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L'analyse de filière, un outil de développement pour les ONG dans le sud.

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par Benjamin JOUTEL
Université Pierre Mendès France - Master Ingénierie du Développement Territorial 2011
  

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Chapitre 4 : La concertation et la participation au coeur de l'étude de filière

En détaillant des méthodologies d'analyses des filières, nous avons remarqué que très souvent les données statistiques et documentaires étant insuffisantes, il fallait aller sur le terrain pour rencontrer les acteurs de la filière. En ayant cette démarche d'aller vers les autres, nous sommes dans une logique participative. Il faut se rappeler que nous travaillons pour le développement des populations locales et non pour nous-mêmes. Alors que serions-nous sans ces acteurs, quel travail serions-nous capable d'accomplir ? La réponse à ces questions est rapide ; sans la concertation et la participation dans l'analyse de filière, notre travail serait vain.

Quels sont les méthodes à mettre en avant, comment rendre notre étude participative ? Nous allons tenter de répondre à tous ces questionnements.

En allant sur le terrain nous avons à faire face à des populations démunies quand il s'agit des populations rurales paysannes. Ce sont ces populations que nous devons aider en premier lieu en tant qu'ONG, ce sont eux notre priorité d'action. Ces paysans sont souvent dans une détresse telle que les ONG apparaissent le plus souvent à leurs yeux comme une bénédiction capable de répondre à tous leurs besoins. Même si nous devons tenter de répondre à ces besoins et que nous souhaitons agir de manière participative, il est indispensable de prendre un certain recul. Car des problèmes souvent d'ordre matériels simples sont en fait des problèmes d'accès au marché, à l'investissement, à la santé... Autant de besoins fondamentaux sur lesquels les populations seront en demande de biens matériaux et non de dynamiques permettant à long termes de les sortir de la situation dans laquelle elles sont actuellement.

6 Organisation des Nations Unies

7 Fonds Monétaire Internationale

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Même si la participation est devenue la préoccupation principale des opérateurs de développement, il faut se méfier des logiques participatives et des outils à disposition. Comme le souligne J-P Olivier de SARDAN, « la conception selon laquelle il y aurait des besoins objectifs, communs à toute une population, que les représentant de celle-ci exprimeraient ou qui se dégageraient spontanément par effet de consensus lors de sortes d' « assemblées générales » villageoises, besoins qu'il suffirait donc de de « recueillir » ou d' « écouter », cette conception-là est erronée, et son caractère erroné peut être en bonne rigueur sociologique démontré. C'est en l'occurrence l'offre qui crée la « demande ». Les villageois interrogés par les experts, cadres et autres consultants venus enquêter sur le terrain expriment des besoins ou des demandes qui sont largement déterminées par ce qu'ils pensent que les dits experts, cadres ou consultants sont prêts à leur offrir. »

Même si ces logiques participatives, peuvent n'être que de la façade, elles représentent un « outil au service d'une action mieux appropriée aux réalités locales et aux besoins des populations directement concernées » (MATTEUDI, 2007).

« L'erreur serait de « donner la parole » aux paysans en leur demandant purement et simplement d'exprimer leurs problèmes et besoins prioritaires. On risquerait fort, en effet d'obtenir de simples demandes d'assistance étatique dans des domaines très importants (éducation, santé, habitat...) où il conviendrait surtout que les agriculteurs aient des revenus suffisants pour prendre leurs propres affaires en main. Afin d'éviter les écueils du paternalisme, la concertation avec les agriculteurs doit plutôt s'organiser à travers des débats contradictoires *...+. »

Encadré 4 : L'indispensable concertation, DUFUMIER

Les outils disponibles pour mettre en place une logique participative sont la MARP8, PPO9, Arbres à Problème et Solution... Nombreux sont les outils disponibles mais ces outils souvent imposés car correspondant au modèle dominant méritent d'être ajustés si l'on veut mettre en place un réel projet de développement de filière. Dans le cadre d'une logique participative, il faut être dans des logiques d'usages, des approches chemin faisant qui sont toujours aujourd'hui très difficiles à faire accepter par les bailleurs. Une solution peut résider dans la mise en place d'un pilote (projet pilote dans un programme, ferme pilote...) qui aurait cette logique participative dans son exactitude mais qui permettrait aussi à un bailleur d'accepter ces logiques chemin faisant tout en conservant une portée de développement à long terme. Toutefois l'utilisation d'une logique de pilote nécessite la mise en place de projets ou programmes d'envergure qui puissent justifier les dépenses

8 Méthode Active de Recherche Participative, http://www.fao.org/Participation/frenchwebsite/content/MARPfr.html lien de la FAO qui explique ce qu'est la MARP et comment la mettre en place.

9 Planification par objectifs, « Dans les années 80, la GTZ a élaboré et introduit la planification des projets par objectifs, un système de planification inspiré du "Logical Framework" (Cadre logique) provenant des États Unis. Les aspects essentiels en étaient les méthodes de communication (ateliers, animation, visualisation) et de planification (analyse des parties concernées, des problèmes et des objectifs, schéma de planification du projet) dans le cadre d'ateliers interdisciplinaires réunissant les représentants des parties prenantes » (BLAISE, 2004)

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occasionnées pour le ou les bailleurs avec ce pilote. Nous mettons donc cette démarche itérative en avant, mais avec quelques retenues.

Toujours dans une logique de concertation des acteurs et de participation, il est indispensable de mettre en avant les partenariats avec les institutionnels en place que ce soit au niveau gouvernemental pour promouvoir la filière, mettre en place des unités industrielles de transformation afin de dynamiser l'économie nationale et d'éviter que la création de valeur ajoutée qui arrive en aval de la filière se perde en dehors du pays au profit d'autres plus développées. Le gouvernement est aussi en mesure de promouvoir la filière sur le territoire national via une campagne de communication, la mise en place de concertations avec les différentes parties prenantes... Au niveau local, les instances décentralisées ont aussi une grande part à jouer. Dans la plupart des pays en développement, il n'y a pas encore eu de processus de décentralisation et plusieurs décennies de PAS10 ont laissées des séquelles. Avec les politiques de réduction de la dette nationale imposées par les grandes instances internationales que sont le FMI et la Banque Mondiale, la plupart des pays en développement ont commencé à privatiser les terres, favorisant les grandes exploitations agricoles destinées aux cultures de rentes au détriment des paysans et de la grande majorité des ruraux. De ce fait la pression sur le foncier a énormément augmenté. Même quand il y a décentralisation dans un pays en développement (ce qui est une bonne chose car les gouvernements centralisés sont très vites dépassés), il n'y a pas d'accompagnement dans ces processus de décentralisation et les autorités locales se confondent très vite avec les autorités traditionnelles sans qui aucune décision n'est prise. Nous retrouvons ce problème au Mali, à seulement quarante kilomètres de Bamako, la ville de Sanankoroba connaît actuellement des difficultés car les autorités locales n'étant pas assez accompagnées dans la gestion de la collectivité sont amenées à privatiser un certain nombre de terres, rendant ces terres collectives privées, un grand nombre de paysans n'ont plus accès aux ressources qui y sont présentes. Ces privatisations, en plus de bloquer le développement rural ont un impact sur l'environnement puisque des monocultures sont mises en place. Ces cultures appauvrissent les sols et leur exploitation dégage beaucoup de CO2. Il est donc primordial afin de limiter la pression sur le foncier d'accompagner les gouvernements et/ ou les collectivités locales dans la gestion des terres et donc du foncier. Les autorités locales ont aussi un rôle d'animateur afin de favoriser au sein de la filière les relations entre les différentes parties prenantes (producteurs, acheteurs, négociants, transformateurs). Nous pensons toujours à la logique verticale sous-jacente à la notion de filière mais avec l'accompagnement des collectivités dans la création d'organisations paysannes, de mutuelles... Une réelle mutualisation peut être faite au profit du développement de filières. De plus, des activités différentes sont nécessaires dans une filière, ou dans des sous filières. Si l'on prend l'exemple du karité sur lequel nous reviendrons plus largement, nous constatons que des productrices de beurre sont à même de fabriquer du savon ou des crèmes pour la peau. Ces cosmétiques nécessitent des intrants qui peuvent être produits localement et avoir un effet bénéfique sur le plan social, économique et environnemental. Dans le cadre de la sous filière cosmétique à base de karité se peut être l'apiculture. La création d'une activité apicole favorisera la pollinisation, donc le

10 Politiques d'Ajustement Structurels

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renouvellement d'un parc d'arbres vieillissants et permettra de fournir le miel nécessaire à la production de crèmes pour la peau engendrant la création d'une nouvelle activité génératrice de revenus sur le territoire. C'est donc les conditions de vie des locaux qui seront améliorées. Les collectivités peuvent donc faciliter les relations entre les acteurs aussi bien au niveau de la filière que par transversalité en participant à la création de nouvelles activités complémentaires.

On voit donc dans ce chapitre que la concertation et la participation sont indispensables dans l'analyse des filières, que ce soit dans une logique de promotion et de structuration des filières, aussi bien que dans une logique de concertation des acteurs pour le maintien et le développement des filières.

Comment donner un rayonnement global à des initiatives locales en termes de filières ? Comment mettre en avant le territoire de production dans un monde qui est vaste ? Autant de questions qui nous amènent à trouver des solutions pour que les acteurs les moins privilégiés de la filière (généralement en amont), puissent intégrer cette logique globale et bénéficier d'une amélioration des termes de l'échange. Nous pensons que cela passe par la qualité. Les processus qualité et la normalisation sont les seuls moyens d'intégrer un monde global.

Chapitre 5 : La qualité, indispensable processus pour le développement des filières

Nous avons introduit ce chapitre en évoquant l'indispensable besoin de qualité pour entrer dans une logique globale de manière durable et non sur une base dominant (Nord), dominé (Sud). Ce besoin de qualité peut être lié à une « logique analytique inversée ». Comme l'explique G. HENAULT (2008), dans une logique de développement l'analyse de filière est obligatoire et est devenue courante par les opérateurs de développement mais il réside souvent des problèmes d'accessibilité au marché. L'auteur nous explique que c'est un problème de mercatique. Quand on analyse une filière on a toujours une logique d'amont en aval, or dans un monde ou l'offre est supérieure à la demande, nous ne retrouvons plus cette logique ou il suffisait de mettre en avant les caractéristiques d'un produit pour le vendre. Il faut donc selon lui, partir du consommateur pour ensuite remonter la filière et adapter la mercatique et le produit (marketing mix) aux besoins des consommateurs.

« Or, l'esprit qui anime une stratégie de mercatique contemporaine s'exprime par la prise en compte systématique et constante des besoins des utilisateurs qui déterminent ainsi les caractéristiques du produit. »

Encadré 5 : La mercatique au service du développement durable. HENAULT, 2008

D'après G. HENAULT, il faut se concentrer sur « des marchés d'exportations potentiellement porteurs pour l'entrepreneuriat coopératif » tel que les produits biologiques, les alicaments, les produits équitables, les produits exotiques et ethniques. Ce sont autant de niches de produits qu'il faut mettre en avant dans le cadre des filières issues de pays du Sud. Même si l'enthousiasme de

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l'auteur est en faveur d'un privilège accordé aux « filières d'exportations coopératives », il met en avant des critères qui sont importants à prendre en compte pour pouvoir atteindre ces marchés, notamment la qualité, la traçabilité, la promotion, la certification. Nous nous attarderons donc sur ces critères.

En termes de qualité, nous entendons quelque chose de générique qui engloberait d'autres critères plus spécifiques, alors que l'auteur considère la qualité comme un critère en soi, qui permettrait le maintien d'une qualité constante dans les productions agricoles des pays du Sud.

« Le concept de qualité totale qui inclut les dimensions techniques ainsi que les attentes des consommateurs est devenu un préalable à toute stratégie de mercatique au sein de la filière agro-alimentaire d'exportation. »

Encadré 6: La mercatique au service du développement. HENAULT, 2008

Il insiste par la suite sur la nécessité de lier des partenariats Sud Sud et Nord Sud pour oeuvrer vers un développement durable et pour que ces filières d'exportations ne soient pas dans une logique d'approvisionnement du Nord, sur le modèle économique colonialiste.

D'après les recherches effectuées et l'expérience du terrain avec l'union YIRIWASSO au Mali, nous pouvons estimer que la qualité n'est pas un critère en soi, nous préférons une approche systémique dans laquelle nous incluons comme gage de qualité, la rationalisation des processus, la gouvernance, la gestion... tout ce qui a attrait à la démarche entrepreneurial mais aussi la traçabilité des produits, la labélisation, la certification (biologique et/ou équitable), la normalisation (normes ISO...).

Tous ces aspects qui paraissent différents deviennent gages de qualité par le jeu de la transversalité.

En termes de localisation des produits et/ou d'indications géographiques, nous pensons qu'une filière doit être mise en avant à plusieurs niveaux et de différentes manières que ce soit par les circuits courts et la localisation des produits (traçabilité, produits du terroir), labels.

Dans les années quatre-vingt-dix on a connu une crise de confiance chez les consommateurs liée aux dérives de la production alimentaire industrielle (ESB, Dioxine, Légionellose...), autant de crises qui chez les consommateurs ont permis le développement des indications géographiques comme facteur de qualité. On a tendance à amalgamer circuits courts et produits locaux, alors que ce sont deux notions différentes, un produit issu d'un circuit court est obligatoirement un produit local alors qu'un produit local n'est pas toujours lié à un circuit court. Les produits locaux sont liés à une notion de provenance géographique qui est en réalité une appartenance à un terroir11. On peut considérer local un produit traçable et spécifique à une zone géographique.

11 Un terroir est défini comme « un système au sein duquel s'établissent des interactions complexes entre ensemble de facteurs humains (techniques, usages collectifs...), une production agricole et un milieu physique (territoire). Le terroir est valorisé par un produit auquel il confère une originalité (typicité). » Définition mise en avant dans le cadre de la politique nationale de qualité et d'origine française.

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Par exemple le camembert de Normandie est un produit lié au terroir normand, à une région qui a développé un savoir-faire traditionnel alors que si ce produit est fabriqué en Chine, il n'est plus un produit local car il ne bénéficie plus de l'environnement qui fait la spécificité du camembert. Cette notion de terroir que nous venons de mettre en avant est aussi exploité dans la logique des labels bien connus en France grâce aux AOC (Appellation d'origines contrôlées). Les labels peuvent être considérés comme une hybridation entre les produits locaux et des normes de qualités supplémentaires. C'est avec les labels que la notion de terroir prend le plus de sens. Un label outre le fait d'identifier un produit à un environnement particulier (terroir), permet de mettre en avant un produit pour le respect des traditions et de la qualité liée à l'origine du produit. Des normes de qualités particulières définissent un terroir notamment le mode de production la qualité et l'origine des intrants, l'organisation (personne morale) dont est issue le produit... Dans la mise en place de ces labels il faut considérer le rôle de l'Etat qui permet de garantir avec des normes et conventions l'attribution du label. Sans cet accompagnement Etatique12 qui permet de normaliser les choses, la qualité n'est pas toujours assurée même si l'initiative individuelle pour mettre en avant un produit issu du terroir représente en soi une volonté de mettre en avant une qualité et donc de se différencier des concurrents.

Nous définissons la traçabilité comme un critère pour faire d'un produit, un produit local mais en dehors des produits locaux la traçabilité reste un gage important de qualité.

Pour ce qui est des circuits courts, nous les définissons comme une désintermédiation dans la logique qui relie le producteur au consommateur. Pour les mettre en avant il faut travailler sur des produits qui demandent peu de transformation ou dont les transformations pour arriver à un produit fini sont réalisables par le producteur lui-même ou un artisan associé à ce dernier.

Les circuits courts interviennent dans une logique d'équité au profit des producteurs qui dans une logique paysanne se retrouvent étranglés par les intermédiaires que sont les distributeurs, les grossistes, les transformateurs, ou tout autre intervenant qui essai de tirer les prix de vente des producteurs vers le bas ce qui engage un cycle de dépréciation de l'activité, de la qualité des produits et donc de l'ensemble de la filière correspondante.

Les circuits courts représentent une alternative intéressante pour le dynamisme local et donc pour cette économie locale.

« L'idée de produits locaux est liée à la montée d'une économie territorialisée. On est passée en une quinzaine d'années, d'une économie très standardisée fondée sur des normes quasi mondiales, à une économie territoriale. Cela renvoie à une économie de proximité, à la théorie des districts italiens, aux systèmes agroalimentaires localisés, aux notions d'ancrage territorial... Donc le

12 Au sujet de l'intervention de l'Etat, B. SYLVANDER explique : «En réalité l'influence des pouvoirs publics est ambigüe. Il me semble en effet qu'ils ont surtout pris acte de la demande croissante des consommateurs, par exemple pour les produits bio. Une fois constaté le développement du marché, il était important de le normaliser... pour éviter les fraudes sur ce type de produits.

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territoire prend une valeur centrale et cela explique comment les groupes d'entreprises créent des territoires qui ont des règles d'évolutions endogènes communes » (SYLVANDER, 2005).

Il est toutefois important de souligner certaines limite à ces « gages de qualités géographiques », comme le souligne V. BOISVERT et A. CARON : « la capacité des indications géographiques à protéger les savoirs locaux liés à la diversité génétique est souvent postulée (OMPI, 2004). Leur adéquation à cet objectif n'est cependant pas avérée. De plus, l'intégration de clauses relatives à la biodiversité et aux savoirs associés peuvent apparaître comme une forme de protectionnisme et mener à des différends commerciaux comme l'ont montré les négociations de sur ce thème de l'OMC.»

Nous mettons les logiques vivrières en avant depuis le début du texte et le développement de produits locaux apparaît surtout comme un besoin émis par les consommateurs occidentaux. Nous sommes donc dans une logique d'exportation incontestable en soutenant ce type de démarche. Nous pouvons néanmoins atténuer notre propos par la conscientisation et le cercle vertueux équitable que sous entendent souvent ces logique locales, qui plus est, interviennent sur l'opinion publique donc sur les choix politiques.

Pour justifier notre propos sur la dimension paradoxalement internationale des produits locaux issus des filières dans le Sud nous pouvons citer une fois de plus V. BOISVERT et A. CARON.

«D'une manière générale, les marchés internationaux sont, relativement à ces thèmes (produits locaux), bien plus porteurs que les débouchés locaux et régionaux. Grands dévoreurs d'images, ils sont en perpétuelle demande d'innovations, et de garanties nouvelle. R. Simenel, L. Auclair, G. Michon et B. Romagny soulignent d'emblée comment l'explosion de la demande internationale en huile d'argan s'accompagne de plus en plus souvent d'exigences de qualité et de spécificité propices à la promotion de spécialités locales et à la construction d'un dispositif de valorisation fondé sur l'origine du produit. Ce goût international est certes une bonne opportunité mais, comme nous le font remarquer M. François, P. Seyverath & J.M. Brun dans leur analyse des dynamiques cambodgiennes, la notoriété commerciale génère aussi un besoin urgent d'outils permettant de pallier les risques graves d'appropriations, de spoliation des communautés rurales, d'usurpation et de fraudes au profit par exemple, de firmes commerciales ».

Nous avons donc à la lecture de cet extrait l'expression du fait que les filières agricoles pour lesquelles on promeut le caractère local ont beaucoup plus de chances de connaître un développement au niveau international qui les obligent à avoir une qualité toujours supérieure et qui par effet d'entraînement agit sur d'autres filières de la localité ou d'autres sous-produits de la filière. Nous sommes donc ici dans l'expression d'un cercle vertueux qui justifie notre mise en garde du début quand nous attribuons le partage entre culture d'exportation et culture vivrière à un juste dosage qui doit être échelonné dans le temps.

De plus, les propos de ces auteurs justifient un encadrement institutionnel dans les logiques locales et géographiques attribuées à des productions d'origines agricoles.

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« Le Commerce Équitable est un partenariat commercial, fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l'objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleures conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète. Les organisations du Commerce Équitable (soutenues par les consommateurs) s'engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l'opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionnel. »

Encadré 7 : Définition du commerce équitable, BALLINEAU, 2010

Les critères liés aux aspects géographiques ne sont pas les seuls critères gages de qualité qui peuvent être mis en avant. La certification et la normalisation ont aussi leur part à jouer. En ce qui concerne la certification, on considère deux grands types de certifications qui ont chacune leurs spécificités. Nous considérons donc la certification équitable et la certification biologique.

Le commerce équitable est un gage de qualité dans la mesure où il est normalisé, tous les acteurs s'engagent à respecter une charte. Il existe deux types de certification équitable, WFTO et FLO-Int13. L'une correspond à une logique de filière intégrée alors que l'autre est dans une logique de filière certifiée. « La première est représentée par WFTO. Contrairement aux entreprises (importateurs, industriels, distributeurs) qui ont recours à la certification FLO, les membres de WFTO font tous du commerce équitable leur activité principale. Ils n'ont recours, dans la mesure du possible, qu'à des partenaires à leur tour pleinement engagés dans la commercialisation de produits équitables (la distribution des produits dans les grandes et moyennes surfaces est sinon proscrite, du moins limitée). Il s'agit de la forme de commerce équitable la plus proche de la forme dite « historique » dans le sens où les acteurs de la filière sont spécialisés dans le commerce équitable grâce à des réseaux d'importation (centrales d'achats) et de distribution (magasins du monde) alternatifs (Diaz Pedregal, 2007, p.118). Au contraire, les membres de la filière certifiée peuvent n'être que partiellement engagés dans le commerce équitable : en règle générale, seuls quelques-uns de leurs produits sont labellisés, et ils sont pour la plupart distribués dans les grandes et moyennes surfaces. Cette filière reflète le choix stratégique fait par les fondateurs du label Max Havelaar de profiter du savoir-faire et des moyens dont disposent les importateurs, les industriels et les distributeurs conventionnels pour ne pas induire de coûts supplémentaires. » (BALLINEAU, 2010)

Il y a un double enjeu derrière la certification équitable qui est le standard de qualité de produits destinés au Nord principalement, donc, répondant aux normes de consommation en vigueur et la logique générale de développement qui entoure le commerce équitable. G. BALINEAU (, 2010) dans sa thèse sur Le commerce équitable : un outil de développement ? conclut en expliquant que

13 Fairtrade Labelling Organizations International (organisations de labellisation du commerce équitable) et World Fair Trade Organization (ex-IFAT) (Organisation Mondiale de Commerce Equitable)

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malgré les charges supplémentaires pour les acteurs de la filière, les effets déstabilisateurs, l'insuffisance et l'instabilité de la demande... la qualité des produit issus du commerce équitable s'améliore sensiblement et la logique équitable peut apparaître comme un test de l'efficacité d'une politique de différenciation des prix en fonction de la qualité des produits sur l'ensemble de la filière concernée. Ce point de vue sur l'intérêt du commerce équitable peut être appuyé par la logique de communication qui entoure ces produits. En effet le fait de communiquer sur une filière équitable permet de faire connaître le produit et d'impacter directement les consommateurs et l'ensemble de l'opinion publique sur l'intérêt de la démarche et sur les volontés politiques au sein des pays producteurs de participer au développement de la filière.

Bien que la certification équitable puisse avoir un intérêt direct sur la filière concernée, il ne faut pas oublier la certification biologique qui est peut être certainement moins liée à une logique de développement direct mais qui a totalement son intérêt environnemental et social.

La certification biologique fait aussi l'objet d'une charte de qualité qui engage les producteurs à travailler dans le respect de l'environnement et du consommateur. La mise en place d'une certification de ce type pourrait être considérée comme lourde à supporter pour une organisation productrice du Sud, mais compte tenu de l'augmentation non substantielle du nombre de consommateurs bio dans les pays du Nord, elle offre une ouverture non négligeable sur des marchés qui peuvent être porteurs. En ce qui concerne le Sud et l'impact régional d'une telle certification, il faut garder en tête que la plupart des paysans du Sud n'ont pas les moyens pour acheter les intrants nécessaires à la mise en place d'une agriculture productiviste, ils n'ont pas non plus les moyens de la certification si ils ne sont pas aidés ou regroupés en coopératives. Toutefois si la barrière du coup de la certification est levée alors le simple fait de considérer l'incapacité à acheter des intrants chimiques peut nous montrer que par essence dans la plupart des cas leur production est déjà biologique comme il en est le cas pour le karité en milieu soudano sahélien. La certification biologique apparaît alors comme un moyen de mettre en place des améliorations productives et de réaliser un suivi de la qualité permanente des produits. Pour lever la barrière du coût de la certification, il est impératif de mettre en place des partenariats pour assurer des débouchés à courts termes qui puissent amortir les coûts de certification (mise aux normes et cotisations à intervalle régulier).

En ce qui concerne la normalisation de production, une filière peut passer par la normalisation ISO, mondialement reconnue comme un gage de qualité, mais des normes d'Etat ou régionales peuvent aussi être appliquées.

Dans cette première partie nous avons passés en revue la notion de filière, détaillée une méthodologie d'analyse et définit les points primordiaux à considérer dans cette analyse afin d'assurer un bon développement des filières dans le Sud. Maintenant que nous avons en mains toutes ces instruments et ces données, nous ne pouvons que nous intéresser à l'opérateur visé par la problématique posée : les ONG. Nous aborderons donc dans la partie qui suit la logique d'action que peuvent suivre les ONG pour avoir une démarche filière et nous mettrons en perspective l'intérêt qu'elles ont à adopter une logique systématique d'analyse de filière dans le cadre de projet de développement agricole.

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II - LES LOGIQUES D'ACTION DES ONG

Les ONG, Organisations Non Gouvernementales dans les champs de l'urgence et du développement se sont surtout développées dans les années soixante-dix. Leur raison d'être réside principalement à un clivage important durant cette période. Dans les pays du Sud, les Etats parfois appuyés par les grandes organisations multilatérales favorisaient des projets non prioritaires. Les ONG ont donc pu s'affirmer et intervenir dans un contexte d'indépendance face aux états et aux organismes multilatéraux. Elles se sont donc développées de manière endogène par la volonté de la société civile.

« Au Sud, depuis les années 1990 on a vu s'amplifier de nouvelles formes de crises agraires. Loin d'être le signe de l'archaïsme de l'agriculture, elles se sont manifestées dans un contexte de progrès spectaculaire de la productivité agricole, à travers la « chimisation » et la mécanisation massive, la mise en oeuvre des biotechnologies. La crise agraire multiforme est d'abord la conséquence de la logique de « pôles performants » dans l'agriculture. En effet les progrès spectaculaires sont le fait d'une petite minorité d'exploitations, mise en oeuvre dans ce que l'on peut appeler la » voix fermière de modernisation agricole », systématiquement privilégiée par les organisations multilatérales (Banque mondiale, FAQ). »

Encadré 8 : Territoires, développement et mondialisation, alternatives sud, 2008

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon