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L'etre-là  africain et inculturation: essai d'une relecture théologique de Martin Heidegger pour l'Afrique

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par Roland TECHOU
Grand Séminaire Mgr Louis Parisot Tchanvedji Bénin - Baccalaureat en théologie 2010
  

Disponible en mode multipage

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GRAND SEMINAIRE MONSEIGNEUR LOUIS PARISOT DE TCHANVEDJI
Cycle de Théologie

Mémoire de fin de cycle

Présenté par Sous la direction de

Roland TECHOU Père Jules DJODI

Docteur en Théologie/ Philosophie

Professeur de Théologie Dogmatique

Année académique 2007-2008

A TOI, DIEU, NOTRE LOUANGE !

NOUS T'ACCLAMONS : TU ES SEIGNEUR !

A TOI, PERE ETERNEL,

L'HYMNE DE L'UNIVERS.

Au terme de nos années de formation en vue du sacerdoce ministériel, nous présentons ce travail comme la synthèse des aspirations que nous portons et des convictions qui nous animent pour notre champ d'apostolat.

Naturellement nous le dédions tout d'abord à la mémoire de ceux qui nous ont donné la vie, nous voulons nommer nos parents et alliés; ensuite en honneur de ceux qui ont entretenu la vie en nous, il s'agit de nos bienfaiteurs, formateurs et tuteurs.

C'est en communion de pensées avec eux que nous adressons nos remerciements à tous ceux qui favorisent notre cheminement dans la vie.

A son Excellence, Monseigneur Marcel Honorat AGBOTON nous disons nos filiales gratitudes pour la confiance de nous accepter comme apte au sacerdoce ministériel.

Au Père Pascal GUEZODJE pour sa confiance en l'homme que nous sommes, nous disons merci pour l'épanouissement que cela a pu créer en nous et dont ce travail porte les effets.

A notre marraine et tutrice Madame Monia TRAORE épouse SODJI, nous adressons nos sincères considérations filiales pour sa foi en notre vocation et sa détermination à la faire fleurir.

Au Père Justin AGOSSOU-KPEVI, notre professeur de philosophie qui est le parrain de ce travail, nous disons toutes nos gratitudes pour l'émulation philosophique à laquelle il ne cesse de nous inciter et pour son constant encouragement à nous faire maîtriser la pensée de Martin Heidegger.

A vous Père Jules DJODI notre sincère reconnaissance pour l'effervescence de l'Etre en vous. Mes années de théologie dogmatique au grand séminaire portent la marque de votre engagement intellectuel. Ce travail accompli sous votre regard de père et de professeur est le signe de l'authenticité de votre enracinement à la suite du Christ pour le devenir de l'homme noir. Au - delà de ce jet intellectuel que vous avez voulu assigner de votre rigueur conceptuelle et méthodologique, je vous dois l'être-là que je suis aujourd'hui et que je m'en vais offrir à l'autel du Seigneur. Ce sacrifice portera l'odeur de nos nombreux échanges intellectuels, spirituel et surtout humain. Continuez à être pour nous le berger de l'être que nous portons en nous pour l'édification d'une Afrique authentique et enracinée.

A toutes et à tous, profondes gratitudes pour l'épanouissement de ma personnalité auquel vous contribuez sans bornes.

A vous tous qui nous soutenez et avec qui nous avons échangé d'une manière ou d'une autre et pour vos touches dans l'accomplissement de ce travail, nous disons ici notre profonde gratitude.

Nos lecteurs critiques pourraient être déçus de ne pas voir au bout de ce travail, clairement définies les caractéristiques précises de l'être-là africain ; ou encore cette manière concrète par laquelle se ferait le `'comment'' de l'inculturation. Ce souhait n'est aucunement notre enjeu. Et tel que l'exprime clairement notre hypothèse, nous ne nous reprochons rien d'avoir été purement conceptuel. C'est d'ailleurs notre vision et tout autre glissement aurait contredit notre problématique et nous aurait éloigné du problème qui s'est posé à nous. Face aux diverses théories sur l'inculturation de la foi chrétienne sur le continent africain, nous n'avons pas perçu leur impact véritable sur le chrétien africain. Sans ignorer l'importance de ce travail théologique, nous estimons que l'inculturation demeure une urgence incontournable et permanente pour toute l'Eglise et de façon cruciale pour l'Eglise catholique en Afrique. Mais comment procéder pour rester respectueuse de l'identité culturelle du sujet africain et de l'authenticité de la Parole de Dieu pour ce dernier ?

C'est ce que nous avons voulu exprimer en invitant à réfléchir au ``comment'' de l'inculturation au détriment de toutes les procédures précédentes qui à notre avis se sont versées dans des revendications ethniques et culturelles parce que traitant de la nécessité pour l'être africain de dire sa foi avec son schème culturel. C'est ce que nous avons nommé le `'Pourquoi'' de l'inculturation. Cherchant à traiter du "Comment", nous n'avons pas pour visée de proposer un manuel sur l'inculturation. Nous voulons simplement tenter un éveil à orienter tout débat actuel sur l'inculturation vers l'urgence à proposer des manières concrètes pour le faire. Nous nous contentons donc d'évoquer la question avec la suggestion actuelle que toute inculturation est une herméneutique. L'implication d'un penseur de référence dans ce débat, fût-il Heidegger est pour une double cause. D'abord pour sa vision de l'homme à partir du Dasein, ensuite pour l'ouverture théologique qu'accorde son herméneutique engendrée par sa critique ontothéologique. Il nous trace ainsi la voie pour une juste compréhension de la tradition et une meilleure herméneutique de la foi chrétienne.

PLAN DU TRAVAIL

INTRODUCTION GENERALE

SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE : Les présupposés d'un dialogue probable avec Heidegger

Chapitre 1: La tradition comme terrain de dialogue

1 1-1-1- Dialogue ou monologue

1-1-2-Appropriation critique de la tradition

2 1-1-3- Nouveauté conceptuelle de la tradition

Chapitre 2: Références africaines à Heidegger

3 1-2-1- La philosophie de l'être

1-2-2-Le langage comme point d'ancrage

1-2-3- La philosophie de la poésie et de l'art

1-2-4- La philosophie herméneutique

Chapitre 3: Heidegger et les enjeux philosophiques de l'être-là

1-3-1- L'être-là

1-3-2- L'être-avec

1-3-3- L'être - au- monde

DEUXIEME PARTIE : Problématique théologique de l'être-là africain

Chapitre 1: L'au-delà du dialogue avec Heidegger

4 2-1-1- Les richesses d'une étude

2.1.2- Limites et questionnements

Chapitre 2: L'être-là africain

5 2-2-1- La culture africaine

2-2-2- La religion africaine

6 2-2-3- Un être de transcendance et d'auto-transcendance

Chapitre 3: L'actualité de la théologie africaine

2 -3-1- Identité propre d'une théologie africaine

2-3-2- Théologie africaine et diversité culturelle

2.3.3- De la tradition transmission à la tradition création

TROISIEME PARTIE : Herméneutique et Inculturation pour un mieux-être

de l'être -là théologique africain

Chapitre 1: Appropriation et réappropriation: Question d' Inculturation

3-1-1- Le tournant herméneutique de la théologie

7 3-1-2- La vérité herméneutique de la théologie

Chapitre 2: Le besoin herméneutique de la théologie africaine

3-2-1- Herméneutique et Parole de Dieu

3-2-2- Herméneutique et Dogmatique

3-2-3- Herméneutique et Tradition culturelle

3-2-4- Herméneutique et Inculturation

Chapitre 3: L'être africain en quête de l'universel -singulier: Question d'identité

3-3-1- De la négritude à la mondialisation

8 3-3-2- De la mondialisation intégrale à la négritude créatrice

Chapitre 4 : L'engagement herméneutique de la théologie Africaine

3-4-1- De la négritude à la théologie

3-4-2- De l'ontothéologie à l'inculturation

3-4-3- Herméneutique et Alliance avec Dieu en Afrique

CONCLUSION GENERALE :

La rédemption comme force créatrice donnée à nos traditions

INTRODUCTION GENERALE

1- Thème et Motivation du choix

Par quels moyens et méthodes précises faut-il passer pour concilier foi en Dieu Un et réalités culturelles africaines pour en récolter les fruits escomptés pour l'être-là africain ? Depuis la vague des penseurs activés par le concile Vatican II1(*) et plus précisément depuis l'ouvrage Des prêtres noirs s'interrogent2(*), la question de l'inculturation3(*) devint l'actualité théologique du continent noir. L'inculturation qui apparaît comme une assimilation culturelle du donné révélé pour que celui-ci ait un intérêt pour la culture, s'impose comme l'enjeu théologique qui façonne désormais l'être-là africain dans son rapport à Dieu. Mais le résultat que nous recueillons des diverses problématiques ouvertes sur la question de l'inculturation au sein du continent semble être plutôt une préoccupation à justifier le besoin urgent et pressant de l'enjeu de l'inculturation pour l'Afrique. Les diverses tendances d'appropriation et de réappropriation culturelle, d'adaptation et de pierres d'attente peuvent en témoigner. La tendance qui perdure est que la dichotomie entre foi chrétienne et réalité culturelle persiste. L'enjeu capital de la foi chrétienne pour le salut du genre humain africain n'est pas encore perçu. Nous notons donc que l'inculturation s'est plus préoccupée d'exalter son urgence, sa pertinence plutôt que de donner un déploiement concret de ses divers aspects. C'est donc un passage du Pourquoi au Comment qu'il nous faut opérer, en partant de cet être culturel africain, cet être-là africain authentique qui dans sa foi au Christ se sent interpeller par une incompatibilité entre foi chrétienne et culture africaine. Il faut reconnaître que les premières investigations théologiques n'avaient pas autres possibilités que celles d'un Pourquoi de l'inculturation. Le contexte qui prévalait était celui d'une revendication où après la décolonisation, l'être africain largement nié et bafoué dans sa dignité avait besoin de se faire connaître et se faire accepter. Qu'une telle direction soit la priorité des premiers penseurs est une nécessité. Mais aujourd'hui, dans un contexte de choc culturel où la mondialisation en appelle à une globalisation, toute théologie revendicatrice devient désuète, sans enjeu et non avérée. Penser un autre dire théologique pour l'africain s'avère urgent. D'où le titre de notre mémoire: ''L'Etre - là africain et Inculturation. Essai d'une relecture théologique de Martin HEIDEGGER pour l'Afrique''. Il sera essentiellement question de repenser l'Etre -là africain pour un mieux - être de l'inculturation. Ce qui revient simplement à constater que l'entreprise de l'inculturation ne doit plus aujourd'hui continuer sous le mode ancien mais par le fait qu'elle est convoquée au débat de la mondialisation et de l'universalisme du christianisme, reste toujours une urgence pour ressortir le particularisme du peuple africain dans son accueil de la foi chrétienne. Et pour ce, elle doit se purifier des théories revendicatrices, pour se poser dans l'axe du Comment c'est-à-dire pouvoir déceler la façon authentique dont elle doit se conduire pour que cette foi permette à l'africain de vivre sa culture, seul enjeu capable de favoriser l'insertion du particularisme africain au concert de la mondialisation et de la diversité culturelle tant réclamée pour la pertinence de la foi chrétienne. L'être-là africain que nous allons tenter d'identifier ne sera pas un type africain originel, à l'abri de tout brassage, cramponné dans un traditionalisme borné, vestige du passé. Ce sera l'homme africain actuel en face de situations sociopolitiques, économiques et culturelles de son époque et de son monde, un être en situation concrète réclamé par la foi chrétienne et obligé d'y répondre avec son patrimoine culturel. C'est pour soumettre ce dernier aux critiques que nous avons trouvé pertinente la conception heideggérienne de l'être-là. Les analyses de Antoine-Dover Osongo-Lukadi4(*) dans lesquelles nous nous inscrivons largement, nous serviront de soubassements pour redorer le statut de l'être-là africain apte à affronter à la fois les défis de notre monde et les enjeux de la foi chrétienne. Et ceci en demeurant un Africain authentique en relation avec tout autre être. Ceci n'est pas facile dans un continent où le tiraillement entre tradition et foi chrétienne est toujours actuel.

2- Intérêt

Le Père Adoukonou dans ses investigations dans le domaine de l'inculturation, note que, dans le vécu de l'africain devenu chrétien, une sorte de mauvaise conscience et de honte de soi planaient. L'être noir en Eglise sent un malaise qui pousse à la honte de sa culture et se voit obligé d'être ''chrétien de jour et africain de nuit''. Le théologien s'engagea alors à apaiser les consciences, en ébauchant des recherches qui visent à harmoniser le rapport Eglise en Afrique et culture africaine. C'est là le souci d'aider l'africain à ne pas se livrer la nuit aux pratiques traditionnelles destinées à défendre la vie, à guérir de la maladie, à favoriser la fécondité, pour éviter la tension et la violence structurelle entre sa propre culture et l'accès à la foi chrétienne5(*). Est-on en mesure de dire qu'aujourd'hui ce malaise s'est apaisé et que l'épineuse préoccupation : Peut-on être chrétien et africain authentique ou peut-on être vrai chrétien et africain authentique a pu trouver une réponse satisfaisante? Vu l'importance de la réappropriation culturelle de l'Évangile du salut dans la tradition africaine, et conscient du fait que cet évangile n'aura d'avenir en Afrique que s'il prend en considération le devenir du sujet culturel africain, nous trouvons nécessaire une réappropriation théologique de l'être-là pour l'Afrique et qui pourra servir de socle pour reposer la question de l'inculturation. Pour ce, l'approche de l'être-là présentée par Heidegger, penseur critique de la culture et de la tradition pourrait recentrer les analyses des penseurs africains de la théologie dans leur manière d'accueillir et de promouvoir la question du sacré. En effet, Dans cet ouvrage récent, Antoine-Dover Osongo-Lukadi a jeté les jalons d'un dialogue probable entre Heidegger et la pensée africaine. L'enjeu est de tenter une réception de Heidegger en Afrique. Cette problématique se fonde sur l'intérêt que porte ce philosophe à la culture et à la tradition, intérêt qui rejoint dans une certaine mesure le mode de réflexion des penseurs africains rarement démarqués de leur socle culturel. Le dialogue qui va être engagé a pour visée de situer l'être-là africain dans son engagement sociopolitique, économique et culturel au coeur de l'épineuse question de la mondialisation et de la globalisation. Heidegger que beaucoup d'africains estiment aujourd'hui, pourrait avoir à enseigner aux penseurs africains l'authenticité de leur être-là pour un mieux-être du continent.

3- Hypothèse

Cette brèche ouverte par Antoine-Dover Osongo-Lukadi pourrait aussi avoir une pertinence dans le domaine de la relation de l'africain à Dieu. Car la quête d'authenticité pour l'être-là africain ne relève pas seulement d'un engagement sociopolitique et économique, elle est aussi et surtout identitaire et religieux. Autrement dit, pour le devenir de l'homme africain, la dimension spirituelle voire théologique ne saurait être laissée de côté. Ainsi l'être-là africain a besoin d'un fondement spirituel6(*) sûr qui soit l'inspirateur de tout son engagement humain. L'option ici sera de voir dans quelle mesure l'être-là heideggérien pourrait recevoir une appréhension théologique et une compréhension culturelle voire africaine pour permettre de resituer la problématique de l'inculturation en Afrique qui nous semble une problématique qui parle plus qu'elle n'en fasse voir.7(*) Il s'agit là d'une contribution à informer la théologie de l'inculturation et l'application qui en sera faite sur l'Afrique dans un souci de repositionner l'être-là africain dans sa tradition et sa culture authentiques. En épousant donc la problématique de Heidegger, dans sa vision de l'être-là, ce travail va en ressortir la portée théologique pour l'Afrique comme itinéraire exigé et exigeant pour appréhender le vrai visage de l'homme africain et son accueil du Dieu de Jésus comme un Dieu qui vient à l'homme, vers l'Africain aussi. Comment faire vivre l'inculturation aujourd'hui est l'actualité qui nous préoccupe. A cet effet nous estimons qu'il faut cibler notre façon de concevoir la culture et l'être-là africain en les insérant dans la conception globale de l'homme et de ce que la culture comme identité différentielle laisse percevoir aujourd'hui. Autrement dit, dans la rencontre de Dieu (Incarnation) avec l'africain, émerge la question de l'identité de ce dernier. Et l'entreprise d'inculturation se pose et s'impose aujourd'hui comme la seule herméneutique qui puisse assumer et assurer ce devenir être de l'africain en face de l'être Dieu. Le choix du philosophe M. Heidegger pour favoriser une telle herméneutique, s'inspire des ressources qu'il offre vis-à-vis de la libération de la tradition et de sa critique ontothéologique. Celles-ci seront les atouts pour mieux percevoir combien la théologie devra contribuer à épanouir l'identité de l'être-là africain. Heidegger offre donc la piste pour retrouver les traces de la culture africaine, une redécouverte favorisée par l'herméneutique. Pour arriver à bout de cette entreprise, il importe de commencer à saisir l'inculturation dans son objectif, celui de déchiffrer le Message concret de la Parole de Dieu dans le contexte précis de chaque peuple. Une telle entreprise est le voeu de l'herméneutique qui se présente aujourd'hui comme le tournant risqué mais salutaire que prend la foi pour se faire accessible à tous et à chacun. L'herméneutique comme nouveau tournant théologique se croise avec l'inculturation sur le terrain de l'identité culturelle; offrant une critique de la tradition qui permet de récuser la tradition-transmission en faveur de la tradition -création. Dans une telle perspective nous allons opérer le passage de la négritude comme mouvement de revendication de l'identité de l'être-là africain, à la question de la mondialisation. Tout cela imbibé du souffle théologique qui témoignerait de l'authenticité théologique de l'être-là africain prêt à s'insérer comme un sujet culturel précis aspirant aux valeurs universelles.

4- Etat de la question

Des écrits théologiques sur Heidegger existent depuis sa critique portée contre la théologie catholique et la pertinence que lui a accordée Vatican II . Sa réception en Afrique est désormais une réalité depuis l'estime que lui portent des penseurs africains dont Antoine -Dover a su faire l'écho. Des réflexions et ouvrages pertinents sur l'inculturation existent. Mais rien n'existe8(*) encore comme une sorte  de relecture théologique de l'être-là heideggérien pour l'Afrique. Une quête de sens pour l'Afrique en recherche d'identité théologique qui ne part pas d'une approche prospective visant à considérer la pertinence des débats déjà existants et les éclairer à la lumière d'un dialogue ne peut prétendre innover. Onsoko a présenté un itinéraire pertinent pour la réception de Heidegger en Afrique rendant possible un monologue fructueux entre Heidegger et le penseur africain. Ce travail d'une grande valeur scientifique a montré la nécessité pour le sujet africain de se remettre en cause en entrant en lui-même pour y trouver l'authenticité de son être-là. Ce repère culturel qu'il invite à avoir, favoriserait son insertion authentique dans le concert de la mondialisation et de la globalisation ; en un mot l'auteur a saisi les analyses de Heidegger pour tracer à la pensée africaine des chemins d'une pensée socio- économique et politique. La vision de Antoine- Dover, quoique pertinente, ne pose pas le problème de la foi de l'africain, le jeune philosophe ne cible pas la question du sacré comme une pesanteur sociologique pour l'éveil de la pensée en Afrique ou comme un facteur de son décollage socio-économique. Nous le saisissons à ce niveau pour cibler dans qu elle mesure les mêmes vues de Heidegger qu'il a su judicieusement exploiter, offrent un dialogue avec la question de la théologie en Afrique. Celle-ci étant vue comme une composante essentielle de la mentalité africaine, nous voulons rester dans les considérations heideggériennes déjà rendues possibles par Antoine-Dover, pour voir comment la culture et la tradition africaines peuvent être appréhendées pour un mieux être théologique de l'être-là africain. Constatons que le débat théologique africain dont la question de l'inculturation largement débattue est l'inspiration fondamentale, est en crise, crise due au désaccord entre Pourquoi faire l'inculturation et Comment la faire et la vivre . Ce dernier étant le paramètre fondateur d'un vivre théologique authentique. L'inculturation dont c'est l'enjeu, est porteuse d'une défaillance,  celle de n'avoir pas su traiter de la manière dont elle doit procéder. Pour y arriver, il importe aujourd'hui de jauger l'être dans le rapport de similitude que présentent l'inculturation et l'herméneutique.

5- Méthode de travail

Pour vérifier notre hypothèse, nous allons sur la base de nos recherches et de notre répertoire bibliographique, présenter un travail en trois parties : La première est une appréciation critique des réflexions sur l'être-là de Heidegger. Cette partie rend compte de l'oeuvre d'Antoine-Dover qui s'impose à nous comme celle qui justifie la pertinence des vues Heideggériennes pour l'Afrique. Antoine -Dover a pu tracer la voie pour un dialogue monologique d'un côté comme de l'autre. C'est ce qui permet à l'Africain de poursuivre sans désemparer la réappropriation des intuitions Heideggériennes pour resituer son être. Un tel attachement se note du fait que Heidegger est l'un des rares penseurs occidentaux qui a saisi la nécessité d'enraciner la philosophie dans la culture, dans la tradition ; or, le philosophe africain de son côté n'envisage pas le contraire, car il philosophe et pense en suivant le cheminement de sa trame culturelle. Ainsi ce rapport entre philosophie et culture s'impose comme le terrain d'entente entre Heidegger et le philosophe africain.

Cette ouverture nous permettra en deuxième partie de donner un contenu théologique à cet être-là africain pour le rendre capable du processus herméneutique auquel il aurait contribué dans le dialogue entre la tradition et la foi chrétienne; il s'agit de la compréhension africaine et théologique de l'être-là. Une compréhension qui émane de l'intersubjectivité du Dasein pour se porter à une appréciation culturelle ancrée dans une tradition concrète.

La troisième partie sera le terrain de déploiement de notre hypothèse où nous analyserons les possibilités dont dispose l'être-là africain pour une conciliation judicieuse entre foi et culture. C'est le lieu de montrer que l'herméneutique n'est qu'un autre nom de l'inculturation et qu'il n'en sera tel que si l'inculturation trouve la voie royale de son déploiement dans la manière authentique dont elle doit procéder.

