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Ecriture romanesque post-apartheid chez J.M. Coetzee et Nadine Gordimer

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par Ives SANGOUING LOUKSON
Université de Yaoundé I - Master2 0000
  

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II-1-2-2- Le pouvoir des personnages

Le pouvoir est, dans tout système de personnages, une catégorie sémantique importante qui vient définir la compétence du personnage, et notamment constituer des sous-classes d'actants bien différenciés, selon que ces actants sont puissants ou impuissants, qu'ils ont les moyens ou non d'agir conformément à leur vouloir, qu'ils disposent ou non d'adjuvants, que leur pouvoir est inné ou acquis...125(*).

En d'autres termes, se renseigner sur ce que peuvent les personnages ou sur le rapport entre leur pouvoir et comment ils s'en servent pour matérialiser ou réaliser leur vouloir, ou encore sur l'origine de leur pouvoir (inné ou acquis) n'est pas sans suggérer la particularité du roman qui autorise ces personnages à agir. C'est du moins ce que je me propose de démontrer en analysant le pouvoir des personnages dans Get a life et Elizabeth Costello.

Le pouvoir d'Elizabeth Costello est mis en évidence en plusieurs endroits du récit. Il est, d'entrée de jeu, par exemple suggéré par le narrateur en ces termes :

Elizabeth Costello made her name with her fourth novel, The House on Eccles Street (1969), whose main character is Marion Bloom, wife of Leopold Bloom, principal character of another novel, Ulysses (1922), by James Joyce. In the past decade there has grown up around her a small critical industry; there is even an Elizabeth Costello Society, based in Albuquerque, New Mexico, which puts out a quarterly Elizabeth Costello Newsletter. (EC : 1-2)

Autrement dit, Costello est dépositaire d'un pouvoir intellectuel, universitaire et économique incontestable. C'est un pouvoir qui, aux yeux du narrateur est quasi éternel: « Eccles Street is a great novel; it will live, perhaps, as long as Ulysses; it will certainly be arround long after its maker is in the grave ». (EC : 11)

Le pouvoir de Costello dérive d'un solide travail d'accumulation des connaissances comme cela a été souligné précédemment. Son pouvoir n'est donc pas inné, c'est un pouvoir qu'elle a consacré ses 66 années à acquérir.

Un autre lieu où le pouvoir de Costello est mis en évidence, c'est face à une ancienne connaissance, X, enseignant retraité de l'université de Queensland. Ce dernier courbe pratiquement l'échine pour faire accepter à Costello de participer, avec lui à la croisière d'un genre peu ordinaire :

Travelling the world, screening old movies, talking about Bergman and Felini to retired people... You are a prominent figure, a well-known writer. The cruise line I work for will jump at the opportunity to take you on. You will be a feather in their cap. Say but the word and I'll bring it up with my friend the director. (EC : 35)

À la vérité, on remarque que le pouvoir de Costello n'est presque jamais mis en doute ou inquiété par des personnages entretenant des rapports plus ou moins directs avec l'université. C'est un pouvoir qui opère en pliant les autres personnages à la puissance de son détenteur avec pour conséquence d'installer Costello dans ce que Giorgio Agamben appelle la sphère du sacré126(*). Coetzee a sans doute voulu avec le pouvoir de Costello mettre en abyme dans Elizabeth Costello l'idée de mathésis que Barthes voit en la littérature127(*), assurant par ce fait à ce roman sa particularité métafictionnelle.

Le pouvoir de Costello est néanmoins inquiété lorsqu'elle se retrouve dans une sorte de prison imaginaire. Ici, l'homme en treillis qui a la charge de veiller sur elle lui impose de fixer par écrit ce en quoi elle croit fondamentalement. Costello ne trouve aucune raison de céder:

I am a writer, a trader in fiction (...) I maintain beliefs only provisionally: fixed beliefs would stand in my way. I change beliefs as I change my habitation or my clothes, according to my needs. On these grounds- professional, vocational. I request exemption from a rule of which I now hear for the first times namely that every petitioner at the gate should hold to one or more beliefs (EC: 195)

Costello use de son pouvoir d'écrivain célèbre et refuse catégoriquement de faire la volonté de son garde imaginaire. Si son talent d'écrivain avait souvent consisté à dissimuler sa pensée au moyen des mots, Costello estime devant le garde imaginaire qu'elle n'a plus besoin de parures. Elle choisit ainsi de s'exprimer franchement et explicitement : « Excuse my language. I am or have been a professional writer. Usually I take care to conceal the extravagances of the imagination. But today, for this occasion, I thought I would conceal nothing, bare all » (EC : 216).

Des différents lieux d'exposition du pouvoir de Costello, on remarque que celle-ci est jalouse de son pouvoir et de sa célébrité et qu'elle est très loin de s'imaginer impuissante quitte à en mourir. Costello choisit d'ailleurs une mort symbolique à la fin du récit puisqu'elle choisit de rester dans cette prison onirique renforçant par ce fait la foi en son pouvoir.

Comparée à Michaël K, Costello se caractérise par une arrogance et un goût prononcé de l'exhibitionnisme. J.M. Coetzee a voulu sans doute exhiber subtilement le fait qu'il ait lui-même choisi de devenir en quelque sorte un Australien. On peut donc lire l'exhibitionnisme ou le savoir/pouvoir ostentatoir de Costello comme suggestif d'un soulagement psychologique voire psychique de Coetzee, soulagement dû à son exil de la nation arc-en-ciel pour l'Australie.

Il est donc difficile d'éviter la conclusion selon laquelle J.M. Coetzee livre avec Elizabeth Costello, une vision raciste du monde. Pour lui en effet, la communion du Blanc avec le Noir est renvoyée aux calendes grecques. Pour parler comme Ambroise Kom, Coetzee pense que « l'intégration [entre Blanc et Noir ne devrait jamais être] à portée de main (...) que le rapprochement entre les mondes africain et européen est plus utopique que jamais » 128(*). Coetzee peine donc finalement à écrire autre espace sud-africain que celui déjà amorcé dans Michaël K, sa vie, son temps.

L'étude du pouvoir de Paul Bannerman dans Get a life révèle plutôt une vision moins étanche, moins escarpée que celle qu'a révélée le pouvoir de Costello dans Elizabeth Costello. D'entrée de jeu, on peut observer que le pouvoir de Paul Bannerman tient de la combinaison autant de son amicale collaboration avec ses acolytes noirs que de sa propre formation universitaire.

Paul Bannerman, Derek et Thapelo, dans leur profession de conservateur de la biodiversité et d'environnementaliste, forment un trio puissant que le narrateur désigne par « team » (GL : 15) ou « the bushmates » (GL : 111). A propos de la formation universitaire de Paul Bannerman et de sa profession, on peut lire :

Paul Bannerman is an ecologist qualified academically at universities and institutions in the USA, England, and by experience in the forests, deserts, and savannahs of West Africa and South America. He has a post with a foundation for conservation and environmental control; in this country of Africa in which he was born. (GL : 6)

Paul Bannerman ne fait quasiment jamais allusion, comme c'est le cas pourtant avec Costello, aux auteurs, théoriciens, chercheurs environnementalistes desquels il s'inspire dans son activité. Paul se veut plutôt modeste et pragmatique. Cette modestie explique sans doute pourquoi la collaboration avec Derek et Thapelo est harmonieuse.

Le pouvoir de Paul Bannerman, au regard de son mode opératoire fait songer à l'idéal de la relation dont parle Glissant. D'après cet idéal « toute identité s'étend dans un rapport à l'autre sans toute fois s'y perdre » 129(*). En effet, Paul ne trouve aucun inconvénient à collaborer, pour la même lutte, avec un ancien cadre du « Mkohonto we Sizwe » (GL : 61), le fer de lance de la nation130(*), fondé par Nelson Mandela pendant les beaux jours de l'Apartheid.

Cette précision apporte un éclairage important sur le personnage de Paul Bannerman. Ce dernier est en effet en phase avec l'idéal du mélange, de l'hybridisme ou du rhizome qui n'est sans rappeler le nouveau contexte politico-culturel du No Man's Land sud-africain actuel. Paul a fait sienne le crédo de Gibreel Farishta, un des personnages centraux des Versets sataniques, selon lequel « pour renaître, il faut d'abord mourir »131(*).

Il a préalablement évacué son arsenal complexuel qui l'empêchait de voir en le Noir un être humain tout court et est devenu un homme neuf pour parler comme Fanon.

Voilà qui confirme le pourvoir de Paul Bannerman comme étant le résultat de sa collaboration professionnelle et activiste avec Derek et Thapelo. Leur impuissance a faire plier le gouvernement en matière de préservation environnementale ainsi qu'on le constate à la fin du récit, au regard de l'obstination et du déterminisme du groupe, fait plutôt songer à ce que le groupe n'ait pas encore dit son dernier mot. Paul Bannerman en est d'ailleurs convaincu puisque pour lui, « there is never a final solution, ever. That's the condition on which the work goes on, will go on. Phambili. » (GL : 169)

En un mot, l'étude du pouvoir de Paul Bannerman a permis d'exposer le type de vision du monde qui l'habite ou dont il est dépositaire. C'est une vision suggestive de l'ambiance sous le signe duquel Nelson Mandela plaçait le concept de Nation arc-en-ciel qu'il forgea.

The time, déclarait-il à la face du monde le 10 Mai 1994, for the healing of the wounds has come. The moment to bright the chasms that divide us has come. The time to build is upon us (...) we shall build the society in which all South Africans, both Blacks and Whites will be able to walk tall, without any fear in their hearts, assured of their inalienable right to human dignity a rainbow nation at peace with itself and the world (...) We know it well that none of us acting alone can achieve success. We must therefore act together as a united people, for national reconciliation, for national building, for the birth of a new world132(*).

Comparée à Gordimer de A World of Stangers, celle de Get a life se rapproche artistiquement, épistémologiquement, politiquement ou idéologiquement du André Brink d'Une saison blanche et sèche. Gordimer transpose en effet avec Get a life la nécessité de préserver sinon l'acquis de la transition amorcée en 1994, du moins de poursuivre le combat qui rappelle que l'ennemi a changé de nom. Il s'appelle désormais menace nucléaire, SIDA, pollution ou destruction environnementale et la liste est loin d'être exhaustive.

Nous avons étudié le personnage dans Get a life et Elizabeth Costello sur la base de ses marques dans le récit, c'est-à-dire « noms propres, prénoms, surnoms, pseudonymes, périphrases descriptives diverses, titres, portraits, leitmotives, pronoms personnels »133(*). Édouard Glissant, comme pour souligner l'insuffisance dans la conceptualisation du personnage, suggère de regarder le roman comme une sorte de totalité. Il voit là la condition pour envisager sans réticence aucune « même le paysage comme un personnage »134(*). Aussi me semble-t-il indiqué, d'étudier maintenant l'espace narratif dans Get a life et Elizabeth Costello.

* 125 P. Hamon, Le personnel du roman, op.cit., p. 260

* 126 Giorgio Agamben, Profanations, Paris, Payot & Rivages, 2006

* 127 Voir Alexandre Gefen, « La puissance du langage inutile » in Le Magazine littéraire, N°482, Janvier 2009, p. 72.

* 128 A. Kom, « littérature africaine, l'avènement du polar » in Notre Librairie N°136, Nouveaux paysages littéraires, Janvier-Avril, 1999, p. 21.

* 129 Edouard Glissant, Poétique de la relation, op.cit., p. 23

* 130 L'Umkhonto we Sizwe est la branche armée de l'ANC et qui se traduit en Français par Fer de lance de la Nation. Voir George Lory, L'Afrique du Sud op.cit., p. 71.

* 131 Salman Rushdie, Les Versets Sataniques, Paris, Plon, 1999, p. 13.

* 132 N. Mandela, Discours de Prestation de Serment, Pretoria, 10 Mai 1994. Voir à propos www.sas.upenn.edu/african studies/articles gen/inaugural speech 17984.html.

* 133 P. Hamon, Le Personnel du Roman, op.cit., p. 107.

* 134 Edouard Glissant (entretien avec), « Une autre manière de lire le monde » in Notre Librairie N° 161, Mars-Mai 2006, p. 113.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway