patries imaginaires, Paris, 10/18, 1993.

Said, Edward, Culture and Imperialism, New York, vintage Books, 1993.

Said, Edward, L'orientalisme. L'orient crée par l'occident, Paris, Seuil, 1980.

Tadié, Jean Yves, Poétique du récit, Paris, P.U.F., 1978.

Todorov, Tzvetan, Grammaire du Décameron, La Haye, 1969.

Todorov, Tzvetan, Mémoire du mal, tentation du bien, enquête sur le siècle, Paris, Robert Laffont, 2000.

Traoré, Aminata, Le viol de l'imaginaire, Paris, Arthème Fayard & Actes sud, 2002.

Valette, Bernard, Le roman. Initiation aux méthodes et aux techniques modernes d'analyse littéraire, Paris, Nathan, 1992.

IV- AUTRES OUVRAGES

IV.1 Nouvelle

Diome, Fatou, La préférence nationale, Paris, présence africaine, 2001.

IV.2 Romans

Beti, Mongo, Trop de soleil tue l'amour, Paris, Julliard, 1999.

Conrad, Joseph, Le coeur des ténèbres, Paris, Librairie générale française, 1988.

Diome, Fatou, Le ventre de l'atlantique, Paris, Édition Anne Carrière, 2003.

Kane, Hamidou Cheikh, L'aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961.

Rushdie, Salman, Les versets sataniques, Paris, Plon, 1999.

Salih Tayeb, Season of migration to the north, USA, Heinemann, 1970.

V- ARTICLEs, MÉMOIRES ET REVUES

Barthes, Roland, « Analyse structurale des récits » in Poétique du récit, Paris, le Seuil, 1977.

Barthes, Roland, « Introduction à l'analyse structurale des récits » in Communications n°8, 1966.

Biem, Jean Eudes, Hybridité et écriture chez Ngal et Liking, Mémoire Maîtrise, Yaoundé, 2002.

Fetchepi, Yves Ervice, Mythe et réalité sur l'immigration des africains en Occident dans Le ventre de l'atlantique de Fatou Diome, Mémoire Maîtrise, Yaoundé, 2006.

Fonkoua, Romuald, « Naissance d'une critique littéraire en Afrique noire » in Notre Librairie n°160. La critique littéraire, Paris, 2006.

Kom, Ambroise, « Le Drame de l'élite camerounaise » in Mutations n°1159, Yaoundé, 2004.

Koné, A., « le rôle de l'écrivain dans l'Afrique contemporaine : un témoignage », in Nouvelles du sud. Littératures Africaines, Barbes, Silex, 1987.

Lanni, Dominique, « L'Exil et le royaume : les formes de l'engagement dans l'oeuvre de J.M. Cotzee » in Africultures n°59, Paris, l'Harmattan, 2004.

Ngabeu, Ariane Jeannette, Histoire et mémoire dans la mémoire amputée de Werewere Liking, Mémoire D.E.A., Yaoundé, 2006 (ouvrage consulté).

Notre Librairie. Littérature d'Afrique du sud, N° 122, 1995.

Nouvelles du Sud. Littérature d'Afrique du sud, Éditions nouvelles du sud, 1993.

Said, Edward, « Foucault et l'image du pouvoir » in Michel Foucault, lectures critiques, Bruxelles, De Boeck-wesmael, 1989.

Samou, Jean Blaise, Problématique de la vérité chez Gillian Slovo : Approche postcoloniale de Red dust, mémoire maîtrise, Yaoundé, 2004.

Slemon, Stephen, « Unsettling the empire: Resistance Theory for the Second World», in The post-colonial studies reader, New York & London, Routledge, 1995.

Spivak, Gayatri Charkrovorty, « Can the subaltern speak? » in The Post-colonial studies Reader, New York & London, Routledge, 1995.

Todorov, Tzvetan, « Les catégories du récit littéraire » in Figures III, Paris, Éditions du Seuil, 1972.

Valery, Paul, « Tel quel »in Poétique du récit, paris, le seuil, 1977.

Waberi, Abdourahman, « Écrivains d'Afrique du sud : penser l'Apartheid dix ans après... » In Notre Librairie N°157, Littérature et développement, Paris, 2005.

VI- PAGES WEB

http: //wwwkirjast.sci.fi/gordimer.htm

http: //nobelprize.org/literatur/lameats/1991/gordimer-bis.html

http: // :web.archive.org/web/20010627170106/www.france 3.fr/emio

http: //en.wikipedia.org/wiki/Nadine-Gordimer

httl://www.eclectica.org/v6n1/skea_gordimer.html

httl://64.233.183.104/search?q:cache:c1zznv8mmkgJ:ehlt...

http://www.readinggroupguides.com/guides_H/house_gun1.asp

http://books.guardian.co.UK/reviews/generalfiction/0,,1641142,00.htm/

TABLE DES MATIERES

DÉDICACE i

REMERCIEMENTS ii

LISTE DES ABRÉVIATIONS iii

RÉSUMÉ iv

ABSTRACT iv

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

CHAPITRE I ESPACE, PERSONNAGES, PERSPECTIVE NARRATIVE ET SIGNIFICATION DANS THE PICKUP 14

I.1 L'ESPACE NARRATIF 16

I.1.1 L'itinéraire de Musa 17

I.1.2 L'itinéraire de Julie 21

I.2 LES PERSONNAGES 28

I.2.1 L'organisation des personnages 29

I.2.2 La fonction des personnages 32

I.3 LA PERSPECTIVE NARRATIVE 35

I.3.1 L'identité du narrateur 35

I.3.2 La position du narrateur 37

CHAPITRE II MIGRATION COMME CONSÉQUENCE

DE LA REPRÉSENTATION 41

II.1 LA NOTION DE REPRÉSENTATION 42

II.1.1 Le manichéisme 43

II.1.3 L'hégémonie et la créativité 46

II.2 LES SOURCES DE LA REPRÉSENTATION CHEZ MUSA 48

II.2.1 La colonisation 48

II.2.2 L'université 50

II.3- LES MOTIVATIONS DE LA MIGRATION CHEZ MUSA 52

II.3.1- La condition postcoloniale 53

II.3.1.1- La pauvreté 54

II.3.1.2- La corruption du gouvernement 55

II.3.2- Le mythe du centre 56

II.3.2.1- Les propagateurs du mythe du centre 57

II.3.2.2- La bourgeoisie 58

CHAPITRE III LA MIGRATION COMME REMISE EN QUESTION

DE LA REPRÉSENTATION 61

III.1- LES FONDEMENTS DE LA RÉVOLTE DE JULIE EN AFRIQUE DU SUD 63

III.1.1- L'autarcie de la bourgeoisie sud-africaine 63

III.1.2- L'exploitation du subalterne 65

III.2- MIGRATION ET RÉSISTANCE 68

III.2.1- Résistance à la représentation du centre 70

III.2.2 Résistance à la représentation de la périphérie 72

III.3 LES ENJEUX ET LES DÉFIS DE LA MIGRATION DANS THE PICKUP 77

III.3.1 Le décentrement 77

III.3.2 Le cosmopolitisme 79

III.3.3 Les défis de la migration dans The Pickup 80

CONCLUSION GÉNÉRALE 64

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 90

TABLE DES MATIERES 100

* 1 La spécificité du texte littéraire africain ainsi résumée est aussi soutenue par l'écrivain ivoirien Amadou Koné. Voir à ce propos A. Koné, "Le Rôle de l'écrivain dans l'Afrique contemporaine : un témoignage", in Nouvelles du Sud. Littératures Africaines, Rue Barbes, Silex, 1987.

* 2 M. Kunene, cité par J. Sévry in Nouvelles du sud. Littérature d'Afrique du Sud, Éditions Nouvelles du sud, 1993, p. 38.

* 3 G. Ngal, Création et rupture en Littérature africaine, Paris, L'Harmattan, 1994, p. 13-14.

* 4 Nadine Gordimer, The Pickup, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2001.

* 5 Pour les dates de parution, connecter htt://www.kirjasto.sci.fi/gordimer.htm et http://nobelprize.org/literatur/laureates/1991/gordimer-bis.html

* 6 Il s'agit de : http://www.readinggroupguides.com/guides_H/house_gun1.asp et http://books.guardian.co.UK/reviews/generalfiction/o,,1641142,00.htm/

* 7 Date de la tenue des premières élections multiraciales qui culminait avec le démantèlement du régime de l'apartheid en Afrique du sud.

* 8 Voir Notre Librairie. Littérature d'Afrique du Sud. 1. N° 122, Avril-Juin 1995, p. 75.

* 9 Ann Skea, httl: //www.eclectica.org/v6n1/skea-gordimer-html.

* 10 Sue Kossew, http : //64.233.183.104/search ? q=cache : c1zznv8mmKgJ :ehlt...

* 11 Bill Ashcroft et al., The Post-colonial Studies Reader, New York, Routledge, 1995, p. 2.

* 12 Jacques Hassoun, L'Obscur objet de la Haine, Paris, Aubier, 1997, p. 27.

* 13 Edward Said, L'Orientalisme, Paris, Seuil, 1980, et Culture and Impérialism, New York, Vintage Books, 1993

* 14 Homi Bhabha, The Location of culture, London and New York, Routledge, 1994.

* 15 Arjun Appadurai, Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001.

* 16 Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l'imaginaire politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000.

* 17 Achile Mbembe, De la postcolonie..., op. cit., p. XX.

* 18 Cheikh Hamidou Kane, L'aventure ambiguë, Paris, Juliard, coll. 10/18, 1961.

* 19 Tayeb Salih, Season of migration to the north, USA, Heinemann, 1970.

* 20 Fatou Diome, La préférence nationale, Paris, Présence africaine, 2001.

* 21 Fatou Diome, Le ventre de l'Atlantique, Paris, éd. Anne carrière, 2003.

* 22 Edward Said, extrait du texte paru sur la quatrième des couvertures de The pickup, voir à ce propos Nadine Gordimer, The pickup, op. cit., « Praise for Nadine Gordimer and The Pickup ».

* 23 Ambroise Kom, La malédiction Francophone. Défis culturels et condition post-coloniale en Afrique, Yaoundé, CLE, 2000, p. 6.

* 24 Voir J.B. Samou, Problématique de la vérité chez Gillian Slovo : Approche postcoloniale de Red dust, Mémoire de Maîtrise, Yaoundé, 2004 (inédit) p. 10.

* 25 Nicholas Harrison, Postcolonial criticism, History, Theory and the Work of fiction, USA, polity Press, 2003, p. 9.

* 26 Bart Moore-Gilbert, Postcolonial Theory, contexts, practices, politics, New York, Verso, 1997, p. 9.

* 27 Je souligne

* 28 Je souligne

* 29 E. Said, L'Orientalisme. L'orient crée par L'occident, Paris, Seuil, 1980, p. 380

* 30 Nicholas Harrison, Postcolonial criticism, History, Theory and the Work of fiction, USA, polity press, 2003, pp. 6-7.

* 31 Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972.

* 32 Real Ouellet et Roland Bourneuf, L'univers du roman, Paris, P.U.F., 1972.

* 33 Roland Barthes, « Analyse structurale des récits » in Gérard Genette et Tzvetan Todorov (s/d), Poétique du récit, Paris, Le Seuil, 1977.

* 34 Lydie Moudileno, in Africultures N°28, P. 9., cité par Yves Ervice Fetchepi, Mythe et Réalités sur l'immigration des Africains en Occident dans le Ventre de l'Atlantique de Fatou Diome, Mémoire de Maîtrise, Yaoundé, 2006, P. 12.

* 35 G. Genette, Figures III, Paris, Éditions du Seuil, 1972, p. 227.

* 36 La narratologie est un concept forgé par Tzvetan Todorov pour désigner un projet scientifique de l'étude du récit, voir Grammaire du Décaméron. La Haye, 1969, p. 10. Cette science a bénéficié de l'essor du structuralisme des années soixante. Bernard Valette pense pour sa part que « la narratologie est une sorte de « poétique restreinte » limitée au fait romanesque », in Le roman. Initiation aux méthodes et aux techniques modernes d'analyse littéraire, Paris, Nathan, 1992, p. 10.

* 37 Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, réed. 1990, p. 92.

* 38 Mikhail Baktine, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, réed., 2001, p. 62.

* 39 Michel Foucault, L'archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 262.

* 40 J. Y. Tadié, Poétique du récit, Paris, P.U.F., 1978, p. 47.

* 41 G. Gusdorf, Mythe et Métaphysique, Paris, Flammarion, 1953, p. 48.

* 42 Roland Bourneuf, Réal Ouellet, L'univers du roman, Paris, P.U.F., 1989, p. 103.

* 43 Cheikh Hamidou Kane, L'Aventure ambiguë, Paris, Julliard, Coll. 10/18, 1961, P. 125.

* 44 Philippe Breton, La Parole manipulée, Canada, Éditions du Boréal, 1997, p. 196.

* 45 Raphael Confiant et al., Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1989, p. 37

* 46 Nadine Gordimer, L'Écriture et l'existence, Paris XIIIe, Bibliothèque 10/18, 1996, p. 159.

* 47 Edward Said, Culture and Imperialism, New York, Vintage Books, 1994, p. xiii et xiv.

* 48 Martin Luther King, Je fais un rêve, Paris, Éditions Bayard, 1987, p. 67.

* 49 Frantz Fanon, Peau noire masques blancs, Paris, Éditions du Seuil, 1962, p. 50.

* 50 Roland Barthes, « Analyse structurale des récits » art. in Gérard Genette, Tzvetan Todorov (s/d), Poétique du récit, Paris, Le Seuil, 1977, P. 33.

* 51 Yves Reuter, Introduction à l'analyse du roman, Paris, Bordas, 1991, P. 50.

* 52 Philippe Hamon, Le Personnel du roman, Genève, Droz, 1983, P. 185.

* 53 R. Bourneuf et R. Ouellet, L'univers du roman, Paris, P.U.F., 1989, p. 162.

* 54 Fatou Diome, Le Ventre de l'Atlantique, Paris, Éditions Anne Carrière, 2003.

* 55 Voir supra. P. 22.

* 56 John Beverley, Subaltern and Representation, Durham and London, Duke University press, 1999, p. 1.

* 57 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, réed., 1991, p. 371.

* 58 Claude Bremond, Logique du récit, Paris, Seuil, 1973, P ; 133.

* 59 R. Barthes, « Introduction à l'analyse structurale des récits », Communications N° 8, 1966.

* 60 G. Genette, Figures III, op. cit., p. 203.

* 61 F. v. Rossum-Guyon, Critique du roman, Paris, Gallimard, 1970, p. 114.

* 62 G. Genette, Figures III, op. cit., p. 203.

* 63 T. Todorov, « Les catégories du récit littéraire », art., cité par G. Genette, Figures III, op. cit., p. 206.

* 64 P. Valery, Tel quel, cité par P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage » in G. Genette et T. Todorov (s/d), Poétique du récit, Paris, Le Seuil, Coll. "Essais", 1977, P. 115.

* 65 Henri Mitterrand, Le discours du roman, Paris, P.U.F., 1980 p. 5.

* 66 Gérard Genette, Figures III, op.cit., p. 68.

* 67 Edward Said, L'orientalisme, l'Orient crée par l'occident, op. cit., P. 19.

* 68 D'après Guha, « subaltern is a name for the general attribute of subordination (...) whether this is expressed in terms of class, caste, age, gender and office or in any other way ». Voir Ranajit Guha, cité par John Beverley, Subalternity and Representation, Durham and London, Duke University, 1999, P. 26.

* 69 Gayatri Charkravorty Spivak, « can the subaktern speak? », article cité par Bill Ashcraft et al., The Post-colonial studies reader, New York and London, Routledge, 1995, P. 25.

* 70 Dictionnaire Hachette de la langue française, Evreux, Hachette, 1984.

* 71 Tzvetan Todorov, Mémoire du Mal, tentation du Bien. Enquête sur le siècle, Paris, Robert Laffont, 2000, PP. 43-44.

* 72 Salman Rushdie, Les versets sataniques, traduction de A. Nasier, Paris, Plon, 1999.

* 73 Edward Said, « Foucault et l'image du pouvoir », article paru dans David Couzenhoy, Michel Foucault, lectures critiques, Bruxelles, De Boeck-wesmael, 1989, P. 169.

* 74 Voir à ce propos Edward Said, L'orientalisme, op. cit., P.17.

* 75 Tzvetan Todorov, Préface à L'orientalisme, op. cit., P. 9.

* 76 Rudyard Kipling, cité par Hannah Arendt, L'impérialisme, traduction de Martine Leiris, Paris, Fayard, 1982, P. 149.

* 77 Jules Harmand, cité par Edward Said, Culture and imperialism, New York, Vintage Books, 1994, P. 17.

* 78 Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, cité par Fabien Eboussi Boulaga, Lignes de résistance, Yaoundé, éditions CLE, 1999, P. 63.

* 79 Edward Said, L'orientalisme, op. cit., P. 101.

* 80 Edward Said, L'orientalisme, op. cit., P. 35.

* 81 Edward Said, Culture and Imperialism, New York, Vintage Books, 1994, P. 9.

* 82 Leroy-Beaulieu, cité par Edward Said, L'Orientalisme, op. cit., P. 251.

* 83 Frantz Fanon, Peau noire et masques blancs, Éditions du Seuil, 1952, P. 26.

* 84 Michel Foucault, Surveiller et punir, naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, P. 235.

* 85 Idem.

* 86 Cheikh Hamidou Kane, L'Aventure ambiguë, Paris, Julliard, 1961, P. 60.

* 87 Ambroise Kom, « Le drame de l'élite camerounaise » interview paru dans Mutations N° 1159, Yaoundé, Mai 2004.

* 88 Bernard Fonlon, cité par Ambroise Kom, Éducation et démocratie en Afrique. Le temps des illusions, Paris & Yaoundé, l'Harmattan & Éditions du CRAC, 1996, PP. 111-112.

* 89 André Djiffack, Mongo Beti. La quête de la liberté, Paris, l'Harmattan, 2000, P. 175.

* 90 Midiohouan, 1986, P. 46, cité par André Djiffack, Mongo Beti. La quête de la liberté, Paris, l'Harmattan, 2000, P. 176.

* 91 Achille Mbembe, De la post-colonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000, PP. 139-140.

* 92 Voir à ce propos, Ambroise Kom, « Le drame de l'élite camerounaise », interview parue dans Mutations N°115, vendredi 28 mai 2004, P. 6 et 11.

* 93 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1961, P. 194.

* 94 Mongo Beti, Trop de soleil tue l'amour, Paris, Editions Julliard, 1999, P. 12.

* 95 Ambroise Kom parle précisément de « docteur en doctorat » pour traduire le caractère problématique des diplômés que l'université post-coloniale produit chaque année, voir A. Kom, Education de démocratie en Afrique. Le temps des illusions, Yaoundé & Paris, Les Editions du CRAC, L'harmattan, 1896. En parlant d'émigration pour l'émigration, je voudrai traduire l'absence des raisons pour lesquelles Musa fuit son pays. Car il refuse par exemple d'être propriétaire d'un garage dans son pays pour se convertir en employé exploité dans un garage en Afrique du sud

* 96 Nadine Gordimer, Vivre dans l'espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle, Paris, Plon, 2000, P. 24.

* 97 T. Todorov, Préface à L'Orientalisme, op.cit., P. 8

* 98 Albert Memmi, Le racisme, Paris, Gallimard, 1994, PP. 13-31.

* 99 Albert Memmi, Le racisme, Paris, Gallimard, 1994, P. 14.

* 100 Joseph Conrad, Le coeur des ténèbres, traduction de Cathérine Pappo-Musard, Librairie Générale française, 1988.

* 101 Gaston Kelman, Je suis noir et n'aime pas le manioc, Paris, Max Milo, 2003, PP ; 21-22.

* 102 Frantz Fanon, Peau noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952, P. 184.

* 103 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Gallimard, 19991, P. 374.

* 104 Albert Memmi, Le racisme, Paris, Gallimard, 1994, P. 122.

* 105 Stephen Slemon, cité par Bill Ashcroft et al., The post-colonial studies Reader, New York & London, Routledge, 1989, P. 107.

* 106 Homi Bhabha, cité par Bill Ashcroft et al., The post-colonial studies Reader, op.cit., P. 173.

* 107 Barbara Harlow, Resistance literature, New York, Methuen, 1987, P. 29.

* 108 Edward Said, Culture et Impérialisme, Paris, Fayard, 2000, P. 308.

* 109 Frantz Fanon, Peau noire masques blancs, Paris, Seuil, 1652, P. 189.

* 110 Dominique Lanni, "L'Exil et le royaume : les formes de l'engagement dans l'oeuvre de J.M. Cotzee", art. paru dans Africultures N°59, Paris, l'Harmattan, 2004, P. 97.

* 111 Fabien Eboussi Boulaga, Lignes de résistance, Yaoundé, CLE, 1999, P. 28.

* 112 John Dewey, Démocratie et Éducation, Paris, Armand Colin, 1990, P. 18.

* 113 Le veld est une steppe herbacée du Nord-Est de l'Afrique du Sud. Dans The Pickup, cette steppe a été aménagée pour les excursions ou pour le tourisme. Julie y mène d'ailleurs Musa en excursion, (P. 34)

* 114 Aminata Traoré, Le viol de l'imaginaire, Paris, Arthème Fayard & Actes Sud, 2002, P. 52.

* 115 Ambroise Kom, « Le Drame de l'élite camerounaise » interview paru dans Mutations N°1159, Yaoundé, 2004, P. 11.

* 116 Frantz Fanon, Peau noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952, P. 190.

* 117 Martine Delvaux, Pascal Caron, in Paul Aron et al., Le dictionnaire du littéraire,Paris, P.U.F., 2002, P. 462.

* 118 Salman Rushdie, Patries imaginaires, traduit de l'anglais par Aline Chatelin, Paris, 10/18, Christian Bourgois éditeur, 1993, P. 32.

* 119 Georges Ngal, cité par J.E. Bien, Hybridité et écriture chez Ngal et Liking, mémoire inédit, Yaoundé, 2002, P. 78.

* 120 Frantz Fanon, Peau noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952, P. 188.

* 121 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Gallimard, 1991, P. 374.

* 122 Edward Said,Culture and Imperialism, op. cit. P. 336.

* 123 Tourgueniev, cité par Salman Rushdie, Patries imaginaires, op. cit. P. 214.

* 124 Salman Rushdie, Patries imaginaires, op. cit., P. 206.

* 125 Voir Ambroise Kom, « Le drame de l'élite camerounaise », interview paru dans Mutations N) 1159 du 28 mai 2004, P. 11.

* 126 Homi Bhabha, The location of culture, London & New York, Routledge, 1994, P. 11.

* 127 Arjun Appadurai, Après le colonialisme, les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001, P. 234.

* 128 Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, op. cit., P. 374.

* 129 Journaliste animateur à la RFI et concepteur principal de l'émission "Plein-Sud" Alain Mévégué y emploie cette expression comme un crédo : « "Plein-Sud", espace de la radio mondiale où l'Afrique n'est pas le maillon faible de la planète ».

* 130 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, op. cit., P. 373.

* 131 Romuald Fonkoua, « Naissance d'une critique littéraire en Afrique noire » art. Paru dans Notre Librairie N° 160, la critique littéraire, Paris, 2006, P. 11.

* 132 Nadine, Gordimer, Vivre dans l'espoir et dans l'histoire. Notes sur notre siècle, Paris, Plon, 2000, P. 158.

* 133 Nadine Gordimer, ibidem.

* 134 Mikhail Bakhtine, op. cit., P. 69.

* 135 Frantz Fanon, Les damnés de la terre, op. cit., p. 375-376

* 136 Antonio Gramsci, cité par Bill Ashcroft et al, The postcolonial studies reader, op. cit. p. 425.

* 137 Abdourahman Waberi, « Écrivains d'Afrique du sud : penser l'Apartheid dix ans après... » article paru dans Notre librairie N°157, Littérature et Développement, Paris, 2005, P. 123.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984