6- Limites

Nous jetons simplement l'idée d'une nouvelle orientation des investigations dans le domaine de l'inculturation, sans avoir l'intention d'une application concrète. Le comment de l'inculturation que nous évoquons n'est pas pour autant une nouveauté; mais il était implicite dans plusieurs approches. En cherchant à l'expliciter, nous voulons exhorter désormais toutes les recherches à s'y intéresser en commençant par prendre appui sur la véritable identité de l'homme africain, l'être-là concret africain actuellement inséré dans une vision planétaire de la culture qui ne doit pas lui faire perdre la sienne propre. Dans le présent travail c'est du philosophe Heidegger que nous réceptionnons la vision de l'être-là africain pour un débat théologique sur le sol culturel africain. Apparemment l'agnosticisme de ce philosophe et son ethnocentrisme limitent nos analyses. Notre finalité est loin de proposer une piste pour l'inculturation. L'africain est un être religieux mais dont l'univers transcendant voire "le théocosmos" est envahi par une multitude de médiations (ancêtres). De plus, tout est spiritualisé et à cela il faut ajouter la diversité religieuse. Il est juste qu'un travail sur le comment de l'inculturation en tienne compte. Mais pour le cadre précis de notre travail, nous ne faisons que reposer la figure de l'être-là comme concept opératoire.

Notre mémoire présente beaucoup d'autres limites. Les observations de nos lecteurs nous aideront à les corriger dans les recherches postérieures.

Première Partie

LES PRESUPPOSES D'UN DIALOGUE PROBABLE AVEC HEIDEGGER

Chapitre 1

1.1- LA TRADITION COMME TERRAIN DE DIALOGUE

Heidegger est l'un des rares penseurs ou philosophes occidentaux qui ont saisi la nécessité d'enraciner la pensée, mieux, la philosophie dans la culture, dans la tradition. Or le philosophe africain de son côté, n'envisage pas le contraire, car il philosophe et pense en suivant le cheminement de sa trame culturelle. La sympathie des africains pour Heidegger pourrait s'expliquer à partir de leur attachement réciproque à la tradition. Le rapport entre philosophie et culture devient ainsi un terrain d'entente. Mais ce qui nous intéresse ici est de commencer à percevoir la place qu'occupe l'être-là dans la tradition ou l'impact que celle-ci a sur lui tel que le définit Heidegger. Le dialogue serait donc possible sur ce terrain car, la tradition elle-même apparaît comme une succession de dialogues avec les diverses communautés au cours de l'histoire et en même temps le lieu de détermination de la culture qui caractérise l'être-là. Nous explorerons la piste déjà ouverte par l'oeuvre de Antoine - Dover Osongo-Lukadi9(*) et qui sera l'arrière - plan de toute cette première partie.

1.1.1- Dialogue ou monologue

Nous commençons par apprécier les critiques désobligeantes infligées à l'être-là africain taxé d'essence sauvage par des anthropologues et critiques occidentaux. Ceux-ci ne percevaient l'Afrique que comme un grand désert irrationnel et impensé.10(*) Et ce chef-d`oeuvre, loin de vouloir faire l'apologie de l'existence ou non d'une philosophie africaine, voudrait innover un dialogue. La philosophie se doit d'être créatrice et proventuelle. Or une telle création n'est possible que dans un dialogue entre deux peuples tous porteurs d'une tradition, d'une culture . C'est ce dialogue interculturel envisagé sous l'angle ontologique de l'ipséité et de l'altérité que l'auteur engage entre l'ontologie Heideggérienne et l'être-là africain. Or les deux acteurs de ce dialogue, Heidegger et les africains semblent se nier. Heidegger ne connaît l'Afrique que selon les clichés que lui en ont donné des philosophes et ethnologues ethnocentristes occidentaux. Les africains ne connaissent Heidegger et son oeuvre qu'à travers les lunettes inspirées aussi bien de l'existentialisme que de l'humanisme germano-français. Qu'il s'agisse de l'absence de pensée en Afrique ou de la possibilité de relever chez Heidegger un humanisme ontologique; ces clichés ou ces lunettes relèvent d'une fausse approche. D'où l'horizon d'un dialogue entre Heidegger et les africains est à l'étape actuelle, improbable; il ne s'agira que d'un "dialogue" monologue d'un côté comme de l'autre côté. Un tel monologue ne freine point l'engouement des africains pour Heidegger. Puisqu'il a su présenter la personne humaine dans sa situation concrète: de facticité, d'existence et d'être auprès de. Cette dernière structure de la personne qui exprime l'ouverture de la personne aux autres, fait de l'être-là un être qui est naturellement en présence de quelque étant autre que lui-même, vers lequel il se tourne et avec lequel il vit formant avec lui le sens de l'histoire qui est leur tradition.

1.1.2- Appropriation critique de la tradition

Par réappropriation, on évoque le fait de reprendre en d'autres termes l'héritage de ses prédécesseurs ; par appropriation, on entend l'action d'approprier, c'est-à-dire de rendre propre à un usage, à une destination. Ainsi approprier une tradition, c'est la réintégrer dans le propre de son sens et dans ce contexte heideggérien, ce que la tradition possède de propre n'est rien d'autre que l'être dans sa vérité. En s'appropriant et en se réappropriant la tradition, Heidegger trace une voie neuve qui lui permet de prendre ses distances et de poser sa question ontologique; de critiquer la tradition elle-même afin de récuser la tradition transmission en faveur de la tradition création.

En ce sens, il distingue la tradition, qui en accédant à la suprématie recouvre ce qu'elle transmet de la délivrance, qui libère le retour vers des possibilités d'existence du Dasein ayant être-là. C'est ce point de réappropriation qui répond à notre investigation. Nous allons donc à partir de l'authenticité de l'être-là présentée par Heidegger, restituer celle de l'africain en lui faisant réapproprier son essence originelle qui seule serait capable de recevoir un souffle théologique. Ceci sera le présupposé théologique d'un dialogue entre foi chrétienne et culture africaine sans que l'une soit sacrifiée au détriment de l'autre. Si une telle vision avait été ratée, sa réappropriation ne manquera pas de tenir compte du contexte de la culture aujourd'hui et de l'enjeu que présente le dire théologique de nos jours. Si les mutations de celui-ci sont évidentes aujourd'hui sans que soit niée son essence, il faut aussi restaurer à l'homme pour qui il se fait, sa vraie identité. La tradition devrait être désormais intégrée et enrichie dans une expression créative.

1.1.3- Nouveauté conceptuelle de la tradition

Nous sommes en face du rapport entre Heidegger et la Tradition. Il se pose le problème de "l'authenticité», de "l'originalité" de la pensée Heideggérienne en général, et de l'ontologie fondamentale en particulier. Tout part de la problématique heideggérienne de l'être. Heidegger place la tradition philosophique dans l'horizon de la question de l'être pour la jauger avec ce qui devrait être son objectif essentiel. Face donc à l'oubli de l'être dont il taxe ses prédécesseurs, il adopte une attitude critique à l'égard de la tradition. Loin d'être purement négative, cette critique fait apparaître aussi bien les limites de la tradition que ses contours. D'où son interprétation de la tradition est dans son fond une appropriation de la tradition. Heidegger s'approprie et se réapproprie la tradition à elle-même en dévoilant ses zones d'ombre, ses fondements cachés. Ainsi, approprier une tradition revient à la rendre en propre et ici il ne s'agit que de la question de l'être qui fait sa vérité essentielle. Heidegger donne à l'occident la mesure de son être en prenant sa distance par rapport à la tradition, ce qui lui permet de se percer sa propre voie déjà ébauchée par Héraclite et Parménide. Dès lors il donne au concept de Tradition une nouvelle connotation. Exposée dans les paragraphes 6 et 67 de Etre et Temps, sa vision critique de la tradition récuse celle-ci comme "transmission" c'est-à-dire dans son "apparaître quotidien". L'analyse de départ est axée sur le thème de répétition. Etre, c'est être dans le temps. Donc, l'être est dans le temps, non seulement comme présent ou comme exclusivement passé, mais aussi et surtout comme futur. Pour Heidegger, l'être-là est donc historicité. L'innovation ici est de ne plus restreindre l'être-là vers le seul présent mais de l'orienter également sur le futur, sur son avenir. Or l'historicité pour Heidegger n'est rien d'autre que la tradition dans laquelle se trouve inséré tout Dasein. Celui-ci est alors un héritier. Il est donc en mesure de lire sa tradition, de la découvrir à la suite des récits et événements à lui légués par les "anciens", et aussi capable de la "conserver". Mais il peut également la perdre et donc la faire passer dans l'oubli ou dans l'errance. La perte de la tradition viendrait sans doute du fait de l'être-là qui se laisse aller dans l'abandon au monde de la quotidienneté. Tout être - là incapable de considérer sa vie et son existence comme une décision personnelle est donc, absolument, sous l'emprise de la quotidienneté; et là disparaît le jugement personnel et on se met sous "l'autorité de la tradition". Tous les philosophes occidentaux en ont été victimes, ce qui a occulté la vérité de l'être en occident. La tradition transmission où chacun, soumis à la loi des préjugés, des interdits, des tabous que nul ne peut enfreindre, emprisonne le Dasein et ne lui laisse aucun espace de liberté pouvant lui permettre d'assumer sa tradition d'une façon créatrice. Ce qui demande à l'être-là une décision personnelle en vue de conduire sa vie ou son existence de manière autonome et responsable. Il s'agit- là d'un passé à cultiver, à actualiser et à réanimer. C'est un moment de reprise herméneutique. A ce niveau de la critique de la tradition transmission à la volonté de création, se dessine une nouvelle image de la tradition « à la Heidegger », sa "re-prise herméneutique" Comprendre sa tradition d'une façon créatrice, c'est la soumettre à un double langage d'interprétation et de transformation, c'est-à-dire au travail de l'herméneutique. Alors, le sens de la re-prise herméneutique veut que chaque peuple assume sa situation, la connaisse, mieux, en prenne conscience. Il n'y a donc que l'acte de création qui peut sauver du déclin. Tout créateur s'appuie sur les faits et oeuvres de sa tradition, de son histoire et donc de sa culture dans lesquels il est lui-même partie prenante. Or depuis toujours, l'être-là africain a été nié, tourné au ridicule. A l'aune de l'évangélisation du continent, cet être-là a été perçu à tous les niveaux comme porteur d'un germe pathologique à opérer en procédant à une tabula rasa de la mentalité, de tout le schème mental à remplacer systématiquement par les visions et confusions occidentales. Or avec Heidegger, on perçoit nettement que le dasein est une personne humaine, ouverte aux autres. Peut-il y avoir donc de relation humaine sans culture? Nous sommes donc à un niveau où la présentation de l'être-là heideggérien présente les caractéristiques de l'homme enculturé, capable d'accueillir sa culture et tout en s'ouvrant à celles des autres ne perd rien de la sienne et ne se nie point. La culture devient son trait distinctif en même temps qu'elle justifie sa capacité de s'ouvrir aux autres. Une telle image de l'homme interpelle l'africain et plus précisément le chrétien africain qui est, à son tour, interpellé par le message du salut et qui dans le processus d'harmoniser son identité culturelle avec une telle Bonne Nouvelle, recherche des itinéraires sûrs. C'est pour cela qu'il faut lui permettre de redécouvrir en lui-même le processus qui avait été escamoté dans la hâte d'imposer cette Bonne Nouvelle. Il s'agit donc de voir que la définition qu'offre Heidegger n'est pas étrangère dans la conception africaine. La saisir et s'en convaincre, c'est se réconcilier avec sa tradition pour une meilleure insertion dans le dialogue du salut.

Chapitre 2

1. 2- REFERENCES AFRICAINES A HEIDEGGER

L'un des défis de l'auteur est de relever - à partir de la philosophie africaine- les indices de références à Heidegger et à son oeuvre. Mais là n'est pas encore le lieu du "dialogue" entre Heidegger et l'Afrique; une telle perspective, même si elle est envisageable ne le sera que sous la forme d'un monologue; d'où le paradoxe monologique. Pourquoi donc l'appropriation africaine d'une telle pensée? Au delà du caractère incontournable de l'oeuvre de Heidegger dans la quête d'une historicité authentique de l'exister humain, sa connaissance pourrait aider tant à la consolidation qu'à l'affirmation du contenu de la «philosophie africaine.» Heidegger paraît aujourd'hui, malgré la référence et la méfiance de certains philosophes africains, comme l'inspirateur de beaucoup de courants principaux qui caractérisent la philosophie africaine: la philosophie de l'être11(*); la philosophie du langage12(*) et de la poésie13(*); la philosophie herméneutique14(*). D'où le dialogue entre Heidegger et les philosophes africains est fort enrichissant. La réponse à un tel paradoxe est que Heidegger de son vivant, voulait ranimer la philosophie dans sa source présocratique grecque qui était celle des physiciens. On comprend donc qu'il ait été hanté par des sources non philosophiques. C'est justement ce que poursuit bon nombre de philosophes africains : éditer une philosophie africaine à partir des éléments de la discursivité africaine: proverbes, légendes, contes, épopées, mythes. Un bon nombre de philosophes africains sont encore attachés à l'air natal15(*). Ainsi, sans courir le risque d'établir coûte que coûte un dialogue, nous estimons que ce sont les africains qui trouvent une source d'inspiration à partir de Heidegger et son oeuvre. Quelques articles, livres et thèses de doctorat écrits par les africains sur l'oeuvre du philosophe allemand sont à cibler à partir des problématiques qui les occupe16(*). De plus, au compte de notre problématique nous ciblons des pistes de déploiement de l'être-là exprimant l'authenticité de sa culture.

1.2.1- La philosophie de l'être

Heidegger est le penseur de l'être; un penseur dont l'originalité du questionnement a permis, à vrai dire, à la philosophie de renaître de nouveau. Il s'agit là d'une pensée ultime, la pensée de l'être lui-même dans sa vérité, dans sa différence avec l'étant. Fondamentale depuis les présocratiques, notamment Héraclite et Parménide, cette pensée de l'être constitue le point de départ de la pensée philosophique de Heidegger. Pour lui, la suite de l'histoire occidentale sera une mésinterprétation de la pensée de l'être en la réduisant dans une essence du faire et du produire. Une telle attitude la relègue dans l'oubli et dans l'errance. C'est cet oubli qui va être légitimé et radicalisé par les philosophes médiévaux, modernes et la métaphysique de Nietzsche en particulier. Cet appétit de "vouloir" et de "pouvoir" occulte selon Heidegger toute attention pour la vérité de l'être. Il estime donc que c'est la cause pour laquelle l'occident baigne dans le déclin, à la suite de la métaphysique et de la technique avec pour conséquence: l'oubli de l'être. L'essence de l'homme appartient à la vérité de l'Être. Question insoluble à la métaphysique, elle attend toujours que l'homme se la remémore comme digne d'être pensée. La pensée de l'être se révèle méditante. C'est-à-dire à la poursuite du sens qui domine dans tout ce qui est. Heidegger en parlant ainsi n'oppose pas la pensée de l'être à l'action au point de tomber dans son reproche à la métaphysique. En revanche, il la considère comme un "faire". En ce sens, le "faire heideggérien", loin d'être manipulant, technisant, est recueillant, méditant permettant ainsi à l'être de se découvrir et de se cacher. La pensée d'être en tant que faire, est radicalement agissante. C'est parce que la pensée est capable d'accomplir la relation entre l'être et l'être-là humain qu'on peut l'entendre comme un "faire". Ainsi, tout prend sens à partir de l'être et tout ce qui arrive vient de l'être. Et c'est cette pensée de l'être en tant que pensée méditante qui prend la place de la philosophie.

Dans cette optique, les philosophes africains de l'être sont ceux qui tentent de restituer, selon Tshiamalenga Ntumba17(*), l'idée que les Africains traditionnels sont censés se faire de l'être en tant qu'être. Les pionniers de cette philosophie africaine sont les partisans de la restitution ontologisante. Le Père Tempels18(*) vient en tête de liste pour affirmer que les Bantou pensent l'être en terme de force. Il avait pour préoccupation d'opposer ce qu'il appelle la métaphysique africaine à la métaphysique occidentale. A Kagame19(*) en sera le disciple fidèle en identifiant la structure des langues africaines comme lieu de détermination de la philosophie africaine. Prenant pour modèle la métaphysique d'Aristote qui se fonde sur la langue grecque, il érige un tableau comparatif présentant les ressemblances entre les catégories philosophiques d'Aristote et les catégories de la philosophie bantu-rwandaise. C'est donc dans la perspective d'une philosophie africaine de l'être qu'il découvre la métaphysique africaine. L'être-là africain serait donc particulier puisque l'être chez les africains serait dynamique alors qu'il est statique chez les occidentaux. L'interférence heideggérienne dans ce débat nous est offerte par Ngimbi Nseka20(*), qui dans La dynamique de l'être: Force, Action, Acte, s'appuie sur Heidegger pour contredire la conception tempelsienne d'une métaphysique à l'occidentale et à l'africaine. Pour lui, l'être dépasse à la fois le dynamique et le statique il peut se définir à la fois comme: Force, Action, Acte. C'est à ce niveau qu'il se réfère à Heidegger pour noter que chez ce penseur occidental, "l'être lui-même se montre comme la solidité propre du stable rassemblé sur soi, pur de toute agitation et tout changement". Et dans le cas où pour Héraclite, ce qui est ce n'est pas l'être mais le devenir, vu comme l'être lui-même, l'être est donc le devenir; pourtant, Heidegger relève Ngimbi Nseka,21(*) dans un langage tout différent, semble nous donner une conception de l'être qui n'en fait pas une réalité statique, un étant. Il faut donc relativiser la vision de Tempels en retenant qu'il n'y a pas un moment où l'être s'affiche comme statique et l'autre dynamique. L'être se révèle simultanément statique et dynamique même s'il les dépasse. Pour le moi, être, c'est être dans la présence de l'être. Ngoma Binda22(*) quant à lui prévient du danger de la philosophie ontologiste occidentale centrée sur l'être plutôt que sur l'homme et dont il faut prémunir l'être-là africain. Dans cette critique il inscrit Heidegger lui-même qui avec ses pairs ont élaboré des ontologies sur le dos du substantif laissant le verbe. Toutefois, il accorde à Heidegger le mérite d'avoir opéré le retour à la problématique initiale grecque mais toujours attaché au substantif puisqu'il s'agit d'un retour à Aristote et non Parménide. Ngoma Binda s'oppose à l'ontologie et se montre favorable à l'anthropologie. Mais il lui manque de reconnaître que Heidegger tient fortement à l'horizontalité du rapport entre l'être en tant qu'être et l'être-là de l'homme. S'interrogeant sur l'être propre de l'africain Phoba Mvika23(*) prend délibérément appui sur Heidegger pour montrer comment la question de l'authenticité ne relève pas avant tout de la politique, mais de la métaphysique. Et sa référence porte à équivoque puisque le philosophe allemand a toujours récusé la métaphysique qui entretient une confusion fâcheuse entre l'être et l'étant. L'authenticité chez Heidegger est le domaine dans lequel l'homme s'affiche comme pouvoir-être et non comme un étant présent subsistant; l'existence - substance est le symbole de l'inauthenticité. Pour mener donc une vie authentique, l'être-là de l'homme africain comme celui de l'occidental doit se démarquer de l'ontique vers l'ontologique. L'être de l'homme n'éprouve son authenticité que dans l'éclaircie de l'histoire de l'être en tant qu'être dans sa vérité. Or l'être - authentique de l'homme doit vivre son authenticité conformément à certaines normes éthiques déterminées par les règles sociales qui régissent la société. C'est sur l'universalité de ses normes que Heidegger et les philosophes africains s'affrontent ; si Tshiamalenga Ntumba24(*) pense l'impossibilité pour une norme éthique d'être universelle, parce qu'elle serait relative; sur la question du langage l'accord se poursuit aisément. C'est donc pour Heidegger du sens de l'être que jaillit la réalité de l'être-là. C'est en ce sens que l'homme est le berger de l'être. L'être-là africain malgré les diverses approches de l'ontologie africaine, n'échappe pas à cette vérité d'être le creuset qui donne sens à la transcendance et grâce à qui la transcendance reste une interrogation.

1.2.2- Le langage comme point d'ancrage

Le langage pour Heidegger est la maison de l'être, c'est pourquoi la relation entre la pensée et l'être doit déboucher sur le langage25(*). Dans la pensée, l'être vient au langage; et c'est en s'associant au langage que la pensée advient à la vérité de l'être. C'est ce langage - là qui est la maison de l'être; et c'est encore là que le Dasein qui seul est capable de langage par la grâce de l'être, est le voisin de l'être. Or pour Heidegger, l'homme ne deviendra le vrai voisin de l'Être qu'après avoir appris à véhiculer un langage originaire, celui de la vérité de l'être lui-même. Le langage est donc à penser étroitement en relation à l'essence de l'être car c'est dans le langage que l'homme habite et de la sorte ek-siste, en appartenant à la vérité de l'être sur laquelle il veille. Il n'est pas ici question de langage comme structure linguistique. Autant le langage est la demeure de l'être, autant il détermine l'être-là et c'est à ce seuil que les philosophes africains rejoignent Heidegger. Pour Dirven26(*), Heidegger a saisi mieux que quiconque ce que le langage d'un peuple révèle et exprime par rapport à l'être et à la vérité. Parmi les philosophes africains qui récupèrent une telle problématique, on peut noter Nkombe Oleko, Tshiamalenga Ntumba qui ont pu saisir l'importance du langage tant comme dévoilement de l'être en tant qu'être que du point de vue de la communication intersubjective. Les tendances varient toutefois. Pour Nkombe Oleko27(*), le langage est l'un des traits pertinents qui sépare l'homme de la nature et l'un des traits dominants qui fait de l'homme image de Dieu. Le langage permet à l'homme de transcender le cosmos, tout en restant cosmique. C'est en se laissant guider par Heidegger que Nkombe Oleko tente d'établir un rapport entre le verbe et l'être. Les trois fonctions du langage qu'il relève (la monstration- la prédication- et la communication) servent à la fois à révéler l'être qu'à le dissimuler. Cependant la révélation de l'être se fait dans les trois zones du langage: le mythe, la philosophie, la science. Tshiamalenga Ntumba28(*) quant à lui, part plutôt de Wittgenstein pour affirmer que tout homme formule ses questions et ses réponses dans sa langue maternelle ou culturelle en tant que langue ordinaire parlée. Le langage ordinaire reste donc lié au langage - pensée. C'est là une affirmation de la dépendance de la pensée par rapport au langage. La pensée est toujours un certain langage. La référence à Heidegger (même si elle n'est pas l'option de Tshiamalenga) s'exprime lorsqu'il affirme que l'autoréflexivité de la langue semble bien être l'un des éléments constitutifs de la position spécifique de l'homme dans le cosmos. La question qui mérite d'être posée ici est de savoir en clair sur quoi l'Occident s'est basé pour nier à l'être-là africain toute capacité d'ascension. Car le langage tel que le présente Heidegger comme une composante déterminante de l'homme est pourtant bien articulé en Afrique. Il y a eu comme un mépris de toutes les valeurs ethnologiques que l'Occident est censé connaître lui-même, dans son rapport avec l'africain. Toutes les structures conceptuelles tels la poésie et l'art, les mythes et les symboles, qui ont été à la base de l'élaboration de la rationalité de grandes pensées philosophiques occidentales, sont vues en Afrique comme irrationnelles. Or l'irrationnel n'est qu'une étape vers la rationalité. Si l'irrationnel n'était pas porteur de sens, les mythes n'auraient pas servi à Platon pour fonder son idéalisme. D'où l'irrationnel n'est pas ce qui échappe à la raison, mais ce que celle-ci n'a pas encore suffisamment pénétré. L'irrationnel est donc bien rationnel. Meinrad Hegba l'exprime très bien dans sa thèse de doctorat29(*).

1.2.3- La philosophie de la poésie et de l'art

Pour Heidegger, c'est dans la poésie que s'annonce le destin du monde. La poésie est fondation en tant qu'elle fonde l'histoire; celle qui consiste dans la donation et la dispensation de l'être. Dans la poésie, le poète pour Heidegger nomme le sacré et ainsi évoque toute l'existence de l'être-là. La poésie est donc langage mais spécial dans la mesure où il exprime le Sacré, l'être en tant qu'être. Nkombe Oleko, note que le langage est le séjour de l'être. Octave Ugirashehebuja 30(*) consacre l'essentiel de sa thèse à la question. Tout comme Heidegger, il prouve la nécessité d'être à l'écoute du langage profond du peuple pour s'approcher des sources de l'existence, et la possibilité d'exprimer cette approche de l'être dans un vocabulaire classique de la métaphysique qui se cherche dans la poésie. Ainsi, si l'Afrique doit exprimer sa pensée, si elle doit proposer aux autres cultures un dialogue véritable, ce sera à partir de son patrimoine poético - culturel dont il faudra respecter le génie et l'originalité. Il est convaincu qu'avec Heidegger, tout penseur doit avoir son poète. D'où toute philosophie se nourrit d'une non- philosophie; il insiste pour la philosophie africaine, sur la nécessité de se nourrir des expériences non philosophiques pour un dire authentique. Il met toutefois en garde contre la tentation d'aller déterrer cette poésie dans un certain arcane ancestral. Cette poésie peut bien être une méditation lente du génie contemporain. Il estime que le rationalisme ne saurait régler tous nos problèmes en Afrique. A côté de la poésie, l'art reste aussi une source d'inspiration pour les philosophes africains. Tout comme à la poésie, Heidegger reconnaît à l'art sa capacité de dévoilement de l'être dans sa vérité; d'où l'art est aussi un langage31(*). Mudiji Malamba32(*) accordant à l'art cette première place, note que l'artiste ne peint pas à partir de rien, mais de ce qui existe déjà et par ce fait, il aperçoit dans l'art, la manifestation même de l'être dans sa vérité. L'attachement de Mudiji pour qui les masques sont expressifs, à Heidegger, vient de ce que pour celui-ci, l'oeuvre d'art exprime la vérité au sens d'une manifestation qui implique un conflit entre ce qui se donne à voir et ce qui se réserve. Pour Heidegger, l'existence de l'être-là de l'homme se déroule fondamentalement entre le ciel et la terre, le divin et l'humain. Or pour Mudiji, l'être-là africain est parfaitement concerné par ce schéma. De ces références à Heidegger, nous retenons que les penseurs, les poètes et les artistes ont tous pour rôle de veiller, de sauvegarder l'histoire et la vérité de l'être en tant qu'être. La philosophie herméneutique africaine récupérée de Heidegger l'exprime une fois encore mieux.

1.2.4- La philosophie herméneutique

Le cheminement que nous avons entrepris jusque-là n'a été qu'une reprise herméneutique de la question de l'être dans sa vérité. Cela pour percevoir à partir de Heidegger le véritable visage de l'être-là qui se pose comme un universel particulier dont l'Afrique a été privé. Ce manque a rendu impossible toute rencontre fructueuse avec le Sacré. S'insurgeant contre toute la tradition philosophique sur la question de l'être, Heidegger opère un retour aux sources qui devra lui permettre de considérer l'homme non plus comme pure pensée, mais comme un être au monde. Pour que l'être advienne en vérité, il faut une émergence de la pensée; pensée méditante qui est un «faire» capable d'accomplir la relation entre l'être lui-même et l'essence de l'homme. A cette herméneutique s'accordent aussi des philosophes africains ; il s'agit notamment de penseurs africains qui dans le souci d'élaborer une pensée qui répond aux préoccupations de l'Afrique actuelle, ne sauraient se passer de la sagesse africaine. Les philosophes herméneutes africains ont donc pour rôle d'interpréter la tradition à la lumière du présent. La sagesse africaine reste donc un patrimoine non négligeable dans l'élaboration de toute philosophie africaine. La philosophie africaine étant à élaborer selon le voeu de Nkombe, les herméneutes africains devront faire appel à une herméneutique où le sujet s'auto-implique. Car il s'agit là d'une relecture personnelle de la tradition non pour reconstituer la pensée des anciens, mais pour la réactualiser dans la systématisation actuelle en vue de la rendre efficiente au présent. On distingue un bon nombre d'herméneutes africains mais tous n'ont pas été fidèles à la pensée de Heidegger. Celui-ci s'inspirant du romantisme allemand a trouvé un écho retentissant dans les recherches de Okolo Okonda33(*). Dans ses problématiques accentuées sur le dialogue avec Heidegger, il cherche donc à rattacher le mouvement herméneutique au romantisme allemand formé par, Schleimarcher, Dilthey, Gadamer, Heidegger. Ce mouvement dont la préoccupation est de prendre en charge les faits de la culture et de la tradition selon leurs interprétations, de montrer que malgré la divergence de leurs crises, ces herméneutes européens s'accordent pour sauver, spiritualiser l'Europe. Sa finalité est d'amener l'être-là africain à interroger sa vision du monde, son idée de destin, l'encourager à faire éclater l'idée d'un destin, et la recharger à nouveau en partant de la situation herméneutique de l'être-là africain. Pour Okolo Okonda34(*) , le sens de la reprise herméneutique pour Heidegger est de sauver l'Europe de la destruction spirituelle et avec elle le monde entier. L'Afrique s'inscrit aussi dans cette même destruction spirituelle et devra pour ce, considérer la tradition sous les deux aspects heideggériens : la tradition comme transmission et la tradition comme création. La tradition transmission est ce qui ne correspond pas à l'Afrique en proie au sous-développement et à diverses crises. La tradition création ayant mis l'accent sur le progrès, est celui qui lui correspond le mieux. Okolo pense la tradition en thème d'un englobant de l'être-là de l'homme. Ce dernier ne s'enracine que dans une tradition. Celle-ci l'accompagne. Heidegger, laisse-t- il entendre, enracine la notion de tradition dans l'histoire de l'homme. La tradition authentique suppose un effort de «reprise» portant sur le passé et orienté vers le futur. D'où comprendre sa tradition ce n'est rien d'une répétition, mais une reprise des formes et des contenus afin de les intégrer dans un nouveau jeu de formes et contenus offert et par la tradition et par la modernité. Les réflexions du théologien WALTER Kasper sur la tradition nous paraissent ici judicieuses. La vie humaine note-il n'existe par principe que comme quelque chose qui est transmis au sein de la succession des générations. La tradition devient donc ce qui relie entre elles les générations qui se suivent. Une telle compréhension de la tradition implique le concept de vérité. Car, la vie humaine inclut la question du sens et de la vérité. C'est pourquoi la transmission de la vie comporte également la transmission de certaines manières de comprendre et d'assumer la vie.35(*) Bien souvent, la tradition est ciblée d'irrationnel Okolo pense donc qu'il faut avec l'appui de Heidegger réhabiliter la tradition en distinguant la tradition inauthentique de la tradition authentique. La tradition inauthentique, c'est l'idée bien fixe, sclérosée qu'une génération a de la tradition; une telle idée bloque tout apparaître de l'être. La vraie tradition est une transmission; elle est ce qui relie fondamentalement le passé, le présent, le futur. La tradition devient ainsi la manifestation et la représentation dans le temps et dans l'histoire de ce qui est éternel et qui demeure36(*). D'où la tradition est la volonté présente d'avenir ancrée sur le passé. C'est un enchaînement d'interprétation dont les oeuvres d'esprit constituent les noeuds. La tradition est l'écoute parlante et progressive de chaque être - là humain. En Afrique, note Okolo, l'ennemi de la tradition n'est pas l'autre tradition, ou la tradition elle-même, mais le phénomène de domination interne ou externe dont tout herméneute africain doit libérer la philosophie. Cette belle page sur la question éclaire mieux notre enjeu : « La tradition doit donc être comprise comme une unité d'acte et d'être, et de ce fait comme un processus dans lequel la tradition et l'interprétation sont liées. Nous ne possédons les traditions particulières que dans l'acte de l'appropriation, de la traduction et du renouvellement vivants.37(*) »

La référence à Heidegger en philosophie africaine si elle est radicale, n'est toutefois pas un dialogue. Il ne s'agit que d'un monologue du côté des africains, puisque Heidegger n'a dans sa pensée pour l'Afrique qu'une vision méprisante. C'est dans un souci de prouver que l'ontologie heideggérienne peut s'ouvrir à d'autres cultures que Antoine Dover a cherché à récuser les propos ethnocentristes des ethnologues occidentaux. Affirmant ainsi l'appartenance de l'Afrique à une mondialisation à visage humain qui respecte les spécificités culturelles de chacun, il s'insurge contre ces idéologies de la différence qui aliènent l'humanité. C'est pourquoi il faut procéder dès lors à la réconciliation de l'africain avec son essence créatrice d'avant colonisation. C'est là toute l'entreprise à laquelle nous nous attelons dans un effort de restituer la figure de l'être africain en mesure de créer par soi-même son dire théologique.

Chapitre 3

1.3- HEIDEGGER ET LES ENJEUX PHILOSOPHIQUES DE L'ETRE-LA

Dès son origine, la philosophie s'est caractérisée par sa visée de l'universel. Or l'universel ne résulte pas de la somme des particularités culturelles, mais de la recherche d'une vérité commune à tous. Et celle-ci n'est identifiée comme telle qu'en se ressourçant dans un idiome particulier. Si avant le contact avec l'Occident moderne, il est difficile de parler de philosophie en Afrique noire, l'existence d'une pensée africaine incluse dans les manifestations traditionnelles de la culture négro-africaine n'est pas impensable. Et c'est ce qui nous sert de base pour voir à quelles conditions une philosophie peut être élaborée à partir de ce que la tradition culturelle de l'Afrique et sa situation actuelle donne à penser. Le mérite de cette entreprise revient dans une certaine mesure au Père Tempels malgré la précocité de ses analyses. Parmi ses détracteurs ou admirateurs, on peut apprécier l'oeuvre de Henri Maurier38(*) qui dans une étude globale de plusieurs sociétés africaines, définit la structure anthropocentrique fondamentale comme -Je-Avec -. On en retient la catégorie de la relation qui nous fait comprendre qu'en Afrique, le moi est essentiellement relationnel- l'individu étant alors une abstraction prélevée sur cette structure existentiale plus originaire. Une telle approche offre la possibilité d'un comparatisme inséparable d'une pensée dialoguale ; pensée à laquelle la pensée de Heidegger semble devoir être inévitablement associée. Aucun indice dans l'oeuvre de Heidegger ne nous offre l'occasion d'une telle analyse. Cependant, son attachement à la tradition, au terroir, à l'idiome rejoint la tendance africaine à se réclamer de la coutume, à revaloriser l'amour du pays et de la langue propre. Mais le plus intéressant chez Heidegger est sa notion d'ontologie fondamentale et on peut déjà se demander en quoi la notion bantoue de force vitale viendrait l'informer. Dans un tel sillage, l'herméneutique paraît le passage obligé pour mener à bien l'élaboration philosophique d'une pensée africaine. Assumer son identité implique un travail herméneutique d'assimilation, de conceptualisation et de critique d'une tradition reçue. Une telle herméneutique acquiert le statut d'une âme du développement, de l'autonomie et de l'accès à l'universalité.

L'objectif de l'auteur est tripartite : montrer que la réappropriation critique par Heidegger de la tradition occidentale reste de part en part, un monologue ; relever que la présence unilatérale de Heidegger en Afrique ne relève pas d'une illusion d'optique ; indiquer néanmoins que cette présence de Heidegger en Afrique demeure, bon gré mal gré un monologue39(*). Pour réussir à atteindre ces objectifs, l'auteur part des présupposés d'un dialogue avec Heidegger autour de la question de la tradition. Il donne une nouvelle image du concept de tradition avant de présenter les références africaines à l'oeuvre de Heidegger. Il montrera enfin de compte, comment l'être manifesté africain est une quête et un devoir de l'universel -singulier. C'est cette analyse qui nous paraît pertinente dans notre démarche de redorer l'identité culturelle de l'homme africain dans son souci d'accueillir la foi chrétienne et de l'assimiler avec ses armes africaines. Ainsi, une culture, une tradition ne semble s'identifier qu'en face d'une autre. L'Afrique avait donc, si l'opportunité lui était laissée, le devoir de déployer sa culture, sa tradition en face de l'Occident. Puisqu'elle portait toutes les caractéristiques universelles de l'être-là que Heidegger approuve comme fondamentales. Il importe de finir cette partie en reprécisant la conception précise que donne Heidegger de cet être-là. Un être-là qui a une portée universelle dans laquelle l'africain se retrouve. Nous allons nous en saisir pour un mieux-être à partir du souffle théologique que nous lui donnerons..

1.3.1- L'être-là

La voie obligée d'accès à la connaissance de l'être est le Dasein, c'est-à-dire la réalité de l'être dans le contexte concret où il se trouve: l'être-là. Ce dasein a trois structures fondamentale, l'être-là lui-même caractérisé par la facticité; l'être-avec caractérisé par l'existence; et l'être-au-monde caractérisé par l'ouverture. La facticité est le fait d'être, l'être dans sa concrétude, sa singularité et sa matérialité.

Parler ici de relation transcendantale, c'est observer le dasein dans sa situation d'être-là, sa capacité de dépasser les étants et soi-même en direction du monde; non pas en direction des étants, ni de la totalité des humains, mais vers un être en tout. L'étant homme se trouve au milieu d'étants et l'étant qu'il est lui-même ainsi que l'autre étant lui sont manifestes. Or l'existence, le mode d'être de l'homme est en soi finitude; la transcendance signifie la percée de cette finitude qui est donnée dans et avec sa compréhension de l'être à un être personnel-spirituel. Ainsi, la compréhension humaine de l'être n'est possible que comme une percée de l'être fini vers l'être éternel. En effet le dasein; être-là est pour Heidegger l'homme. C'est l'homme en tant qu'ouvert à l'être, le champ de la vérité de l'être. D'où l'homme est le là de l'être; l'être jette l'homme dans l'existence pour qu'il veille à sa vérité, il destine l'homme à l'existence en vue d'être don là. L'homme se trouve donc en contexte de conditionnalité où il lui incombe de vivre ce que son être aura décidé qui sera le là manifesté et de vivre le projet existentiel qui est le sien. C'est là la réalité de l'auto-transcendance qu'éclaire Heidegger par sa phénoménologie : « L'essence de l'homme réside dans son existence»40(*) . Pour le philosophe, cette thèse ne doit recevoir aucune explication théologique car l'existence ici n'est que le mode d'être de l'homme; seul l'homme est un étant existant, il est un étant dont l'être est désigné dans l'Etre. L'homme est donc caractérisé par son mode d'être qu'est l'existence. Avec Heidegger, il ne s'agit pas d'une anthropologie, mais d'une ontologie fondamentale qui présente la topologie de l'être, mettant phénoménologiquement en évidence, les structures de l'horizon existentiel et temporel dans et à partir duquel seulement l'être vient à être compris et interprété. Le dasein est donc le lieu dimensionnel, l'espace de déploiement propre, le champ de manifestation et de dispensation de la présence de l'être. Gérard Guest41(*) dira qu'en fait, ce n'est pas l'homme lui-même qui constitue ce champ de dispensation, mais bien ce qui, de l'être, constitue l'homme comme capable d'une compréhension de l'être. Le dasein est la condition de possibilité, fondée dans l'être, du mode d'être de l'homme et qui se caractérise par l'existence et l'être dans le monde. Le mode quotidien de l'homme se présente alors comme être-au-monde. Le dépassement que le dasein a à opérer sera toujours dépassement de quelque chose, une implication concrète. Parler donc d'existence, c'est dire ''être-là'', ''être-au-monde'', bien situer, de manière dynamique, être dans la forme du ''projet''.

1.3.2- L'être-avec

C'est un être -jeté qui se pose comme le déjà-là. Ainsi vu, il porte un caractère potentiel qui le mène souvent au devant de lui-même: c'est l'existence, caractéristique de la personne à venir, l'être projeté. Cette idée d'être-avec, marque la différence entre les étants et en même temps révèlent la vérité des objets qui se dévoilent à nous. C'est pourquoi c'est à travers le sillage de la question de l'être-avec que Heidegger réussit à poser la question de la vérité de l'être. Le être -avec ne suppose pas une similitude de vision; cependant, il faut qu'il y ait un ensemble commun. C'est là la nécessité de l'identité qui non seulement n'exclut pas le changement, et le mouvement, mais n'exclut pas la différence puisque nous nous rapportons à des choses identiques et pourtant il est différent pour chacun de nous.

Par conséquent, le fait que nous sommes les uns avec les autres vient de ce que nous nous rapportons à des objets qui sont identiques pour nous. Ainsi, être-avec c'est participer dans la vérité de l'être puisqu'il révèle l'identité. C'est donc dans la relation aux autres, au coeur de la communauté que se dessine l'identité propre d'un être-là particulier. D'où la vision commune d'un fait ne saurait convoquer au mimétisme ou à l'assimilation.

1.3.3- L'être - au- monde

Et ce qui fait de lui un être ouvert est le fait qu'il est: être-auprès-de, c'est l'ouverture de la personne aux autres. L'homme est dans le monde et au monde; il est intégré à ce réseau de possibilité qui forme le monde, son être et ses possibilités y sont. Mais il peut aussi y connaître la dispersion et l'inauthenticité. Les choses dans le monde ne sont pas seulement pour lui des instruments, mais aussi des signifiants par rapport à sa vie, et à ses options. Vattimo42(*) dira que l'homme est toujours dans le monde comme un étant qui se rapporte à ses possibilités, c'est-à-dire en tant que projet. Tout nous insère dans un contexte de références, de souvenirs, d'analyses. Il nous revient de tendre à l'objectivité des choses, par cette opération spécifique de ''mise à côté'' des préjugés, des préférences, des intérêts pour voir la chose telle qu'elle est en « en soi ». L'homme en vue de certains buts précis, se doit de déterminer la valeur objective des choses. C'est donc l'être-là qui donne sens au monde; la mondanéité du monde se fonde exclusivement sur la base de l'être-là. C'est ce que les choses valent pour nous qui révèle leur instrumentalité et non seulement dans le fait qu'elles servent effectivement à nos buts. C'est donc ces valeurs qui se découvrent entre le langage et les signes.

On le voit donc, la pensée de Heidegger sur l'être-là donne la conviction que le dasein, est cet être concret, vivant dans l'espace et dans le temps dont la nature essentielle se caractérise par l'ouverture aux autres. Il n'y a pas une réelle connaissance de soi et des autres ou la réalisation de soi, sans une "ek-tasis" c'est-à-dire sans l'ouverture à la réalité qui nous entoure. Le dasein doit devenir un mit- sein, un être-avec. Heidegger passe ainsi du personnalisme individualiste et idéaliste à l'intersubjectivité. Malgré la réduction que connaît celle-ci dans sa philosophie, elle est suffisante pour percevoir l'être-là comme capable de valeurs, de tradition et donc doté d'une identité authentique qui tout en le singularisant, le porte à l'échelle universelle.

Deuxième Partie

PROBLEMATIQUE THEOLOGIQUE DE L'ETRE-LA AFRICAIN

Chapitre 1

2.1- L'AU-DELA DU DIALOGUE AVEC HEIDEGGER

La pertinence d'un dialogue entre Heidegger et l'Afrique est improbable. L'absence de pensée qui caractérise l'Afrique et le manque d'humanisme ontologique chez Heidegger sont des facteurs qui défavorisent une telle vision. Toutefois, Antoine -Dover a pu tracer la voie pour un dialogue monologique d'un côté comme de l'autre. Mais ce qui reste pertinent, c'est que l'oeuvre de Heidegger, par le fait qu'il est le penseur de l'être, devient incontournable par la renaissance qu'a accordée à la philosophie l'originalité de son questionnement. On se demanderait si cette renaissance a eu lieu aussi en Afrique. C'est là ce qu'il faudra corriger dans la conception Heideggérienne. Car, l'Afrique n'est ni un marginal, ni un allergique de la pensée, ni un être sans histoire ; mais un être-là de l'homme enraciné dans une tradition, certes de transmission lui permettant de vivre au présent et au futur son passé comme salvateur de ses valeurs humaines propres chargées d'historicité. La connaissance de la philosophie de Heidegger doit nous aider à comprendre notre existence, à la mettre en question et à la critiquer. Le reproche qui pourrait être adressé à Heidegger est d'avoir été fasciné par le même et fermé à tout dialogue avec l'autre, ceci pour évoquer son ethnocentrisme. Mais en réalité, Heidegger est tout ouvert à cet autre, sa pensée est en attente d'un dialogue inéluctable avec tous. Des lecteurs de Heidegger qui seraient restés à Etre et Temps, sans prêter attention à l'ouverture du néant sur l'être ne pourront percevoir cette réalité. Cherchant à justifier les obscurités qu'on jette sur sa pensée, il a montré que la pensée de l'existence finie, loin de se refermer sur le néant, se dépasse et vise même un au-delà de l'être.

2.1.1- Les richesses d'une étude

Philosopher aujourd'hui en ignorant délibérément le défi radical adressé par Heidegger à la métaphysique occidentale, c'est philosopher naïvement. Ce défi radical adressé par Heidegger concerne également le philosophe africain qui est de son côté pris dans l'étau entre les impérialismes et les nationalismes en tant qu'humanismes métaphysiques. Seule une philosophie africaine plus praxéologique c'est-à-dire créatrice, innovatrice permet de transcender ces impérialismes et nationalismes. Pour Heidegger, un peuple ne se fera un destin que si d'abord il crée en lui-même une résonance, une possibilité de résonance pour ce destin, et s'il comprend surtout sa tradition d'une façon créatrice.43(*)

C'est justement ces intuitions de Osongo - Lukadi que nous allons exploiter sur le terrain de la théologie et plus précisément dans le domaine de l'inculturation où nous resituons le statut de l'être-là africain que Heidegger juge capable de créativité. En effet l'auteur a le mérite d'innover les possibilités d'une réception africaine de Heidegger. En théologie cette opportunité existe44(*). Il fait la saisir et l'insérer au coeur du débat sur l'inculturation. L'approche de la question de tradition créatrice est d'emblée la problématique de l'inculturation. L'insertion de la Bonne Nouvelle de salut devra passer par une réalité culturelle voire traditionnelle dont les valeurs sont à dégager à la lumière de l'évangile. Et l'évangile à son tour devra se laisser enrichir par la culture qu'il traverse. Dans ce cas la tradition doit être appréhendée comme créatrice et non transmission béate. L'enjeu ici est celui d'une appropriation - réappropriation pour ne pas dire appropriation critique de la tradition.

2.1.2- Limites et questionnements

La culture est une donnée fondamentale qui marque et détermine fortement l'être -au- monde de l'Africain. La quête du progrès en Afrique ne doit pas être une préoccupation purement matérialiste. Le combat de l'être-là africain passe aussi et nécessairement par l'authenticité de sa relation avec Dieu. En évoquant la pensée d'un développement politique, économique et social, il faut cibler le spirituel dans le champ propre de la relation de l'africain à la Transcendance c'est-à-dire à Dieu. L'Afrique actuellement, est comme envahie par le sacré, un envahissement où se mêlent une multitude de transcendances, une variété de médiations, une recrudescence des voies de salut et une renaissance des religions traditionnelles. L'inculturation qui est une réalité permanente de la théologie, l'est de façon plus accrue dans la théologie africaine. Mais dès son origine et avec la persistance de cet envahissement, on se pose des questions. Au nombre de ces questions, nous ciblons celles qui doivent contribuer à insuffler de l'intérieur l'être-là africain, d'un souffle théologique. Ainsi sera tracée à l'Afrique, la voie sûre pour découvrir l'Etre Transcendant, et l'unique médiateur. Il s'agit de retrouver l'authenticité de l'être-là africain au coeur de sa culture que viendrait enrichir l'Evangile dans son originalité. Une telle identité avons-nous déjà précisé, a été arrachée et détruite chez l'africain dès les premières heures de sa rencontre avec l'Occident. La redécouvrir aujourd'hui n'est pas faire fi des mutations socioculturelles actuelles ou ignorer qu'un être-là africain idéal est aujourd'hui impossible ou encore chercher à rendre l'Afrique autarcique. Mais c'est envisager l'enjeu de l'inculturation en Afrique. L'inculturation qui nous apparaît par sa procédure initiale, s'être plus préoccupée du Pourquoi que du Comment. Parler du Comment, c'est réussir à percevoir l'identité culturelle et théologique de l'être-là africain. Celui-ci au coeur de ses valeurs et traditions accorde sa foi à Jésus-Christ, ce qui confirmerait son ontologie désormais éclairée et orientée. Pour ce, Heidegger ne nous apparaît pas seulement pertinent mais incontournable. Il aiderait à la consolidation et à la confirmation du discours théologique authentique axé sur une culture et une tradition précises, qui permettrait de reposer la question du comment de l'inculturation en Afrique, enjeu primordial de la théologie africaine.

Nous partirons donc de la double réception culturelle (Africaine ) et théologique (herméneutique) de Heidegger pour restituer la question de l'inculturation sur l'axe de la manière authentique dont elle doit être conduite pour que la foi chrétienne ait un devenir sur l'avenir de l'être-là africain.

Chapitre 2

2.2- L'ETRE-LA AFRICAIN: QUESTION D'ETHOS AFRICAINE

Il nous incombe de savoir poser le problème du devenir de l'être humain africain mais en nous gardant de puiser dans des théories de revendication d'identité. Il nous faut saisir le cours de l'histoire contemporaine en cherchant à travers elle, des valeurs et des techniques susceptibles de construire l'aujourd'hui et l'avenir. La place d'arriérée culturelle qu'occupe l'Afrique aujourd'hui est le produit des combats existentiels menés souvent en termes de revendication d'identité culturelle d'accusation de l'autre. C'est là une attitude d'inauthenticité qui jette le dasein dans le "On" au lieu de lui faire appréhender son ipséité comme critère d'authenticité. L'identité culturelle, il est vrai doit être sauvée et sauvegardée. M. HEBGA approuve justement l'importance de cette identité culturelle bien pensée et dûment exprimée en vue d'une construction originale de la destinée des peuples africains.45(*) Il n'est cependant pas question d'une "quête d'identité archéologisante, de conflits ethnicistes, de mentalités nombrilistes, de pratiques et de gestion de pouvoir qui tourne autour de soi, du ventre, de biens à accumuler pour soi, pour la famille et la tribu" selon les expressions de N. SOEDE46(*). Ce fut une erreur de l'élite africaine qui aux lendemains de la décolonisation, sur le plan littéraire relatif à l'identité culturelle du noir exalte une littérature de revendication: Négritude, Africanisme, African Personnality, Panafricanisme. L'élite religieuse n'a pu aussi éviter ce piège. Ces deux tableaux n'avaient pas à s'inscrire dans une logique de revendication. L'urgence pour le continent était une manifestation, une libération qui devrait se démontrer par le déploiement du génie africain au travail. Car, promouvoir l'être-là africain, ce n'est pas tourner le regard vers ce qui est figé dans le passé, mais prendre en compte ce qui perdure dans nos racines humaines profondes, des ressources nécessaires pour affronter les défis humains nouveaux.47(*) L'être-là africain ne peut se définir aujourd'hui qu'au coeur de la mutation actuelle du monde, dans une dialectique de "s'affirmer et se nier". Celle-ci pour s'exprimer, doit positionner un être-là qui fonctionne comme une puissance de créativité spirituelle et culturelle. Car, c'est pour avoir cru que l'africain était un être donné une fois pour toute donc statique, pour n'avoir pas voulu considérer l'africain "comme un être historique qui se fait en transformant et en intégrant sans cesse les conditionnements physiques, économiques, politiques et spirituels que l'inculturation qui avait pour mission de concilier culture africaine et foi chrétienne a raté sa mission.

Etant donné qu'il n'existe aucune tradition africaine à l'état pur, encore moins un africain authentiquement lié à ses souches originelles, c'est l'africain confronté aux mutations actuelles qui cherche à accueillir le Christ pour se recueillir en lui. Parlant donc de l'être africain, il ne suffit pas d'énumérer les traits caractéristiques du type africain: Etant donné que chaque culture est caractérisée par une certaine façon de former ses membres, il faut s'assurer de ce qu'est être-homme dans une culture africaine. Comme on peut s'en douter, la vie est fondamentalement un acte sacré ou une réalité sacrée en Afrique. Toute existence humaine est marquée par la soif de la vie : le projet d'une vie accomplie, une vie heureuse reste l'idéal qui polarise tous les efforts de l'homme. L'adja - fon s'inscrit dans cette dynamique et ne doit sa religion qu'au désir d'accomplir la vie. Cette option fondamentale pour le maintien et le soutien de la vie au coeur de la religion africaine est perçue et mise en exergue par beaucoup de penseurs.48(*) C'est donc autour du rapport sacré existant entre l'être humain et tous les autres éléments vivants ou puissances spirituelles que se construit l'ethos humain. C'est dans cette ligne que la religion est perçue comme une célébration de la vie. L'ethos apparaît ainsi comme un ensemble de valeurs qui caractérisent une culture particulière. Nous pouvons maintenant évoquer la conception contemporaine de l'ethos africaine, celle qui a résisté à l'acculturation et celle qui s'offre aujourd'hui à tout dialogue avec la science voire avec la globalisation. L'ethos désignera pour nous '' la prise de conscience moderne concernant les idées dominantes, les valeurs et les idéaux''.

2.2.1- La culture africaine

Evoquant la question de la culture, nous commençons par dire ce qu'elle n'est pas et ce à quoi il ne faudrait pas s'attendre, pour finir par présenter le type de culture adéquate pour une inculturation porteuse de sens et respectueuse de l'être-là africain. Quelle culture pour quelle inculturation sera donc la finalité de ce paragraphe. Nous reconnaissons la diversité culturelle du continent et nous mentionnons aussi les effets destructeurs de l'acculturation forcée qui a fait perdre au continent une bonne part de son héritage spirituel. La désintégration culturelle et la destruction sociale des communautés africaines au contact de l'Occident et du christianisme sont une réalité. Il est vrai que le christianisme s'est présenté à l'africain à la manière d'un duel "Blanc-Noir". Ce fut une rencontre plutôt malencontreuse parce que devenue affrontement et confrontation. L'Occident s'était auto- surestimé en nation civilisatrice, substituant le pacifisme missionnaire à une arrogance militaire et impérialiste. On assista à une destruction quasi systématique du patrimoine africain. Contre le gré des chefs traditionnels, des églises furent implantées en lieu et place des couvents. Des baptêmes furent administrés en signe de prestige; des conversions opérées par mimétisme et suivisme. Loin de vouloir établir un procès ou de présenter un bilan, force est de remarquer que l'Afrique n'a pas pour autant disparue, elle est toujours là et aujourd'hui plus que jamais elle se sent interpellée à apporter sa pierre à l'édifice mondial de la reconstruction de l'humanité; une humanité phagocytée par le développement de la science et de la technologie avec tout le corollaire de contre valeur culturelle et religieuse que cela engendre. Pour ce, il lui faut redorer ses blasons culturels. Malgré l'existence des valeurs traditionnelles culturelles qui caractérisent cet être-là: le sens aigu de la présence de Dieu, la conscience de sa propre infimité et de la grandeur de Dieu, l'amour de la famille, l'hospitalité, le respect de la nature, la préciosité de la personne humaine, la foi en la Providence, l'attention à la présence de Dieu au coeur des éléments de la création, le sens d'action de grâce et d'adoration, la conscience de sa finitude, la reconnaissance de la transcendance de Dieu, autant de valeurs traditionnelles qui se trouveraient purifiées et ennoblies par la révélation de Jésus-Christ. On ne peut plus envisager aujourd'hui une culture typiquement et authentiquement africaine sans aucune hybridation. Aujourd'hui les transformations économiques, sociales et culturelles n'ont pas manqué d'avoir des répercussions sur ces valeurs. Cependant elles demeurent indéniables et se développent à travers le sens du partage, la compréhension de la communauté humaine enracinée dans la famille, les relations de haute estime envers les anciens et les jeunes, la vision spirituelle de la création, le souci pour la protection de l'environnement. Toutes ces valeurs, formant un tout harmonieux et indissociable ont une dimension purement religieuse. La culture dès lors qu'elle ne repose plus sur un passé mythique, n'est pas synonyme de tradition au sens d'une réalité figée et statique sans aucune ouverture créatrice qui façonne l'âme ou la forme spirituelle d'une société. La culture d'un peuple a pour composante la langue, la coutume, et les valeurs qui en constituent les piliers inconditionnels et le facteur d'humanisation. Les coutumes précisément doivent rechercher l'uniformité, c'est-à-dire qu'on doit s'habituer à relativiser les coutumes ancestrales et ne pas diaboliser celles étrangères. Quant aux valeurs, leur système donne la grandeur d'une culture. Mais ce à quoi on assiste aujourd'hui est loin d'un renversement des valeurs plutôt qu'une perturbation de nos préjugés sur la culture. Ce qui naît est une nouvelle forme de culture et il faut veiller à son insertion et à son édification. Car si la culture implique des connaissances à un degré de qualité, elle est aussi et surtout caractéristique d'un certain mode de vivre, de penser, de travailler, d'organiser la vie sociale. Et ceci en s'ouvrant et en affrontant les valeurs extérieures et étrangères. Il importe de garder fermement la conviction de nos valeurs nègres49(*), dans une fermeté d'esprit intellectuellement ouvert et capable de contribuer à notre dire théologique. Loin d'être exclusivement africaines, ces valeurs nous portent à un universalisme qui fait de l'être-là un éthos capable de se positionner en face de tout apport étranger. C'est sur cette base que devrait se positionner l'inculturation pour répondre aux attentes de l'être-là africain. On peut donc se convaincre que l'Afrique a une culture qui n'a rien d'un traditionalisme borné ou d'un autarcisme, mais une culture capable de se positionner face à des impératifs modernes susceptibles de s'ouvrir à tout, même à une révélation. Toute culture doit être pulvérisée des carcans qui l'asservissent et se déterminer à recevoir ou non une réalité extérieure.50(*) Nous avons donc accepté avec Ka Mana51(*) de nous positionner non plus face à une culture liée du passé ni une civilisation d'un autre âge, mais une culture pour notre époque, une civilisation à la mesure de notre temps. Or aujourd'hui, l'édification du décor humain moderne, de notre culture et de notre civilisation contemporaine est fondamentalement liée au pouvoir créateur de la science et de la technique. Est donc révolu le temps où la culture de l'être-là africain est définie à partir d'un recours à la tradition figée telle l'Egypte pharaonique, les "Bosquets initiatiques", l'idéologie senghorienne de la négritude. Toutes ces tentatives de sauver l'africain furent des illusions parce que trop penchées sur des cris de révolte au détriment d'une intériorisation de ce qui fait notre spiritualité. Ainsi, « Rompre avec le passé comme réponse et réhabiliter la tradition comme question, entraîne à penser l'avenir sur une vision claire de permanence de l'humain et de ruptures radicales qu'il conviendrait d'assumer réellement afin que notre rapport à l'avenir soit créateur et novateur », nous enseigne Ka Mana52(*). Et ceci rejoint largement la vision heideggérienne de la tradition que nous empruntons pour revitaliser notre être-là africain qui tout en relisant sa tradition comme réappropriation, ne s'enferme pas dans une vision du passé qui manquerait de dynamisme et de créativité. Le fond culturel duquel l'Afrique doit maintenant partir est celui-là qui offre au christianisme sa chance de relever l'être-là africain. La réalité culturelle africaine se présente comme une réalité culturelle très complexe. Cependant, ces cultures sont une réalité contemporaine tout à fait aptes à s'adapter aux conditions modernes de la vie et à fournir à leurs membres les valeurs fondamentales dont ils ont besoin pour survivre dans le monde aujourd'hui. Il faut donc renoncer à parler de la culture comme un fait de musée soumis à une vision passéiste en perpétuel nostalgique. Cette conception est périmée et oblige à penser, à insister selon les mots de J-M ELA53(*),'' sur le travail culturel à l'oeuvre dans les initiatives et les pratiques sociales des acteurs historiques dont le dynamisme et la créativité se déploient à travers leurs capacités d'adaptation aux défis du temps présent. C'est d'ailleurs là une donnée fondamentale de la culture qui autorise à un regard neuf sur l'homme africain54(*)''.

2.2.2- La religion africaine

Signalons d'entrée de jeu qu'il est difficile de séparer les éléments culturels de ceux qui sont religieux. C'est encore le lien très fort entre les deux qui engendre des ambiguïtés. Il est donc certain qu'en Afrique, la culture et la religion forment un tout indivisible ; or le constat est évident que beaucoup d'africains ont opté pour le christianisme sans renoncer à leur religion traditionnelle. Si au nom de la religion on évacue la culture, c'est qu'on perd le sens de l'incarnation du Christ qui devrait trouver une place prépondérante au coeur de chaque culture. Particulièrement en Afrique, la vision du monde demeure une vision fondamentalement religieuse. Et si elle devra se positionner aujourd'hui dans le concert de la mondialisation, il faut commencer à louer quand même l'entreprise des missionnaires blancs qui n'est pas toutefois mauvaise en soi. Leur zèle missionnaire a contribué à éclairer l'Afrique obscure et mystérieuse.

Ainsi en Afrique, Religion et Culture semblent exprimer la même réalité chez l'être-là africain. Mais il faut noter que ce dernier est un être profondément religieux, d'une religiosité axée sur le rapport avec la transcendance qui s'exprime par son sens aigu pour l'animisme. Ceci a connu un renforcement au niveau de certains peuples surtout chez ceux qui se réclament d'Adja -Tado en Afrique de l'Ouest. Il s'agit de la religion traditionnelle transférée en vodoun, une réalité aussi complexe que sa manifestation. La distinction fut difficile entre "vodoun religion" et " vodoun culture". Le vodoun est en général un problème, il n'est pas " un fait culturel" mais aurait pu être "un fait de culture". Les travaux du théologien béninois le père B. Adoukonou55(*) nous ont permis de l'entrevoir plutôt comme une vision africaine du monde et dans ce sens, il offre une ouverture à l'accueil du message de salut annoncé par Jésus. Mais pris autrement c'est-à-dire comme religion constituée, il offre une opacité révélatrice de son inconsistance. C'est en cela que toute tendance qui voudrait y voir aujourd'hui l'avenir du continent est à combattre. La religion africaine devra aussi se purifier des mythes et mentalités aliénants qui consacrent la négation de soi et l'aliénation identitaire au travers des mentalités fatalistes et croyances déshumanisantes.

On note une grande variété des croyances, des mythes et des rituels. Elle accorde un lien solide entre les ancêtres, personnes spirituelles, et la communauté. Cette religion est structurée autour du concept d'un être suprême lors de son contact avec le christianisme. L'univers est un univers animé, peuplé d'éléments vivants ou de puissances spirituelles où tout est lié à tout. La situation de la personne humaine dans cet univers est toujours vulnérable. L'homme y entre comme un impuissant qui doit quêter sa force auprès d'éléments qui le dépassent. L'enjeu principal de son existence est donc d'apprendre à vivre et à devenir à son tour une véritable personnalité en communion avec toutes les puissances spirituelles qui l'entourent.

La culture concerne une vision du monde et un système de valeurs qui donnent du sens à la vie en communauté et orientent les conduites sociales et individuelles. La culture façonne la vie dans la mesure où ces valeurs, sont présentes dès la conception de l'individu et favorisent son insertion rituelle dans la communauté. Cependant, par le fait qu'elle est ouverte à l'influence d'autres cultures, l'identité culturelle peut être menacée et la science et la technologie peuvent même la transformer. La religion quant à elle, est l'élément de la culture qui traite de l'Ultime; c'est l'élément le plus profond de la culture. On accède à la culture, on ne naît pas cultivé; d'où il ne peut exister de culture immuable et permanente qui soit constituée à l'abri de tout changement de toute mutation.

2.2.3- Un être de transcendance et d'auto transcendance

Exister, c'est transcender. La transcendance est le dépassement. Et ce qui réalise ce dépassement se nomme transcendant. C'est la manière d'être humain. Car, l'homme transcende tout étant et lui-même en premier : il se porte toujours au-delà de ce qui est et de ce qu'il est. La transcendance est le produit, le pro-jet. Le fait que seul l'homme existe et transcende, est ce qui lui vaut d'avoir un monde qui lui est essentiellement relatif. C'est en ce sens que la transcendance devient synonyme de liberté. Comme caractère de l'être humain, la liberté consiste en ce que l'homme se projette vers ses possibilités. C'est elle qui engendre le monde et le moi. Elle est donc le fondement de tous les fondements et reste sans fondement. C'est dans cette assimilation de la liberté à la transcendance que nous voyons l'existentialité du dasein se poser comme auto-transcendance. Le premier point que nous allons aborder dans le cadre de cibler tous les contours de l'être qui s'impose comme particulier-universel est la question de la cosmicité humaine avec cette résonance particulière où l'homme cherche à être '' source et origine de soi''. L'homme apparaît déterminé par des caractères physiologiques, psychologiques et personnels. Si les deux premiers traits dépendent de son appartenance à l'univers physique et son entourage socioculturels, ainsi qu'il en est conditionné, le dernier provient de lui-même, de ce que l'homme aura fait lui-même de son existence. Il a donc l'impérieux devoir de construire. Car, jeté dans l'existence sans l'avoir choisi, il ne possède rien mais hérite tout et partant reste soumis, assujetti à l'être. Or il est appelé à se distinguer des animaux, à marquer la différence ontologique. Voilà qu'il est un être de besoins qui vit en constante dépendance. Il n'est rien sans les autres et tout ce qu'il a, résulte de l'emprunt. Enraciné dans l'univers physique, l'homme ne peut subsister sans lui. Il lutte constamment pour la survie, contre la mort. La vie pour lui devient un combat contre la mort. Malheureusement la mort a le dernier mot puisqu'il est un être pour la mort. Mais face à cette situation de précarité, il ne démissionne point, il fait de sa vie une priorité à défendre, à sauvegarder. L'être pour la mort meurt à la quotidienneté afin d'engendrer la vie à travers laquelle la mort elle-même reçoit un sens. Tout être humain refuse ainsi de se réduire à une chose, il prend conscience qu'en lui regorgent des capacités pour dépasser ce qu'il subit et par le fait mériterait l'estime de soi et d'autrui. Il y a là une vocation à se dépasser qui toutefois reste conditionné par la présence en nous du biologique. Le ''moi'' totalement préfabriqué est une barrière qui devient notre besoin d'être. Il l'emporte sur nos réalisations et toute entreprise humaine. Il détourne de l'essentiel qui demeure caché à nos yeux. Ce qui reste à faire, c'est de redécouvrir l'humain qui est source de la dignité humaine; c'est un passage du monde inauthentique au monde authentique qu'il faut opérer. L'authenticité sera alors la capacité qu'a l'être-là de s'approprier soi-même, de se projeter sur la base de sa possibilité la plus propre. Ainsi il y a là un engagement à la responsabilité qui appelle à devenir sa propre origine, c'est-à-dire changer son ''moi possessif'' en ''moi oblatif'' par désappropriation pour retrouver ce qu'il y a en nous d'intime , de plus qu'intime à nous -même, notre être-là. Le seul qui reste ouvert à accueillir la transcendance.

Chapitre 3

2.3- L'actualité de la théologie africaine

Elle est caractérisée par l'inculturation. L'inculturation n'avait ou ne devait avoir aucune autre préoccupation que de faire émerger l'être-là africain.

Il semble comme nous l'avions souligné dans notre problématique, que c'est l'ouvrage historique Des prêtres noirs s'interrogent56(*) qui donna l'ouverture aux questions d'inculturation après les jalons posés par la rencontre culture et évangélisation/ Occident et Afrique. A travers des réflexions sur l'Eglise dans le monde noir, des prêtres africains et haïtiens se sont posé des interrogations pastorales et des inquiétudes relatives aux difficultés inhérentes à leur mission en terre noire. Ce fut pour eux l'occasion de lister les richesses qui dans les cultures noires constituent un support pour la Bonne Nouvelle. La problématique d'ensemble était une profonde connaissance du milieu culturel africain comme accessible à l'inculturation. Ils prenaient prétexte du mot de Pie XII: «L'Eglise ne détruit et n'éteint chez les peuples qui l'embrassent rien de ce qui est bon, honnête, beau en leur caractère et leur génie.» Mais très tôt, les recherches prirent l'allure d'une revendication d'identité niée. Le vrai tournant pour une liturgie africaine fut raté.57(*) On assista ainsi à la théologie de l'identité, qui s'inscrit en faux contre la théologie missionnaire de l'adaptation pour soutenir la négritude dans son désir de connaître la culture noire. La théologie de l'incarnation, pour sa part s'est demandé si le Christ constituait pour l'Afrique une chance ou un risque. Quant à la théologie de la libération, elle fait directement face à la situation sur les plans socio-culturels, politico-économique du continent. C'est de ce dernier ensemble qu'on peut définir les théologies actuelles qui optant pour une réappropriation culturelle critique, cheminant vers une interprétation de la foi chrétienne à partir de la situation actuelle de l'être-là africain. A partir du Synode africain, une densité plurielle de la catholicité fut possible, soutenue par l'ouverture déjà accordée par Vatican II. Par leur enracinement culturel, les Eglises d'Afrique pourront apporter leurs pierres à la consolidation du patrimoine chrétien. Pour cela, l'urgent à faire est le double dépassement de tous courants théologiques étrangers au contexte africain et de notre patrimoine culturel et religieux, non pas comme une négation de soi ou une fermeture aux autres, mais sous le signe de la discontinuité dans la continuité. Car comme l'exprime le théologien béninois le père J. Penoukoun, "le projet d'incarner la foi chrétienne dans la réalité africaine concerne l'homme africain d'aujourd'hui, situé au carrefour de son passé ancestral, de l'histoire coloniale et néocoloniale, du présent en proie à l'épreuve de la modernité.58(*)" Le constat que nous faisons de ces diverses théologies est que quelle que soit leur époque, elles conservent un fond de revendication, mais nous avons compris que ce n'est pas l'élaboration de théories théologiques qui manque pour un mieux être théologique de l'être-là africain, mais ces théories portent le handicap d'une méthode qui fait que la réalité africaine est souvent mal ciblée, voire mal approfondie limitant une fois encore les chances du christianisme en Afrique. La théologie africaine a du mal à se faire une méthode de théologie africaine ouverte aux questions actuelles. C'est ce constat qui nous porte à cibler le tournant herméneutique de la théologie comme un enjeu capital pour la théologie africaine. L'herméneutique se poserait ainsi comme la méthode actuelle de toute théologie en même temps qu'elle permet de sauver et la foi chrétienne et l'être-là particulier. Notre inculturation deviendra une évangélisation au quotidien avec les armes socio-politiques, éthico-culturelles, qui sont les nôtres dans l'instant présent qui est le nôtre. Pour y arriver il nous faut accueillir le pluralisme théologique comme un facteur dynamique. C'est l'expérience au quotidien qui détermine le vécu théologique. La réflexion théologique permet d'analyser une question donnée du point de vue de la foi et de la Parole de Dieu et proposer une réponse prophétique qui soit base de conversion.

2.3.1- Identité propre d'une théologie africaine

Nous ébauchons une réflexion qui voudrait partir du dedans, de l'être-là africain pour servir désormais de mesure à toute entreprise du dehors. Ce qui suppose une confrontation entre la foi et notre contingence en vue d'une lecture de l'Evangile où Dieu parle à l'africain en tenant compte de son être et de sa culture. Ainsi donc, pour resituer l'être-là africain en face des possibilités que Dieu lui offre en Jésus-Christ, il faut commencer à le prendre dans son actualité et le laisser s'inscrire au coeur de ce dialogue que Dieu engage avec lui. Autrement dit, le discours africain sur Dieu qu'est la théologie et plus précisément l'inculturation, devra se produire en Afrique et en tenant compte des urgences africaines. Cela est fondamentalement une exigence de notre foi; et suppose que '' l'entreprise se libère de tout dogmatisme, pour s'ouvrir à la vie d'un peuple aux questions et aux requêtes d'une époque afin d'interpréter le message de Jésus dans le contexte des hommes auxquels ce message s'adresse''59(*). Il s'agira là d'une relecture de la Révélation qui partira de son particularisme pour en venir à son enjeu universaliste dont l'Afrique en saisira pour elle-même le caractère singulier. L'approfondissement de la foi africaine devra passer par la dimension historique du dessein de Dieu à travers laquelle sa Parole doit être dite et célébrée dans une vision critique. L'Evangile du Christ se doit d'entrer en heurt avec le réel africain pour que la foi devienne une expression du langage africain. Il sera question selon les mots de Jean Marc ELA, '' de faire renaître en nous-mêmes ce qui, ailleurs, a été dit de Dieu et de sa Révélation à l'homme de tous les temps, de toutes les langues et de toutes les élévations.''60(*) Une telle foi qui devra se poser dans le contexte actuel du monde et de nos existences, pour ne pas singulariser l'africain, devra prendre le risque herméneutique. Ceci n'est rien d'autre qu'une reprise du noyau propre à l'Evangile à partir d'une écoute de Dieu dans la situation concrète de nos communautés. Nous sommes là en face d'une urgence pour dégager la signification actuelle de la Parole de Dieu et du dessein de salut à partir de l'intelligence historique que l'Afrique prend de lui-même et du monde.

Pour un mieux être de l'être-là théologique africain, on partirait du quotidien des communautés de nos campagnes. En effet, si le vrai scandale de la foi fut l'intervention de Dieu dans l'histoire, on n'a aucune réserve à émettre quant à l'obligation de dire et de vivre la foi dans le contexte où l'africain se dit lui-même. La foi en Africain doit partir de l'interprétation. On devra tenir compte de la relation à l'invisible, intégrante à la foi de l'africain chez qui l'obsession de l'occulte exerce encore une fascination; la recrudescence des pratiques de sorcellerie plonge encore dans le symbolisme de la nuit. L'invisible étant considéré comme le réel véritable, toute adhésion à la foi chrétienne doit pouvoir intégrer l'inquiétude grandissante des forces invisibles à l'oeuvre dans l'univers et contre lesquelles il faut absolument se prémunir. Le bonheur tant recherché à l'ombre des ancêtres, pose le problème de médiateurs et de salut. Tant que l'imaginaire symbolique de l'être-là africain ne serait pas pris en compte par un dialogue théologique qui s'élaborerait sur le terreau où l'homme tente de se concilier les puissances invisibles et de se protéger contre les forces occultes, et mêmes les aléas climatiques, les ébauches théologiques sur l'inculturation61(*) visant la mise en valeur de la symbolique africaine dans le mystère chrétien resteront toujours lettre morte. Or c'est à partir de là que se tracera à coup sûr le dessein de la théologie africaine et mieux de l'homme africain vivant en chrétien réconcilié avec sa culture. Par ailleurs, la relation entre foi et santé qui déroute plus d'africains, impose le besoin de trouver une meilleure expression de la foi correspondant aux réalités africaines. Il n'en sera rien d'autre qu'une nouvelle approche méthodique qui tienne compte du contexte socioculturel demeurant le fruit d'un dialogue entre la tradition africaine et le christianisme.

2.3.2- Théologie africaine et diversité culturelle

A ce niveau, l'inculturation est à considérer dans sa problématique de l'unité dans la diversité. Nous avons déjà montré que la culture n'est pas synonyme de tradition figée et statique alors qu'elle se veut ouverture créatrice. Les sociétés africaines subissent aujourd'hui une mutation culturelle. L'eurocentrisme et l'américanisme perturbent les normes. L'Afrique est faite de diversité culturelle pendant que la foi chrétienne semble s'accorder avec tout. De même, la foi chrétienne recevra toute sa crédibilité auprès de l'être-là africain quand elle sera pensée en termes de ''rupture'' et de ''création''. Si l'inculturation est une vie de foi concrète et actuelle, la théologie africaine ne sera et ne doit être qu'une théologie de l'invention sur fond de compréhension de la culture. Ce qui importe, c'est de foncer dans les réflexions sur les problèmes de l'homme et de la vie en société, d'adapter la doctrine catholique aux réalités socio-économiques, politiques. C'est là tout l'enjeu de l'herméneutique théologique où la Parole de Dieu aura un sens concret et précis pour le sujet culturel en situation précise et concrète. Chercher à ré capturer la tradition serait dangereux par le fait qu'une telle entreprise serait déconnectée de l'histoire concrète des hommes en ce temps - ci. Marc ELA atteste justement que ''Si les drames, les déchirements internes et les défis d'aujourd'hui constituent le terrain d'éclosion d'une culture qui naît de la lutte que mène un peuple pour retrouver sa dignité et reconquérir son initiative, il nous faut réinsérer les rapports de la théologie chrétienne avec la culture africaine dans les dynamismes socio-historiques de l'Afrique actuelle''62(*). La condition actuelle de l'homme en Afrique noire, exige une foi chrétienne en confrontation avec la réalité africaine. Ainsi, la culture africaine est celle que nous vivons et qui ne pourra se réduire à rien d'autre. Cette culture ne se limite pas à la prise en compte des croyances et des rites mais dans le même temps elle ne saurait ignorer les communautés demeurées enracinées dans le terroir. Il faut prendre conscience de l'émergence de ces communautés qui, tout en reconnaissant les valeurs inhérentes aux religions traditionnelles, doivent y voir un cheminement vers l'Evangile. L'autre pallier sur lequel devra se noter la personnalité théologique de l'africain, est qu'elle doit pouvoir élaborer une réflexion théologique qui tienne compte des opprimés, des pauvres. Il faut reconnaître que ce n'est plus une résurrection du patrimoine ancestral des africains qui préoccupe. L'identité africaine s'imbibera authentiquement du souffle théologique dès lors qu'elle sera en mesure d'élaborer une théologie capable de faire face aux défis actuels. L'africain donc ne doit plus continuer à vivre comme un expatrié culturel dans l'Eglise. Il importe donc d'opérer à ce niveau un passage de la tradition à la tradition.

2.3.3- De la tradition transmission à la tradition création

Notre débat comme on l'aurait constaté ne vise pas une simple reprise critique des coutumes anciennes, mais la transformation effective des modes de rapports qui existent au sein de la société africaine. Nous sommes donc en face d'une lecture de la réalité africaine qui ne considérerait plus les faits culturels de nos sociétés comme des ''pierres d'attente''. Evitant ainsi le risque de passer sous silence l'effort de réinterpréter la culture africaine à partir des défis de l'histoire. Pour qu'on arrive à ce seuil il importe de prendre en considération le concept de tradition qui interpelle ici aussi bien l'Eglise que l'Afrique. Dans la théologie catholique, elle apparaît comme un principe et un critère inaliénables de la connaissance théologique. Le cheminement que nous envisageons est de pouvoir accorder à l'africain contemporain la liberté d'interpréter la Bonne Nouvelle dépouillée de ses multiples conditionnements culturels et historiques; il en sera ainsi à l'égard de la tradition. Michael AMALADOSS63(*) notait que ''l'authentique tradition est la communication à travers les âges, de l'expérience de Dieu, originelle et fondatrice, qu'a faite Jésus et qui a été à l'origine de la création de la communauté de l'Eglise.'' En notant que les récits et les rites aident à évoquer cette expérience originelle l'auteur signale que ''cette tradition fondatrice ne devrait pas être mêlée à l'accumulation des différentes expressions culturelles nées de la ré-visitation de cette expérience originelle tout au long de l'histoire''64(*). La tradition n'est pas chose à rejeter, mais elle ne doit plus être vue comme une répétition servile ou une simple traduction. Ce qu'elle apporte doit intégrer et enrichir dans une nouvelle expression créatrice qui aurait ses racines dans la nouvelle culture qui permettra d'accueillir d'autres cultures au sein du christianisme. Nous assisterons ainsi à un type d'africain qui n'est plus capable de célébrer les mystères divins dans des rites éternels et éthérés, mais un homme changeant, transformant sa vision du monde et les systèmes de valeurs de sa culture, les structures socio-politiques et économiques injustes. Il s'agit-là de la transformation de la culture pour la création d'une nouvelle culture. Il ne sera pas question d'une révolution radicale, mais d'une évolution créatrice qui s'inscrit comme démarche herméneutique de la Parole de Dieu et de la pratique de la foi chrétienne pour rendre celle-ci compréhension et correspondante à l'être-là.

Troisième Partie

HERMENEUTIQUE ET INCULTURATION POUR UN MIEUX-ETRE

DE L'ETRE-LA THEOLOGIQUE AFRICAIN

Comment l'homme africain peut-il être contemporain de Jésus ?

Réception théologique de l'être-là; repenser l'être-là africain. Voilà ce qui a été a l'arrière fond de toute notre recherche. Au cours du cheminement nous avons montré que la culture n'est pas une réalité figée ni statique. Et nous avons pu constater qu'il est impossible de parler aujourd'hui d'une culture typiquement et authentiquement africaine. L'extraversion et l'hybridation culturelle font apparaître un autre type d'africain et une culture qui nous oriente mieux aujourd'hui. Ce qui permet de comprendre que l'être-là africain est l'africain pris aujourd'hui dans sa situation socio -culturelle actuelle, dans son présent et sa réalité actuelle. Cependant il faut reconnaître que restent et demeurent des manières typiquement africaines, un vivre profondément africain qui dans la réception de tout apport étranger, transparaît, identifie et caractérise le prototype africain. En dehors de la langue comme véhicule de pensée, il faut percevoir la façon africaine de vivre le christianisme aujourd'hui. Une façon mise en exergue par les essais d'inculturation, les chants et le folklorique indéniable à l'homme africain et à travers lequel il anime sa liturgie. Tout cela qu'on appellerait des valeurs africaines, reste des traits culturels qui échappent à l'usure du temps. Et c'est au nom même de ce dynamisme culturel que nous éloignons toute confusion entre tradition traditionaliste et culturelle pour nous pencher sur la question de l'inculturation. Celle-ci , pour qu'elle conserve toute sa pertinence et démontre son enjeu pour l'africain doit prendre celui-ci dans son aujourd'hui. Or la question de départ est de dire la foi chrétienne en réalités et mentalités africaines pour réconcilier celui-ci avec sa culture. Ce fut la préoccupation du père Adoukonou dans Vodoun violence et sacré65(*). Des années après, ce conflit entre africain authentique et christianisme demeure, se concrétise par la régénérescence des religions traditionnelles et de nouvelles formes de religiosité. Au vu de tout cela et avec la perception de la culture, on se demande l'enjeu de l'inculturation encore pour l'être-là ou si l'inculturation est à axer sur la culture ou sur la tradition. Celle-ci sera difficile à reconstruire. Notre analyse sera de comprendre aujourd'hui l'inculturation sur un autre front. Sans prendre le risque d'ignorer cette réalité théologique, ecclésiale qui prend ses racines dans le mystère même de l'incarnation, nous voulons entrevoir en troisième partie l'inculturation comme une herméneutique. En ce sens que, la tradition africaine échappe à toute réappropriation, et que la culture n'est pas une reconstruction passéiste; l'inculturation pour qu'elle intéresse l'être-là africain et ait un impact sur lui, devient le vécu de la foi chrétienne au quotidien, dans la réalité qui est la nôtre. Toute inculturation est donc une herméneutique au sens de l'avenir de la Parole de Dieu pour le devenir de l'africain. Tout l'enjeu de notre hypothèse se situe à ce point du débat. Et l'option faite du philosophe Heidegger pour solutionner notre problème apparaîtra avec les suggestions théologiques que nous tirerons de la critique ontothéologique. Ces indices théologiques devront influencer notre vision sur l'inculturation de façon à montrer le rôle qu'aurait pu jouer le mouvement de la négritude comme première tentative pour sauvegarder l'être-là africain.

Chapitre 1

3.1- APPROPRIATION ET REAPPROPRIATION : QUESTION D'INCULTURATION

Pedro Arrupe définissait l'inculturation comme ''l'incarnation de la vie et du message chrétien dans un contexte culturel particulier, faite de telle manière que cette expérience non seulement puisse s'exprimer à travers des éléments propres à la culture en question mais encore devienne un principe qui anime, dirige et unifie la culture, et ce faisant, la transforme et la remodèle si bien qu'une «nouvelle création en sorte»'' Alors qu'il y a davantage de discussions sur l'inculturation, sur le terrain, l'enthousiasme semble décliner. Or il est clair qu'on ne saurait plus, à voir le style de vie des gens, parler d'une culture africaine. La culture africaine est en réalité une mosaïque de cultures; et malgré les intentions les plus pures pour adhérer l'être-là africain à la modernité, le peuple cherche à vivre, à exprimer et à célébrer son identité à travers les symboles de sa propre culture. Incarnant ainsi la Bonne Nouvelle, l'Eglise africaine pourrait ainsi efficacement et authentiquement en témoigner dans son contexte. Or en raison de la situation actuelle de l'être-là africain, son identité culturelle ne doit pas seulement être affirmée mais d'abord découverte et retrouvée. La liberté pour se vouer à une telle entreprise n'existe point. Ce qui rend du coup aussi impossible l'oeuvre de l'inculturation, d'abord par un organe central, au nom de la préservation de l'authenticité de l'Evangile et de la sauvegarde de l'unité. On se demande alors si l'inculturation consiste simplement en la traduction de vérités éternelles dans différentes cultures. La culture originale qui aurait accueillie l'évangile, en la transmettant à d'autres cultures, transmet-elle seulement une tradition qui doit être interprétée et permettre une expression neuve et créatrice dans une autre culture ? Tout se joue à notre avis, sur le mot inculturation. En théorie, elle s'explique à partir de l'incarnation. Mais en pratique, c'est le fait qu'une communauté dans son approche inculturée de l'Evangile, va à la rencontre d'une autre dont la culture est soutenue par sa propre religion. Naît donc un dialogue à la fois interculturel et interreligieux duquel devra émerger une nouveauté. Un tel enjeu de l'inculturation n'a pas eu de fruit sur l'être-là africain dans la mesure où l'inculturation a posé l'Evangile comme un conquérant qui va au devant des cultures, pour les conquérir, les intégrer et les enrichir. Il y a là une sorte de domination qui permet de concevoir l'Evangile comme un pur produit; or tout évangile avant d'aborder une culture est dans une forme inculturée. L'évangile donc, étant donné ses limites culturelles, a quelque chose à apprendre des autres cultures, notamment de l'Afrique. D'où le dialogue devient le paradigme de la rencontre évangile -culture. Face à ce pluralisme culturel et religieux, le souhait n'est plus de christianiser la culture, mais plutôt d'annoncer l'Evangile en invitant chaque culture à la transformation. Car les cultures aujourd'hui sont prises dans un processus de changement et d'interaction. Il s'ensuit que ce qui importe maintenant, c'est que Dieu rencontre l'africain, cette personne humaine, et qu'il réponde à Dieu dans sa vie, non seulement à travers sa culture, et ses relations, mais aussi à travers les structures économiques et socio-politiques.

3.1.1- Le tournant herméneutique de la théologie

Question de Dieu et sa réception aujourd'hui est ce qui nous préoccupe tout au long de ce travail. Comment se présente Dieu aujourd'hui dans notre société et comment notre culture particulière se l'approprie? Une telle interrogation qui s'est posée avant nous et connaît encore de grandes investigations n'a pas manqué d'avoir des approches de réponses dans le temps. Celle qui suscite l'attention et acquiert l'assentiment aujourd'hui est celle du tournant herméneutique de la théologie où est mise en question le binôme Théologie et Culture. La théologie donc pour continuer à maintenir la Révélation de Dieu dans son enjeu capital pour l'avenir et le devenir de l'homme mérite interprétation. Une interprétation qui passe par l'interpellation de la Parole de Dieu pour nous, l'actualisation du dogme et surtout l'adaptation de la tradition ecclésiale pour la compréhension de l'homme contemporain. Ce qui se cache sous cette vision actuelle de Dieu est d'entrevoir la théologie comme une herméneutique en ce sens où toute herméneutique est une inculturation. Nous avons pensé approcher aussi cette problématique mais dans un sens de questionnement pour percevoir la théologie dite de l'inculturation dans sa façon de procéder. Il ne nous importe pas de faire de l'inculturation, mais de nous demander comment on aurait dû procéder pour qu'elle soit une réalité dans notre Église locale au delà de toutes les revendications sur le pourquoi de cette inculturation. La question de Dieu paraissant capitale sur cet itinéraire, il nous a semblé nécessaire de recourir à un philosophe qui a su ramener Dieu en son lieu natal, le démarquant de toute approche métaphysique et ontologique qui le rendait étranger à l'appropriation culturelle. Martin Heidegger à partir de ses critiques adressées à la théologie chrétienne, nous apparaît très critique pour poser les jalons d'une herméneutique capable de faire de la question de Dieu une occupation pour chaque peuple. Avant d'aller plus loin dans cette réflexion où nous voulons poser ce philosophe comme le détenteur des voies sûres que la théologie africaine peut emprunter pour se concilier Foi et Culture, voyons comment l'herméneutique est une urgence pour la compréhension de la Révélation, et en quoi ce philosophe y contribue et sa pertinence pour la réflexion théologique aujourd'hui.

Depuis que Heidegger a dénoncé la contamination réciproque du concept d'être et du concept de Dieu dans le discours ontothéologique, la théologie chrétienne se trouve affrontée à une situation nouvelle. En réalité, la théologie est de bout en bout une entreprise herméneutique; d'où l'on ne peut relire la tradition chrétienne en ignorant l'homme contemporain. Ainsi, comprendre la théologie comme herméneutique, c'est prendre au sérieux l'historicité de toute la vérité, celle de l'homme et celle de la révélation. La théologie se pose donc comme un mouvement sans fin d'interprétation qui prend en compte le message chrétien pour une meilleure intelligence du croire chrétien. Heidegger fait partie de ceux qui ont favorisé cette restauration de l'intelligence de la foi donnant désormais un tournant herméneutique qui permet de saisir qu'il n'y a pas d'affirmation sur Dieu qui n'implique une affirmation sur l'homme. Il s'en suit que, faire oeuvre herméneutique, c'est créer de nouvelles interprétations et même produire de nouvelles figures historiques du christianisme dans d'autres temps et d'autres lieux. Ce qui suppose que la culture africaine aussi devra avoir son interprétation du message chrétien qui tout en offrant des réponses à son adhésion à Dieu, reste compréhensible pour tout homme. Il s'agit de réécrire à chaque époque de son histoire, le langage déjà constitué de la révélation afin de le rendre plus intelligible et plus parlant. C'est un langage déjà normatif pour toute l'Eglise, et qui devra échapper à la répétition passive et connaître une constante actualisation de façon vivante, en fonction d'une situation historique nouvelle et en dialogue avec les ressources inédites d'une culture donnée. Ce tournant est urgent aujourd'hui afin que soit respectée l'originalité de la vérité de la révélation chrétienne et pour ne pas rendre désuète la question de Dieu.

3.1.2- La vérité herméneutique de la théologie

A l'heure où la révélation chrétienne affronte les interrogations au sujet du pluralisme religieux et en appelle à une identité chrétienne, nous pouvons affirmer avec Claude JEFFRE qu'il est du destin même de la raison théologique de connaître un tournant herméneutique. Ce destin, affirme-t-il, est inséparable du destin de la raison philosophique qui prend ses distances tant à l'égard de la métaphysique classique qu'à l'égard des philosophies du sujet fondées sur le primat de la conscience pour considérer l'être dans sa réalité langagière. 66(*) La tâche urgente sera donc de diagnostiquer notre situation présente en la restituant dans le contexte adéquat d'un salut en Jésus- Christ. Il s'agit de faire en sorte que la révélation soit un événement toujours actuel dans notre culture avec une réponse propice aux hommes et aux femmes de notre société. C'est d'une relecture de la tradition qu'il est question. Car l'enjeu de la théologie est de se comprendre non plus comme un simple discours sur Dieu, mais un discours qui réfléchit sur le langage sur Dieu, en ce sens que nous nous situons en face d'expériences actuelles de l'existence humaine. Une interprétation qui appelle réappropriation à la fois culturelle et religieuse pour redonner à la Parole de Dieu sa constante actualité pour l'homme africain. On comprendra à ce niveau que l'herméneutique n'est pas une préoccupation rhétorique, mais une urgence voire une nécessité vitale pour toute la théologie dans la mesure où celle-ci doit demeurer un service critique de l'Eglise dans le monde dans son souci de fournir à l'homme la vérité et de dire la vérité de l'homme. C'est cette vérité de la théologie que constitue l'herméneutique qui pourra nous aider à mieux percevoir notre condition humaine et notre façon d'aborder la tradition vivante de la foi en Dieu. Beaucoup plus, cette vérité herméneutique est la condition qui favorise l'engagement du théologien dans un débat mondial sur tous les aspects de la quête humaine du sens dans ce monde. En définitive, la dimension herméneutique de la théologie permet une compréhension plus adéquate de Dieu, du soi humain, et du mystère de notre être dans ce monde. C'est justement à ce niveau de réflexion de W. Jeanrond67(*) que se situe l'enjeu de notre problématique. Et pour arriver à bout, nous avons estimé nous mettre sous l'ombre de la pensée d'un auteur qui aurait su judicieusement explorer l'itinéraire avant nous. Il s'agit bien de Martin Heidegger qui par sa critique Ontothéologique a reposé la question de Dieu et son enjeu pour notre temps. Ce faisant il a permis à la théologie herméneutique de chercher à prendre au sérieux les conséquences de la déconstruction de la métaphysique pour créer de nouvelles interprétations et même produire de nouvelles figures historiques du christianisme dans d'autres temps et d'autres lieux, offrant une meilleure intelligence du croire chrétien. Notre option pour Heidegger est bien celle du deuxième Heidegger, celui d'après ETRE et TEMPS où il a compris qu'il n'y a pas d'affirmation sur Dieu qui n'implique une affirmation sur l'homme.

Chapitre 2

3.2- LE BESOIN D'UNE HERMENEUTIQUE EN THEOLOGIE AFRICAINE

Ce qui nous importe ici est une reprise du débat herméneutique à partir des défis de l'africain contemporain à la foi chrétienne. L'inculturation étant aussi le lieu où les cultures mettent en procès le discours chrétien hérité de l'évangélisation, le message chrétien ne sera universel et pertinent pour l'africain que lorsque sa particularité culturelle sera reconnue et insérée au coeur de l'Eglise. Il y a là nécessité d'un changement de paradigme dans la réception africaine du message de foi. En effet ces paradigmes devront s'effondrer en face d'autres cultures et n'auront de signification qu'en face de leur propre lieu d'élaboration. La théologie africaine réclame pour le sujet culturel africain une théologie contextuelle qui vise une compréhension dogmatique, en partant de la lecture de la Bible là où elle se pose et s'impose au peuple africain aujourd'hui sans renoncer à la prétention de tenir un discours qui se veut scientifique. C'est donc un défi pour l'intelligence de la foi africaine de s'élaborer à partir de l'intelligence que l'africain a de lui-même, et du monde en s'ouvrant aux sciences sociales et humaines et à la mondialisation. Le peuple africain a besoin de répondre à la Bonne Nouvelle dans son propre contexte socioculturel.

3.2.1- Herméneutique et Parole de Dieu

La Parole de Dieu est une réalité immuable (Mt 24,35) et en dépit des mutations socioculturelles et politico-économiques, lorsque la foi en Dieu a une réponse à proposer à l'homme, elle n'a d'autre recours que de puiser dans cette parole qui offre l'herméneutique appropriée à toute situation. Dès lors, toute valorisation de l'homme doit être une prise au sérieux de la Parole de Dieu pour s'approprier l'interrogation humaine afin d'offrir aux hommes la vérité de l'Evangile qui dépasse toutes formes historiques du langage de la foi. Il s'agit en fait de chercher à rendre à l'Evangile son actualité et sa crédibilité en repensant notre façon traditionnelle de l'accepter à la lumière des problèmes actuels que pose l'intelligence de la foi pour l'homme africain en Afrique. Nous sommes ainsi en face d'une double herméneutique, celle du message divin et celle de l'existence humaine qui sans aucun doute devient le projet de l'inculturation. C'est donc un effort de dire Dieu en assumant l'intégrité de notre être culturel. Une telle herméneutique n'est possible ou ne le sera qu'à partir du moment où l'on comprendra que rien n'est figé dans l'homme africain et que par surcroît on doit cesser de le schématiser dans les formes traditionnelles vieillies. La Révélation est l'enjeu capital à ce niveau. Elle est toujours d'actualité avec sa radicale nouveauté. Et partant, l'herméneutique de la révélation revient à une ouverture de la Parole de Dieu à la lecture que l'homme africain en donne compte tenu de la totalité de son être-là. La tâche herméneutique de la Parole de Dieu en Afrique '' consiste à examiner ce que signifie pour nos communautés la foi que les évangiles expriment comme témoignage et interprétation de faits fondateurs dont le message transcende l'histoire où ils ont eu lieu. (....), il nous faut apprendre à écouter Dieu et à comprendre ce qu'il nous dit à travers notre expérience d'africains. 68(*)'' Le défi herméneutique de la Parole de Dieu pour l'africain est une relecture de la médiation unique de Jésus-Christ en face des nombreuses médiations africaines notamment les ancêtres, les forces de l'invisible, l'univers du mal qui structurent l'être -là africain et constituent une pesanteur socioculturelle, malgré le brassage culturel et la première évangélisation. L'exigence de la pluralité du discours théologique nous amène à nous demander comment l'africain peut de lui-même et par lui-même, assumer cet héritage culturel qui le marque et caractérise son univers religieux, tout en accédant au salut chrétien dans la médiation unique de Jésus Christ. Lorsque nous parlons des valeurs africaines, et qu'on énumère le respect et le sens de l'altérité caractéristiques de l'africain, n'est-ce pas fonder par une certaine considération des ancêtres? Mais dans quelle mesure ce culte des ancêtres ne constitue pas un obstacle à notre appartenance à Jésus-Christ, et ne doit être le cercle vicieux des gangrènes africaines, voire l'espace où la question du mal et de la peur qu'elle engendre annihile à l'être -là toute capacité d'être soi-même. Pour ce, la Bible qui est une bonne nouvelle du salut est le seul repère qu'il faut lire avec des yeux africains à partir de la situation africaine précise. L'herméneutique de la Parole de Dieu en Afrique, supposerait l'invention d'un langage pour l'intelligence de la foi en Afrique. Mais face aux réalités de mutations culturelles sus-évoquées, il faut considérer que cet enjeu herméneutique ne sera pas un retour au passé africain, mais une constante relecture de l'africain par lui -même dans son contexte culturel actuel pour trouver par lui-même les motifs de pertinence de la Bonne Nouvelle de salut dans son actualité. Il devra en être ainsi des énoncés dogmatiques de la foi qui donnent à l'africain une idée de Dieu à laquelle il semble parfois étranger.

3.2.2- Herméneutique et Dogmatique

Pour que le christianisme cesse d'être un ''vernis'' pour l'africain, il doit être soumis à la rude épreuve de révision, de réexamen de sa manière d'être , de penser et d'agir en Afrique. L'africain est un nouvel acteur qui s'interroge sur son avenir, à partir des enjeux sociopolitiques et économiques au sein des mutations actuelles. La révélation est caractérisée par une double réalité, celle de Dieu qui intervient dans l'histoire d'un peuple précis et l'expérience interprétative que ce peuple donne de cette action de Dieu. La foi qui accueille est donc très déterminante pour faire de la révélation une interprétation actualisante. En se sens Claude JEFFRE atteste que la théologie est toujours une herméneutique car non seulement il prend au sérieux l'historicité de toute vérité donc celle de la révélation aussi, et l'historicité de l'homme comme sujet interprétant, mais surtout elle est une interprétation de la signification actuelle de l'événement Jésus -Christ à partir des divers langages de la foi qu'il a suscité sans qu'on puisse en absolutiser aucun69(*). C'est en cette optique que nous sommes en droit de nous demander et de chercher à identifier au sein du peuple africain, le langage de foi qui a été sien dans sa rencontre avec la révélation chrétienne. Nous devons procéder à une remise en cause des prétentions du savoir historique en ayant à l'arrière fond qu'il ne peut avoir de restitution du passé sans une interprétation vivante conditionnée par la situation présente de l'être-là africain. C'est dans l'aujourd'hui qu'il nous faudra faire parler la foi chrétienne de l'africain et pour l'africain. C'est donc toute la théologie dogmatique qui tend à se comprendre comme une herméneutique de la Parole Dieu. En ce sens, au nom de la diversité culturelle et de l'unité dans la diversité, la dogmatique doit cesser d'être vue comme une prétention à la vérité absolue, pour passer du stade de répétition de scrupuleuses traditions à une mise en relation vivante du passé et du présent qui soit la réception de ce qu'il y a comme transmission dans les traditions. En effet le langage normatif de la foi se doit d'être actualisé au quotidien et acclimaté à la réalité socioculturelle de chaque individu. Dans la mesure où se pose aujourd'hui la nécessité pour la théologie de prendre en considération l'historicité de la vérité révélée et celle de l'homme comme sujet interprétant, actualisant ainsi le sens du message chrétien, la dogmatique devient une herméneutique. Elle l'est d'autant plus que l'événement Jésus-Christ suscite une pluralité d'écriture, exige une actualisation créatrice tournée vers l'avenir après avoir pris ses sources dans le passé voire dans la tradition. La théologie est en ce sens une fidélité créatrice de la tradition. Ce même événement cherche toujours à manifester la signification actuelle de la Parole de Dieu en fonction des nouvelles expériences historiques de l'Eglise et de l'homme d'aujourd'hui. L'africain est interpellé à ce niveau dans sa réception faite jusque-là du message de salut. Si celui-ci a manqué d'avoir pour celui-là une pertinence, au point qu'on parle en terme de malaise culturel, c'est bien parce que l'être africain n'a pas été évangélisé dans son là, autrement dit, le travail d'inculturation qui devrait concilier foi chrétienne et réalité culturelle africaine s'est très vite inséré dans les considérations dogmatiques héritées de l'historicité d'autres peuples, laissant de côté, à tort ou à raison, le sujet culturel précis auquel il s'adressait. Dès lors, il urge de reconsidérer la procédure de cette inculturation dans la figure actuelle de l'être-là africain dans sa double quête d'identité et d'universalité. Le mieux-être de la théologie en face du relativisme de la foi oblige donc la dogmatique à reconsidérer les ressources propres des autres cultures et pour ce qui nous concerne, de l'Afrique particulièrement, terre où se jouera selon les prophètes des temps modernes, l'avenir du christianisme. Il en va de la catholicité de l'Eglise que le pluralisme théologique soit pris en compte et considéré comme une herméneutique. Le dogme étant axé sur la tradition chrétienne, celle-ci pour ne pas rester la production d'un passé mort mais comme production toujours nouvelle, deviendra une interprétation créatrice. Et va se nouer dans la relation entre le discours de foi de la première communauté et le discours présent d'une Eglise particulière en situation concrète. La vérité de la foi est un mystère qui n'est pas à statuer, mais une vérité à célébrer, à confesser; c'est un témoignage, révélateur d'une attitude de foi pratique qui a ses répercussions sur la responsabilité sociale et politique du croyant. D'où toute affirmation dogmatique pour avoir un sens pour l'africain, ne peut plus s'énoncer à l'état pur, mais doit faire référence à la situation concrète de l'Eglise particulière où vit l'africain. Cette vérité dogmatique loin de devenir périmée dans cette situation précise, y prend figure neuve qui est richesse pour l'économie de la foi. C'est là le signe que la vérité chrétienne n'est pas un dépôt invariant, mais plutôt selon Claude JEFFRE, '' un advenir permanent livré au risque de l'histoire et de la liberté interprétative de l'Eglise sous la mouvance de l'Esprit''70(*). En clair, une communauté chrétienne africaine, pour être authentiquement telle aujourd'hui, se doit de revenir à la norme de la foi: le Jésus vivant de l'histoire, confessé comme Christ par la première communauté chrétienne. D'où il faut une réinterprétation des énoncées dogmatiques à la lumière de la relecture critique de la Parole de Dieu selon les exigences et l'actualité de la communauté en cause.

La célébration des rites religieux étant l'occasion de symboliser et de rendre socialement visible, la religiosité et l'identité la plus profonde, «c'est à travers le rituel que la communauté affirme, célèbre son identité particulière et socialise ses plus jeunes membres71(*)», ce sont les actions symboliques de la communauté. Il importe de recréer le rituel compte tenu du pluralisme culturel auquel converge notre analyse. De même, il faut intégrer les sacrements à la vie des communautés locales de façon à faire revivre leur dimension sociale.

3.2.3- Herméneutique et Tradition culturelle

Entre ''Culture et Religion'', existe un lien fondamental qui se traduit en thème d'héritage. Jean Ladrière a montré à juste titre que la culture est ''un enracinement'', pour signifier le lien invisible et étroit qui rattache par le fait de la culture, un être humain à ses prédécesseurs, à ses contemporains, à ses successeurs. La culture nous enracine donc dans une tradition particulière. Et celle-ci doit se faire ouverture sur le monde. C'est dans cette ouverture qu'elle s'enrichit et reçoit sa notoriété. Il n'y a pas en effet de tradition figée. Toute tradition par le fait même qu'elle réclame le droit de reconnaissance, devra se mesurer au contact d'autres traditions, ce qui la rend créatrice c'est-à-dire capable de communiquer ses valeurs et d'en recevoir des autres. C'est bien là l'enjeu herméneutique auquel la tradition culturelle doit s'ouvrir pour se rendre critique vis-à-vis de tout apport étranger.

3.2.4- Herméneutique et Inculturation

''Définie comme rapport adéquat entre la foi et toute personne ou communauté humaine en situation socio- culturelle particulière'', l'inculturation d'après cette approche du Père Julien Penoukoun72(*), nous apparaît pertinente pour répondre à notre problématique. Il est parti du concile Vatican II qui a eu la formule heureuse d'affirmer que la personne humaine n'accède vraiment et pleinement à l'humanité que par la culture; celle-ci pour le théologien béninois est ''tout ce par quoi l'homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps, transforme l'univers, humanise la vie sociale, conserve les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l'homme.'' Il en ressort pour lui, trois caractéristiques de la culture qui perdurent jusqu'à nos jours: D'abord toute société est objet et sujet de culture, c'est-à-dire génératrice et gestionnaire de représentations normatives, d'un projet d'être collectif. Il n'existe donc point de société sans identité culturelle, et c'est ce qui favorise ensuite, qu'il y ait pluralité de cultures et spécificité culturelle comme patrimoine générateur de valeurs propres. Enfin, la finalité de la culture est d'amener l'homme et la société à s'accomplir, en intériorisant les modèles endogènes et exogènes disponibles.'' C'est dans cette optique qu'il détermine l'inculturation comme une réalité permanente de l'Eglise qui peut se caractériser comme le rapport entre le Dieu qui se dit et l'homme qui répond. C'est donc une exigence de foi qui s'exprime à travers l'unité dans la diversité dont la Trinité est le prototype.

L'inculturation dans notre aujourd'hui d'africain est l'évangélisation de nos structures; il s'agit d'ouvrir à contretemps des voies neuves pour le printemps de l'église. Nous avons donc à nous doter d'une volonté et d'un effort concret pour évangéliser nos traditions, convertir nos mentalités, purifier et mûrir tout notre acquis culturel en face de la Bonne Nouvelle du salut. Inculturer pour nous dès lors, c'est insérer le message chrétien dans une culture. On y adhèrera dans ses modes de penser, d'agir, de vie avec ce qu'on est et ce qu'on aspire à être, mais sans jamais laisser son esprit critique. Il revient à l'être-là africain d'assumer son conditionnement physique, biologique, culturel et historique au sens d'une réappropriation créatrice. En ce sens, toute inculturation est une véritable herméneutique. Cette appréhension nous autorise à reposer le rapport du binôme ''foi et culture''. La culture, nous l'avons longuement souligné, est à écarter de toute fixité; en tant qu'elle est ''l'ensemble des connaissances et des comportements techniques, sociaux, rituels qui caractérisent une société humaine donnée'' elle est assimilable à l'homme qui croît et qui change. Dans ce contexte, la foi ne peut éviter l'esprit critique; elle sera toujours ''un arrachement par rapport à nos évidences sensibles et comme adhésion à la Parole de Dieu, elle ne change pas selon les époques, mais porte une histoire caractéristique de la subjectivité humaine qui la porte.'' D'où la foi se dit toujours dans une confrontation incessante avec une culture. Le discours de foi à tenir aujourd'hui devra tenir compte de notre situation culturelle. C'est une exigence herméneutique qui révèle que l'objet de la foi n'est pas une vérité morte, mais une vérité vivante toujours transmise dans une médiation historique et qui a besoin d'être actualisée sans cesse. La foi critique et responsable attendue de l'être-là africain est celle de produire une nouvelle interprétation du message chrétien en tenant compte de sa situation historique tout en s'inscrivant dans la même tradition qui a produit le texte original. Cette foi passe par l'accueil d'une communauté vivante culturellement située. Le peuple africain doit puiser en son histoire et dans les richesses de son terroir les armes pour exprimer son expérience de Dieu et vivre de façon neuve l'Evangile qui est de toujours. « C'est l'incarnation de la foi » dans les cultures dont parlaient les évêques au Synode de 1977. Et cela suppose un rapport de rupture et de création. Car de même que le devenir -homme de Dieu sauvegarde la transcendance de Dieu, l'intégration radicale du message chrétien dans une culture ne saurait compromettre son intégrité. La rupture témoigne de la nouveauté qu'apporte la Parole de Dieu dans les manières de penser et de vivre qui caractérisent cette culture précise. Loin de disparaître ou d'être exclus, ses modes culturels accueillent l'évangile qui devra être assimilé, sans se dissoudre pour devenir un fait de cette culture; et c'est là la création. Il en ressort un double rapport d'inculturation du christianisme et de christianisation de la culture.

Chapitre 3

3.3- L'ETRE AFRICAIN EN QUETE DE L'UNIVERSEL - SINGULIER

La préoccupation ici est celle du passage de la négritude en tant que mouvement communautaire, à la mondialisation comme voie théorique obligée vers la préférence à la citoyenneté mondiale. C'est là un exemple de la capacité de l'être -là africain à accéder aux valeurs universelles tout en gardant sa singularité. Mais on ira plus loin en montrant l'inspiration théologique que cet être-là reçoit et à laquelle aurait pu contribuer le mouvement de la négritude. C'est de la quête de ce souffle théologique qu'il a été question durant tout notre parcours.

3.3.1- De la négritude à la mondialisation

Mouvement d'essence culturelle, la négritude affirme sa foi dans les ressources de l'homme noir en vue de la valorisation de la culture nègre. Dépassant le cadre strict de la production littéraire et artistique, le mouvement a un versant de revendication politique et sociale par rapport à l'indépendance de l'homme noir vis-à-vis de l'Occident. Elle s'est beaucoup plus limitée à l'affirmation des valeurs nègres en général, et la revalorisation de la couleur de la peau en particulier. En ce sens son combat est demeuré narcissique. Les refus que les créateurs du mouvement apportaient à l'Occident étaient au départ des refus occidentaux. Ils triaient les valeurs occidentales, refusant certaines pour accepter d'autres, et finissent par adopter une spécificité africaine. Comme on peut le noter sous la plume de ses initiateurs, Léon Damas crie sa révolte contre l'Europe, dénonçant l'assimilation forcée qu'elle impose aux peuples qu'elle domine . Aimé Césaire crie sa révolte contre les clichés racistes de l'époque où il voit les Antilles malheureuses et sinistres rongées par la faim et la peur. Léopold S. Senghor dit l'exil et l'amertume de l'exil , le désarroi de l'africain transporté en Europe au milieu des choses étrangères et d'hommes auxquels on s'accorde mal. A ces niveaux du combat, la négritude est restée une idéologie romantique dont le noeud est l'affirmation de la peau noire comme aussi belle que la peau blanche. Or dans son enjeu de départ, elle aurait pu dépasser ce cadre pour s'étendre vers une maîtrise de l'espace économique ou technologique porteur d'espoir, un espace politique démocratique formée d'institutions stables et fortes. Dans cette perspective elle reste un mouvement où même les Européens sont inclus et peut être authentiquement un mouvement nègre qui intègre le nègre comme autre, un homme dont l'attachement aux valeurs culturelles reste une référence. Car, le combat , le vrai était dans la capacité qu'a tout être humain à créer , à dominer ou à libérer l'espace dans lequel il vit. Et c'est à ce niveau que Heidegger nous intéresse dans ce débat. Avec lui s'ouvre le cadre de réflexion où l'être-là africain se débarrasserait de l'option communautaire de sa négritude au profit d'une «option mondiale» de son être. Il y a là une vision du monde qui devra changer notre conception du destin et nous faire appréhender une nouvelle destination. L'Afrique devra savoir comment éclairer l'idée de destin , recharger le destin, à partir de la situation herméneutique des peuples africains noirs, des sous-développés qui luttent pour plus d'égalité et de justice dans un monde en course à devenir un village planétaire. La vision sartrienne de la négritude selon laquelle, hors de la négritude point de salut ne saurait trop nous aider dans ce cheminement. Dans son incapacité à aller au-delà de son essence initiale la négritude n'a pas su dépasser le cadre poétique et reste pour ce une idéologie qui a fait faillite parce que trop ancrée dans la différence raciale et culturelle. Incapable donc de se défaire du passé, elle n'a pu être actuelle c'est-à-dire incapable de répondre aux urgences actuelles du continent. Le monde traverse aujourd'hui une ère nouvelle. Et la réalité qu'est la mondialisation malgré toutes les limites qu'on y trouvera, embrasse l'économie comme une reformulation logique du capitalisme. Le politique dans la reconquête de l'autonomie eu égard à l'influence prépondérante des marchés est l'impérieuse nécessité pour un équilibre socio-économique et politique du pays. Dans une telle ambiance, la négritude loin d'être ignorée pourrait s'insérer plus positive, plus créatrice.

3.3.2- De la mondialisation intégrale à la négritude créatrice

La mondialisation selon les théoriciens les plus remarquables tel ADDA Jacques, évoque l'emprise d'un système économique, le capitalisme, sur l'espace mondial. Manifesté d'abord sur le plan géopolitique, il déborde ce cadre pour faire éclater les frontières étatiques. Cependant il ne porte pas entorse à la souveraineté nationale encore moins à l'autonomie des États. On en arrive à une expansion de l'économie-monde européenne comme un réseau d'échanges aux dimensions mondiales auquel les autres continents sont progressivement intégrés, le plus souvent par la force au nom de l'internationalisme capitaliste. On note dans ce sillage, une hégémonie qui se manifeste par la domination idéologique d'une classe particulière qui fait accepter par consentement son pouvoir à une classe sociale. De même, l'internationalisation du capitalisme favorise l'assujettissement des mondes extra-européens. Face à ce capitalisme occidental devenu mondial, il analyse l'autonomie du politique en tant que garant du bien-être du citoyen. Dans un contexte social obsédé par les marchandises et les capitaux, où certaines couches sociales apparaissent de trop, il nous faut civiliser la mondialisation. Le souci politique actuel doit passer par une reconstruction de l'anthropologie comme condition d'une politique de l'homme. Un tel enjeu visera le bien être social comme sa priorité. Car face à la mondialisation de l'économie qui n'apporte , à l'heure actuelle, aucune assurance sécuritaire, et identitaire, le pouvoir politique qui n'arriverait pas à opérer un choix clair est voué à l'échec donc prêt à être changé. L'économie en effet doit être au service du citoyen et non le contraire. Le privilège que la mondialisation accorde à l'économie sur les autres aspects de l'ordre social est déjà une méprise à l'égard du citoyen. Il y a là une invitation à la responsabilité éthique des dirigeants et des dirigés. En effet, dans un monde dominé par les marchés, les capitaux, la morale et l'éthique sont inexistantes. D'où la mondialisation de l'économie entrave sérieusement la justice sociale. La justice distributive devra viser le bien être maximal et une égalité de chance en face des libertés égales.

La mondialisation de l'économie est dans sa conception actuelle, une menace contre l'espèce humaine quelle que soit la couleur de sa peau. Il n'en aurait pas été ainsi si elle était fondée simultanément sur le politique, le social, le culturel. Car l'être humain doit aujourd'hui être un fonctionnaire de l'humanité, un citoyen du monde. Heidegger pour soutenir ce fait, parle d'identité et de Différence c'est -à- dire le caractère à la fois lointain et proche de la structure ontologique du Dasein de l'homme. Donc les relations entre les hommes ne trouvent une justification et une légitimation que dans la quête à la citoyenneté mondiale. Le développement économique ne peut être possible sans une telle démocratisation des institutions politiques. Et pour le cas type de l'Afrique, elle prendra en compte simultanément tous les aspects : l'économique, le politique le culturel. C'est dans une telle perspective qu'un passage de la négritude à la mondialisation peut être rendue intelligible. Par référence à Fanon, il vise à libérer l'homme noir des deux sentiments forts ambigus qui l'emprisonnent: le sentiment de se sentir inférieur par le fait d'être né noir; et le sentiment de se sentir réhabilité à partir d'une hypothétique revalorisation de sa couleur de peau. On parle de sentiment de plein être et de sentiment de néant d'être. Ainsi le noir fait toujours pencher son destin vers le chemin de la fatalité existentiale; qui le contraint à se comporter en éternel inférieur. Il va jusqu'à présenter les traits d'un homme sans ambition, d'un figurant planétaire chez qui tout est synonyme de grâce et de don. Ce qu'il importe au noir de savoir, précise Fanon, c'est de dépasser son sentiment de diminution, d'expulser de sa vie le caractère compulsionnel qui l'apparente tant au comportement du phobique. Chez le noir, il y a une exacerbation affective, une rage de se sentir petit, une incapacité à toute communion humaine qui le confine dans une insularité intolérable.73(*) . Le défi imminent et le seul vrai pour le noir est dans sa capacité à sortir de son espace géo-politique-racial du sous développement et son cortège de misère. Il lui faudra se battre pour la mise en place dans son pays des institutions politiques stables fortes, objectives. C'est par l'instauration de régimes démocratiques que le noir entrera dans le mouvement de la mondialisation. Le peuple noir reste constamment sur la défensive, plaintif à dessein. Il refuse de s'autocritiquer et préfère imputer aux autres peuples les Blancs, ses échecs et ses déboires. Les noirs d'Afrique s'ils ne veulent être mangés par les autres peuples dans le concert de la mondialisation devront se battre avec la nature pour la vie et pour l'existence. Il faut quitter le statut de damnés de la terre pour devenir des partenaires; l'heure est aux partenariats. En matière d'authenticité, la négritude a joué un rôle pour l'édification de la personnalité de l'être noir, qui malheureusement s'est arrêtée au niveau de la revendication de la peau noire. Alors que le destin d'un peuple s'enracine de manière formelle et fondamentale dans la lutte pour la quête d'un universel-singulier, la négritude est restée sur une approche différentielle entre la race noire et la race blanche. Chaque peuple possède une tradition qui pour survivre, est appelée à s'enrichir à partir des autres traditions. D'où toute tradition est re-prise, une instance de relecture créatrice du passé, du présent qui ouvre vers l'avenir. Le besoin cruel actuel est bien celui de l'engagement d'une théologie herméneutique sur le continent.

Chapitre 4

3.4- L'ENGAGEMENT HERMENEUTIQUE DE LA THEOLOGIE EN AFRIQUE
3.4.1- De la négritude à la théologie

Jésus-Christ est le mode de dialogue entre Dieu et les hommes. Et notre réponse à son appel à entrer en alliance nous est dictée encore par lui. Il est donc la mesure de notre engagement. En ce sens, l'africain ne s'inscrira dans la vraie alliance comme en partenariat avec Dieu que s'il s'inscrit dans la réalité de l'inculturation. La négritude comme mouvement littéraire de cette quête d'identité a pensé les jalons d'une telle quête de soi. Son enjeu de revendication est à dépasser dans un contexte de relation de l'africain avec l'Etre Transcendant de qui il reçoit sens et existence. L'engagement authentique de l'africain en face de l'évangile ne peut se faire dans l'ignorance ou le mépris de son identité culturelle. L'être-là africain est ouvert et réceptif. D'où il importe de pouvoir situer culturellement le Message évangélique. C'est assumer la négritude et la dépasser. Car, l'histoire définitive de Dieu avec les hommes n'est pas un objet historique banal. C'est cette histoire même qui dispose de nous et nous détermine. L'auto livraison objective de Dieu en Jésus-Christ, dira R. Barth, devient réalité subjective en nous par l'effusion du Saint Esprit74(*). C'est cette réalité subjective qui est ouverte à dire Dieu à partir de l'auto livraison qu'il accueille. Toute la démarche de l'inculturation est à ce niveau et il faut le percevoir dans l'ouverture que nous propose M. Heidegger.

3.4.2- De l'ontothéologie à l'inculturation

Nous voulons partir de cette critique heideggérienne, adressée à la théologie embrigadée dans des considérations sur le concept Etre, pour déterminer les points théologiques qui doivent servir de bases à l'inculturation. Ceci pour justifier une fois encore la pertinence de notre choix du philosophe allemand dans un débat sur l'être- là africain en quête d'identité théologique. La révolution opérée par ce philosophe a montré la force de la tradition et sa capacité d'ouverture. L'enjeu fondamental du débat de Heidegger avec la théologie est que tout homme possède une identité culturelle capable d'accueillir le message de salut, de se l'approprier et de se l'exprimer avec son outil conceptuel propre. C'est en cela que nous avons posé l'hypothèse que toute Herméneutique est une Inculturation. Toute interprétation de la Bonne Nouvelle de salut est un engagement de celui qui accueille, à faire sien le message, à se l'approprier et à lui faire porter les marques de son être-là. Ne pas le percevoir ainsi, c'est vivre en dichotomie avec sa foi dans un contexte où Dieu est sans enjeu pour le sujet culturel. Il importe de voir comment l'évangélisation des cultures réalise l'inculturation. J. Scheuer notait que « L'inculturation est le processus par lequel la vie et le message chrétien s'insèrent dans une culture particulière, s'incarnant pour ainsi dire dans une communauté culturelle, une société donnée et y prennent si bien racine qu'ils produisent de nouvelles richesses, des formes inédites de pensée, d'action, de célébration. »75(*) Et H. Carrier renchérit en notant que « L'inculturation désigne l'effort pour faire pénétrer le message du Christ dans un milieu socioculturel, appelant celui-ci à croître selon toutes ses valeurs propres dès lors que celles-ci sont conciliables avec l'Evangile. ... dans le plein respect du caractère et du génie de chaque collectivité humaine. »76(*) A la suite de ses définitions rendues accessibles par la critique ontothéologique qui nous fait passer de `'Dieu égal à l'Etre'' à `'Dieu sans l'Etre'', nous nous inscrivons dans les analyses de Achiel PEELMAN77(*) pour percevoir combien l'inculturation, un terme proprement théologique se situe aux frontières de l'anthropologie et de la théologie systématique. Il note en effet que le rôle de la culture qui reçoit l'Evangile est primordial. C'est d'elle-même que chaque culture doit produire les fruits de l'inculturation. Chaque inculturation véritable de l'Evangile est en quelque sorte une actualisation dans le temps et dans l'espace du mystère unique et central de l'incarnation ou de l'humanisation de Dieu. L'incarnation est donc le donné fondamental sur lequel repose le processus d'inculturation et qui en même temps détermine le mode de dialogue. Dieu se propose à l'homme et communique à celui-ci l'itinéraire pour l'accueillir. Peelmann note que du côté du Fils de Dieu incarné, il n'y a donc aucune restriction au lien qui l'attache à l'humanité et à l'histoire. Au contraire, précise Balthasar, c'est en parlant notre langage, le langage culturel et anthropologique d'un groupe humain particulier, que s'ouvre pour lui la voie de l'universalité et que sa parole s'offre comme message de salut à l'humanité toute entière78(*). L'inculturation est fondée sur le mystère de l'incarnation mais d'une incarnation rédemptrice. C'est là une des conclusions auxquelles aboutit la critique de Heidegger montrant que c'est la personne de Jésus crucifié qui permet d'entrevoir le vrai visage de Dieu. En Jésus nous contemplons la Parole crucifiée. Et cette crucifixion est fondamentale dans l'oeuvre d'inculturation où l'Eglise pour laisser transparaître son universalité ne peut s'imposer en réalisant une seule expression culturelle à toutes les cultures. Le salut offert par le Père dans le Fils et par l'Esprit est une possibilité pour tous. C'est pourquoi le grand respect pour l'expérience humaine est fondamental. C'est le lieu où s'opère la première action de l'Esprit Saint comme médiation de la rencontre salutaire avec le Père et le Fils. On notera l'engagement des cultures dans ce processus à partir de l'esprit de créativité et d'originalité dont ils feront montre. C'est la condition royale pour sortir des situations de captivité et de pesanteur ; et retrouver le chemin de la libération. La critique ontothéologique a su donc ouvrir les portes pour l'inculturation, que seul un engagement herméneutique rendrait authentique.

3.4.3- Herméneutique et Alliance avec Dieu en Afrique

Heidegger s'est montré original en se résolvant à apprendre de Dieu lui-même ce qu'il est et ce qu'il peut pour l'homme. Ainsi il montre que ce que Dieu est, l'homme doit l `apprendre de Jésus-Christ dans cette « théologia crucis »  où Dieu ne se manifeste pas tel qu'on l'attend mais sur un aspect contrariant. Il s'agit d'un Dieu non identifiable à l'être. Grâce à Heidegger et à sa critique ontothéologique nous avons compris que la mort de Dieu est une conséquence de son embrigadement métaphysique. Pour lui, cette métaphysique traditionnelle n'a eu pour souci que de penser l'être de l `étant; d'où son enracinement dans l'oubli de l'être. En effet, c'est sous l'éclairage de l'être que peut se poser le rapport de l'homme à Dieu et partant la question de l'existence de Dieu et le maintien de l'identité de l'être-là. L'être véritable est ce sur quoi on ne met pas la main, mais dont on accueille la donation en demeurant attentif. Étant donné qu'il parle à l'homme à partir de lui-même, Dieu n'est donc pas au-dessus mais parmi, avec. Autrement dit, il appartient à son être de se faire un avec ce qui passe. Dieu est celui qui vient à partir de soi, mouvement trinitaire de l'autodétermination, le Père vers qui vient le Fils crucifié qui vient comme Dieu jusqu'à la mort. L'inspiration Heideggérienne prend radicalement Jésus - Christ, ce particulier concret à vocation universelle, comme lieu natal de Dieu. Voilà une fois encore tracé par Heidegger le mode d'alliance dans lequel Dieu veut nous inscrire. Et ceci reste très éclairant pour notre démarche d'inculturation. Car sans une compréhension juste du Dieu qui se donne à nous, sans une appréhension de la figure exacte de Celui qui nous appelle à entrer en relation salutaire avec lui, tout effort pour sauvegarder notre être culturel serait vain. L'inculturation est tributaire de l'herméneutique que nous faisons de notre foi. En Jésus- Christ, on découvre la vraie notion de Dieu et on se décide pour Dieu. Et la décision de l'être-là africain, est son réveil ethnique et culturel éclairé par l'Evangile. Dans notre Afrique envahie par une multitude de médiations, la figure du Dieu Unique et Vrai offerte par Jésus-Christ ne va pas de soi. L'herméneutique plus que jamais se pose comme un besoin pressant ; et pas n'importe quelle herméneutique : celle qui pourra favoriser une remise en cause critique de la tradition reçue et acceptée jusque-là et une transmission culturelle qui soit richesse pour le continent79(*).

CONCLUSION GENERALE

LA REDEMPTION COMME FORCE CREATRICE

DONNEE A NOS TRADITIONS

Le Christ ne vient pas brimer nos traditions mais Il vient leur redonner une force. Il n'est pas venu abolir mais accomplir. Toute culture offre donc des potentialités de rédemption que le Christ par sa rédemption vient porter à son accomplissement.

Comment alors sortir du malaise dans lequel vivent de nombreux chrétiens africains ? Malaise animé par l'incertitude en face de l'avenir, la souffrance et le désespoir, l'emprise des croyances magiques, la prolifération du religieux et du diabolique, les fantasmes et les angoisses qui se font jour. Pour sortir de cette impasse, il faut promouvoir une expression africaine de la foi surgie de notre vision du monde et de notre expérience historique propre. Il s'agit d'un christianisme qui parle à l'africain dans son contexte actuel, qui tienne compte de sa situation historique, économique et politique et qui doit s'exprimer dans sa culture. Ce christianisme est le seul capable de répondre tant aux questions de la tradition africaine qu'aux aspirations du monde aujourd'hui. Autrement dit par notre travail, nous sommes partis de la conviction qu'on ne doit plus se référer à une Afrique qui n'est plus, il nous faut assumer le présent et nous interroger à partir de la situation actuelle de l'être-là africain inséré dans le monde. Ceci est d'autant plus urgent que tous sont d'accord sur la nécessité de l'inculturation, mais il n'y a guère d'entente sur la manière dont cela doit se faire et sur ce qu'en sont les implications. Construit sur le modèle de l'incarnation, le mot inculturation qui ne dit rien dans le concret de son application mérite à présent d'être observé dans un contexte particulier. Autrement dit, il faut l'évaluer dans la perspective de devenir des chrétiens africains. Nous avons donc pu saisir la culture dans sa complexité et comprendre sa place dans la société en relation avec les autres facteurs que sont l'économie et la politique, les relations personnelles et sociales et la religion. On en a retenu combien la transformation culturelle est un élément essentiel de la transformation sociale.

Dans cette perspective, le chemin de la libération pour l'être-là en général et pour l'être-là africain en particulier, transite à travers une réappropriation critique des trois impératifs suivants :

- nécessité de penser comme agir; l'interpellation de Heidegger vis-à-vis de l'être humain à l'exercice de la pensée, n'est pas uniquement pour l'amener à agir, mais également et surtout pour rendre l'être humain capable d'avoir la maîtrise de concepts, de les transcender pour se démarquer de l'essence animale.

- la force de la tradition créatrice. C'est la tradition créatrice qui explique la domination européenne et c'est aussi pour l'être-là africain une opportunité à saisir pour se démarquer de la tradition transmission. C'est la condition pour s'impliquer comme partenaire dans la mondialisation, faisant de sa tradition une création.

- la quête de l'universel - singulier. Aujourd'hui, l'être - là devra être fonctionnaire de l'humanité, un citoyen du monde; la préférence nationale devenant une utopie. La complémentarité dans l'être entre l'Un et le Multiple ainsi que Heidegger le nomme sur le plan ontologique comme Identité et Différence, explique l'urgence d'une préférence de la citoyenneté mondiale.

Il n'y a donc pas à défendre une tradition africaine figée et éternelle. Il ne s'agit pas non plus de vexer dans un relativisme pur. Il s'agit pour nous africains d'inscrire notre combat dans le présent, en prenant la responsabilité de notre futur. La tradition n'est ni un ciel d'idées immuables, ni un corps de valeurs éternelles. Elle est notre mémoire et sa validité provient du fait qu'elle est la plage de valeurs que nous pouvons toujours redécouvrir. En assumant comme première revendication de cet enjeu, notre hypothèse a pris en compte la réalité de la négritude que nous avons essayé de dépasser. La poser dans une appréhension théologique, nous sommes parvenus à la conclusion évidente que le seul et grave problème qui se pose à l'africain est celui de l'inculturation de la foi chrétienne. Nous nous sommes convenus avec le théologien Penoukoun que'' Inculturer la foi signifie insérer le message chrétien dans une culture, y adhérer avec ses modes de penser, d'agir, de vivre; avec ce qu'on est et aspire à être. Il s'agit en l'occurrence d'une volonté et d'un effort concret, pour évangéliser nos traditions, convertir nos mentalités...''80(*) Ce fut la visée de la négritude mais dans un combat purement social voire intellectuel. Or l'identité de l'être-là africain dans sa rencontre avec l'occident évangélisateur oblige à se situer au coeur de la juste problématique. Celle-ci est beaucoup plus axée sur la relation Dieu/Homme. C'est Dieu qui vient s'inscrire dans notre culture pour que celle-ci retrouve son souffle théologique. D'où la pertinence de l'herméneutique à la fois comme voie royale pour atteindre la vraie conception de Dieu ainsi que Heidegger nous y a aidé et aussi comme un autre nom de l'inculturation, ce processus vital de notre être théologique. Nous arrivons au terme de cette réflexion en récapitulant les trois axes de notre hypothèse :

- La foi en Dieu engage tout l'homme dans tout ce qui constitue son être et sa vie ; Or le croyant est une personne précise en situation socioculturelle. Et c'est dans un tel contexte que Dieu se révèle à lui. Il ne peut que l'accueillir au coeur de ce qu'il est et vit. C'est ce que nous avons développé tout au long des lignes qui se sont appesanties sur l'authenticité de l'être-là dans son double enracinement : culturel et théologique.

- Il s'agira pour lui d'ouvrir l'Evangile à sa culture et sa culture à l'Evangile en recherchant les voies nouvelles d'un savoir-dire-Dieu au sein de l'histoire et à partir de ses élaborations culturelles. Le recours à l'herméneutique avec la figure de M. Heidegger nous a maintenus dans l'horizon de cette démarche.

- Le Christ apparaît comme celui qui donne à l'africain de valoriser sa culture, en même temps qu'il l'amène à une conversion profonde. Toute herméneutique étant une inculturation, celle-ci a constitué l'épine dorsale de notre parcours avec la conclusion que l'identité de l'être-là africain est fonction de l'homme africain d'aujourd'hui.

Notre travail comme nous le posons au départ, n'a pas eu pour vocation de donner les traits caractéristiques de l'être-là africain ou encore de proposer l'itinéraire d'inculturation capable de rejoindre ce sujet culturel. Toute autre recherche qui voudrait s'inscrire dans ce sens pourrait s'y investir en sachant que, l'herméneutique, l'Inculturation et l'Evangélisation sont à tenir ensemble. Les trois font appel à la culture et exigent donc une compétence culturelle dans tout son dynamisme d'acculturation et de transculturation. C'est là l'oeuvre d'une personne bien enculturée faisant oeuvre d'un dynamisme qui n'est pas culturellement vierge non plus. Il lui faut simplement se laisser initier par la culture d'accueil. C'est une entreprise héroïque qui demande d'étudier la culture dans ses ramifications les plus inédites. Cela revient en réalité à une écoute des cultures, faisant taire la sienne propre. Nous envisageons pour cela, trois itinéraires d'approches :

-Une approche englobante de la culture ; respecter la culture et éviter tout réductionnisme.

-Une approche qui sait rendre compte des forces qui constituent l'identité particulière de chaque culture ; se familiariser avec la vision du monde de la culture à évangéliser.

-Une approche qui envisage le problème du changement socioculturel ; être attentif aux réalités incontournables d'acculturation ou de transculturation.

Tchanvédji, le 1er Novembre 2007 en la fête de TOUSSAINT

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES

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SOMMAIRE

1

1

GRAND SEMINAIRE MONSEIGNEUR LOUIS PARISOT DE TCHANVEDJI 1

Cycle de Théologie 1

Année académique 2007-2008 3

PLAN DU TRAVAIL 7

INTRODUCTION GENERALE 11

1- Thème et Motivation du choix 11

Par quels moyens et méthodes précises faut-il passer pour concilier foi en Dieu Un et réalités culturelles africaines pour en récolter les fruits escomptés pour l'être-là africain ? Depuis la vague des penseurs activés par le concile Vatican II et plus précisément depuis l'ouvrage Des prêtres noirs s'interrogent, la question de l'inculturation devint l'actualité théologique du continent noir. L'inculturation qui apparaît comme une assimilation culturelle du donné révélé pour que celui-ci ait un intérêt pour la culture, s'impose comme l'enjeu théologique qui façonne désormais l'être-là africain dans son rapport à Dieu. Mais le résultat que nous recueillons des diverses problématiques ouvertes sur la question de l'inculturation au sein du continent semble être plutôt une préoccupation à justifier le besoin urgent et pressant de l'enjeu de l'inculturation pour l'Afrique. Les diverses tendances d'appropriation et de réappropriation culturelle, d'adaptation et de pierres d'attente peuvent en témoigner. La tendance qui perdure est que la dichotomie entre foi chrétienne et réalité culturelle persiste. L'enjeu capital de la foi chrétienne pour le salut du genre humain africain n'est pas encore perçu. Nous notons donc que l'inculturation s'est plus préoccupée d'exalter son urgence, sa pertinence plutôt que de donner un déploiement concret de ses divers aspects. C'est donc un passage du Pourquoi au Comment qu'il nous faut opérer, en partant de cet être culturel africain, cet être-là africain authentique qui dans sa foi au Christ se sent interpeller par une incompatibilité entre foi chrétienne et culture africaine. Il faut reconnaître que les premières investigations théologiques n'avaient pas autres possibilités que celles d'un Pourquoi de l'inculturation. Le contexte qui prévalait était celui d'une revendication où après la décolonisation, l'être africain largement nié et bafoué dans sa dignité avait besoin de se faire connaître et se faire accepter. Qu'une telle direction soit la priorité des premiers penseurs est une nécessité. Mais aujourd'hui, dans un contexte de choc culturel où la mondialisation en appelle à une globalisation, toute théologie revendicatrice devient désuète, sans enjeu et non avérée. Penser un autre dire théologique pour l'africain s'avère urgent. D'où le titre de notre mémoire: ''L'Etre - là africain et Inculturation. Essai d'une relecture théologique de Martin HEIDEGGER pour l'Afrique''. Il sera essentiellement question de repenser l'Etre -là africain pour un mieux - être de l'inculturation. Ce qui revient simplement à constater que l'entreprise de l'inculturation ne doit plus aujourd'hui continuer sous le mode ancien mais par le fait qu'elle est convoquée au débat de la mondialisation et de l'universalisme du christianisme, reste toujours une urgence pour ressortir le particularisme du peuple africain dans son accueil de la foi chrétienne. Et pour ce, elle doit se purifier des théories revendicatrices, pour se poser dans l'axe du Comment c'est-à-dire pouvoir déceler la façon authentique dont elle doit se conduire pour que cette foi permette à l'africain de vivre sa culture, seul enjeu capable de favoriser l'insertion du particularisme africain au concert de la mondialisation et de la diversité culturelle tant réclamée pour la pertinence de la foi chrétienne. L'être-là africain que nous allons tenter d'identifier ne sera pas un type africain originel, à l'abri de tout brassage, cramponné dans un traditionalisme borné, vestige du passé. Ce sera l'homme africain actuel en face de situations sociopolitiques, économiques et culturelles de son époque et de son monde, un être en situation concrète réclamé par la foi chrétienne et obligé d'y répondre avec son patrimoine culturel. C'est pour soumettre ce dernier aux critiques que nous avons trouvé pertinente la conception heideggérienne de l'être-là. Les analyses de Antoine-Dover Osongo-Lukadi dans lesquelles nous nous inscrivons largement, nous serviront de soubassements pour redorer le statut de l'être-là africain apte à affronter à la fois les défis de notre monde et les enjeux de la foi chrétienne. Et ceci en demeurant un Africain authentique en relation avec tout autre être. Ceci n'est pas facile dans un continent où le tiraillement entre tradition et foi chrétienne est toujours actuel. 11

2- Intérêt 11

3- Hypothèse 11

4- Etat de la question 11

5- Méthode de travail 11

6- Limites 11

Première Partie 13

LES PRESUPPOSES D'UN DIALOGUE PROBABLE AVEC HEIDEGGER 13

Chapitre 1 13

1.1- LA TRADITION COMME TERRAIN DE DIALOGUE 13

1.1.1- Dialogue ou monologue 13

1.1.2- Appropriation critique de la tradition 13

1.1.3- Nouveauté conceptuelle de la tradition 14

Chapitre 2 15

1. 2- REFERENCES AFRICAINES A HEIDEGGER 15

1.2.1- La philosophie de l'être 15

1.2.2- Le langage comme point d'ancrage 15

1.2.3- La philosophie de la poésie et de l'art 15

1.2.4- La philosophie herméneutique 15

Chapitre 3 17

1.3- HEIDEGGER ET LES ENJEUX PHILOSOPHIQUES DE L'ETRE-LA 17

1.3.1- L'être-là 17

1.3.2- L'être-avec 17

1.3.3- L'être - au- monde 17

Deuxième Partie 18

PROBLEMATIQUE THEOLOGIQUE DE L'ETRE-LA AFRICAIN 18

Chapitre 1 18

2.1- L'AU-DELA DU DIALOGUE AVEC HEIDEGGER 18

2.1.1- Les richesses d'une étude 18

2.1.2- Limites et questionnements 18

Chapitre 2 19

2.2- L'ETRE-LA AFRICAIN: QUESTION D'ETHOS AFRICAINE 19

2.2.1- La culture africaine 19

2.2.2- La religion africaine 19

2.2.3- Un être de transcendance et d'auto transcendance 19

Chapitre 3 21

2.3- L'actualité de la théologie africaine 21

2.3.1- Identité propre d'une théologie africaine 21

2.3.2- Théologie africaine et diversité culturelle 21

2.3.3- De la tradition transmission à la tradition création 21

Troisième Partie 22

HERMENEUTIQUE ET INCULTURATION POUR UN MIEUX-ETRE 22

DE L'ETRE-LA THEOLOGIQUE AFRICAIN 22

Chapitre 1 23

3.1- APPROPRIATION ET REAPPROPRIATION : QUESTION D'INCULTURATION 23

3.1.1- Le tournant herméneutique de la théologie 23

3.1.2- La vérité herméneutique de la théologie 23

Chapitre 2 24

3.2- LE BESOIN D'UNE HERMENEUTIQUE EN THEOLOGIE AFRICAINE 24

3.2.1- Herméneutique et Parole de Dieu 24

3.2.2- Herméneutique et Dogmatique 24

3.2.3- Herméneutique et Tradition culturelle 24

3.2.4- Herméneutique et Inculturation 24

Chapitre 3 26

3.3- L'ETRE AFRICAIN EN QUETE DE L'UNIVERSEL - SINGULIER 26

3.3.1- De la négritude à la mondialisation 26

3.3.2- De la mondialisation intégrale à la négritude créatrice 26

Chapitre 4 27

3.4- L'ENGAGEMENT HERMENEUTIQUE DE LA THEOLOGIE EN AFRIQUE 27

3.4.1- De la négritude à la théologie 27

3.4.2- De l'ontothéologie à l'inculturation 27

3.4.3- Herméneutique et Alliance avec Dieu en Afrique 27

CONCLUSION GENERALE 28

LA REDEMPTION COMME FORCE CREATRICE 28

DONNEE A NOS TRADITIONS 28

BALTHASAR, H. U., La Gloire et la Croix. Les aspects esthétiques de la Révélation 30

Le domaine de la métaphysique. Les Héritages 30

MBAMBI KUNGERO, B. A., Panorama de la théologie négro-africaine Contemporaine 32

Paris, L'Harmattan, 2002, P 35-50 ; 101-114 32

SOMMAIRE 34

DIEU, NOUS T'ADORONS :

PERE INFINIMENT SAINT,

FILS ETERNEL ET BIEN - AIME,

ESPRIT DE PUISSANCE ET DE PAIX.

* 1 _ Le concile a reconnu la possibilité à chaque culture d'exprimer la foi chrétienne à partir de ses propres réalités. Voir Sacrosanctum Concilium N° 37

* 2 _ Collectif paru en 1957, cet ouvrage qui fête ses noces de porcelaine n'a pas encore épuisé sa problématique.

* 3 _ L'actualité que va connaître l'inculturation n'ôte rien à son caractère dynamique. C'est d'ailleurs là tout son enjeu et sa pertinence. L'Inculturation est une réalité ecclésiale aussi dynamique que l'évangile avec lequel elle entre en corrélation

* 4 _ OSONGO- LUKADI, A. D., Heidegger et l'Afrique Réception et paradoxe d'un `'dialogue'' monologique Louvain -La-Neuve, Bruylant- Académia, 2001

* 5 _ Barthélemy ADOUKONOU, Vodun, Sacré ou Violence? Le Sillon noir (Mewihwêndo) et la question éthique au coeur du Sacré Vodun. T1, Introduction.

* 6 _ L'être-là étant le caractère spécifique de l'existence humaine d'interroger l'être pour échapper à l'anonymat du "On", comporte par cette nature même une dimension spirituelle. C'est donc du socle religieux précieux voire cultuel où se déploie cette spiritualité qu'il sera question.

* 7 _ Nous ne posons pas là une attaque aux problèmes posés par l'inculturation mais à la façon de les poser; qui s'éloigne de l'appropriation - reappropriation de la culture, dans le sens où la culture n'est pas une donnée statique ou figée, caractéristique autarcique propre d'un peuple ou d'une race.

* 8 _ Antoine -Dover vient de nous en donner la première appréciation. Il faut toutefois reconnaître que beaucoup d'auteurs africains pour ne citer que Adoukonou et Ka Mana, ont su judicieusement intégrer des analyses de Heidegger à leurs réflexions.

* 9 _ Antoine - Dover Osongo -Lukadi `' Heidegger et l'Afrique'' Réception et paradoxe d'un « dialogue » monologique Louvain -La-Neuve, Bruylant- Académia, 2001

* 10 _ On peut se référer aux oeuvres de Lévy-Bruhl, pour qui l'Africain est prélogique, peuple primitif incapable de pensée, raison, philosophie. On peut voir aussi le grand philosophe allemand Hegel pour qui l'Afrique ne fait pas partie de la trame de l'histoire universelle.

* 11 _ Tshiamalenga Ntumba, «  Qu'est-ce que la philosophie ? », in Actes de la 1re semaine philosophique, Kinshasa, F.T.C.K., 1978, p 38

H. Ngimbi Nseka, « La dynamique de l'être : Force, Action, Acte », in Revue Philosophique de Kinshasa, Kinshasa, F.T.C.H.., vol. 1, jan-juin 1983, pp 65-66.

* 12 _ Dirven, « Philosophie en Afrique », in Mélanges de philosophie africaine, Kinshasa, F.T.C.K., 1978, p 106

Nkombe Oleko «  Langage et réalité vers une ontologie du verbe », in Actes de la 4è Semaine philosophique de Kinshasa, 23-27 avril 1979 p 85

* 13 _ O. Ugirashebuja, «  Le langage poétique », in Actes de la 4è Semaine philosophique de Kinshasa, 23-27 avril 1979 pp 306, 326, 330.

* 14 _ B. Okolo Okonda , « L'herméneutique chez Paul Ricoeur : instances et méthodes », in cahiers philosophiques Africains, Lubumbashi, P.U.Z., n° 6, juil.-déc. 1974, pp 33-60.

* 15 _ O. Ugirashebuja, in «  Le langage poétique  » art. cit.., pense que si l'Afrique doit exprimer sa pensée, si elle doit proposer aux autres cultures un dialogue véritable, ce sera à partir de son patrimoine poético-culturel dont il faudra respecter le génie et l'originalité.

* 16 _ Nous notifierons ces documents au fur et à mesure que nous solliciterons ces divers penseurs pour justifier notre préoccupation.

* 17 _ Tshiamalenga Ntumba, « Qu'est-ce que la philosophie ? » in Actes de la 1èr semaine philosophique, Kinshasa, F.T.C.K. 1978, p 38

* 18 _ La philosophie bantoue, 1945

* 19 _ La philosophie bantoue-rwandaise de l'être, 1956

* 20 _ La dynamique de l'être: Force, Action, Acte, in Revue philosophique de Kinshasa, Kinshasa, F. T.C.K ; vol 1, jan-juin 1983, pp 65-66

* 21 _ H. Ngimbi Nseka, Op. Cit

* 22 _ Ngoma Binda, «Verbe et substantif d'être en philosophie'', in Actes de la 4è semaine philosophique de Kinshasa, Kinshasa, F.T.C.K., 23-27 Avril 1979, pp 206-210

* 23 _ Phoba Mvika, `'Authenticité, philosophie, développement'', in Revue philosophique de Kinshasa, Kinshasa, F.T.C.K., vol 1, 1983, p 85

* 24 _ Tshiamalenga Ntumba « L'espace théorique de la vitalité des normes éthiques », in Revue philosophique de Kinshasa, Kinshasa, F. T.C.K ; vol 1, jan-juin 1983, p 73

* 25 _ M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, Saint Armand, Gallimard, 1967, p 62

* 26 _ Dirven, « Philosopher en Afrique », in Mélanges de philosophie africaine, Kinshasa, F.T.C.K 1978, p 106

* 27 _ Nkombe Oleko « Langage et réalité vers une ontologie du verbe », in Actes de la 4è semaine philosophique de Kinshasa, Op. Cit p 85

* 28 _ Tshiamalenga Ntumba « Pensée -langage. Le problème de la relativité linguistique » in Revue philosophique de Kinshasa, Kinshasa, F.T.C.K., vol 1, 1983,p 9

* 29 _ « Rationalité d'un discours africain sur les phénomènes paranormaux et conception pluraliste du composé humain »

Thèse de doctorat d'Etat en philosophie, Sorbonne. L'Harmattan 1998

* 30 _ O. Ugirashebuja, « Le langage poétique », in Actes de la 4è semaine philosophique de Kinshasa, Op. Cit p 306

* 31 _ M. Heidegger, « Chemins qui ne mènent nulle part », Saint Armand, Gallimard, 1962

* 32 _ Mudiji Malamba, Gilombe, « La forme et la transformation du masque traditionnel africain », in Revue philosophique de Kinshasa, Kinshasa, F.T.C.K., vol 1, n° 1 1983 P 43

* 33 _ B. Okolo Okonda, « L'herméneutique chez Paul Ricoeur : instances et méthodes », in cahiers Philosophiques Africains, Lubumbashi, P.U.Z, n° 6, juil.-déc. 1974, pp 33-60.

* 34 _ B. Okolo Okonda «  Pour une philosophie de la culture et de développement. Recherches d'herméneutique et de praxis africaines, Kinshasa, P.U.Z 1986, P 33-46

* 35 _ Walter Kasper, La théologie et l'Eglise, Cerf, Paris 1990 ; p143

* 36 _ Walter Kasper, Op. Ci t, p. 146

* 37 _ Walter Kasper, Op. Ci t, p. 154

* 38 _ Philosophie de l'Afrique noire,

* 39

_ Antoine - Dover Osongo -Lukadi `' Heidegger et l'Afrique'' Réception et paradoxe d'un « dialogue » monologique

Louvain -La-Neuve, Bruylant- Académia, 2001

* 40 _ Martin Heidegger, Lettre sur l'humanisme, Introduction

* 41 _ Gérard Guest, In L.L. Grateloup. Anthologie de la Philosophie, Tle

* 42 _ Vattimo, Introduction à Heidegger

* 43 _ M. Heidegger, Introduction à la métaphysique..., op.cit ., pp 50-53

* 44 _ Voire : BRITO, E., La réception de la pensée de Heidegger dans la théologie Catholique. NRT 119 (1997) 352-374

CAPELLE, P., Philosophie et théologie dans la pensée de Heidegger, Paris, Cerf, 2001, P 87-95 ; 190-197 ; 21

* 45 _ Meinrad P. HEBGA, Afrique de la foi, Afrique de la raison, Paris, Karthala, 1995, P 115-138

* 46 _ Nathanael Y. SOEDE, Sens et Enjeux de l'éthique, Abidjan, UCAO, 2005, P 204

* 47 _ Père Jean Benoît GNAMBODE, Colloque sur la culture. St Gall Mars 2001

* 48 _ Voir par exemple Le père JULES DJODI, in Asidanou vodoun et Incarnation

Hiérophanie de Dieu en l'homme et Avènement de Dieu en Jésus-Christ

Essai de Christologie en milieu fon d'Abomey (Bénin)

Mémoire de licence canonique. Abidjan, ICAO, Juin 1996

* 49 _ Le cardinal MARTY le 15 février 1976, lors de l'inauguration de l'ICAO à Abidjan n'a pas manqué de citer ces valeurs nègres que sont: Le sens de sacré des africains pour humaniser la civilisation technicienne. - La théologie africaine attendue comme synthèse du vrai, du beau, de l'humain et du divin pour sortir des impasses du rationalisme.

- Le sens de l'accueil et de l'hospitalité de l'africain comme remède à la solitude et au désespoir où s'enferme l'homme moderne.

- La joie familiale et le respect des vieux comme antidote à l'abandon des traditions.

* 50 _ Il en est ainsi de la révélation qui selon EBOUSSI BOULAGA, s'adresse à des hommes debout qui, du milieu de leur expérience historique, décident librement de l'accueillir ou de le rejeter.

* 51 _ KA MANA, G., Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l'A

* 52 _ KA MANA, G., Op. cit. ,

* 53 _ Jean Marc ELA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère. Karthala 2003,

* 54 _ Jean Marc ELA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère. Karthala 2003, p31

* 55 _ Adoukonou, B., Jalons pour une théologie africaine, Essai d'une herméneutique chrétienne Du vodoun Dahoméen, Paris, Léthielleux, 1985, T I et TII : Le Sillon Noir (Mewihwêndo) et la question éthique au coeur, du Vodun Sacré. Thèse de doctorat, Sorbonne, Paris, U.R.F., 1988 TI et TI I

* 56 _ Op. Cit

* 57 _ Le concile Vat II ne tarda pas à imposer la suprématie du rite romain avec pour épine dorsale la primauté de l'Eglise romaine. Le dynamisme africain pour l'inculturation fut éteint dans un passage de recherche liturgique aux investigations purement théologiques.

* 58 _ Efoe-Julien Penoukoun, Eglises d'Afrique, Propositions pour l'avenir. Karthala, 1984

* 59 _ Voire la problématique de J-M ELA in Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère. Karthala 2003,

* 60 _ Idem

* 61 _ Nous voulons ici faire allusion aux travaux des pères Adoukonou au Bénin et de SANON au Burkina.

* 62 _ COLLECTIF, Théologie et choc des cultures, Paris, Cerf, 1989

Jean Marc ELA, Identité propre d'une théologie africaine P. 37

* 63 _ Michael AMALADOSS, A la rencontre des cultures Comment conjuguer unité et pluralité dans les Eglises? Ed. de l'Atelier; Ed. Ouvrières, Paris, 1997, P 43

* 64 _ Idem

* 65 _ B. Adoukonou, Vodun sacré ou violence, Op. Cit.

* 66 _ Claude Jeffré Croire et interpréter , Avant Propos.

* 67 _ Introduction à l'herméneutique théologique, Conclusion

* 68 _ Jean Marc ELA op. cit. P 36-37

* 69 _ Claude JEFFRE, Le christianisme au risque de l'interprétation. CF, Cerf, Paris 1983. P 34

* 70 _ Le christianisme au risque de l'interprétation, P, 76

* 71 _ M. Amaladoss, P 93

* 72 _ Efoe Julien PENOUKOUN, Dictionnaire critique de la théologie , PUF 1998, ART Inculturation.

* 73 _ F. Fanon, Peau noire masque blanc. Seuil, 1952. P 39-51

* 74 _ R. Barth, Kirchliche Dogmatik t. ½ , 6

* 75 _ J. Scheuer, « L'inculturation. Présentation du thème », Lumen Vitae, vol. 39, 1984, n°3, p .253

* 76 _ H. Carrier, Evangile et Cultures de Léon XIII à Jean-Paul II. Cité du Vatican, Libéria Editrice Vaticana, Paris, Mediaspaul, 1987, p. 147

* 77 _ Achiel PEELMAN, Inculturation. L'Eglise et les cultures, Desclée/ Novalis p 112-149

* 78 _ H.U.von Balthasar, La foi du Christ, coll. « Foi Vivante », n°76, Paris, Aubier Editions Montaigne, 1966, p 129

* 79 _ L'option est une "appropriation - réappropriation" de la culture dans cette perspective heideggérienne où la culture est une dimension essentielle du singulier - universel.

* 80 _ Efoe-Julien Penoukoun, Eglise d'Afrique, propositions pour l'avenir, Karthala, 1984, p 43






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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard