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Les droits de l'homme et les difficultes de leur application en Haiti

( Télécharger le fichier original )
par Clement Noel
Faculte de Droit et des Sciences Economiques de Port-au-Prince, Haiti - Licence 2013
  

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CHAPITRE 4

LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME EN HAÏTI

La situation des Droits de l'Homme en Haïti offre un tableau très sombre et très critique. Selon Mme Kyung-wha Kang, la Haut Commissaire Adjointe des Nations Unies aux droits de l'homme, cette situation est ponctuée particulièrement par des conditions de vie insupportables des sinistrés du séisme du 12 janvier 2010, violations des droits économiques et sociaux, violences faites aux femmes, traite des enfants, impunité. Et ceci ne date pas d'hier. Mais cette situation critique des conditions d'évolution des Droits de l'Homme s'est détériorée, en grande partie, durant ces dernières années, c'est-à-dire par l'effet du séisme dévastateur du 12 janvier 2010.

En dépit de la mise en place de toute une batterie de mécanismes pour pouvoir assurer l'efficacité et la protection de la question des Droits de l'Homme, il se trouve que ces mécanismes sont confrontés à une série de difficultés qui, à leur tour, ont une grande incidence sur l'application réelle de ces droits. Ainsi, ce chapitre se propose, dans un premier temps, de faire ressortir les limites des mécanismes de protection des Droits de l'Homme et dans un second temps, seront mises en relief les mesures de correction de cette anormalité de la situation des Droits de l'Homme.

SECTION 1 : LES FORMES DE VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN HAÏTI

On a une grande difficulté à pouvoir circonscrire les formes de violations des Droits de l'Homme en Haïti, car ils font l'objet de violations permanentes et récurrentes. Mais, on peut se référer à des périodes historiques particulières de violation de ces droits dont celle de la dictature du régime des Duvalier. D'ailleurs, l'anéantisation de ce régime constitue une grande avancée non seulement en matière de la démocratie, mais aussi en matière de respect de la dignité humaine. Car la quasi-totalité de la population haïtienne subissait une atrocité sans précédent de la part de ce régime, voire une souffrance inimaginable. On pourrait mentionner d'autres périodes ponctuées de fortes violations des Droits de l'Homme dans le pays : les périodes de coup d'Etat militaire, qui ont causé tant de morts. Nonobstant cette bamboche de violations des droits caractérisant ces périodes, les Droits de l'Homme continuent encore, sous d'autres formes, à être l'objet d'un véritable théâtre de violations non seulement perpétrées par des groupes politiques, mais surtout résultant de l'incapacité de l'Etat d'humaniser les conditions de vie de la population haïtienne. Cette incapacité s'explique, d'une part, par les violations des droits socioculturels et, d'autre part, les violations des Droits de l'Homme dans l'administration judiciaire.

A- Les violations des droits socioculturels

La prise en charge des droits socioculturels, deuxième génération des Droits de l'Homme, relève résolument de la responsabilité de l'Etat. Il doit faire montre de dynamisme et d'autorité tant dans la manière d'adopter des mécanismes de garantie de ces droits que dans sa capacité de mettre ou de faire appliquer ces mécanismes. A ce titre, s'il se révèle incapable de répondre aux attentes de la population, cela nous conduit purement et simplement à des cas de violation des Droits de l'Homme. C'est le cas d'Haïti où l'Etat est non seulement incapable de satisfaire les besoins les plus préliminaires de la population haïtienne, mais encore d'appliquer les droits consacrés par la Constitution de 1987 et par les traités qu'Haïti a ratifiés. Parmi ces droits se retrouvent principalement : droit à l'éducation, droit au travail, droit à la santé, droit à la justice, droit au logement.

1- Droit à l'éducation

La notion d'éducation est celle qui fait l'objet de nombreuses appréciations définitionnelles. L'éducation est, dans une première appréhension, définie comme une mise en oeuvre des moyens propres à assurer la formation et le développement d'un être humain. Cette même notion, Emile Durkheim l'a définie comme : « L'action exercée par des générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mures pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états physiques, intellectuelles, et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné 79(*)». A ce titre, l'éducation est comprise comme un instrument pouvant favoriser l'épanouissement et d'émergence de l'homme. Cet instrument indispensable permet à celui-ci de prendre en compte son humanité, c'est-à-dire un puissant instrument de libération humaine. L'éducation est consacrée comme un droit fondamental dont l'Etat doit obligatoirement assurer sa pleine garantie. Elle est aussi une des conditions essentielles du développement de la société. Ainsi, comme dit Alexandre Pétion : « L'éducation élève l'homme à la dignité de son être 80(*)». En outre, Jean Delors semble abonder dans le même sens en avançant que : « face aux multiples défis de l'avenir, l'éducation apparait comme un atout indispensable pour permettre à l'humanité de progresser vers un idéal de paix, de liberté, et de justice sociale ». Fort de ces considérations, le droit à l'éducation est incontournable pour toute société organisée. D'ailleurs, toute société moderne fait de l'éducation une des principales priorités pour arriver à l'éradication de l'analphabétisme, perçu comme un cancer susceptible d'entraver tout processus de développement d'un pays. Cela est à l'origine de l'élaboration de nombreuses conventions internationales en matière de droits à l'éducation des enfants. C'est le cas, d'abord, de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme en 1948 qui, dans son article 26, énonce : « Toute personne a droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite81(*) ». Ensuite, il y a la Déclaration des Droits de l'Enfant proclamée le 20 novembre 1959 qui déclare en son principe 7 : 

« L'enfant a droit à une éducation qui doit être gratuite et obligatoire au moins aux niveaux élémentaires. Il doit bénéficier d'une éducation qui contribue à sa culture générale et lui permettre, dans des conditions d'égalités de chances, de développer ses facultés, son jugement, son jugement personnel et son sens des responsabilités morales et sociales, et de devenir un membre utile à la société. L'intérêt supérieur de l'enfant doit être le guide de ceux qui ont la responsabilité de son éducation et de son orientation ; cette responsabilité incombe en priorité à ses parents. L'enfant doit avoir toutes possibilités de se libérer à des jeux et à des activités récréatives, qui doivent être orientés vers les fins visées par l'éducation ; la société et les pouvoirs publics doivent s'efforcer de favoriser la jouissance de ce droit82(*) ».

Outre cela, la Convention Internationale Relative aux Droits de l'Enfant adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 20 novembre 1989 est à prendre compte dans la mesure où elle met beaucoup plus d'emphase sur cette question. D'ailleurs, c'est la convention la plus ratifiée de toute l'histoire en matière des droits de l'enfant. Dans son préambule il est énoncé ce qui suit : «  ayant dans l'esprit que la nécessité d'accorder une protection spéciale à l'enfant...»

Dans la même veine, France GUBLIN pense que : «  pour que les Droits de l'Homme aient un sens demain, il y a non seulement nécessité mais urgente nécessité de reconnaitre les droits de l'enfant aujourd'hui83(*) ». Cela va sans dire que la prise en considération des droits de l'enfant n'est une faveur imméritée accordée à ce dernier, mais une prérogative incontournable dont tout Etat se doit de tenir compte, c'est-à-dire ses droits doivent être figurés dans la constitution du pays. Selon Monférier Dorval, la constitution se définit comme : «  L'ensemble des règles juridiques relatives à l'organisation des pouvoirs publics : pour exécutif, pouvoir législatif, pouvoir judiciaire. Elle contient également des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine84(*) ». C'est en ces sens qu'Haïti, voulant mettre en évidence sa vision de l'organisation de la société et voulant respecter les droits fondamentaux de la personne humaine, a eu l'intelligence de non seulement proclamer la Constitution de 1987, premier acte de reconnaissance de ces droits, mais surtout d'y insérer des principes pour pouvoir garantir le plein respect de ces derniers, en particulier le droit à l'éducation. Ainsi, la Constitution de 1987, dans son art. 32, énonce que : «  L'Etat garantit le droit à l'éducation. Il veille à la formation physique, intellectuelle, morale, professionnelle, sociale et civique de la population ». Et l'éducation est une charge de l'Etat et des collectivités territoriales. Ils doivent mettre l'école gratuitement à la portée de tous, veiller au niveau de formation des enseignants des secteurs publics et privés (32-1). La première charge de l'Etat et des collectivités territoriales est la scolarisation massive, seule capable de permettre au pays de développer du pays. L'Etat encourage et facilite l'initiative privée en ce domaine (32-2). L'enseignement primaire est obligatoire sous peine de sanctions à déterminer par la loi. Les fournitures classiques et le matériel didactique seront mis gratuitement par l'Etat à la disposition des élèves au niveau de l'enseignement primaire (32-3).

Il est vrai que la constitution se montre très soucieuse en ce qui trait au respect des droits fondamentaux de la personne humaine qu'il faut préserver, mais c'est le contraire qui se produit dans le pays. Il y a une espèce de non prise en considération des droits de l'enfant, c'est -à-dire l'Etat est incapable d'assurer le droit à l'éducation des enfants. La plupart des enfants, en âge de scolarisation, se retrouvent dans les rues. Donc, cette situation est illustration indicatrice non seulement de l'état des violations des Droits de l'Homme en Haïti, mais aussi une incapacité de la part de l'Etat haïtien de permettre à des milliers d'enfants de prendre conscience de leur humanité de manière à participer au développement de la société. Car toute société qui se veut grande et organisée accorde la priorité prioritaire à l'éducation. Il faut, néanmoins, saluer le courage du président Michel J. Martely qui fait de cette dernière une priorité inconditionnelle pour son gouvernement.

2- Droit au travail

Le travail est un élément fondamental dans la vie de tout être humain. « Le travail, c'est la liberté », dit-on. Le travail est aussi un moyen pour participer aux valeurs de l'existence, c'est un ensemble de conditions qui devraient permettre à chacun d'être créateur à sa façon. En un mot, il est un élément essentiel concourant à la prise de l'autonomie de l'homme dans la société. Il est de nature à favoriser son émancipation. C'est pourquoi d'ailleurs, il y a des textes internationaux qui ont un regard sur l'importance que représente le travail. Ainsi, le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC), texte qu'Haïti a ratifié, énonce, dans son article 6, que : « Les Etats parties au présent pacte reconnaissant le droit au travail qui comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit ». Cependant, dans la société haïtienne, il y a une situation de chômage généralisée. Car la grande proportion de la population se retrouve dans le chômage. Cette situation est due à l'incapacité de l'Etat haïtien à créer l'emploi dans le pays pour réduire le taux de chômage. L'Etat est aussi incapable de créer un climat qui serait de nature à favoriser l'investissement. On est d'accord sur le fait que celui-ci est une source incontestable de génération d'emploi. Et cette situation de chômage occasionne également l'abandon des paysans à la terre pour prendre leur refuge dans les villes qui sont, la plupart du temps, utilisées à des fins criminelles, d'où le phénomène de l'exode rural. De ce fait, il n'en reste pas moins vrai que le chômage a une grande répercussion sur les Droits de l'Homme en général, en particulier sur les personnes les plus vulnérables.

3- Droit à la justice

La notion de droit à la justice est figurée dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948. Le droit à la justice est entendu comme un droit reconnu au justiciable de pouvoir se présenter devant les juridictions nationales compétentes quand il s'estime léser dans ses droits par rapport à la perpétration d'un acte arbitraire. Aussi est-il précisé dans l'article 8 de la Déclaration Universelle : « Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi85(*) ». En outre, le droit à la justice implique de prendre en considération l'équité dans la distribution de la justice. D'ailleurs, c'est le voeu clairement exprimée dans l'article 10 de la DUDH. Et on y lit : « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre lui ».

Le droit à la justice est aussi mentionné dans l'esprit et la lettre de la Constitution de 1987, d'autant que tous les haïtiens ont droit à une justice équitable. Quand une personne commet un cas de violation d'une règle de droit, elle doit être punie conformément à la loi. Dans le cas contraire, on est tombé dans une situation d'impunité qui, elle, est incompatible au processus d'établissement d'un Etat de droit et au respect des Droits de l'Homme. Pour qu'on puisse respecter le droit à justice dans un pays, il faut lutter contre l'impunité, laquelle lutte est susceptible de contribuer au renforcement de la justice et de réhabilitation sociale des victimes ou de leurs ayant droits. Car toute personne victime d'un acte arbitraire a droit à la réparation. Pour ce faire, il faut que l'Etat soit capable de respecter et de faire respecter les règles de droit.

La Convention Américaine Relative aux Droits de l'Homme, ratifiée par Haïti, prend en compte le droit à la justice, mais d'une manière très générale les garanties judiciaires. En effet, selon l'article 8 de cette Convention : 

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi antérieurement par la loi, qui décidera du bien-fondé de toute accusation dirigée contre elle en matière pénale, ou déterminera ses droits et obligations en matière civile ainsi que dans les domaines du travail, de la fiscalité, ou dans tout autre domaine. 2. Toute personne accusée d'un délit est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Pendant l'instance, elle a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties judiciaires suivantes :

a. Droit de l'accusé d'être assisté gratuitement d'un traducteur ou d'un interprète s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience ou au tribunal ;

b. notification préalable et détaillée à l'accusé des charges portées contre lui ;

c. octroi à l'accusé du temps et des moyens nécessaires pour réparer sa défense ;

d. droit de l'accusé de se défendre lui-même ou d'être assisté d'un défenseur de son choix et de communiquer avec celui-ci librement et sans témoin ;

e. droit d'être assisté d'un défenseur procuré par l'Etat rémunéré ou non selon la législation interne, si l'accusé ne se défend pas lui-même ou ne nomme pas un défenseur dans le délai prévu par la loi ; ce droit ne peut faire l'objet d'aucune renonciation....86(*) ».

Cependant, le respect du droit à la justice est violé presque quotidiennement en Haïti. L'une des manifestations les plus éloquentes de la violation de ce droit est la situation d'impunité caractérisée qui traverse la société, en particulier le système judiciaire haïtien. Cela veut dire que les auteurs des violations de ce droit restent impunis. Il y a une sorte de culture d'impunité dont l'odeur se répand dans tous les compartiments de la société. Cela peut se résumer en cette phrase : « L'enquête se poursuit », mais n'aboutit jamais. On a comme l'impression que l'impunité est devenue la partie intégrante de l'appareil judiciaire en Haïti. Car il place les auteurs de violations dans leur confort. Cette situation d'impunité généralisée et caractérisée gangrenant l'appareil judiciaire peut s'expliquer par le fait d'une non indépendance de la justice : elle est, dans la pratique, sous la tutelle des pouvoirs politiques. Il y a aussi le phénomène de la corruption qui traverse le système judiciaire en Haïti. Or, la justice et la politique ne font pas bon ménage, surtout dans un pays comme Haïti où la politique est comprise comme véritable arme de désorganisation de la société. Lorsqu'il y a des groupes politiques commettant des actes contraires à la loi, ils se servent de la justice pour assurer leur protection. De ce fait, il faut que la justice puisse s'affranchir de la politique.

4- Droit à la santé

De part sa précarité, la situation sanitaire du pays est très préoccupante. En effet, la grande partie de la population n'a pas accès à la santé. Elle est réservée à une minorité de cette population. Qui pis est, elle est non seulement très couteuse, mais surtout les centres de santé ou les hôpitaux se situent à des dizaines de kilomètres de distance de la population. Cette distance occasionne, dans la majeure partie des cas, des morts. A titre d'exemple, les femmes enceintes. Ce qui est fragilise encore plus la situation sanitaire du pays, c'est qu'il y a un nombre très réduit de médecins et d'infirmières pour desservir la population haïtienne. Selon l'OMS, il faut : « 8 médecins pour 10.000 habitants, pourtant Haïti n'a qu'un médecin pour 10.000 habitants87(*) ». Il revient à l'Etat d'assurer sa responsabilité, en ce sens qu'il doit créer des hôpitaux pour garantir la protection de la santé de tous les citoyens. Cette responsabilité est clairement exprimée dans l'article 23 de la Charte fondamentale : « L'Etat est astreint à l'obligation d'assurer à tous les citoyens dans les toutes collectives territoriales des moyens appropriés pour garantir la protection, le maintien et le rétablissement de leur sante par la création d'hôpitaux, centres de santé et de dispensaires88(*) ». Malheureusement, cette disposition constitutionnelle n'est pas respectée, car depuis l'adoption de la Constitution en vigueur, on voit que la condition de vie de la population sur le plan sanitaire reste très précaire.

5- Droit au logement

Le droit à être correctement logé fait partie intégrante des Droits de l'Homme. En ce sens, tout pays accordant une grande priorité au respect strict de ces derniers est conscient de cette impérieuse obligation morale de permettre à ses citoyens de vivre dans la dignité, en leur accordant la possibilité de vivre dans un environnement décent. Cependant, en Haïti c'est tout le contraire qui se fait. En effet, la situation de logement en Haïti est très critique. Car nombreux sont des haïtiens, en ce plein 21eme siècle, qui vivent comme des bêtes dans de maisons de fortune. Cette situation infrahumaine ne fait qu'aggraver par l'effet du séisme du 12 janvier 2010. Jusqu'à présent, l'Etat haïtien se révèle incapable de résoudre ce problème, malgré l'existence d'une institution étatique, à savoir EPPLS : Entreprise Publique de Promotion de Logements Sociaux. Cette entreprise publique a été créée par le décret du 26 novembre 1982, dont la mission est d'assurer des logements sociaux décents pour les personnes les plus démunies, surtouts dans les quartiers les plus défavorisés et populaires en Haïti. Par exemple, le cas de Cité Soleil, la saline pour ne citer que ceux la. Fort de ces considérations, cette situation est la traduction la plus emphatique d'un mépris certain de l'importance du droit au logement en Haïti.

B- Les violations dans l'administration judiciaire

Le fonctionnement de l'administration judiciaire haïtienne est ponctué par un ensemble de faits qui traduisent une dynamique de violation des Droits de l'Homme dans laquelle elle s'installe depuis bien des temps, et ceci dans les formes les plus élémentaires. Cela se manifeste d'abord, au niveau de la situation des prisons haïtiennes. Ensuite, du coté de la partialité de la justice. Et enfin, au niveau de la question de la détention préventive prolongée.

1- L'état des prisons haïtiennes

Dans tous les pays du monde, la prison est considérée comme un lieu de privation de la liberté de l'individu ayant commis une infraction. Elle n'est pas un lieu purement et simplement où la dignité et le respect de la personne humaine ne sont pas pris en compte. Mais Haïti en fait l'exception, vu que l'état de ses prisons est la traduction d'un véritable mépris des droits de l'homme. Les prisons haïtiennes ne respectent aucune norme internationale en matière de détention. Les prisonniers font leurs besoins physiologiques dans l'enceinte même des cellules. Il n'y a aucune intimité. Cet état de fait est souvent assimilé à celui des animaux. Dans cette même logique, le RNDDH (réseau national de défense des droits humains) a produit un rapport relatif à l'état des prisons en Haïti qui ne traduit que la négation du respect de la dignité des personnes détendues. On y lit : «  l'usage des fouets par les policiers, l'absence d'assistance sociale et médicale dans les prisons, l'oubli des prisonnier par le système judiciaire, l'absence de suivi après des jugements rendus89(*) ». A travers ce rapport, le RNDDH a révélé bon nombre de cas de personnes en prison dont les droits sont foulés au pied. Cette situation ne date pas d'hier. Dans cette même veine, la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme, dans un rapport produit en 2005, n'a pas manqué de dresser un tableau sombre sur l'état des détenus dans les prisons haïtiennes. Il y est précisé, entre autres, que : « ...environ 85 à 90% des détenus ne sont pas passés en jugement. Ces déficiences ont également miné la capacité du système de justice haïtien à assurer et garantir efficacement les droits et libertés fondamentales auxquels peuvent prétendre les haïtiens, instaurant ainsi un régime d'impunité pour les violations perpétrées aussi bien par des fonctionnaires de l'Etatique par des acteurs non étatiques ». Certes, il s'agit d'un rapport qui a été réalisé en 2005, mais il est toujours d'actualité, car c'est la même pratique choquante qui prévaut par rapport à la situation de détention des détenus.

2- La partialité de la justice haïtienne

Haïti est Etat partie au Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques. Elle a adhéré à cet instrument le 6 mai 1991. Ce Pacte reprend et précise les dispositions de la DUDH relatives à l'administration de la justice, notamment le droit à la vie, le droit à ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne et les droits des personnes privées de liberté. L'article 14 de ce pacte consacre «  le droit à un jugement équitable90(*) ». Normalement, ce pacte fait partie de la législation haïtienne. Or, la corruption envahit le système de justice haïtien. Il y a une espèce de commercialisation de la justice par les autorités judiciaires. Cette situation crée un climat certain de partialité qui bat son plein au sein des tribunaux. Ce qui est une violation de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Car la justice haïtienne souffre d'un déficit de confiance. D'ailleurs, les justiciables ne croient presque plus dans la justice judiciaire, c'est pourquoi, certaines fois, ils ont tendance à se faire justice quand il y a un litige. D'où le règne de la justice privée qui se pratique dans presque toutes les couches de la société. En un mot, la partialité de la justice haïtienne favorise, sans l'ombre de doute, l'impunité. Or, celle-ci est diamétralement opposée au respect des Droits de l'Homme. Tant qu'il y a une situation d'impunité, tant que les droits fondamentaux de la personne humaine seront piétinés. Il faut, en ce sens, corriger cette situation paradoxale et insupportable, pour qu'au moins les justiciables puissent avoir confiance dans la justice de leur pays.

Il n'y a évidemment pas des chiffres que l'on peut avancer pour corroborer ce qui vient d'être avancé, mais ce qui est certain, c'est que la grande majorité des justiciables haïtiens se plaignent de la manière dont on distribue la justice de ce pays. Il y a une souffrance généralisée et caractérisée de ceux-là par rapport à cette situation. A cause de celle-ci, on est souvent scandalisé tant sur le plan national qu'international. C'est le cas par exemple, l'affaire de l'ancien dictateur haïtien, en l'occurrence Jean Claude Duvalier. Le juge Carves Jean, chargé d'instruire les accusations portées à l'encontre de ce dernier, a rendu une ordonnance, qualifiée d'ordonnance de la honte par bon nombre d'organisations locales de défense des Droits de l'Homme, RNDDH par exemple. Cette ordonnance a été critique fortement aussi par M. Forst, expert indépendant des Droits de l'Homme, lors de sa visite en Haïti en février 2012.

3- La question de la détention préventive prolongée

La détention préventive peut être définie de diverses manières. L'une des définitions auxquelles on fait généralement référence, c'est qu'elle est une mesure de détention qui vise à emprisonner une personne accusée d'une infraction punie d'une peine d'un emprisonnement en attente d'une décision judiciaire. La détention préventive est perçue aussi comme une atteinte à la liberté individuelle. Malgré cette dernière acception, cela n'empêche aucunement l'application de cette mesure dans tous les systèmes judiciaires du monde. En effet, la détention préventive n'est pas la règle, elle est l'exception, c'est pourquoi elle n'est envisageable que dans des cas très rares.

La détention préventive est une mesure normale et compréhensible dans la mesure où la justice a besoin du temps pour trancher dans le cadre d'une affaire qui est soumise à l'appréciation d'un juge. Mais elle est devenue anormale quand la détention préventive est prolongée. Lorsque la détention préventive outrepasse le délai prévu, elle devient automatiquement illégale et constitue donc une atteinte à la liberté individuelle. D'ailleurs, l'article 26 de la Constitution de 1987 est clair là-dessus quand il stipule : « Nul ne peut être maintenu en détention s'il n'a pas comparu dans les (48) heures qui suivent son arrestation, par devant un juge appelé à statuer sur la légalité de son arrestation, et si ce juge n'a confirmé la détention par décision motivée91(*)». En dépit de cette disposition constitutionnelle, la réalité est tout autrement. Tout le monde s'accorde à reconnaitre que la question de la détention préventive prolongée est, parmi les problèmes dont souffrent la justice haïtienne, la plus aigue. Le taux des personnes en détention préventive prolongée a atteint un seuil très élevé. A preuve tous les ministres de la justice, conscients de l'ampleur de ce problème qui scandalise la justice haïtienne, pendant ces dernières années, qui se sont succédé ont fait de la détention préventive prolongée une priorité prioritaire.

En effet, sur une population carcérale forte de 5.163 détenus, 3437, soit 66,6 %, sont en détention préventive. Parmi eux, 116 mineurs, dont 24 filles, selon un article publié, après le 12 janvier, soit le 04 octobre 2010, par la MINUSTHA dont le titre est «  le système judiciaire haïtien face à ses défis ». D'après ce même article, le Pénitencier national, principal centre carcéral de la capitale, abrite le plus grand nombre de personnes en détention préventive, soit 1.348 pour une population totale de 1.469. De même, à la prison pour femmes, à Pétion-Ville, sur les 284 pensionnaires, 247 sont en détention préventive. Aux Cayes, dans le Sud du pays, ils sont 326 dans cette situation sur un effectif de 433. Point n'est besoin de demander combien est répugnante cette situation de détention préventive prolongée. A cela on ne saurait ne pas ajouter les conditions d'incarcération de ces personnes qui ne sont pas conformes au respect des droits et de la dignité de ces détenus. D'ailleurs, au pénitencier national, la superficie moyenne par détenu est de 0,29 mètres carrés. La superficie moyenne au niveau national est de l'ordre de 0,58 mètres carrés par détenu contre 4 mètres carrés exigés au niveau international. Qui pis est, cette situation est presque la même dans tous les centres d'incarcération du pays.

Ce tableau ci-dessous est une illustration assez évidente de la problématique de la détention préventive prolongée qui, à elle seule, témoigne de la situation exécrable et accablante des personnes en détention. Selon les estimations faites en 2011 par le Réseau national de défense des droits humains de la population carcérale, cinq mille cent deux personnes en attente de jugement, soit 70.33%.

TABLEAU

REPARTITION DE LA POPULATION CARCERALE EN HAÏTI (OCTOBRE 2011)

Prisons

Hommes en détention

Femmes en détention

Garçons en détention

Filles en détention

Hommes condamnés

Femmes condamnées

Garçons condamnés

Filles condamnées

Total

Port-au-Prince

2395

0

0

0

202

0

0

0

2597

Carrefour

88

0

0

0

73

0

0

0

161

Pétion-Ville

0

193

0

18

0

33

0

0

244

Delmas

0

0

117

0

0

0

22

0

139

Arcahaie

1

0

0

0

94

0

0

0

95

Cap-Haitien

320

13

10

0

321

5

1

0

670

Grande Rivière

45

2

1

1

15

2

0

0

66

Fort-Liberté

105

1

4

0

134

2

3

0

249

Port-de-paix

124

2

5

0

177

4

1

0

313

St-Marc

95

1

5

0

276

11

2

0

390

Mirebalais

112

1

4

0

229

3

0

0

349

Hinche

81

3

3

0

80

7

2

0

176

Jérémie

168

4

9

0

70

2

2

0

255

Cayes

326

17

6

0

118

4

7

0

479

Anse- à veau

147

5

4

1

86

0

0

1

243

Jacmel

173

7

8

0

155

7

1

0

351

Total

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Source : Rapport RNDDH, 28 octobre 2011.

Malgré les problèmes auxquels confrontent les détenus dans les prisons et malgré l'accent mis sur ce problème tant par les autorités de la justice que par les organisations nationale de défense des droits humains, il reste et demeure évident que le problème de l'état des prisons haïtiennes et celui de la détention préventive prolongée n'inspirent aucune confiance en matière de respect des droits et de la dignité de ces détenus, car même s'ils ont commis une infraction , cela ne traduit aucunement l'absence de ses droits ; ils restent et demeurent des personnes à part entière, ayant des droits et de la dignité dont il faut absolument prendre en compte.

SECTION 2 : LA FAIBLESSE DES MESURES DE PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME EN HAÏTI

Il va de soi qu'il y a beaucoup de mesures mises en évidence pour assurer la protection des Droits de l'Homme, mais elles accusent bon nombre de lacunes. Celles-ci se montrent par l'influence des pouvoirs politiques sur l'administration judiciaire. Ne pouvant, en effet, continuer à subir le poids de nombreuses lacunes dont souffrent atrocement les mesures de protection des Droits de l'Homme en Haïti, on a proposé des mesures de correction susceptibles de favoriser les conditions de l'application des Droits de l'Homme en Haïti.

A- L'influence des pouvoirs politiques sur l'administration judiciaire

Il existe trois pouvoirs de l'Etat : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. A l'exception du dernier, les deux constituent ce qu'on appelle « les pouvoirs politiques ». Ces pouvoirs sont d'une grande valeur dans la gestion du pays. D'ailleurs, la modernité politique se repose sur l'articulation harmonieuse dont la mission répond à une nécessité d'organisation rationnellement la société. Ainsi, la Constitution en vigueur d'Haïti reconnait l'existence de ces trois pouvoirs en leur attribuant des rôles spécifiques, en ce sens qu'ils ne doivent pas s'empiéter l'un sur l'autre. La pratique de l'existence de ces pouvoirs en Haïti montre qu'il n'y a pas une démarcation entre eux. Car le pouvoir judiciaire est pris en otage par le pouvoir exécutif et par celui du législatif. Cette prise en otage entraine terriblement une situation de dépendance des juges dans leur rôle de distribution équitable de la justice. Il y a aussi un refus de l'Etat haïtien à ne pas mettre en oeuvre une politique centrée sur l'application des textes internationaux, faisant partie intégrante, d'ailleurs, de notre législation, dans le domaine des Droits de l'Homme. Cette situation nous conduit directement à une méfiance généralisée des justiciables dans la justice haïtienne.

1- La dépendance des Juges

En France, la protection juridictionnelle des Droits de l'Homme est assurée par le juge judiciaire, le juge administratif et le juge constitutionnel. En effet, le juge judiciaire est traditionnellement considéré comme le gardien des libertés essentielles et de la propriété privée. L'une des conditions essentielles qui puissent favoriser l'efficacité de la protection des Droits de l'Homme par le juge judiciaire est son indépendance. Car toute possibilité de manipuler le juge judicaire se révèle comme une menace pour le respect des libertés individuelles. Or, en Haïti, le juge judiciaire, dans son rôle capital qui consiste à dire le droit et à distribuer la justice, n'est pas indépendant. La politique prend le dessus sur la justice. C'est qui crée une situation de crise qui se traduit par un besoin de changement. La situation de la subordination des juges judiciaires est le signe révélateur de la partialité dont souffre atrocement la justice haïtienne. Ce qui est une violation de l'article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 nombre 1950. Le droit à une justice équitable n'est pas fonction de la nationalité de la personne, ni de race et ni de sa classe sociale. C'est tout simplement une dette morale à laquelle toute société doit se soumettre. On n'est pas sans savoir que la justice haïtienne est très mal vue tant sur le plan international que national. Il suffit qu'une personne soit politiquement protégée pour qu'elle soit au-dessus de la loi. Une telle situation est révélatrice d'un non- respect de ce principe, à savoir : la loi est une pour tous. Malheureusement, ce principe n'est pas applicable en Haïti, même s'il faut souligner que la mise en oeuvre du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) est un apport considérable pour la concrétisation de la lutte pour l'indépendance du pouvoir judicaire.

2- La non existence d'une politique d'application des textes internationaux adoptés dans le domaine des Droits de l'Homme par Haïti

L'une des plus importantes réalisations de la communauté internationale dans le domaine des Droits de l'Homme est, indubitablement, la constitution d'un corps de normes relatives au respect des Droits de l'Homme. Ces normes sont des traités et des conventions dont les objectifs principaux est d'assurer la protection des droits fondamentaux de la personne humaine, et ceci sans prendre en compte sa race, sa nationalité, sa culture. Ils sont nombreux les Etats ayant adopté les traités et conventions en matière de protection des Droits de l'Homme. Ainsi, les Etats qui les ont signés doivent les respecter. Et ces textes intègrent immédiatement le droit national. C'est le cas pour Haïti qui a signé et ratifié un certain de nombre de traités en matière des droits de l'homme. En signant et ratifiant les traités, il est fait obligation à Haïti de respecter les droits de l'homme, de les garantir et de les promouvoir en créant les conditions réelles de leur adoption. Vu que de telles initiatives ont une importance colossale, elles peuvent contribuer à la modernisation et à une grande amélioration du droit interne. Il s'ensuit que l'Etat haïtien doit faire preuve de conscience et de respect des traités qu'il a signés et ratifiés. D'ailleurs, selon la Convention américaine relative aux Droits de l'Homme qu'Haïti a ratifiée aussi, les Etats parties à un traité sont tenus de le respecter.

Néanmoins, il est nécessaire de signaler, au passage, qu'Haïti n'a pas véritablement besoin de signer et ratifier tout un ensemble de traités, puisque la Constitution de 1987 a posé les bases pour qu'il y ait un véritable respect des Droits de l'Homme. Il suffit d'avoir une volonté politique et citoyenne pour appliquer la constitution. On peut toujours, sans cette volonté, ratifier toutes les conventions ou les traités du monde en matière des Droits de l'Homme, et qu'on n'arrive pas à les respecter ou établir un climat favorisant leur épanouissement. Ce qui importe, ce n'est pas le nombre de traites ou conventions ratifiés, mais c'est la preuve d'une croyance inébranlable de la dignité de la personne.

3- La méfiance des justiciables dans la justice haïtienne

La situation de la dépendance des juges judiciaires engendre une méfiance généralisée chez les justiciables haïtiens. Ils ne croient pas dans la justice de leur pays. Cela est dû très probablement à l'assujettissement des juges par les pouvoirs politiques (pouvoir exécutif et pouvoir législatif). Dans la majeure partie des cas, ils préfèrent se faire justice. C'est ce qu'on appelle la justice privée. Cette situation est l'émanation d'une méfiance caractérisée qui s'installe dans l'esprit des citoyens. Alors quand dans un pays comme le notre, on fait face à cette situation, cela est de nature à créer des frustrations chez les citoyens. L'Etat haïtien doit créer un climat qui favoriserait la confiance de ces derniers dans la justice de leur pays tout en adoptant des mesures de correction à cette situation.

B- Les mesures de correction pour favoriser les conditions de l'application des Droits de l'Homme en Haïti

La situation des Droits de l'Homme en Haïti est fracturée par une sorte d'anormalité. Cette dernière nait du fait qu'il y a une incohérence entre les discours et la structuration de la réalité sociopolitique haïtienne. Et on sait pertinemment que les Droits de l'Homme ne sauraient se penser sans faire ressortir la situation sociopolitique, et économique de la société dans laquelle ces derniers sont appelés à être appliqués. Ainsi, pour mettre la pendule à l'heure normale, c'est-à-dire pour apporter une correction à cette situation d'anormalité, il convient de mettre l'emphase sur une réorientation et une redéfinition de la question des Droits de l'Homme en conformité avec la réalité sociopolitique et culturelle haïtienne. Outre cela, la création des Tribunaux de Paix dans les régions reculées du pays serait la bienvenue. Le respect des Droits de l'Homme ou leur application est forcément fonction de l'efficacité de la justice haïtienne. Or notre système judiciaire ne se porte pas très bien. D'où l'idée de penser à une reforme judiciaire en profondeur. A cela doit s'ajouter aussi la nécessité de la mise en branle, par les dirigeants du pays, d'une volonté politique.

1- Une réorientation et une redéfinition de la question des droits de l'homme sur le plan culturel, sociopolitique et économique

Sur le plan culturel

L'histoire de la culture est aussi celle des sociétés. Mais c'est en Allemagne, plus précisément au 18eme siècle, que l'on en a pu relever les premiers vagissements. Ceci a été réalisé dans le cadre de l'étude de l'histoire universelle. Cette étude avait pour objectif de reconstitution une histoire générale de l'humanité et des sociétés à partir de leurs origines. Ces historiens ont eu un intérêt beaucoup plus poussé pour l'histoire des moeurs, des arts, des sciences, des races, et ils ont pu développer, en particulier, une compréhension de la diversité des sociétés et des civilisations. Selon Guy Rocher92(*), le terme, en fait, fut employé pour décrire une évolution dans le progrès. Parmi ces historiens, se retrouve l'émérite Johann Christophe Adelung, ayant publié Essai sur l'histoire de la culture de l'espèce humaine.

Cette notion fait partie du langage courant des sciences humaines. Elle est susceptible de recevoir plusieurs acceptions. Elle désigne, dans un premier sens, au 17eme siècle, le travail de la terre, c'est-à-dire synonyme de l'agriculture. Ce n'est qu'au 18e siècle qu'on allait connaitre un glissement sémantique pour signifier la formation de l'esprit.

La notion de culture, transposée en anthropologie au 19e siècle, a subi une autre transformation, en ce sens elle a été considérée comme synonyme de la civilisation, dans ce cas saisie comme une totalité renvoyant à des notions telles que : progrès, éducation, évolution, etc. Cette considération sémantique de la notion de culture nous conduit à faire ressortir la définition que Tylor lui a attribuée, qui, d'ailleurs, semble être plus précise : «  la culture ou la civilisation, entendue dans son sens ethnographique étendu, est cet ensemble complexe qui comprend les connaissances, les croyances, l'art, le droit, la morale, les coutumes, et toutes les aptitudes et habitudes qu'acquiert l'homme en tant que membre d'une société93(*) ». En effet, cette définition anthropologique a pu alimenter aussi la sociologie. Dans la même veine, pour abonder dans le sens que Tylor, G. Rocher, sociologue canadien, y voit« un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent d'une manière objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte94(*) ». Il enchaine pour dire que :

« Cet ensemble lié constitue ce qu'on appelle système. Les différents éléments qui composent une culture donnée ne sont pas simplement juxtaposés l'un à l'autre. Des liens les unissent, des rapports de cohérence les rattachent les uns aux autres ; lorsque des changements s'effectuent dans un secteur d'une culture, ils entrainent des changements dans d'autres secteurs de cette culture. Ces liens et ces rapports n'ont également rien de nécessaire, c'est-à-dire qu'ils ne résultent pas d'un raisonnement logique et rationnel qui les imposerait de nécessité. Ce sont plutôt des liens et des rapports ressentis subjectivement par les membres d'une société. La cohérence d'une culture est donc par-dessus toute une réalité subjectale, c'est-à-dire vécue subjectivement par les membres d'une société95(*) ».

Si la culture implique le niveau de formation des gens dans une société, laquelle est susceptible de leur permette d'avoir une conscience centrée sur la remise en question des réalités sociales, on ne peut la dissocier des Droits de l'Homme. Donc, il y a nécessité d'articuler ces derniers en fonction de la réalité culturelle haïtienne.

Sur le plan sociopolitique

La politique, dit l'autre, c'est « l'art d'assurer la gestion de la cité ». Gérer cette dernière traduit un sentiment non seulement d'appartenance à une communauté humaine, mais également un souci de prise en charge de la dignité de ses membres. Cette communauté humaine repose sur une dynamique continuelle de construction. Pour ce faire, la solidarité de chacun de ses membres s'impose comme première nécessité à laquelle il convient de se référer pour assurer sa subsistance et sa cohérence. En effet, quand il n'y a pas cette prise de conscience, on est automatiquement confronté à une crise résultant de la cassure du lien social qui doit guider et cimenter tous les membres de cette communauté humaine. Il faut, au demeurant, une politique sociale fondée sur la reconnaissance de la valeur de chacun des membres de la société. Donc, c'est l'une des voies royales pour arriver à établir une société où le respect de la dignité de l'autre et celui des Droits de l'Homme couronnent toutes les actions des membres du corps social.

Sur le plan économique

Le système économique haïtien est articulé autour d'une sorte de dualisme. Ce dualisme s'explique par le fait qu'il y a une économie rurale qui, basée particulièrement sur une agriculture de subsistance, constitue son épine dorsale, et une économie urbaine avec un secteur commercial dominé, en grande partie, par l'importation des produits de l'extérieur. Ce dualisme, en fait, crée une sorte de désarticulation dans l'économie haïtienne. Il s'agit d'un système économique non structuré, c'est dire que l'Etat ne fait aucun effort en vue d'agir sur cette dichotomie. Généralement, l'état de développement d'un pays se mesure à l'aune de son organisation économique. Cette mauvaise organisation de l'économie haïtienne est une illustration saisissante de la faiblesse de l'Etat. Aussi cette situation donne-t-elle naissance à une pauvreté extrême qui est la négation de la dignité humaine. Car, bon nombre d'haïtiens n'arrivent pas à trouver de quoi à se nourrir. Cette économie ne peut favoriser aucune émergence, ne peut non plus assurer le développement des citoyens haïtiens par rapport à leurs conditions matérielles d'existence. Cette situation est une violation flagrante des Droits de l'Homme. De ce fait, il faut absolument humaniser le système économique haïtien de telle sorte que ces derniers puissent arriver à être appliqués de manière réelle et concrète. Il faut placer les haïtiens dans un système économique où leur vie sera prise en compte.

2- La création des tribunaux de paix dans toutes les régions du pays dans une perspective d'une justice de proximité

Il est tout à fait évident qu'une justice est bonne par la possibilité offerte aux justiciables d'y accéder sans coup férir. Or, la configuration du système judiciaire haïtien occasionne un climat d'inaccessibilité de la justice par la grande majorité de la population haïtienne, puisqu'il y a un grand éloignement entre l'endroit où les justiciables habitent et le lieu où se retrouvent les tribunaux. Donc, il se pose un problème de proximité spatiale des juridictions dans la distribution de la justice. La plupart des tribunaux se trouvent concentrés dans les zones urbaines, alors qu'un justiciable en milieu paysan est obligé de parcourir de nombreux kilomètres pour trouver un tribunal. En outre, il se pose de très sérieux problèmes en ce qui concerne l'état des tribunaux : dépourvus de matériels de service, situation d'insalubrité, etc. La grande partie des tribunaux haïtiens ne répondent à aucun critère de modernité. La situation même de la distribution de la justice dans ce pays témoigne déjà d'un souci d'une non prise en charge de la question de la justice dans ce pays. Malgré cette situation qui n'inspire pas confiance, nombreux sont ceux qui se complaisent à faire payer très cher les justiciables qui, très souvent, font face à une situation d'insécurité économique grave.

Il se pose aussi un grand problème au niveau de la procédure, d'autant que la justice haïtienne est fortement procédurale. Mais cette procédure est lente et complexe. La complexité de cette procédure tient au fait qu'il y a une question de forme qu'il faut toujours respecter. D'où le principe de la primauté de la forme sur le fond. En toute bonne logique, un paysan, se sentant léser dans ses droits, peut bien vouloir saisir un tribunal pour faire valoir ses droits, par le seul fait qu'il ne maitrise pas les tenants et les aboutissants de la procédure, son affaire peut ne pas être reçue. Dans ce cas, la justice est réservée aux initiés, mais non aux profanes (paysans). Outre cela, la justice est très couteuse. Alors les paysans, dans la majeure partie des cas, n'étant pas en mesure de payer un avocat, se voient bafouer leurs droits sans pouvoir réagir.

La création des tribunaux, vu leur importance dans la structure judiciaire haïtienne, dans toutes les régions du pays, répond à une nécessité qui consiste à démocratiser la justice. Les justiciables haïtiens n'ont pas besoin de se triturer la méninge pour trouver un tribunal pour faire entendre leur voix, mais ils doivent être en mesure de pouvoir trouver un tribunal dans la région où ils habitent. Il sied de signaler, au passage, que la création des tribunaux dans toutes les régions du pays doit refléter un certain respect des normes de construction. L'Etat ne doit pas s'amuser à créer, à placer des tribunaux dans des maisons de fortunes.

3- La réforme du système judiciaire

Le système judiciaire haïtien est un système désuet qui ne correspond à aucun autre système judiciaire du monde. Cette désuétude fait transparaitre la nécessité de le changer, car le changement ou le bon fonctionnement d'un pays repose sur l'organisation rationnelle des institutions républicaines. Parmi elles se retrouve l'institution judiciaire, qui est un maillon important de la chaine. Elle doit être en bonne santé. C'est à ce titre que Victor Hugo eut à dire : «  la justice élève une nation ». A l'en croire, une société sans justice est condamnée à la destruction la plus complète, la plus absolue. Fort de ces considérations, il est obligatoire de changer la justice haïtienne. Cette transformation doit avoir son point d'ancrage dans la distribution efficace de la justice. Cette reforme doit viser à éliminer la question de l'impunité structurelle dont jouissent les politiquement plus puissants. Car cette situation est un témoignage d'une violation et d'un piétinement déconcertant du principe de l'égalité devant la loi. Cela ne fait qu'endurcir la méfiance des justiciables haïtiens dans les institutions judiciaires. A cela doit s'ajouter, bien évidemment, le manque de crédibilité et d'indépendance des magistrats. Il faut absolument repenser l'administration judiciaire qui ne témoigne d'aucun souci pour le respect de la dignité de la personne humaine. D'ailleurs, selon Michel Forst96(*), la réforme judiciaire est une nécessité pour Haïti. Car sans cette réforme, il est tout à fait impossible non seulement d'accéder à la modernisation du droit, de la justice haïtienne et à la démocratisation de l'Etat, mais aussi d'apaiser la souffrance morale dont l'institution judiciaire du pays.

Toutefois, il convient d'attirer l'attention sur la mise sur pied du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) comme un grand progrès, car il constitue un élément vital du commencement de la réforme tant attendue.

4- La volonté politique des dirigeants au plan national

Le pouvoir politique s'exerce par l'entremise d'un homme ou d'une assemblée d'hommes dont la mission est d'assurer la cohésion sociale, le développement et la priorité de l'Etat. Pour ce faire, ce dernier doit faire montre d'autorité, et être capable d'endosser pleinement sa responsabilité. D'où la nécessité pour les dirigeants du pays d'être armés d'une volonté politique, c'est-à-dire une volonté qui doit tendre vers le patriotisme quant à l'élaboration des principes qui président à l'harmonie de tous membres de la société. On peut, en fait, posséder les meilleurs instruments juridiques de protection des Droits de l'Homme, sans une volonté politique réelle, on peut ne pas les mettre en application. En d'autres termes, les dirigeants haïtiens doivent être guidés par cette philosophie, à savoir il est de leur grande responsabilité de permettre à la société haïtienne de connaitre une certaine émergence. Car c'est l'une des conditions pouvant lui permettre de favoriser l'épanouissement de l'être.

Ce parcours, dans cette dernière partie de notre travail, se revêt une grande importance dans la mesure où elle a pu nous donner la possibilité d'analyser les différentes difficultés auxquelles est confrontée l'application des Droits de l'Homme en Haïti, en dépit de la mise en place de tout un ensemble d'instruments devant garantir leur application. Ces difficultés ne restent pas sans conséquence sur la situation d'évolution des Droits de l'Homme dans le pays. De fait, cette partie de ce travail de mémoire nous a donné aussi l'occasion de faire un décryptage plus ou moins clair de la situation d'ambiance de violation permanente des Droits de l'Homme, c'est-à-dire saisir dialectiquement la dynamique de violation intense de ces droits relativement à la nature de différentes difficultés que rencontre l'application des Droits de l'Homme. Et elle nous a permis, du même coup, de proposer certaines mesures, au-delà des textes et des structures appelées à garantir l'effectivité des Droits de l'Homme, de correction par rapport à la triste situation d'évolution de ces droits dans le pays.

* 79 - Emile Durkheim, in Alain Beitone et al, Sciences sociales, 2eme éd. DALLOZ 2000, P. 188, in mémoire de Jean François Seguy : Le droit de l'enfant à l'éducation à travers les conventions internationales relatives aux droits de l'homme, 2007, Faculté de droit(UEH), p. 3.

* 80 - Cité par mémoire Jean François Séguy, Ibid.

* 81 - Henry Oberdoff et J. Robert, Op.cit. p. 222.

* 82 -Op.cit. p. 23-24.

* 83 - Cité par Jean François Séguy, Op.cit. p. 23.

* 84 - Op.cit. p. 28.

* 85 - Ibid., p. 220.

* 86 - Documents de bases concernant les Droits de l'Homme dans le système interaméricain, Washington, D.C, 2003, p. 33- 34.

* 87 -Cité par le premier ministre haïtien, Laurent S. Lamothe, lors de la déclaration de sa politique générale au parlement, mai 2012.

* 88 - Constitution de 1987 in Deux siècles de Constitutions haïtiennes, Op.cit, p. 295.

* 89 - Le nouvelliste dans un article dont le titre est : les oubliés du système judiciaire, p. 1. No 38732/ 21 au 22 avril 2012.

* 90 - Rapport de la Commission Interaméricaine des droits de l'homme. Haïti : Justice en déroute ou l'Etat de droit ? Défis pour Haïti et la communauté internationale, 2005, p.25.

* 91 - Constitution de 1987, p. 14.

* 92 - G. Rocher, Introduction générale à la sociologie, HURTUBISE HMH, Montréal, 1969, p. 82.

* 93 - Guy Rocher, Op.cit p. 84.

* 94 - Op.cit. p. 88.

* 95 - Op.cit. p. 91.

* 96 - Il est un expert Independent des nations-unies des Droits de l'Homme. Cette déclaration, il l'a faite dans le cadre d'une visite en Haïti pour évaluer la situation des droits de l'homme dans le pays en février 2012.

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