WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Patrimoine hanséatique et emergence d'une région baltique : Brème, Gdańsk et Riga

( Télécharger le fichier original )
par Nicolas Escach
Ecole Normale Supérieure - Master STADE 2001
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3. La Hanse : un patrimoine ou une ressource territoriale ?

3.1 De la notion de patrimonialisation à celle de « ressource territoriale »

Les héritages matériels54 et immatériels55 de la Hanse ont-ils fait l'objet d'une « patrimonialisation » ? En effet, ce processus semble être un préalable à l'utilisation d'un héritage dans une optique de « régionalisation ». Le concept de patrimoine entretient un lien étroit avec le concept de territoire. Or l'élément territorial fait partie des quatre éléments qui pour Paasi sont constitutifs d'une région56(Paasi, 2001).

La patrimonialisation peut se définir comme la reconnaissance sociale et / ou politique de la fonction patrimoniale d'un bien, se traduisant généralement par sa protection. Di Méo

53 La Hanse devenant une époque de pluralisme culturel où les Allemands sont un peuple parmi d'autres

54 Monuments, vieilles villes issus de l'histoire hanséatique

55 Mythe reconstruit depuis le XIXe siècle

56 Paasi distingue un fond symbolique ou symbolic shape, un fond institutionnel ou institutionnal shape, une conscience régionale ou regional consciousness et un fond territorial ou territorial shape

19

définit ainsi le processus : « Le passage générationnel implique tout de même un minimum de sélection. La formulation de ses règles obéit à une procédure assez classique de construction sociale. C'est leur définition et leurs modalités d'application, mais aussi celle des procédures de sauvegarde, de conservation et de valorisation des patrimoines que nous appellerons, dans ces pages, processus de patrimonialisation»57.

L'auteur attribue six étapes principales à la patrimonialisation dont la première est la prise de conscience patrimoniale (Di Méo, 2007). La deuxième est marquée par des jeux d'acteurs dans un certain contexte. Il n'existe pas de processus de patrimonialisation sans acteurs collectifs ou individuels. Mais ceux-ci ne peuvent rien sans un minimum d'idéologie ambiante, favorable à l'intervention patrimoniale. La troisième étape est la sélection et la justification patrimoniale. La justification patrimoniale consiste en un mode de discours sur les raisons présidant au choix de tel ou tel objet patrimonial : la patrimonialisation raconte une histoire, mythique ou historique et vise à valoriser une séquence passée de la vie sociale58 dans un but d'édification. Pour Di Méo : « Il est bien évident qu'un tel genre narratif participe activement à la construction sociale (...) Il se prête également à merveille à d'innombrables manipulations. C'est un vecteur important d'idéologies »59. Ce point est également étudié par Michel Rautenberg60 : le projet institutionnel sélectionne et transforme la mémoire lors de l'opération de métamorphose en patrimoine. En décontextualisant l'objet patrimonial, la patrimonialisation construit, entre un groupe social et son passé mis à distance une relation souvent mythique mais néanmoins créatrice de lien social. Suivent ensuite, pour achever un processus de patrimonialisation, les trois dernières étapes de la conservation, de l'exposition et de la valorisation des patrimoines.

Ces quatre dernières étapes font le lien entre territoire et patrimoine (Di Méo, 1998). Le territoire pour exister a besoin de la médiation des valeurs patrimoniales. Il contraint les hommes à médiatiser leurs rapports aux lieux par la multiplication d'outils qui sont aussi bien des savoirs, des formes de relation humaine que des objets. Françoise Choay, évoquant la ville dit qu'elle a toujours « joué le rôle mémorial de monument, (...) objet qui possédait le double pouvoir d'enraciner ses habitants dans l'espace et dans le temps ». 61 Ce passage du patrimoine au territoire est permis par une proximité de sens : pour la patrimonialisation comme pour la territorialisation, le groupe qui se l'approprie (le territoire ou le patrimoine) non seulement en comprend la signification mais s'identifie avec lui (Di Méo, 1998). Mais la patrimonialisation n'est pas l'apanage des populations résidentes et les étrangers sont souvent à l'origine des phénomènes de patrimonialisation (Gravari-Barbas, dir.,

57 DI MEO, G., (2007), « Processus de patrimonialisation et construction des territoires », Colloque 12-14 septembre 2007, Poitiers-Châtellerault, pp.2

58 Il s'agit de montrer la grandeur des populations passées, de choisir une séquence glorieuse de l'histoire

59 DI MEO, G., (2007), ibidem, pp.12

60 RAUTENBERG M (2003)., La rupture patrimoniale, Grenoble, Editions A la Croisée, 173 p.

61 CHOAY, F. (1992), L'allégorie du patrimoine, Paris, Editions Seuil, pp.140

20

2005). Ce sont les acteurs qui font la médiation entre patrimoine et territoire. La patrimonialisation est donc la rencontre entre une appropriation sociale de l'espace (territorialisation) par la médiation du patrimoine et une stratégie d'acteurs issus de différents milieux62. Cette dernière serait pour certains auteurs à la naissance même du territoire : l'espace serait la réalité matérielle préexistant à toute connaissance et à toute pratique dont il serait l'objet dès qu'un acteur manifesterait une visée intentionnelle à son égard. Une fois que l'espace serait l'objet d'un projet d'appropriation de la part d'un acteur (individuel ou collectif), il deviendrait territoire. Mais le projet ne suffirait pas à rendre l'espace territoire. Ce projet devrait adopter la forme d'une stratégie qui n'est autre chose qu'une succession de tactiques en vue d'atteindre un objectif donné. (Raffestin, 1980).

Le terme qui décrit le mieux l'élaboration de cette stratégie des acteurs dans un projet et une dynamique de territoire autour d'un objet patrimonial est le terme de « ressource ». Une « ressource » est une richesse potentielle ou ce qui sert à produire des richesses. Elle n'a pas de valeur en elle-même mais en acquiert si elle est perçue comme ayant une valeur d'usage par les acteurs et/ou par la société. Une « ressource patrimoniale » est une ressource « patrimonialisée » ou un patrimoine érigé en ressource. Maria Gravari-Barbas montre bien par des expressions comme « vague patrimonialisatrice »63, l'expansion du patrimoine et sa marchandisation : réinvesti de valeurs symboliques, identitaires, sociales, le patrimoine n'en est pas moins devenu une véritable industrie gérée par des acteurs hautement spécialisés (Gravari-Barbas, 2005)

Dans un contexte territorial, le mot ressource a un sens essentiel et amène à l'idée de « ressource territoriale » (CERNOSEM, 2004). Une ressource territoriale présente des caractéristiques spécifiques à un territoire et est liée à un espace particulier, à sa culture et à son histoire car elle est la découverte et l'actualisation d'une valeur latente du territoire, matérielle ou immatérielle, par une partie d'une société humaine qui la reconnaît et l'interprète comme telle à l'intérieur d'un projet de développement local. Elle sert à l'identification du territoire par le choix d'un « Marqueur territorial ».

Le « Marqueur territorial » peut être perçu comme une ressource territoriale dans la mesure où il permet à un groupe social de développer son territoire. Une fois que ce groupe révèle ce marqueur, l'aménage, le met en valeur et/ou créé du discours sur lui, le marqueur permet en retour de conférer une image au territoire le différenciant des autres. C'est par ses marqueurs que le territoire « dessine un champ symbolique semé d'objets patrimoniaux, de hauts lieux emblématiques, investis par la mémoire collective »64. Le marqueur est un des outils de l'identité collective caractérisée par un discours que les groupes tiennent sur eux-mêmes et sur les autres pour donner sens à leur existence.

62 Pour Maria Gravari-Barbas (2005), l'enchevêtrement des acteurs qui produisent du patrimoine s'est compliqué depuis les années 1990

63 Denis Chevalier reprend ce constat en reprenant l'expression de Marc Guillaume, économiste, « Tout devient patrimoine »

64 GARNIER E., (2004), «Une contribution à l'approche du territoire et de la ressource territoriale : le cas du marqueur territorial, notamment pour les populations déterritorialisées », in : CERNOSEM, (2004), « La notion de ressource territoriale », Grenoble, Montagnes Méditerranéennes, N°20, pp. 28.

21

L'enjeu identitaire est étroitement lié au patrimoine : ce dernier renvoie à l'identité et à la mémoire des groupes sociaux (Gravari-Barbas, 1996). Le patrimoine permet aussi un transfert de valeur de la ressource aux individus qui y sont associés.

Or dans ce processus, la ville joue un rôle majeur : « La plupart des identités affichent une composante géographique (...) Elles s'expriment donc, souvent, par ces médiations du social et du spatial que forment les lieux, les territoires, les paysages...Ceux de la ville s'avèrent particulièrement aptes à jouer ce rôle, parce qu'ils s'imprègnent d'un sens social très puissant tenant à la forte densité humaine et mémorielle de ces espaces. En retour, les identités contribuent activement à toutes les constructions sociales d'espaces et de dispositifs urbains, réels ou sensibles65 ». L'assise territoriale, campée sur des éléments patrimoniaux visibles, renforce l'image identitaire de toute collectivité. Elle lui dresse une scène et la pourvoit d'un contexte discursif de justification particulièrement efficace en ville où des lieux très denses, soigneusement et anciennement dénommés, s'inscrivent dans une totalité territoriale représentée, à la fois symbolique et fonctionnelle (Di Méo, 2007). Mais la ville est aussi souvent le lieu d'un Turn Over important (volontaire ou imposé) et c'est pourquoi, il est possible de distinguer le patrimoine fondé sur la loi du sang (ce qui nous vient de nos ancêtres) qui assure ainsi le rôle de ciment identitaire du groupe par une démarche d'identification des héritiers et le patrimoine transmis par le territoire lui-même à un groupe qui ne se reconnaît pas dans l'héritage du groupe créateur (patrimoine sol). C'est alors la cohésion du groupe qui est menacée (Gravari-Barbas, 1996).

Ces notions de patrimonialisation, de ressource territoriale, de marqueurs territoriaux seraient à première vue pertinentes pour une étude des processus latents dans les villes hanséatiques mais ils posent le problème majeur de la traduction : le néologisme patrimonialisation est intraduisible en letton, en allemand ou en polonais. Quelle est donc la vision lettone, allemande ou polonaise de tels processus ?

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault